1. L’élargissement de l’offre

1Dans son analyse économique, Jean François Bourg (1998) distingue trois périodes de l’offre télévisuelle.

2De 1949 à 1974, le régime « administré » réserve le monopole à l’entreprise publique qui propose un seul programme, puis deux en 1964, puis trois en 1972. Seules les deux premières peuvent diffuser du sport. Les logiques de promotion existent, nous les avons évoquées, mais cette régulation administrative déconnecte l’offre de la demande. La concurrence ne se situe pas entre les différents programmes, mais entre la télévision et les organisateurs du spectacle vivant, le cinéma et la presse écrite. La mission du service public était de séduire et de satisfaire le téléspectateur. L’apparition de la deuxième puis de la troisième chaîne répondait à un souci de diversification des programmes pour offrir des possibilités de choix plus importants.

3De 1975 à 1984, un régime « semi-concurrentiel » crée trois sociétés nationales de programmes (TF1, Antenne2 et FR3). La concurrence est faible puisque ces trois chaînes relèvent du service public et s’entendent pour harmoniser leur programmation. Toutefois cette concurrence existe dans la mesure où chaque entreprise est responsable de ses programmes, les ressources dépendant partiellement de l’audience par le biais de la publicité.

4Depuis 1984, un régime « concurrentiel » contraint les différentes chaînes à rationaliser leurs coûts de production et à conquérir des parts de marché (audience, recettes publicitaires). Les naissances de Canal + en 1984, de la Cinq en 1986 et la privatisation de TF1 en 1987, l’ouverture de réseaux thématiques (TV sport en 1988, Eurosport en 1989), les bouquets numériques (CanalSatellite, TPS et ABSat en 1996) constituent une rupture dans les rapports « sport et télévision ». Les chaînes généralistes deviennent alors concurrentes avec un souci d’audience pour rentabiliser les investissements. Canal+ a introduit un nouveau rapport au petit écran. L’abonné, dans une démarche volontaire d’achat, impose à la chaîne un pouvoir d’attraction fort. La chaîne cryptée s’est positionnée dans le Paysage Audiovisuel Français (P.A.F.) autour de deux supports essentiels : le sport (principalement le football) et le cinéma (diffusion de films récents).

5Les droits de retransmission et le nombre d’heures de diffusion constituent également des critères pertinents pour évaluer l’évolution de ce marché. En 1960, à l’occasion des Jeux Olympiques de Rome, le total des droits télévisés s’élevait à 1,2 millions de dollars. Pour les J.O. de 2000 à 2008, NBC a acheté les droits pour un montant supérieur à 2400 millions de dollars. L’explosion du montant des droits, en moins de 40 ans, témoigne de l’intérêt des chaînes de télévision, pour le sport, résultat de la forte audience que génère celui-ci. Dans ce cas, on assiste parallèlement à une évolution du temps d’antenne consacré au sport. En 19681, le temps d’antenne consacré au sport était de 232 heures pour 2 diffuseurs (la première et la deuxième chaîne), pour représenter en 1996, 11 704 heures pour 10 diffuseurs, soit une multiplication de l’offre par 51 en près de 30 ans. Cette augmentation s’explique par la création de nouvelles chaînes basant leurs programmes partiellement (Canal+) ou totalement (Eurosport, l’Équipe TV…) sur le sport et par un changement radical de régime télévisuel en transformant le sport en une véritable industrie de programmes. Jean-François Bourg (1998) poursuit son analyse et note un paradoxe de cette évolution. En valeur relative, le temps d’antenne diminue dans les programmes de télévision. Cette diminution relative est exclusivement due au fait que les chaînes ont augmenté leur temps total d’antenne. En 1975, ce temps d’antenne pour un même diffuseur était de 414 heures, en 1996 il est de 1 432 heures.

6Il ne s’agit pas réellement d’un paradoxe, mais de la confirmation d’un changement de mode de fonctionnement de la télévision auquel le sport n’est pas étranger. L’évolution des relations entre le sport et les médias est liée à une transformation de l’objet constitué par le sport et à une évolution des outils de communication (Presse écrite, radio et télévision). Nous sommes en présence d’une histoire conjointe avec des influences réciproques. Il ne s’agit plus dans ce cas d’améliorer le direct, pour ne plus souffrir de la comparaison avec le spectacle vivant, mais de construire une nouvelle forme de retransmission en produisant un spectacle conçu « pour et par » la télévision. Dans cette logique marchande, les chaînes vont jusqu’à créer des événements, dans le seul but d’offrir un spectacle télévisé. Henri de Virieu, déclarait en 1990 : « Le sport fait de l’audience... Argent, médias et sport ne forment pas une trilogie égalitaire. C’est l’apparition de la télévision qui a rendu possible ce nouveau système... Hier une manifestation était considérée comme un événement lorsque la foule se pressait sur les gradins ou le long des routes... Aujourd’hui, c’est la présence de caméras qui fonde l’événement. Le sponsoring est un ménage à trois qui peut se résumer par : je finance, tu pédales, ils racontent, mais je finance parce qu’ils racontent ». Cette position témoigne du discours récurrent qui tend à expliquer la nature des relations qui lient la sport avec les médias, mais en réalité, la télévision se trouve désormais confrontée à cette logique de concurrence qui guidait déjà la nature des relations entre le Tour de France et la presse écrite dès le début du siècle. Quelles sont les réelles transformations apportées par cette intrusion de l’économie au sein de la télévision, sur la nature du spectacle proposé ?

2. Une diversification des logiques de promotion

7Au début du siècle, le sport représentait pour les patrons un instrument d’hygiénisation morale et sociale de leur personnel. Après les « Trente glorieuses », les entreprises ressentaient la nécessité de conquérir une nouvelle image en même temps que de nouveaux marchés. Cela correspondait aussi à une mutation du capitalisme : fin du taylorisme, abandon du schéma décideurs-exécutants, début du « modèle participatif », des « valeurs positives » et de la « culture d’entreprise ». Vient se greffer à cela le culte du corps performant, musclé, bronzé, tonique, des « gagnants », cher aux années 80. Il y a donc eu dans un premier temps une part importante des budgets de communication des entreprises allouées au sport. Puis différents niveaux de médiatisation ont été réalisés, soit en devenant le partenaire d’épreuves, de spectacles en espérant être vu, soit en utilisant le sport pour une campagne de marketing. Le sport permet aujourd’hui à des sponsors de figurer sur les maillots, sur le bord de la route, sur le podium. Les campagnes publicitaires reprennent cette stratégie marketing en offrant des annonces ciblées sur le sport en général ou plus précisément en relation avec l’événement. De plus en plus fréquemment, des entreprises deviennent les partenaires privilégiés de l’épreuve et apparaissent au moment de la prise d’antenne. La télévision a rempli un premier rôle : celui d’être le relais des stratégies marketing du secteur industriel. « L’étude des préférences de chaque type de public intéresse fondamentalement les spécialistes de la publicité, qui cherchent à atteindre des cibles précises. » (Thomas R., 1994). Puis la télévision a agi pour elle-même, mélangeant information sportive et communication personnelle grâce au sport, ce qui permet à une chaîne de se positionner dans le Paysage Audiovisuel Français (P.A.F). La télévision dans ce cas, peut elle aussi, être identifiée à une entreprise dont l’objectif est de se forger une identité forte (Miège B., 1989).

8Les événements retransmis imposent des investissements importants qu’il faut rentabiliser. Cela concerne non seulement l’achat des droits de retransmission, mais aussi les coûts de production. Les chaînes de télévision se gèrent désormais comme des entreprises ayant pour but de réaliser des profits. Elles s’apparentent aujourd’hui à des industries de programmes télévisés, les épreuves sportives deviennent alors des produits de consommation. La logique de promotion prend la forme de stratégies de marketing qui s’orientent dans deux directions. Premièrement, le rapport « coût / audience » est très favorable au spectacle sportif télévisé comparativement à d’autres programmes. La publicité devient alors un moyen efficace pour rentabiliser les investissements. Deuxièmement, les sports retransmis contribuent également à construire l’image de la chaîne. Dans ce cas, la diffusion du sport et un moment privilégié pour les diffuseurs grâce à un processus d’appropriation-reconstruction de l’événement. Bourdieu en 1994 déclarait à ce propos : « Cela revient à dire que tout spectacle sportif télévisé est, d’une certaine manière, produit deux fois, une première fois par les multiples organisateurs et gestionnaires de la manifestation et une seconde fois par tous les professionnels chargés de la production et de la diffusion des images de la compétition. »