Conclusion de la première partie

p. 110-111


Texte intégral

1Les constructeurs de navires, les artisans voiliers ou cordiers, les rouleurs et les maîtres d’hôtels ne sont pas des gens de mer. Cependant, ils établissent le lien économique et social entre le port et la ville. Ce lien devient de plus en plus ténu au fur et à mesure que le passage décline et que l’industrie se développe. La construction navale, réduite à Calais à une poignée de chantiers artisanaux, est très fortement liée à la pêche locale qu’elle finance en partie. Mais cette activité, relativement florissante pendant l’Empire à cause des commandes de navires corsaires, périclite après 1820 pour deux raisons : la concurrence des autres ports et les contraintes des servitudes militaires qui menacent son existence. En 1821, les installations des chantiers de construction sont démolies par l’autorité militaire ce qui provoque l’exil de deux constructeurs novateurs comme Louis Sauvage et François Derheims ou des reconversions vers l’industrie du tulle. Ces transferts individuels doivent probablement se multiplier sous les coups redoublés de la concurrence et de l’envahissement de l’industrie dans l’agglomération de Calais avant qu’elle ne prenne les formes nouvelles du grand atelier et de l’usine à Saint-Pierre.

2Il serait tentant de conclure que les tenants de la vie économique calaisienne n’ont pas développé des initiatives assez audacieuses pour relever l’économie portuaire. On les a vu perdre successivement leurs intérêts dans les armements des paquebots de Calais, la pêche locale et le commerce maritime de quelque envergure. En fait, leur argent est investi dans l’industrie tullière qui est sans conteste une des plus commerçante de l’époque. Les risques y sont considérables. Jusqu’en 1840, elle est presque entièrement basée sur un système fraudeur dont l’ampleur et les rythmes résistent à toute analyse statistique. Les entrepreneurs calaisiens ont eu le mérite d’en profiter pour développer une activité originale. Il faut supposer que l’introduction de l’industrie des tulles à Calais ait été, en réalité, une initiative des négociants qui ont appelé des immigrés anglais désireux d’échapper à la crise du coton dans leur pays.

3Ces réalités économiques se sont imposées aux esprits des contemporains plus rapidement que les mutations du trafic transmanche. Il faut un déclin profond du passage pour que les Calaisiens cessent de rêver leur port, comme l’unique « clé de la France ». C’est au mieux, pour un temps trop long encore, un pont de bateaux sur la route la plus courte vers Londres. L’investissement dans le commerce et la fabrication du tulle n’est pas une cause de déclin du passage, mais bien la conséquence logique d’une mutation qui échappe en grande partie aux négociants de Calais. La conversion des activités, des hommes et des capitaux vers la tullerie est désormais irréversible.


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