Chapitre I. L’antiaméricanisme virulent du parti communiste et des compagnons de route (1947-1953)
p. 235-287
Texte intégral
1Pendant cette période, l’influence du parti communiste est à son apogée, même si aucun communiste n’exerce plus de responsabilité ministérielle après mai 1947. Le P. C.F. réalise alors ses meilleurs scores électoraux, obtenant aux alentours de 26 % des suffrages exprimés.
2Les électeurs communistes représentent donc une part importante de la population française, dont nous pouvons cerner les caractères spécifiques grâce à des sondages réalisés en 1948 et 1952.
3Le sondage de 1948 nous révèle que ces électeurs communistes sont surtout des hommes (64 %), des ouvriers (37 %) et des agriculteurs (22 %). Le facteur religieux apparaît cependant encore plus déterminant que les critères sociologiques. 17 % seulement des électeurs communistes croient en Dieu, contre 66 % de l’ensemble des Français.1
4L’enquête de 1952 nous montre une diminution de la proportion des paysans dans l’électorat communiste (13 %), mais la stabilité du pourcentage des ouvriers (38 % du total)
5Ce sondage révèle également l’opposition entre des extrémistes (40 %) qui adhèrent entièrement aux positions du parti et une majorité nettement plus modérée.2
6Ces communistes forment l’imposant lectorat potentiel des nombreux organes de presse que contrôle alors le parti et qui vont constituer un des vecteurs privilégiés de son discours antiaméricain.
7Au premier rang de la presse communiste, citons bien sûr l’Humanité l’organe officiel du parti dont le rédacteur en chef est d’abord Georges Cogniot, puis, à partir d’Avril 1950, André Stil. Autre quotidien parisien contrôlé par le P. C., Ce soir, le journal de Louis Aragon. En province, on compte à la Libération une trentaine d’organes « progressistes ». Le déclin de cette presse communiste est cependant rapide pendant la période étudiée.
8Des trente organes progressistes mentionnés, il n’en subsiste que 17 dès 1948, n’assurant guère que 13 % de l’ensemble du tirage quotidien régional et leur nombre connaît ensuite une régression régulière (14 titres en 1951, 12 en 1953, 7 en 1956) alors que le tirage ne cesse de diminuer (10 % en 1952,8 % en 1954, 5 % en 1956). Et ce déclin est encore plus marqué à Paris. Ce soir disparaît en 1953 et l’Humanité perd de nombreux lecteurs, passant de 1945 à 1953 de 16,6 % à 7,5 % des ventes parisiennes.
9Ce rapide panorama de la presse communiste doit bien sûr mentionner les revues spécialisées que contrôle le parti. Officiellement, Europe et La Pensée ne sont pas communistes. S’adressant essentiellement à des enseignants, elles véhiculent une conception assez traditionnelle de la culture. Disposant normalement d’une certaine autonomie, elles doivent se soumettre aux consignes du parti, mais conserveront toujours une certaine modération.
10Les lettres françaises devaient constituer la vitrine esthétique du parti. Fondé pendant la résistance, ce fut d’abord un journal pluraliste en dépit d’une indéniable orientation communiste. Mais, à partir de l’automne 1947, cette diversité disparaît et Les lettres françaises se transforment en un journal orthodoxe et monolithique.
11Bien que possédant déjà un nombre de vecteurs importants, le parti communiste va se doter en décembre 1948 d’une autre revue, La nouvelle critique, dont la tâche est de mener à bien la bataille des idées contre l’impérialisme américain, que préconise Andréï Jdanov. Cette revue qui se réclamait de Staline devait bien sûr être d’une orthodoxie totale, véhiculant avec enthousiasme les positions officielles du parti et bien décidée à lutter contre la colonisation de la France par les Etats-Unis. C’est sans doute cette orthodoxie stalinienne qui explique la faible diffusion de la revue : moins de 1300 exemplaires vendus à Paris en 1956.
12Tout aussi orthodoxes que la Nouvelle Critique Les cahiers du communisme sont également destinés aux intellectuels
13C’est à partir de ces organes de presse, mais aussi grâce aux livres que publient alors les écrivains communistes que nous allons nous efforcer de cerner les principaux aspects de la campagne entreprise par les communistes contre les Etats-Unis.
14Cette campagne revêt deux aspects que nous allons successivement examiner : la lutte contre la politique étrangère des Etats-Unis et la critique de la civilisation américaine.
La critique systématique de la politique extérieure américaine
15Les initiatives prises par les Américains en 1947 pour parer à la menace soviétique (doctrine Truman, annonce du plan Marshall) vont provoquer la riposte de l’URSS. En octobre 1947 se tient à Sklarska Poreba, dans le Sud de la Pologne, une réunion où sont représentés neuf partis communistes européens, dont le P. C.F. Lors de cette réunion est prise la décision d’ouvrir un bureau d’information, le Kominform. C’est également pendant cette réunion qu’Andreï Jdanov va préciser la nouvelle analyse des relations internationales opérée par le Kremlin.
16Selon le rapport Jdanov, le monde est désormais divisé en deux clans irréductiblement antagonistes : le camp impérialiste dirigé par les Etats-Unis, et le camp de la démocratie et de la paix, dirigé par l’Union Soviétique. Les partis communistes occidentaux et en particulier le parti communiste français vont désormais consacrer tous leurs efforts au combat contre l’impérialisme américain.
17Cette lutte revêt des formes multiples : le plan Marshall, l’alliance atlantique, « l’occupation » et la « colonisation » américaines, l’action des troupes américaines en Corée sont systématiquement attaqués.
Le plan Marshall ou l’asservissement de la France
18Lors du congrès de Strasbourg, le 25 Juin 1947, Maurice Thorez dénonce l’expansionnisme américain, fruit naturel des contradictions du système capitaliste. Alors que les profits capitalistes augmentent, explique le secrétaire général du parti communiste, le niveau de vie des masses diminue.
19En conséquence, le marché intérieur se rétracte et n’est donc plus en mesure d’absorber la production. Il devient donc indispensable d’écouler sur les marchés extérieurs des quantités croissantes de produits de toute nature. Ainsi s’explique le plan Marshall.
20Les Etats-Unis ne veulent pas seulement s’assurer des débouchés, ils souhaitent également multiplier leurs bases dans le monde entier. Cette politique audacieuse, qui doit leur permettre de consolider leur hégémonie mondiale, explique l’énorme budget militaire américain.
21Selon Maurice Thorez, la situation qu’il vient de décrire correspond à l’impérialisme dont Lénine a défini les caractéristiques. Les Etats-Unis sont, en fait, en proie à une véritable psychose de la crise, qui contribue à la dégradation rapide de la situation politique et sociale d’un pays où se développent l’anticommunisme et le racisme et où se multiplient les projets de loi dirigés contre le mouvement ouvrier.
22Maurice Thorez utilise donc dès juin 1947 plusieurs thèmes que reprendra et développera inlassablement la propagande communiste. Cependant, au moment où il prononce ce discours, l’URSS n’a pas encore officiellement rejeté les propositions américaines. En fait, Molotov viendra à Paris le 26 Juin pour une réunion préliminaire qui échoue rapidement, l’Union Soviétique refusant toute démarche coordonnée des Européens et préconisant une simple répartition de l’aide américaine en fonction des besoins des pays concernés.
23C’est sans doute parce que l’Union soviétique n’a pas encore pris de décision que Maurice Thorez ne rejette pas le plan Marshall dans son discours du 25 Juin 1947. Selon lui, la France doit accepter l’aide américaine, tout en préservant jalousement son indépendance.3
24Cette position est évidemment habile. Comme nous avons déjà pu le voir, 6 % seulement des personnes interrogées en juin 1947 estiment que la France ne doit pas accepter le plan Marshall. Un rejet brutal d’une aide qui apparaît indispensable à la majorité des Français serait, dans ces conditions, maladroit et peut être préjudiciable au parti.
25Ce n’est qu’en octobre 1947, après la conférence de Sklarska Poreba que nous avons déjà évoquée et pendant laquelle les délégués du P. C.F. ont été brutalement attaqués pour avoir succombé aux délices de la démocratie parlementaire bourgeoise et abdiqué leur spécificité communiste que le P. C.F. va durcir sa position. Dès le 2 octobre, Maurice Thorez insiste sur la nécessité de défendre l’existence même de la France en tant que nation indépendante. L’heure n’est plus à l’entente entre les grandes puissances mais à la lutte contre l’impérialisme américain.
26Le parti communiste a donc été pratiquement contraint par le Kominform, c’est-à-dire en pratique par l’URSS et Staline à adopter une ligne dure. Cette nouvelle stratégie qui signifiait le rejet du plan Marshall par les communistes n’avait a priori que peu de chances d’être populaire : ainsi que nous l’avons constaté à plusieurs reprises, le plan Marshall est l’initiative américaine qui a le plus favorablement impressionné les Français pendant la période étudiée et il n’a suscité au contraire que peu de réactions de rejet dans l’opinion publique.
27La tâche des communistes n’est donc pas facile. Ils vont cependant avoir l’habileté d’articuler leur lutte contre le plan Marshall autour de quelques grands thèmes susceptibles de rencontrer un large écho dans l’opinion publique. Ils vont en particulier insister sur la vassalisation de la France qu’entraîne, selon eux, la mise en œuvre du plan Marshall. L’aide américaine aurait en outre pour but essentiel le relèvement prioritaire de l’Allemagne qui va de nouveau constituer une menace pour la France. Le plan aboutirait également à l’abandon des colonies qui, loin d’accéder à une véritable indépendance, tomberaient aux mains de l’impérialisme américain. De plus, l’aide américaine s’inscrit dans le cadre de la politique agressive des Etats-Unis, qui risque de déclencher une nouvelle guerre mondiale.
28Mais les communistes vont d’abord entreprendre de démontrer que le plan Marshall, loin d’être l’expression de la générosité des Etats-Unis, n’est en réalité que l’arme de l’impérialisme américain. L’aide américaine n’est en effet, selon eux, qu’un leurre. Elle abuse les Européens qui espérent, grâce aux crédits et aux dons américains, relever plus vite les ruines accumulées par la guerre. En fait, le plan Marshall ne peut qu’aggraver le chômage et la misère.
29C’est du moins ce qu’entreprend de démontrer Henri Claude, agrégé de grammaire qui s’est improvisé le spécialiste de l’économie politique au sein du parti. Pendant la guerre, affirme-t-il, les profits des trusts américains ont atteint des niveaux très élevés que les monopoles entendent bien maintenir. Or, la baisse des revenus ouvriers a considérablement limité le pouvoir d’achat de la population américaine
30Dès lors, les exportations sont devenues un débouché essentiel pour l’agriculture et surtout l’industrie des Etats-Unis
31Dans ces conditions, la diminution des exportations entraînerait fatalement la baisse des profits et des investissements ainsi qu’une augmentation catastrophique du chômage.
32Or la crise doit être évitée à tout prix car elle signifierait la faillite de tout le système capitaliste dont l’effondrement assurerait la victoire des partis démocratiques, c’est-à-dire communistes. Pour éviter la crise, les Américains sont donc contraints d’octroyer d’importants crédits qui vont permettre aux Européens de continuer à importer.4
33La courte crise économique de 1949 est l’occasion pour Henri Claude et d’autres auteurs communistes de répéter cette analyse.5
34Même si ces analyses sont probablement fausses, elles n’apparaissent pas, à l’époque, invraisemblables et nous avons déjà pu voir que nombreux étaient ceux qui, en dehors du parti communiste, croyaient également que les exportations vers l’Europe étaient essentielles pour l’équilibre de l’économie américaine. Mais très peu d’entre eux auraient accepté la suite du raisonnement d’Henri Claude.
35Celui-ci affirme en effet que les monopoles américains ne peuvent réellement souhaiter le redressement de leurs concurrents européens. Aussi l’aide américaine est-elle volontairement insuffisante. Les crédits sont calculés au plus juste, afin d’éviter l’effondrement économique brutal des Etats d’Europe occidentale, mais en les obligeant à continuer d’épuiser leurs réserves en or et leurs avoirs à l’étranger. Les Etats européens sont donc réduits à l’état de mendiants perpétuels, dépendant de l’aide financière des Etats-Unis.6
36En outre, le plan Marshall impose aux Européens des programmes d’importation établis par les Américains en fonction de leurs excédents. Dans ces conditions, loin de mettre l’accent sur le matériel d’équipement nécessaire au relèvement rationnel de l’économie française, le plan Marshall privilégie les produits agricoles. Henri Claude prend en particulier l’exemple du tabac. Celui-ci est évidemment inutile au redressement de l’Europe mais les Américains entendent écouler leur production surabondante en profitant du plan Marshall.7
37Si l’agriculture va souffrir du plan Marshall, c’est surtout l’industrie, dont des pans entiers risquent de disparaître, qui va pâtir de « l’aide » américaine. La France colonisée deviendra en fait un producteur de matières premières et de produits agricoles, condamné à importer des Etats-Unis ou d’Allemagne l’essentiel de ses biens d’équipement ou de consommation.8
38Cette analyse est confirmée par Jean Baby, agrégé d’Histoire, devenu l’un des économistes du parti. Selon lui, le plan Marshall va inévitablement provoquer « la désorganisation complète de notre structure économique, la ruine de secteurs entiers de notre économie. »9
39Dans ces conditions, le plan Marshall est évidemment rendu responsable de tous les maux dont souffre l’économie française. Tous les problèmes sont donc mis en relation avec le plan Marshall au prix parfois d’étonnantes acrobaties logiques : l’interview d’un responsable de la C.G.T. devient ainsi l’occasion de dénoncer les retombées du plan Marshall dans les secteurs du bois et du bâtiment.10
40Ces analyses, même si elles peuvent sembler a posteriori bien répétitives et fort peu convaincantes, ne sont cependant pas toujours entièrement dépourvues d’habileté.
41C’est ainsi qu’Henri Claude, en insistant sur l’exemple des ventes de tabac américain met l’accent sur l’un des rares exemples d’importation forcée du programme E.R.P. De même, Pierre Hervé sait exploiter les lenteurs de la mise en place du plan Marshall pour affirmer au début de l’année 1948 qu’en réalité peu de produits américains seront véritablement envoyés en Europe. Selon l’éditorialiste de l’Humanité, les trusts n’hésitent pas à affamer les peuples européens, préférant utiliser le blé pour engraisser des porcs que pour nourrir les Européens affamés.11
42Les analyses économiques frappent cependant, dans l’ensemble, par leur pauvreté et leur schématisme. Sans doute la tâche des communistes n’était-elle pas aisée. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le voir, le plan Marshall était en réalité indispensable à la France. Faute de l’aide américaine, le niveau de vie se serait effondré et la modernisation eût été rendue extrêmement difficile, peut-être même impossible. Dans ces conditions, il était difficile de justifier logiquement le rejet du plan Marshall, d’autant que les Français étaient dans l’ensemble, comme nous l’avons vu, convaincus des bienfaits de l’aide américaine. Cette tâche ingrate incombait en outre à des économistes amateurs dont les connaissances semblent avoir été pour le moins sommaires.
43En fait, le parti communiste semble s’être assez largement désintéressé des questions économiques. Comment expliquer, sinon, qu’il ait attendu 1954 pour lancer une revue spécialisée, Economie politique, qui devait d’ailleurs disparaître assez rapidement ? Il n’est d’ailleurs pas évident que cette carence ait été véritablement gênante pour le P. C.F. La plupart des membres ou des sympathisants du P. C.F. ne disposaient en effet que d’un bagage économique extrêmement sommaire. Dans ces conditions, les incantations revêtues d’un verbiage marxiste masquaient aisément l’absence d’une véritable analyse économique.
44Les Français étaient désormais un peuple assisté et cette situation était trop nouvelle pour ne pas susciter l’humiliation. Il était donc sans doute agréable d’entendre que le plan Marshall n’était pas le fruit de la générosité mais celui d’une sombre machination américaine. Plus d’un Français était sans doute disposé à le croire, sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours à une argumentation économique sophistiquée que bien peu, de toute façon, eussent été à même de comprendre.
45Les communistes, faisant appel à l’émotion plus qu’à la raison, flattaient évidemment le complexe de Perrichon dont souffraient les Français. Il est par contre plus étonnant de constater la très longue survie de cette « analyse » communiste du plan Marshall. Encore en 1985, Annie Lacroix-Riz, dans Le Choix de Marianne, ne veut voir dans l’aide américaine qu’un vaste complot contre l’indépendance de l’économie française, le plan Marshall n’ayant en fait consisté qu’en achats forcés.
46Si les communistes n’ont donc guère approfondi la critique économique de l’E.R. P, ils ont par contre su jouer avec davantage d’habileté des passions et des peurs des Français et d’abord de la germanophobie ambiante.
47Les Etats-Unis ont effectivement très vite estimé que le relèvement de l’Europe impliquait nécessairement celui de l’Allemagne. Affirmer que l’objectif prioritaire du plan Marshall était le redressement de l’Allemagne ne correspond cependant pas à la réalité. La Grande-Bretagne, l’Italie et la France ont reçu plus, et même beaucoup plus, que l’Allemagne occidentale. En outre, l’aide Marshall servit d’abord en Allemagne à l’importation de produits alimentaires, et l’achat d’outillage ne représenta qu’à peine plus de 3 % des importations E.R.P en Allemagne contre plus de 20 % en France.
48Les Allemands n’avaient en réalité pas besoin d’acheter des équipements dont ils disposaient déjà. Dans ces conditions, il est impossible de soutenir logiquement que les Américains ont voulu renouveler à un rythme accéléré l’équipement de l’industrie allemande, dont la puissance n’avait pas, en réalité, été véritablement compromise par la guerre.
49Mais, ainsi que nous avons déjà pu le voir, l’opinion française est encore traumatisée par le souvenir de trois invasions survenues en moins d’un siècle
50Le P. C.F. peut donc exploiter sans difficulté les réticences que toute perspective d’un redressement de l’Allemagne inspire aux Français. Il ravive avec habileté des souvenirs encore brûlants. Comme nous avons déjà pu le voir, nombreux sont les Français qui n’ont pas oublié les années 1920 où les crédits américains irriguaient l’Allemagne et qui sont tout disposés à soupçonner les Etats-Unis de faire preuve d’une aveugle partialité à l’égard de l’Allemagne.
51Profitant de la germanophobie ambiante, Henri Claude va entreprendre de démontrer que les Américains ont l’intention de relever prioritairement l’Allemagne. Pour mieux réussir leur entreprise de colonisation de l’Europe, les Américains ont, selon lui, entravé l’unité allemande et favorisé la formation d’un Etat-croupion ouest-allemand entièrement soumis à leur volonté. L’Allemagne, devenue un vassal des Etats-Unis, ne peut évidemment pas s’opposer à la mainmise des capitaux américains.
52L’objectif essentiel du plan Marshall est donc, en réalité, la mise sous tutelle de l’Allemagne de l’Ouest, afin de faciliter la colonisation économique du reste de l’Europe par l’impérialisme américain. A l’aide de leurs filiales allemandes, les entreprises américaines pourront achever la conquête des marchés européens.12
53L’économie allemande va donc devenir une simple succursale des monopoles américains. L’Allemagne de l’Ouest, fermée à toute tentative sérieuse de démocratisation, c’est-à-dire, en pratique, à toute influence communiste ou soviétique, va devenir un bastion des forces réactionnaires, qui consolidera l’hégémonie politique américaine en Europe et s’opposera au besoin par la force au succès de toute entreprise « progressiste ».
54Le parti communiste va également utiliser la méfiance que suscite en France l’anticolonialisme américain.
55Ainsi que nous avons déjà pu le voir, les Etats-Unis ont manifesté un très vif intérêt pour les matières premières des territoires d’outre-mer et ont affecté spécifiquement des capitaux au développement minier des territoires d’outre-mer. A partir de 1948, comme nous l’avons déjà souligné, les Etats-Unis ont acheté environ un milliard de dollars de produits stratégiques par an.
56Dans ces conditions, le plan Marshall peut aisément être présenté comme une inadmissible ingérence américaine qui entraînera l’abandon des territoires d’outre-mer et compromettra en outre la véritable émancipation des territoires colonisés.
57Henri Claude peut donc écrire sans invraisemblance, en 1950, que le « plan Marshall ne doit pas seulement livrer au capital américain les marchés européens mais aussi et surtout les marchés des pays coloniaux qui dépendent des pays colonialistes d’Europe ».13 La conquête de l’Europe n’est en fait que le prélude à la domination du monde.14
58L’exemple du Maroc permet de mieux dénoncer la politique américaine et son objectif prioritaire, l’élimination de la présence française Outre-mer. Les Américains multiplient les équipements au Maroc (routes, chemin de fer, etc.) afin de satisfaire leurs besoins stratégiques. Les Etats-Unis ont également édifié une station radiophonique pour la voix de l’Amérique et acheté près d’Adagir un terrain destiné à la construction d’un aérodrome. Ils envisagent enfin la création de zones franches où pourront s’implanter les entreprises américaines.15 Autant d’étapes qui marquent, selon les communistes, la conquête progressive mais systématique du protectorat
59L’exemple marocain est évidemment bien choisi. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le voir, l’Afrique du Nord est une zone particulièrement sensible pour les Français qui, interrogés en 1953, désapprouvent très majoritairement l’attitude américaine dans cette zone. Les Américains s’intéressaient effectivement de très près au Maroc. Le président Roosevelt n’avait-il pas encouragé le sultan dès 1943, lors de la conférence d’Anfa ? Le gouvernement français, inquiet de cet intérêt, avait même accordé aux Américains le droit de construire cinq bases aériennes stratégiques pour les dissuader de soutenir l’Istiqlâl. Dans ces conditions, il est évidemment facile d’accuser le gouvernement français de brader les intérêts nationaux.
60La menace que le plan Marshall fait peser sur la France ne prend pas seulement la forme du relèvement de l’Allemagne revancharde de Bonn ou de l’intervention américaine dans les territoires d’outre-mer. Le plan Marshall n’entraîne pas seulement la colonisation économique. Le P. C. peut également se poser en défenseur intransigeant de l’indépendance française en affirmant que c’est aussi la souveraineté politique de la France qui est en jeu.
61Le 2 janvier 1948, la France signe un accord bilatéral sur l’aide intérimaire. Cet accord donne lieu à certains affrontements, l’administration américaine étant tentée de contrôler elle-même la destination des fonds octroyés à la France. Dans ces conditions, l’Humanité peut titrer le 25 janvier 1948 : « parce que Washington l’exige, la France n’est plus maîtresse de sa monnaie ».
62Pierre Hervé présente la triste situation de la France, « livrée à Wall Street » et aux oukases de Washington : « le gouvernement s’est enchaîné délibérément. Un chantage permanent peut être exercé, qui permet au gouvernement américain de s’opposer à n’importe quelle loi ou arrêté, dans n’importe quel domaine de notre vie nationale. De la même manière, il peut imposer ce qui lui plaît ».16
63En fait, le plan Marshall asservit la France dans le cadre d’une politique générale de réaction mondiale, qui risque de déboucher sur une nouvelle guerre. La doctrine Truman et le plan Marshall sont en réalité les deux faces d’une même politique d’agression : le plan Marshall doit permettre l’entrée des pays d’Europe occidentale dans le dispositif militaire offensif des Etats-Unis.
64C’est du moins ce qu’écrit dans Démocratie Nouvelle William Foster, le président du P. C. américain : « jamais dans l’histoire nation, fût-ce l’Allemagne hitlérienne ou le Japon militariste, ne s’est proposée des buts impérialistes d’une aussi totale envergure. »17
65En effet, aux yeux des communistes, le dispositif militaire américain est évidemment offensif. L’impérialisme américain ne peut qu’aboutir à la guerre puisque le plan Marshall ne saurait résoudre durablement les contradictions du capitalisme. De plus la paix, en se prolongeant, montrerait obligatoirement le contraste éclatant entre la prospérité des pays socialistes et la misère que l’inévitable crise économique produira nécessairement aux Etats-Unis et dans leur sphère d’influence. Dans ces conditions, l’impérialisme américain est donc obligé, pour parvenir à l’hégémonie mondiale, de déclencher une guerre qui lui permettra d’éviter la crise, d’éliminer ses rivaux en Europe et d’écraser l’Union soviétique et le communisme.
66Mais cette guerre couvrira l’Europe de ruines. Selon Henri Claude, si le plan Marshall et l’impérialisme américain parviennent à leurs fins, de « Cardiff à Magnitogorsk, les villes européennes pulvérisées par les bombes atomiques ne seraient plus que des amas de décombres. Parce qu’il ne peut faire de l’Europe qu’une place d’armes d’abord, qu’un champ de bataille ensuite, et finalement un cimetière, le plan Marshall est en définitif un plan de destruction de l’Europe »18.
67Le lien entre la guerre et la prospérité de l’économie capitaliste est un postulat sans cesse répété par les communistes. Ce postulat leur permet d’affirmer que les Etats-Unis sont, par essence, belliqueux, alors que l’URSS est, par nature, pacifique. Ce lien pouvait certainement sembler assez crédible : comme nous avons pu le voir, la guerre avait en effet largement contribué à guérir l’économie américaine des conséquences de la Grande Dépression.
68Il faut cependant préciser que ce lien entre la guerre et la prospérité n’est nullement évident après 1945 : lorsque la guerre de Corée éclate, les Etats-Unis vivent en pleine prospérité. Les aciéries travaillent à 100 % de leur capacité. L’indice Dow Jones dépasse son record de 1929.
69Or cette prospérité n’est en aucune façon le fruit du réarmement. En effet, le budget de l’armée tend alors plutôt à diminuer et l’armée américaine ne compte que 592000 hommes. Le gigantesque effort de réarmement qui suit le déclenchement de la guerre de Corée constitue donc d’abord une réponse à l’agression communiste, non un moyen de lutte contre la crise.
70L’opposition communiste au plan Marshall se poursuit sans faiblir jusqu’à la fin de la période étudiée. En 1952 paraît une brochure au titre significatif, Des dollars qui coûtent cher, qui reprend sans grand changement tous les thèmes précédemment développés : l’ERP transforme la France en protectorat américain. Il n’y a plus de budget national, la souveraineté monétaire et l’indépendance commerciale de la France sont abolies, l’essor économique est entièrement arrêté ou du moins gravement compromis.
71Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que les conditions de vie des travailleurs s’aggravent alors que grossissent les profits de quelques grands capitalistes. L’application du plan Marshall donne donc raison aux communistes qui, dès 1947, ont su dénoncer un plan d’asservissement économique et politique de l’Europe par les impérialistes américains, ainsi qu’un plan de préparation à la guerre.19
L’alliance atlantique, prélude à la nouvelle occupation de la France
72C’est bien sûr dans le cadre du plan mondial de l’impérialisme américain que les communistes vont interpréter la signature du pacte atlantique : celui-ci ne constitue en aucune façon une rupture par rapport au plan Marshall, mais une nouvelle étape de la réalisation des projets d’expansion et de domination universelle des Etats-Unis. Aussi n’est-il pas étonnant que les communistes en fassent une analyse presque semblable.
73Après que le conseil des ministres ait pris la décision de ratifier le pacte atlantique, l’Humanité titre le 17 mars 1949 que « le conseil des ministres a décidé d’enchaîner la France au pacte d’agression antisoviétique ». Ce titre résume en fait les deux critiques essentielles que les communistes adressent à l’alliance atlantique : c’est d’une part un pacte d’agression, d’autre part la France va perdre toute indépendance.
74En aucun cas le pacte atlantique ne peut être interprété comme la ris-pote à une menace soviétique, qui est bien sûr considérée comme purement imaginaire. Pierre Courtade rappelle qu’Hitler avait déjà prétendu « qu’il défendait le Reich contre les agressions des voisins ».20 Selon Joanny Berlioz, membre du comité central de 1929 à 1956 et sénateur, le pacte atlantique n’est en fait qu’un nouveau pacte antikomintern, une nouvelle sainte alliance dirigée contre l’Union soviétique.21
75Non seulement la France est désormais membre d’une sinistre coalition, où elle est l’alliée des nazis d’Allemagne occidentale et des sicaires de Franco, mais elle a davantage encore compromis une indépendance déjà hypothéquée par le plan Marshall.
76En fait, le pacte atlantique permet aux Américains d’intervenir dans toutes les affaires intérieures françaises. Cette ingérence dans les affaires européennes a d’abord pour objectif d’affaiblir et de désorganiser le mouvement social progressiste, c’est-à-dire le parti communiste et ses organisations satellites : « si la classe ouvrière était matée, si les peuples étaient tenus en laisse. alors les fauteurs de guerre recruteraient plus facilement des mercenaires.. leurs pactes sont des assurances collectives contre le progrès social. »22
77Cette politique d’agression qui menace la paix mondiale est défendue par un certain nombre d’idéologues qui s’efforcent de justifier l’impérialisme américain. Les œuvres de James Burnham, considéré comme le valet le plus cynique du capital américain, sont, aux yeux des communistes, les plus révélatrices de cette nouvelle doctrine impérialiste.23
78Les attaques souvent féroces dont fait alors l’objet James Burnham ne doivent pas nous surprendre. Burnham, aujourd’hui bien oublié, présentait en effet toutes les qualités requises pour être désigné par les communistes comme le nouveau Rosenberg du Reich américain, quelle qu’outrée et inadéquate que puisse nous apparaître une pareille comparaison.
79Ancien théoricien d’extrême gauche, alors rallié à la droite américaine, Burnham subit certainement la réprobation qui pèse sur les transfuges. Il a, de plus, été membre d’un groupe d’inspiration trotskiste, et Léon Trotski est bien sûr aux yeux d’un communiste stalinien le traître par excellence
80En outre, ses thèses directoriales, développées dans L’ère des organisateurs (The managerial era), ouvrage paru en 1941 et traduit en français en 1947, ont l’ambition de saper les racines théoriques du marxisme, en conservant une vision matérialiste de l’histoire, mais en écartant l’idée d’une victoire finale du prolétariat, considérée comme une chimère. Il faut également préciser que l’édition française de L’ère des organisateurs est préfacée par Léon Blum, adversaire déterminé du parti communiste.
81Enfin, il faut ajouter que Burnham s’est rapidement et résolument engagé aux côtés des extrémistes américains de la guerre froide. Dans Pour la domination mondiale, Burnham critique en effet sévèrement la politique d’endiguement qui lui paraît suicidaire et il préconise une véritable croisade de libération des peuples asservis par l’Union soviétique
82C’est cet adversaire déterminé du communisme et de l’Union soviétique qui a, selon toute vraisemblance, inspiré le personnage de Slaugherty dans Jimmy, roman de Pierre Courtade sur lequel nous aurons ultérieurement l’occasion de revenir plus longuement. Comme Burnham, Slaugherty est persuadé que le capitalisme tend vers la fin, mais il n’a plus qu’une obsession, qui le domine entièrement, la destruction du communisme et de l’Union soviétique. Pour atteindre cet objectif tous les moyens sont bons : « nous pouvons nous entendre aussi bien avec Tito qu’avec Franco. Pour nous, il n’y a aucune différence. »24
83En fait, Slaugherty n’est qu’un nihiliste, qui rêve d’une guerre généralisée et de la catastrophe universelle : puisque le capitalisme est condamné, il faut que le communisme ne puisse pas lui survivre. « En définitive, il ne croyait plus qu’à une chose, l’écrasement de la Russie sous le poids des bombes atomiques. C’est ainsi qu’il fallait couper la tête du dragon, le frapper au cœur. Tout le reste n’était qu’approximation, travaux d’approches plus ou moins nécessaires. »25
84Or, aux yeux des communistes, ce nihilisme agressif ne saurait être considéré uniquement comme l’attitude individuelle d’un extrémiste. Les prises de position de Burham sont au contraire pleinement révélatrices de l’orientation prise par la politique extérieure américaine.
85Dans ces conditions, affirme Pierre Courtade, « le manque de bases théoriques du « burnhamisme » ne doit pas nous faire sous-estimer le danger immense que représentent ces élucubrations dans la mesure où elles inspirent la politique d’un Etat qui vise effectivement à la domination mondiale. Les théories de Rosenberg étaient de grossières falsifications, malheureusement les catastrophes que la diffusion de ces mensonges a provoquées sont une douloureuse réalité. »26
86Cette interprétation est évidemment discutable. James Burnham, conseiller du parti républicain, est dans l’opposition jusqu’aux élections présidentielles de 1952. Après l’arrivée d’Eisenhower à la Maison Blanche, loin d’être l’inspirateur du département d’Etat, il reste un marginal, et continue de militer à l’extrême droite.
87En négligeant l’isolement de Burnham, dont les travaux marqués par la passion plus que par la rigueur n’eurent en fait qu’une influence limitée sur les cercles dirigeants américains, les communistes souhaitent évidemment assimiler les positions officielles des Etats-Unis aux thèses défendues par les éléments les plus extrémistes : si Burnham était un nouveau Joseph Gœbbels, alors l’Amérique était bien un nouveau Reich.
88Cette comparaison entre les Etats-Unis et l’Allemagne nazie devait en fait constituer un élément presque obsessionnel du discours communiste de guerre froide. Il est évident que la période n’était pas, pour le parti communiste, à la lilote. Et il est vrai que l’assimilation de l’adversaire à l’Allemagne nazie n’est pas, à cette époque, l’apanage du parti communiste : Paix et Liberté, par exemple, ne s’en privera pas, ne perdant aucune occasion de comparer l’Allemagne hitlérienne et l’URSS ou de rappeler le pacte germano-soviétique.
89L’amalgame entre les Etats-Unis et l’Allemagne nazie est particulièrement courant dans les écrits de Pierre Courtade qui va par exemple accuser le plan Marshall de soumettre l’Europe à une puissance dont les méthodes s’apparentent à celle du Reich. C’est ainsi qu’il dénonce dans l’Humanité « le camp de concentration de l’Europe marshallisée. »27 Selon Pierre Courtade, les idées du général Marshall semblent extraites « d’un document découvert dans les ruines de la chancellerie à Berlin ou dans les caves du nid d’aigle de Berchtesgaden. »28 Quant aux discours du président Truman, ils rappellent bien sûr ceux d’Hitler : Truman ne reprend-il pas à son compte le « Gott mit uns » de l’armée allemande ?29
90Les Américains étant de nouveaux nazis, la critique de l’alliance atlantique va déboucher logiquement sur la dénonciation d’une nouvelle occupation : « le pacte atlantique signifie la mise sous tutelle américaine de services militaires et administratifs français, le développement d’un vaste réseau de mouchardage et d’espionnage, l’installation officielle en France du F.B.I. »30 (Federal Bureau of Investigation : Gestapo américaine).
91Lorsque paraît ce dernier texte, plus de deux ans se sont écoulés depuis la signature du pacte atlantique et la présence américaine en France s’est considérablement renforcée : comme nous avons déjà pu le voir, la France s’est en effet couverte de bases américaines, de l’Atlantique au Rhin.
92Et cette présence massive avait créé un incontestable malaise : l’opinion apparaissait troublée et divisée. La dénonciation de cette nouvelle « occupation » va donc constituer l’un des thèmes favoris du P. C.F. Comme la campagne contre le plan Marshall, la lutte contre le nouvel occupant permet de réveiller les souvenirs de la deuxième guerre mondiale.
93L’assimilation des nouveaux venus aux Allemands est poussée le plus loin possible, à un point qui pourrait nous sembler ridicule, si nous n’avions pas constaté qu’une partie des Français, même étrangers à la sphère d’influence communiste, est alors tout à fait disposée à admettre qu’il existe de profondes ressemblances entre les Américains et les Allemands : « méthodiquement, progressivement, les Amerlocks s’installent dans notre Berry. La nouvelle occupation remplace l’ancienne. Les nouveaux venus rappellent étrangement les anciens par la tenue, la casquette et très souvent la langue. »31
94Ce sont plusieurs dizaines de milliers d’Américains qui s’installent alors en France, dans plusieurs dizaines d’installations dont certaines sont très importantes. Dès 1953, il y a 8000 Américains à Châteauroux et les Américains représentent alors 3,5 % de la population de l’Indre
95Cette présence massive permet à Joanny Berlioz de dénoncer « l’invasion ».32 Dominique Desanti intitule l’un de ses articles « Châteauroux est-il en France ?33 Selon elle, aucun doute n’est permis, « la capitale de l’Indre s’aperçoit qu’elle est « occupée » pour la deuxième fois en dix ans. »34 Les communistes dénoncent l’insolence qu’affichent les nouveaux maîtres américains et leur mépris pour la France asservie.35
96Les communistes vont s’efforcer d’exploiter les problèmes que la présence des Américains pose dans la vie quotidienne. La presse communiste locale, en particulier le quotidien communiste de l’Indre, La Marseillaise, s’engage dans une violente campagne antiaméricaine avec un martelage quotidien et massif de quelques thèmes constamment répétés.
97Les Américains représentent un danger sur la route et l’image du chauffard américain revient avec insistance, la presse communiste ne manquant pas d’exploiter les nombreux accidents réellement provoqués par les Américains. Ceux-ci représentaient en effet un danger réel pour la circulation : Châteauroux, habituée à une faible circulation automobile voyait soudainement affluer un nombre important de véhicules automobiles dont les conducteurs se montraient souvent imprudents, provoquant la colère des autochtones : « c’est pu sortable sur la route et moué si tout que j’a-percoues de ceux grandes vouetures d’occupants, j’me mets à razer les murs. »36
98Les communistes savent également exploiter le problème de la crise du logement. La présence américaine l’a effectivement aggravée dans une ville déjà surpeuplée en 1951. Bien que la base américaine ait été séparée de la ville et se soit voulue un monde clos, certains militaires ont été en effet obligés de chercher un logement à l’extérieur de leur base. Ayant de grandes facilités numéraires, ils occupaient les logis disponibles et provoquaient l’augmentation des loyers. Les communistes pouvaient donc aisément les présenter comme des accapareurs, responsables de la vie chère.37
99Plus tard, à la fin des années 1950 et dans les années 1960, l’enrichissement général, en partie lié à l’existence de la base américaine qui devait constituer jusqu’à sa fermeture le principal employeur du département, allait permettre la multiplication des constructions et la modernisation de la ville. Dès 1954, c’est pratiquement la moitié de la ville qui vit des salaires versés par la base et des dépenses des Américains. Ainsi s’enrichissent les commerçants, et en particulier, les cafetiers.
100Mais il est certain qu’avant cette date, l’arrivée des Américains, par sa massivité et sa soudaineté, a créé une situation chaotique que les communistes pouvaient d’autant plus facilement exploiter qu’un pareil afflux, qu’un déferlement aussi brutal de dollars et de jeunes gens ne pouvait qu’entraîner des problèmes de relations entre deux populations vivant à un rythme différent et contraintes à cohabiter.
101De plus, la base américaine constituait une société fermée, sans véritable espace de loisirs, et les Américains étaient donc amenés à considérer Châteauroux comme un lieu de défoulement où désordre et comportement asocial étaient plus ou moins tolérés.
102Les communistes pouvaient donc aisément dénoncer les Américains comme des brutes alcooliques qui semaient le trouble à Châteauroux : « à 9 heures, 250 Ricks sont dans la salle, à 10 heures, 200 sont parfaitement soûls. A 11 heures, tout le monde est sous la table… La première bière passée… Ces messieurs se battent comme des chiffonniers. »38
103La Marseillaise présente en fait les Américains comme étant, au mieux, des goujats sans culture.39
104Mais les Américains sont souvent dépeints sous des traits beaucoup plus sombres, comme des brutes déchaînées, de véritables soudards ne pensant qu’à assouvir leurs instincts dépravés : n’hésitant pas à forniquer en public, ils mettent en danger la santé morale des jeunes filles. Heureusement les vertus des jeunes Françaises s’opposent à la dépravation des mœurs de l’occupant : « à la sortie du bal des colombophiles… une jeune fille accompagnée de sa mère regagnait son domicile quand soudain un Rickain l’empoignait et tentait de l’embrasser. Mais la jeune fille ne perdant pas son sang froid administre une magistrale paire de gifles au Rick qui n’en est pas encore revenu.. c’est une preuve supplémentaire que malgré l’attitude d’une poignée de filles de joie., la majorité de notre jeunesse reste saine et française. »40
105Les journalistes de La Marseillaise reprennent et développent en fait les grands thèmes de la propagande antiaméricaine du P. C.F. en les adaptant à un cadre local et aux préoccupations de la vie quotidienne de leurs lecteurs. André Stil devait d’ailleurs s’inspirer de ces articles dans le premier choc, roman que nous aurons ultérieurement l’occasion d’étudier
106Cette dénonciation de l’occupation américaine est évidemment d’autant plus vive que la guerre froide a alors atteint son paroxysme. L’installation de bases américaines en Europe peut en effet sembler le présage d’un conflit généralisé, alors que la guerre fait alors rage en Extrême-Orient depuis juin 1950, opposant les forces des Nations unies où les Américains tiennent une place essentielle aux communistes de Corée du Nord et de Chine.
La guerre de Corée et la venue du Général Ridgway
107La guerre de Corée est bien entendu présentée par les communistes comme une nouvelle preuve de l’impérialisme américain et de la volonté de domination universelle qui inspire la politique des Etats-Unis. Pareille interprétation du conflit coréen était pourtant, a priori, bien difficile à soutenir.
108Il ne fait pas de doute, en effet, que c’est l’armée nord-coréenne qui a traversé le 38° parallèle le 25 juin 1950. L’armée sud-coréenne, moins nombreuse, mal équipée, ne put contenir l’offensive ennemie et empêcher la chute de Séoul aux mains des nord-coréens après quelques jours de combat. Les forces nord-coréennes vont ensuite poursuivre leur offensive jusqu’au début du mois de septembre 1950.
109A cette date, seul un petit réduit autour du port de Pusan, dans le sud-est de la Corée, échappait aux communistes. Cependant, dès le 27 juin, le conseil de sécurité de l’ONU, en l’absence de l’Union soviétique, adoptait une résolution demandant aux membres des Nations Unies de fournir à la république de Corée l’assistance nécessaire pour repousser l’attaque armée qu’elle subissait. Le même jour, le président Truman annonça qu’il avait ordonné aux forces navales et aériennes des Etats-Unis de donner assistance et soutien aux troupes sud-coréennes.
110Après n’avoir initialement envisagé qu’un appui aérien et naval, les Etats-Unis sont cependant rapidement conduits à envoyer des forces terrestres. Dès le 5 juillet, l’infanterie américaine entre en action. Si les premiers combats sont décevants pour les forces de l’ONU, l’engagement américain dans la guerre ne va plus cesser de se renforcer
111Cette intervention américaine permet à Pierre Courtade d’affirmer en août 1950, que le conflit est né de l’invasion américaine.41
112Cependant les Etats-Unis, après leurs revers initiaux, ont très vite renforcé la puissance de leurs troupes engagées en Corée. Au début du mois de septembre, une offensive nord-coréenne est brisée par les Américains qui vont réussir le 15 septembre un brillant débarquement à Inchon, près de Séoul. Les Américains atteignent le 38° Parallèle dès le 2 octobre.
113Cette contre-offensive ne peut évidemment que semer la consternation parmi les communistes qui vont dès lors s’efforcer de démontrer « pourquoi l’Amérique ne peut pas vaincre. » Jean Baby essaie d’abord de prouver dans l’article précité que le combat mené par les Américains en Corée est injustifiable. Leur intervention prolonge en effet le soutien qu’ils ont accordé à un régime dictatorial, organisé par le sinistre Syngman Rhee et une poignée de notables cyniques et corrompus qui ont fait régner la terreur en Corée du Sud. Jean Baby insiste d’autre part sur les exactions commises par les soldats américains, plus cruels encore que les nazis : « Jamais les Allemands n’ont eu recours à des méthodes aussi sévères, même aux périodes qui étaient pour eux les plus critiques. »42
114Les imprécations de la presse communiste n’empêchent pas les victoires des Nations unies de se succéder au mois d’octobre et de novembre. Le 19 octobre, les troupes américaines prennent Pyongyang, la capitale de la Corée du Nord. Fin novembre, les troupes sud-coréennes sont à 70 km de la frontière soviétique.
115Ces succès redoublent évidemment la fureur des journalistes communistes qui dénoncent avec une vigueur encore accrue les crimes de guerre commis par les Américains et d’abord la multiplication des bombardements : « Il ne restera ni une maison debout ni un village qui respire. Vous dites qu’il y avait là des villages, des mères et des enfants à peau jaune ? Que faisaient-ils sur ce rectangle, on vous le demande ? Hitler avait cette tactique. Détruire et tuer sans nécessité, pour faire peur. Traduisez cela en termes américains et vous avez le bombardement psychologique. Les bourreaux de Guernica ont une descendance. La Corée a ses tortionnaires, La Corée a ses charniers. »43
116Une nouvelle fois revient la comparaison avec l’Allemagne nazie, lancinante, obsessionnelle
117Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que Mac Arthur, commandant en chef des forces américaines en Corée soit violemment dénoncé par André Wurmser comme un criminel de guerre : « Mac Arthur, vous n’êtes qu’un criminel de guerre, dynamique et résolu..et, comme tel, vous tombez sous le coup de la législation internationale.. Avant que vous ne soyez pendu à la corde de Nuremberg, nous n’aurons pas, je crois, le temps de beaucoup vieillir. Si le châtiment pourtant se fait attendre, je vous le dis, général Mac Arthur, ce sera un beau spectacle pour mes vieux yeux. »44
118La dénonciation des atrocités américaines se poursuit bien après le mois de novembre 1950. Cependant, le 26 novembre 1950, l’intervention des troupes chinoises avait transformé la situation militaire en Corée. Dès lors, les troupes des Nations unies font retraite dans des conditions parfois très difficiles, abandonnant le Nord de la Corée, perdant même temporairement Séoul.
119La presse communiste n’en continue pas moins de décrire les crimes de guerre perpétrés par les Américains.45 Les compagnons de route sont eux aussi mobilisés pour dénoncer les atrocités des Américains. C’est ainsi que Picasso expose en 1951 le tableau « massacre en Corée » où un peloton de soldats à demi-mécaniques reçoit l’ordre de tirer sur un groupe de femmes et d’enfants. Ce tableau est évidemment une contribution à la campagne de propagande communiste.
120L’importance accordée par les communistes aux crimes de guerre américains est aisément explicable. La guerre moderne est inhumaine pour les civils et la guerre de Corée ne fait pas exception : elle fit probablement un million de victimes civiles et deux millions et demi de sans abri. Il était facile de rendre les Américains responsables de ce désastre. C’était en fait indispensable, même lorsque les troupes des Nations unies subissaient des revers, afin de mieux détourner l’attention des responsabilités des nord-coréens, donc des communistes, dans le déclenchement de la guerre.
121De plus, les Français qui avaient subi les très violents bombardements américains de la deuxième guerre mondiale étaient peut-être parfois disposés à accorder un certain crédit aux affirmations communistes. Que les Américains procédent à des bombardements psychologiques n’était pas a priori invraisemblable.
122Ces crimes de guerre attribués aux Américains et la dévastation de la péninsule coréenne étaient d’autant plus inquiétants pour les Français qu’un sort semblable menaçait peut-être leur pays. L’Europe et en particulier la France risquaient en effet de subir des destructions et des massacres comparables en cas de guerre.
123Sans doute faut-il enfin rapprocher cette dénonciation des crimes de guerre américains du développement du mouvement de la paix et de l’appel de Stockholm. Né en marge du P. C.F. mais rapidement noyauté et contrôlé par celui-ci, le mouvement de la paix diffuse l’appel de Stockholm qui exige l’interdiction de l’arme atomique et comporte l’affirmation que le premier gouvernement qui « utiliserait l’arme atomique, commettrait un crime contre l’humanité et serait à traiter comme criminel de guerre ». Derrière ce texte aux apparences humanistes, l’on trouve en fait les inquiétudes de Staline devant le fossé technologique encore profond qui sépare les arsenaux nucléaires des Etats-Unis de l’Union soviétique.
124Comme nous avons déjà pu le voir, la guerre de Corée a renforcé dans l’opinion publique française la crainte d’une nouvelle guerre mondiale. La dénonciation des crimes de guerre américains en Corée ne peut donc qu’accroître un malaise qui contribue au succès certain de l’appel de Stockholm.
125La dénonciation des crimes américains en Corée rebondit en 1952. En février 1952, en effet, Chou En-laï accuse les Américains d’avoir utilisé, à plusieurs reprises, des armes bactériologiques en Corée, sur le front ou à l’arrière.
126Pourquoi cette accusation étrange qui ne reposait sur aucun fait réel ? Il faut d’abord préciser qu’elle ne paraissait pas absolument invraisemblable aux contemporains : en URSS s’était tenu en décembre 1949 un procès où avaient été jugés des prisonniers japonais qui avaient travaillé pendant la guerre à l’élaboration et à la mise au point de ce type d’armement. Par ailleurs, les Etats-Unis poursuivaient effectivement leurs expériences dans ce domaine. Le problème des armements bactériologiques avait donc déjà été évoqué et n’était pas inconnu du grand public.46
127L’accusation de Chou En-laï n’était d’ailleurs pas sans précédent dans la propagande communiste. Le 30 mai 1950, un article anonyme de l’Humanité avait déjà accusé les Américains de lâcher des doryphores sur l’Allemagne de l’Est afin d’anéantir la récolte de pommes de terre !
128L’accusation des Chinois et des Coréens est confirmée par Joliot-Curie, un des plus prestigieux militants communistes, professeur au Collège de France depuis 1937, haut-commissaire à l’énergie atomique de 1946 à 1950, prix Nobel de chimie en 1935, président du conseil mondial de la paix et aussitôt reprise par les communistes du monde entier.
129La Pravda consacre alors des pages entières aux bombardements bactériologiques effectués par les Américains en Corée. Celle-ci constituerait un terrain d’expérience idéal pour les Américains qui lâcheraient sur ce pays des insectes porteurs des germes de la peste, du typhus, de la variole et du tétanos.
130Ce Soir et le Daily Worker britannique publient les témoignages de leurs envoyés spéciaux qui rapportent que des paysans et des soldats coréens affirment avoir aperçu des avions américains lâchant des nuées de mouches, de moustiques, de puces et d’araignées
131Les Américains auraient également largué sur la Corée des feuilles mortes, des plumes et même des jouets contaminés. Ne reculant devant aucun crime, ils n’avaient pas hésité à se livrer à des expériences bactériologiques sur les prisonniers coréens47.
132Dès le mois de mars 1952, le P. C.F. va participer activement à la campagne contre la guerre bactériologique que les Américains sont supposés mener en Corée.48 La campagne devait se poursuivre pendant toute l’année 1952.
133En juin 1952, Paul Noirot, journaliste à Ce soir puis à Démocratie Nouvelle, dénonce en des termes qui n’ont guère varié les « criminels de guerre bactériologiques ».49 Et cet article n’est pas le dernier.50
134Mais les pays concernés devaient refuser la commission d’enquête proposée par l’ONU en avril 1953. La mystification de la guerre bactériologique devait sombrer rapidemenent dans l’oubli. Reste un épisode étrange, où il faut peut-être voir, dans un climat marqué par la peur d’une troisième guerre mondiale qui paraît possible, sinon probable, la remontée de terreurs très anciennes et très profondes. L’Américain devient dans le discours communiste la nouvelle incarnation du juif, semeur de peste et empoisonneur de puits.
135Cette campagne contre la guerre bactériologique va naturellement déboucher sur la condamnation sans appel du commandant des troupes américaines en Corée, le général Ridgway qui a remplacé Mac Arthur en avril 1951. Sans avoir la notoriété de son prédécesseur, Matthew Ridgway n’est pas un inconnu. Servant dans l’armée américaine depuis 1917, il a participé pendant la deuxième guerre mondiale aux opérations en Sicile, en Normandie, en Belgique, en Allemagne, aux Philippines. En avril 1952, il est nommé par le président Truman à la tête des forces de l’OTAN pour remplacer le général Eisenhower.
136La presse communiste se déchaîne alors contre un homme qui symbolise pour elle la domination américaine sur la France, la guerre bactériologique et la fascisation des Etats-Unis.
137Pierre Courtade et le journaliste Etienne Fajon affirment dans l’Humanité que Ridgway, partisan inconditionnel de la guerre à outrance, est venu contribuer à l’écrasement du mouvement ouvrier en Europe et préparer une nouvelle guerre mondiale qui fera de la France une autre Corée.51 Les communistes soulignent la brutalité de Ridgway, le « tueur microbien » qui « a fait lancer aux enfants des jouets empoisonnés ».52 Ce véritable boucher aurait déclaré que les soldats américains devaient tuer le maximum de Coréens sans distinction de sexe ou d’âge : « il est même plus facile de tuer des femmes, des vieillards, des enfants sans défense. »53 Le général Ridgway n’est en fait, selon eux, qu’un simple bandit de droit commun qui, avec ses hommes « pillait maisons, temples et banques ».54
138Un poème d’Aragon, Le protecteur, reprend tous les thèmes de la propagande communiste contre Ridgway
Voici le protecteur des valeurs Eternelles
Voici le protecteur des villes de Corée
Le sang des prisonniers sur sa face ruisselle
Il a comme un bubon la grenade à l’aisselle
Ce vainqueur des pestiférés
Il parle au nom de ceux pour qui la seule Bible
Est le pesan de fer où juger le savant
Il parle au nom de ceux pour qui le noir est cible
Il est la loi de Lynch, le racisme irascible
Qui frappe le père en l’enfant
Ce sauveur d’outre-mer comme un anticyclone
Va faire sur nos champs le soleil et la pluie
Bénissez l’émissaire armé du Pentagone
Qui vient purifier les Blancs après les Jaunes
Rouges également pour lui
Malheur à l’avenir vers qui le monde change
Attentat que d’aider à son accouchement
Comme Darwin Marx est le diable et donc l’archange Tarzan de l’ignorance et fils du Stock Exchange
Nie par le feu le changement
Il faut trier le grain dans les têtes qui pensent
Ce général est venu nous voir par amour
Vite dans les prisons que le travail commence
Qu’achève le napalm et qui marie la France aux SS d’Ascq et d’Oradour
Avec eux les Français iront à l’abattoir pour l’idéal gammé que rien plus ne varie
C’est Valmy renversé dans le ciel de Montoire qui accepte mourir pour arrêter l’histoire
Au grand Reich livre la patrie
Comme l’événement aveugle se répéte
Vichy sous l’ongle est revenu comme un mal blanc
Un proconsul habite à Marne-la-coquette
Et les otages qu’on arrête sont mis à la Santé au quartier Allemand.55
139C’est dans ce contexte que Paris va connaître le 28 mai 1952 une des plus dures manifestations de l’après-guerre. L’initiative de la manifestation contre Ridgway est prise par le mouvement de la paix, mais ce sont essentiellement les militants communistes qui entrent en action le 28 mai.
140Quinze ou vingt mille manifestants tiennent la rue en scandant des slogans hostiles à Ridgway ou aux Américains. De violents affrontements se produisent essentiellement autour de la gare du Nord et de l’Est. La police doit même ouvrir le feu. Le bilan de la journée est lourd : plusieurs dizaines de policiers sont blessés, parfois grièvement. Un des manifestants communistes est tué, plus de deux cents sont blessés, plusieurs centaines sont arrêtés, la manifestation du 28 mai est essentiellement parisienne. Des accrochages ont néanmoins également lieu en province où les équipages de navires américains sont pris à parti à Marseille et où des incidents se produisent à Nice ou à Montluçon. Ces manifestations constituent sans doute l’épisode paroxystique de la campagne communiste contre les Etats-Unis et leur politique extérieure.
Conclusion
141L’hostilité à la politique extérieure des Etats Unis est bien sûr la conséquence de la guerre froide et de la bipolarisation du monde. L’antiaméricanisme n’est devenu systématique qu’après la naissance du Kominform.
142Mais l’antiaméricanisme est également un instrument utilisé pour discréditer les « collaborateurs » des Américains, assimilés à l’envahisseur nazi. C’est une arme dirigée contre le R.P.F. et la troisième force. Dans ces conditions, le P. C.F. ne s’encombre pas de nuances, et le parti américain, c’est-à-dire le parti des traîtres, va de Léon Blum au général De Gaulle en passant par Georges Bidault.56
143La condamnation du parti américain, c’est-à-dire des nouveaux collaborateurs, est souvent d’une extrême violence : « les politiciens réactionnaires qui, de De Gaulle… à Léon Blum… prétendent sauver l’Europe grâce à « l’aide » américaine ne sont que de sinistres gribouilles qui l’entraînent au suicide : pantins sanglants et jouets aveugles de la loi implacable qui veut que, dans l’Europe d’aujourd’hui, tout homme politique qui, par esprit de classe, aliène l’indépendance de son pays, finit inexorablement comme criminel de guerre. »57
144Cette violence caractéristique du discours communiste de guerre froide suscite encore, quarante ans après ou plus, un incontestable malaise. Ce monde grinçant, peuplé d’adversaires de classe, d’agents anglo-américains, de traîtres stipendiés que l’on menace de châtiments terribles, loin d’être uniquement fantasmatique, est celui que construisent alors les communistes en Europe centrale.
145Il est étonnant de constater à quel point les communistes ont souvent attribué à leurs adversaires politiques français nombre de crimes réellement commis par les PC. d’Europe orientale, qui avaient aliéné l’indépendance de la Pologne, de la Tchécoslovaquie et de bien d’autres Etats, supprimant toute opposition, se livrant à une répression sanglante et entravant durablement le développement de l’Europe orientale
146Peut-être faut-il avancer l’hypothèse d’une certaine mauvaise conscience, de doutes inavoués qui débouchent sur un paroxysme d’agressivité ? Tout en admettant qu’une pareille explication n’est pas forcément convaincante, il faudrait considérer, si nous retenions cette hypothèse, que l’antiaméricanisme et la lutte contre les collaborateurs français de l’impérialisme américain servent en fait de diversion, permettant de détourner l’attention de problèmes gênants pour le P. C.F.
147Tous les adversaires du P. C.F. sont soumis à des attaques extrêmement violentes. On ne s’en étonnera pas, a priori, pour le R.P.F. qui professe un anticommunisme résolu et pour De Gaulle qui dénonce les séparatistes. Les réticences que les gaullistes peuvent manifester à l’égard de la politique américaine ne sont bien entendu, selon les communistes, que pur camouflage. Le R.P.F est un parti néo-fasciste. De Gaulle n’est qu’un apprenti dictateur.58 De Gaulle jouit en réalité de l’estime des réactionnaires américains qui avaient déjà soutenu le régime de Vichy.59
148Mais les Etats-Unis ne pouvaient, pour des raisons pratiques, soutenir immédiatement De Gaulle. Pareille politique aurait en effet coalisé contre elle les travailleurs communistes, socialistes et catholiques. Il était plus habile, pour les Américains, d’appuyer d’abord les « modérés ». De Gaulle ne jouera le rôle que lui attribue l’impérialisme américain qu’au moment où il faudra interdire le P. C.F. dans la perspective d’une confrontation devenue inévitable avec l’URSS.60
149Mais ce sont surtout les socialistes « de droite » comme les qualifie aimablement Henri Claude qui sont l’objet des attaques les plus féroces. Ils sont en effet accusés de jouer le premier rôle dans le parti américain.
150Nouvelle étape de la dégénérescence du socialisme réformiste, la SFIO manifeste désormais sa soumission totale aux intérêts des monopoles américains. Les socialistes français accomplissent la basse besogne requise contre les syndicats, les partis ouvriers, les organisations démocratiques qui ne plaisent pas aux impérialistes américains, participant ainsi à la politique de guerre du bloc anticommuniste.61
151C’est Léon Blum qui va subir les attaques les plus violentes. Ce n’est pas surprenant. Depuis le congrès de Tours, Léon Blum s’est souvent montré, dans ses écrits comme dans son action politique, un adversaire résolu du P. C.F. En 1946, il a négocié les accords Blum-Byrnes, sévèrement critiqués par les communistes. En 1947, il a accepté avec enthousiasme le plan Marshall.62
152Ce n’est pas seulement l’adversaire politique qu’attaquent les communistes, c’est aussi le théoricien qui soumet le P. C.F. et son action à une critique sévère, au nom de l’orthodoxie marxiste ou, à partir de la deuxième guerre mondiale, d’une forme de socialisme humaniste et réformiste. Dans ces conditions, Léon Blum incarne logiquement l’adversaire par excellence, le plus dangereux des complices de l’impérialisme américain, un agent des Etats-Unis obsédé par sa lutte contre le communisme qui s’est déshonoré à tout jamais en poussant la trahison jusqu’à faire profiter l’impérialisme américain de sa connaissance de la classe ouvrière française. « Léon Blum est ainsi devenu le grand prêtre du parti américain en France, celui qui fourbit toutes les armes que ses suiveurs reprennent dans leur croisade contre le développement de la démocratie. »63 Léon Blum est même qualifié, de manière assez étrange, de « terre-neuve des impérialistes améri- cains »64
153Léon Blum répond d’ailleurs avec humour à ces insultes, rappelant que la droite l’avait accusé, après la première guerre mondiale, d’être un avocat payé par l’Allemagne. Puisque ce sont désormais des communistes comme Thorez ou Cogniot qui le dénoncent comme un agent de l’impérialisme américain, « du service des « Boches » je suis passé au service des « Yankees ». Je ne songe pas à m’en plaindre. Après tout ; il y a progrès ».65
154La dénonciation violente des complots ourdis par les nouveaux collaborateurs permet au P. C.F., membre du Kominform et adorateur de l’Union soviétique stalinienne d’incarner paradoxalement une certaine forme de patriotisme populaire. Le P. C.F. entend bien incarner la force principale de la nouvelle résistance, le véritable défenseur de la France, en lutte contre tous ceux qui sacrifient l’indépendance nationale au nom de leurs intérêts de classe.
Les critiques de la civilisation américaine
155L’antiaméricanisme communiste ne se traduit pas seulement par une opposition systématique à la politique extérieure des Etats-Unis. C’est la civilisation américaine dans son ensemble qui est rejetée par les communistes. C’est d’ailleurs une des raisons qui interdisent d’assimiler le discours occidental sur l’Union soviétique et le discours communiste sur les Etats-Unis. Quelle que soit la violence de l’anticommunisme et l’hostilité au stalinisme dont font preuve les Occidentaux, leur critique demeure essentiellement politique. C’est un modèle politique, c’est une politique étrangère qui sont attaqués par les Occidentaux, mais la civilisation russe, loin de faire l’objet d’une hostilité systématique, suscite au contraire le respect d’observateurs qui considèrent que le stalinisme est une aberration et constitue d’abord une tragédie pour la civilisation russe.
156Rien de tel dans le discours communiste où c’est une civilisation entière qui est condamnée.
157Ainsi que nous avons déjà pu le voir, la civilisation américaine avait déjà été l’objet, à plusieurs reprises, de critiques sévères. Les dernières vagues d’antiaméricanisme avaient correspondu aux années 1920 et à l’Occupation. L’antiaméricanisme communiste était alors resté marginal. Certains épisodes particuliers avaient pu provoquer des réactions violentes. Paul Vaillant-Couturier, au lendemain de l’exécution de Sacco et Vanzetti, avait pu appeler dans l’Humanité au boycott du capitalisme yankee et aux représailles contre les Américains oisifs qui séjournaient en France, mais de pareilles réactions étaient restées exceptionnelles.
158Le parti communiste va au contraire montrer une évidente sympathie pour le New Deal, considéré comme l’amorce de la socialisation du pays et les initiatives diplomatiques de l’administration américaine.66
159On peut certes relever l’ouvrage de Vladimir Pozner, Les Etats désunis paru en 1938, qui constitue un reportage sur les Etats-Unis pendant la Grande Dépression. Mais si la tonalité de ce livre est très critique, c’est plus le système capitaliste que les Etats-Unis qui est mis en cause. En fait, Vladimir Pozner ne manifeste pas d’hostilité systématique pour la civilisation américaine.
160A partir de 1941, les Etats-Unis sont célébrés par les communistes comme une grande démocratie en lutte contre le fascisme. Ce n’est donc en réalité qu’après septembre 1947 que les communistes vont se livrer à une critique systématique de l’American Way of Life.
161Ce réquisitoire est d’abord fondé sur la dénonciation du système capitaliste, qui a désormais atteint son ultime phase de décomposition et qui peut plus offrir à l’homme que la guerre et la misère.
Le capitalisme déchaîné
162La critique du capitalisme américain semble naturelle pour un parti marxiste qui affirme le caractère inéluctable du déclin et de la disparition de ce système économique et son remplacement par le socialisme.
163Cependant, les communistes vont utiliser relativement peu d’arguments économiques dans leur polémique antiaméricaine. Nous avons déjà eu l’occasion d’indiquer que le parti manquait en fait d’économistes compétents et ne manifestait que peu d’intérêt pour les questions économiques.
164C’est Henri Claude qui va se charger de l’analyse des contradictions du capitalisme américain. Comme pour le plan Marshall, ses analyses restent superficielles et constituent plus des incantations que des arguments rationnels.
165Henri Claude entreprend de démontrer dans Démocratie Nouvelle, que l’Amérique est le pays des trusts. Dans ces conditions, la liberté d’entreprise tant vantée par les Américains est en fait un mythe qui dissimule la dictature qu’exercent sur l’ensemble de l’activité économique quelques gigantesques entreprises : « Quelques colosses énormes, entourés de quelques milliers de nains dont la tête n’atteint pas leur cheville, voilà l’aspect qu’offre l’ensemble des entreprises américaines. Quelques Gullivers au milieu de Lilliputiens qui n’ont qu’un souci : empêcher les Lilliputiens de se liguer contre eux.. chaque nain est libre de chatouiller les orteils de géant et chaque géant est libre d’écraser le nain sous son talon. Le régime de la libre entreprise, c’est en réalité la liberté laissée aux trusts d’accaparer la production et les richesses du pays. »67
166Cette présentation de l’économie américaine ne correspond évidemment que très partiellement à la réalité. Elle néglige le foisonnement des petites entreprises qui constituent un des éléments majeurs du dynamisme économique des Etats-Unis. Mais elle est à peu près conforme au dogme d’un marxisme mécanique qui affirme le caractère inévitable d’une concentration sans cesse plus poussée des entreprises.
167Il est d’ailleurs évident que beaucoup de Français, même étrangers au P. C. sont prêts à accepter cette vision, du moins dans ses grandes lignes. Après tout, l’Amérique n’est-elle pas présentée depuis la fin du dix-neuvième siècle comme la terre des trusts gigantesques, à l’opposé de la France, terre de la mesure et des petites entreprises ? Ce gigantisme, aux yeux de beaucoup de Français, est d’ailleurs lourd de dangers et la puissance démesurée de ces trusts risque de provoquer de nouvelles catastrophes comparables à la Grande Dépression de 1929 : ainsi que nous avons déjà pu le voir, beaucoup de Français ont en effet conservé après 1945 la peur d’une saturation des marchés. C’est d’ailleurs ainsi que les communistes ont expliqué la plan Marshall.
168Henri Claude va utiliser les mêmes arguments pour essayer de démontrer que l’exploitation égoïste des ressources nationales par la bourgeoisie américaine ne peut qu’aboutir à la plus grave crise économique de l’histoire des Etats-Unis. Cette crise va nécessairement provoquer l’effondrement du capitalisme sous la pression de millions de chômeurs affamés.
169Seuls l’impérialisme et sa conséquence inévitable, la guerre, peuvent éviter, ou du moins retarder cette crise finale du capitalisme. La guerre est donc devenue, depuis 1914, un élément indispensable à la survie du capitalisme américain et cela suffit à le condamner sans appel : « comment peut-on considérer comme sain et socialement progressif un système économique qui ne peut se développer qu’en s’appuyant à l’intérieur sur une production parasitaire, la production d’armements et sur la destruction d’immenses richesses au-dehors ? »68
170Pierre Courtade préfère insister sur l’exploitation du prolétariat américain dont il affirme que le niveau de vie est nettement plus faible qu’on ne le croit généralement. Il souligne en particulier la situation de certaines régions particulièrement défavorisées « où la misère de 90 % de la population (blanche ou noire) est telle qu’elle n’a pas d’équivalent dans les régions les plus ravagées., de l’Europe ».69
171Un pareil argument est sans doute habile : le public français, lecteur de roman ou spectateur de films américains est en effet familiarisé avec l’existence de vastes poches de pauvreté dans les campagnes américaines, en particulier dans les Etats du Vieux Sud. Même si la situation de l’Alabama, du Missouri ou des zones les plus reculées des Appalaches avec leurs pauvres blancs, leur prolétariat noir famélique, leurs hillbillies misérables, est en fait exceptionnelle et assez marginale, elle n’en constitue pas moins une nuance de taille au tableau de la prospérité américaine. Il était donc facile de dénoncer le capitalisme, incapable, en dépit de la richesse générale, d’améliorer véritablement la situation de ces vastes régions et de leurs nombreuses populations.
172Cependant, la critique du système économique américain tourne très vite court. Les communistes vont en fait concentrer l’essentiel de leurs attaques sur des problèmes plus politiques et, en particulier, sur la « dictature du dollar aux Etats-Unis » pour reprendre le titre d’un article d’Henri Claude.70
173En fait, le reproche fondamental adressé au système politique est clair : la démocratie dont les Américains sont si fiers est en réalité uniquement formelle. Les Américains vont bien élire leurs représentants, et disposent de la liberté d’expression, mais la puissance des grands capitalistes rend illusoires ces libertés inscrites dans la constitution.
174C’est ainsi que tous les médias sont aux mains du grand capital : « la réalité américaine, c’est la dictature du capital sur l’opinion par la presse, la radio et le cinéma ; »71 Cette critique n’est pas forcément dénuée de fondement. Nous avons déjà pu voir qu’un petit nombre de groupes de presse ou de grandes compagnies cinématographiques contrôlaient effectivement une grande partie des médias américains. Dans ces conditions, les communistes n’étaient pas les seuls à exprimer des doutes sur l’indépendance réelle des médias
175Les attaques portées contre la presse américaine n’en sont pas moins excessives et beaucoup trop systématiques. Il est en fait évident que, pour le parti communiste, tout média qui n’est pas sous son contrôle est ipso facto aux ordres du grand capital. Dans ces conditions, seule sa presse est libre. L’insignifiance de la presse communiste américaine permet donc de nier toute indépendance aux médias américains. Si ceux-ci sont aux ordres du grand capital, c’est en fait l’ensemble de la démocratie américaine qui est factice
176Exploitant les faiblesses de la démocratie américaine et en particulier le taux très élevé d’abstention, Renaud de Jouvenel entreprend d’ailleurs de démontrer qu’une grande partie des électeurs potentiels est en réalité écartée des urnes : « dans cette belle démocratie, 40 à 50 % de l’électorat ne vote pas : en effet un système électoral restrictif interdit le vote non seulement aux noirs pauvres mais aussi aux blancs incapables de payer une taxe électorale. »72
177Il est tout à fait exact que les Américains votent peu au lendemain de la deuxième guerre mondiale, même lors des présidentielles de 1948. Mais ici s’opère une confusion volontaire entre ce dysfonctionnement permanent de la démocratie américaine qu’est l’importance de l’abstention et des pratiques restrictives qui empêchent alors un certain nombre d’électeurs, surtout noirs, de voter dans le Sud
178Il est certain que, jusqu’en 1954, les conditions d’inscription sur les listes électorales ressemblaient parfois à une course d’obstacles destinée à décourager les Noirs et les pauvres blancs du Sud de participer aux élections. Ces pratiques sont cependant assez marginales. La plupart des Etats américains n’utilisent pas de méthodes comparables. Renaud de Jouvenel veut en fait démontrer que le système électoral américain est en pratique censitaire et que les Etats-Unis sont plus une oligarchie ou plutôt une ploutocratie qu’une véritable démocratie.
179Les élections américaines, d’ailleurs, ne sont qu’un leurre. Elles sont en effet truquées par les système bipartisan. Quelles que soient les fluctuations politiques, toute la machine électorale américaine ne poursuit en effet qu’un seul but, assurer la totalité du pouvoir réel à la même classe dirigeante. « Il s’agit toujours de limiter le choix des électeurs à deux équipes gouvernementales qui font également le jeu de la classe possédante et de canaliser le mécontentement des couches laborieuses en les dressant contre une des équipes au profit de l’autre
180Le « bipartisme » c’est le parti unique à deux têtes, qui assure la dictature de la classe capitaliste au parlement. »73
181Si cette critique du parti unique, bicéphale ou monocéphale, ne manque pas de saveur sous la plume d’un communiste qui s’est montré un thuriféraire particulièrement zélé de Staline, l’on peut remarquer que cette analyse est moins éloignée qu’il n’y paraît de celles d’André Siegfried ou de Gabriel-Louis Jaray que nous avons déjà pu étudier.
182Ces auteurs insistaient eux aussi sur la relative similitude des deux partis dont les programmes et l’action ne présentaient pas, en fait, de différences majeures. La nature des partis américains demeure un objet d’étonnement pour les Français, habitués aux oppositions idéologiques et il est donc facile aux communistes de présenter les partis américains qui sont d’abord des coalitions d’intérêts et de clientèles comme les jouets du grand capital
183Si les communistes trouvent encore un parti à leur goût en 1948, le parti progressiste de Wallace, les élections de 1952, qui opposent des candidats également anticommunistes ne constituent guère, aux yeux de Pierre Courtade, qu’une « farce électorale ».74
184La dénonciation de la corruption généralisée de la classe politique complète la critique de la démocratie américaine. Le personnel politique n’est composé, selon Vladimir Pozner, que de « « cinq pourcentcurs » amateurs du cheval de course, fervents du vison… »75.
185La corruption de la classe politique américaine est d’ailleurs une réalité que démontre, par exemple, la commission du Sénat sur le crime organisé que dirige en 1950 et 1951 Estes Kefauver. Surtout, la corruption des politiciens américains est une notion familière aux Français au moins depuis la fin du dix-neuvième siècle, un lieu commun que les communistes peuvent exploiter sans difficulté.
186Cette critique de la démocratie formelle des Etats-Unis permet de conclure que le « pouvoir réel n’est pas exercé par un gouvernement, mais bien, à travers un gouvernement, par un groupe représentant les magnats les plus puissants : la N.A.M ou Association Nationale des Industriels. »76
187A partir de 1948, la chasse aux sorcières permet également aux communistes de souligner les limites, les failles, de la démocratie formelle aux Etats-Unis.
188Dès 1948, Vadimir Pozner dénonce dans une « lettre à un ami américain » qui préface la réédition des Etats Désunis, les manifestations de la nouvelle inquisition qui menace les Etats-Unis : « Tu te souviens que chaque fois que nous nous réunissions chez toi, et qu’une discussion s’engageait, tu allais fermer les fenêtres à cause des voisins. Tu ne laissais plus traîner certains livres, certaines publications. Plus récemment, tu as fait preuve, toi le plus confiant des hommes d’une extrême prudence au téléphone. On t’avait mis en garde contre les tables d’écoute. Aujourd’hui, quand tu m’écris, je dois lire entre les lignes. N’est-ce pas les premiers indices de la clandestinité que les précautions nécessaires pour éviter dans l’immédiat, pas le camp de concentration, bien sûr, mais le chômage ? »77.
189Lorsque ce texte paraît, la chasse aux sorcières a déjà commencé. L’épuration d’Hollywood, amorcée depuis 1945, s’amplifie.
190Les éléments hostiles aux communistes ont effectivement réussi à imposer une certaine forme de censure et Renaud de Jouvenel peut sans invraisemblance décrire les Etats-Unis en proie à une véritable hystérie anticommuniste. « On a intenté un procès anticonstitutionnel aux dirigeants du parti communiste américain et on les a jetés en prison.. La délation devient monnaie courante… »78.
191C’est bien sûr du procès des onze dirigeants du parti communiste américain dont il est ici question. Si le parti n’a pas été interdit, ses leaders sont en effet condamnés en 1949 pour conspiration. Le parti, en dépit de sa faiblesse (60 000 membres) est considéré comme une menace potentielle en raison de son mode d’organisation qui apparaît comme une forme de conspiration permanente.
192C’est plus généralement le climat d’espionnage qui règne aux Etats-Unis que peuvent exploiter les communistes : les millions d’enquêtes menées par le F.B.I., le maccarthysme ou la loi Mac Carran, votée en 1950 et qui oblige toute organisation communiste ou cryptocommuniste à s’enregistrer comme telle au ministère de la justice.
193Les communistes, affirme Vladimir Pozner, ont été soigneusement exclus de la société américaine. Ils sont devenus des parias qu’on isole soigneusement des autres citoyens : « Tous ceux qui accordent aux communistes ne fût-ce que deux yeux ou une bouche, la pupille d’un œil seulement, un sourire, surtout un sourire, ne peuvent plus communiquer avec H.O. Burrell. Le cinéma n’en veut pas. Ils sont libres de tourner des films, à conditions de se procurer les centaines de milliers de dollars nécessaires, et libres de les projeter, à condition de trouver des salles qui ne dépendent pas d’Hollywood – dont elles dépendent toutes. La radio n’en veut pas davantage… Les journaux, les revues leur sont fermés ; les livres sont retirés des bibliothèques et les maisons d’éditions refusent leurs manuscrits. Ils sont libres de les publier à leur compte et même de les vendre, à condition de ne pas passer par les grands trusts de la librairie. En ce qui les concerne, Gutenberg n’a jamais existé. Les voilà rejetés en plein Moyen Age »79.
194Les accusés, leur famille sont rejetés par tous. Les amis et les voisins, affirme Jean Baby, ne manifestent aucune solidarité avec eux. Ils ne songent au contraire qu’à les trahir. Les communications téléphoniques sont écoutées, la vie privée passée au peigne fin. Le FBI établit des dossiers sur les suspects, se livre à des perquisitions sans mandat, ouvre la correspondance privée, se comporte en fait comme une véritable Gestapo américaine.
195Le congrès élabore en outre une législation d’exception, qui achève de mettre les communistes hors-la loi : « les nouvelles loi Mac Carran-Mundt qui viennent d’être approuvées préparent maintenant le chemin des camps de concentration. »80 En fait, les Etats-Unis sont désormais sur la voie du fascisme : « le fascisme n’est plus une tendance, une menace, mais une réalité, un état social de fait. »81
196Cette description de la dérive politique des Etats-Unis s’appuie certes sur un certain nombre d’éléments authentiques. Comme nous avons déjà pu le voir, les communistes ne sont pas les seuls à dénoncer alors l’atmosphère délétère que fait régner l’obsession anticommuniste. Mais il est bien évident que ces éléments sont démesurément grossis par les communistes et que les Etats-Unis n’étaient aucunement menacés par l’avènement d’un régime fasciste. En fait, ainsi que nous avons pu le voir, une grande partie du discours communiste sur les Etats-Unis est construite sur la répétition constante de l’assimilation entre les Etats-Unis et l’Allemagne hitlérienne. Si Truman est un nouvel Hitler dont Pinay, Blum ou De Gaulle sont les Quisling, il est alors indispensable d’affirmer sans nuance le caractère fasciste du régime américain
197L’assimilation constante des Etats-Unis et de l’Allemagne nazie explique sans doute en partie la description des Etats-Unis comme la terre « privilégiée du racisme et de la violence. »
Le pays de la violence et du racisme
198La dénonciation du racisme américain rencontre de toute évidence un terrain assez propice dans l’opinion. Jusqu’à la guerre de Sécession, le problème servile avait permis aux détracteurs des Etats-Unis de dénoncer dans les Américains une bande de négriers sans scrupules. La vague nativiste qui avait contribué pendant les années 1920 à la foudroyante croissance du Ku Klux Klan et au vote des lois des quotas, avait de nouveau attiré l’attention des Français sur la gravité des problèmes ethniques en Amérique. Des auteurs aussi éloignés du communisme qu’André Siegfried, Paul Morand ou Georges Duhamel avaient alors condamné les préjugés des Anglo-Saxons contre les Irlandais, les Latins, les Juifs ou les Noirs.
199L’image d’une Amérique raciste, où le lynchage des nègres fait figure de sport national (pensons à Tintin en Amérique) fait donc partie des stéréotypes qui sont solidement ancrés dans l’imaginaire français. De plus, le racisme et le nazisme étaient, aux yeux des communistes, le fruit naturel du capitalisme et il était donc normal que les Etats-Unis soient par excellence, la terre du racisme.
200N’oublions pas, enfin, que les Etats-Unis étaient alors très loin d’être irréprochables. Ainsi que nous avons déjà pu le voir, le véritable apartheid qui s’était mis en place dans le Sud des Etats-Unis ne sera pas démantelé avant les années 1960.
201Les communistes n’ont donc pas inventé des tensions raciales qui sont réellement un des maux endémiques des Etats-Unis et constituent depuis longtemps l’un des éléments majeurs de l’image française des Etats-Unis, mais ils les ont évidemment exagérées.
202C’est ainsi que Pierre Courtade évoque dans Jimmy l’action de véritables hordes fascistes, hurlant des slogans hitlériens et se livrant à de véritables pogroms. En fait, affirment les communistes, l’antisémitisme est désormais pratiquement officiel aux Etats-Unis. C’est cependant la communauté noire qui est présentée comme la victime essentielle. Le stéréotype du noir persécuté par les blancs est évidemment plus profondément ancré et donc plus aisément exploitable que celui de l’antisémitisme américain. C’est Maurice Thorez lui-même qui dresse le tableau de la ségrégation raciale : les noirs « doivent voyager dans les wagons ou les compartiments qui leur sont assignés. Ils ne sont pas admis dans les cafés, restaurants, hôtels que fréquentent les blancs.
203Ils sont toujours victimes de la loi du lynch, c’est-à-dire lapidés, assassinés par des blancs sûrs de l’impunité ».82
204Renaud de Jouvenel décrit l’atmosphère de terreur que fait régner le Ku Klux Klan, dont la puissance est d’autant plus redoutable que la justice et les autorités sont généralement ses complices : « les assassinats perpétrés par le Klan se comptent par centaines. La plupart restent impunis. Mieux, les meurtriers sont protégés. Par contre, il n’est pas de mois où des noirs ne se trouvent impliqués dans quelque procès, monté de toutes pièces pour exciter les blancs au racisme ».83
205Il est certain que l’impartialité de la justice américaine dans le Sud des Etats-Unis n’était pas au-dessus de tout reproche pendant cette période, mais il faut cependant souligner la nature mythologique et anachronique de ce texte. Mythologique, car il fait appel au Ku Klux Klan dont les rituels et les mascarades frappent l’imagination Anachronique, parce que le Klan qui avait regroupé plusieurs millions de membres au milieu des années 1920, s’était ensuite effondré et qu’il ne formait certainement pas, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la puissante organisation secrète qu’évoque Renaud de Jouvenel.
206Comme le racisme, la violence est depuis longtemps une des principales composantes de la légende noire des Etats-Unis. Al Capone et les gangsters de Chicago ne sont-ils pas universellement célèbres depuis la prohibition ? La puissance des syndicats du crime, et en particulier celle des familles d’origine italienne de la cosa nostra, fait partie de l’imaginaire des Français. Ce stéréotype n’est d’ailleurs pas toujours dénué de fondement et l’Amérique reste effectivement un pays violent, où les grandes villes sont souvent dangereuses.
207Aussi le P. C.F. peut-il décrire avec complaisance une Amérique en proie à une violence omniprésente : « si la terre ne buvait pas le sang, si la pluie ne le lavait pas, il n’est guère de rue, de New York à San Francisco qui n’en serait maculée.. La vie humaine ne vaut pas cher aux Etats-Unis ».84
208La pègre, affirme Vladimir Pozner, est plus puissante que jamais. Si le banditisme est moins spectaculaire qu’avant la deuxième guerre mondiale, il est plus centralisé et mieux organisé.
209En fait, les gangsters sont devenus de véritables chefs d’entreprise, spécialisés dans la drogue, le jeu, le racket qui ont désormais pignon sur rue et s’intègrent à la bourgeoisie américaine : il est bien sûr symbolique que Franck Costello soit propriétaire d’un immeuble dans Wall Street et que de nombreux gangsters détiennent des intérêts considérables dans l’industrie hôtelière, la confection, les affaires immobilières, etc.85 Dans ces conditions, le banditisme n’est en fait, pour les communistes, que l’expression caricaturale de la liberté d’entreprise et le gangster n’est que la concrétisation du mythe du self-made man.
210Aussi n’est-il pas étonnant que les gangsters participent activement à la lutte contre le mouvement ouvrier : « Patrons eux-mêmes, ils aident d’autres patrons à briser les grèves. »86
211En outre, les communistes vont souligner, comme nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer précédemment, les liens qui unissent au plus haut niveau la pègre et le personnel politique. Le président des Etats-Unis est lui-même présenté comme la créature des épigones d’Al Capone. Truman est en effet « l’élu d’un gang appelé « la machine de Pendergast » du nom de son patron et il reçut à la Maison Blanche jusqu’au jour de sa mort brutale, le gangster Binaggio qui avait trempé dans plus de quinze affaires criminelles célèbres ».87
212Le procès instruit par les communistes contre la violence et le racisme des Américains devait atteindre son paroxysme lors de l’affaire Rosenberg.
213La question de la culpabilité des Rosenberg fait encore l’objet d’un débat. Il semble désormais fort probable, cependant, que Julius et Ethel Rosenberg ont fait partie d’un vaste réseau d’espionnage, aux ramifications étendues, dont l’objectif était de transmettre aux Soviétiques des secrets militaires. C’est probablement Julius Rosenberg qui coordonnait les activités de ce groupe. Sa femme Ethel était à peu près certainement la complice, au moins passive, des activités de son mari. Julius et Ethel Rosenberg sont arrêtés pendant l’été 1950, jugés et condamnés à mort en 1951.
214Mais les communistes ne vont longtemps manifester aucun intérêt apparent pour le cas des Rosenberg. Ce n’est qu’en novembre 1952 que va réellement démarrer la campagne de soutien aux Rosenberg. Elle prend immédiatement d’énormes proportions.
215Avant la fin de l’année 1952, des comités de défense des Rosenberg avaient été fondés dans presque toute l’Europe. L’affaire Rosenberg devait en quelques semaines y susciter un écho bien plus important qu’aux Etats-Unis, surtout en France ou en Italie.
216Comment expliquer la soudaine publicité accordée à une affaire qui était restée jusqu’alors somme toute confidentielle ? La situation de l’Europe orientale a sans doute beaucoup contribué à cet intérêt subit. Les pays communistes sont alors secoués par une série de purges. Staline redoute l’émergence, dans les pays satellites, de communistes nationalistes : il s’agit d’éviter que ne se produise un nouveau schisme titiste, selon le modèle yougoslave. Les dirigeants les plus visés sont ceux qui ont entretenu des relations avec les pays occidentaux, et en particulier les juifs. Le procès Slansky, à Prague, aboutit à l’élimination des dirigeants juifs du parti communiste tchèque. Onze des accusés, dont huit furent exécutés, étaient juifs.
217Le procès Slansky posait évidemment le problème de l’antisémitisme dans les pays du bloc socialiste. En Europe occidentale il semble que, même parmi les membres du parti communiste, des doutes se soient alors faits jour.
218Les dirigeants du P. C.F. devaient donc impérativement détourner l’attention des événements de Prague. C’est semble -t-il Jacques Duclos qui eut l’idée de la campagne en faveur des Rosenberg. Selon la logique marxiste et stalinienne, l’antisémitisme, fruit du capitalisme, ne pouvait exister dans des pays socialistes. Il est par contre inévitable dans un pays capitaliste comme les Etats-Unis. Jacques Duclos peut donc affirmer que « la condamnation des espions atomiques américains Julius et Ethel Rosenberg est un exemple d’antisémitisme, alors que l’exécution de huit juifs en Tchécoslovaquie la semaine dernière n’en est pas un ».88
219Certains contemporains ont d’ailleurs soupçonné la fonction de diversion que remplissait la campagne en faveur des Rosenberg. C’est le cas du journaliste Jean Leroy qui souligne en janvier 1953 dans le quotidien régional Nord Eclair l’habileté de la propagande communiste qui a su faire des époux Rosenberg des martyrs et qui s’efforce d’effacer l’impression désastreuse provoquée par le procès de Prague : « on voudrait créer une sorte de compensation qui tendrait à prouver qu’aux Etats-Unis aussi sévit un régime policier. »89
220En fait, le comité Rosenberg fut fondé en France le 3 décembre 1952, le jour même de l’exécution de Rudolf Slansky et de dix autres anciens dirigeants du PC. tchécoslovaque. L’affaire Rosenberg doit non seulement permettre aux communistes de riposter aux accusations d’antisémitisme portées contre les pays socialistes, mais aussi de soulever l’indignation des Français contre les Etats-Unis et leur politique. Les communistes entendent lancer à cette occasion une de ces campagnes qui constituent une de leurs stratégies les plus usuelles et les plus spectaculaires
221Aussi les nombreux articles consacrés aux Rosenberg font-ils beaucoup plus appel à l’émotion qu’à la raison. Le cri d’indignation l’emporte sur l’analyse en profondeur.
222L’affaire Rosenberg est d’abord la preuve de l’antisémitisme américain qui, selon les communistes, ne peut désormais plus faire de doute. C’est en fait un véritable meurtre rituel, Julius et Ethel Rosenberg étant les boucs émissaires idéaux, le sacrifice de ces deux juifs devant permettre à la société américaine de conjurer ses peurs.90
223Que la condamnation à mort des Rosenberg soit due à l’antisémitisme des Américains est présenté par les communistes comme une vérité qui ne souffre pas de discussion. C’est pourtant assez douteux
224Outre la probable culpabilité des Rosenberg, rappelons simplement que le juge qui présidait la procès, Irving Kaufman était juif. Il en allait de même de l’assistant du procureur, Roy Cohn.
225L’antisémitisme semble peu vraisemblable, à moins d’avoir recours à des explications psychologiques bien peu convaincantes, supposant que le juge Kaufman, qui, loin d’être un extrémiste, devait ultérieurement se révéler un libéral, dans le sens américain de ce terme, ait fait preuve d’un masochisme pervers. Qu’auraient affirmé les communistes, d’ailleurs, si le juge n’avait pas été juif ?
226Outre leur judaïté, c’est leur pacifisme qui, aux yeux des communistes, explique la condamnation des Rosenberg. Ceux-ci sont en fait coupables d’avoir refusé de s’associer à l’hystérie belliciste qui sévit aux Etats-Unis. Ils « ne sont pas condamnés à cause d’un crime ou d’un délit qu’ils auraient commis, mais parce que progressistes, en tant qu’amis de la paix, démocrates, en tant que juifs et partisans de l’amitié américano-soviétique ».91
227L’affaire Rosenberg est donc logiquement présentée comme une machination montée de toutes pièces par le gouvernement et les services secrets américains. Les pièces et les témoignages qui semblent les accabler sont en réalité des faux. En fait, les méthodes de la justice américaine ressemblent étroitement à celles qu’employaient les nazis : « … un appareil judiciaire défigurant cyniquement l’idée élémentaire de la justice a été mis au service du fanatisme racial et de l’hystérie anticommuniste qui tend à éclipser bientôt, dans le régime affublé aux Etats-Unis de l’étiquette démocratique, les pires convulsions de la frénésie hitlérienne ».92
228Cette analyse s’inscrit bien sûr dans le cadre d’une conception du monde marquée par l’image du complot, par le mythe d’une manipulation universelle, tout à fait caractéristique, depuis les années 1930 et les procès de Moscou, de l’idéologie stalinienne. Cette hantise de la manipulation est d’abord révélatrice des fantasmes communistes.
229Comme nous avons pu le voir, les Rosenberg étaient probablement coupables. Il n’empêche que certains éléments dans l’enquête du F.B.I., certaines maladresses, pouvaient, au moins en apparence, accréditer cette thèse d’une machination policière qui n’apparaissait pas totalement invraisemblable.
230Avant l’exécution des Rosenberg, la presse communiste lance des campagnes de mobilisation en leur faveur : « Il s’agit d’empêcher un crime fasciste, qui serait une injure à tous les gens honnêtes et attachés à la paix, une menace grave contre eux tous ».93
231Les cris de dégoût et les proclamations de haine redoublent après l’exécution des Rosenberg, qui, selon Pierre Courtade, confirme le cynisme et le sadisme des dirigeants américains. « Nous avons pris l’exacte mesure de ces âmes de boue, de ces assassins qui ont l’impudence de se proclamer les défenseurs de la liberté et de la démocratie. Ah ! les lâches, ah ! les hypocrites. Les assassins nazis étaient ce qu’ils étaient, des bêtes sauvages, des assassins sans doute, mais du moins ils ne venaient pas avec des prêches. Au contraire, ils disaient : « nous méprisons la justice, nous méprisons l’innocence… Mais ceux-là parent leurs âmes de prétextes moraux. Ils se cachent pour tuer derrière la statue de la liberté ».94
232La mobilisation en faveur des Rosenberg restait alors d’autant plus nécessaire que l’affaire du complot des blouses blanches, où des médecins, en majorité juifs, avaient été accusés de crimes aberrants, avait pu susciter de nouveaux doutes sur l’absence d’antisémitisme en Union Soviétique. L’exécution des Rosenberg va en outre tomber à point pour occulter les événements du 17 juin 1953 à Berlin Est. Elle permet de faire accepter aux communistes l’écrasement d’une révolte ouvrière, présentée comme l’œuvre de provocateurs fascistes, de criminels de guerre et de revanchards.
233Pierre Courtade souligne à cette occasion la supériorité de la justice des pays socialistes. Lorsque le ministère de l’intérieur soviétique révéle en avril 1953 que l’affaire des blouses blanches n’était qu’une grossière falsification et que des citoyens innocents ont été illégalement arrêtés et persécutés, cette nouvelle, qui démontrait l’arbitraire du pouvoir stalinien, a ébranlé les certitudes de nombreux communistes, mais apparement pas celles de Pierre Courtade : « pour absoudre le juge Kauffman, qui condamne sur une « présomption de culpabilité », on insulte les juges de Prague, de Budapest, qui eux condamnent preuves en mains des accusés qui ont avoué publiquement et maintenu leurs aveux jusqu’au bout. On insulte les dirigeants soviétiques qui, lorsqu’ils s’aperçoivent que des aveux ont été extorqués à des innocents au cours de l’instruction, arrêtent le procès, réhabilitent les innocents et châtient les calomniateurs. Si la justice était administrée à New York comme elle l’est à Moscou, Ethel et Julius seraient vivants et le juge Kaufman en prison. »95
234L’affaire Rosenberg a donc constitué une exceptionnelle aubaine pour la propagande communiste. En effet, ne venait-elle pas démontrer le bienfondé d’une argumentation inlassablement répétée depuis les débuts de la guerre froide et qui insistait sur la décomposition de la société américaine, la fascisation rampante et le bellicisme des Etats-Unis ?
235Coupables ou innocents, les Rosenberg, en refusant d’avouer, sont devenus de précieux martyrs, dont le sort a ému bien au-delà des limites du parti communiste. En 1953, la presse française fut à peu près unanime, qu’il s’agisse de Franc-tireur, du Figaro ou de l’Aurore, à s’élever contre les exécutions, ne serait ce qu’au nom de la miséricorde ou de l’opportunité politique. Au début du mois de juin 1953, c’est l’archevêque de Paris qui se joignit à ceux qui demandaient la clémence. A sa suite, le synode des protestants, Edouard Herriot, alors président de l’assemblée et quatre anciens présidents du conseil se joignirent à l’appel. Vincent Auriol lui-même demanda par télégramme à l’ambassadeur des Etats-Unis de se joindre à la demande de commutation de peine. Au cours de la première quinzaine du mois de juin, l’ambassade devait recevoir quelques 3000 télégrammes concernant l’affaire Rosenberg.
236Quels qu’aient été les faits, les communistes ont su, pour une grande partie de l’opinion, faire de l’affaire Rosenberg une nouvelle affaire Dreyfus. L’affaire Rosenberg va par exemple permettre à l’américanophobie des chrétiens progressistes de s’étaler avec bonne conscience.
237Certes, l’antiaméricanisme de ces compagnons de route du parti communiste est antérieur à la campagne en faveur des Rosenberg. En fait, dès 1950, la revue La quinzaine, qui manifeste une incontestable complaisance pour les pays de l’Est, fait au contraire preuve d’une méfiance évidente à l’égard des Etats-Unis.
238Cette méfiance confine rapidement à l’hostilité systématique. La Quinzaine reprend en fait les principaux thèmes de la propagande communiste : condamnation de l’impérialisme américain qui menace la paix mondiale et prépare le réarmement allemand, condamnation du plan Marshall qui a permis aux Américains de contrôler d’importants secteurs de l’économie française
239La revue ne manifeste pas plus d’indulgence pour la situation intérieure des Etats-Unis : le racisme dont sont victimes les noirs et la « chasse aux sorcières » qui frappe les intellectuels gangrènent toute la société américaine.
240Mais c’est l’affaire Rosenberg qui va particulièrement contribuer à aggraver l’image négative de l’Amérique tout au long du printemps 1953. La quinzaine participe activement à la lutte pour la grâce et la révision du procès des Rosenberg. Après leur exécution, l’éditorial fait de cette affaire le révélateur d’une société : L’Amérique renie dans les faits les valeurs qu’elle prétend défendre. Aux yeux des chrétiens progressistes, c’est toute la civilisation américaine qui est condamnée par l’exécution des Rosenberg.96
Une « civilisation de baignoires et de frigidaires »
241C’est ainsi qu’Aragon définit la civilisation américaine qui se trouve donc réduite à ses seules productions matérielles et dont tout aspect spirituel est a priori nié. La civilisation américaine est donc, en quelque sorte, réifiée, avec un mépris évident.
242Les communistes vont en outre se livrer à un dénigrement systématique et violent des produits américains et tout particulièrement, bien sûr, des principaux symboles de l’Américan way of life que sont les cigarettes, l’automobile ou l’électroménager. C’est ainsi qu’Aragon fait d’une automobile Ford le symbole d’un triomphe de la matière sur l’esprit : « une automobile Ford, la civilisation de Détroit, de Mac Gee sur la chaise électrique […] de la menace atomique, entourée d’une ceinture de napalm […] voilà le dicu laqué blanc et l’industrie étrangère, le totem atlantique qui chasse les gloires françaises au profit des stocks Marshall […] et plus arrogant que le nazi iconoclaste, le yankee substitue au poète la machine… »97
243Le frigidaire est un des objets qui symbolisent le mieux cette civilisation détestée. Le romancier Roger Vailland n’hésite pas à proclamer son inutilité. Le frigidaire ne sert guère, dans un pays comme la France « qu’à fabriquer de petits carrés de glace, destinés à s’ajouter au whisky, ce qui en altère d’ailleurs le goût… »98
244Cette campagne contre les produits américains qui semble parfois relever de l’animisme est a priori étonnante. Cette hostilité semble en effet relativement isolée. L’enquête de 1953 révèle au contraire, comme nous avons déjà eu l’occasion de le voir, la séduction qu’opèrent certains produits américains, en particulier l’équipement ménager d’usage courant auprès du public français : rappelons que 52 % des personnes interrogées l’apprécient beaucoup, 21 % assez, 9 % seulement pas du tout.
245N’oublions pas, cependant que l’équipement électroménager des Français et en particulier des ouvriers et des agriculteurs qui constituent la majorité des électeurs communistes est encore limité. L’équipement ménager à l’américaine fait probablement envie mais il est souvent inaccessible. Dans ces conditions, il est possible de supposer que le mépris que les communistes affichent à son égard ne déplaît pas nécessairement à leur électorat. Il peut correspondre à une attitude de compensation très simple : refusons ce que nous ne pouvons posséder et prônons l’ascétisme qui transforme la nécessité en vertu.
246Par ailleurs, si l’électroménager américain séduisait les Français, il faut prendre en compte l’attrait beaucoup plus limité d’autres produits typiques de l’american way of life. C’est ainsi que 3 % seulement des Français appréciaient beaucoup le chewing-gum, 17 % assez et 70 % pas du tout
247Vladimir Pozner ne risque donc guère de heurter le sentiment majoritaire lorsqu’il affirme que le chewing-gum ravale l’homme au rang des bovins : « Ruminons, ruminons notre chewing-gum en attendant qu’il nous pousse quatre estomacs et que, derrière les barbelés, nous regardions passer les trains de l’amitié »99.
248Mais le meilleur exemple de l’hostilité aux produits américains est sans aucun doute la violente campagne menée par le P. C.F. contre le Coca-Cola en 1949 et 1950.
249Les ventes de Coca-Cola ont commencé en France dès 1919, et ce sont des soldats américains qui ont été les premiers clients. Pendant l’entre-deux-guerres, les ventes restent limitées et les acheteurs sont surtout des touristes américains. La deuxième guerre mondiale interrompt bien sûr la commercialisation de Coca-Cola. La guerre terminée, les responsables de Coca-Cola nourrissent de vastes ambitions pour la France. Ils vont utiliser en France les techniques américaines de vente et de distribution : nouveaux camions aux couleurs de la compagnie, dégustation gratuite, témoignage des stars du sport et du cinéma.
250Mais cette campagne de Coca-Cola se heurte à l’opposition des régions viticoles, des intérêts liés au commerce des alcools et surtout du parti communiste. Celui-ci, ralliant les protestations des viticulteurs, reproche au Coca-Cola d’aggraver le déficit commercial, de mettre en péril les boissons nationales, d’être un danger pour la santé, une drogue, un poison. De plus, le réseau de distribution de Coca-Cola dissimulerait en fait un vaste réseau d’espionnage américain. Enfin, Coca-Cola s’identifierait avec les pires réactionnaires américains, en particulier le Ku Klux Klan.100 Sans doute est-ce la situation géographique du siège social de Coca-Cola, à Atlanta, capitale du vieux Sud, qui explique cette dernière attaque, passablement étonnante.
251L’importance symbolique que revêt Coca-Cola est en tout cas énorme. Symbole des Etats-Unis, cette boisson s’oppose à la civilisation française traditionnelle, assimilée pour l’occasion au vin et à la culture conviviale des petits bistrots chaleureux.
252C’est ce que décrit Pierre Courtade dans une scène de Jimmy située dans un café parisien où le patron est confronté à l’arrivée de ce nouveau produit. Et ce texte, qui nous laisse aujourd’hui perplexes, mérite d’être cité dans son intégralité en dépit de sa longueur. « Un représentant qui ne doutait de rien était venu un jour lui proposer de la Coca-Cola. « A coup de pied dans le cul que je l’ai sorti, et comment.. une saloperie pareille ». Mais à la troisième fois, il avait cédé et maintenant les divines bouteilles rangées dans leur caisse standard décoraient la boutique de leur alignement impeccable, aussi insolites que des bocaux de pharmacie dans une cuisine d’auberge. Idiotes, mystificatrices, mystérieuses. Ne contenant rien que l’idée qu’on s’en faisait. Triomphe de la publicité. Nouveau sang du corps mystique de Jésus incarné dans le veston noir de bonne coupe du cardinal Spellmann. Dans toute l’Europe soumise elles servaient de signe de ralliement à des petits jeunes gens qui rêvaient de la grande vie parfumée de la Floride et de la Californie. Des imbéciles glacés au crâne d’oiseau se forçaient à en arroser leur bifteck pommes frites, convaincus qu’à ce moment et par ce geste même ils recevaient comme à une table de communion, l’eucharistie du siècle américain distribué par les prophètes à cravates criardes qui annonçaient dans les couloirs du Congrès la venue du messie atomique. Ce goût indéfinissable, qui était celui d’une limonade chocolatée, corsée de sirop idiotanique, aérée de bulles d’air ozonisé, perceptible beaucoup plus qu’à la langue, à la main surprise de ne pas reconnaître la forme cylindrée et pleine des bouteilles qui avaient contenu le beaujolais, le nuit-saint-Georges, le saint-émilion (bouteilles tout d’une pièce, mal commodes, qui exigeaient dans l’ivresse même un effort, une volonté lucide, une courtoisie attentive) ce goût à lui seul déclenchait dans les cerveaux de dizaines, de centaines, de milliers de petits hommes anxieux et déçus, une vague de rêves qui les portait jusqu’au sommet de buildings imaginaires en haut de cet Himalaya grandiose d’où ils apercevaient leurs pieds, les pampas grasses de pépites, les cadillacs à la queue leu leu sur l’autostrade d’acier, la poitrine de Gilda et son sourire si parfait qu’il était devenu le symbole de tout ce qu’on pouvait désirer de plus tendre, de plus pervers, de plus grandiose pour la modique somme de 40 francs ».101
253L’affaire Coca-Cola devait s’achever rapidement en 1950. Si pareille campagne contre une simple boisson gazeuse peut nous sembler étrange, il est possible qu’elle ait laissé des traces. Comme le chewing-gum, le Coca-Cola est longtemps resté moins apprécié en France que dans le reste de l’Europe occidentale. En 1953, 17 % seulement des Français aimaient beaucoup ou assez le Coca-Cola, 61 % ne l’aimaient pas du tout.102
254En définitive c’est surtout par sa violence que cette dénonciation des produits américains est originale. L’opposition des produits américains de grande consommation considérés comme une forme de camelote et des produits français de qualité, fruits d’un travail soigné, est en effet traditionnelle.
255Tout aussi traditionnelle est l’affirmation de la nullité culturelle des Etats-Unis. Comme nous avons eu l’occasion de le voir, l’inculture des Américains est en effet l’un des stéréotypes les mieux ancrés dans l’imaginaire français. Aussi les communistes peuvent-ils aisément présenter les Etats Unis comme un désert culturel. L’Américain, affirment-ils, est en fait beaucoup moins cultivé que l’Européen ou même l’Asiatique.
256Si ce discours n’est guère original, la violence du ton est cependant frappante : « Si on disait à un Américain que le premier pays du monde est l’Italie ou la Suisse, il rirait sans doute : rigole, gros yankee, dans ton berceau provisoirement doré. Il n’est pas temps que tu comprennes que ton dollarisme, qui boursoufle et pourrit tout, est aujourd’hui le cancer du monde. Tu ne te trouves pas en mesure de soutenir la conversation avec un Français qui a derrière lui trois mille ans de civilisation. »103
257C’est en fait une thématique très ancienne qui resurgit dans ce texte : si l’on peut être surpris par les trois mille ans de civilisation française (?), nous avons déjà évoqué le cas des aristocrates français qui déploraient l’absence de conversation des Américains pendant la guerre d’indépendance. De même, la présentation du dollar comme le cancer du monde ne rappelle t-elle pas le titre de l’ouvrage de Robert Aron et Arnaud Dandieu : le cancer américain ?.
258Cette nullité culturelle des Etats-Unis est d’abord, selon les communistes, le résultat du système scolaire. L’enseignement américain est en premier lieu critiqué pour son contenu. Selon les communistes, il n’y a en fait d’enseignement (ou de littérature) acceptable que sous leur contrôle direct et diffusant un message progressiste.
259Or l’école américaine diffuse au contraire une idéologie simpliste et réactionnaire que dénonce l’ancien élève de l’école normale supérieure et l’agrégé de lettres qu’est Georges Cogniot : « les manuels scolaires ne donnent des faits sociaux qu’une image entièrement déformante, glorifient la guerre, présentant les rois de l’acier et du pétrole comme des héros nationaux.. L’école recommande la loi du lynch, l’école craint la science, suspecte d’athéisme ; l’école nie purement et simplement la civilisation de l’Europe, la science russe comme la littérature française… Le rôle de l’école… est clair : adapter les gens.. au régime capitaliste, à l’esclavage des noirs, à l’ordre social caractérisé par les 36 assassinats quotidiens… »104.
260L’enseignement américain fait l’objet des critiques d’autant plus sévères que les conceptions pédagogiques des communistes sont à l’opposé des innovations américaines. Le P. C. rejette en particulier l’idée d’une spontanéité enfantine ou d’une pédagogie non directive. Les méthodes américaines étaient donc jugées tout à la fois utopiques, idéalistes, petites bourgeoises et réactionnaires.
261L’enseignement américain, aux yeux des communistes, entrave le développement de la pensée et, sous prétexte d’éducation nouvelle, vide en réalité les opérations pédagogiques de leur contenu, entretenant la paresse intellectuelle105. Le système d’enseignement constitue même un instrument d’avilissement et de perversion sexuelle.106 La « pédagogie nouvelle » n’est bien sûr pas la seule ruse de la bourgeoisie américaine. L’asservissement de la pensée aux Etats-Unis est également l’œuvre de la psychanalyse contre laquelle le P. C.F. lance en 1948 et 1949 une violente campagne. La psychanalyse est condamnée sans appel : c’est une idéologie obscurantiste, qui fait l’éloge de l’irrationnel, afin de saper la confiance des hommes dans la raison qui montre le caractère inévitable de la victoire finale du communisme.
262La psychanalyse est en fait le résultat d’une « offensive générale d’un impérialisme aux abois, tentant de briser l’essor du mouvement démocratique en Amérique et partout dans le monde. »107 « Idéologie de basse police et d’espionnage » selon l’Humanité, la psychanalyse détourne les masses de la lutte contre la misère et la guerre. Elle est donc « devenue une arme offensive au service des oligarchies financières et du gouvernement fédéral américain. »108.
263Cette offensive contre la psychanalyse est sans doute liée au scientisme naïf et finalement obscurantiste dont fait alors preuve le P. C.F. et qui l’amènera à célébrer par ailleurs les extravagances et les élucubrations de Lyssenko. Elle peut sans doute s’expliquer également par l’importation en Europe, à cette époque, de variantes américaines normatives qui interprétaient les conflits sociaux comme la conséquence des problèmes psychologiques des individus. Le parti communiste affecte de voir dans l’introduction de ces nouvelles méthodes psychanalytiques l’action consciente et délibérée du gouvernement américain.
264En fait, affirment les intellectuels commmunistes, la bourgeoisie américaine est parvenue à étouffer toute véritable culture, toute création réellement originale et progressiste. Les communistes considèrent ainsi qu’Howard Fast, membre du parti communiste des Etats-Unis, est le plus grand écrivain américain vivant, et seule l’emprise des monopoles sur les médias empêche que son talent soit reconnu.
265Les trusts favorisent au contraire, la diffusion d’une littérature de désespoir. William Faulkner, dont l’univers pessimiste est évidemment en contradiction avec l’ethos militant du P. C.F., constitue pour les communistes l’exemple parfait des ces écrivains qui se complaisent dans l’amertume et le malheur. L’univers faulknérien, où l’homme est écrasé par son destin, où la misère et l’injustice sont des fatalités est en fait, selon eux, profondément réactionnaire.109
266Faulkner, affirme Michel Denoreaz dans la Nouvelle Critique prend à son compte le mythe de la supériorité de la race blanche des Etats-Unis sur toutes les autres, en particulier celles de couleur. Ainsi, il aide les impérialistes américains à justifier leurs guerres coloniales. Il sépare la classe ouvrière des noirs qui constituent ses meilleurs alliés dans la lutte contre la misère, le fascisme et la guerre. Raciste, Faulkner va jusqu’à défendre l’esclavage, présentant systématiquement dans ses romans les abolitionnistes comme des envahisseurs et des meurtriers plus ou moins déments.
267Les injustices et le pourrissement de l’univers profondément décadent que décrit Faulkner sont considérés comme le fruit naturel d’un destin qu’il faut accepter ou mourir. Aucun personnage n’est un véritable lutteur, un homme porteur de l’avenir.
268Or, selon Michel Denoreaz, si la misère du Sud, due au régime capitaliste, génère effectivement une dégradation qui n’épargne pas totalement les travailleurs, elle éveille aussi dans les masses les forces révolutionnaires qui l’emporteront un jour. C’est cela qu’il faudrait montrer et que Faulkner, justement, ne montre jamais. C’est pourquoi ses romans conduisent au fascisme dans leur essence comme dans leur conclusion.
269Jean Kanapa affirme même que les écrivains américains se sont mis au service de l’impérialisme, devenant les propagandistes de la politique anticommuniste et antisoviétique du Département d’Etat.110
270Les communistes se montrent particulièrement sévères à l’égard du roman policier noir qui constitue à leurs yeux une sous-littérature particulièrement lamentable. Pierre Abraham dénonce leur médiocrité et leur uniformité mécanisée : « munis de cette matière première standardisée et sachant qu’il faut au minimum une coucherie aux pages 50,100 et 150, un assassinat aux pages 5, 75, 125, et 175, un flacon de whisky toutes les sept pages et une oeillade incendiaire toutes les 30 lignes, les auteurs peuvent en toute quiétude s’élancer dans la carrière. Ils le font avec la pleine liberté du travail à la chaîne. »111
271Ces attaques s’expliquent sans doute en partie par le succès évident de la série noire de Marcel Duhamel : la série noire fit connaître aux Français les romans de Dashiell Hammet et de Raymond Chandler, dont la qualité est incontestable mais aussi de nombreux ouvrages plus médiocres exploitant inlassablement les mêmes clichés.
272Certains auteurs font en outre preuve d’un anticommunisme déterminé : c’est en particulier le cas d’un Mickey Spillane dont le héros Mike Hammer est un grand pourfendeur de communistes, dans des romans pimentés d’un incontestable sadisme : aussi n’est-il pas étonnant que Mickey Spillane s’attire les foudres de Vladimir Pozner. « Un SS relatant avec précision et volupté ses expériences des camps de concentration n’écrirait pas autrement que Spillane. »112
273Les journaux ne valent guère mieux. Ils accordent une large place à la bande dessinée et donnent en exemple à la jeunesse la lâcheté, la superstition, la perversion et le racisme.113
274La télévision contribue également à l’abêtissement généralisé et à l’atrophie de la pensée américaine. En fait, c’est « la plus grande invention du siècle américain ; la machine à ne pas penser. »114
275En définitive, un véritable déluge d’images, de son, de publicité doit empêcher l’Américain de réfléchir : les Etats-Unis sont le « pays qui possède le plus grand nombre de postes de radio et de télévision, de salles de cinéma, de pages de journal et le plus petit choix d’idées et de points de vue… »115.
276En résumé, il est impossible de parler d’une culture américaine et les Etats-Unis apparaissent comme la terre de la nouvelle barbarie.116
277Or la barbarie américaine menace désormais la France. La politique culturelle des Etats-Unis que nous avons déjà pu évoquer va bien sûr faire l’objet de violentes attaques. Les Américains sont en fait accusés de mener à bien une véritable politique de colonisation culturelle utilisant les gigantesques moyens dont ils disposent.117
278Les Américains contrôlent la radio, soumettant les Français au matraquage de la voix de l’Amérique ou à la propagande américaine diffusée par la radio française.118 Les grandes agences de presse sont étroitement contrôlées par les capitalistes américains. Elles filtrent et déforment les informations. Des officines spécialisées, comme le bureau national de la stratégie psychologique, Paix et Liberté, le mouvement pour la liberté de la culture, le comité stratégique de la guerre froide diffusent également des flots de propagande américaine.119
279L’implantation de bibliothèques américaines en Europe, l’octroi de crédits aux écoles privées, la présence de professeurs et d’étudiants américains en France, l’introduction des méthodes pédagogiques dites nouvelles, dont nous avons déjà vu qu’elles suscitaient l’opposition déterminée des communistes, complètent l’entreprise de soumission des Français au capitalisme et à l’impérialisme.120
280Mais c’est le cinéma qui constitue bien sûr le principal vecteur de l’influence américaine en France. Dans ce domaine, les communistes dénoncent bien sûr la responsabilité des accords Blum-Byrnes dont ils exagèrent l’influence, ainsi que nous avons déjà pu l’évoquer. Blum est présenté comme « l’homme qui ouvrit les écrans de France à la marée du crime, made in U.S.A. et qui condamne le cinéma français à une agonie lente mais sûre. »121
281Les communistes exploitaient ici des inquiétudes bien antérieures à la guerre froide et qui n’étaient pas forcément limitées à la gauche. Dès les années 1920, le spectre d’un contrôle américain sur le cinéma français avait suscité bien des craintes. La première guerre mondiale avait durement frappé le cinéma français, l’un des plus puissants avant 1914. Les films américains avaient alors envahi le marché et le cinéma hollywoodien avait déjà soulevé des peurs extravagantes. Certains avaient alors redouté une possible dénaturation de la culture française sous l’influence américaine : les films américains allaient corrompre les goûts du public français, peut-être même mettre en danger l’avenir de la langue française. La jeunesse n’était que trop perméable aux productions hollywoodiennes.
282Les communistes vont développer pendant la guerre froide des arguments assez comparables. Gilbert Badia dénonce : « les contingents de filles aux visages stéréotypés sur le modèle des stars de Hollywood, de héros racistes qui tuent ou frappent. Voilà le monde, les mœurs, les modèles que les Américains proposent à nos enfants ».122 Les salles de cinéma sont autant de centres où se diffuse la propagande belliciste des Etats-Unis.123
283Il est a priori tentant d’expliquer la violence de ce rejet du cinéma hollywoodien en rappelant que le cinéma américain a multiplié, au début de la guerre froide, les films de propagande anticommuniste dont l’outrance même apparaît aujourd’hui surprenante.
284Dans The red menace (1949), une séductrice fatale se comporte en pourvoyeuse perfide du marxisme léninisme et un intellectuel juif, acquis aux idées progressistes, se jette par la fenêtre lorsqu’il découvre l’antisémitisme régnant au sein du parti communiste.
285Dans I was a communist for the FBI, un catholique américain d’origine slovène accepte d’encourir l’opprobre des siens en se faisant passer pour un militant communiste afin de pouvoir fournir au FBI les renseignements nécessaires pour démasquer la cinquième colonne soviétique qui sévit aux Etats-Unis.
286L’on y voit les principaux agents communistes réunis dans une suite luxueuse d’un palace d’une grande ville, porter des toasts à l’Union soviétique tout en se gorgeant de caviar et de champagne tandis que leur chef déclare : « c’est ainsi que nous vivrons lorsque nous aurons mis la main sur ce pays. ».
287Si le cinéma fustige les traîtres, il rend par contre hommage aux valeureux défenseurs des idéaux américains : dans Big Jim Mc Lain (1953) John Wayne incarne un enquêteur de l’HUAC envoyé en mission à Hawaii pour démasquer un réseau de dangereux terroristes. Rendant un hommage ému aux victimes de Pearl Harbor, il voue une même haine à tous ceux, Japonais hier et communistes aujourd’hui, qui profitent perfidement des garanties offertes par la démocratie américaine pour en saper les fondements.
288I Married a communist (1949-1951) ou My son John (1952) sont de la même eau.
289On comprend aisément que de pareilles œuvres puissent déclencher l’ire des communistes. Mais, en fait, la plupart de ces films ne furent jamais distribués en France.
290Ce n’est pas le cas de Pick up on South Steet réalisé en 1953 par Samuel Fuller. A la différence des films que nous avons précédemment cités, Pick up on South Street est un excellent film où l’action psychologique l’emporte sur les stéréotypes de la propagande. L’atmosphère est celle du film noir classique.
291Ship Mc Coy (Richard Widmark) a sans le savoir exercé son talent de pickpocket aux dépens d’une bande d’agents communistes. Il est traqué par les espions auxquels il a dérobé un précieux microfilm et par la police qui est sur la piste du réseau. Malgré l’appât du gain, il choisira pourtant de coopérer avec les autorités sans renoncer pour autant à ses activités illégales.
292Distribué en France, le film connaît un détournement peu banal, les espions soviétiques se muant en fabriquants de drogue d’où le titre français de Port de la Drogue. Ce procédé étonnant montre que les distributeurs français redoutaient une violente réaction des communistes français.
293Les Français ne connaissaient donc pas les films de propagande américaine sous une forme chimiquement pure. En fait, c’est le cinéma américain dans son ensemble qui est condamné et pas seulement quelques productions atypiques.
294C’est ce que montre l’étude de l’Ecran français où le poids croissant des communistes entraîne à partir de 1949 un net raidissement idéologique. A partir de cette date, c’est l’ensemble du cinéma américain qui est pris à partie par l’Ecran français. La qualité d’un film est directement fonction de sa nationalité et des positions politiques de son auteur. Un film américain était donc, par principe, exécrable.124
295En définitive, c’est la langue française elle-même qui, selon les communistes, est menacée par l’impérialisme américain : le doublage des films est négligé, les digests dénaturent le style et l’invasion américaine est particulièrement néfaste dans le domaine de la presse enfantine où « le marché est inondé d’albums grossièrement décalqués sur les cartoons d’outre-Atlantique, incroyable mélange de pornographie, de sadisme et de tout ce qui appelle aux sentiments bas. Ce qui saute ensuite aux yeux, c’est la négligence de sa rédaction : fautes d’orthographe et de syntaxe, transcriptions erronées, abus de termes étrangers. Le titre même est souvent libellé en Anglais. Voici, en grosses lettres, Jack Flash, the king of the News puis un petit sous-titre français (dégoûtant de sang) au-dessus d’une pin-up tombant dans le vide toutes jupes relevées… Hello, boys nous salue le héros… Warfff, cogne le vampire humain… Après avoir abattu le vampire (gros plan du coup de feu qui fait gicler le sang et sauter l’œil du monstre), le héros emporte dans ses bras l’affriolante Love (jupes à mi-fesse et seins en bataille) qui soupire : Jack darling… et c’est le dernier dessin : dans l’Empire News Tribune s’étalent les exploits de Jack Flash. The End ».125 Ainsi augmente encore le nombre des anglicismes qui fourmillent déjà dans notre langue saturée d’expressions anglo-saxonnes.
296Cette campagne contre l’influence culturelle américaine n’est pas, en dépit de sa violence forcément dépourvue d’habileté. Ces attaques contre l’influence américaine et la dénonciation de l’américanisation de la culture française sont en fait récurrentes depuis le dix-neuvième siècle. Elle flattent ce que l’on peut appeler le culturalisme français, cette étonnante forme de paranoïa linguistique et culturelle qui pousse les Français à estimer que leur langue et leur civilisation sont perpétuellement en péril. L’influence culturelle de la puissance dominante n’est jamais considérée comme une ouverture sur le monde extérieur mais toujours comme une intolérable agression.
297La défense et illustration de la langue et de la culture françaises est certainement un thème porteur qui permet de se draper à peu de frais dans le drapeau tricolore. On peut toutefois s’interroger sur la réception de ce discours et ses limites. Ce complexe obsidional qui semble caractériser l’attitude des élites françaises dans le domaine culturel n’est pas universel. Il n’est même pas forcément très répandu.
298Nous avons déjà eu l’occasion de le voir : interrogés en 1953 sur les aspects dangereux de l’influence américaine en Europe, 8 % seulement des Français mentionnent le bon goût, 4 % la liberté de pensée, 4 % la culture.126 Bien plus nombreux sont ceux qui citent l’indépendance économique, politique ou militaire de la France, le maintien des positions françaises en Afrique du Nord ou en Indochine ou encore le maintien de la paix.
299Nous ne disposons pas, malheureusement, de résultats plus détaillés, mais il est possible de supposer qu’en fait le rejet de l’influence culturelle des Etats-Unis ne concernait vraiment que les américanophobes systématiques et en particulier les communistes ainsi qu’une partie des élites, essentiellement celles dont la formation était littéraire et qui se considéraient comme les gardiennes exclusives du bon goût.
300La critique de la civilisation américaine par les communistes est en définitive assez peu originale. Elle reprend des idées, des thèmes souvent développés dans les années 1930 et pendant la guerre par les conservateurs ou l’extrême-droite : les Etats-Unis sont un pays inhumain, où les grands trusts capitalistes imposent leur loi. La population est uniquement préoccupée par la quête frénétique du dollar, abêtie par une culture de masse perçue comme une sous-culture, oscillant entre un puritanisme jugé hypocrite et une débauche généralisée. Une violence omniprésente gangrène ce pays décadent.
301La différence est-elle très grande entre certaines critiques communistes du cinéma américain et la dénonciation duhamélienne du divertissement d’hilotes ? Ces discours peuvent aisément converger. En fait, pour tous les contempteurs de l’Amérique, les Etats-Unis représentent un danger d’autant plus vivement ressenti qu’il met en péril la civilisation française qu’ils perçoivent comme un modèle d’harmonie et d’équilibre.
302Paix et liberté peut, dans ces conditions prendre un malin plaisir à comparer l’antiaméricanisme des communistes et celui des collaborateurs. Cette absence d’originalité n’empêche sans doute pas le discours communiste d’obtenir un certain succès. L’américanophobie outrancière du P. C.F. ne suscite pas nécessairement en France un phénomène de rejet. Il correspond en effet à des craintes largement répandues, en particulier chez les intellectuels. Beaucoup de Français, sans adhérer entièrement à la vision caricaturale de l’Amérique qu’essayaient de diffuser les communistes, pouvaient approuver certaines critiques et partager des préventions assez similaires à l’égard de « l’American Way of Life ».
303Evitons toutefois le paradoxe. Si la thématique utilisée par les communistes est relativement banale (y compris la dénonciation des monopoles) et si elle ne renouvelle guère l’argumentaire traditionnel des américanophobes, elle présente cependant des traits spécifiques. On peut d’abord souligner l’hésitation entre deux critiques contradictoires.
304Le P. C.F. dénonce d’une part le matérialisme américain, le culte de la technique, assimilé à une forme de barbarie. Cette condamnation peut sembler étrange pour des adeptes du matérialisme dialectique, qui ne cessent de célébrer les victoires de la science soviétique et les plans staliniens de la maîtrise de la nature. Cette critique revêt en outre des formes extrêmes, parfois à la limite du comique. Il suffit de penser aux propos de Roger Vailland sur l’inutilité des réfrigérateurs !
305De plus, l’hostilité manifestée à l’encontre des produits américains semble parfois sombrer dans une espèce d’animisme. Les produits venant des Etats-Unis semblent dotés, par eux-mêmes, d’une nature maléfique ! Il faut remarquer que cette dénonciation du matérialisme américain constitue un hommage implicite (bien qu’involontaire) aux capacités productives des Etats-Unis. Cependant, simultanément, et sans se soucier de la contradiction, les communistes s’efforcent de minimiser la puissance matérielle des Etats-Unis.
306Il faut également évoquer l’hypothèse de la diversion pour comprendre certains aspects de la campagne antiaméricaine du PC.
307Ainsi que nous avons déjà pu le voir, la campagne en faveur des Rosenberg permet d’occulter l’antisémitisme bien réel qui sévit alors dans les pays communistes et des épisodes particulièrement sombres comme le procès Slansky qui risquent de semer le trouble chez certains militants. La condamnation de la chasse aux sorcières et de l’Etat policier qui est supposé se mettre en place aux Etats-Unis ne permet-elle pas d’occulter une autre police secrète, un autre appareil répressif, une terreur infiniment plus sanglante ? La dictature de la National Association of Manufacturers. aux Etats-Unis ne justifie-t-elle pas implicitement celle du parti en URSS ? La polémique contre « l’obscurantisme » américain ne vient-elle pas à point pour rendre une bonne conscience à ceux qu’ébranleraient les débats culturels du parti, le lyssenkisme ou la théorie des deux sciences ?
308Notons enfin que les Français dans leur ensemble ne savent que penser de l’efficacité de cette propagande communiste. Ils semblent en fait hésitants et partagés à ce sujet.
La propagande communiste est efficace | 23 % |
La propagande communiste est inefficace | 29 % |
Ne se prononcent pas | 48 % |
100 %127 |
Conclusion
309Une des originalités majeures de l’antiaméricanisme communiste est l’extrême diversité de ses modes d’expression. L’antiaméricanisme communiste s’exprime non seulement dans d’innombrables articles et pamphlets mais il imprègne également des écrits, des peintures qui essaient de se conformer aux canons du réalisme socialiste. Le P. C.F. s’efforce en effet d’encourager le développement d’un art prolétarien fidèle à l’esthétique jdanovienne. L’antiaméricanisme a constitué l’une des composantes majeures de la culture de guerre froide élaborée par le parti communiste.
310Le P. C. a voulu, pendant quelques années, développer un art qui lui soit propre et a même essayé de l’imposer comme le seul valable.
311Plusieurs écrivains français ont alors imité la production littéraire soviétique. Dès 1947 et 1948, Elsa Triolet revendique une conception militante de la littérature, proche du jdanovisme qui triomphe à partir de 1946 en Union soviétique. Le véritable homme de lettres est obligatoirement engagé à gauche et l’on peut juger de son talent en fonction de la nature du message diffusé. C’est donc d’une littérature de combat qu’il s’agit, et les intellectuels communistes doivent se comporter en combattants disciplinés, luttant contre une littérature nocive, qu’elle soit l’œuvre d’auteurs américains ou d’écrivains français à scandale.128
312Cette littérature militante est en général très médiocre. L’intention politique étouffe les qualités littéraires. Le style est grandiloquent, frôlant souvent l’enflure, n’évitant pas toujours le ridicule. Les personnages sont artificiels, ce sont en fait des symboles dépourvus d’épaisseur humaine. Les personnages les plus insupportables sont souvent les héros, militants communistes irréprochables, mais donneurs de leçon sentencieux et d’une fatuité peu commune.
313Ces livres sont en fait de très longs articles politiques, d’interminables tracts. Ils sont cependant précieux pour notre sujet, même si le réalisme socialiste ne s’est évidemment pas limité à la dénonciation des Etats-Unis.
314En 1952, le prix Staline est attribué au premier choc d’André Stil. Le livre est rédigé dans une langue parlée, supposée populaire. L’auteur décrit la vie des dockers de la Pallice chassés par les Américains qui veulent établir une base américaine.
315Les Américains sont de nouveaux envahisseurs pires que les anciens. Les Allemands, « Au moins avaient-ils mis les formes. Ici même pas » (p. 157) En fait, les Américains multiplient leurs installations militaires dans tout le pays. C’est un prélude à la colonisation complète de la France. André Stil insiste longuement sur « l’impressionnant tableau de toute cette zone du Sud-Ouest en voie d’occupation. « D’abord les ports, transformés en ports de guerre puis, les champs d’aviation, les bases aéronavales remise en fonction ou visitées à cet effet par les Américains, La Pallice, La Rochelle, Rochefort, Saint-Jean d’Angely, Saintes, Cognac, Angoulême, Hourtin, Périgueux, Bordeaux, Bergerac, Biscarosse, l’étang de Cazan, Agen, Mont-de-Marsan, Pau.. Les camps stratégiques, dépôts de munitions et d’essence, prêts à faire sauter et à incendier tout le Sud-Ouest, à peu près aux mêmes endroits, et en plus, au Poteau dans les Landes, l’inquiétant dessin des voies ferrées et de routes stratégiques en préparation. La réoccupation des anciennes fortifications Todt du mur de l’Atlantique. Un grand triangle appuyé sur l’Espagne de Franco, où les Américains ont déjà mis au point un puissant dispositif de guerre.. Et cette zone est comme contagieuse. Il ne se passe plus de semaine, pas de jour sans qu’on apprenne qu’un camp, une ville, une usine un peu plus éloignés dans le pays a retenu l’attention des nouveaux occupants » (p. 119).
316Le roman est truffé de notations hostiles aux Américains. Ils sont responsables de la misère (p. 84), saccagent le patrimoine historique français (p. 126), importunent les jeunes filles (p. 129). Ils n’ont guère contribué, en réalité, à la Libération de la France (p. 234).
317André Stil évoque également la guerre de Corée qui lui permet, encore une fois, de comparer, à leur désavantage, les Américains et les Allemands. « Ca ne te fait rien, toi, Dupuy, les saloperies qu’ils font là-bas, les Américains : les femmes, les enfants, les vieux, avec leurs bombes au napalm, et les copains qu’ils fusillent ! Il sont pires que les Boches ». (97).
318Tiens bon la Rampe, de Pierre Abraham exalte l’action des combattants de la paix niçois. De riches Américains, souvent antipathiques, participent au carnaval. Un Américain, converti au stalinisme par amour pour une vendeuse communiste, est fait prisonnier en Corée. Il dénonce à la radio les crimes de guerre américains.
319Jimmy de Pierre Courtade est particulièrement intéressant pour notre sujet. Jimmy, cadre américain encore jeune, ressent un profond malaise. En dépit d’une certaine réussite matérielle, sa femme et lui éprouvent un sentiment d’absurdité. Jimmy partira en Europe et deviendra à son retour aux Etats-Unis un sympathisant communiste. Pierre Courtade a repris sous une forme romancée l’ensemble des clichés antiaméricains du parti communiste : les Etats-Unis sont devenus un monde absurde, où l’homme est entièrement au service du grand capital (p. 24). Le conformisme règne (pp. 19 et 20) alimenté par un véritable déluge publicitaire (pp. 19 à 22). Les Américains oscillent entre le puritanisme et un déferlement d’images sexuelles (pp. 72 à 74).
320Pierre Courtade souligne à de multiples reprises l’inculture des Américains, entretenue par un enseignement étroitement contrôlé par des forces réactionnaires et obscurantistes. A l’Américain moyen, désabusé, désorienté, s’oppose le militant communiste, aux convictions inébranlables, (pp. 61-68), qui lutte pour la paix et la justice, dans un climat d’anticommunisme violent (passim).
321Les Etats-Unis sont en outre gangrenés par une extrême-droite raciste et antisémite (pp. 66, 67, 94, 108). Ils sont en réalité dans la situation de l’Allemagne en 1932 (pp. 87, 88, 93, 144, 146, 147). .
322En France, les Américains constituent de nouveaux occupants (pp. 246 à 259), entourés de nouveaux collabos. « En payant les petits secrétaires du plan Marshall 120 000 francs par mois nous aurons toujours des gens.. Mais après ? Des crétins que les nazis auraient eu au Majestic pour une ration de cigarettes.. Quelquefois les mêmes probablement.. » (pp. 166 et 169).
323Pierre Courtade se livre à une caricature haineuse mais assez aisément reconnaissable de Raymond Aron. C’est le personnage de Bernard, spécialiste des questions de politique internationale du Journal, c’est-à-dire du Figaro. Esprit faux, Bernard /Aron se pique de sociologie et de statistique, tirant « constamment de faits en eux-mêmes exacts, les conclusions les plus fumeuses et les plus désordonnées » (p. 240). Comme tous les intellectuels qui se sont mis au service de la bourgeoisie, Bernard /Aron est fait condamné à une impuissance fondamentale et à une lâcheté qui le conduisent au nihilisme. Aussi s’est-il lié avec un autre nihiliste, Slaugherty (Burnham) et, bien que juif, il manifeste une certaine nostalgie du nazisme ! (p. 243).
324La découverte de Paris par Jimmy permet de mieux souligner le contraste entre la véritable civilisation européenne et la fadeur glacée et aseptisée des Etats-Unis (p. 188).
325Roger Vailland offre sa contribution au réalisme socialiste avec une pièce de théâtre : le colonel Foster plaidera coupable. Les Américains soutiennent en Corée des criminels cyniques (p. 23) et le colonel Foster ne peut s’empêcher d’être troublé par la guerre qu’il doit mener et d’éprouver du respect, voire de l’admiration pour ses adversaires. On ne peut s’empêcher de remarquer combien les Américains de cette littérature semblent prompts à céder aux joies du stalinisme ! C’est peut-être un moyen symbolique de compenser le peu d’impact réel des communistes aux Etats-Unis.
326Cette littérature de combat ne semble pas avoir rencontré le succès escompté. Le P. C.F., sous l’impulsion du Kominform, s’est pourtant lancé dans les batailles du livre, dont l’objectif, dans le cadre de la lutte pour la paix, est de mieux diffuser la littérature progressiste française ou étrangère favorable à la paix et à l’URSS ainsi que de s’opposer à la littérature pourrie, décadente et pornographique d’origine le plus souvent américaine.
327En fait, ces batailles du livre devaient se solder par un échec relatif qui est en réalité celui de toute la littérature progressiste. Les batailles du livre devaient donc être assez rapidement abandonnées. L’échec de ces romans progressistes est aisément compréhensible : leur univers reste trop évidemment caricatural, unidimensionnel, et la forme romanesque n’est en fait qu’un simple prétexte pour transmettre un message politique.
Notes de bas de page
1 Sondages, 1er décembre 1948, pp. 222 et 224.
2 Bernard Legendre, Le stalinisme français, p 24.
3 Philippe Robrieux, Op. cit., Tome II, pp. 200 à 202.
4 Henri Claude, Le plan Marshall, pp. 9 à 36.
5 Henri Claude, Ou en est la crise américaine ? Démocratie Nouvelle, Mai-Juin 1949, pp. 269 à 272.
6 Henri Claude, le plan Marshall, Op. cit., p. 71.
7 Ibid., p. 78.
8 André Barjonet, La France colonie américaine. Démocratie Nouvelle, Mai-Juin 1949, pp. 269 à 272.
9 Jean Baby, L’impérialisme américain et la France, Les cahiers du communisme, Janvier 1948, p. 94.
10 Anonyme, Défendre leur profession et l’intérêt national menacés par le plan Marshall, tel est l’objectif des 1500 délégués du Bâtiment et du bois ; L’Humanité 2 avril 1948, p. 3.
11 Pierre Herve, L’Oncle d’Amérique, L’Humanité, 19 février 1948, p. 3.
12 Henri Claude, Le Plan Marshall, Op. cit., pp. 95 à 105.
13 Henri Claude, Où va l’impérialisme américain ? p. 228, Henri Claude, L’économie française après deux ans de marshallisation, Les cahiers du communisme, Juillet 1949, pp. 822 à 833.
14 Henri Claude, Le Plan Marshall, Op. cit., pp. 105 à 108.
15 Germain Ayache, La bannière étoilée flotte sur le Maroc. Démocratie Nouvelle, Juillet 1950, pp. 359 à 363. Voir également, Henri Claude, L’aide américaine aux pays arriérés, Démocratie Nouvelle, Mars 1949, pp. 137 à 142. Marcel Egretaud, Stratégie américaine en Afrique, Démocratie Nouvelle, Mars 1949, pp. 148 à 152.
16 Pierre Herve, La France livrée à Wall Street, L’Humanité, 6 janvier 1948, p. 1.
17 William Foster, Impérialisme américain, et danger de guerre, Démocratie Nouvelle, Octobre 1947, p. 533. Voir également, Charles Tillon, Le plan Marshall, abandon de l’indépendance française et de la défense nationale, Cahiers du communisme, Mai 1948, n° 5, pp. 476 à 494.
18 Henri Claude, Le Plan Marshall, Op. cit., p. 165.
19 Anonyme, Des dollars qui coûtent cher. La vérité sur « l’aide américaine » à la France, Passim.
20 Pierre Courtade, Il faut décourager l’agression, L’Humanité, 12 février 1949, P. 3.
21 Joanny Berlioz, Une Sainte Alliance, Démocratie Nouvelle n° 5, avril 1949, pp. 183 à 187.
22 Ibid., p. 185.
23 V. Leduc, Un Mein Kampf américain, La Nouvelle critique. Mars 1949, pp. 33 à 40. Pierre Courtade, J. Burnham le nouveau Rosenberg de l’impérialisme américain, La Nouvelle critique, Juillet 1950, pp. 14 à 28. Henri Claude, Où va l’impérialisme américain ? Op. cit., p. 197.
24 Pierre Courtade, Jimmy, p. 179.
25 Ibid., p. 120.
26 Pierre Courtade, J. Burnham, Le nouveau Rosenberg de l’impérialisme américain, Op. cit., p. 28.
27 Pierre Courtade, La France colonie américaine, L’Humanité, 22 juin 1948, p. 3.
28 Pierre Courtade, Nous briserons les mailles de la chaîne, L’Humanité, 19 octobre 1948, p. 3.
29 Pierre Courtade, Truman se fait le champion de l’anticommunisme, L’Humanité, 21 janvier 1949, pp. 1 et 3.
30 Raymond Agasse, Lutte contre l’occupation américaine en France, Les cahiers du communisme, n° 8, Aout 1951, p. 965.
31 L’émancipateur de l’Indre, n° 341, 17 avril 1951, in François Jarraud, Les Américains à Chateauroux 1951-1967, p. 134. Victor Leduc, De Bordeaux-La Palice à la Wehrmacht, Démocratie Nouvelle, n° 12, Décembre 1951, pp. 627 à 629.
32 Joanny Berlioz, L’invasion, Démocratie Nouvelle, n° 2, Décembre 1951, pp. 627 à 629.
33 Dominique Desanti, Châteauroux est-il en France ? Démocratie Nouvelle, n° 12, décembre 1951, pp. 655 à 659.
34 Ibid., p. 659.
35 Pierre Charenton, Ce qui se passe à Cherbourg, La Nouvelle critique, n° 15, avril 1950, pp. 90 à 95.
36 La Marseillaise, 7 août 1952, in François Jarraud, Op. cit., p. 70.
37 La Marseillaise, 9 avril 1951, in Ibid., p. 135. Voir également, La Marseillaise, 20 juillet 1951, in Ibid.
38 La Marseillaise, 12 décembre 1951, in Ibid., p. 71.
39 La Marseillaise, 8 octobre 1953, in Ibid., p. 135.
40 La Marseillaise, 3 janvier 1952, in Ibid.
41 Pierre Courtade, Agression américaine en Corée, Démocratie Nouvelle, n° 8, Août 1950, pp. 400 à 405.
42 Jean Baby, Pourquoi l’Amérique ne peut pas vaincre, Démocratie Nouvelle, septembre 1950, p. 459.
43 Bernard Fontenay, USA-SS, Op. cit., p. 597.
44 André Wurmser, Mac Arthur un symbole, Op. cit., pp. 601 et 602.
45 René Houze et Jean Pierre Vivier, Comment ils font la guerre, La nouvelle critique, n° 23, Février 1951, pp. 6 à 14.
46 Bernard LEGENDRE, Op. cit., p. 248.
47 Bertrand Maricot, La guerre bactériologique en Corée et les intellectuels français, p. 107.
48 Pierre Courtade, La guerre bactériologique, L’Humanité, 8 mars 1952, p. 3. Anonyme, Les monstres américains utilisent en Corée l’arme microbienne, L’Humanité, 6 mars 1952. Anonyme, L’utilisation de l’arme microbienne aurait été annoncée par Truman lui-même, L’Humanité, 7 mars 1952. Anonyme, Tandis qu’ils sèment la mort avec l’arme microbienne les Américains préparent le bombardement atomique de la Corée, L’Humanité, 12 mars 1952.
49 Paul Noirot, Criminels de guerre bactériologique, Démocratie Nouvelle, n° 6, juin 1952 pp. 301 à 304.
50 Marcel Prenant, Georges Teissier, La guerre bactériologique a t’elle commencé ? La pensée, numéro double, Aout 1952, pp. 5 à 32. Marcel Prenant, Georges Teissier, Oui la guerre bactériologique a commencé, La pensée, Novembre-Décembre 1952, pp. 25 à 33.
51 Pierre Courtade, De Tokyo à Revelbelloc, L’Humanité, 7 mai 1952, p. 2. Etienne Fajon, Les criminels, L’Humanité, 14 mai 1952, p. 1
52 Anonyme, Riposte à Ridgway, le général de la peste, L’Humanité, 22 mai 1952, p. 1.
53 Maricot Bertrand, Op. cit., p. 114.
54 Anonyme, Ridgway, l’homme du napalm et des bombes, L’Humanité, 23 mai 1952, p. 1.
55 Louis Aragon, L’Homme communiste, Tome II, pp. 229 et 230.
56 Georges Soria, La France deviendra-t-elle une colonie américaine ? p. 108.
57 Henri Claude, Le plan Marshall, Op. cit., p. 155.
58 Ibid., p. 192.
59 Ibid.
60 Ibid., p. 200.
61 Jacques Duclos, Les dirigeants socialistes à la tête du combat contre les masses laborieuses de France, Cahiers du communisme, n° 12, Décembre 1948, pp. 1323 à 1335. Voir également, Robert Bouvier, Léon Blum, agent américain, Démocratie Nouvelle, Aout 1949, pp. 426 à 430. Editorial : la lutte contre le socialisme droitier, pour l’unité de la classe ouvrière, Cahiers du communisme, février 1951, pp. 131 à 146.
62 Léon Blum, L’aide américaine, Le Populaire, 6 novembre 1947, in la presse française et le plan marshall, pp. 5 et 6. LéonBlum, Pour la signature de l’accord bilatéral, Le populaire, 30 juin 1948, in Ibid., pp. 8 à 10.
63 Georges Soria, Op. cit., p. 109. Voir également sur le sujet Henri Claude, Le plan Marshall, Op. cit., p. 193, Jacques Duclos, Les socialistes de droite, ennemis mortels du prolétariat, Cahiers du communisme, Juillet 1951, pp. 764 à 772.
64 Robert Bouvier, Léon Blum, agent américain, Op. cit., p. 429.
65 Léon Blum, L’aide américaine, Op. cit., p. 5.
66 Pascal Ory, De Baudelaire à Duhamel, L improbable rejet in L’Amérique dans les têtes, Op. cit., p. 68.
67 Henri Claude, La libre entreprise des trusts, Démocratie Nouvelle, n° 11, Novembre 1950, pp. 568 et 569.
68 Henri Claude, Où va l’impéralisme américain ? Op. cit., p. 159.
69 Pierre Courtade, Choses vues en Amérique II On peut crever de faim avec le téléphone, L’Humanité, 17 février 1948, pp. 1 et 3. Voir également Georges Cogniot, L’Amérique telle qu’on la cache, Démocratie Nouvelle, Septembre 1950, pp. 496 à 499.
70 Henri Claude, Dictature du dollar aux Etats-Unis, Démocratie Nouvelle, Juillet 1950, pp. 369 à 373.
71 Ibid. Henri Claude, Ou va l’ impérialisme américain ? Op. cit., p. 172.
72 Renaud De Jouvenel, La guerre des mercenaires, p. 12.
73 Henri Claude, Ou va l’impérialisme américain ? Op. cit., p. 176.
74 Pierre Courtade, La farce électorale aux USA, Démocratie Nouvelle, Juin 1952, pp. 322 à 326.
75 Vladimir Pozner, Qui a tué HO Burrell ?, p. 83.
76 Renaud De Jouvenel, Op. cit., p. 8. Vladimir Pozner, Op. cit., p. 86.
77 Vladimir Pozner, Les Etats Désunis, p. 7.
78 Renaud De Jouvenel, Op. cit., p. 11
79 Vladmir Pozner, Qui a tué HO Burrel ? Op. cit., p. 109.
80 Jean Baby, Fascisme à la Yankee, Démocratie Nouvelle, n° 11 novembre 1950, pp. 574 à 576.
81 Renaud De Jouvenel, Op. cit., p. 11.
82 Discours de Maurice Thorez, Au XII Congrès du P. C.F cité par Jacques Duclos, Préparation à la guerre et fascisation, Démocratie Nouvelle, n° 5, Mai 1950, p. 228.
83 Renaud De Jouvenel, Op. cit., p. 12.
84 Vladimir Pozner, Qui a tué H.O. Burrell ? Op. cit., pp. 301 et 302.
85 Ibid., p. 77.
86 Ibid.
87 Renaud De Jouvenel, Op. cit., p. 10. Gilbert Badia, Pourritures Yankees, Démocratie Nouvelle, Février 1952, pp. 100 à 103. Anonyme, Binaggio, ami de Truman, Démocratie Nouvelle, Novembre 1950, pp. 603 et 604.
88 Ronald Radosh et Joyce Milton, Dossier Rosenberg, p. 240.
89 Sabine Roelandt, Op. cit., p. 95.
90 John Roberts, L’antisémitisme aux Etats-Unis, Les lettres françaises, n° 445, 26 mars 1953, p. 1.
91 Anonyme, A la veille de la révision de la Cour suprême, le gouvernement américain ordonne le rejet du pourvoi des Rosenberg, L’Humanité, 18 mai 1953, p. 1.
92 Jean Gaudrey-Rety, Justice pour les Rosenberg, Les lettres françaises, n° 449, 22 juillet 1953, pp. let 4.
93 Anonyme, Aujourd’hui en France journée nationale pour sauver Julius et Ethel Rosenberg, L’Humanité, 13 janvier 1953, p. 1. Les articles consacrés à l’affaire Rosenberg sont alors innombrales. Pour se limiter à quelques exemples, l’on peut citer : Anonyme, L’ambassade des Etats-Unis s’inquiète de la campagne menée en France en faveur des Rosenberg, L’Humanité, 1er Janvier 1953, pp. 1 et 3. Anonyme, Pour sauver les Rosenberg, L’Humanité, 3 janvier 1953, pp. 1 et 3. Anonyme, Ethel et Julius Rosenberg : « les attendus du juge Kaufman reflètent la coercition et les passions politiques qui sont à l’origine de notre condamnation », L’Humanité, 5 janvier 1953, pp. 1 et 3. Anonyme, Robbie (5 ans) et Michael (9 ans) Rosenberg orphelins dans huit jours si la campagne en faveur des Rosenberg ne parvient pas à arracher au juge Kaufman le sursis qu’il a été contraint de promettre hier, L’Humanité, 6 janvier 1953, pp. 1 et 3. Anonyme, A quelques jours de la date prévue pour l’éxcécution des Rosenberg, Truman garde le mutisme du bourreau, L’Humanité, 7 janvier 1953, pp. 1 et 3. Anonyme, Rosenberg : devant l’ampleur du mouvement en leur faveur l’ambassade américaine à Paris dépêche un diplomate à Washington pour demander « conseil », L’Humanité, 9 janvier 1953, pp. 1 et 3. Anonyme, Pour sauver les Rosenberg, L’Humanité, 10 janvier 1953, pp. 1 et 3. Anonyme, Les Rosenberg ont signé leur recours en grâce. « Nous sommes innocents nous ne demandons ni charité ni pitié mais justice. », L’Humanité, 12 janvier 1953, pp. 1 et 3. Anonyme, La journée Rosenberg. Une grande journée dans toute la France. Rien que pour Paris : plus de 100 délégations à l’ambassade américaine, L’Humanité, 15 janvier 1953, pp. 1 et 3. Anonyme, Manifestations à New York pour sauver les Rosenberg menacés d’une mort imminente, L’Humanité, 16 janvier 1953, pp. 1 et 3. Anonyme, C’est à Eisenhower que doit s’adresser désormais l’exigence des gens de cœur. Vie sauve pour les Rosenberg, L’Humanité, 20 janvier 1953, pp. 1 et 5. Anonyme, Il faut empêcher Eisenhower d’envoyer au supplice les parents de Michael et Robert, L’Humanité, 21 janvier 1953, pp. 1 et 3. Anonyme, Plus que deux semaines, L’Humanité, 30 mai 1953, p. 1.
94 Pierre Courtade, Electrocutés, L’Humanité, 20 Juin 1953, p. 1. Voir également, sur le même sujet, Anonyme, Le Martyre d’Ethel et Julius Rosenberg, L’Humanité, 20 juin 1953, pp. 4 et 5. Anonyme, L’assassinat des Rosenberg révéle toute l’horreur du fascisme américain, L’Humanité, 21 juin 1953, p. 1. Anonyme, « L’excellent grand-père » a fait deux orphelins, L’Humanité, 21 Juin 1953, p. 3. Anonyme, Immense colère dans le monde aprés le crime fasciste. La campagne pour la réhabilitation des Rosenberg est engagée, L’Humanité, 22 juin 1953, pp. 1 et 5. Anonyme, Dans des milliers d’entreprises par des débrayages, prises de parole, minutes de silences, les travailleurs rendent hommage à Ethel et Julius Rosenberg et affirment leur volonté de faire réhabiliter les deux martyrs, L’Humanité, 22 juin 1953, pp. 1 et 4. Anonyme, Le parti communiste des Etats-Unis glorifie la mémoire d’Ethel et Julius Rosenberg martyrs de la liberté et de la paix, L’Humanité, 24 juin 1953, pp. 1 et 4.
95 Pierre Courtade, Cérémonial de mise à mort, L’Humanité, 23 juin 1953, p. 4.
96 Yvon Tranvouez, Guerre froide et progressisme chrétien. La quinzaine (1950- 1953), Vingtième siécle, Janvier-Mars 1987, pp. 83 à 93.
97 Louis Aragon, Victor Hugo, Les Lettres Françaises, 28 juin 1951, p. 8.
98 Roger Vailland, La tribune des nations, 14 mars 1952, in l’Amérique dans les têtes, Op. cit., p. 29.
99 Vladimir Pozner, Les Etats-désunis, Op. cit., p. 18.
100 Action, 15 décembre 1949, in Bernard Legendre, Op. cit., pp. 240 et 241.
101 Pierre Courtage, Jimmy, pp. 195 et 196.
102 Richard F Kuisel, Coca-cola an Pays des buveurs de vin, L’Histoire, novembre 1986, n° 94, pp. 22 à 28.
103 Paul Raynal, Les Yankees en Amérique, Les Lettres françaises, n° 322, 27 juillet 1950, pp. 1 et 7.
104 Georges Cogniot, Une pédagogie et une philosophie d’esclaves, Démocratie Nouvelle, novembre 1950, pp. 581 et 582.
105 Ibid. Vladimir Pozner, les Etats désunis, Op. cit., p. 14.
106 Renaud De Jouvenel, Op. cit., p. 15.
107 Guy Leclerc, La Psychanalyse, idéologie de basse police et d’espionnage, L’Humanité, 27 janvier 1949.
108 Dr Sven Follin, Bilan de la psychanalyse. De la psychanalyse à la guerre psychologique, La Nouvelle Critique, juin 1951, n° 27, p. 56.
109 Michel Denoreaz, William Faulkner ou le parti-pris de la fausse réalité, La Nouvelle Critique, janvier 1951, pp. 74 à 84.
110 Jean Kanapa, Littérature américaine, Les Lettres françaises, n° 356, 26 mars 1951, p. 3.
111 Pierre Abraham, Smith remplace Smith, Les Lettres françaises, 29 janvier, 5 février 1953, p. 2.
112 Vladimir Pozner, Qui a tué H.O Burrell ? Op. cit., p. 127.
113 Ibid., p. 55.
114 Ibid., p. 94.
115 Ibid., p. 95.
116 Renaud De Jouvenel, Op. cit., p. 7.
117 Georges Soria, Op. cit., pp. 126 à 138 et pp. 186 à 195. Gilbert Badia, Perversion des esprits et des cœurs, Démocratie Nouvelle, n° 12, Décembre 1951, pp. 641 à 645.
118 François Cremieux, La radiodiffusion française usine à mensonges, La Nouvelle Critique, n° 2 janvier 1949, pp. 101 à 109.
119 Roger Garaudy, Propagande de guerre et propagande communiste, La Nouvelle Critique, n° 24 mars 1949, pp. 9 à 19.
120 Guy Besse, L’expansionnisme idéologique des Yankees, Démocratie Nouvelle, n° 2, février 1949, pp. 72 à 77.
121 Georges Soria, Op. cit., p. 119.
122 Gilbert Badia, Perversion des esprits et des coeurs, Op. cit., p. 643.
123 Georges Soria, Op. cit., p. 132.
124 Jeannine Verdes-Leroux, au service du parti, pp. 208 et 209.
125 E Cary, Défense de la langue française, La Nouvelle Critique, n° 3, Février 1949, p. 15.
126 Les Etats-Unis, Les américains et la France, Op. cit., p. 40.
127 Ibid., p. 43.
128 Marc Lazar, Les batailles du livre, Vingtième siécle, avril-juin 1983, pp. 38 et 39.
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