Point de synthèse IX. La révolution de l’éducation, l’enseignement avec la communication
p. 123-131
Texte intégral
1L’éducation « est le mécanisme inter individuel ou social par lequel se construit ce qui doit rester dans notre esprit »1. Les moyens modernes de communication apportent-ils une modification dans les méthodes pédagogiques2 ?
A. La lente prise de conscience de la communication dans l’enseignement
2• Bernard Miège fait commencer à 1930, en France3 avec Freinet4, puis dans le cadre du Front populaire, la prise de conscience de l’utilisation des médias dans la pédagogie. Il faut attendre, cependant 1978, « pour qu’un ministre, Christian Beullac, puis un Président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, à l’occasion d’une allocution prononcée devant la 20e conférence générale de l’UNESCO, le 27 octobre 1978, jugent indispensable le recours aux moyens audiovisuels dans l’éducation moderne »5. L’école parallèle selon l’expression de Georges Friedmann provoque une série de débats avec notamment en 1978 la publication du rapport Nora Mine et les recherches de Jacques Perriault (1981)6, Geneviève Jacquinot, Pierre Moeglin7.
3• La CEE, conformément à une décision du Conseil des Ministres de l’Education du 19 septembre 1983 a engagé « un programme d’action pour la période 1985-1987 visant à aider les Etats membres à intensifier l’emploi des NTIC8 dans l’éducation »9. Cette attitude se conjugue avec le lancement, en France, le 25 janvier 1985 avec Laurent Fabius, Premier Ministre, du Plan Informatique pour Tous (IPT) devant installer 150 000 micro-ordinateurs dans les écoles élémentaires10. Les premières manifestations viennent ainsi des Communautés européennes. Le programme européen COMETT (COMmunity Education and Training in Technology)11 est la manifestation la plus importante destinée à promouvoir la mobilité d’étudiants et son volet « D » intitulé Initiatives multilatérales pour le développement de systèmes de formation multimédia marque la volonté d’associer l’enseignement à la communication selon l’expression anglaise d’Open Learning. Cet élan se poursuit avec DELTA (Développement of European Learning through Technical Advance)12 qui veut réunir trois conditions en vue de la création d’un vaste marché européen de la formation multimédia :
« L’existence d’un réseau de distribution performant et de qualité... l’existence de standards communs... L’accessibilité économique des matériels, des logiciels et des outils proposés aux auteurs et aux utilisateurs des nouvelles technologies éducatives... Si ces trois conditions sont réunies, les usagers du système éducatif et de formation pourront, via un poste de travail évolué, accéder à des services venant en complément des services traditionnels et répondant à des demandes aujourd’hui insatisfaites »13.
4Le projet PLEIAD (Pays de Loire Enseignement Individuel A Distance), initié par la région des Pays de Loire, et piloté par l’antenne régionale du Conservatoire National des Arts et Métiers vise à mettre en place dans toutes les villes de plus de 10 000 habitants de la Région, des Centres de télé enseignements14. La chambre des Métiers de Nîmes est pionnière en matière de « télé métiers » : l’apprentissage de techniques nouvelles par les moyens audiovisuels, télématiques et informatiques dans son Centre Européen de Communication de l’Artisanat et des Métiers (CECAM)15.
5• Le rapport Pomonti16 sur les relations entre l’éducation et la télévision montre l’intérêt de former les enseignants à l’utilisation des supports audio visuels. Le rapport Migeon, sur la réussite à l’école, insiste sur la nécessité de développer de nouvelles relations Ecole Télévision. Une convention de partenariat est signée en mai 1989 entre le Secrétariat d’Etat à l’Enseignement Technique et IBM France : son article 3 prescrit qu’« IBM prêtera des matériels et logiciels aux enseignants et aux formateurs pour utiliser, à des fins d’expérimentation dans leur pédagogie, les techniques modernes du traitement de l’information »17. L’union des groupements d’achats publics (UGAP) a rendu public le 24 septembre 1990 le nom des 6 fournisseurs pour le remplacement des matériels informatiques de l’IPT : (ADDX systèmes, Bull Zénith, Goupil-SMT, Normerel, le néerlandais TRT-TI Philips, l’italien Olivetti) ; l’Etat ne finance pas le matériel et laisse aux communes le soin du renouvellement18. Les programmes Educable19 sont nés de la collaboration du CNDP (Centre National de Documentation Pédagogique) et du CNET (Centre National d’Etude des Télécommunications créé en 1944) pour constituer une chaîne éducative pour le câble en auto programmation à destination du corps professoral des établissements câblés. L’expérience a commencé le 10 novembre 1987 à Montpellier20.
B. L’irréversibilité de l’offre privée d’Education
6• La formation de l’Homme est fonction de la manière dont se dérouleront ses activités au cours de sa vie. La répartition de la vie d’un homme en 1800 et 2000 est éloquente21.

7• Le renversement du temps de travail et de loisirs demande au système éducatif de ne plus seulement former l’Homme à l’emploi, mais aussi à savoir vivre ses loisirs. La structure actuelle publique d’enseignement ne pourra pas répondre en totalité à la diversité des demandes d’éducation ; le développement des techniques nouvelles de présentation des connaissances (logiciel, CD-ROM etc..) incitera « économiquement » à une individualisation de l’offre d’éducation22. Ce que soulignait déjà le rapport Pomonti qui précisait que l’école ne pouvait « être une enclave immuable dans un monde où les changements technologiques et sociaux ne cessent de s’accélérer »23. Et Hubert Montagner, directeur d’une unité à l’INSERM de conclure24 que l’école sera en 2015 « un lieu décloisonné au plan des locaux, du cursus et de l’âge ».
8• Une des conséquences fondamentales est le changement de vision des « apprenants » vis à vis du professeur.
« En perdant sa position centrale, et aussi par conséquent son statut de « maître », l’enseignant ou le formateur se retrouve dans la situation d’un prestataire de services pour le client qu’est devenu l’apprenant. Cette nouvelle logique introduit, dans un domaine considéré jusque là comme non marchand, tous les concepts applicables au marché des services, tels que rentabilité, qualité, concurrence... y compris pour les prestataires publics »25.
C. La novation de l’Education
9• On passe de l’EAO à l’EIAO, de l’Enseignement Assisté par Ordinateur (qui n’est souvent qu’un vaste QCM (Questionnaire à Choix Multiples)) à l’Enseignement Intelligent Assisté par Ordinateur, en y intégrant la notion de système expert. On passe ainsi, des didacticiels, à une nouvelle catégorie de logiciels pédagogiques : les « tuteurs intelligents »26.
L’intérêt de l’usage des matrices, expliqué avec l’ordinateur est convaincant27. L’apprentissage du corps humain devient « interactif » avec « ADAM » (Animated Dissection of Anatomy for Médecine), une série de 5 CD-ROM28.
10• « Le professeur va devenir un organisateur de situations d’apprentissage et de relations à des ressources informationnelles multiples... Il lui reviendra donc d’organiser le travail des élèves soit directement avec lui, soit indirectement avec les médiateurs susceptibles d’intervenir ; sinon, il dérogera à son statut de cadre » souligne André De Peretti, Directeur honoraire de l’institut National de la Recherche Pédagogique29. L’enseignant insuffle la curiosité et le désir d’apprendre. La pédagogie n’est plus unitaire, et à objectifs, mais intègre la responsabilisation de l’intéressé. Et de Peretti de poursuivre : « Notre idée actuelle est qu’il faut d’abord comprendre et qu’ensuite on réussit, or c’est l’inverse qui est vrai. Il faut d’abord réussir, après seulement on comprend ; il faut que les choses soient intégrées avant de comprendre et d’expliquer »30.
11• Des compétences nouvelles sont exigées par les nouveaux moyens de communication.
« Le premier pré requis... est la maîtrise de quelques savoir-faire techniques, touchant aussi bien les outils informatiques que les outils audiovisuels... Le deuxième pré requis... est un ensemble de compétences en communication... le troisième pré requis consiste à être capable de systématiser et de formaliser des démarches en méthodes, ou de se couler dans le moule de méthodes existantes... le quatrième pré requis (consiste) à ne pas systématiquement réinventer la roue, d’être capable de traduire sous des formes utilisables par d’autres son savoir ou son savoir-faire d’enseignant ou de formateur, ce qui s’appelle savoir capitaliser »31 L’enseignant insuffle la curiosité et l’intérêt de la connaissance.
« Puisque le savoir se répand partout dans l’espace et nous accompagne tout au long de notre temps, la société de l’information vient de produire une société pédagogique qui permet à ceux qui y trouvent place d’apprendre continûment » écrit Michel Serres32.
Les réseaux d’ordinateurs assurent une interactivité, un moyen rapide de transmission d’une connaissance, la multi présentation d’une notion, la simulation dynamique, la modélisation33
12• La différence entre le temps d’apprentissage et d’utilisation disparaît. Un continuel va-et-vient entre l’acquisition et la mise en application de la connaissance devient la norme. 1) Le programme Olympus date de 1989 ; il rassemble sous la maîtrise de British AeroSpace, huit membres de l’Agence Spatiale Européenne : Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Espagne, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni. La France et l’Allemagne ne sont pas engagées dans la construction et le lancement d’Olympus mais participent à son utilisation34. La mission d’Olympus consiste à lancer un satellite pour deux canaux de télévision directe ; l’un confié à la RAI pour le Sud-Est de l’Europe, l’autre confié à BBC Enterprise pour l’Europe de l’Ouest et du Nord. Olympus vise à donner des heures d’enseignement à distance. C’est Eurostep, association des usagers européens d’Olympus qui gère les adhésions et la diffusion des émissions35 ; c’est la première tentative de télévision pan européenne.
« L’Agence Spatiale Européenne (ESA) a offert aux institutions éducatives et culturelles européennes la possibilité d’utiliser gratuitement, pendant trois ans et pendant 3000 heures par an, ce satellite en dehors des heures de grande écoute. La France, qui n’a adhéré officiellement au programme Olympus qu’en janvier dernier, s’est vu accorder 462 heures d’émission au cours de la première année de sa réalisation. Une quarantaine d’organismes français ont proposé des programmes dans trois catégories : « éducation et formation à distance » (émissions destinées aux étudiants, chercheurs et professionnels), « apprentissage du français langue étrangère » (destinées à un vaste public allant des enfants aux professeurs de français) et « diffusion culturelle » (la vie en France pour le public francophone). Pour leur réalisation, le ministère des Affaires étrangères dispose d’une enveloppe de 4 millions de francs par an. Les premières émissions sont prévues en juillet 1990. Sur l’ensemble du continent européen jusqu’à la partie occidentale de l’URSS (C.E.I. en 1992) ainsi qu’en Afrique du Nord, elles pourront être reçues à l’aide de petites antennes paraboliques de 40 a 60 centimètres de diamètre »36
132) EuroPace (EUROpean Programme of Advanced Continuing Education) a été conçu en 1987 par un groupe d’industriels avec le support de la communauté pour diffuser les connaissances scientifiques et les technologies les plus récentes en provenance des centres de recherche et des laboratoires. Il rentre dans le cadre du programme COMETT et a été, à l’origine, lancé par British Telecom, Hewlett-Packard, IBM, Philips et Thomson. Il s’agit d’un dispositif associant la transmission par satellite notamment d’images vidéo (gérée par France Télécom) de « cours » ou d’événements et la messagerie électronique. Ce programme a été lancé officiellement le 27 janvier 1989 par Hubert Curien, ministre français de la Recherche et de la Technologie.
« Les transmissions d’EuroPACE, qui ont commencé a titre expérimental en mars 1988, peuvent être reçues dans toute l’Europe par une antenne parabolique pointée sur le satellite Eutelsat. Les étudiants peuvent entrer en contact avec les professeurs à l’aide d’un système de messagerie électronique (PortaCOM). Les cours, dispensés par des spécialistes européens de haut niveau, durent entre cinq et trente heures selon la complexité du sujet. Ils sont généralement fragmentés en tranches de deux heures. Deux cours sont séparés par l’intervalle d’une semaine pour permettre à l’enseignant de prendre connaissance des questions formulées par l’intermédiaire de PortaCOM. Pour le moment, les enseignements sont dispensés uniquement en langue anglaise, mais, a souligné M. Curien en répondant aux questions posées depuis différentes capitales européennes (Stockholm, Londres, Madrid, Rome…), « la possibilité de la multiplicité des voies « son » sur les satellites va être mise ultérieurement à profit ». Les cours actuels portent sur six domaines de pointe : l’intelligence artificielle et les systèmes experts, les télécommunications, le génie logiciel, la micro-électronique, le management de la technologie et le génie industriel avancé. L’inscription à ce programme coûte 25 000 ECUS (environ 175 000 francs) »37.
14La situation de Radio Sorbonne (963 Khz) à Paris illustre les difficultés de la mise en place d’un média d’enseignement38.
Notes de bas de page
1 Moles, 1986, p. 188.
2 A ce sujet, cf. l’ouvrage de Bernard Blandin Formateurs et formation Multimédia, éd. d’Organisation, 1990.
3 Miège, août 1990, p. 78.
4 Qui fondait l’apprentissage du français sur l’usage de l’imprimerie.
5 Miège, août 1990, p. 82.
6 Cf. « L’empreinte de l’ordinateur sur les modes de pensée des utilisateurs », in Culture Technique, juillet 1990, p. 236.
7 Sa thèse de doctorat d’Etat, sur l’industrialisation de l’audiovisuel culturel et éducatif en 1989, a obtenu le prix IREST. Cf. l’article de synthèse de Ronald Pirson in la revue TIS (Technologies de l’information et Société), n° 1, 1992, p. 9.
8 Les Nouvelles Techniques dans l’information et la Communication.
9 Miège, août 1990, p. 98.
10 Conséquemment au rapport Schwartz, L’informatique et l’Education 1981 prônant l’ordinateur comme outil d’apprentissage et instrument de culture ; suivi par le Rapport Lesourne (1988) remettant en cause comme le fait également Bruno Lussato, l’apprentissage de la programmation, considérée comme la cheville ouvrière de tout enseignement informatique ; cf. le bilan de Georges-Louis Baron, « L’informatique en éducation, vingt ans après », in Culture technique, juillet 1990, p. 193 ; cf. aussi LM921119, p 15, panne.
11 Cf. le journal officiel des Communautés Européennes n° 222 p. 17-21 du 8/8/1986 et la décision du Conseil n° 1986/365/CEE du 24 juillet 1986.
12 Décision du Conseil du 29 juin 1988.
13 Note d’information DELTA d’avril 1988 référencée CH/cjh/deltafr/29 avril 1988, cité par Blandin, 1990, p. 23.
14 Chaque centre est relié au Centre régional par une liaison modem devant utiliser NUMERIS et permettant le téléchargement de logiciels, le tutorat à distance, la messagerie ; cf. « Formation continue à distance : l’expérience du CNAM dans les pays de loire », M. cailler et A. Meyer, in Bulletin de l’IDATE, n° 35 ; cf. aussi le rapport final du projet DELTA ETEE (Educational Technologies for European Entreprises), n° 7122-D1018, 1991.
15 Science et Vie, décembre 1991, p. 111.
16 Education et Télévision, enjeu majeur du xxiesiècle, en collaboration avec A. Michel, janvier 1989.
17 Cf. Autrement, 1990 p. 312.
18 LM900927 p. 14 vague informatique école ; cf. pour une approche globale 18.– (Suite) – de l’informatique à l’école, Isabelle Bertrand, « L’informatique a-t-elle un avenir à l’école primaire ? », in Culture Technique, juillet 1990, p. 206.
19 Autrement, 1990, p. 77.
20 Cf. LM920611, p. 12, télévision éducative ; LM920611, p. 12, Télé enseignement à l’américaine. Les enseignants de l’académie du Limousin peuvent se former grâce à un réseau interactif de visioconférences ; in LM930218, p. 14, multimédia ; cf. aussi LM930310, p. 32, visioconférences.
21 Didier, Les règles du jeu, éd. Economica, 1989, p. 32.
22 Cf. Flichy, juin 1991, p. 193.
23 Cité par Science et Vie Hors Série, septembre 1990, p. 113.
24 Page 114, op. cit.
25 Blandin, 1990, p. 67.
26 Cf. J.F. Nicaud et Martial Vivet, « Les Tuteurs intelligents : réalisations et tendances de recherches » in Technique et Science Informatiques, numéro spécial Application de l’informatique à la formation, Vol 7 n° 1 éd. Dunod/Afcet, 1988, p. 21-45. Cf. les réflexions de Monique Linard, Des Machines et des hommes, éd. Universitaires, 1990.
27 InfoPc, n° 80, p. 208.
28 Cf. SVM Mac, juin 1993, p. 74.
29 in Science et Vie Hors Série, septembre 1990, p. 110.
30 Cf. aussi Bernard Blandin, Formateurs et Formation Multimédia, éd. d’Organisation, 1990.
31 Blandin, 1990, p. 89.
32 In son rapport au Premier Ministre, 1992 ; cf. LM920528, p. 11, Serres.
33 Cf. Alan Kay, « L’enseignement assisté par les ordinateurs en réseaux », in Pour la Science, novembre 1991, p. 104 ; cf. aussi Les jeunes enfants, la découverte de l’écrit et l’ordinateur, sous la direction de Rachel Cohen, Puf, 1992. Dans la mesure où la capacité cognitive de l’Homme s’acquiert par la médiation d’instruments, dans la mesure où elle résulte de « jeux interactifs » avec ses semblables, il est possible de considérer le média « ordinateur » comme un nouvel instrument sémiotique qui dans l’espace interactif entre l’homme et la machine fournit de par les relations réciproques, une émergence méthodologique nouvelle potentiellement novatrice pour l’acquisition des connaissances...
34 Le satellite, lancé le 12 juillet 1989 (2 612 kg) (02h14, heure de Paris) par une Ariane 3, perdu depuis le 29 mai 1991 (05H21 Paris), est « retrouvé » en octobre 1991 : coût 10,5 millions de francs ! ; in LM910918, p. 12, Olympus et LM910925, p. 16, résurrection.
35 Cf. Autrement, Série Mutations, mars 1990, p. 336.
36 Dépêche AFP du 4 septembre 1989.
37 Dépêche AFP, 27 janvier 1989, 14H28 GMT.
38 LM921008, p. 17, Sorbonne.
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