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Conclusion de la quatrième partie
p. 303-306
Texte intégral
1A la veille de la réunion des deux communes de Calais et Saint-Pierre, certains contemporains soulignent que le développement du port de Calais a été réalisé au dépens de celui de la ville industrielle de Saint-Pierre. Il aurait été également sacrifié aux intérêts de ceux du port rival, Boulogne-sur-Mer, discours particulièrement chauvin dont voici un échantillon : « Boulogne et Calais ont été de tout temps des voisins malcommodes. Calais leur a toujours été sacrifié : quand on lui accordait une paille, les autres se voyaient gratifiés d’une poutre. Bien mieux, sous prétexte d’augmenter la fortune maritime, on a semé les crédits et les millions un peu partout pour ne pas faire de jaloux »28. Au début du vingtième siècle, la question est complètement renversée, de plus avec la critique libérale menée en 1908 par Clément Colson, elle prend, enfin, une dimension nationale.
2En regard de ses développements pondéreux, le port a-t-il été développé inutilement ? En 1910, l’activité du port de Calais apparaît comme celle d’un « bassin de Dunkerque ». Le triomphalisme un peu naïf engendré par l’inauguration du port en 1889 s’éteint très rapidement : « L’extension du port de Calais a été décidée vers 1873 parce qu’à cette époque on entrevoyait que la grande navigation maritime ne pourrait bientôt plus avoir accès dans le port de Dunkerque »29. Une telle position semble provoquer sur place un malentendu sur le long terme, nourri par les espoirs d’industrialisation de la zone du nouveau bassin à flot. Il est vrai que l’état des infrastructures du port flamand au début des années soixante-dix pouvait entretenir les illusions des Calaisiens. Le courtier Georges Foissey en fait un bilan réaliste : « le transit maritime continua alors à être acheminé par les importateurs vers les ports du Nord. Il en est résulté que le développement maritime de Calais a été très lent à se produire, quoique constamment en progression d’une année sur l’autre. Les habitudes prises, les lignes régulières établies et quelquefois aussi des tarifs de chemin de fer différents ont été les entraves à un développement plus accentué. Par suite d’accident, par suite de grève, ou encore en raison d’encombrement à Dunkerque, Calais a quelquefois reçu le trop plein du port voisin ».
3Ce jugement est cependant occulté jusqu’au moment où la Chambre de Commerce affiche des ambitions plus modestes par rapport à Dunkerque : « avoir notre légitime part dans le trafic des laines et des minerais (…) arriver à pouvoir organiser, petit à petit, des services de lignes régulières de navigation avec les grands ports extra-européens et autres, lorsqu’ils nous apportent des chargements de marchandises »30. Telle est, en 1913, la profession de foi du président de la Chambre de Commerce de Calais, le dentellier Henri Hénon qui meurt en mai 1913. Le trafic de Dunkerque étant déjà arraché à grand peine à celui d’Anvers on voit que la position des Calaisiens est bien fragile.
4Le port de Calais devient le bouc émissaire des économistes libéraux qui accusent l’Etat de dépenser ses deniers à des travaux portuaires inutiles. François Caron a attiré l’attention sur les conclusions tirées à la veille de la Première guerre par l’économiste et Conseiller d’Etat Clément Colson, stigmatisant les crédits trop importants consacrés aux ports secondaires, tels Calais et Boulogne : « Il y a un grand avantage, pour un pays à concentrer sur un petit nombre de points les dépenses faites dans l’intérêt du commerce maritime, en dispersant ses efforts entre un grand nombre de ports, un pays risque de ne pouvoir faire dans aucun d’entre eux les dépenses nécessaires pour tenir les ouvrages au niveau des besoins croissants et de n’avoir aucun centre commercial bien desservi ».31. Voici l’essentiel de l’argumentation de Colson. D’abord, les ports dits secondaires doivent être améliorés aux moindres frais : « la critique ne nous paraît pas fondée en ce qui concerne les travaux prévus en 1879 pour la plupart des petits ports : leur amélioration a été réalisée, le plus souvent moyennant une dépense minime en rapport avec l’utilité qu’elle présente pour la population de marins et de pêcheurs dont la conservation présente un intérêt très sérieux, non seulement au point de vue économique, mais encore au point de vue militaire pour le recrutement de l’armée de mer »32. Colson ne raisonne pas autrement que tous les administrateurs de la Marine depuis l’Ancien Régime, c’est-à-dire non point en terme économique, comme il le prétend, mais en termes militaires. Il est ensuite beaucoup plus sévère pour ce qu’il appelle les « ports de second ordre » qu’il condamne, établissant ainsi un discours repris dans maints ouvrages de l’époque : « C’est plutôt dans quelques ports de second ordre, comme Calais, Boulogne ou La Rochelle que l’on a entrepris des travaux vraiment trop coûteux, eu égard aux intérêts en jeu, tandis que pour les ports de premier ordre, les travaux prévus ne répondaient pas aux besoins toujours croissants engendrés par l’augmentation incessante des dimensions des grands paquebots ».
5En réalité, l’examen des chiffres cités par le Conseiller d’Etat dans la suite de sa critique, corrobore l’importance de la première moitié du siècle pendant laquelle les infrastructures de Calais ont été négligées par l’Etat. La remarque de Colson devrait s’appliquer uniquement à cette période pendant laquelle le port essentiel sur la route de Londres est Boulogne, au grand dam de Calais et de la logique économique invoquée par Colson. Le faible engagement de l’Etat dans le trafic des passagers y est pour beaucoup. Ce trafic, qui n’est même pas quantifié convenablement par la douane est laissé aux politiques des compagnies de chemin de fer.
6On peut examiner ce bilan à travers trois questions : la part de Calais dans l’ensemble des treize premiers ports de France, dans l’ordre géographique : Dunkerque, Boulogne, Dieppe, Le Havre, Rouen, Cherbourg, Saint-Nazaire, Nantes, La Rochelle, Bordeaux, Sète et Marseille ; l’importance relative de la participation des localités sur l’ensemble de la période 1814-1906 et enfin la part respective des deux versants du siècle qui révèle un déséquilibre profond pour le port de Calais.
7Sur le chiffre de 68 millions de Francs considéré par Colson pour les travaux d’établissement du port entre 1814 et 1906, 12 seulement, soit 17,6 %, ont été dépensés entre 1814 et 1878. L’ensemble des dépenses de cette première phase d’équipement représente le tiers des dépenses globales du XIXe siècle. C’est dire tout le retard que le port a pris en regard de ses concurrents directs, mais également dans l’ensemble des grands ports. Ces derniers prennent une avance considérable, en particulier Marseille et Le Havre, dont les investissements sont régulièrement répartis. Les transformations dues au plan Freycinet peuvent faire croire en 1908 à une surestimation des besoins de Calais, port secondaire parmi les mieux dotés. Dans l’ordre des dépenses, Calais passe ainsi du dixième rang (3,5 %) pour la première période au cinquième rang (9,1 %) juste après Dunkerque, Le Havre, Bordeaux et Rouen. Seuls les ports de Rouen, Nantes et La Rochelle voient comme à Calais, leur part de dépenses multipliée par deux entre ces dates.
8Il est certain que la comparaison des dépenses en valeur absolue a de quoi effrayer en regard du trafic portuaire. Il ne faut pas oublier le prix de revient élevé des travaux pour un port presque entièrement artificiel et construit sur l’eau en ce qui concerne les infrastructures les plus lourdes. Calais arrive ainsi au sixième rang pour l’ensemble des dépenses nécessaires à son établissement avec un total de 68 millions de Francs derrière Rouen (85 M), Bordeaux (99 M), Marseille (122 M) Dunkerque (132 M) et Le Havre (172 M). Situé à la charnière des grands ports et des ports secondaires, Calais se trouve ainsi en bute aux critiques les plus vives que viennent relancer la crise précédant la guerre.
Notes de bas de page
28 Journal de Calais, 5 février 1884.
29 CCC, trafic des produits industriels, Note anonyme du 10 avril 1910.
30 Ibid., délibération du 8 janvier 1913.
31 Pierre Léon (dir.), Histoire économique et sociale du monde, 4, la domination du capitalisme, Paris, Armand Colin, 1978, 626 p., pp. 168-169.
32 Clément Colson, Transports et tarifs, Paris, Lucien Laveur, 1908, 863 p., p. 233.
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Calais et la mer (1814-1914)
Ce livre est cité par
- Malon, Claude. (2006) Le Havre colonial de 1880 à 1960. DOI: 10.4000/books.purh.7206
Calais et la mer (1814-1914)
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