Chapitre III. L’événement : la prise de la Bastille

1Dans la tradition politique française, la « prise de la Bastille » est un événement symbole créateur d’identité. Elle est devenue un véritable point d’ancrage fondateur d’un ensemble de rituels et récits commémoratifs transformé en base de légitimation politique (Lüsebrink, Reichardt, 1986, 1990). Élément fondateur de la culture politique française la prise de la Bastille peut s’appréhender à plusieurs niveaux :

• un horizon d’attente spécifique avec l’émergence au XVIII^e siècle d’une figure symbolique typique de la prison despotique, la « Bastille » ;

• l’espace d’expérimentation de l’événement narré, représenté, figuré ;

• l’univers de la symbolique Bastille pendant la décennie révolutionnaire ;

• le devenir de ce symbole majeur dans la culture politique des XIX^e et XX^e siècles.

2Présentement, soucieux d’individualiser chaque étape de la mise en place de la radicalité de 1789, nous nous intéressons au second niveau où se déploie le récit de l’événement1. C’est avec la prise de la Bastille, nous le verrons, que la révolution se pense sous la catégorie d’événement.

3Certes il convient de préciser que la diffusion d’une légende noire de la Bastille au XVIII^e siècle contribua à l’émergence d’une conscience vécue de l’arbitraire royal, élément important dans la formation de l’opinion publique (Cottret, 1986). A la veille de la Révolution, la Bastille joue le rôle de l’image négative. Elle contribue à l’exclusion du roi de l’espace public « bourgeois ». Elle incarne aussi le monstre aristocratique, « l’hydre du despotisme » qu’elle attire dans son repaire, comme le montre une célèbre représentation de l’époque (Hydre du despotisme terrassé, ou la Chasse patriotique à la grosse bête) dont la légende est particulièrement explicite :

« Le 12 juillet 1789, vers les quatre heures du soir, on aperçut sur la route de Versailles à Paris une bête féroce d’une forme horriblement monstrueuse. Les connaisseurs assurèrent qu’elle était d’espèce aristocratique et qu’elle se disposait à venir ravager la capitale. Aussitôt on crie « Aux armes, aux armes ». Tous les citoyens accourent avec des fusils, des hallebardes et cherchent inutilement ce monstre dévastateur. Enfin, le 14 suivant, on apprit qu’il s’était retiré dans une tanière appelée la Bastille près de la porte Saint-Antoine ; on courut l’y assiéger et après l’avoir forcé dans ce dernier retranchement, ce fût à qui lui couperait le plus de têtes, car le monstre en avait plusieurs, et semblables à celle de l’Hydre, il fallait pour les empêcher de renaître que toutes fussent abattues »2.

4Au-delà de la forte charge symbolique d’un tel jeu métaphorique, c’est autour de la notion d’« événement », – troisième terme de la trilogie du nouvel ordre social, « citoyen », « nation », « événement » –, que la « prise de la Bastille » acquière sa dimension réflexive.

5A propos de la « prise de la Bastille », nous disposons bien sûr des récits des « Vainqueurs de la Bastille » (Lüsebrink, 1988, 1989). Il s’agit de textes tardifs certes basés sur des récits oraux donnés dès la soirée du 14 juillet, mais rédigés pour répondre à une dénonciation précise. Ces textes, qui s’apparentent aux mémoires autobiographiques et justificatifs d’autodéfense des suspects emprisonnés en l’an II (Andriès 1988 ; Garnier, 1994), présentent la journée du 14 juillet à partir d’une succession linéaire d’actions, de la demande d’armes au Prévôt des marchands à la mise à mort du gouverneur de la Bastille, De Launay. Il s’agit alors de valoriser les actions individuelles de patriotes prononcés au sein même des moments d’action de la foule3 :

« Service fait à l’attaque et prise de la Bastille... par le sieur Cholat, marchand de vin. (Paris, Desenne, 1789)
[…] Le sieur Cholat... vit arriver à l’Hôtel-de-Ville plusieurs districts qui demandaient des armes et de la poudre : adressant alors la parole au prévôt des marchands, il lui dit : monsieur, nous vous demandons des armes et de la poudre […] Le sieur Cholat sortit à l’instant en disant : allons à la Bastille, elle est à nous, nous y aurons des armes et de la poudre […] Le sieur Cholat dit : messieurs, la Bastille est à nous […] Les bourgeois et les grenadiers des gardes français foncèrent dans le fort […] Le sieur Cholat vola de suite à la salle du conseil qu’il connaissait […] Il aperçut le gouverneur, il s’en saisit […] Il lui dit : arrête traître à la patrie […] [Des bourgeois) le sortirent de la Bastille avec beaucoup de peine au milieu de la foule du monde qui était survenu […] Le peuple tombait dessus en disant : coupons le cou à ce traître […] Le sieur Cholat a conduit ce gouverneur une grande partie du chemin ; mais étant à jeun et les forces lui manquant […], il dit à une autre personne de s’en saisir, parce qu’il se trouvait mal ».

6D’autres récits, rédigés dans les jours et les semaines qui suivent, sont plus structurés : ils forgent la mémoire de ce qui n’était au départ qu’une action d’éclat des « Vainqueurs de la Bastille ». N’utilisant presque jamais de verbes de communication tels que « dire », « répondre », demander », ne rendant pas compte de la succession linéaire des actions, ces récits ignorent l’effet de réel. Ils réduisent la journée du 14 juillet à ce qu’ils perçoivent comme l’essentiel, la prise de la Bastille proprement dite. Ainsi, cette journée ne constitue plus qu’un seul et unique moment par un effet d’amplification portant sur l’assaut de la Bastille et la mort de son gouverneur.

7Les « Citoyens armés » à l’Hôtel des Invalides préludent à une victoire qui « l’instant d’après, allait fonder le règne éternel de notre liberté naissante sur les ruines sanglantes du despotisme » (Historique de la grande journée du 14 juillet 1789). Avec « l’attaque et la prise de la Bastille », c’est au « combat de l’humanité » que nous assistons, y compris dans ses manifestations punitives (voir ci-après), où « le Peuple, toujours terrible dans sa colère, vengeait d’une façon aussi effrayante les crimes des suppôts du despotisme » (id.). Ainsi, ces récits, en multipliant les segments de commentaire, remplacent le déroulement logique qui aboutissait à l’attaque frontale de la prison par des commentaires sur les raisons et motifs de l’action populaire4.

8Cependant le fait discursif original consiste dans l’apparition du terme « événement » à proximité de la fonction titulaire du syntagme « Prise de la bastille » :

– Précis exact de la Prise de la Bastille.
« Parmi les troubles inséparables des événements extraordinaires qui viennent d’avoir lieu, il y a tant de versions différentes sur les détails de cet événement que le Public n’est d’abord instruit que très imparfaitement de la vérité. Voilà la relation exacte des circonstances qui ont précédé, accompagné et suivi la prise de la Bastille ».
– Historique de la grande journée du 14 juillet 1789.
« L’événement le plus merveilleux de la Révolution française, et qui seul en fait le succès ; celui auquel nos neveux hésiteront de croire, sur la foi même de l’histoire, c’est la Prise de la Bastille ».

9L’événement « Prise de la Bastille » procède donc d’abord d’un acte d’énonciation, plus précisément d’un acte spécifique de l’agir révolutionnaire. Avant que le syntagme « Prise de la Bastille » prenne une forte charge symbolique et affective, l’agir effectif de l’événement est désigné en tant que tel.

10Dans la conjoncture de l’été 1789, la prise de la Bastille n’interrompt pas le face à face, déjà constaté pendant les émeutes du printemps, entre les autorités constituées et le peuple émeutier. Des relations prépolitiques, où domine la confrontation des mises en scène (le pouvoir de l’autorité face à la scène punitive), persistent5. Les députés de l’Assemblée nationale, qui ne conçoivent pas l’extension de la citoyenneté aux sujets des mouvements punitifs, expressions pourtant d’une nouvelle forme de souveraineté6, participent d’une même logique de l’exclusion de l’émeute hors du champ politique.

11En l’absence de porte-parole jouant le rôle d’agent intermédiaire du discours d’assemblée, la violence émeutière ne peut être traduite sur la scène politique sous la modalité d’une demande légitime.

12De fait, la persistance de la punitivité est attestée, comme nous l’avons vu avec le récit de Cholat, dans la suite immédiate de la prise de la Bastille. Un négociant en témoigne également dans les termes suivants :

« Deux mille personnes y entrent et bientôt un mouchoir blanc annonce que la Bastille est à nous. M de Launay et les autres bastilleurs sont conduits, couverts de blessures, à l’Hôtel de Ville, on leur scie, plutôt qu’on ne leur coupe le col et on promène les têtes au Palais-Royal et dans les rues de Paris, au bout de piques très élevées ».

13De Launay a la tête tranchée aux cris de « Il faut le pendre » ; « Il faut lui couper la tête ». Le récit de son assassin précise : « Quand de Launay fut mort, le peuple dit : la Nation demande sa tête pour la montrer au public »7. Un telle manifestation scénique de souveraineté punitive procède d’un alliage « impur » pour le patriote des Lumières ; elle associe l’acte de demande d’un sujet identifié à la nation et un geste punitif, le rituel de la tête coupée8.

14Ainsi une scène punitive, légitimée par l’événement même, demeure présente à côté de l’espace politique représentatif.

15Une semaine plus tard, le 22 juillet, Foulon, conseiller d’État, et Bertier de Sauvigny, Intendant de Paris sont également les victimes de la violence populaire. Les récits horrifiés des témoins témoignent une fois de plus de la distance qui séparent les hommes des Lumières de telles manifestations populaires. Il n’est pas possible d’accepter que « la population impatiente de faire justice » décapite ses victimes, leur arrache le cœur et les entrailles, découpe leur corps en morceaux, les présente de manière ostentatoire et les traîne dans les rues tout en promenant leurs têtes au bout de piques dans tout Paris9. Mais cette indignation reste purement verbale ; les interventions des autorités constituées, à cette occasion, s’avèrent particulièrement « malheureuses ». Bailly, élu maire de Paris par acclamation le 15 juillet, en fait la triste expérience :

« La nouvelle de l’arrestation de Foulon se répandait de plus en plus ; la place de l’Hôtel de Ville se remplissait de monde. Je sortis de l’Hôtel de Ville à deux heures ; tout ce peuple assemblé demanda justice de M. Foulon ; j’assurai qu’elle serait faite, que le prisonnier était en sûreté, et qu’il serait jugé. Des voix me crièrent qu’il l’était et qu’il fallait le pendre. Je leur exposai mes principes […] Nul ne pouvait être reconnu coupable, avant que les délits eussent été constatés, que M. Foulon eut été convaincu, par une information et une procédure régulières, de les avoir commis […] J’entendais bien au milieu de mon discours des voix qui, dans le lointain, criaient : « Pendu ! Pendu ! »10.

16Bailly reconnaît lui-même qu’il est dans l’incapacité de traduire le discours des principes, et son corollaire la distinction entre le coupable et l’innocent, sur le terrain de la souveraineté punitive. Il ajoute : « Il y avait un danger réel, qu’il était inutile de braver, à faire parler le langage de la justice et de l’humanité, le peuple forcené ne pouvait pas l’entendre ».

17Un autre témoin, plus radical dans ses options politiques mais tout aussi impuissant, Babeuf ne peut qu’exprimer un sentiment ambigu face au spectacle d’une foule joyeuse transportant les têtes de ses victimes au bout de piques :

« Oh ! que cette joie me faisait mal ! J étais tout à la fois satisfait et mécontent ; je disais tant mieux et tant pis. Je comprends que le peuple se fasse justice, et j’approuve cette justice lorsqu’elle est satisfaite par l’anéantissement des coupables ; mais pourrait-elle aujourd’hui n’être pas cruelle »11.

18Foulon a été la victime expiatoire du peuple de Paris parce que la rumeur lui avait attribué, dans un contexte de cherté du pain, le propos suivant : « Si le peuple n’a pas de pain, qu’il broute de l’herbe ». On voit d’ailleurs, sur les estampes, sa tête au bout d’une pique avec de l’herbe dans la bouche !12 C’est de fait le plus souvent sur la question de la disette et de l’accaparement de pain que la punitivité se déclenche. Le cas le plus célèbre, qui fait suite aux journées d’octobre13, est l’exécution du boulanger François sur la place de Grève.

19Un pamphlet anonyme, intitulé Le cacheur de pain dans sa cave ou le boulanger à la lanterne,14 construit une fiction de l’événement en associant à l’acte punitif proprement dit une scène improvisée de jugement qui permet de reconnaître la culpabilité de ce « cacheur de pain », de minimiser le geste punitif lui-même :

« Cependant les gardes qui étaient chez lui s’en sont emparés, et ont proposé de le mener à la Ville […] Arrivée dans la place de Grève, une grande foule de monde l’a entouré et voulait ne pas le laisser monter à la ville. Mais cependant il y est monté ; là, ces juges l’ont reconnu très coupable, il est redescendu de la Ville, et de là a été mené au bas de la funeste lanterne. Aussitôt il s’est présenté une personne pour faire l’exécution ; la première exécution faite, il s’en fit une seconde par un garde national qui tira son sabre, et lui coupa la tête ».

20De fait aucun patriote ne peut désormais ignorer la présence sur la scène publique d’une violence légitimée par le passage de la souveraineté dans les mains du peuple. Sous l’Ancien Régime, la violence collective était généralement jugée à l’aune de la responsabilité individuelle, et était donc interprétée dans les termes d’attitudes antisociales. Certes, avec la Révolution française, la ritualité souveraine du peuple s’inspire des pratiques punitives d’Ancien régime. Mais le transfert de souveraineté vers le peuple fait de ces pratiques une expression « naturelle » de la société civile, face à une loi et une politique dévalorisées, au moment même où la nouvelle élite citoyenne désapprouve le geste populaire de défense punitive.

21Ainsi s’affirme, et tout particulièrement dans le contexte de la prise de la Bastille, « un sujet violent, anonyme et pluriel, protagoniste de la réappropriation de la souveraineté » (Viola, 1989 : 107) et distinct du sujet national propre au discours d’assemblée.

22Cependant les députés modérés de l’Assemblée nationale se refusent absolument d’inclure (leurs témoignages le prouvent) la légitimité de la violence populaire dans leur manière propre de concevoir la dynamique révolutionnaire. Certes, ils font référence à « la force de l’opinion publique », mais c’est pour aussitôt en exclure ceux qui méconnaissent « les règles de la justice » par des « actes atroces », dignes de « barbares », de « cannibales ». Bref, ils reculent d’effroi devant « la scène hideuse » de l’exécution de Foulon et Berthier15.

23Ainsi les Constituants, nantis de propriétés et d’éducation, profondément choqués par une telle « barbarie » vont s’efforcer de neutraliser les effets d’une telle souveraineté punitive par l’établissement d’une cesure nette entre le champ politique et la scène punitive. Mais ils sont véritablement impuissants face à la dualité constitutive de la violence qui tout à la fois menace l’ordre propriétaire et fonde le nouvel ordre juridique16. Lorsqu’ils s’évertueront, au lendemain des journées d’octobre et en appui sur les autorités constituées, de « régler » le problème en instaurant la loi martiale, en codifiant une telle dissociation, ils adoptent une solution provisoire, sans résultat durable si ce n’est de s’aliéner progressivement le mouvement patriotique.

24Faute d’avoir pris en compte l’expression souveraine du peuple, d’avoir recherché de nouvelles formes de médiation, ces législateurs modérés devront laisser place à des patriotes plus soucieux de traduire sur la scène politique les demandes authentiques du peuple. Leur opposition aux formes de médiation constituant le peuple comme peuple, y compris dans ses manifestations punitives, explique sans doute qu’il faut attendre l’année 1791 pour que la grande aventure des porte-parole commence...

25La prise de la Bastille demeurera, tout au long de la Révolution française, un événement fondateur17. Les patriotes s’y réfèrent en permanence pour y situer l’apparition d’une voix autonome et d’une action légitime, caractérisant la dynamique même de la citoyenneté. Ainsi la valeur mobilisatrice de l’apostrophe « Citoyens »18 est associée dans le récit au cours même de l’action constituée autour du mot d’ordre « Marchons à la Bastille ! »19. Plus tardivement, les patriotes suspects emprisonnés en l’an II, lorsqu’ils rédigent leurs Conduites politiques pour se justifier, mentionnent cet événement en des termes que l’on peut résumer dans la phrase type suivante : « Dès le mois de juillet 1789, j’ai pris les armes, j’ai contribué à former la première garde le 14, dès ce moment ma voix anima mes concitoyens et mes moyens furent consacrés à leur défense »20.

26Cependant, dans l’immédiat, l’événement « prise de la Bastille » a mis la « nouvelle langue politique » au cœur de l’action. Comment en ressort-elle ? L’analyse du corpus des devises inscrites sur les drapeaux des soixante districts peut nous aider au premier abord à cerner les maîtres-mots du paysage linguistique qui s’ébauche sur la scène politique (Liris, 1995).

27Sur les 254 mots décomptés, « Liberté » arrive en tête avec 19 occurrences, auxquelles on peut ajouter « libres » (4), « Libertas » (2). Suit « Union » avec 12 occcurrences, et 1 pour « Unité », « Force » (11), « Loi » (10), « Roi » (7), Patrie (7), « Mourir » (6), « Nation » (2), etc.

28Si le mot « Union » est essentiellement attesté dans des phrases verbales à valeur de mot d’ordre, en association avec « Force » (« L’Union fait la Force », « L « Union fait notre force », « Notre Union fait notre force »), le mot « Liberté » s’insère dans des propositions plus diversifiées dans la mesure où l’un des éléments de la phrase est réduit, par l’usage du seul article ou de l’infinitif, voire même disparaît, dans le cas du verbe : « Qui me la ravira ? » interroge le lion tenant le bonnet de la liberté à la pointe de la pique sur le drapeau de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, « vivre libre ou mourir », « la liberté ou la mort », « Prudents-libres ». La réduction ultime de la devise à valeur performative au substantif même de « Liberté », voire son positionnement dans une simple liaison (« Patrie-Liberté ») ou une disjonction exclusive (« mort ou liberté ») prouve qu’il s’agit bien du maître-mot d’acteurs de la Révolution française qui tirent le bilan de l’événement « prise de la Bastille » dans le nouveau cadre légal (« N’obéir qu’à la loi » précise le drapeau du district de la Sorbonne). Notons enfin que le vocable « Frères » est utilisé une seule fois dans une formule « Vivre en Frères sous l’Empire des lois » qui maintient une ambiguïté sur la signification d’un terme qui peut faire référence tout autant à la Monarchie qu’à la République21.

29Certes, dans la mesure où ces devises expriment avant tout l’idéologie, les intentions, les mots d’ordre de « citoyens actifs », tous membres de la bourgeoisie parisienne, elles demeurent dans les limites imparties à la scène politique par le discours d’assemblée. Mais, pour autant, elles ne se réduisent pas à l’expression de l’alliance entre le « Roi », la « Nation », et la « Loi » que l’on trouve majoritairement sur les cachets des autorités constituées ; elles ne sont pas de simples appendices de ce qu’il est convenu d’appeler, avec l’historiographie de la Révolution française, la monarchie constitutionnelle22.Nous sommes bien dans un « mouvement vers la liberté » pour reprendre l’expression de Sieyès.

30En fin de parcours, la mise en perspective de l’événement « prise de la Bastille » se fait donc par la médiation de la notion-concept de liberté23. Dès le 23 juillet, la ville d’Anduze dans le Gard s’adresse à l’Assemblée nationale dans les termes suivants : « Généreux Citoyens […] Votre conduite sage, ferme et héroïque vient d’opérer la Révolution heureuse […] Le despotisme est donc enseveli sous les tours de la Bastille. La liberté des Français est assurée ». En 1790, Chantreau, dans son Dictionnaire national et anecdotique, associe le retour de la liberté naturelle au cri victorieux de la nation contre les « bastilles » :

« LIBERTÉ : dans l’ancien régime, ce mot ne signifiait rien de ce qu’il signifie aujourd’hui qu’il est devenu le cri de la nation ; il désigne ce droit précieux que nature accorde à tous les hommes quand nature ne trouve point sur son chemin des ministres qui ont des bastilles, et des bastilles qui ont des de Launay. »