URL originale : https://books.openedition.org/septentrion/117068

II. L’appropriation-reconstruction de l’événement
p. 179-196
Texte intégral
1. Une nouvelle visibilité
1La visibilité réduite constatée lors des années de balbutiement du direct, liée à l’insuffisance qualitative des images, est également dépendante d’un dispositif limité qui contraint le réalisateur à faire des choix. Cette visibilité tend à s’élargir, d’une part grâce à l’extension du dispositif et, d’autre part, grâce aux innovations techniques. L’évolution du direct du Tour de France se caractérise alors par une augmentation permanente du temps d’antenne et par une mobilisation des moyens techniques, en perpétuelle augmentation.
2L’amélioration des techniques de diffusion d’images génère bon nombre de modifications sur la nature du direct. Les innovations technologiques ont permis d’améliorer la qualité des retransmissions des rencontres sportives et de modifier le spectacle sportif télévisé. Il ne s’agit plus d’améliorer le direct, pour ne plus souffrir de la comparaison avec le spectacle vivant, mais de construire une nouvelle visibilité grâce à la multiplication des caméras, à l’intrusion dans l’univers intime des joueurs, à l’amélioration du niveau d’expertise. Dans ce cas, la télévision cherche à rentabiliser ses investissements qui proviennent non seulement de l’achat des droits de retransmission, mais aussi du coût occasionné par la mobilisation d’un dispositif de prises de vues de plus en plus onéreux. Les logiques d’innovations et de promotions se conjuguent, puisqu’il faut rendre le spectacle le plus attrayant possible, pour attirer un public le plus grand possible et rentabiliser les investissements. La télévision n’est plus uniquement dans une recherche de satisfaction du public, elle est désormais en quête d’audience.
3L’évolution du dispositif multiplie les points de vues. « Dans les années 1950, la conception de la mise en images exprimée par Pierre Sabbagh était la « monstration » télévisuelle de tout événement, le restituant impérativement dans son ordre et son rythme ‘‘naturel’’. » (James F., 1989). Quarante ans plus tard, Jean-Paul Jaud (1986), réalisateur à Canal+, énumère d’autres aspects d’un match de Football « Le téléspectateur doit entendre et voir [...]. L’aire du sport, c’est une scène, et la densité n’est pas forcément dans l’action. Il y a le jeu des regards, les vestiaires sont importants eux aussi. » Il s’agit dans ce cas d’une refonte de la manière d’informer, qui repose sur la transformation non seulement des faits montrés mais aussi du « quadrillage » tout autant instrumental (placement des caméras) que conceptuel (contenu). Ce que les professionnels appellent « le reformatage ». Cette réappropriation de l’événement par les chaînes de télévision est directement dépendante des logiques de promotion des diffuseurs. Nous l’avons déjà évoqué, Canal+ fonctionne sur une démarche volontaire d’abonnement qui impose à la chaîne un pouvoir d’attraction fort, mais de plus, comme le précise Jean-François Bourg (1998), « Un programme sportif télévisé est un bien qui a une forme immatérielle, autrement dit c’est au sens strict un service. Il est habituel de différencier les programmes de flux des programmes de stock. La diffusion d’un match de football ou d’une course cycliste en direct est un programme de flux. Sa valeur économique est détruite lors de son premier passage à l’antenne. Elle est directement liée à l’actualité immédiate. » Plus de 80 % de l’offre sportive est composée de programmes de flux ; il faut donc rentabiliser au mieux la retransmission. Ainsi, l’objectif est d’attirer un public le plus large possible, soit dans une perspective d’abonnement – tel est le cas des chaînes à péage ou des bouquets numériques – soit dans une stratégie d’audience qui permet de tirer profit de la retransmission grâce aux publicités qui accompagnent la retransmission. La concurrence entre les diffuseurs et la logique de rentabilité imposent une reconstruction du spectacle sportif télévisé qui passe par plusieurs procédures.
4Premièrement, cette réappropriation de l’événement s’effectue grâce à une réorganisation de la mise en image soit au moyen d’une multiplication des prises de vues et des innovations (22 caméras pour certaines rencontres de football, 15 sources d’images pour l’étape des Champs-Élysées, l’utilisation de travelling sur le bord du stade, des super-ralentis, des caméras miniatures (Paluches), des bras articulés (Louma)…), soit par une recherche de rentabilité qui a pour effet d’inclure la retransmission de la course dans une nouvelle organisation de la grille des programmes, recréant ainsi de nouvelles formes d’attente et de nouvelles formes de gestion du flux de l’antenne.
5Deuxièmement, l’évolution des images s’accompagne de celle des commentaires. En effet, ces derniers se diversifient en devenant plus intimistes, plus experts et en se spectacularisant avec la multiplication des prises de vues. L’augmentation du temps d’antenne laisse apparaître d’autres types d’informations qui dépassent le seul cadre de l’épreuve.
6Dans ce contexte, les commentateurs ont aussi pour tâche d’assurer le flux de l’antenne, inscrivant l’événement dans une globalité qui inclut les coupures publicitaires et les stratégies d’auto-promotion, vantant les mérites des équipes techniques ainsi que la qualité de la retransmission.
7Troisièmement, la télévision, est aujourd’hui dominante dans le champ médiatique et constitue aussi le partenaire financier principal de la production et de la distribution des événements sportifs. Ce double rôle est susceptible de créer des relations de pouvoir. Les télévisions exerceraient alors une influence tant sur le déroulement de l’épreuve, que sur les règles du sport elles-mêmes, pour rendre le spectacle plus télégénique.
2. L’évolution du dispositif
8L’évolution des moyens techniques utilisés induit des transformations dans la production du spectacle sportif télévisé. La formule de retransmission en direct de tout match de football, élaborée par Canal+ depuis le lancement de la chaîne, peut être ramenée à deux innovations techniques. Celle qui touche au déroulement de la soirée sportive et le « quadrillage » audiovisuel dont est l’objet le « spectacle » sportif lui-même. « La réalisation, c’est de la stratégie, un peu comme le jeu de go. Il faut quadriller le terrain, être prêt à anticiper et réagir vite. », (Jaud J.-P., 1986). Le spectacle vivant, source d’incertitudes, est peu compatible avec les exigences économiques avides, quant à elles, de certitudes. C’est la raison pour laquelle, la retransmission de l’événement ne se limite pas au temps de jeu. Dans le cas du football, Francis James (1989) évoque un dédoublement de l’objet journalistique en distinguant un match manifeste et un match latent. La « soirée » télévisée se compose de commentaires, de reportages et d’animations qui établissent des liens entre le visible et l’invisible, entre le match présenté et celui reconstruit, entre le factuel et le conceptuel. La recherche permanente d’innovations conduit alors à changer la nature du spectacle.
9D’autres éléments viennent enrichir la perception du cours du jeu. Les regards, les échanges dans les vestiaires et sur le terrain, le son du ballon frappé, sont autant d’éléments qui ont contribué à donner une dimension plus intimiste au jeu. Il existe un phénomène de participation et de proximité. Cette réappropriation a donc pour effet de renforcer ce phénomène d’intimité, grâce aux innovations technologiques. La miniaturisation permet elle aussi de rentrer de plus en plus dans l’univers intime du sportif. Cela introduit une nouvelle relation face à l’effort, à la souffrance. Les évolutions technologiques tendent à réduire la distance entre la scène du jeu et le téléspectateur. On assiste à la construction d’un modèle participatif. Le téléspectateur se trouve de plus en plus au cœur de l’action. Parallèlement, d’autres types d’innovations comme les prises de vues en hélicoptère permettent d’augmenter la distance avec l’aire sportive. La télévision élargit le champ du visible et parallèlement chaque innovation permet au diffuseur de faire la preuve de sa modernité.
10Le match « latent », quant à lui, abrite des « faits non événementiels » qui semblent posséder un pouvoir explicatif plus grand. L’introduction des statistiques et de l’expertise permettent de rendre compte de faits invisibles au départ pour les téléspectateurs. À l’observation directe s’ajoute la « connaissance médiate », qui recouvre le traitement par les technologies nouvelles, des « traces » laissées par le match ou l’événement comme autant de sources qui permettent d’en reconstruire les phases souterraines.
11L’accès à « l’intérieur » du match modifie la façon d’informer. L’utilisation des statistiques (attaques, tirs, maîtrise du ballon, les fautes) et de la caméra isolée (fiche d’identité, suivi, passes...) impose un autre degré d’expertise du jeu et, de plus, la retransmission gagne en rationalité ce qui constitue une valeur ajoutée. Il s’agit bien souvent de faits choisis et éventuellement construits. On assiste alors à la visualisation d’un autre match dans lequel des données quantifiées par l’apport des statistiques permettent d’élargir la perception, donc la compréhension, avec un caractère prédictif sur l’issue de la partie (exemple : pourcentage de réussite dans les différents compartiments de jeu en Tennis). « Le développement de la connaissance ‘‘médiate’’ introduit avec les faits reconstructibles, les principes explicatifs. » (James F., 1989).
12Le ralenti, fréquemment utilisé dans les retransmissions, se présente comme le « capteur » d’un mouvement fugace aux faces quasi invisibles. Les premiers ralentis datent de 1967 et avaient pour effet de ne renvoyer qu’aux actions déroulées en les répétant ; en revanche, dans la formule de Canal Plus, l’action semble plutôt « prélevée du jeu » et ralentie que répétée. L’action est considérée à part, décomposée pour gagner en pertinence. Son usage n’est pas uniquement lié à l’amélioration du degré d’expertise, il permet aussi, bien souvent, de produire ou de prolonger une émotion.
13L’utilisation de la palette graphique permet une relecture explicative de l’action. Elle participe au mécanisme de schématisation qui crée la connexion entre les parties d’un tout (les joueurs et l’action, l’action et le match, le visible et l’invisible).
14Parallèlement, la multiplication des points de vues permet d’offrir une autre dimension à la retransmission. On assiste alors à la « suzeraineté du visible » (Foucault M., 1963), constituée par le niveau intermédiaire entre le latent et le manifeste, entre le visible et l’invisible. S’il n’est pas perceptible de prime abord, il n’en demeure pas moins visible virtuellement. Le sport, qui a construit sa légitimité auprès des médias grâce à l’imaginaire qu’il générait, semblait devoir être affecté par sa mise en image. En réalité, ce niveau intermédiaire recrée un nouvel espace de réception et autorise des formes d’appropriation diverses en fonction des publics. Le spécialiste du sport retransmis sera peut-être amené à percevoir des faits que les commentaires ne révèlent pas. Certaines émotions peuvent être ressenties sans qu’elles soient explicites de la part des commentateurs.
15Comment les retransmissions du Tour de France s’accommodent-elles de cette évolution médiatique imposée par la chaîne cryptée ? Dans le même temps, l’augmentation des droits et des coûts de production modifie le statut l’événement. Dans les années 1960, les insuffisances techniques ne permettaient pas de couvrir longuement les étapes du Tour et dans ce cas, la retransmission était discontinue. Elle devient continue avec le développement du direct et grâce à l’autonomie croissante des moyens techniques, mais elle reste encore limitée et fractionnée. Avec la recherche de l’audience quelles formes prend alors le direct de la course ? On peut faire l’hypothèse qu’il s’intègre dans de nouveaux agencements de la retransmission, prenant alors une place nouvelle et revêtant de nouvelles formes dans les programmes, le direct de la course deviendrait alors continu avec une maîtrise de la durée, mettant à profit les incertitudes temporelles de la retransmission.
16Dans le même temps, cette retransmission fondée sur deux dimensions contradictoires { (Prévisibilité et incertitude)- (discours de raison et de passion)}, a pour effet de multiplier les dispositifs de mise en récit, élargissant ainsi l’accès de la retransmission.
3. Une diversification des commentaires
17Depuis 1968, avec Pierre Albaladejo en rugby, le commentateur fonctionne en équipe, avec un ancien champion, ou un technicien consultant. Issu du monde sportif, ce nouveau commentateur donne du crédit aux commentaires. Il permet de répondre à la diversité des attentes liées aux degrés d’expertise du spectateur. Il a aussi une fonction pédagogique, pour aider à la compréhension du jeu. Il donne du sens à l’engagement, il aide aussi à la construction des émotions : il témoigne avec toute la légitimité attachée à son vécu de sportif. Le document produit par le CSA en 1991, évoque « le recours à des experts extérieurs pour assurer le commentaire d’une épreuve. » Le rapport précise que l’Union Syndicale des journalistes sportifs français s’en est émue, tout en reconnaissant la qualité de leur contribution. Il convient, en tout état de cause, que les consultants soient indépendants des intérêts des annonceurs et de ceux de l’organisateur de l’événement. Dans bien des cas, le journaliste organise le commentaire, le consultant répondant aux nouvelles attentes. Le CSA précise que le public amateur est exigeant, parce que connaisseur de la discipline, de sa pratique, de ses protagonistes.
18Les journalistes de la nouvelle génération semblent avoir su répondre à cette exigence. Ils se classent en deux écoles. Ceux qui misent sur la précision et s’adressent aux connaisseurs. Ceux qui font acte de pédagogie et cherchent à faire partager l’intérêt de la compétition au plus large public possible. Ces deux écoles ont leurs mérites. L’important est qu’elles s’équilibrent. Le couple journaliste - consultant semble répondre à cette double exigence.
19La diversification des commentaires dépasse l’association « journaliste-consultant ». Jean-Marie Charon (1994), nous rappelle : « Hétérogène, diverse..., chacun sait depuis le XIXe siècle à quel point le journalisme peut donner lieu à des pratiques multiples. Une opposition classique conduit à distinguer deux grandes formes de pratiques journalistiques : ‘‘le journaliste debout’’, dont l’essentiel de l’activité consiste à aller chercher l’information, à enquêter, à s’aventurer sur le terrain. Cette forme de journalisme bénéficie d’une notoriété particulière dans la profession elle-même. Par contre, ‘‘le journaliste assis’’ reste au sein de la rédaction, où il passe l’essentiel de son temps. » Actuellement, on observe aussi lors des directs deux types de journalistes. Ceux qui commentent la rencontre à partir de la tribune de presse et ceux qui « descendent » sur le terrain pour assurer des investigations. C’est généralement l’occasion d’interroger les entraîneurs sur le banc de touche, les responsables d’écurie dans les stands automobiles, de suivre une course cycliste en moto ou de recueillir les premières impressions, à chaud, des protagonistes.
20L’objectif est avant tout d’enrichir l’information sur l’événement, de donner des réactions, des anticipations possibles, de chercher à obtenir un scoop sur le déroulement de la partie (annoncer un changement de joueur avant qu’il n’ait effectivement lieu, être au cœur d’une tentative d’échappée...).
21Pour Edwy Plenel (1992) « parler de journalisme d’investigation est un pléonasme. » Cette notion d’investigation évoque un des aspects d’une pratique professionnelle. À l’origine, cela consistait pour le journaliste à se déplacer sur les lieux des événements, non seulement pour réduire le temps de restitution de l’information, mais aussi pour donner plus d’authenticité au récit. Pour la télévision, cette pratique s’est concrétisée par des directs en extérieur qui ont contribué à construire sa notoriété. La notion d’investigation qui est associée à l’idée de prouesse, évolue. L’exploit télévisé n’est plus de se déplacer au sein de l’enceinte du spectacle vivant qui constitue l’événement à retransmettre, mais de se rapprocher le plus possible de l’action. Dans le cas du Tour de France, les images retransmises par les motos permettent d’être dans l’action. Avec la Formule 1, la télévision crée de nouveaux rapports avec le téléspectateur puisqu’il devient acteur de la course grâce aux caméras embarquées. Cette transformation est la marque d’un changement de lieux d’implantation de la télévision qui investit de nouveaux espaces. Le point de repère dans la construction des images n’est plus uniquement le spectacle vivant ; désormais, la distance se réduit entre la caméra et le jeu. La télévision nous montre des images en perpétuel renouvellement.
22Il est donc difficile de séparer la nature des discours des images proposées au public. La diversification des commentaires permet non seulement d’élargir l’audience, mais dans le même temps, l’évolution des dispositifs et des images modifie la nature du récit. De ce fait, c’est tout le spectacle sportif télévisé qui se trouve transformé.
4. Logique du jeu, logique de l’enjeu
23100 ans après Coubertin, « Le sport est le seul mode de communication universel et accessible, substitut laïc des aspirations religieuses des masses, le sport offre des investissements affectifs, abrite des symboles et nourrit des mythes. Il se prête fort bien à la dramaturgie du petit écran. » (Le Leurch V., 1994). On assiste aujourd’hui à une dramatisation du spectacle : le journaliste fixe les enjeux et donne du sens au duel en recréant de nouveaux espaces suggestifs. En 1994, Pierre Fulla, journaliste sur France 2, évoquait, à l’occasion d’un match de boxe (championnat d’Europe du 23/07/94) opposant le Français Proto, et Castillejos, l’Espagnol, le conflit de la pêche ayant opposé les marins français et espagnols. Le journaliste crée une tension qui n’existe pas au préalable, avec un enjeu nationaliste. Proto est susceptible de « venger » les marins pêcheurs français. Les rencontres France/Angleterre font resurgir les fractures de notre histoire. Il n’est pas rare d’évoquer la guerre de 100 ans ou la bataille de Waterloo avant ces grandes rencontres internationales. La métaphore sportive, liée au duel, à l’affrontement, à la mort symbolique du ou des adversaires est utilisée en dehors du sport lui-même. C’est le cas également des grandes rivalités ou des duels, des réconciliations nationales, à l’exemple du match de football ayant opposé la France à l’Allemagne en octobre 1952, du match USA/Iran lors mondial 1998, du sportif ressuscité, à l’image de Marco Pantani, vainqueur du Tour 98, qui revint au premier plan malgré un accident survenu quelques années auparavant. J. Ulrich, en 1997, incarna la réunification réussie des deux Allemagnes. La victoire de Lance Amstrong dans le Tour 1999 est non seulement sportive, mais aussi humaine après avoir vaincu un cancer.
24Pour attirer des spectateurs potentiels, une chaîne de télévision crée le spectacle, définit des enjeux. La rencontre de football « France/Algérie » diffusée le 6 octobre 2001, était chargée d’une dimension symbolique forte. Elle devenait un match historique dont la fête fut gâchée par l’intrusion sur le terrain de quelques fervents spectateurs algériens. Dans ce cas, on assiste à la construction d’un drame, la télévision devient alors le lieu de tous les excès. La retransmission d’une rencontre constituait, il y a quelques années, un événement en soi ; aujourd’hui, l’augmentation de l’offre télévisée impose aux chaînes de promouvoir une retransmission, en lui donnant une valeur symbolique surajoutée ou grâce à l’utilisation de bandes-annonces pour attirer des téléspectateurs.
5. Le sport soumis aux exigences de la télévision
25Le sport répond à la vieille loi de l’offre et de la demande. En effet, les grands événements étant rares, ils génèrent une forte audience et les chaînes disposées à racheter les droits sont de plus en plus nombreuses. On assiste alors à une inflation des prix qui, par ailleurs, engendre une contradiction définie par Noël Nel (1996) : « Alors que le sport est soumis à l’incertitude, l’économie est au contraire avide de certitude, la télévision actuelle obsédée par la maîtrise de tout public aléatoire, et la société perplexe devant le sens du message sportif. » La télévision est aujourd’hui dominante dans le champ médiatique et constitue aussi le partenaire financier principal du sport. Ce double rôle économique crée des relations de pouvoir. Les télévisions exercent une influence sur le déroulement de l’épreuve, et parfois sur les règles du sport. Il s’agit toujours de rendre le spectacle plus télégénique, mais aussi de parer le plus possible à l’incertitude du jeu. Dans le même temps, toute atteinte à cette incertitude peut engendrer des effets négatifs sur l’audience, à l’exemple de la suprématie de Schumarer et de Ferrari en Formule 1, des sœurs Williams en Tennis féminin, de Lance Amstrong à l’occasion du Tour de France. La perspective de la victoire de David contre Goliath ne suffit plus à définir les enjeux de la rencontre, il faut dans ce cas créer de nouveaux espaces suggestifs.
26Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la médiatisation des événements sportifs permet le financement du sport. Il est donc difficile de rejeter systématiquement le rôle que peuvent avoir les médias car la relation « sport télévision » répond à la loi de l’économie et le mouvement sportif, pris dans cette logique, a néanmoins le pouvoir d’accepter ou de refuser les propositions, mais le système fédéral n’est peut-être pas toujours suffisamment structuré pour affronter ces nouvelles contraintes. On peut citer le cas de la Fédération Française de patinage artistique qui, suite aux résultats d’audience de la retransmission de la finale dame des Jeux Olympiques de LilleHammer en 1994 et grâce aux performances des patineurs français, s’est vue proposer des droits d’exclusivité importants de la part de TF1 (15 millions de Francs par an pendant 5 ans). Mais les résultats sportifs inégaux de Surya Bonaly et de Philippe Candelloro n’ont pas permis d’atteindre les parts d’audience suffisantes pour rentabiliser l’achat des droits, ce qui a provoqué un désengagement de TF1, dont la conséquence a été la mise en faillite de la fédération, celle-ci ayant oublié de prendre en compte la part d’incertitude propre au sport. Un autre exemple concerne les organisateurs du tournoi de Tennis de Wimbledon qui ont vendu les droits d’exclusivité à une chaîne anglaise à péage. Cependant, la confidentialité de cette chaîne cryptée a eu pour effet de réduire l’intérêt porté à ce tournoi qui ne fait plus partie aujourd’hui des compétitions de l’ATP Tour. De même, TF1 a appris à ses dépends que le parcours sportif de l’Équipe de France de Football n’était pas conforme à l’avenir qui lui était promis. Quel est l’avenir du feuilleton de Canal + qui a proposé 480 millions d’Euro pour obtenir la diffusion des matchs de ligue 1 en exclusivité ? La chaîne cryptée se trouve dans une spirale schizophrénique, elle a besoin de la diffusion du Football pour survivre, mais le montant des coûts risque d’occasionner sa perte financière.
27Deux conceptions du sport cohabitent, celle du bénévolat et du monde associatif, avec un sport qui s’est construit autour de l’idée de service public, et celle du marché où le sport est un produit de service et de consommation. Dans ce cas, la télévision, instrument de promotion du sport, a alors des effets contradictoires. La médiatisation du sport a des conséquences sur le nombre de licenciés (augmentation des licences en Handball après le titre mondial de l’équipe de France, mêmes effets pour le Football en 1998). Pour beaucoup de clubs non médiatisés, l’achat de licences constitue une source de revenus importante. Le traitement inégal du sport dans les médias tend à renforcer les inégalités. La part de revenus que représente le nombre de licenciés (l’achat de licences, subvention du Ministère de la jeunesse et des sports) pour une fédération est proportionnellement plus importante dans les sports non-médiatisé, alors que ce sont les sports médiatisés qui auront tendance à attirer de nouveaux licenciés.
6. Liens de connivence, enjeux de pouvoir
28Les rapports qu’entretiennent le sport, la télévision et le monde économique s’accompagnent de phénomènes de connivence renforcés par les droits d’exclusivité. Chacun a besoin de l’autre pour subsister. Le diffuseur principal se trouve alors dans une sorte de schizophrénie, partagé entre le devoir d’informer et la complaisance vis à vis de l’événement retransmis. Comment peut-on être critique lorsque l’on est à la fois juge et partie ? Les discours s’inscriraient davantage dans une logique de communication marketing que d’information, mais la frontière entre les deux ne peut se réduire au degré d’investissement économique dans un sport.
29L’expression d’une opinion ou d’une critique relative au déroulement d’un match peut dépasser la simple nécessité d’informer pour s’apparenter à de l’ingérence. Il arrive que les commentateurs conditionnent le maintien ou la destitution d’un entraîneur au résultat final d’une rencontre. Dans le même temps, les institutions sportives exercent également une forme de pouvoir. Quelques exemples sont à noter au niveau de ces ambiguïtés relationnelles. En 1989, Alain Vernon et Dominique Leglou, journalistes de sport à France 2, se sont trouvés confrontés à une mise à l’écart des coureurs et des directeurs sportifs, après un reportage consacré au dopage où ils mentionnaient des cas dans le Tour de France. À propos de cet événement, Dominique Leglou précise : « Le poids d’un pauvre petit journaliste de base face au poids d’un contrat d’exclusivité, c’est zéro. » (in Maitrot E., 1996).
30Entre connivence et pouvoir, Pierre Salviac, le monsieur Rugby du service public, a « osé » remettre en question la politique suivie par la Fédération dans la préparation de l’équipe de France avant de la comparer avec celle, jugée plus efficace, de la Fédération anglaise. Pour répondre à cette critique formulée lors du « Stade 2 » du 11 décembre 1995, soit six mois avant la coupe du Monde qui doit se dérouler en Afrique du Sud, Bernard Lapasset, Président de la Fédération Française de Rugby, écrit une lettre qui fera beaucoup de vagues dans les salles de rédaction. Elle est adressée à Jean-Pierre Elkabbach, P.D.G. de France Télévision : « [...] Je ne crois pas surtout souhaitable qu’un représentant de France Télévision, partenaire de la FFR (Fédération Française de Rugby), exprime de tels jugements à l’emporte-pièce. [...] Il (Pierre Salviac) doit rester au service des intérêts supérieurs de nos institutions. Ces manquements répétés nuisent au bon climat entre les hommes chargés d’animer nos accords. [...] Il y a là une dérive difficile à maîtriser pour la bonne santé de nos relations de partenaires. Il faut rapidement que nous trouvions une solution acceptable par tous [...] (In Maitrot E., 1996).
31Le journaliste, nommé depuis adjoint au directeur des Sports, responsable de l’antenne et de l’organisation du travail des journalistes, tout en préservant son poste de commentateur du rugby, tentait de calmer le jeu après quelques échanges virulents par voie de presse interposée : « en dix ans notre métier a beaucoup évolué. Aujourd’hui il arrive toujours un moment où l’organisateur te rappelle que tu n’es qu’un employé de son partenaire... » (In Maitrot E., 1996).
32Les exemples sont nombreux pour illustrer cette ambiguïté relationnelle entre la sphère journalistique et la sphère sportive et institutionnelle, ce qui induit des différences de traitement médiatique. On pourrait évoquer les différences entre France 2 et TF1 au sujet de l’affaire OM/VA. La chaîne publique fut à l’origine des confessions publiques de Jacques Glassman, joueur dénonçant la tentative de corruption dont il avait fait l’objet, tandis que TF1 défendait un de ses actionnaires, par ailleurs Président du club soutenu par la une : « le Député de l’OM », Bernard Tapie (In Maitrot E., 1996).
33Ces relations particulières induisent des rapports de pouvoir. TF1, en contrat avec la Fédération Française de Patinage sur glace (FFPG), usa de ses influences pour interdire la participation des patineurs au Trophée Lalique, parrainé par le service public et qui ne figurait pas au contrat d’exclusivité signé entre la chaîne privée et la FFPG. Ces accointances apparaissent aussi, au travers des attitudes équivoques des journalistes assurant le direct lors du Grand prix de Formule 1 d’Imola, le 1er mai 1994, et qui fut le lieu de plusieurs accidents meurtriers et notamment celui d’Ayrton Senna.
34Lors du Tour de France 98, avec les révélations de cas de dopage dans le peloton, France2, partenaire de l’épreuve n’adoptait pas le même discours que TF1 qui pouvait se réjouir des mésaventures de la grande boucle. Patrick Chêne, présentateur du 13 h et commentateur de la course, adoptait des discours différents en fonction du lieu où il se trouvait (plateau du 13 heures, cabine de commentaires).
35Un code déontologique existe, le CSA lui-même « n’entend pas s’immiscer dans la déontologie professionnelle des journalistes sportifs. Cette fonction revient de droit à l’Union Syndicale des Journalistes Sportifs Français, qui, d’ailleurs, fait de la défense de l’éthique un axe prioritaire de son action. » Le conseil poursuit avec des propos qui différencient les journalistes sportifs de leurs homologues des autres spécialités. « Juger de la qualité des journalistes sportifs de télévision est une entreprise délicate que seuls peuvent assumer leurs pairs et, globalement, le public. » Reconnaître ce droit du public, c’est admettre le taux d’audience comme critère de qualité.
7. Une diversification des formes de réception
36La télévision multiplie les innovations techniques pour séduire de nouveaux téléspectateurs. Ces innovations se centrent sur une diversification des informations pour satisfaire un public le plus large possible. L’information devient de plus en plus experte et se spectacularise dans le but de provoquer des émotions. Ces évolutions contribuent à positionner une chaîne dans le PA.F.
37Le secteur industriel et la télévision elle-même sont à l’origine de l’apport massif de capitaux dans le marché du sport télévisé.
38En effet, le secteur industriel s’appuie sur le sport pour cibler un public, et véhiculer des valeurs et des vertus. Par conséquent, le sport engendrant une audience forte, les différents annonceurs cherchent à être présents au moment de la programmation d’événements sportifs, ce qui a pour effet d’augmenter le prix des messages publicitaires. Notons l’utilisation fréquente par la publicité marketing de la dimension polysémique du sport dans ses diverses connotations telles que : la force, la grâce, l’émotion, le dynamisme, l’esprit d’équipe... Cette approche marketing est rendue possible grâce au rôle joué par la télévision qui, non seulement vend des espaces publicitaires, mais se fait également l’écho de ces valeurs.
39Dans cette perspective, la télévision ne fonctionnant plus uniquement comme un média, mais aussi comme une entreprise publique ou privée, elle en développe les logiques d’ordre économique. Ainsi, non seulement le sport contribue à créer l’identité des différents diffuseurs en participant à la construction de leur image, mais l’audience des émissions à caractère sportif permet également d’engranger des recettes publicitaires importantes.
40Lorsqu’une chaîne déploie des moyens considérables pour commenter une retransmission, pour enrichir le contenu informationnel et émotionnel de la partie, il s’agit sans aucun doute d’une logique d’« information spectacle ». De surcroît la qualité des images et la pertinence des commentaires participe à la fonction de communication de la chaîne qui renforce (ou crée) une image. Un diffuseur construit sa notoriété autour de la qualité de ses retransmissions sportives. Les grands événements internationaux sont souvent l’occasion pour les chaînes de développer des moyens considérables, parmi lesquels le recours à des consultants reconnus pour commenter les épreuves.
41Le service public, composé de France 2 et France 3, joue souvent sur la diversité, la complémentarité et la régionalisation. Il est fréquent que le début d’une étape soit retransmis en intégralité en alternant la diffusion sur les deux réseaux France 2 et France 3. Le direct de la course et les différentes émissions proposées permettent la valorisation régionale et locale.
42« L’indicateur de diversité », calculé par le CSA, place France Télévision en tête. Viennent ensuite Canal+ et TF1. France 2/3 adopte une politique liée à son statut de service public, en mettant à profit les différentes vocations des deux chaînes. Le plus difficile d’après Jean Réveillon, directeur des sports de France 2/3 entre 1992 et 1998, était de satisfaire le public le plus diversifié possible, tout en réussissant à obtenir un taux d’audience suffisant. L’ancien directeur des sports de France Télévision, dont le seul critère fiable était celui de 30 % de parts de marché, argumente par le fait qu’il est redevable des deniers publics, la multiplication des retransmissions augmentant les coûts de production.
43À l’opposé, TF1 cible sur les quelques sports susceptibles de lui garantir le taux d’audience le plus important, mais généralement ces sports de forte audience, sont également ceux qui ont des droits de retransmission les plus élevés.
44Cette logique engendre toutefois deux contradictions. La première concerne la tâche du journaliste sportif qui doit informer et commenter un événement dans lequel il est investi affectivement mais en même temps, il doit assurer la promotion de sa chaîne et est confronté à une démarche de marketing développée par son employeur.
45Le deuxième se porte sur les intérêts contradictoires du secteur industriel pour le spectacle sportif télévisé. Dans une recherche de rationalité publicitaire, le sport permet d’atteindre des cibles plus précises, de toucher un public mieux connu donc mieux maîtrisé. Cette intention semble peu compatible avec celle qui consiste à élargir l’audience grâce aux innovations technologiques qui permettent d’améliorer la compréhension du jeu, de donner davantage de sens, de partager les émotions pour conquérir des pourcentages de parts de marché plus importants.
46Les évolutions technologiques ont changé la nature des images et, par voie de conséquence, le contenu des discours. Le sport fut à l’origine de ces évolutions, en faisant apparaître de nouveaux besoins dans le domaine des techniques de prise de vues et de diffusion. De plus, en tant que vecteur de communication, le sport a modifié les rapports établis depuis plus d’un siècle avec les médias. Si la télévision est susceptible d’imposer son pouvoir, les organisateurs d’événements sportifs, peuvent, eux aussi, imposer leurs exigences au diffuseur. On assiste alors à une modification du traitement journalistique d’un événement.
47Christian Bromberger (1992) explique à propos du football :
« Par la diversité des qualités qu’il exhibe, le football est le foyer virtuel d’une gamme extraordinairement variée de possibilités identificatoires, qui se modulent selon les habitus des différentes catégories de spectateurs : identification, bien sûr, à une ville, à une région, à une entreprise à travers le style et la composition de l’équipe que l’on supporte ; identification préférentielle à tel ou tel type de joueur selon les qualités (force, finesse, sens de l’organisation...) que l’on valorise dans son univers culturel et sa pratique professionnelle ; identification de l’équipe ou du club à un modèle idéal de vie collective ; identification enfin que constitue un match, la saison d’une équipe, l’histoire d’un club aux expériences heureuses et malheureuses de la vie personnelle ou collective. »
48Le sport offre au spectacle télévisé une variété de possibilités identificatoires qui vient compléter la diversité du message sportif. Le direct sportif a pour ancrage le spectacle vivant. En effet, la télévision cherche à ses débuts à montrer la réalité de l’événement, puis l’évolution des dispositifs, des images et des stratégies de promotion transforment le spectacle sportif télévisé en une déconstruction/reconstruction de l’événement sportif. Mais il serait illusoire de prétendre que tout est maîtrisé ; un grand nombre d’innovations ou d’actions marketing ont connu des fortunes diverses, soit parce que les techniques n’étaient pas fiables1, soit parce qu’il n’y a pas eu un écho suffisant de la part du public2. La diversité des formes de réception est difficilement contrôlable, mais elle joue un rôle déterminant dans l’audience et n’est pas uniquement liée aux caractéristiques intrinsèques du sport.
49Pour Noël Nel (1996) : « Le sport télévisé a plusieurs publics. J’en vois au moins trois : inégaux, hétérogènes, voire incompatibles. Il y a ceux qui aiment le sport (et qui, souvent, le pratiquent), ceux qui aiment la télévision et ceux qui aiment le métalangage. Bref : les fous du jeu, les fous de l’image et du jeu et les fous du contexte du jeu. Si un seul individu peut difficilement héberger cette triple folie [...], il n’en demeure pas moins que nous sommes tous constitués, selon des dosages divers, de ces trois publics. »
50L’évolution du direct sportif induit une double distanciation par rapport au spectacle vivant. La première est relative à la réappropriation de l’événement sportif par les diffuseurs d’images, la seconde est dépendante des formes de réception. Comme le précise Charles Suaud (1996) : « Les émotions ressenties par les téléspectateurs n’ont plus de lien direct avec l’espace réel de la pratique sportive. Elles ont leurs propres principes d’organisation qui relèvent en première instance de l’espace médiatique qui produit le spectacle, secondairement des conditions de réception du message sportif (entre amis, famille...). »
51Dans ce cas, tous les téléspectateurs ne participent pas au même spectacle. Ce dernier ne se déroule plus dans un lieu public qui lui est spécialement destiné (le stade, le gymnase, la piscine...), il entre dans l’espace de la vie privée et n’est plus séparé des autres activités de la vie quotidienne. « L’absence d’un lieu de spectacle où le public se réunit et communie, laïcise l’événement sportif et souvent le désacralise. La retransmission d’un match à la télévision n’est pas un moment privilégié séparé du temps des activités courantes, comme l’est la rencontre sportive dans un stade qui suppose un déplacement et un abandon de son activité domestique. » (Chazeau P., 1995). Ce changement de lieux laisse apparaître une diversité des comportements du téléspectateur face aux émissions consacrées au sport. Chazeau en a défini cinq catégories.
52Le téléspectateur hypnotique est en état de fusion et de communion intense avec le match. Il exige le silence et le recueillement autour de lui. Il est en état de symbiose.
53Le téléspectateur interactif échange avec ses proches dans la pièce où est placé le téléviseur, commentant la rencontre sportive, participant aux jeux et aux pronostics proposés par le commentateur de la rencontre sportive ou l’animateur de l’émission. Il a besoin de parler, d’échanger ses impressions.
54Le téléspectateur zappeur a pris ses distances vis-à-vis de l’événement sportif. Il suit l’émission par bribes. Il papillonne et passe d’une chaîne à l’autre. Il déconstruit l’émission et déprogramme la télévision.
55Le téléspectateur puriste coupe le son. Il n’est intéressé que par le spectacle et non par son commentaire qui, pour lui, parasite le match.
56Le téléspectateur somnambule a besoin du bruit de fond de l’émission sportive ou des affects liés au sport (convivialité, camaraderie).
57Il ne suit pas véritablement l’émission sportive, mais a besoin d’une « présence », d’un « référent » pour s’assoupir ou faire autre chose.
58Le transfert du spectacle sportif d’un espace public (le stade, le gymnase) à un espace privé, celui du salon domestique où trône la télévision, a modifié les conditions de la réception du message sportif.
59Quelle va alors être la participation du téléspectateur dans son fauteuil par rapport à celle du spectateur assis dans le stade et communiant avec les autres dans un drame qui se joue en direct sous ses yeux ? Quel va être « le travail3 » au sens Freudien des images du sport sur le spectateur ? Le sujet n’est-il pas dominé par un imaginaire vécu comme plus réel que le réel ?
60Dans les années 60, l’événement sportif est un événement télévisuel et le spectacle sportif télévisé repose sur la fascination du téléspectateur qui assiste à deux événements : l’un concerne les émotions du sport, l’autre la magie du petit écran. L’offre étant limitée, (chaîne unique, durée courte des programmes, directs ponctuels…), le direct sportif est rare et se transforme en événement. On peut affirmer alors qu’il existe deux types de téléspectateurs : les hypnotiques, séduits par la double attraction du spectacle sportif télévisé, et les interactifs qui participent à la retransmission en groupe, dans des lieux de convivialité tels que le domicile ou le café.
61Aujourd’hui, il existe une pluralité d’offres et les modes de réception se sont diversifiés. Le seul critère reconnu par les diffuseurs étant l’audience, cette diversité des modes de réception est peu compatible avec la recherche d’un public ciblé connu à l’avance. N’a-t-on pas fait l’éloge du public féminin qui a assisté à la coupe du monde de Football ? Les femmes ont suivi un événement sportif qui ne leur était pas destiné au départ. Il n’existe pas un mais des spectacles sportifs télévisés. Les caractéristiques polysémiques du sport et la mise à distance du spectacle vivant produisent d’autres formes de différenciation (réappropriation, réception).
62Le direct sportif n’est pas uniquement un événement sportif, il devient alors un événement médiatique. Aujourd’hui la médiatisation du sport a pour effet d’amener les spectateurs dans le stade. La télévision n’est plus l’ennemi du spectacle vivant, elle est au contraire devenue son alliée.
63Lors de la Coupe du monde Football, avec les écrans géants installés dans les villes, on a pu découvrir de nouveaux espaces de diffusion et la recréation de formes de réception proches de celles produites dans les stades4. La ville devenant le stade, le spectacle sportif télévisé se produit dans l’espace de la vie quotidienne.
Notes de bas de page
1 L’expérimentation du système virtuel proposé lors de la coupe du monde de football n’a pu être poursuivie jusqu’au terme de la compétition en raison d’insuffisances techniques.
2 La retransmission en prime time du prologue du Tour de France qui se disputait à Saint Brieux, n’a pas eu les résultats escomptés compte tenu des conditions climatiques.
3 Travail doit être compris dans le sens que lui donne Freud dans l’expression travail du rêve, à savoir une série d’opérations intra-psychiques.
4 Les villes qui avaient organisé ces diffusions comptaient entre 30 000 et 100 000 téléspectateurs réunis dans un même lieu.
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Le Tour de France : un modèle médiatique
Ce livre est cité par
- López, Bernat. Kettner-Høeberg, Helle. (2017) From Macro to Mega. Communication & Sport, 5. DOI: 10.1177/2167479515598956
- Vonnard, Philippe. Mayencourt, Gil. Gerber, Hans-Dieter. (2019) « La Fabrique des sports nationaux ». Étudier l’émergence d’une élite du sport Suisse (1860-1930). Staps, n° 125. DOI: 10.3917/sta.125.0151
- Cléder, Jean. (2018) De l’action à sa légende. Sens public. DOI: 10.7202/1059013ar
- Varnajot, Alix. (2020) The making of the Tour de France cycling race as a tourist attraction. World Leisure Journal, 62. DOI: 10.1080/16078055.2020.1798054
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