Chapitre I. Le pays de l’abondance
p. 73-114
Texte intégral
1Après 1945, l’économie américaine est incontestablement la plus puissante du monde. Ses principaux concurrents ont été ruinés par la guerre et le contraste entre la France appauvrie et les Etats-Unis que la guerre a guéri de la crise et qui n’ont subi aucune destruction sur leur territoire est frappant.
2Par la suite, en dépit des succès de la reconstruction, et même si la France retrouve dès 1949 le niveau de production de 1929, plus significatif que celui de 1938, l’écart entre les deux pays reste très important. En 1952, alors que le revenu national américain dépasse les 291 milliards de dollars, celui de la France reste inférieur à 30 milliards de dollars. Le revenu par habitant est de 1823 dollars aux Etats-Unis et seulement de 684 dollars en France.
3L’écart entre les deux pays est donc beaucoup plus marqué qu’aujourd’hui. Dans ces conditions, on comprend facilement l’étonnement suscité par la puissance et la richesse des Etats-Unis. Ceux-ci, en fait, vont faire figure de pays de cocagne1.
4Dans presque tous les domaines, les productions américaines sont alors les premières du monde. Le statistical abstract of the United States indique qu’en 1952, les Etats-Unis produisaient 453 millions de tonnes de houille, soit environ 37 % de la production mondiale ; 85 millions de tonnes de fer, soit 46 % de la production mondiale ; 314 millions de tonnes de pétrole, soit 54,5 % de la production mondiale et 45,3 % de la production mondiale d’électricité.
5Ces statistiques impressionnantes sont souvent citées et commentées. Elles constituent la première preuve de la puissance américaine : « à la fin de 1947, bien près des deux tiers de la production industrielle du monde entier sortaient des usines américaines »2. « on est presque épouvanté, en consultant les statistiques de la production mondiale, de voir les Etats-Unis toujours en tête… »3. Un usage aussi abondant des statistiques s’explique sans doute par la volonté de fonder sur des bases rigoureuses, d’apparence scientifique, les développements consacrés à la richesse américaine.
6Ce véritable triomphe de l’économie américaine, journalistes, économistes, géographes ou simples voyageurs ne se contentent pas de le constater. Le plus souvent, ils s’efforcent d’en déterminer la nature et les causes.
7A leurs yeux, cette prospérité s’explique d’abord par des conditions favorables et, en premier lieu, par l’abondance des matières premières. Les Français s’extasient sur les immenses terres à blé et à coton, les larges forêts, les mines nombreuses. Abondantes, les matières premières sont en outre faciles à exploiter. Dans ces conditions, les industries de transformation peuvent aisément disposer de matières premières excellentes et bon marché, ce qui rend donc possible une production considérable, à des prix très modérés4.
8Ces constatations pourraient déboucher sur un certain pessimisme. L’Europe, beaucoup moins bien dotée en matières premières de toutes sortes, n’est-elle pas, de ce fait, condamnée à végéter dans une situation médiocre ? Cependant, tous ne s’accordent pas sur le rôle des ressources naturelles. D’autres puissances, et en particulier l’Union soviétique, disposent elles aussi d’énormes ressources. Dans ces conditions, « quelle que soit la masse imposante et la variété des ressources américaines de matières premières…, elles n’assurent nullement aux Etats-Unis une supériorité écrasante dans tous les domaines »5.
9Dès 1948, l’économiste Maurice Allais estime que la richesse des Etats-Unis en matières premières ne joue en réalité qu’un rôle relativement faible dans l’écart entre l’économie des Etats-Unis et celle de la France. D’autres facteurs jouent en effet selon lui un rôle bien plus important.
10D’abord, notent certains observateurs, ces richesses naturelles sont d’autant plus faciles à mettre en valeur que l’immense territoire américain n’est pas fractionné, comme l’Europe, par une multitude de barrières douanières. Les Etats-Unis disposent donc d’un immense marché intérieur, à l’échelle d’un continent6.
11Aux yeux du journaliste Raymond Cartier, vedette de l’hebdomadaire Paris Match, la Californie illustre les bienfaits de l’immensité du marché américain : « Enfermée dans les barrières douanières du Vieux Monde, elle ne serait, malgré son pétrole, qu’un corps économique incomplet et condamné à languir. Son agriculture elle-même n’aurait ni le marché immense de 150 millions de consommateurs voraces, ni le colossal équipement qui lui permet d’améliorer sans cesse son sol. Une Californie européenne serait une pauvre nation méditerranéenne dans laquelle des paysans arriérés remueraient du sable et gratteraient du cailloux… Elle n’est ce qu’elle est – cet éblouissement de richesse et cet épanouissement de bonheur humain – que par la vertu du grand ensemble dans lequel elle est intégré… »7.
12L’exemple américain constitue donc un plaidoyer pour une Europe encore balbutiante, alors que l’opinion française reste encore hésitante, voire réticente. La France de la Quatrième République se défait difficilement des choix protectionnistes opérés depuis l’époque de Méline. Dans une grande partie des milieux d’affaires, la peur de l’Europe naît d’un pessimisme encore largement répandu, qui surévalue systématiquement la force des concurrents de la France et sous-estime les points forts nationaux. Victimes d’un véritable complexe d’infériorité à l’égard des industries allemandes, nombreux sont ceux qui refusent la compétition.
13La position qu’adopte ici Raymond Cartier n’est donc pas dépourvue d’une certaine hardiesse et il n’apparaît pas seulement, comme on le décrit parfois, comme le représentant complaisant des bien-pensants. Ses prises de position anticolonialistes, lorsqu’il dénoncera à partir de 1956, le tonneau des Danaïdes que constituent les territoires d’outre mer, confirmeront d’ailleurs ce que l’on peut considérer comme une véritable lucidité.
14Mais les Français sont également persuadés que la richesse des Etats-Unis est aussi le fruit d’une chance exceptionnelle. Les Etats-Unis, bien qu’ayant subi la guerre de Sécession et participé aux deux guerres mondiales n’ont pas été appauvris par ces conflits. En fait, alors que les pays européens ont été, pendant les deux guerres mondiales, occupés, ravagés par les bombardements et les combats et que leur potentiel économique a été considérablement éprouvé, les combats n’ont pas affecté le territoire américain. Bien plus, ne participant pas à ces conflits dès le début, ils ont accru leur production, d’abord pour armer les nations belligérantes, puis pour s’armer eux-mêmes.
15La production de masse des usines américaines a largement contribué à la victoire des alliés. D’énormes quantités de matériels militaires ont été produites : « que ce soit par les jeeps, les tanks, les canons, les wagons, partout l’industrie américaine a affirmé sa puissance. L’agriculture n’est d’ailleurs pas restée en arrière : elle a permis de ravitailler une armée de douze millions d’hommes, et, par l’intermédiaire de différents organes, d’apporter quelque soulagement à la disette dont souffrent actuellement trop de pays8.
16Il est certain que la guerre a guéri l’économie américaine de la dépression. Entre 1941 et 1945, les Etats-Unis ont produit 300 000 avions, 12 000 navires civils et militaires, 64 000 péniches de débarquement, 86 000 tanks, 15 000 véhicules blindés, 2 500 000 camions, 315 000 pièces d’artillerie. Ce sont 434 millions de tonnes d’acier qui ont permis cette fantastique production9.
17Les Français réalisent que la guerre a accéléré les progrès de la production en série. En fait, « la mobilisation des Etats-Unis marqua le triomphe décisif de la production de masse. Beaucoup restait à faire en 1940 et des progrès immenses furent accomplis en quelques années »10. L’industrie américaine a effectivement enregistré pendant la guerre de remarquables gains de productivité : celle-ci a augmenté de 25 % entre 1939 et 1944. Pendant la même période, la productivité agricole s’est accrue de 36 %.
18Et cette production de masse n’est plus considérée, désormais, avec une condescendance un peu méprisante. On n’oppose plus l’objet français qui est le fruit d’un artisanat de qualité et la production de masse, assimilée à une camelote de série. Les Etats-Unis, comme le constatent avec enthousiasme leurs admirateurs, ne fabriquent pas de pacotille. « L’Amérique est le pays où les portes se ferment sans bruit, où les robinets ne fuient pas, où les rideaux glissent toujours dans leur rainure, où le frigidaire ne se détraque jamais et où l’automobile n’est pas l’objet d’un culte, mais une simple commodité faite pour durer deux ans sans qu’on ait dans l’entretemps besoin de lever le capot »11.
19Gardons-nous toutefois de croire que l’économie américaine et ses perspectives d’avenir suscitent un optimisme béat, même parmi les thuriféraires des Etats-Unis. Les souvenirs de la crise de 1929 et de la Grande Dépression n’ont pas disparu. L’économie américaine apparaît toujours soumise à la menace des crises périodiques et du chômage massif qu’elles risquent d’entraîner.
20Aux yeux des Français, c’est la surproduction qui constitue le plus grave des dangers qui pèsent sur la prospérité américaine. Pour les plus pessimistes, une nouvelle dépression est, à plus ou moins long terme, pratiquement inévitable.
« Cette crise, d’aucuns la croient inéluctable. D’autres s’imaginent que de nouvelles améliorations du standard de vie sont possibles sans limites… Mais un jour viendra sans doute où l’équipement des Etats-Unis sera tel que la production dépassera sans aucune compensation les besoins de la consommation »12.
21Cette crainte de la crise économique peut a priori surprendre, alors que les Etats-Unis traversent une ère de prospérité. Mais il ne faut pas oublier que cette prospérité n’a pas été uniforme. Les Etats-Unis connaissent des années fastes, et d’autres qui le sont moins. La situation de certaines activités est médiocre : en 1948, les chantiers navals ont produit 380 000 tonneaux, alors que leur capacité avoisine les 20 millions. L’arrêt des commandes de guerre a gravement touché, outre les chantiers navals, l’aéronautique ou la production de machines-outils13. Les Etats-Unis connaissent même, en 1948 et 1949, pendant quelques mois, une brève récession.
22De plus, il ne faut pas oublier que les Américains redoutaient eux aussi une crise économique liée aux difficultés de la reconversion : la première guerre mondiale avait été suivie d’une crise de ce type. En 1946, le magazine Fortune réalise un sondage auprès de 1 500 hommes d’affaires. La majorité d’entre eux est alors persuadée qu’une grave crise économique frappera probablement les Etats-Unis dans les dix ans.
23André Armengaud, ingénieur de formation, parlementaire, connaisseur des questions américaines, insiste, à son retour des Etats-Unis où il a effectué un long voyage en 1951 et rencontré de nombreux hommes d’affaires, sur cette peur latente de la dépression « qui a laissé une telle marque qu’à aucun prix les Etats-Unis ne veulent revivre une telle période »14. Pourquoi les Français auraient-ils été plus confiants que les businessmen américains dans l’avenir de l’économie américaine ?
24La crainte d’une nouvelle crise ne semble pas avoir été limitée aux seules élites. Nous ne disposons, il est vrai, pour en juger, que d’un seul sondage, réalisé en juin 1948, à un moment où apparaissent les signes d’un ralentissement de l’économie américaine. Les Français sont alors très partagés sur les perspectives de l’économie américaine. 33 % des personnes interrogées redoutent qu’une nouvelle crise grave frappe les Etats-Unis dans les années suivantes, contre 33 % qui sont d’avis contraire et 34 % qui ne se prononcent pas15. L’opinion semble hésitante. Elle n’a probablement pas oublié la Grande Dépression.
25Il est probable, en outre, que subsiste alors chez de nombreux Français, en particulier dans les milieux patronaux, une certaine réticence vis-à-vis d’une croissance rapide. Déjà, au dix-neuvième siècle, économistes et patrons avaient dénoncé le modèle anglais d’industrialisation, qui risquait de déclencher des crises économiques dangereuses dans une France toujours prompte aux mouvements révolutionnaires et également de bousculer un équilibre et des hiérarchies jugés parfaits. Cette mentalité avait resurgi dans les années 1930 et la crise avait réhabilité la peur traditionnelle du suréquipement. Très profondément, on redoute la saturation du marché. Dans ces conditions, le prodigieux essor de l’économie américaine pouvait être considéré par les plus pessimistes comme le prélude d’une gigantesque catastrophe, d’une gravité sans précédent.
L’Amérique, terre de la productivité
26A partir de la fin des années 1940, nombreux sont ceux qui manifestent un intérêt croissant pour la productivité des travailleurs américains, qui apparaît considérablement supérieure à celle de leurs homologues français. « En moyenne on peut considérer qu’en 1947 la productivité horaire dans l’industrie américaine a été d’environ 5 fois plus élevée que dans l’industrie française »16. Il faut rappeler que l’intérêt accordé à la productivité du travail n’était pas une absolue nouveauté en France. Dès 1915, Henri Fayol, le créateur d’une forme française de taylorisme, avait écrit son Administration Industrielle et Générale. La crise des années 1930 a cependant entraîné une stagnation du rendement du travail et un ralentissement considérable des gains de productivité. Dans certains secteurs, en particulier les chemins de fer, on assiste même à une nette diminution de la productivité par employé.
27L’écart croissant entre les niveaux français et américains de productivité explique l’intérêt croissant qu’éveille le sujet. En effet, cet écart, déjà important à la fin des années 1930, a été encore creusé par la guerre. Alors que la première guerre mondiale avait pu accélérer la diffusion de certaines méthodes plus productives, celle de 1939-1945 a, au contraire, gelé tout progrès.
Indices de Productivité. Base 100 : Royaume-Uni 1939
1939 | 1947 | 1951 | |
Etats-Unis | 215 | 280 | 302 |
Royaume-Uni | 100 | 105 | 128 |
France | 90 | 75 | 100 |
Allemagne | 85 | 40 | 6017 |
28Dès 1941, des rapports sont établis sur la productivité. Surtout, le plan Monnet amorce une vaste entreprise de modernisation. Mais les effets sur la productivité n’en sont pas immédiats. En 1949, la productivité de 1938 n’est pas encore rattrapée.
29La question de la productivité est abordée par des économistes comme Maurice Allais ou des sociologues comme Jean Fourastié. On peut ici rappeler les ouvrages de ce dernier parus entre 1945 et 1949 : l’économie française et le monde, la civilisation de 1960, le grand espoir du vingtième siècle. Ces livres sont de véritables plaidoyers en faveur du progrès et de la productivité. Le slogan qui accompagne le lancement du vingtième siècle est explicite : « la mesure du progrès technique : la productivité du travail ».
30Mais c’est dans le cadre du plan Marshall que la campagne pour l’accroissement de la productivité va véritablement être lancée. En effet, les experts américains attribuaient une grande partie des difficultés européennes à la faiblesse de la productivité du travail. Ils ont donc élaboré un programme d’assistance technique qui devait permettre aux Européens de mieux gérer leurs usines, leurs fermes ou leurs bureaux, afin d’utiliser efficacement l’aide américaine et d’en profiter pleinement.
31Outre sa finalité pratique, la campagne en faveur de la productivité présente, pous ses promoteurs, un intérêt idéologique évident. Elle est en effet présentée, parfois tout à fait explicitement comme une alternative au socialisme. Alors que Marx prédisait que le capitalisme devait fatalement réduire les masses à une misère sans cesse croissante, l’exemple américain permet d’affirmer que cette prédiction, loin de se réaliser, a été contraire démentie par les faits, le niveau de vie n’ayant cessé de s’élever aux Etats-Unis depuis le milieu du dix-neuvième siècle. Cette constante amélioration, liée aux progrès de la productivité, démontre que l’auteur du Capital s’est trompé. Le marxisme, dès lors, est dépassé et le socialisme scientifique ne constitue plus, de ce fait, que l’orthodoxie d’un fanatisme.
32Les Européens soucieux d’améliorer leurs conditions de vie et d’accéder à leur tour à l’abondance doivent donc renoncer aux conceptions archaïques du marxisme et accorder enfin une juste place à la productivité. Alors, au lieu de s’affronter en permanence dans une lutte vaine et destructrice, de se disputer les miettes d’un revenu national limité et stagnant, les différentes classes sociales pourront, grâce à un appareil de production et de distribution de plus en plus rationalisé, jouir des fruits d’une prospérité générale toujours accrue18.
33Le groupe de travail sur la productivité, dirigé par Jean Fourastié, est créé dès 1948. Son objectif est de diffuser une documentation aussi abondante que possible sur la productivité, de former des hommes capables de l’enseigner et, déjà, d’envoyer des stagiaires aux Etats-Unis. En 1950 est fondée l’A.F.A.P., l’Association Française pour l’Accroissement de la Productivité, qui bénéficie d’importants fonds américains et qui va organiser les missions de productivité aux Etats-Unis.
34Plus de 450 missions vont se succéder entre 1950 et 1953, et plus de 4 000 visiteurs ont pu se rendre aux Etats-Unis afin de « multiplier les contacts directs, entre spécialistes de mêmes problèmes, dont la vie professionnelle est dominée par des soucis identiques, mais qui n’auraient jamais eu, sans doute, l’occasion de se rencontrer et d’échanger leurs expériences. Très anglo-saxonne dans son principe, solidement appuyée sur des habitudes américaines…, cette méthode… constitue à présent l’un des chapitres essentiels, et l’une des actions les plus efficaces des programmes d’Assistance Technique et de Productivité »19.
3545 % des membres de ces missions de productivité étaient des ingénieurs ou des cadres, 30 % des hauts fonctionnaires, des économistes, des psychologues, des sociologues, 25 % des représentants syndicaux. Ces « stagiaires » français ont visité des usines, des fermes, des entrepôts, des universités, des centres de recherche. Ils ont rencontré aussi bien des chefs d’entreprise, des ingénieurs, des cadres, que des fonctionnaires, des fermiers, des ouvriers, des chercheurs.
36De retour en France, ces mission diffusent les méthodes américaines, par la publication de rapports et de brochures, ou par l’enseignement : en 1950, 20 000 cadres et agents de maîtrise suivent les cours du soir organisés par l’A.F.A.P. et la C.N.O.F. (Commission Nationale de l’Organisation Française).
37La conception de l’économie américaine qui est ainsi diffusée est naturellement globalement très positive.
38Pour expliquer la forte productivité des travailleurs américains, les admirateurs des Etats-Unis insistent prioritairement sur les facteurs humains. Ce ne sont pas, en effet, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les techniques industrielles qui ont d’abord retenu l’attention.
39La constatation la plus saisissante, pour les voyageurs français, est certainement la place prééminente de ces facteurs humains dans les performances de l’économie américaine. Les mentalités américaines seraient particulièrement favorables à l’amélioration constante de la productivité. Les éléments qui sont le plus souvent mentionnés sont :
« le sens pratique ;
la confiance dans le progrès technique ;
le respect de la personnalité individuelle ;
l’esprit de coopération dans le travail ;
l’absence du « sentiment de classe » au sens où nous l’entendons en France »20.
40Maurice Allais n’hésite pas à faire un véritable panégyrique du travailleur américain, étonnant parangon des vertus productives : dynamique, ayant foi dans l’avenir, le sens des responsabilités, le goût de l’entreprise, sachant accepter les risques. Dur au travail, il est également consciencieux et accepte bien plus volontiers que son homologue européen, et en particulier français, de se soumettre à la discipline de l’entreprise21.
41L’importance accordée aux facteurs humains explique que les entreprises utilisent alors de plus en plus les méthodes des « human relations », qui permettent de limiter les tensions internes des entreprises, conçues comme des communautés dont tous les salariés sont partie prenante. « Il s’agit en somme de créer un climat détendu, propice au travail en commun, agréable pour le personnel, fructueux pour tous »22.
42Les « human relations » provoquent cependant de très vives réticences. Leur philosophie implicite est organiciste : l’entreprise est un corps dont tous les membres doivent coopérer pour le bien commun. Les luttes intestines ne peuvent qu’affaiblir l’entreprise et nuire à tous les salariés dont le bien-être dépend de la prospérité générale. Dans cette perspective, la lutte des classes n’est qu’une illusion perverse.
43Même parmi les admirateurs des Etats-Unis, nombreux sont ceux qui ne partagent pas cet organicisme plus ou moins latent. C’est le cas du sociologue Michel Crozier qui, en 1951, publie un livre plutôt favorable au syndicalisme américain, mais critique violemment les « human relations ». Celles-ci lui semblent en fait trop favorables au patronat. Elles portent atteinte à la vie privée des travailleurs. A la limite, elles peuvent constituer une tentative de manipulation et d’aliénation. Elles sont, de toute façon, inapplicables en France, où les salariés ne les accepteraient pas23.
44Cette méfiance fréquemment ressentie pour les « human relations » n’empêche pas les Français d’être frappés par certaines des méthodes utilisées. C’est le cas des « boîtes à idées ». Dans de nombreuses entreprises américaines existaient alors des procédures destinées à recueillir et à encourager les suggestions du personnel. « Rares sont ces usines où nous ne vîmes pas dans les ateliers de « boîtes à suggestions » accompagnées de formules toutes préparées. On les récompense. Le pourcentage de suggestions retenues a de quoi étonner des enquêteurs français : il dépasse souvent 50 % »24.
45Cet étonnement n’est en fait pas nouveau. Dès la fin du dix-neuvième siècle, des voyageurs français avaient ressenti cette surprise et cette admiration en découvrant des boîtes à idées dans les entreprises américaines. Pendant les années 1980, les Français, toujours à la recherche d’un modèle d’efficacité économique, découvriront avec émerveillement les boîtes à suggestion des entreprises japonaises, preuve incontestable de l’originalité et de la supériorité de l’archipel nippon.…
46Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, il est probable que la redécouverte des boîtes à idées permet de mieux opposer deux types d’entreprises.
47Aux Etats-Unis, l’entreprise est un monde ouvert, transparent où l’information circule aisément et peut facilement remonter des employés ou des ouvriers jusqu’à la direction qui prend en compte et récompense l’initiative et la réflexion25.
48A la même époque, l’entreprise française apparaît au contraire comme un univers cloisonné, où l’encadrement s’ouvre peu aux flux d’information, aux données que fournissent les ouvriers, et même, bien souvent, la maîtrise ou les ingénieurs.
49Dans ces conditions, il ne peut guère y avoir en France de promotion des plus productifs et des plus innovants. L’initiative n’est pas récompensée par le pouvoir de consommer, ce qui encourage la stagnation dans une certaine médiocrité26. Seule une réorganisation profonde des entreprises peut permettre de remédier à une situation aussi préoccupante.
50Parmi les facteurs humains favorables à la productivité, il faut également citer le rôle des cadres, qui étaient d’ailleurs un des objectifs majeurs des missions de productivité : il s’agit de convertir les cadres à la nouvelle idéologie productiviste, dont ils doivent être les agents essentiels27 .
51Après la deuxième guerre mondiale, l’image des cadres américains est certainement attrayante pour leurs confrères européens moins bien lotis : ils ont reçu une formation soignée, en grande partie assurée par les universités. Ces cadres qualifiés disposent des équipements de bureau les plus modernes et les plus performants. Il ne sont donc pas débordés ou harassés : pouvant en fait accomplir rapidement le travail courant, ils ont le loisir de se concentrer sur la politique générale de l’entreprise et ses perspectives à long terme28.
52La modernisation (l’américanisation) des entreprises françaises implique que les cadres soient désormais au cœur d’un véritable combat à la fois psychologique et gestionnaire : ils doivent désormais, comme aux Etats-Unis, implanter les nouvelles techniques d’organisation, animer les flux de communication dont l’importance est vitale pour l’entreprise, se former en permanence et apprendre, avant tout, à dialoguer et à déléguer une partie de leurs responsabilités.
53Si les facteurs humains jouent un rôle essentiel, l’organisation du travail est également très importante. Dès la fin du dix-neuvième siècle, les voyageurs français estimaient que les usines américaines étaient en général organisées pour rendre la vie de l’ouvrier plus supportable : le souci de clarté, d’hygiène, était évident29. De même, après 1945, les Français insistent sur la propreté, la sécurité et même parfois le confort des usines américaines, bien supérieur à ce que l’on peut rencontrer dans les usines françaises30.
54Dans ces usines modèles, le travail est minutieusement préparé et rationnellement organisé. En conséquence, il est régulier, mais pas précipité. L’ouvrier américain travaille mieux, mais pas plus durement que son confrère français. Souvent même, il semble plus lent, et cette lenteur apparente du travail américain a étonné de nombreux voyageurs, qu’ils soient ou non membres des missions de productivité.
55C’est le cas de Jules Romains qui décrit ainsi le travail de deux peintres américains : « ils ne trahissaient aucune hâte, ne donnaient pas le moindre sentiment de bousculade. Mais je n’ai pas réussi à leur voir faire un geste inutile… Aucun des deux n’a eu soudain besoin de retourner à l’atelier pour y quérir une couleur ou un pinceau qui lui manquaient31 ».
56L’Amérique est bien « ce pays où l’action ressemble comme une sœur à la relaxation… »32. Cette insistance sur la lenteur et la décontraction des ouvriers américains permet sans doute de mieux souligner que les hauts niveaux de productivité des Etats-Unis ne sont pas le fruit d’un effort accru, perspective qui n’aurait pu manquer d’inquiéter les salariés français.
57Pour parvenir à une organisation aussi remarquable du travail, les Américains soignent l’organisation interne de leurs usines, de leurs fermes, de leurs bureaux. Ils s’efforcent, en particulier, d’éliminer les manipulations inutiles qui pèsent sur les prix de revient33.
58Mais cet effort d’organisation ne peut réussir qu’en étant accompagné d’un effort constant de mécanisation. Partout aux Etats-Unis, l’équipement est récent et abondant34. On peut supposer que les Français étaient d’autant plus enclins à admirer cet effort d’équipement qu’il contraste cruellement avec la situation française. En 1945, l’âge moyen des machines-outils françaises s’élève à 24 ans contre 6 à 9 ans au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis. Et la guerre n’est pas la seule responsable de cette situation dramatique : en 1938 déjà, 10 % des machines-outils utilisées en France avaient plus de 50 ans !
59Ainsi que nous avons déjà pu l’indiquer, il est évident que les louanges adressées aux méthodes américaines par les membres des missions de productivité, les économistes, les sociologues correspondent à une critique, souvent implicite, parfois explicite, des entreprises françaises et, en particulier, de leurs dirigeants : « la mentalité du chef d’industrie américain est profondément différente de la mentalité des chefs d’industrie de l’ancien monde et plus spécialement de notre pays. Il n’y a pas de hiérarchie établie à l’avance. Il ne suffit pas d’être le fils de son père pour avoir le droit d’hériter et de conduire l’affaire. Il faut faire la preuve que l’on a acquis les connaissances, que l’on a le caractère qui permettent de développer et de conduire cette affaire35 ».
60Cette dénonciation du patronat français, de sa mentalité et de ses pratiques, est alors courante. De fait, longtemps, les mentalités patronales sont en effet restées traditionnelles, marquées par l’individualisme familial, la crainte des investissements et l’hostilité générale aux lois sociales. La prudence avait pu se muer en immobilisme pendant la crise des années 1930. Dès lors, il était facile de dénoncer les conceptions malthusiennes d’un patronat pessimiste, incapable d’affronter les nouvelles réalités économiques. La guerre a achevé de déconsidérer le patronat.
61Cette image très négative était certes quelque peu caricaturale. Dès les années 1930, certains capitalistes français avaient su innover et accepter la compétition. Il est cependant évident que ces patrons pionniers n’étaient pas forcément représentatifs de l’ensemble du patronat français dont l’image restait, parfois à juste titre, entachée d’un incontestable archaïsme. Le patronat français est donc condamné en raison de son conservatisme étroit. On lui reproche de s’opposer à tout changement constructif et de négliger l’innovation. Ses conceptions de la direction et de la gestion, trop autoritaires, sont dépassées.
62La croisade de la productivité doit donc modifier l’attitude du patronat.
63Elle doit également convaincre les salariés, en particulier les ouvriers, des avantages du système américain : pour cela, il fallait démontrer que le niveau de vie américain découlait directement d’une productivité élevée et que celle-ci impliquait pour les ouvriers, un travail mieux organisé, dans un cadre agréable et non un travail accru. Il fallait également démontrer que l’accroissement de la productivité n’allait pas entraîner un chômage important mais pouvait, au contraire, créer de nouveaux emplois36.
64L’on peut sans doute considérer que la croisade de la productivité a, dans une large mesure, atteint ses objectifs.
65Il semble difficile d’en nier les résultats concrets. Si l’on prend l’exemple de l’extraction charbonnière, le nombre des mineurs de fond, après avoir culminé à 216 000 en 1949, régresse jusqu’à 155 000 en 1953, mais le rendement progresse de 53 % et les méthodes modernes s’imposent : le marteau piqueur, seul ou associé à l’explosif domine désormais. Si on ne peut, bien entendu, attribuer ce bond en avant aux seules leçons de l’A.F.A.P. et des missions de productivité, l’idée de productivité est désormais bien enracinée. Dorénavant, il s’agit d’adapter l’outillage au producteur et de développer de nouvelles formes de coopération sociale et non plus d’obtenir une simple augmentation de l’effort ouvrier.
66Outre les explications déjà avancées, le succès de la campagne de la productivité et du modèle américain s’explique sans doute également par un sentiment d’urgence. Les Français prennent conscience de la médiocrité relative du niveau de vie avant 1939. Et pourtant, ce niveau de vie médiocre n’était pas assuré par la seule production française. De 20 à 25 % des importations étaient en fait payés par le revenu des placements à l’étranger. Or, la France a perdu pendant la guerre ses capitaux placés à l’étranger et doit donc exporter davantage pour payer ses importations. Pour retrouver le niveau de vie, pourtant médiocre, de 1938, la France doit largement dépasser le niveau de production atteint avant 1939. Elle n’a plus le choix qu’entre rénover son appareil de production ou décliner. Elle ne pouvait donc refuser d’adopter une partie des méthodes américaines qui étaient, avant tout, des méthodes modernes.
67Précisons cependant que la campagne pour l’accroissement de la productivité n’ a pas déclenché un enthousiasme universel. Même si nous laissons de côté les américanophobes systématiques, l’augmentation de la productivité bousculait trop d’habitudes et trop de traditions pour ne pas susciter des réticences, dont l’on peut apercevoir la trace dans Jour de fête de Jacques Tati.
68Ce film sort sur les écrans en 1949, il a été réalisé peu de temps avant l’envoi aux Etats-Unis des premières missions françaises de productivité et il nous montre comment le modèle américain fait irruption à Sainte-Sévère, petit village de la France profonde. La première partie de Jour de fête est consacrée pour l’essentiel à la tournée de François, le facteur, qui apparaît bien peu soucieux de respecter les normes de son travail : la régularité et, plus encore, la rapidité du service n’ont de toute évidence pour lui qu’ une importance et une valeur secondaire.
69Mais François assiste à la projection d’un documentaire sur la poste aux Etats-Unis. Cette scène constitue le tournant du film. Dès lors, François, sous la pression du village qui veut lui imposer d’être aussi performant que les « postmen » américains, va entreprendre de modifier entièrement ses méthodes de travail et adopter une attitude productive. D’où une recherche de l’efficacité, qui contraste d’ailleurs avec la passivité de ses collègues qui persistent dans leur routine. L’effort de productivité se traduit par une tentative d’accélération et de rationalisation de la tournée. Les résultats en seront d’ailleurs catastrophiques, François terminant sa course dans une rivière… Surtout, le travail à l’américaine apparaît largement déshumanisé, à l’opposé de la convivialité semi anarchique qui avait caractérisé la première moitié de Jour de fête.
70François, laissant à un enfant le soin de terminer sa tournée, va, à la fin du film, aider un groupe de paysans à faire la moisson, attitude aussi éloignée que possible de la tentative antérieure de rationalisation du travail. Les méthodes plus productives adoptées par François apparaissent en fait inadaptées à Sainte-Sévère. C’est sans doute une vieille paysanne qui tire la conclusion de cette aventure en affirmant que les méthodes américaines conviennent sans doute aux Etats-Unis, mais qu’ il n’ en va pas forcément de même en France.
71Le scepticisme, doublé d’une certaine méfiance, dont témoigne Jour de fête est loin de constituer un cas unique. C’ est ainsi que beaucoup des membres des missions de productivité ont pu, tout en admirant l’extraordinaire efficacité économique des Etats-Unis, s’inquiéter du prix socioculturel élevé qu’ imposerait l’ adoption des méthodes américaines et redouter la mutation radicale de la France qu’elle supposait37.
La terre de l’harmonie sociale
72Les Etats-Unis ne sont pas seulement un modèle économique. Ils offrent également l’exemple d’une société moins conflictuelle que la société française. Leurs admirateurs vont parfois jusqu’à affirmer qu’« il n’y a pas de lutte des classes aux Etats-Unis »38.
73Cette apparente harmonie sociale a représenté dès la fin du XVIIIe et au XIXe siècles une des composantes de l’attraction qu’ont longtemps exercé les Etats-Unis sur les Français, en particulier à gauche. Mais, à partir des années 1870, et pendant un quart de siècle, la perception des Etats-Unis comme le pays de l’égalité et le paradis des travailleurs disparaît. Un mythe de gauche s’était alors désintégré et les Etats-Unis cessent un temps d’être considérés comme la terre promise des travailleurs.
74En fait, c’est plus d’une éclipse que d’une disparition qu’il convient de parler. Mais le modèle américain qui ressurgit bientôt est désormais utilisé par la droite, ou du moins par une partie de la droite, en particulier les libéraux. En 1945, il y a déjà longtemps que la droite libérale observe avec statisfaction la manière dont les Etats-Unis règlent un problème social qui semble beaucoup moins menaçant qu’en Europe39. En fait, après 1945, ce modèle apparaît surtout comme une alternative possible, et attrayante, au communisme stalinien.
75Les admirateurs des Etats-Unis vont d’abord souligner la persistance d’une forte mobilité sociale. L’Amérique reste à leurs yeux la terre des opportunités, celle des enrichissements prodigieux, le pays du self-made-man. Un peu comme les soldats de Napoléon, les citoyens américains sont persuadés d’avoir tous un bâton de maréchal dans leur giberne.
76Pierre et Renée Gosset peuvent ainsi décrire l’ascension de Glenn Mac Carthy, « né pauvre à l’ombre du… plus riche gisement pétrolifère du monde. Il a fait, comme tout le monde, dix métiers avant de faire fortune. Et il a fait fortune plusieurs fois mais toujours de façon honnête… »40.
77A une société française perçue comme relativement figée s’oppose donc la fluidité persistante du tissu social américain. Le self-made-man permet de mieux critiquer les pesanteurs qui freinent le changement dans une société bloquée, encore dominée par une bourgeoisie considérée comme rentière, morose et gardienne de valeurs dépassées. Il importe peu, dans ces conditions, à certains thuriféraires du modèle social américain, que l’image du self-made-man ne corresponde peut-être plus que partiellement avec la réalité. D’autres observateurs, cependant, estiment que le self-made-man fait en réalité désormais partie du passé. Les carrières deviennent moins rapides, et une certaine hérédité sociale tend à remplacer la mobilité antérieure. « Les hommes se hissant de la base aux sommets de l’industrie et du business sont de plus en plus rares. Les executives sont souvent remplacés par leur fils : il s’ensuit une diminution du nombre des ouvertures pour les rejetons venus des couches sociales inférieures… Les grands capitaines d’industrie éduquent leur fils à prendre leur place… Combien de « Jr » (Junior) suivent aujourd’hui les noms des gens en place, aux Etats-Unis…! »41.
78En fait, c’est la stratification de la société américaine en classes sociales analogues à celles de l’Europe qui est annoncée : c’est donc la fin de l’exception américaine liée à la conquête et à la mise en valeur d’un nouveau continent.
79Ce point de vue relativement pessimiste est probablement plus réaliste et tient davantage compte de l’évolution sociale que connaissent alors les Etats-Unis. Si, en 1900, 39 % des riches étaient d’origine modeste, ils ne sont plus que 9 % en 1950. Par contre, 68 % des riches proviennent d’une famille qui était déjà riche, alors qu’ils n’étaient que 39 % en 1900. Le Self-made-man est donc de plus en plus un mythe42, et bien des obstacles contribuent désormais à entraver les réussites fulgurantes.
80En premier lieu, la pression fiscale est devenue très lourde. Elle ruine donc tout espoir d’amasser rapidement une fortune considérable. Des impôts très élevés pénalisent les plus productifs et les plus audacieux : « les grands créateurs tendent de plus en plus à n’être que des employés supérieurs »43. Effectivement, à partir des années 1930, et du New Deal, la fiscalité américaine, longtemps très légère, tend à réduire les inégalités par le biais d’un impôt fortement progressif. Les prélèvements atteignent des records pendant la deuxième guerre mondiale dont il faut financer le coût gigantesque. Sur la tranche de revenu la plus élevée, le taux marginal grimpe à 90 %. Cette lourde ponction n’est guère réduite après 1945, car il faut amortir la dette, puis payer les dépenses de la guerre de Corée.
81Cette situation n’empêche pas, à vrai dire, les Etats-Unis de demeurer un modèle social. Mais le contenu de ce modèle a considérablement changé. La fiscalité permet désormais une certaine redistribution des revenus. De 1935 à 1950, la part du revenu national des 20 % les plus riches diminue de 12 % et celle des 20 % les plus pauvres augmente de 17 %. Cette situation déplaît d’ailleurs à certains observateurs, attachés au libéralisme, qui estiment que la pression fiscale, dont ils admiraient auparavant la légèreté, est devenue tout à fait déraisonnable, au risque de décourager les plus travailleurs et les plus entreprenants. Ils regrettent l’égalitarisme farouche qui aurait gagné les Etats-Unis et se demandent avec perpléxité si, par certains aspects, les Américains ne sont pas devenus plus communistes que les soviétiques44 .
82Cette évolution, qui rompt avec l’individualisme ancien, transforme la société américaine en une vaste classe moyenne, où les modes de vie tendent à s’uniformiser. C’est le nouveau modèle social américain, qui s’esquisse depuis le début du XXe siècle : celui d’un nouvel équilibre, établi autour d’une classe moyenne en pleine expansion.
83L’ère démocrate, par la mise en place du Welfare State, a accéléré les progrès de ce modèle, dont beaucoup de Français chantent les louanges. « L’Amérique n’est pas encore le pays de l’égalité, mais elle donne à l’Europe l’exemple du progrès vers une moins grande différence des conditions. Les fermiers, même dans les coins les plus reculés, ont une maison confortable, avec une salle de bains, un frigidaire électrique, un poste radio. Les ouvriers des villes ont leur auto, achetée d’occasion, et qu’ils ont réparée eux-mêmes. Ils mangent bien… Tout le monde dans la rue a le même costume, les employés comme les travailleurs manuels… »45.
84Cette analyse est sans doute en grande partie pertinente. La classe moyenne américaine n’a effectivement cessé de se renforcer du début du XXe siècle aux années 1980. Les admirateurs des Etats-Unis pouvaient donc, dans une certaine mesure, estimer qu’ils étaient en passe de devenir une société sans classe, même si elle ne correspondait guère à ce qu’avait pu imaginer Marx. André Armengaud peut évoquer une véritable révolution, qui n’était pas prévue par les théoriciens, et qui permet à l’ouvrier d’usine de se sentir véritablement l’égal de l’ingénieur ou du patron qui le commande.
85Cette situation a sans doute d’autant plus impressionné les Français que leur pays, au milieu des années 1950, reste encore, dans une large mesure, divisé en blocs sociaux rigides, éloignés les uns des autres46. Les couches populaires n’accèdent pas à l’aisance et la mobilité sociale ascendante reste rare. Il n’est pas vraiment possible de constater une uniformisation des revenus et des genres de vie. Dans ce domaine, la période étudiée prolonge, en fait, les années 1930. Ce n’est qu’à la fin des années 1950 et dans les années 1960 que l’entrée de la France dans la société de consommation commencera à estomper, dans une certaine mesure, les différences entre les classes.
86Même lorsqu’ils admiraient l’économie et la société américaines, les Français n’ont pas toujours été insensibles à l’existence d’un lumpenproletariat nombreux, dont les conditions de vie étaient souvent sordides. Mais, alors que l’existence d’un sous-prolétariat souvent noir, dont la misère contraste avec l’aisance ambiante est devenue, au début des années 1990, l’une des composantes majeures de l’image des Etats-Unis, elle ne suscite, après la deuxième guerre mondiale, sauf chez les communistes, que des mentions dispersées, souvent très brèves.
87Sans doute ces poches de pauvreté frappent-elles moins les voyageurs venus d’une France appauvrie. Elles peuvent nuancer l’impression de prospérité et de bien-être, non la démentir : l’important est que les Etats-Unis soient parvenus à élever le niveau de vie d’une grande majorité de leur population. C’est alors la réussite globale qui frappe des voyageurs venus d’un pays pauvre. Les échecs particuliers n’empêchent donc pas, même s’ils sont nombreux, les Etats-Unis d’être la terre de l’harmonie sociale.
88La puissance et la modération des syndicats vont constituer une des meilleures preuves de ce succès. Nombreux sont les Français qui constatent en effet la puissance et l’influence des syndicats américains, dans la politique intérieure ou dans la diplomatie des Etats-Unis47.
89Or, la période que nous étudions est au contraire marquée, en France, par une crise du syndicalisme. De la Libération à 1947, l’influence communiste ne cesse de progresser à l’intérieur de la C.G.T.A partir de 1947, les communistes sont à la pointe de tout mouvement revendicatif, et la C.G.T. devient un champ clos où se déroule l’affrontement entre la majorité et Léon Jouhaux et ses amis qui refusent la colonisation communiste48. La scission, devenue inévitable, se produit le 19 décembre 1947.
90Les minoritaires qui vont former la C.G.T.-F.O. bénéficient de la sympathie active des Américains, en particulier de l’A.F.L., viscéralement hostile aux communistes et qui souhaitait libérer les syndicats européens de leur emprise49. Si les Américains ne disposaient pas d’une influence suffisante pour provoquer l’éclatement de la principale centrale syndicale française, ils ont fourni l’aide matérielle indispensable à la survie de la nouvelle confédération (ressources, locaux, etc…)50.
91L’intervention des syndicats américains dans les affaires intérieures de la France n’était pas forcément du goût des Français, même anticommunistes51 . Elle ne pouvait cependant qu’accroître l’intérêt manifesté par les Français pour ces syndicats.
92Cet intérêt est cependant bien antérieur à la période considérée. Il remonte en fait à la fin du XIXe Siècle. Les Français avaient été étonnés par la puissance de l’A.F.L., ses ressources financières considérables, ses capacités d’organisation, le luxe de ses bureaux. Les conservateurs, ainsi que nous avons déjà pu le voir, avaient apprécié sa modération que critiquaient déjà les socialistes. Les syndicats américains semblaient chercher à régler les conflits plus qu’à les envenimer, et la droite notait avec satisfaction que l’ouvrier américain se contentait de gros salaires et ne cherchait pas à prendre la place du patron.
93Cet intérêt n’avait pas disparu pendant l’entre-deux-guerres. Les années 1920, marquées par un certain déclin du syndicalisme américain, avaient cependant vu la parution du Problème ouvrier aux Etats-Unis d’André Philip (Alcan, 1927) et de Standards de Hyacinte Dubreuil (Grasset, 1929). Le New Deal avait avivé la curiosité et le même Hyacinte Dubreuil, dès 1934, s’intéressait aux Codes de Roosevelt (Grasset), Robert Marjolin décrivait en 1936 L’évolution du syndicalisme aux Etats-Unis de Washington à Roosevelt (Alcan). On peut également noter la parution en 1939 du Mouvement ouvrier aux Etats-Unis d’Albert Guigui (Institut Supérieur Ouvrier).
94Parmi ceux qui s’intéressent aux syndicats américains après 1945, on peut d’abord insister sur l’itinéraire d’un Michel Crozier. Celui-ci, venu tout jeune aux Etats-Unis, en 1947 et 1948, passe 14 mois dans la plupart des Etats et séjourne dans les plus grandes villes industrielles où il travaille sur présentation des syndicats. C’est donc de l’intérieur qu’il va apprendre à connaître les milieux ouvriers et syndicaux des Etats-Unis. Michel Crozier est alors dominé par un sentiment de révolte contre une société française qu’il juge étriquée. Mais, au départ, il est déçu par les Etats-Unis. Ce n’est qu’à son retour en France que son jugement sur les Etats-Unis et leurs syndicats devient plus positif.
95Introduisant son étude sur les syndicats américains, Michel Crozier souligne à quel point ce sujet pouvait déchaîner les passions dans un mouvement ouvrier en proie aux déchirements de la guerre froide : « Des militants ouvriers passionnés par le bien-être et la promotion des travailleurs refusent d’entendre leurs camarades américains ; ils ne veulent connaître de l’Amérique que la violence des préjugés raciaux. D’autres militants, tout aussi sincères et aussi authentiquement ouvriers, en sont arrivés à prendre le frigidaire et la machine à laver des réclames publicitaires comme la solution de tous les problèmes, une sorte de poule au pot du bon roi Henri »52.
96Ce que vont alors rechercher aux Etats-Unis ceux qui ne sont pas membres ou sympathisants du parti communiste et en particulier les militants de la C.G.T.-F.O., de la C.F.T.C., de la C.G.C., nombreux dans les missions de productivité, c’est la confirmation qu’un syndicalisme puissant, efficace, mais réformiste et étranger à la sphère communiste, est possible. Il s’agit donc de démontrer la puissance de ces syndicats et d’en démonter les ressorts.
97Cette puissance apparaît d’abord liée au nombre élevé d’adhérents. Les syndicats regroupent un tiers des ouvriers et des employés. Ils essaient en outre de recruter davantage chez les cadres et les agriculteurs. Grâce aux cotisations de leurs nombreux membres, ces syndicats disposent de moyens considérables : beaucoup seraient milliardaires en francs !53.
98Cette richesse leur permet de disposer de moyens qui émerveillent les Français : bureaux modernes, spacieux et confortables, personnel nombreux et bien payé, bureaux d’études chargés de fournir aux dirigeants syndicaux tous les moyens dont ils peuvent avoir besoin. Des économistes, des juristes, travaillent pour les syndicats, qui peuvent donc négocier sur un pied d’égalité avec le patronat54.
99Les dirigeants syndicaux sont puissants, restent longtemps en poste et sont très bien payés, ce qui ne scandalise pas les Américains mais étonne beaucoup de Français, qui ont, semble-t-il, du mal à imaginer qu’un dirigeant syndical ne soit pas un militant désintéressé, à la limite de l’ascétisme (que cette image ait correspondu, en France même, à une réalité ou, plus probablement, à une certaine forme de mythe)55.
100Ce syndicalisme puissant accepte le système capitaliste et la libre entreprise. Raymond Aron souligne l’engagement des syndicats en faveur de cette dernière. L’ouvrier, aux Etats-Unis « croit en la vertu de la concurrence et de l’initiative. Il croit que le meilleur système est celui qui stimule la production et le rendement »56. Les partisans du libéralisme économique peuvent en fait affirmer avec une satisfaction non dissimulée que la montée du mouvement syndical américain accompagne et conditionne le renforcement du capitalisme qui va lui même entraîner l’enrichissement de la société entière.
101En d’autres termes, la prospérité syndicale et la prospérité nationale leur paraissent intimement liées : le syndicat, en veillant à ce que le pouvoir d’achat des masses soit aussi élevé que possible, travaille automatiquement pour que la machine industrielle puisse continuer à tourner. En effet, plus l’industrie produit et plus le marché intérieur doit pouvoir absorber. Dans ces conditions, la prospérité du capitalisme américain dépend donc, en dernière analyse, de la combativité des syndicats, devenus des rouages essentiels du système.
102Cette interprétation libérale ne fait pas, cependant, l’unanimité. Beaucoup de militants syndicaux envoyés Outre-Atlantique sont visiblement plus réservés. Ils ne croient pas que la lutte des classes n’existe pas aux Etats-Unis et que l’opposition entre le capitalisme et la classe ouvrière n’est plus qu’une chimère. Les syndicats américains, selon eux, acceptent le système capitaliste comme un fait, capable d’assurer aux salariés un niveau de vie satisfaisant. Mais si le capitalisme devait échouer, « c’est tout le contrôle de l’économie qu’ils réclameraient »57.
103Ce sont donc deux interprétations notablement différentes qui s’opposent ici. Celle des libéraux ou des conservateurs qui croient avoir trouvé la terre promise où même les militants syndicaux sont convaincus des bienfaits de l’initiative privée et celle de militants syndicaux qui ne sont guère attirés par une forme de collaboration de classes, même lorsqu’ils sont très hostiles aux communistes et prêts à admettre les bienfaits du système américain.
104En dépit de cette divergence, qu’il ne faut pas sous-estimer, la plupart des observateurs sont persuadés que, décidément, les relations entre le patronat et les syndicats sont différentes de l’autre côté de l’Atlantique. La meilleure preuve en est que les syndicats n’hésitent pas à venir en aide aux entreprises en difficulté, leur fournissant une assistance technique ou financière58.
105La plupart des observateurs notent également avec une évidente satisfaction l’anticommunisme souvent virulent du mouvement syndical américain : l’A.F.L. est à la tête du combat anticommuniste, et le C.I.O., où les communistes avaient acquis une influence non négligeable à la fin des années 1930, s’est épuré de lui-même à partir de 1948. Au début des années 1950, les communistes ont donc perdu l’essentiel de l’influence qu’ils exerçaient auparavant sur les syndicats : « les survivances communistes sont, dans l’ensemble, de peu d’importance »59. Cet anticommunisme intéresse évidemment les militants syndicaux français confrontés à la C.G.T. C’est certainement avec un secret plaisir qu’ils peuvent rapporter que les Américains leur ont souvent « déclaré qu’il était incompatible d’être à la fois un bon syndicaliste et un communiste »60.
106Ce syndicalisme qui recherche la coopération et non l’affrontement est de toute façon, aux yeux des Français, justifié par ses résultats : il crée une atmosphère favorable à l’accroissement de la productivité, facilite la croissance et permet aux salariés de jouir du plus haut niveau de vie du monde.
Les débuts de la société de consommation
Le niveau de vie en France et aux Etats-Unis au lendemain de la deuxième guerre mondiale (Décomposition en %)61

107L’harmonie et l’équilibre de la société américaine sont sans doute liés, pour les observateurs européens, à sa fluidité et à l’égalisation relative des conditions que facilite l’affirmation des classes moyennes. Ils s’expliquent aussi, dans une large mesure, par le niveau de vie le plus élevé du monde.
108Rappelons encore que l’écart entre la France et les Etats-Unis est alors considérable : venus d’un pays pauvre, les Français découvrent la société de consommation. A vrai dire, cette situation n’est pas entièrement nouvelle.
109Dès les années 1920, les Etats-Unis étaient entrés dans l’ère de la consommation de masse, où une proportion croissante de citoyens dispose d’une quantité sans cesse accrue de produits de qualité. Cette situation contribue certainement au prestige des Etats-Unis qui repose en grande partie sur l’élaboration d’un style de vie fait d’aisance et de confort. La crise des années 1930 avait entraîné l’effondrement temporaire de ce modèle mais, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, l’écart est plus marqué que jamais.
110Cette découverte de la société de consommation peut en fait être rapprochée d’une situation assez comparable. La France, au lendemain des guerres napoléoniennes avait découvert avec étonnement les progrès de l’économie britannique, la première société industrielle et le confort anglais. C’est désormais le haut niveau de vie dont jouit la population qui fait des Etats-Unis, aux yeux de leurs admirateurs, l’image de l’avenir. Maurice Allais estime que l’ouvrier américain vit aussi bien que le bourgeois français. Le pouvoir d’achat moyen du salaire de base est selon lui quatre ou cinq fois plus élevé aux Etats-Unis qu’en France62. Pour André Siegfried, « le niveau de vie européen actuel semble aussi loin du niveau de vie américain que le niveau asiatique du niveau européen… L’humanité occidentale américaine s’est ainsi habituée à un genre de vie que l’Europe ne peut plus égaler »63. On peut considérer qu’une des opinions les plus répandues parmi les admirateurs des Etats-Unis est alors que le salarié américain dispose d’un revenu trois ou quatre fois supérieur à celui du salarié français.
111Si la différence entre les revenus bruts est effectivement considérable, on peut toutefois se demander si l’écart n’est pas, cependant, légèrement surestimé par les Français, au moins à partir du début des années 1950. En effet, les impôts sont alors beaucoup plus lourds aux Etats-Unis. De plus, le Français bénéficie des avantages de la sécurité sociale (remboursement d’une grande partie des frais médicaux pour lui et sa famille, congés maladie de longue durée, etc.). En outre, le salaire du père de famille est augmenté d’une façon appréciable au titre des allocations familiales.
112Aux Etats-Unis, pendant la période étudiée, il n’existe pas officiellement d’assurance-maladie. Le salarié chargé de famille voit son revenu à peu près inchangé, à l’impôt près. Pour une femme, chaque grossesse peut signifier la perte de son emploi. Dans ces conditions, s’il est tout à fait évident que l’Américain vit beaucoup mieux que le Français, les admirateurs des Etats-Unis ont sans doute parfois légèrement surestimé l’écart entre les niveaux de vie.
113Cette nuance, dont il ne faut pas surestimer l’importance, ne doit pas nous empêcher de réaliser l’émerveillement que ressentent les Français en découvrant la société de consommation.
114Au lendemain de la guerre, ils sont d’abord sensibles à l’abondance alimentaire. Soumis à divers rationnements jusqu’en 1949, ils envient les Américains bien nourris, qui peuvent même se permettre de gaspiller la nourriture64 .
115Tout au long de la période considérée, les Français vont admirer une alimentation riche et abondante, et qui ne représente malgré cela qu’une part relativement restreinte du budget des Américains65. En effet, la part de la nourriture dans les dépenses de consommation était dès 1947 inférieure à 30 % aux Etats-Unis, alors qu’à la même époque, elle atteignait 53,5 % en France !66
116Pour des Européens mal nourris, l’Américain jouit alors de l’immense prestige de celui qui peut manger à sa faim.
117Mieux nourri, l’Américain est également mieux habillé. La confection américaine, de New-york et de Chicago, fait des Américains le peuple le mieux habillé du monde. Alors que la haute couture française, en dépit de son prestige, ne fonctionne qu’au bénéfice d’une minorité de privilégiés, « l’industrie américaine du vêtement est organisée au bénéfice de toute la nation »67.
118Cet étonnement et cette admiration révèlent l’écart qui sépare alors la France et les Etats-Unis. Le prêt-à-porter n’apparaît en France qu’en 1949, et la population française de l’après-guerre est encore, en fait, condamnée à une certaine uniformité. Les photographies des années 1950 nous révèlent une population masculine souvent condamnée au béret ou à la casquette. La mode est strictement réservée à une certaine élite sociale.
119Les Français ne pouvaient donc qu’être surpris par les pratiques américaines, l’absence de reprisage ou de raccommodage : « les Américains et les Américaines ne conservent pas leurs vieux habits ; à peine usagés, défraîchis, ayant cessé de plaire, ou jugés ne plus pouvoir servir, ils sont envoyés aux œuvres de bienfaisance qui en assurent la distribution »68.
120Il ne faut pas sous-estimer l’importance que peut revêtir cette découverte de la richesse vestimentaire des Américains. Alors que les détracteurs de l’American Way of Life lui ont souvent reproché, par la production en série, d’uniformiser et, en quelque sorte, d’asservir les individus, la diversité et la qualité des garde-robes américaines, opposées à la médiocrité du contenu des penderies françaises, tendaient au contraire à prouver que c’était la société de consommation à l’américaine qui permettait aux individus de mieux se différencier, de se libérer de tâches peu gratifiantes et peut-être de mieux s’épanouir.
121Allons plus loin. L’exemple du vêtement peut nous permettre de mieux comprendre bien des réticences face à l’américanisation, c’est-à-dire, en fait, à la société de consommation.
122En multipliant les objets disponibles, celle-ci permet en réalité d’élargir à l’ensemble de la population les possibilités de choix jusqu’alors réservées à une certaine élite.
123C’est sans doute pour cela qu’une fraction de cette élite se méfie de l’américanisation possible de la société française considérée comme un risque d’uniformisation, et qui n’est en fait que l’extension à tous – ou du moins au plus grand nombre – d’une liberté de choix qui constituait jusqu’alors son privilège. Dénoncer l’américanisation, assimilée à l’uniformisation, c’est en réalité bien souvent redouter l’indifférenciation sociale. Si l’abondance alimentaire fait rêver les Français au lendemain de la guerre, si la richesse et la variété de la garde-robe des Américains surprend les voyageurs, ces éléments ne sont cependant pas les composants essentiels du rêve américain.
124Pour pasticher Lénine, l’American Way of Life, aux yeux des Français, c’est d’abord l’électroménager plus l’automobile. Dans ces domaines l’avance américaine est particulièrement nette. En 1952, 86 % des foyers américains possèdent un réfrigérateur, 73 % une machine à laver69. En 1954, ces pourcentages sont, en France, respectivement de 7,5 % et 8,5 %.
125La ménagère américaine dispose, pour alléger les tâches de la vie quotidienne d’une série d’appareils ménagers et de gadgets : outre le réfrigérateur et la machine à laver, elle dispose d’un aspirateur, d’une cafetière électrique, d’un lave-vaisselle, etc… « ce ne sont pas des inventions réservées aux riches, des articles de luxe, mais des choses de première nécessité70.
126A vrai dire, quelques voyageurs français n’ont cependant pas été complètement enthousiasmés par l’abondance et la variété des appareils ménagers aux Etats-Unis. Il s’agit visiblement de grands bourgeois surpris de la rareté et de la médiocrité du personnel de service américain et qui constatent que le bourgeois américain est en fait souvent obligé de se passer de domestiques et doit donc se tirer d’affaire avec des machines, mais « aucune machine ne peut remplacer le travail humain et surtout l’attention qu’il apporte. Un Américain avec… sa machine à laver, son réfrigérateur, son conditionnement de l’air, sa salle de bain moderne et sa cuisine électrique, vit comme un pauvre. Un petit bourgeois français, avec sa bonne est plus confortable et plus riche que lui »71.
127Pareil jugement n’a, à dire vrai, rien d’une nouveauté. Il était déjà courant avant la première guerre mondiale72. Comme la découverte de la richesse vestimentaire des Américains, celle de la quasi-disparition des domestiques dépasse sans doute la simple notation distraite. Sans personnel de service, c’est en effet toute une série de rituels qui ne peuvent se perpétuer. Pour ne prendre qu’un seul exemple, le repas solennel dans la salle à manger, la domesticité servant et regardant le spectacle que se donne et lui donne la famille, sous la houlette de la maîtresse de maison dont c’était le moment de triomphe, devient impossible.
128La disparition des serviteurs sonne le glas irrémédiable d’une telle représentation, source de prestige et moyen d’identification sociale. Comment vivre bourgeoisement si l’on n’a plus de domestiques pour vous servir et vous observer ? La vie bourgeoise telle que se la représentent les plus conservateurs, c’est-à-dire, dans une large mesure, un effort permanent de hiérarchisation des individus, apparaît donc menacée, sinon condamnée par le modèle américain.
129Cette réserve n’est cependant pas partagée par la masse des Français. L’électroménager fait alors rêver et ce rêve se reflète dans l’évolution des rubriques publicitaires des journaux français. La rubrique des arts ménagers connaît alors un succès foudroyant, passant de 2,76 % du total en 1951, à 8,58 % en 195373.
130Interrogés en 1953 sur ce qui les séduit aux Etats-Unis, les Français qui rejettent nettement le jazz, le chewing-gum, les films américains, sont par contre incontestablement séduits par l’équipement ménager à l’américaine.
131L’équipement ménager à l’américaine74
132aiment :
Beaucoup | 52 |
Assez | 21 |
Pas du tout | 9 |
Ne se prononcent pas | 18 |
Total | 100 |
133Les années 1950 vont d’ailleurs être marquées par un essor considérable de l’équipement électroménager des Français75.
134Autant sinon plus que l’équipement ménager, l’automobile symbolise la puissance et la richesse des Etats-Unis. Là aussi, l’avance des Américains est extraordinaire. En 1952, il y a 27 automobiles pour 100 américains et 4 pour 100 Français. Les Etats-Unis constituent alors un monde à part : en 1950, « il existait dans le monde entier 62 450 000 automobiles ; 44 670 000 000 roulaient aux Etats-Unis »76.
135Dans ces conditions, l’automobile n’est pas, comme en Europe, un bien réservé à la bourgeoisie, mais un produit courant, auquel peut accéder la majorité des Américains, y compris de très nombreux ouvriers. Devant les usines Ford, lorsque « l’on voit la véritable « mer » de voitures automobiles qui attendent dans les parcs et que l’on sait que ce sont les voitures automobiles des ouvriers qui sont à ce moment là à la fonderie ou à la chaîne ou sur les machines-outils, on a l’impression qu’il y a des méthodes de travail qui permettent de parvenir à un standard de vie élevé et qu’il est remarquable que l’ouvrier de chez Ford, qui gagne 1,50 dollar ou 1,80 dollar de l’heure puisse parvenir à s’acheter une voiture automobile qui n’est pas considérée comme un luxe »77. En fait, l’automobile est un objet si répandu qu’on le néglige souvent78. Pour ses admirateurs, l’Amérique est en fait le pays où même une bonne peut venir travailler en automobile79.
136La situation n’est évidemment pas comparable sur l’autre rive de l’Atlantique. Au milieu des années 1950, en France, il n’y a que 7 % d’ouvriers parmi les acheteurs de voitures neuves. Le pourcentage des propriétaires d’automobiles descendait même à 3 % parmi les salariés agricoles80.
137Aux Etats-Unis, l’automobile est désormais si commune que les villes sont conçues en fonction d’elles. Dans ces conditions, comme le bison, le piéton est devenu une espèce en voie de disparition, qu’il faudra bientôt garder dans une réserve, à l’abri des automobilistes. En fait, « les piétons sont des vicieux »81.
138Si l’American Way of Life et la société de consommation se traduisent par l’abondance des biens matériels, les observateurs français constatent qu’ils s’accompagnent également de techniques de ventes qui, sans être toujours nouvelles ou inconnues en France, sont alors beaucoup plus utilisées aux Etats-Unis qu’en Europe : publicité, vente à crédit ou par correspondance…
139C’est d’abord la publicité qui a traditionnellement suscité l’intérêt des Français. Il s’agit en fait d’une réaction ancienne : avant 1914, les voyageurs français étaient déjà impressionnés par la puissance, l’agressivité, la démesure de la publicité américaine. Après 1945, c’est toujours l’omniprésence de la publicité qui provoque l’étonnement des Français. Elle « s’étale partout, dans les journaux, sur tous les murs en affiches peintes, imprimées, lumineuses. Ainsi la production sollicite perpétuellement l’acheteur… »82.
140Cette réaction peut a priori étonner. La France avait déjà connu de grandes opérations publicitaires pendant l’entre-deux-guerres. L’on peut rappeler, par exemple, que Citroën avait installé une immense publicité lumineuse sur la Tour Eiffel. On peut également mentionner le pavillon entier que l’exposition internationale de Paris en 1937 avait consacré à la publicité. A cette occasion, la diffusion avait déjà été, au moins en apparence, placée sur le même plan que les forces productives83. L’on pourrait s’attendre, dans ces conditions, à ce que la publicité américaine ne suscite plus de surprise.
141En fait, après la deuxième guerre mondiale le contraste est très net entre les deux rives de l’Atlantique. Alors que la France est encore accablée par de nombreuses pénuries et que la publicité n’y revêt donc qu’une importance secondaire, les dépenses publicitaires deviennent au contraire de plus en plus lourdes aux Etats-Unis et constituent le troisième ou le quatrième poste dans les dépenses des grandes entreprises américaines84. Dès 1950, les dépenses publicitaires atteignent déjà 5 710 000 000 de dollars. En 1960, elles frôlent les 12 milliards. En France, elles ne sont encore que de 300 millions de dollars85.
142Certains ont admiré cette publicité qui anime la ville et la transforme en féerie lumineuse : « Devant moi, un couloir d’affiches lumineuses bégayait sur des kilomètres de façades. Des fragments d’alphabet me clignaient de l’œil avec insistance. Des visages géants d’acteurs et d’actrices échangeaient un baiser immobile sur une hauteur de plusieurs étages. Leurs bouches considérables étaient en velours rouge. Leurs oreilles avaient la dimension d’une porte cochère. Et un taxi aurait pu se loger dans leurs prunelles noyées de langueur »86.
143Cette admiration, précisons-le immédiatement, est cependant loin d’être universelle, et l’abus de la publicité peut également susciter l’exaspération ou, du moins l’irritation, même chez Louis Merlin, pourtant P.D.G. d’une société de publicité. Admirant aussi bien les méthodes de vente pratiquées aux Etats-Unis que la télévision américaine, Louis Merlin déplore cependant la longueur excessive des spots publicitaires et, surtout, l’envahissement par la publicité de l’ensemble des émissions télévisées : c’est ainsi que le décor porte en grosses lettres le nom de l’annonceur, et que les interviews se déroulent devant des emballages géants des produits qu’il s’agit de vanter87.
144Cette publicité à outrance donne l’impression de vouloir inviter, envers et contre tout, le client à la dépense. Elle entretient donc une frénésie de consommation qui n’est possible que grâce au recours systématique à un crédit bon marché88. Pour nombre d’observateurs, cette importance du crédit est un nouveau sujet d’étonnement. La facilité avec laquelle les Américains ont recours au crédit choque d’ailleurs beaucoup de Français. « Certains Américains et ils sont nombreux, sont endettés pendant toute leur vie, ce qui n’arrête pas le gaspillage »89.
145Le rôle économique du crédit qui permet la consommation anticipée et qui va donc stimuler la bataille commerciale et accroître les débouchés n’est pas toujours accepté ou même simplement compris. L’excès du crédit choque le sens de l’économie et de l’épargne de Français venus d’un pays pauvre. Avoir recours au crédit est encore, pour beaucoup, une forme de mauvaise gestion et d’imprévoyance. C’est même, à la limite, un péché dont l’Américain ne peut, en définitive, qu’être puni. Ainsi s’explique qu’en dépit de son salaire élevé, l’Américain éprouve souvent bien des difficultés pour boucler son budget.
146En fait, le crédit et la publicité sont indispensables au fonctionnement d’un énorme système de distribution qui suscite lui aussi l’intérêt et provoque l’étonnement des Français qui découvrent la puissance de Sears, Roebuck et Cie, alors la première affaire de vente par correspondance du monde90.
147Surtout, les shopping centers surprennent les Français. Leur essor est alors fulgurant. De 1945 à 1960, leurs nombre bondit de 8 à 400091. La visite d’un supermarché est alors presque une aventure, qui révèle un univers entièrement neuf, aux antipodes de la distribution française et de ses archaïsmes. « L’intérieur très vaste… est net comme une cuisine américaine. On se sert soi-même. C’est ce… qui caractérise ces supermarkets où la ménagère américaine, habituée à faire ses emplettes deux ou trois fois la semaine, achète le principal de ses provisions. A l’entrée du magasin, des poussettes d’acier sont à la disposition des clients… Ce qu’on choisit est présenté dans des meubles réfrigérés, et enveloppé avec prix et poids marqué. Des paquets tout préparés s’offrent à vous. Arrivé au terme du voyage, l’on atteint la caisse où l’employée retire de la poussette les articles achetés, tape les prix avec indication des marchandises…92.
148L’étonnement est manifeste. Tout est exotique : la maladresse même des termes employés le prouve déjà. Le supermarket (le mot supermarché n’apparaît qu’en 1960). La poussette d’acier (le caddie). La taille du supermarché, sa propreté, l’usage généralisé des emballages surprennent les Français. Il ne faut pas oublier qu’au début des années 1950, la distribution est encore en France un quasi-monopole des petits commerçants indépendants qui représentent pratiquement 88 % du commerce de détail. C’est seulement dans les années 1960 qu’apparaissent les premiers supermarchés français.
149Dans ces conditions, les supermarkets représentent bien, pour un voyageur de la période étudiée, des scènes de la vie future.
150Confrontés à la société de consommation et à ses méthodes, les Français habitués à la pénurie ont presque toujours ressenti un mélange de surprise et d’admiration parfois même une certaine fascination. Mais cette réaction favorable n’empêche pas les réserves, qu’elles soient mineures ou qu’elles traduisent des réticences plus profondes à l’égard du nouveau modèle social que proposent les Etats-Unis.
151C’est d’abord le gaspillage qui apparaît inhérent à la société de consommation et qui suscite une réprobation assez généralisée. La France où l’on reprise les chaussettes reste méfiante face à l’Amérique qui les jette. Même Georges Friedmann qui est très favorable à une société d’abondance capable d’assurer à l’essentiel de la population un niveau de vie élevé semble éprouver quelques difficultés à admettre que la réparation puisse coûter plus cher que l’achat d’un produit neuf. « L’économie américaine… exige la consommation maxima. Une dose variable, mais certaine de gaspillage est dans la logique interne de l’économie américaine. D’où, par ailleurs, une indifférence, un manque d’égards très répandu, pour des produits fabriqués en une telle abondance et qu’on peut si facilement remplacer »93.
152Cette réaction est a priori aisément compréhensible : la France connaît, à partir de 1939, une décennie de pénurie qui va peser durablement sur les mentalités.
153Mais il s’agit, en fait, d’une attitude bien antérieure à 1945. Comme nous avons déjà pu le voir, les Etats-Unis sont perçus depuis le début du vingtième siècle, comme une société d’abondance et cela provoque la gêne des voyageurs français habitués, même avant la deuxième guerre mondiale, à une société de relative restriction94.
154Certains observateurs reprochent aussi à la société de consommation de déboucher sur un certain manque de raffinement. Celui-ci est parfois sacrifié à l’utilité pratique. C’est particulièrement net pour l’alimentation et la restauration américaines. L’appréciation des Français à ce sujet est contrastée mais plutôt défavorable. C’est là, d’ailleurs, un stéréotype fort ancien. C’est un lieu commun établi depuis longtemps que l’on mange mal dans les pays anglo-saxons et en particulier en Amérique.
155Les Français reconnaissent cependant la fraîcheur et la présentation soignée de la nourriture, ils admettent également la saveur de certains produits comme le lait ou la viande95. Il arrive que l’on salue le goût des Américains pour les vitamines qui modifie profondément leur régime alimentaire et améliore leur santé96.
156Par ailleurs, les voyageurs manifestent depuis longtemps une inclination particulière pour la glace américaine. Dès la fin du dix-neuvième siècle, c’est un des seuls produits alimentaires américains qui trouvait grâce aux yeux des Français dont le goût ne semble pas avoir changé au milieu du vingtième siècle97. André Maurois peut affirmer avec gourmandise que « les crèmes glacées américaines sont des mets dignes de la table des Dieux… »98.
157Mais les produits, en dépit de leur fraîcheur et de leur présentation impeccable, manquent souvent de saveur et il apparaît impossible, en définitive, d’évoquer une véritable gastronomie américaine99.
158A vrai dire, davantage même que l’alimentation, ce sont les lieux de restauration publics, que ce soit la cafétéria, le drugstore ou le restaurant automatique qui provoquent l’étonnement et suscitent les réticences des Français. « Les Américains n’aiment pas manger, ils mangent à toute heure du jour et n’importe quoi avec n’importe quoi, ainsi qu’en témoignent les enseignes des restaurants qui annoncent « Good Food », « Clean Food » et même parfois « Eating Shop », noms qui ont de quoi vous dégoûter à tout jamais de manger »100.
159Dans un domaine aussi sensible que l’alimentation et la restauration qui concerne l’essence même de la civilisation, la critique peut aisément devenir malveillante. Maurice Bedel ne s’en prive pas : « jamais je n’aurai cru que l’acte de manger se rapprochât pareillement des soins donnés à un moteur : ma voisine de droite et mon voisin de gauche faisaient le plein de viandes et de légumes comme un chauffeur fait faire à sa voiture le plein d’essence et d’huile. De mangeur à mangeur, pas un mot »101.
160Ce petit texte illustre parfaitement la pérennité d’un thème. En effet, il est très proche, mutatis mutandis, d’un autre texte écrit plus d’un demi-siècle auparavant : « ces gens-là mangeaient comme on travaille, avec une sorte de componction, dans un silence significatif, se donnant des airs solennels et jetant des mauvais regards sur leurs voisins. Il y a un abîme entre notre appétit et le leur. Nous n’apprécions le bon repas qu’avec un certain nombre de convives choisis et agréables et les Américains n’aiment pas causer pendant leur repas et n’en mangent que mieux »102.
161A. cinquante-six ans d’intervalle, c’est la même réaction de rejet. A la convivialité française s’oppose une vie insupportablement mécanisée. La restauration est ici révélatrice de l’écart entre la civilisation française riche de ses traditions humaines et une société où l’homme n’est plus qu’une machine.
162Le cas de Maurice Bedel mérite qu’on s’y attache. Cet écrivain est né en 1883. C’est donc un homme âgé lorsqu’il publie en 1953 le Voyage de Jérôme aux Etats-Unis d’Amérique. Ce roman est un véritable réquisitoire contre la société de consommation.
163Ecrivain mondain, Maurice Bedel a publié de nombreux ouvrages sur l’Italie (Philippine) la Turquie (Zulfu), la Grèce (le laurier d’Appolon), la Norvège.
164Mais c’est surtout le chantre de la province française et en particulier du Val-de-Loire où il possède de solides attaches. S’il décrit avec un certain amusement les réactions des provinciaux envers les étrangers (Molinoff, Indre et Loir), il inventorie avec amour sa région de prédilection dans Géographie de mille hectares (1937) ou Histoire de mille hectares (1953).
165Après la deuxième guerre mondiale, il participe au congrès de Wroclaw. Mais sa critique des Etats-Unis se rapproche bien plus de celle de Georges Duhamel que de la polémique communiste. Ce n’est pas l’impérialisme américain, le plan Marshall ou la lutte des classes qui intéressent l’auteur. Ce qu’il déteste aux Etats-Unis, c’est la modernité et en particulier la société de consommation qui standardise les produits et les être humains103.
166Il oppose l’uniformité des femmes américaines à la diversité des Parisiennes. C’est ainsi qu’il voit, dans la foule du Rockfeller Center, des milliers de dactylos qui lui « paraissent coulées dans le même moule. On eût dit qu’une machine à débiter de la jolie secrétaire leur eût donné naissance : même sourire aux commissures de leurs lèvres pareillement enluminées de rouge carmin, mêmes vagues d’une même mise en plis dans les ondes de leurs cheveux, mêmes chevilles de biches – non de biches de bois mais de biches de zoo »104. On ne peut s’empêcher de songer aux cuisses au galbe trop parfait qu’évoquait Georges Duhamel dans les Scènes de la vie future. La standardisation ne se limite pas à l’apparence corporelle. Elle affecte autant, sinon davantage, les esprits. L’Américain est en fait conditionné par une sous-culture proliférante105. Seul l’argent l’intéresse. Tout romantisme disparaît : la pensée, l’amour, la vie entière sont mécanisés106. De plus, les Américains ne respectent pas la nature dont ils sont incapables d’apprécier véritablement le charme. Un Américain ne peut se promener dans une forêt sans écouter sa radio107. Le silence le renverrait en effet à son propre néant.
167En fait, à la société américaine qui n’est plus à l’échelle humaine et qui saccage la nature, Maurice Bedel oppose les promenades et les rêveries de Rousseau ou la Touraine de Balzac, modèles de calme, d’équilibre et de mesure108. Fondamentalement, les Etats-Unis sont une anti-France ou mieux, une anti-Touraine.
168Faut-il interpréter ce livre comme une réaction d’humeur, l’attitude isolée d’un homme âgé qui a toujours considéré que la Touraine était le centre de l’Univers et la mesure de toute chose ?
169Certes, le livre de Maurice Bedel tranche sur la production courante. Alors que la modernité semble s’imposer, Maurice Bedel est résolument passéiste. De toute évidence, sa critique des Etats-Unis s’apparente à la polémique antiaméricaine des années 1920 et 1930. Le rapprochement avec les Scènes de la vie future de Georges Duhamel s’impose souvent. Ce livre est donc un nouvel (et ultime ?) avatar de la polémique duhamélienne, contrastant avec l’éloge presque universel de la modernité.
170Toutefois, même au début des années 1950, cette attitude est peut-être moins isolée qu’on ne pourrait le penser. Tout en rêvant d’une société de consommation, certains Français n’ont-ils pas éprouvé certaines méfiances ? Le poujadisme n’est-il pas, dans une certaine mesure, le rejet d’une modernisation productiviste, à l’américaine ? Le mouvement poujadiste qui n’est, à vrai dire, guère postérieur à la période étudiée, entend défendre la petite entreprise indépendante, les petits, menacés par les débuts de l’expansion et de la croissance, c’est-à-dire, dans une large mesure, de l’américanisation.
171C’est la France traditionnelle – en un sens celle dont se réclame Maurice Bedel – qu’il s’agit de défendre contre celle des cadres et des techniciens soupçonnés d’admirer le modèle américain. Citons, pour ne prendre qu’un seul exemple, l’étonnante devise du mouvement Poujade :
Le coq Français
Sur son tas de paille
Ses ergots en bataille
Chantera encore cocorico
Et non Coca-Cola !109
172Le voyage de Jérôme peut en outre avoir quelquefois une résonance assez moderne. Le refus du productivisme, qui constitue également, ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, l’un de éléments de Jour de Fête, l’éloge de la nature, l’apologie d’une vie plus simple semblent ainsi préfigurer certains thèmes écologistes.
L’exemple de l’agriculture américaine
173Tout autant que l’industrie ou les services, l’agriculture américaine a suscité l’intérêt des Français.
174Agronomes et paysans vont y consacrer plusieurs livres, des articles et des missions de productivité (René Dumont, les leçons de l’agriculture américaine. André Lablanchy, l’équipement technique de la production aux U.S.A. Paul Négrier Quelques expériences et aspects de la vie américaine par un agriculteur français. Quarante jeunes agriculteurs reviennent des U.S. A).
175Cet intérêt manifeste se comprend aisément. L’agriculture occupe encore, pendant la période étudiée, une proportion importante des actifs et pèse très lourd dans l’économie française. De plus, cette agriculture est dans une situation critique lors de la Libération. De nombreux obstacles entravent alors son relèvement. Les sols sont épuisés, la pénurie persistante d’engrais et les conditions météorologiques défavorables expliquent la succession de mauvaises récoltes de 1945 à 1947. Les cartes de pain sont rétablies en 1946 et il faut les maintenir jusque 1949. Cette situation dramatique explique la mutation radicale de la politique agricole après la Libération. La IIIe République n’avait cessé, officiellement, de proclamer son intérêt pour l’agriculture, mais l’autosatisfaction avait débouché sur l’immobilisme d’une agriculture incapable de nourrir une France pourtant sous-peuplée ou d’assurer un niveau de vie acceptable à la majorité des agriculteurs.
176Dès la Libération, la modernisation va devenir un impératif, une ardente nécessité. René Dumont, que nous avons déjà cité, et que nous citerons encore, est alors conseiller agricole au commissariat général au Plan. Selon lui, l’alternative est simple : « une agriculture instruite, équipée, modernisée, productive, prospérera dans un cadre adapté à l’économie d’abondance. Une agriculture routinière, repliée dans une position autarcique et malthusienne conduirait à la ruine le pays en entier : l’agriculture française sera moderne… ou ne sera pas »110.
177Ceux qui observent alors l’agriculture américaine sont des modernistes, qui rêvent de transplanter en France un modèle d’efficacité et d’abondance. Le succès de l’agriculture américaine contraste en effet avec le délabrement des campagnes françaises. Ainsi que nous avons pu le constater, leur réussite agricole permet aux Américains de jouir d’une surabondance de produits alimentaires de qualité qui contraste avec les restrictions et les carences dont souffrent les Français, au moins jusqu’en 1949.
178Certes, agronomes ou paysans connaissent trop bien les problèmes agricoles pour vouloir copier servilement « les leçons de l’agriculture américaine ». Les conditions agricoles sont trop différentes des deux côtés de l’Atlantique, une transposition pure et simple des méthodes américaines apparaît impossible, absurde. Mais l’unanimité se fait néanmoins pour estimer qu’il est impossible de négliger l’exemple américain. Puisque notre agriculture est largement distancée par celle des Etats-Unis, il s’agit de retenir « les leçons techniques et économiques les plus utiles pour notre pays. Trop de Français estiment que nous n’avons rien à apprendre… Qu’il faut préserver tout ce qui fait notre « originalité ». Oui, mais à condition de ne pas conserver en même temps nos causes d’infériorité »111. Une immense clameur productiviste s’élève. L’exemple américain vient démontrer une fois de plus qu’il ne peut plus être question de restaurer la civilisation rurale traditionnelle. Il s’agit désormais de moderniser l’agriculture française.
179Cette agriculture américaine que l’on observe et dont on veut s’inspirer se ressent encore de sa phase pionnière, dont elle vient à peine de sortir. Longtemps, elle est restée extensive, et les agriculteurs en mission aux Etats-Unis notent souvent que les Américains se sont montrés bien peu soucieux de la conservation de sols dont la fertilité avait pu sembler inépuisable112. Mais cette situation évolue, et les agriculteurs d’Outre-Atlantique se préoccupent désormais de mieux préserver la fertilité des terres cultivées et aussi de gagner de nouveaux espaces, en particulier par irrigation113.
180Certains procédés d’irrigation utilisés par les Américains seraient sans doute applicables en France : construction de barrages en terre, emploi de drains afin de limiter les pertes en eau, et surtout irrigation par aspersion114. L’on peut se demander si l’intérêt évident que suscitent ces techniques d’irrigation n’est pas le reflet du retard préoccupant de l’agriculture méridionale après 1945. Bien plus que le Nord de la France, le Midi Garonnais et le Sud-Est apparaissent en effet comme des régions à revitaliser : les rendements agricoles y sont particulièrement faibles, les pratiques culturales singulièrement archaïques. Les merveilles de l’agriculture des Etats-Unis, en particulier celles de la Californie ne montrent-elles pas la voie à suivre ?
181Plus encore qu’aux merveilles de l’irrigation, les Français sont sensibles à la productivité élevée des agriculteurs américains. Il est vrai que le contraste entre la France et l’Amérique est spécialement frappant dans ce domaine. René Dumont peut ainsi opposer une grande ferme de Virginie, où le patron et un ouvrier permanent suffisent pratiquement à la tâche à une exploitation beauceronne dont la superficie comme la production sont comparables, mais qui emploie onze ouvriers et quelques saisonniers. »115.
182Aux yeux des Français, c’est d’abord la superficie des exploitations américaines qui explique cette productivité élevée116. Implicitement ou explicitement, agronomes et même paysans semblent accepter voire souhaiter l’exode rural. Tous ne vont pas, comme le journaliste Raymond Cartier, jusqu’à évoquer « la bienfaisante dépopulation des campagnes, dont le degré est un indice presque infaillible de richesse »117.
183Cependant, la rupture est évidente avec les discours officiels de l’entre-deux guerres. Il n’est plus question de redouter l’exode rural, ou a fortiori d’affirmer que la terre manque de bras. Le retour à la terre n’est plus à l’ordre du jour. Ce nouvel état d’esprit coïncide avec une reprise, une accélération de l’exode rural. Alors que la population agricole est restée à peu près stable de 1936 à 1946, le monde rural perd près d’un million d’actifs de 1946 à 1954. Sa part dans la population active régresse fortement, passant de 36,46 % en 1946 à 27,69 % en 1954. Et ce ne sont pas seulement des salariés agricoles, mais aussi des exploitants qui s’en vont.
184Cette diminution de la population agricole est considérée comme une condition indispensable à la rénovation de l’agriculture française. Elle doit permettre, en particulier, la mécanisation qui est la clé du succès américain : « L’agriculture américaine est mécanisée. C’est le principal point de supériorité de l’agriculture américaine sur l’agriculture française. La mécanisation correspond au goût de l’Américain qui est mécanicien dans l’âme, c’est une nécessité aussi car c’est le seul moyen de remédier au manque de main-d’œuvre et de vaincre le problème des distances »118.
185Une gamme variée d’outils agricoles adaptés aux tracteurs permet au farmer américain d’effectuer la plupart des travaux agricoles119. Cette mécanisation est rendue possible par la puissance de l’industrie américaine des machines agricoles, qui contraste avec la faiblesse de la production française dans ce domaine.
186Puisque la mécanisation explique, aux yeux des Français, le succès de l’agriculture américaine, la France va logiquement s’engager à son tour dans cette voie, et le tracteur devient le symbole de la modernisation. Le plan Monnet classe le machinisme agricole dans les secteurs industriels prioritaires. Il prévoit un équipement de 200 000 tracteurs en 1950. Dans une certaine mesure, les agriculteurs répondent aux attentes des pouvoirs publics. L’objectif des 200 000 tracteurs n’est pas atteint, en raison de la carence de la production française de machines agricoles, mais le nombre de tracteurs passe de 35 000 en 1938 à 98000 en 1948, 140 000 en 1950 et 305 000 en 1955.
187En fait, le succès rapide de la motorisation après 1950 est en partie le résultat des choix des firmes américaines qui, constatant la saturation du marché américain, vont se préoccuper davantage des marchés qu’offre l’Europe. Elles vont alors proposer des tracteurs adaptés aux petites exploitations familiales120.
188Ce n’est pas seulement le nombre et la variété des machines agricoles qui provoquent l’admiration. C’est aussi l’usage croissant des produits chimiques : engrais, fongicides, insecticides, hormones de croissance et l’utilisation de nouvelles méthodes pour répandre ces produits : aspersion par avions, atomiseurs, aérosol (le mot apparaît d’ailleurs à cette époque)121
189La culture n’a pas le monopole exclusif de la productivité et de l’efficacité. L’élevage est devenu, lui aussi, une activité presque industrielle. La découverte de l’élevage en batteries provoque un choc, et suscite une admiration que laissent percer les descriptions : « on évoque le hall d’usine plutôt que la ferme : abreuvoir à eau courante dans chaque pièce avec écoulement du trop plein ; chauffage électrique à thermostat ; monorails aériens, répartissant la provende préparée dans une pièce centrale… Cette usine de transformation d’aliments a un excellent rendement… L’extrême propreté, les soins attentifs arrêtent les épidémies »122.
190Le vocabulaire employé montre qu’aux yeux de René Dumont, l’élevage accède enfin à la dignité d’activité industrielle, donc productive : « l’année d’ouvrier produit environ 30 000 poulets, la journée de travail une bonne centaine. Combien de journées a consacré notre paysanne de Bresse à ses 700 poulets annuels ? Peut-être 30, même si la ferme est bien agencée et sans compter le gavage : l’écart de productivité est de 1 à 10. Ne nous excusons pas en nous retranchant derrière la haute qualité : nous avons aussi besoin de poulets démocratiques »123.
191L’élevage, c’est-à-dire la production de viande, suscite un intérêt évident qui peut s’expliquer par le poids très important des achats de viande dans les dépenses des ménages français. A elle seule, la viande représentait au lendemain de la guerre 31 % de la dépense alimentaire, 17 % du budget total des familles de la région parisienne, soit plus de dix fois la part du loyer124.
192Ces performances exceptionnelles auxquelles parviennent les agriculteurs américains ne sont possibles qu’en raison de leur formation soignée. Souligner les mérites de l’enseignement agricole américain permet de mieux mettre en évidence les faiblesses françaises. Là encore, c’est à un modèle malthusien que s’oppose l’enseignement agricole de masse qui est dispensé aux Etats-Unis125 .
193Trop souvent, au contraire, l’enseignement agricole apparaît négligé en France. Au début des années 1950, donc plus d’un siècle après sa création, il reste insuffisant touchant à peine le quart des jeunes agriculteurs. La situation est encore plus grave si l’on s’intéresse à l’enseignement secondaire agricole qui ne touche guère que 2 % de sa clientèle masculine potentielle126.
194L’enseignement agricole américain, tel que le décrivent les Européens, sait allier formation générale et formation technique. Il est complété par une formation extra scolaire sérieuse assurée en particulier par les Clubs 4 H. « Cela tient du scoutisme, du patronage, du foyer rural et du cercle d’études. On y forme les jeunes au point de vue professionnel mais aussi du point de vue moral et au point de vue civique. Le jeune garçon approfondira certaines connaissances agricoles, la jeune fille certaines connaissances ménagères, mais l’un et l’autre apprendront en même temps la camaraderie, l’entraide et prendront conscience de leurs devoirs de citoyens et d’humains »127.
195L’admiration pour la formation des agriculteurs américains est évidente. Elle souligne la nécessité d’instaurer un système comparable en France. On ne peut s’empêcher de remarquer que ces projets insistent souvent sur la nécessité de mettre en place un enseignement général, susceptible de donner aux paysans une claire conscience de leurs droits et de leurs devoirs. Faut-il y déceler un écho des années de guerre et d’après-guerre où les citadins soupçonnaient les paysans d’être des profiteurs sans scrupules, qui s’enrichissaient de la détresse générale ?
196L’essentiel n’en reste pas moins la nécessité d’une formation technique. Elle seule peut permettre la modernisation de l’agriculture française. Il est évident, aux yeux des modernistes et des productivistes qui s’intéressent alors au modèle américain que le développement de l’agriculture ne passe pas seulement par une mécanisation rationnelle des exploitations mais aussi par l’équipement intellectuel des exploitants.
197C’est à tous les échelons que les Français vont admirer la supériorité de l’enseignement agricole américain. Alors que l’enseignement supérieur agricole regroupe péniblement 1400 étudiants en France, les universités américaines travaillent, au grand émerveillement des Français, en liaison étroite avec les agriculteurs128.
198Leur formation poussée permet par la suite aux agriculteurs d’accueillir favorablement les innovations, dont la vulgarisation est assurée dans d’excellentes conditions par des services spécialisés qui jouissent d’une large audience auprès du monde paysan. Les agronomes français sont unanimes à admirer l’agricultural county agent qui apparaît comme l’un des principaux responsables des progrès rapides de l’agriculture américaine. Celui-ci « est chargé de se tenir en relations étroites avec les fermiers, de les guider, de résoudre avec eux les problèmes épineux… le plus souvent l’agent visite les fermiers qui font appel à lui… Ce fonctionnaire… peut consacrer tout son temps à la résolution des problèmes techniques et à la vulgarisation des techniques modernes. Il a une très grosse influence sur les fermiers qui ont une confiance aveugle dans ses services… »129.
199Attirer ainsi l’attention sur l’importance de la vulgarisation agronomique aux Etats-Unis, c’est mieux souligner le retard français dans ce domaine. La France manque alors d’agronomes et elle n’a pas tenté jusque 1945 d’effort massif afin de vulgariser le progrès technique agricole. L’on comprend aisément, dans ces conditions, que le retard pris par la pratique agricole sur les progrès des sciences agronomiques soit devenu gigantesque. Les crédits consacrés à la vulgarisation restent absolument dérisoires, et l’enseignement supérieur agricole forme alors à peine cinq cents agronomes par an. Les services agricoles départementaux, avec leurs effectifs squelettiques, sont dans l’incapacité de remplir efficacement leur rôle de propagandiste du progrès agricole, et l’absence de fonctionnaires comparables aux agents agricoles américains constitue, aux yeux des spécialistes un des handicaps les plus graves de l’économie française.
200Le modèle américain que décrivent paysans, agronomes et voyageurs ne pouvait, on le comprend aisément, que séduire des élites françaises converties au productivisme et soucieuses de rompre avec l’immobilisme. L’adoption des méthodes américaines devait permettre de résoudre les problèmes d’approvisionnement de la France, de lutter contre la hausse des prix agricoles, qui constituait un des principaux facteurs d’inflation et d’exporter rapidement. En bref, les méthodes américaines pouvaient contribuer à accélérer le relèvement de l’économie française et à atténuer les problèmes sociaux.
201Mais leur adoption exigeait un véritable bouleversement des campagnes et des efforts considérables de modernisation qui auraient pu se heurter à l’apathie du monde paysan que l’ampleur de la tâche aurait pu effrayer.
202La paysannerie, cependant, était prête à cette mutation. Encore nombreuse au milieu du vingtième siècle, elle est en effet inquiète. Beaucoup de paysans semblent douter que la terre puisse assurer leur avenir. Les transformations paraissent de toute façon indispensables et imminentes130. Il ne paraît plus possible de les éviter.
203Or l’agriculture américaine n’offre pas seulement l’exemple d’une production et d’une productivité accrue. C’est également, pour les paysans qui sauront s’adapter, l’espoir d’un meilleur niveau de vie, la possibilité d’accéder enfin à la consommation. Ceux qui ont pu visiter les Etats-Unis « ont pu constater que les agriculteurs de ce pays vivent mieux, vivent plus facilement que nous… le fermier donne là-bas l’impression d’appartenir à une classe aisée dont le standard de vie est en moyenne supérieur au nôtre »131.
204Ce bien-être est particulièrement évident lorsque l’on examine l’habitat rural, qui a fasciné nombre de visiteurs. Les fermes américaines sont plus accueillantes, plus confortables, plus hygiéniques, dotées de tous les appareils ménagers qui font défaut en France : « la ferme américaine est propre, seyante, dotée de la radio, d’un frigidaire, de l’électricité et du téléphone »132 .
205En outre, et c’est probablement essentiel, les Français sont persuadés qu’aux Etats-Unis « il n’y a pas d’architecture spécifiquement rurale, citadins et campagnards habitent dans des villas presque semblables »133. Ainsi s’efface le fossé qui sépare citadins et ruraux. L’accès à l’habitat urbain permet au fermier de s’affranchir de toute infériorité, matérielle ou psychologique. L’agriculteur devient en fait un petit bourgeois. Sa femme qui travaille souvent en dehors de l’exploitation familiale dispose des appareils électroménagers les plus modernes : cuisinière électrique, machine à laver la vaisselle, machine à laver le linge, congélateur.
206Ce modèle d’une exploitation agricole où les corvées sont en voie d’être supprimées est particulièrement séduisant pour les femmes et les jeunes : il faut en effet rappeler la médiocrité de l’habitat rural et du niveau de vie agricole au milieu du vingtième siècle. Les études de sociologie rurale d’Henri Mendras134 montrent un cadre matériel qui n’a guère évolué depuis un demi-siècle. Partout, le patrimoine immobilier est ancien. L’habitat est toujours dépourvu de confort. En 1946, moins de 20 % des logements ruraux ont l’eau courante. 4 % seulement sont reliés au tout-à-l’égout. Dans ces conditions, l’hygiène est forcément médiocre : la majorité des paysans se contentent encore de faire leur toilette une fois par semaine.
207Quant à l’équipement ménager, il est plus que médiocre, même selon les normes françaises : en 1954, 2,4 % des agriculteurs exploitants et 0,5 % des salariés agricoles possèdent un réfrigérateur (contre 7,5 % des Français ; 3,3 % des ouvriers). 7,3 % des agriculteurs exploitants et 1,8 % des salariés agricoles possèdent une machine à laver le linge contre 8,4 % des Français et 8,5 % des ouvriers. 0,2 % des agriculteurs exploitants et 0 % des salariés agricoles possèdent un récepteur de télévision contre 1 % de l’ensemble des Français et 0,9 % des ouvriers.
208Cette situation pour le moins décourageante explique sans doute en grande partie l’émerveillement qu’ont ressenti beaucoup de Français, en particulier d’agriculteurs en observant les Etats-Unis. Cette situation se traduit dans les sondages où les cultivateurs apparaissent en règle générale assez favorables aux Américains : 21 % d’entre eux s’installeraient de préférence aux Etats-Unis (contre 6 % en U.R.S.S.) 61 % éprouvent de la sympathie pour les Etats-Unis, 32 % de la gratitude. 54 % estiment que le Plan Marshall a été utile à la France135. De 1945 à 1953, c’est donc une image très favorable de l’agriculture américaine qui s’impose en France, en particulier parmi les premiers concernés, les paysans.
209Depuis que le mythe arcadien s’était effacé au cours du XIXe siècle, l’agriculture n’était plus un élément majeur des débats sur l’Amérique. C’était surtout l’Amérique urbaine et industrielle qui suscitait l’intérêt, l’émerveillement ou la répulsion. Les campagnes n’étaient plus au cœur des controverses sur l’Amérique. Lorsqu’elles étaient évoquées, elles ne provoquaient qu’une admiration mitigée. Si l’on s’extasiait souvent, entre 1880 et la fin des années 1930, devant les machines agricoles, on regrettait que les fermiers américains ne soient pas de véritables paysans, mais des travailleurs peu attachés à la terre, intégrés à l’économie de marché. Ce modèle dépaysait les Français et leur déplaisait souvent. Ces images n’ont pas forcément disparu après la guerre, mais l’heure n’est plus à l’exaltation des valeurs rurales d’antan. Ce qui avait pu être auparavant un signe d’exotisme plus ou moins condamnable devient alors le modèle d’une indispensable modernisation.
210Les limites du modèle agricole américain ne sont pas toujours ignorées. La pauvreté des régions les plus reculées est certes évoquée, mais très rapidement : les quarante agriculteurs qui visitent les Etats-Unis y consacrent une ou deux lignes, en note infrapaginale ! (Page 21). René Dumont s’y attarde un peu plus136. Mais, de toute façon, il s’agit là de situations considérées comme exceptionnelles. L’essentiel reste la réussite globale de l’agriculture américaine. Les échecs ponctuels n’ont, dans ces conditions, qu’une importance limitée.
211En dépit de cette euphorie, on peut cependant se demander si d’autres modèles agricoles n’ont pas, parfois, concurrencé celui des Etats-Unis qui peut sembler hors de portée des Français. Il semble que l’on ait alors parfois évoqué un modèle danois ou néerlandais, sans doute moins séduisant que celui des Etats-Unis mais probablement plus proche137.
Conclusion
212Aux yeux de leurs admirateurs, les Etats-Unis sont une nouvelle terre promise. Pour la première fois dans toute l’histoire de l’humanité, un pays a su élever le niveau de vie d’une grande majorité de ses habitants bien au-dessus de la simple subsistance. L’abondance universelle, ou presque, telle est la grande promesse de l’Amérique, c’est-à-dire de la modernité.
213Pour que la France puisse entrer dans le cercle vertueux de la consommation et de la production, les Français doivent renoncer à ce qui a fait leur faiblesse : les agriculteurs doivent devenir productifs et donc accepter l’exode rural, condition nécessaire de la mécanisation. Les cadres et les patrons doivent abandonner leur attitude pessimiste, leur frilosité, leur méfiance face à la croissance et adapter de nouvelles méthodes de gestion. Les salariés doivent adopter une attitude plus constructive, conforme à l’intérêt général. Alors la productivité pourra augmenter et cet accroissement sera récompensé par l’accès à la consommation qui nivellera les classes.
214La modernité américaine, c’est donc la perspective d’une société enrichie, où règne une relative égalité. L’American Way of Life constitue, dans ces conditions, une alternative possible, crédible et attrayante au communisme.
215Il faut cependant remarquer que l’admiration pour les Etats-Unis n’est pas inconditionnelle. Elle n’empêche pas que des réserves plus ou moins importantes soient formulées, même par les admirateurs des Etats-Unis. Il ne faut donc pas assimiler l’américanophilie qui n’est jamais systématique et le discours communiste sur l’Union Soviétique. Même au cœur de la guerre froide, les Etats-Unis ne sont pas le domaine de l’utopie, mais, tout au plus, la moins mauvaise des sociétés possibles.
216Il reste à se demander comment ce discours est perçu par la masse des Français. Lorsqu’on leur demande, en 1953, ce qu’évoquent pour eux les Etats-Unis, ce sont bien les images de l’abondance et de la richesse qui vont surgir immédiatement : « leur puissance économique et matérielle » – « A la richesse et au machinisme »– « A un pays très riche »– « puissance industrielle, agricole, commerciale »– les Français sont sensibles à l’image du haut niveau de vie, du confort et de la vie agréable « Aux facilités de vie, appareils ménagers, habitations, salaires »– « vie agréable » – « vie plus agréable pour les travailleurs » – « Niveau de vie élevé » – « Au confort domestique accessible à tous »138.
217Certaines affirmations semblent cependant peu crédibles aux Français qui manifestent un certain scepticisme face à ce qui leur semble relever de la propagande. Ils ne croient pas « qu’en Amérique les femmes de ménage vont souvent au travail dans leur voiture » (41 % contre 15 %) ou que la société américaine est une société sans classes » (47 % contre 22 %).
218Ils ne croient pas pour autant que « la lutte des classes est très aiguë aux Etats-Unis » (41 % contre 18 %). En fait, ils sont même prêts à admettre que « Truman et Roosevelt ont fait une politique socialisante (40 % contre 16 %) ou que « les syndicats américains ont eu, au cours des dernières années, plus d’influence sur le gouvernement que Wall Street » (25 % contre 16 %).
219Le modèle américain a donc suscité des réactions globalement favorables139. A l’exception de la minorité communiste, les exceptions semblent assez rares. Il est vrai que l’American Way of Life est d’autant plus séduisant qu’au contraire du stalinisme, il associe abondance et liberté.
Notes de bas de page
1 Joseph Ageorges, Op. cit., pp. 84 et 85. Voir également : Raymond Boisde, Découverte de l’Amérique, p. 14. Jean-Marie Grevillot, L’Amérique expliquée, p. 15.
2 Jean Piel, La fortune américaine et son destin, p. 115.
3 Jean Gaudefroy-Demombynes, Histoire des Etats-Unis, pp. 8 et 9, voir également Raoul Roussy De Sales, L’Amérique entre en guerre, p. 9. Grosdidier de Matons, E. Bruley et A. Leyritz, Le monde moins l’Europe, pp. 57 à 59. Jean Lequiller, La puissance économique des Etats- Unis, p. 11. Eugène Houdry, Les Etats-Unis et la France, Passim.
4 Raymond Cartier, Les 48 Amériques, p. 180. Raymond BRUN, Op. cit., pp. 23 et 24.
5 Jean Piel, Op.cit., p. 59.
6 J. A. Nenot, Voyage aux Etats-Unis et au Canada, p. 37.
7 Raymond Cartier, Op. cit., p. 19.
8 Jean Lequiller, Op. cit., pp. 3 et 4.
9 Jacques Portes, Pierre Melandri, Histoire intérieure des Etats-Unis au vingtième siècle, p. 129.
10 L. R. Franck, Histoire économique et sociale des Etats-Unis, p. 161. Jean Piel, Op. cit., pp. 99 et 100.
11 Pierre et Renée Gosset, L’Amérique aux Américains, Tome I, p. 125. Voir également, sur le même sujet : Rev. P. Raymond Léopold Bruckberger, L’Amérique des Pyramides, p. 22. Georges Friedmann, Où va le travail humain ?, p. 110.
12 Pierre B. Wolff, Usine U.S.A., pp. 314 et 315. Voir également : Alexandre De Saint-Phalle, Pax americana, p. 5. Geneviève Tabouis, Op. cit., p. 17. Paul Bastid, Quelques notes sur les Amériques, p. 80. Raymond Boisde, Op. cit., pp. 51 et 52. André Armengaud, L’Amérique et nous, p. 5. André Istel, La Crise Economique de 1949, Le Monde. I. La Baisse des prix aux Etats-Unis, 9 Août 1949, pp. 1 et 2. II. Les difficultés de l’intervention gouvernementale aux Etats-Unis, 10 Août 1949, pp. 1 et 2. Henri Pierre, Les Etats-Unis à l’épreuve de la paix armée. Une mobilisation qui ne signifie pas la guerre. Le Monde, 22 Septembre 1951, p. 2.
13 André Kaspi, Les Américains, p. 369.
14 André Armengaud, Op. cit., p. 5.
15 Les risques de crise économique aux Etats-Unis, Sondages, 1er juin 1948, p. 131.
16 Maurice Allais, Pouvons-nous atteindre les hauts niveaux de vie américains ? I L’efficience américaine, Le Monde, 9 octobre 1948, p. 9.
17 Extrait de Jean-Pierre Foirry, L’économie des Etats-Unis, p. 40.
18 Anonyme, Voyage au pays de la productivité, Rapports France-Etats-Unis, Août 1950, pp. 11 et 12.
19 Pierre Bize, Plan Marshall et productivité, Rapports France-Etats-Unis, Avril 1952, p. 26.
20 Pierre Badin, Aux sources de la productivité américaine, Premier bilan des missions françaises, p. 18.
21 Maurice Allais, Pourquoi l’Amérique a-t-elle des niveaux de vie élevés ?, Rapports France-Etats-Unis, Août 1950, p. 15.
22 André Blanchet, Les leçons de la productivité américaine IV L’état d’ esprit compte autant que la technique, Le Monde, 17 octobre 1950, p. 4.
23 Michel Crozier, Human Engineering, Les Temps Modernes, Juillet 1951, pp. 44 et 75.
24 André Blanchet, Op. cit., p. 4.
25 Richard F. Kuisel, L’American Way of life et les missions françaises de productivité, Vingtième siècle, Janvier-Mars 1988, pp. 26 à 30.
26 Hubert Bonin, Histoire Economique de la IVe République, p. 174.
27 Luc Boltanski, America, America, le Plan Marshall et l’importation du « management », Actes de la Recherche en sciences sociales, Mai 1981, pp. 22 et 23.
28 Pierre B. WoLFF, Op.cit., pp. 158 et 159.
29 Jacques Portes, Op. cit., p. 279.
30 Raymond Boisde, Op.cit., pp. 20 et 21. Voir également : Pierre Badin, Aux sources de la productivité américaine, p. 33. André Blanchet, La productivité américaine, Mérites respectifs du patronat et des syndicats, Le Monde, 12 octobre 1950, p. 3.
31 Jules Romains, Salsette découvre l’Amérique, p. 259.
32 Pierre et Renée Gosset, Op. cit., T1, p. 7. Voir également, sur le même sujet : Pierre B. Wolff, Op. cit., p. 52. Raymond Boisde, Op. cit., p. 50. Denis De Rougemont, Vivre en Amérique, pp. 142 et 143. H. J. Duteil, La grande parade américaine, p. 167.
33 Raymond Brun, Op. cit., pp. 31 et 32. Voir également : Pierre B. Wolff, Op. cit., p. 207. M. Koch, Standardisation, responsabilité et attitude interrogative, Rapports France-Etats-Unis, Août 1950, p. 25. André Blanchet, Les leçons de la productivité américaine III la vente, roue motrice de la production. Le Monde, 14 octobre 1950, p. 4.
34 Jean Demangeot, Les Etats-Unis, p. 115. Voir également : André Allix, A. Leyritz et A. Merlier, Op. cit., p. 335. Pierre Badin, Op. cit., p. 30. André siegfried, l’Ame des peuples, p. 176.
35 André Lafond, Retour d’U.S.A., L’aide américaine à la France, 1er août 1949, p. 20. Voir également : Raymond Brun, Op. cit., pp. 33 et 34. Jean-Marie Grevillot, Op. cit., p. 40. Pierre B. Wolff, Op. cit., p. 11. Gabriel-Louis Jaray, La lutte des partis aux Etats-Unis et l’élection présidentielles, Revue des deux mondes, 1er novembre 1948, pp. 162 et 163.
36 M. Koch, Op. cit., p. 27.
37 Guigueno (Vincent), L’ écran de la productivité : « Jour de fête » et l’ américanisation de la société française. Vingtième siècle Avril – Juin 1995, pp. 117 à 124.
38 Charles Cestre, Les Américains, p. 38. Voir également : Pierre Badin, Op. cit., p. 38. Raymond Büisde, Op. cit., pp. 40 et 41. Pierre B. Wolff, Op. cit., pp. 311 et 312. Edouard Megissier, Les Conventions Collectives aux Etats-Unis. Rapports France-Etats-Unis, Mars 1952, p. 15.
39 Jacques Portes, L’épreuve de l’étranger in l’Histoire des droites. Tome III sous la direction de Jean-François Sirinelli, p. 183.
40 Pierre et Renée gosset, Op. cit., Tome 1, p. 240. Voir également : André Lafond, Op. cit., p. 21. Georges Lebrun-Keris, U.S.A.-U.R.S.S., p. 21.
41 Georges Friedmann, Op. cit., p. 126. Voir également : Raymond Boisde, Op. cit., pp. 73 et 74. Paul Guerin, Les problèmes des Etats-Unis en 1951, Revue des deux mondes, 1er mars 1951, p. 69.
42 Daniel Baylon, L’Amérique mythifiée, p. 137.
43 Raymond Cartier, Op. cit., p. 17. Voir également : Maurice Dekobra, Op. cit., pp. 193 et 194.
44 Alexandre De SAINT Phalle, Op. cit., pp. 161 et 162.
45 Charles Cestre, Op. cit., p. 12. Voir également : Paul Bastid, Op. cit., p. 17. Henri J. Duteil, Op. cit., p. 171. Jean Gottman, L’Amérique, p. 243. Jacques Lemoine, Après une visite aux Etats-Unis, p. 30. Alexandre De Saint-Phalle, Op. cit., pp. 162 et 163. Christian Vieljeux, Chers U.S.A., p. 6. Pierre Ferenczi, Six semaines au U.S.A., Rapports France-Etats-Unis, Décembre 1950, p. 21. Idem Aspects de la vie ouvrière aux Etats-Unis, Rapports France-Etats-Unis, Septembre 1951, p. 55. Jean Nohain, Ils découvrent Broadway, Rapports France-Etats-Unis, Octobre 1951, p. 52. René Pinhas, Ils découvrent l’Amérique, Rapports France-Etats-Unis, Mai 1951, p. 65.
46 Hubert Bonin, Op. cit., p. 215.
47 Pierre Wai. ine, Les syndicats aux Etats-Unis, p. 1.
48 Georges Lefranc, Le syndicalisme en France, pp. 110 et 111.
49 Irving WAll, L’influence américaine, pp. 145 à 148.
50 Ibid, p. 165.
51 Ibid., p. 166.
52 Michel Crozier, Usines et Syndicats d’ Amérique, p. 11.
53 Pierre Waline, Op. cit., p. 23. Voir également : André Blanchet, La productivité américaine, Mérites respectifs du patronat et des syndicats, Op. cit., p. 3.
54 Pierre B. Wolff, Op. cit., pp. 284 et 285. Voir également sur le même sujet : Pierre Waline, Op. cit., p. 24. Georges Friedmann, Op. cit., p. 124. Edouard Megissier, Op. cit., pp. 16 et 17.
55 Pierre Waline, Op. cit., pp. 30 et 32 . Voir également : Lucienne Rey, Le syndicalisme américain va par des militants français. Rapports France-Etats-Unis, Janvier 1951, p. 54. Edouard Megissier, Op. cit., p. 17.
56 Raymond Aron, Le grand schisme, p. 296.
57 Quelques aspects de l’organisation et du fonctionnement des syndicats ouvriers américains, p. 44.
58 Pierre B. Wolff, Op. cit., pp. 284 et 285. Voir également : Pierre Waline, Op. cit., pp. 74 et 78. H. J. Duteil, Op. cit., p. 171. Raymond Boisde, Op. cit., pp. 42 et 43. L’aide à l’entreprise expression de la promotion ouvrière aux Etats-Unis. Rapports France-Etats-Unis, Août 1951, pp. 51 – 55. André Blanchet, La productivité américaine. Mérites respectifs du patronat et des syndicats, Op. cit., p. 3.
59 Pierre Waline, Op. cit., p. 62. Voir également : L. R. Franck, Op. cit., p. 209.
60 Quelques aspects de l’organisation et du fonctionnement des syndicats ouvriers américains, Op. cit., p. 44.
61 D’après Henri Brousse, le niveau de vie en Franc, p. 36 et Jean Heffer, les Etats-Unis de Truman à Bush, p. 78.
62 Maurice Allais, Pouvons-nous atteindre les hauts niveaux de vie américains ? – I l’efficience américaine, Op. cit., p. 9. Voir également : H. Mulstein, Soyons justes, même pour les Américains, III Capitalisme contrôlé et production en masse, instruments de la démocratie, Le Monde, 30 Décembre 1950, p. 3. Raymond Aron, Op. cit., p. 312. Jean Piel, Op. cit., p. 119.
63 André Siegfried, France-Angleterre-Etats Unis-Canada, p. 155. Voir également : Raymond Boisde, Op. cit., p. 32. Jean-Laurent Bost, Op. cit., p. 28. Charles Cestre, Op. cit., p. 36. Jean Gaudefroy-Denombynes, Op. cit., p. 231. Jean Gottman, Op. cit., p. 242. Marcel Marantz, Le plan Marshall. Succés ou faillite ?, pp. 70 et 71. Alexandre De Saint-Phalle, Op. cit., p. 29. Pierre B. Wolff, Op. cit., p. 106. André Blanchet, Les leçons de la productivité américaine. Aux Etats-Unis avec une mission de techniciens français, Le Monde, 11 Octobre 1950, p. 3. Pierre Ferenczi, Aspects de la vie ouvrière aux Etats-Unis. Rapports France-Etats-Unis, Septembre 1951, pp. 51 et 59. André Lafond, Op. cit., pp. 35 et 36. Henri Pierre, L’Amérique va-telle au socialisme d’Etat ? Le Monde, 16 Juin 1949, p. 2. André Siegfried, Les Etats-Unis – il y a cinquante ans et aujourd’hui Revue des deux mondes, 1er juin 1952, p. 457.
64 Georges Friedmann, Op. cit., p. 88.
65 Raymond Cartier, Op. cit., p. 169. Voir également : Raymond Boisde, Op. cit., p. 32.
66 Jean Heffer, Les Etats-Unis de Trumau à Bush, p. 78. Voir également : Henri Brousse, Op. cit., p. 36.
67 Raymond Cartier, Op. cit., p. 400.
68 J. A. Nenot, Op. cit., pp. 35 et 36.
69 L’industrie américaine du matériel électro-domestique et électro-thermique. Rapport de la quatrième mission de la construction électrique, p. 4.
70 Charlotte T. Muret, Choses vues aux Etats-Unis. Revue des deux mondes, 1er octobre 1948, p. 579. Voir également : Pierre Ferenczi, Le froid domestiqué. Rapports France-Etats-Unis, Mars 1953, p. 51. Louis Merlin, Christophe Colomb redécouvre l’Amérique, p. 138. Pierre B. Wolff, Op. cit., p. 82.
71 Alexandre De Saint-Phalle, Voyage aux Etats-Unis et à Cuba, p. 11. Voir également : Idem – Pax americana, Op. cit., p. 161. Charlotte T. Muret, Op. cit., p. 579.
72 Jacques Portes, Op. cil., p. 52.
73 Claude Belanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral, Fernand Terrou, Op. cit., Tome 4, p. 407.
74 Les Etats-Unis, les Américains et la France, Op. cit., p. 46.
75 Tableau Général de la Consommation des Français de 1950 et 1960. Consommation, Juillet-Décembre 1961, pp. 42 à 50.
76 Raymond Cartier, Les 48 Amériques, Op. oit., p. 213.
77 André Lafond, Op. cit., p. 35.
78 Georges Friedmann, Op. cit., p. 88. Voir également : Jacques Lemoine, Op. cit., p. 16. J. A. Nenot, Op. cit., p. 84. André Blanchet, Les leçons de la productivité américaine. Aux Etats-Unis avec une mission de techniciens français, Op. cit., p. 3.
79 Pierre et Renée Gosset, Op. cit., p. 203.
80 Dominique Borne, Histoire de la Société Française depuis 1945, p. 30.
81 Pierre et Renée Gosset, Op. cit., T. 1, p. 11.
82 Jean Nenot, Op. cit., pp. 24 et 25. Voir également : André Meynier, Aimé Perpillou, Louis François, Robert Mangin, Les principales puissances et la vie économique du monde, p. 270. H. J. Duteil, Op. cit., p. 270. Jean Gottman, Op. cit., pp. 237 et 238.
83 Philippe Schwer, Histoire de la Publicité, p. 88.
84 Article Advertising – Collier’s Encyclopedia – Tome 1 – Pages 136 à 153.
85 Ibid., p. 137.
86 Henri Troyat, La case de l’Oncle Sam, p. 46.
87 Louis Merlin, Christophe Colomb redécouvre l’Amérique, pp. 112 et 113.
88 Louis Lacroix, Plaisir immédiat… paiement différé. Rapports France-Etats-Unis, p. 69. Voir également : Aux sources de la productivité américains, p. 18.
89 Jean Nenot, Op. cit., p. 62 . Voir également : Raymond Brun, Op. cit., p. 53.
90 Raoul Daubry, Images des grands magasins américains. Rapports France-Etats-Unis, Décembre 1950, p. 36.
91 Jacques Portes, Pierre Melandri, Op. cil., p. 193.
92 Ibid., pp. 36 et 37. Voir egalement sur le même sujet : Pierre B. Wolff, Op. cit., p. 74.
93 Georges Friedmann, Op. cit., p. 83. Voir également : Jean Gottman, Op. cit., p. 238. Jean-Marie Grevillot, Op. cit., p. 60. Jean Nenot, Op. cit., p. 36. Christian Vieljeux, Op. cit., p. 13.
94 Jacques Portes, Op. cit., p. 47.
95 Jean Nenot, Op. cit., p. 32. Voir également sur le même sujet : Jean-Laurent Bost, Trois mois aux Etats-Unis, p. 176. Georges Friedmann, Op. cit., p. 84. Jean nohain, Ils découvrent Broadway, Op. cit., Octobre 1951, p. 49.
96 Paul Negrier, Quelques expériences et aspects de la vie américaine par un agriculteur français, pp. 38 et 39.
97 Jacques Portes, Op. cit., p. 45.
98 André Maurois, Conseils à un jeune Français partant pour les Français, p. 48. Voir également : Carl-Jean Bataille, Un élève pilote aux Etats-Unis, pp. 32 et 33. Félix De Grand’Combe, tu viens en Amérique, pp. 59 à 62. Pierre B. Wolff, Op. cit., p. 81.
99 Henry Couzinet, Impressions de voyage aux Etats-Unis, p. 10. Voir également : Pierre B. Wolff, Op. cit., p. 81.
100 Jean Laurent Bost, Op. cit., pp. 176 et 177. Voir également : Maurice Dekobra, Op. cit., p. 81. Carl-Jean BATAILLE, Op. cit., p. 87. Félix de Grand’Combe, Op. cit., pp. 41 à 50.
101 Maurice Bedel, Voyage de Jérome aux Etats-Unis d Amérique, p. 47.
102 D. Bonnalud, D’océan à océan, 1897 in Jacques Portes, Op. cit., p. 43.
103 Maurice Bedel, Op. cit., p. 57.
104 Ibid., p. 17.
105 Ibid., p. 22.
106 Ibid., p. 98.
107 Ibid., pp. 33 et 34.
108 Ibid., p. 204.
109 Pierre Poujade, J’ai choisi le combat. Photographie entre les pp. 224 et 225.
110 Dominique Borne, Op. cit., p. 28.
111 René DUMONT, Les leçons de l’agriculture américaine, p. 19. Voir également : Paul Negrier, Op. cit., pp. 6 et 7. André Lablanchy, L’équipement technique de la production de lait aux U.S. A, p. 13. Georges Haury, Les missions d’assistance technique agricole aux Etats-Unis. Rapport France Etats-Unis, Février 1951, p. 40.
112 Quarante jeunes agriculteurs, pp. 19, 20 et 39 à 41.
113 Paul Negrier, Op. cit., p. 44. Voir également : Quarante jeunes agriculteurs, Op. cit., p. 52. Raymond Cartier, Les 48 Amériques, Op. cit., p. 14.
114 Georges Haury, Op. cit., pp. 42 et 43.
115 René Dumont, Op. cit., p. 37. Quarante jeunes agriculteurs, Op. cit., p. 35.
116 Voir René Dumont, Op. cit., p. 104. Voir également : Quarante jeunes agriculteurs, Op. cit., p. 120. Henri Brousse, Le rendement de l’agriculture en France et aux Etats-Unis. Rapports France-Etats-Unis, mai 1951, pp. 19 et 20.
117 Raymond CARTIER, Les 48 Amériques, Op. cit., p. 287.
118 Quarante jeunes agriculteurs, Op. cit., p. 29. Voir également : René Dumont, Op. cit., p. 85. Georges Haury, Op. cit., p. 43.
119 Quarante jeunes agriculteurs, Op. cit., p. 30. Voir également : Paul Negrier, Op. cit., pp. 22 et 23.
120 Annie Moulin, Les paysans dans la société française, pp. 215-216.
121 Quarante jeunes agriculteurs, Op. cit., p. 19.
122 René Dumont, Op. cit., pp. 41 et 42. Voir également : Quarante jeunes agriculteurs, Op. cit., pp. 131-133. Geneviève Tabouis, Op. cit., p. 73.
123 René Dumont, Op. cit., p. 42.
124 Henri Brousse, Le niveau de vie en France, Op. cit., p. 39.
125 Quarante jeunes agriculteurs, Op. cit., pp. 182 et 183.
126 Henri Brousse, Le rendement de l’agriculture en France et aux Etats-Unis. Op. cit., Mai 1951, p. 22. René Chatelain, L’Agriculture Française et la Formation Professionnelle, pp. 214-222.
127 Georges Haury, Op. cit., p. 44.
128 André Lablanchy, Op. cit., p. 193.
129 Quarante jeunes agriculteurs, Op, cit., pp. 186 et 187. Voir également : Paul Negrier, Op. cit., p. 13. André Lablanchy, Op. cit., pp. 194 et 195. René Dumont, Op. cit., p. 111. Henri Brousse, Op. cit., p. 22.
130 Annie Moulin, Op. cit., pp. 207 à 210.
131 Quarante jeunes agriculteurs, Op. cit., pp. 199 et 200.
132 Maurice Carisey, Images des Etats-Unis, p. 52. Voir également : H. Couzinet, Impressions de voyage aux U.S.A., p. 13. Quarante jeunes agriculteurs, Op. cit., pp. 196 à 200. Paul Negrier, Op. cit., p. 22. Alexandre De Saint-Phalle, Pax Americana, Op. cit., p. 160.
133 Quarante jeunes agriculteurs, Op. cit., p. 193.
134 Henri MENDRAS, Etudes de sociologie rurale, Novis et Virgin. Passim.
135 Les Etats-Unis, les Américains et la France, Op. cit. 1953 n° 2 , pp. 54 et 55.
136 René Dumont, Op. cit., p. 85.
137 René Chatelain, Op. cit., Passim.
138 Les Etats-Unis, les Américains et la France, Op. cit. 1953 n° 2 , pp. 17 et 18.
139 Ibid., pp. 16 et 17.
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