1En France, à la fin des années soixante, si elles inspirent telle ou telle sphère professionnelle et si elles sont parfois reprises dans les médias, les théories de l’information et de la communication restent encore mal connues, à une exception notable cependant : l’École pratique des hautes études. En effet, le Centre d’études des communications de masse (CECMAS) et sa revue Communications tout au long de ses premières livraisons jouent un rôle paradoxal, puisqu’ils sont à la fois les introducteurs de conceptions alors développées dans les universités nord-américaines, tout en diffusant des analyses critiques (Adorno est l’un des auteurs du n° 3 de Communications, avec un article sur l’industrie culturelle qui connaît une large diffusion). L’influence de l’Institut français de presse (IFP), créé en 1946 auprès de l’lnstitut d’études politiques, et intégré à l’Université de Paris en 1957, et celle du Centre d’études littéraires et scientifiques appliquées (CELSA) créé en 1963 dans le cadre de la Sorbonne, sont encore circonscrites à des secteurs professionnels tels que les milieux de la presse et des relations publiques (cf. infra Bernard).

2Les facteurs qui se révéleront décisifs dans l’émergence des sciences de l’information et de la communication (SIC) ne se rattachent pas directement aux débats intellectuels alors en cours, avant ou immédiatement après Mai 1968, pas plus qu’aux productions scientifiques des premières équipes, toutes reliées d’une façon ou d’une autre aux noms d’universitaires aussi prestigieux que R. Barthes, G. Friedmann ou E. Morin, et dans une moindre mesure à G. Cazeneuve (Sorbonne), à R. Escarpit (Université de Bordeaux) ou à A. Moles (Université de Strasbourg). Curieusement, le débat d’idées ou la production théorique ne peuvent être tenus pour des facteurs déclenchants. La pression déterminante a pour origine des modifications de programmes d’enseignement dans les universités, modifications qui, pour certaines d’entre elles, datent d’avant 1968, mais qui se trouvent en quelque sorte renforcées par des mesures prises dans l’après 1968. On découvre rapidement qu’elles rencontrent des résistances institutionnelles difficiles à contourner ; car à quelques exceptions près, si la réforme à laquelle E. Faure laisse son nom, influence grandement le mode de fonctionnement des établissements universitaires ainsi que les modalités de transmission des connaissances (notamment en modifiant sensiblement le rapport entre cours magistraux et travaux dirigés) et les contrôles de ces mêmes connaissances, le découpage entre disciplines et surtout les rapports entre elles n’évoluent guère.

3L’impulsion vient d’abord de préoccupations liées à l’enseignement ; la recherche de fondements scientifiques ne s’affirme que progressivement, tandis que les modalités de coordination, tout comme les stratégies de structuration, n’apparaissent que plus tardivement.

A l’origine, des questions d’enseignement

4Dans cette perspective, l’attention doit d’abord être portée vers la création de filières nouvelles d’information et de communication, et ensuite vers la mise en œuvre, sous la dénomination de « techniques de l’expression et de la communication », de nouveaux enseignements de rhétorique adaptés à certaines catégories d’emplois. La chronologie de la création de diplômes spécifiques est elle-même riche de significations1.

Les créations de filières et de diplômes spécifiques

5Les Instituts universitaires de technologie (IUT), et leurs départements Carrières de l’information (dont la dénomination sera, en 1991/1992 seulement, transformée en « Information-communication » (mais ils sont parfois désignés par le triptyque relations publiques/information/documentation), bénéficient d’une incontestable antériorité. Jusqu’au milieu des années quatre-vingt, ils sont 9 – les « 9 historiques » – à décerner des diplômes. Les différentes spécialités habilitées entre 1967 et 1974 se répartissent entre les universités suivantes : Besançon : IDE (information et documentation, pas encore spécifiées « d’entreprise ») en 1968 ; Bordeaux 3 : IDE en 1968, CE (communication pas encore spécifiée « d’entreprise ») en 1968, et journalisme en 1967 ; Dijon : IDE en 1969 ; Grenoble 2 : IDE en 1974 ; Nancy 2 : IDE et CE en 1968 ; Paris 5 : CE en 1969 et IDE en 1981 ; Strasbourg 3 : IDE et CE en 1968 ; Toulouse 3 : IDE et CE en 1968 ; Tours : journalisme en 1968 et IDE en 1969.

6Jusqu’en 1992, la spécialité « métiers du livre » n’existe qu’à l’IUT de Bordeaux 3 (avec une perspective plus proche de l’édition). Il est à noter que le contenu des spécialités ne s’impose que progressivement, non sans fluctuations d’ailleurs : ainsi, le qualificatif « information » désigne au début tout autant le journalisme que l’information d’entreprise. Les programmes sont précisés par arrêtés ministériels et suivis de près par la Commission pédagogique nationale compétente. On peut se reporter notamment à l’arrêté publié au Journal Officiel du 5 septembre 1980 qui établit des programmes par unités capitalisables : au nombre de 10, celles-ci se décomposent en 5 unités techniques (participant pour une grande part aux sciences de l’information et de la communication, et dans une moindre mesure aux sciences de gestion), 4 unités de formation générale et 1 unité relative au mémoire. Cependant, les universitaires n’ont pas toujours les compétences correspondantes, et nombre de cours et de TD sont de fait assurés par des enseignants du second degré (pour la plupart « généralistes ») et par des professionnels vacataires et d’anciens professionnels (il est alors relativement facile de les recruter). Cette caractéristique est essentielle du point de vue qui est le notre : seule une minorité des enseignants et des quelques enseignants-chercheurs impliqués dans ces formations exprimeront une demande forte en direction de ce qui va se constituer comme l’ensemble interdisciplinaire des SIC.

7Il n’en reste pas moins que les IUT sont alors le premier et le plus important des lieux où exercent les enseignants appelés à être les spécialistes de ce qui va devenir une discipline (ou une interdiscipline, mais ce n’est pas le lieu de discuter de cette question). Le nom même des départements où la majorité d’entre eux se recrute – « Carrières de l’information » – est significatif, jusque dans son imprécision. On englobe dans cette filière tous les métiers qui, d’une manière ou d’une autre, ont pour matière un objet que l’on évite par ailleurs de définir, l’information. En fait, les « carrières » concernées sont si diverses qu’il faut proposer aux étudiants un choix entre deux options, recouvrant elles-mêmes cinq sous – options. Trois d’entre elles, relevant de l’option « Communication », se proposent de préparer respectivement :

• au journalisme (sous toutes ses formes),

• à la publicité (que l’on n’appelle pas encore, par une ambitieuse usurpation de sens, « communication »),

• à des emplois aux dénominations diverses qui relèvent de la communication d’entreprise.

8Pour sa part, l’option « documentation » se subdivise en documentation proprement dite, et métiers du livre, par quoi l’on entend aussi bien l’édition et la librairie que les bibliothèques.

9La situation, et donc la demande des enseignants-chercheurs, diffère avec les maîtrises de sciences et techniques (MST), seconde catégorie de diplômes à finalité professionnelle créés à partir de 1972. Là aussi on retrouve les filières « historiques » : Bordeaux 3 (Information et communication), Grenoble 2 et 3 (communication audiovisuelle et animation culturelle), Paris 13 (communication, audiovisuel et télématique) et Strasbourg 3 (journalisme et techniques de l’information). Les programmes sont assez souples : au sein d’un cadre global qui s’applique tout aussi bien aux filières de sciences de l’ingénieur, une relative latitude est laissée aux équipes pédagogiques pour moduler les programmes et expérimenter, avec toutefois la nécessité de solliciter la réhabilitation tous les quatre ans (ce qui est une innovation notable pour les 2^e cycles universitaires et anticipe sur des pratiques aujourd’hui généralisées). Pour ces quatre filières, les dates de création sont espacées de 1972 à 1974. Généralement, les créations stricto sensu sont précédées par la mise en œuvre d’un certificat préparatoire exigeant et rassemblant souvent des effectifs importants.

10Les questions posées aux universitaires en poste sont d’un autre ordre que les interrogations de leurs collègues exerçant dans les filières d’IUT : dans leurs propres universités, et bien sûr devant les premières promotions, ils ont tout à la fois à faire la preuve de l’intérêt de la professionnalisation (ce qui ne va pas de soi face aux disciplines « installées » et reconnues) et de la solidité de leurs références théoriques pour assurer une formation fondamentale spécifique en 2^e cycle. En ce sens, ils doivent résister aux offres de différentes disciplines, souvent prêtes à s’investir dans ces formations pour proposer des enseignements spécifiques voire ponctuels, au risque d’aboutir à une formation en « mosaïque », et en même temps concevoir des cours et d’autres formes d’enseignement transversaux aux disciplines existantes. Dans ces conditions, on comprend pourquoi les enseignants-chercheurs permanents des MST se sont rapidement associés aux échanges et aux débats scientifiques autour des sciences de l’information et de la communication.

11A partir de 1975, les reconnaissances portent sur les DESS (en même temps que les DEA, cf. infra) et dès l’arrêté du 7 juillet 1977)2, sur les licences et maîtrises (généralistes) d’information et de communication. Le détail des créations est complexe. On retiendra cependant un trait spécifique à l’offre de formation des universités françaises : l’antériorité des filières professionnelles ou professionnalisées, à la fois en 1^er, 2^e et 3^e cycles. Ce trait, en quelque sorte constitutif de leur offre dans le domaine, ne cessera d’influer sur le fonctionnement des départements, marquant jusqu’à y compris les filières généralistes (qui, pour la plupart, s’organiseront assez vite comme des filières professionnalisantes).

12Le tableau que l’on peut dresser au milieu des années quatre-vingt se présente ainsi3 :

• licences et maîtrises d’information et communication : Bordeaux 3, Lyon 3, Paris 2 (IFP), Paris 4 (CELSA), Paris 10 et Rennes 2, mais aussi avec des orientations spécifiques : Valenciennes (techniques et communications audiovisuelles), Paris 7 (information scientifique et informatique), Mulhouse (techniques d’archives et de documentation), La Réunion (techniques d’expression, de documentation et d’information). On doit également signaler Paris 7 qui propose une option communication dans la licence et la maîtrise de sociologie.

• diplômes d’études supérieures spécialisées (DESS) : si l’on se réfère à un document émanant des services de la Direction de l’Enseignement supérieur (DESUP 1, 1985), ces diplômes concernent principalement les universités parisiennes : Paris 1 (communication politique et sociale ; droit de la communication audiovisuelle), Paris 2-IFP (techniques d’information et de communication), Paris 3 (correspondants de presse), Paris 4 (information et communication sociale et commerciale), Paris 7 (applications de la télématique), Paris 8 (documentation et technologies avancées), Paris 9 (gestion des télécommunications), IEP de Paris (information et documentation) et Paris 13 (édition).

13L’offre des universités hors Ile de France est alors moins fournie. Elle est représentée par les filières suivantes : Besançon (bibliographie et informatique), Grenoble 2 et Lyon 1 (information spécialisée), Lille 3 (information, documentation et informatique) et Lyon 3 (informatique documentaire). Pour être complet, il faut également tenir compte des DESS co-habilités avec d’autres disciplines : Aix-Marseille 3 (systèmes documentaires d’information scientifique et technique, avec chimie), Mulhouse (techniques d’archives, avec histoire), Paris 8 (éducation, expression et animation, avec informatique et sciences de l’éducation) et Poitiers (technologies audiovisuelles de l’éducation, avec sciences de l’éducation). Pour sa part, le DESS systèmes d’information de Paris 1 est entièrement rattaché aux sciences de gestion.

14Spécialité parisienne, les DESS se retrouvent donc aussi dans des universités qui complètent ainsi leur offre de formations professionnelles, et dans d’autres pour lesquelles c’est une initiative unique.

15De son côté, la carte des diplômes d’études approfondies (DEA) varie beaucoup entre 1975 (date des premières habilitations d’un diplôme qui constitue alors une innovation en Europe) et 1985. Pour expliquer ce phénomène, on peut mettre en avant plusieurs raisons : une confusion certaine entre DEA et DESS (au point que certains DEA proposent des enseignements si spécialisés que ces formations éprouvent des difficultés à attirer des promotions suffisantes) ; la décision sans appel d’une ministre des Universités qui entraîne la suppression, en 1980, de plusieurs filières, parfois définitivement ; l’imprécision des rattachements théoriques et disciplinaires de certains DEA (il est fréquent alors d’intervenir dans deux DEA et même de les diriger) ; la possibilité offerte de diriger des thèses en sciences de l’information et de la communication sans se rattacher à des DEA de la discipline (cf. infra Tétu) : c’est le cas de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), qui succède à la 6^e section de l’École pratique des hautes études en 1975, et où pourtant se soutiennent de nombreuses thèses, en particulier en sciences de l’information.

16En tous cas, en 1985, la carte des formations de DEA spécifiques s’établit comme suit : Bordeaux 3 (communication, arts, spectacles ; sciences de l’information et de la communication) ; Grenoble 3, sceau principal d’une co-habilitation Rhône-alpine avec Grenoble 2, Lyon 1, Lyon 2 et Lyon 3 (sciences de l’information et de la communication) ; Paris 1 (cinéma, télévision et audiovisuel) ; Paris 2 (sciences de l’information) ; Paris 4 (sciences de l’information et de la communication à caractère économique et social) ; Paris 7 (information scientifique et technique) ; Paris 8 (création et communication multimédia) ; Rennes 2 (sciences de l’information et de la communication). Remarquons que cette liste ne fait plus apparaître Nice, Strasbourg 1, Montpellier 1 (informatique juridique). A l’inverse, comme pour les licences et maîtrises, Paris 7 doit être mentionné (pour son option du DEA de sociologie).

17On s’efforcera à la fin de cet article d’évaluer l’apport de ces différentes composantes de l’offre de formation telle qu’elle se met en place dans ses étapes successives, à la structuration de la discipline. On se bornera ici à relever que toutes les filières n’ont pas la même influence et que ce rapide bilan ne fait pas apparaître les DEUG spécifiques car, au cours de la période, ils sont presque inconnus : leur création est seulement rendue possible par l’arrêté du 14 août 1984, avec la mention « communication et sciences du langage » ; leur lancement coïncide du reste avec le début de la croissance des effectifs étudiants, dont ils contribueront à « absorber » une part des flux.

La question des techniques d’expression et de communication

18L’Université n’a ni le monopole, ni même l’antériorité de l’enseignement des techniques d’expression et de communication. Les formateurs en entreprise (et parmi eux les psychosociologues), les spécialistes de la formation continue, les responsables de l’enseignement technique et les associations de rénovation pédagogique – entre ces diverses catégories les relations croisées sont nombreuses – figurent parmi les promoteurs. Des colloques (entre autres celui du Centre de recherches de productivité de l’enseignement technique à Nancy en mai 1965) et des publications4 jalonnent la décennie soixante, ouvrant la voie aux enseignements universitaires. Ces derniers apparaissent d’abord dans les IUT (dès 1967) et de façon plus précise dans pratiquement tous leurs départements « tertiaires » et « secondaires », ensuite dans certaines Écoles d’Ingénieurs, enfin dans les DEUG et en formation continue (sitôt après la loi de 1971).

19Deux traits majeurs nous paraissent caractériser la mise en œuvre de ces enseignements. D’une part, en peu d’années, ils sont sinon massivement, du moins assez largement, proposés aux étudiants ; d’autre part, en dépit des directives ministérielles ou des instructions (par exemple, celles qui émanent des commissions pédagogiques nationales des IUT), ces enseignements sont créés sans que leur contenu soit clarifié, même de façon indicative. La dénomination elle-même fluctue, et dans sa thèse consacrée à ce sujet, Claudiane Fabre, maître de conférences à l’Université d’Orléans, a recensé pas moins de 9 intitulés, correspondant à la catégorie « techniques d’expression et de la communication » : expression française, techniques d’expression, communication, expression-communication, relations humaines, expression technique, expression de la pensée, expression générale, et... français (Fabre, 1985).

20Ce libéralisme pédagogique et terminologique est bien dans l’air du temps, mais il est lourd d’incompréhensions, de méprises, d’enfermements et de tensions qui n’auront rien de créatif. Et ce pour deux raisons sur lesquelles il convient d’insister, car rien n’assure qu’elles ne sont encore d’actualité, au moins pour partie. D’abord, les « commandes » adressées aux enseignants chargés des techniques d’expression et de communication, procèdent souvent d’une incompréhension sur la nature de la langue, comme si celle-ci pouvait servir à transmettre des contenus conçus en dehors d’elle et de sa maîtrise, et par conséquent de ses facultés expressives. Ensuite, parce que les cours et/ou TD sont confiés à des enseignants bénéficiant d’une reconnaissance faible, et donc d’une légitimité généralement discutée au sein des universités. Ces deux éléments éclairent, selon nous, l’évolution ultérieure et plus particulièrement l’insertion de cette catégorie d’enseignants au sein des établissements d’enseignement supérieur : malgré les efforts d’associations (certaines fonctionnent encore aujourd’hui), les enseignants spécialisés, pour se maintenir dans les universités, n’auront d’autre recours que de se replier vers les disciplines d’origine (généralement littérature et langue françaises), ou de se convertir aux sciences de l’information et de la communication à partir du moment où elles acquièrent/conquièrent une certaine crédibilité. Mais il est vraisemblable que malgré leur nombre et les pressions qu’ils sont en mesure d’exercer, ces enseignants n’ont guère la possibilité de se faire entendre : isolés dans leurs établissements de rattachement, reconnus pédagogiquement mais non scientifiquement (cette assertion mériterait évidemment quelques nuances), ils ne réussissent pas à former une communauté stable et sont amenés, par la suite, à choisir entre les voies se présentant à eux. Mais pour ceux qui, progressivement, sont amenés à opter pour les SIC et qui, incontestablement, compteront quantitativement dans son développement (surtout à partir de la fin des années quatre-vingt), une question demeure posée : celle de leur influence au sein de la discipline. Cette question sera traitée ultérieurement, mais on peut d’ores et déjà observer que cette influence est loin d’être décisive, pas plus au cours de cette période d’émergence que dans les années postérieures.

La recherche de fondements théoriques et scientifiques

21Les SIC ne constituent donc pas une discipline scientifique qui, une fois ses étapes de formation franchies, aurait vu reconnaître, après bien d’autres, sa légitimité à faire l’objet d’enseignements et de recherches. A l’inverse, elles acquièrent – tardivement et difficilement – le statut de discipline universitaire parce qu’elles sont matières d’enseignement et de recherche. C’est dans leur origine même que se trouve la raison première des incertitudes et ambiguïtés qui affectent toute assertion sur leurs fondements théoriques. Or ce qui est à leur origine, c’est en priorité la volonté de répondre aux besoins de milieux professionnels.

22Si l’on se réfère aux IUT, on remarquera à nouveau que le terme « information » revêt des acceptions multiples. Le journaliste, le publicitaire, le documentaliste ne conçoivent pas de la même façon l’objet ainsi désigné, et surtout ils ont avec lui des rapports différents. Le journaliste met au jour de l’information en la dégageant de la réalité quotidienne et la propose aux regards de publics aussi larges que possible ; le documentaliste la recueille, la conditionne et la rend utilisable à des fins spécifiques ; le publicitaire la modèle pour en tirer les arguments propres à satisfaire ses clients. D’autres, comme le libraire, ne s’intéressent à elle que dans la mesure où elle ajoute de la valeur aux écrins qui la contiennent.

23Tant que l’on en reste au niveau de filières professionnalisées de 1^er cycle, cette hétérogénéité est acceptable. On peut s’en tenir à la description des objets pour apprendre comment les manier, et les programmes des départements d’IUT peuvent faire place à un important « tronc commun ». Les écoles spécialisées ont même la tâche plus facile, car elles peuvent ignorer ce que d’autres mettent sous des vocables qu’elles utilisent, comme si la signification leur appartenait, au risque, bientôt vérifié, de fortifier des malentendus en consolidant des habitudes propres à des milieux culturels volontiers sourds les uns aux autres. On peut prendre comme exemple topique l’appropriation du terme « sciences de l’information » par des écoles de journalisme, alors que les spécialistes de l’information couramment dite « scientifique et technique » appellent leur spécialité » science de l’information » en lui donnant la même acception que les Américains confèrent à « information science » ou les Russes à « informatika ».

24L’ambiguïté apparaît bientôt, dès que les acteurs de ces dispositifs pédagogiques prennent du recul et veulent approfondir leur réflexion sur ce qu’ils ont pour fonction de pratiquer ; ou, en d’autres termes, quand les enseignants de ces matières relativement nouvelles se trouvent en mesure de répondre à leur vocation d’être en même temps des chercheurs. Avant la reconnaissance universitaire des SIC, ils sont pratiquement obligés de se qualifier comme chercheurs dans leur discipline d’origine ; à partir de 1975, ils peuvent s’interroger valablement sur la nature même de ce qu’ils ont à enseigner et le soumettre à l’investigation scientifique. On ne saurait s’étonner qu’un des premiers questionnements porte sur le sens à donner au terme trompeusement simple « d’information ». De la même façon, on s’interroge sur les acceptions du deuxième mot censé délimiter le contenu des SIC, « communication », la réflexion étant alors influencée par la tradition préexistante de l’étude des moyens de communication de masse, et par les orientations particulières de courants de pensée nord-américains.

25Le Comité des sciences de l’information et de la communication, fondé en 1972 avec des visées d’abord institutionnelles, ne tarde pas à jouer un rôle moteur dans ces efforts de clarification terminologique et de construction théorique. Dès 1974, il atteint le premier de ses objectifs, la reconnaissance académique de la spécialité dont il a établi l’acte de baptême et qui dispose désormais d’une section propre au sein du Comité consultatif des universités (CCU). Il doit, dès lors, diriger ses efforts vers la consolidation de cette discipline, en affermissant ses bases scientifiques, s’engageant ainsi dans la voie qui le conduira, après 1977, à se positionner comme une société savante et à prendre le nom de Société française des sciences de l’information et de la communication (SFSIC).

26Le premier colloque qu’il organise, en novembre 1975, a pour thème les rapports entre sciences de l’information et sciences de la communication. Les quatre contributions présentées font une large place aux problèmes de vocabulaire et s’emploient à éclaircir des notions. Il est intéressant de noter que la première est dûe à un physicien, E. Roubine, et a pour titre : « La théorie de l’information et son vocabulaire ». En fait, il s’agit d’une théorie mathématique de la communication, proposée par Shannon puis développée par les cybernéticiens américains et improprement appelée « information theory ». Cette pseudo-information n’a pas grand chose à voir avec celle dont s’occupent les SIC, et une notable partie des autres contributions est consacrée à tenter d’éviter le malentendu. Mais le modèle cybernétique est toujours très prégnant, et il inspire encore largement R. Escarpit quand il rédige sa Théorie générale de l’information et de la communication (publiée en 1976). Cet ouvrage n’accorde aucune place à plusieurs des courants théoriques aujourd’hui en vigueur, mais il fait date en constituant la première et courageuse tentative en langue française pour donner une base théorique à l’ensemble du domaine des SIC.

27La même année 1975 apporte une autre et décisive ouverture à la recherche avec la création des DEA. Un des premiers (chronologiquement) à porter le nom de notre spécialité est celui qu’organise l’École des hautes études en sciences sociales. Ce DEA fonctionnera jusqu’en 1980, date où il sera, avec quelques autres, l’une des victimes de la restriction drastique du nombre des DEA imposée par une autorité ministérielle particulièrement conservatrice. Il est loin de pouvoir être pris comme un modèle : comme pour beaucoup d’entreprises pionnières, ses initiateurs doivent improviser et construire avec les moyens du bord. Ils ne le font pas sur une table entièrement rase, puisque l’École bénéficie de la réputation de son Centre d’études des communications de masse. Pour le reste, il s’agit surtout de mobiliser les ressources humaines existantes.

28Une invitation à un regroupement sous l’enseigne des SIC est adressée aux membres du corps enseignant de l’École dont les préoccupations scientifiques semblent suffisamment proches. Une dizaine d’entre eux l’acceptent : disons que ce sont ceux qui se reconnaissent davantage dans cet intitulé que dans un autre. Renforcés par quelques collègues extérieurs à l’établissement, mais associés au DEA, ils constituent l’équipe pédagogique de celui-ci. Autour de Jean Meyriat, les premiers intervenants ont pour nom Jacques Bertin, Oswald Ducrot, Marc Ferro, Jean-Paul Trystram, Madeleine Wolff-Terroine.... Ils représentent des spécialités parfois éloignées les unes des autres : ce sont des enseignants-chercheurs en sémiotique générale, sémiologie graphique, sémiologie et sociologie du cinéma, sémantique des langues naturelles, théorie du discours, information scientifique et informatique appliquée aux sciences sociales. Au moins ont-ils le désir de se compléter les uns les autres et d’offrir aux candidats à une formation par la recherche un éventail assez large pour que chacun d’entre eux trouve une voie pouvant le conduire vers le secteur des SIC qui l’intéresse. Sur le plan de la formation, les résultats ne sont pas décevants, puisque ce DEA se classe dans le groupe de ceux qui produisent dans la période le plus grand nombre de thèses.

29En revanche, la faiblesse de l’entreprise apparaît lorsqu’on veut l’évaluer en tant que communauté scientifique. Ses membres continuent bien à chercher (et à publier), mais chacun dans la ligne qu’il suivait auparavant. Ils essaient pourtant d’aller plus loin dans la mise en commun. A plusieurs reprises, ils se réunissent en séminaire interne pour présenter à tour de rôle la carte du territoire sur lequel ils travaillent et débattre leurs problématiques respectives. Il ressort de ces confrontations de points de vue une meilleure connaissance des zones qui, pour chacun, sont périphériques, mais sans construction interdisciplinaire nouvelle, du moins dans l’immédiat. Cet exemple du DEA et de la formation doctorale de « l’École » est, à coup sûr, emblématique.

30La construction de la discipline est une ambition que s’assigne en priorité la société savante qu’est la SFSIC. C’est une des raisons qui la conduisent à organiser des congrès biennaux, dont le premier a lieu les 21 et 22 avril 1978 à Compiègne (cf. infra Tétu). Plus de 120 chercheurs, en fait la majorité de ceux qui sont déjà actifs dans (ou autour de) la discipline, mais qui pour la plupart n’ont pas encore eu l’occasion de se rencontrer, y présentent l’état de leur travail sur des sujets très divers, confrontent leurs hypothèses et leurs méthodes. Le thème est délibérément très large : « La communication, formes et contenus ». Il permet de dresser un inventaire global du champ à couvrir et des sillons déjà tracés. La quarantaine de contributions présentées, après un exposé introductif général de R. Escarpit5 (« Pour une nouvelle épistémologie de la communication ») se répartissent entre quatre sous-thèmes, où se déclinent ces préoccupations épistémologiques : « L’écrit et le document » ; « Formes, images et graphismes » ; « Les contenus politiques de la communication » ; « Formes et contenus littéraires et esthétiques ».

31Les discussions nourries entre les participants et les critiques parfois vives conduisent à dégager quelques axes de réflexion qui orienteront certains travaux ultérieurs. Pour stimuler ces derniers, des groupes de recherche sont prévus ; l’un d’eux, aussitôt constitué sur « L’écrit et le document », se montrera fécond pendant plusieurs années. Les congrès suivants seront régulièrement organisés tous les deux ans, sur des thèmes moins larges pour permettre un meilleur approfondissement.

Stratégies et modalités de coordination

32Parallèlement à ces efforts pour consolider les fondements scientifiques des SIC, d’autres développements de nature plus stratégique tendent à améliorer leur implantation géographique, mais aussi la situation professionnelle de ceux qui les pratiquent dans les institutions culturelles et universitaires. Après des discussions et des premières démarches entreprises en 1971 par la Commission pédagogique nationale des départements Carrières de l’information des IUT, le vrai signal de départ est donné en février 1972 lors d’une réunion tenue à la Maison des sciences de l’homme à Paris. L’initiative de cette réunion est prise conjointement par trois enseignants-chercheurs relevant de trois orientations différentes dans le vaste champ des SIC : R. Barthes, R. Escarpit et J. Meyriat. L’enjeu est principalement institutionnel : il s’agit de chercher les moyens de mieux intégrer dans la communauté universitaire ceux qui enseignent l’une ou l’autre des matières comprises dans ce champ, en leur donnant la possibilité de se réclamer d’une discipline autonome, d’y manifester une compétence évaluée par des spécialistes de la nouvelle discipline, de poursuivre leurs recherches dans le même domaine (au lieu de devoir conserver l’étiquette devenue inappropriée de leur discipline d’origine), et de voir reconnaître leur travail dans le déroulement d’une carrière normale.

33Quarante-quatre personnes, en majorité des universitaires auxquels se joignent quelques professionnels répondent à cette invitation. Il est décidé de créer une structure légère, association aux termes de la loi de 1901, primitivement intitulée Comité des sciences de l’information et de la communication. Ses trois premières missions sont d’obtenir la création d’une nouvelle section, consacrée aux SIC, à l’intérieur du Comité consultatif des universités (instance nationale contrôlant le recrutement des enseignants-chercheurs et le déroulement de leurs carrières), de faire reconnaître les SIC comme une des spécialités dans lesquelles peuvent être délivrés des doctorats, et enfin, de leur attribuer une place parmi les sections disciplinaires du CNRS. Au surplus, le Comité doit remplir sa fonction associative (inhérente à toute société scientifique) en favorisant les contacts entre ses membres, en leur offrant des occasions de travail commun, et en prenant toutes initiatives propres à contribuer au développement et à la visibilité de la discipline.

34Dès le mois suivant, le tout jeune Comité s’emploie à mieux définir le domaine qu’il a à couvrir, et à reconnaître ses frontières. Il y distingue des connaissances fondamentales et des connaissances appliquées. Parmi les premières, il identifie la sémiologie, la sociologie de l’information et de la communication, l’histoire de l’information, l’étude des systèmes juridiques, économiques et politiques de l’information ; mais aussi la théorie de l’information (sans intention véritable d’annexer la cybernétique), la communication de masse (ensemble bien flou et maintenant passé de mode) et la sociologie de la littérature (ce qui a dû sembler outrecuidant à nos collègues littéraires, sans parler des sociologues). Quant aux connaissances appliquées, à côté de la bibliologie, de la documentologie, de la filmologie, des études de presse, de publicité ou de marketing, elles rassemblent des études de relations sociales, d’animation socio-culturelle ou les sciences du spectacle. Mais rien par exemple sur l’étude des systèmes d’information et de leur gestion. Liste bien hétéroclite sans doute, mais qui a au moins le mérite d’exister et de fournir une base de départ à des réflexions ultérieures plus élaborées.

35Néanmoins, c’est sur l’autre terrain d’action du Comité, celui d’un groupe de pression, que les responsables déploient pendant les trois premières années l’essentiel de leurs efforts. Leurs démarches sont nombreuses et patientes, tant auprès de la direction des enseignements supérieurs qu’auprès des cabinets des ministres successifs de l’Éducation nationale. Ils finissent par être écoutés, forts de l’adhésion d’un nombre croissant de collègues prêts à rejoindre une nouvelle section du CCU si elle était créée, et malgré l’hostilité avouée ou non de sections plus anciennement établies (sociologie, sciences du langage, sciences politiques, etc.) dont les membres considèrent que l’étude des phénomènes de communication relève de leur discipline, sans qu’il y ait lieu pour des nouveaux venus de venir chasser sur leurs terres. Les autorités ministérielles de 1974 sont enfin gagnées à l’idée de « moderniser » l’Université ; la communication commence à bénéficier d’un effet de mode dans le public, tandis que l’augmentation du nombre des étudiants pousse à leur offrir de nouvelles matières d’enseignement. C’est ainsi que le 20 janvier 1975 l’arrêté modifiant la composition du CCU crée une 52^e section dénommée « sciences de l’information et de la communication ».

36Peu après, en application d’arrêtés d’avril 1974 modifiant le régime des doctorats, la possibilité est offerte aux établissements de demander une habilitation ministérielle pour délivrer des DEA et des doctorats de 3^e cycle en SIC. En fait, cinq d’entre eux obtiennent cette habilitation pour la rentrée de 1975 et pour une durée de cinq ans : Bordeaux 3, EHESS, Grenoble 3, Nice et Paris 4. Les deux premiers objectifs du Comité sont donc atteints.

37En revanche, le CNRS reste durablement sourd à ses demandes et propositions. Est-ce dû à l’inertie d’une bureaucratie trop lourde ? A l’appréhension éprouvée par ceux, déjà nombreux, qui se partagent des ressources et des crédits devant la perpective d’y voir découper une nouvelle tranche qui réduirait d’autant la leur ? Ou au fait que les équipes travaillant sur les SIC sont trop rares, dispersées et faibles – mais elles le sont en grande partie parce qu’elles ne disposent pas du capital de départ que représentent la reconnaissance et le soutien du CNRS. Toujours est-il que celui-ci continue à ignorer la discipline et ses chercheurs. Dans cette grande structure publique, une seule composante, le Centre de documentation scientifique, à vrai dire marginal par rapport à ses départements et à son Comité national, a entrouvert une porte par laquelle peuvent passer ceux qui travaillent à l’une des SIC, mais seulement en tant que consommateurs d’information scientifique. La section du Bulletin Signalétique consacrée à la documentation reçoit en effet, à partir de 1972, le titre bien ambigu de Sciences de l’Information. Documentation. Maigre consolation.

38Restons-en aux acquis. Depuis 1974, la 52^e section du CCU siège régulièrement et remplit la fonction pour laquelle elle a été instituée. Désormais coexistent deux instances contribuant au développement des SIC. La 52^e section, instance de type administratif, est responsable seulement de ce qui concerne les personnels universitaires, mais dispose par là d’une capacité d’influence sur l’évolution du domaine. Le Comité, organisme associatif indépendant des pouvoirs publics et sans moyens d’action sur eux, si ce n’est en tant que force de proposition et éventuellement de pression, veut être un outil pour tous ceux qui pratiquent les SIC, dans l’Université ou en dehors d’elle. Suivant les moments et les personnalités qui sont aux commandes, les deux instances agissent de façon convergente, ou s’ignorent. Plusieurs fois, les mêmes personnes se sont retrouvées dans l’une et dans l’autre. Mais elles ont évité d’y exercer simultanément des fonctions de responsabilité, s’abstenant ainsi de créer un pernicieux mélange des genres.

39En vertu d’une répartition implicite des fonctions, la 52^e section est vite amenée, pour les besoins de sa propre activité, à reprendre ce que le Comité avait commencé, et à préciser les définitions du domaine qui est le sien, celui dans lequel elle a vocation à juger et évaluer les mérites des candidats et des enseignants. En décembre 1975 elle adopte et diffuse la définition de ce qu’elle considère être son domaine de compétence : « fonctionnement, statut juridique, économique ou institutionnel, histoire, technologie ou technique d’un moyen de communication (presse, livre, document, radio, télévision, cinéma, spectacle, image fixe ou animée, etc...), d’un processus ou d’un système de communication ou de traitement de l’information ». On peut noter que cette définition très ramassée fait la part belle à ce qui relève de la communication au détriment de l’information proprement dite, sans doute parce que la faiblesse de la recherche est déjà sensible dans ce champ. Le même document la complète, d’une part, en précisant qu’il doit y avoir coïncidence entre une des parties de ce domaine et une méthodologie (dont elle propose plusieurs formes possibles), d’autre part en mentionnant des domaines annexes « pouvant être » de sa compétence, dans des conditions limitatives, comme l’histoire des moyens de communication, la sociologie ou la psychologie de la communication, les composantes linguistiques du fonctionnement d’un processus de communication, etc. Mais il prend soin d’exclure explicitement les techniques d’expression stricto sensu.

40Dix ans plus tard, en juin 1985, la section, devenue la 71^e dans un Conseil supérieur des universités, estime à nouveau nécessaire de préciser les contours du périmètre à l’intérieur duquel elle exerce ses compétences. Le document qu’elle produit alors est plus structuré que le précédent, témoignant de l’avancée des réflexions sur la nature des SIC. Il est affirmé que leur domaine est résolument interdisciplinaire, et recouvre « principalement :

• les études sur les notions d’information et de communication, sur leurs relations, sur la nature des phénomènes ainsi désignés, ainsi que les analyses philosophiques, épistémologiques, méthodologiques, logiques, mathématiques de ces phénomènes ;

• l’étude de l’information et de son contenu, de ses propriétés, de sa représentation ;

• l’étude des systèmes d’information et des modèles documentaires, informatiques et autres qu’ils mettent en œuvre ;

• l’étude des médias de la communication sous leurs divers aspects ;

• l’étude du fonctionnement des processus de communication et des productions et usages de la communication ;

• l’étude des acteurs de la communication et des agents du traitement et du transfert de l’information, de leur formation, de leurs professions ».

41L’idée centrale est de distinguer l’étude des processus et systèmes de l’information et de la communication, qui est spécifique aux SIC, de la pratique de la communication et de l’usage de l’information qui interviennent dans toute activité humaine. On arrive ainsi à caractériser un noyau dur des SIC (cf. supra Boure).

42Pendant ces dix années 1975-1985, la SFSIC se renforce numériquement et enrichit ses moyens d’action. La même année 1978 où elle tient son premier congrès, elle commence à publier un bulletin quadrimestriel, la Lettre d’Inforcom, organe de liaison entre ses membres. Elle l’utilise pour essayer de provoquer entre eux des débats d’idées, leur proposant, par exemple, en juin 1983 une tentative de classification des SIC. Elle stimule leur curiosité en leur fournissant régulièrement des listes des sujets de thèses déposés et des titres de thèses soutenues dans la discipline, dont elle illustre ainsi l’étendue en faisant apparaître les thèmes situés sur le front de la recherche. Elle les tient informés des événements pouvant affecter leur communauté, posant les bases d’une cohésion intellectuelle. Elle publie en 1984 une brochure où elle présente ses objectifs et ses activités. Elle continue à organiser des groupes de recherche, dont plusieurs fonctionnent et produisent pendant assez longtemps, comme « Écrit et document », qui deviendra en 1982 « Contenus et moyens de la communication », ou « Approche sociologique de la communication », groupe à l’origine d’un ouvrage collectif sur le Journal télévisé, ou encore « Appropriation sociale des médias » dont les débats déboucheront sur deux publications. Enfin, elle tient des journées d’étude et des colloques et organise tous les deux ans ses congrès.

43Son audience s’élargissant en conséquence, elle devient peu à peu un interlocuteur respecté d’autres organismes académiques ou non, en France et à l’étranger, voire des pouvoirs publics qui ne dédaignent pas de la consulter. Après avoir participé à plusieurs Assises régionales « Recherche et technologie », elle fournit en janvier 1982 au Colloque national du même nom une contribution écrite intitulée « Donner aux SIC la place qui leur revient » dont le contenu et la tonalité sont très explicites : « Il s’agit d’attirer l’attention des responsables (...) sur l’extraordinaire décalage entre l’activité, considérable, du secteur industriel et commercial lié aux technologies et celle, beaucoup trop réduite, de la recherche scientifique fondamentale sur ces questions (…) La priorité des priorités que nous proposons a, en conséquence, un caractère stratégique affirmé : il s’agit de créer, de développer les laboratoires et centres de recherche qui seront les indispensables observatoires, analytiques et prospectifs, et les foyers de recherche fondamentale placés en amont des industries culturelles » (Lettre d ’Inforcom, n° 10, mars 1982, 3-10).

44Chez les chercheurs eux-mêmes ses initiatives trouvent un écho croissant. En voici un indice : en décembre 1979, faute d’un nombre suffisant de préinscriptions, elle avait dû annuler une journée d’étude consacrée à la thématique de la science de l’information devant l’innovation informatique. Mais en mars 1985, la même population (qui représente une minorité parmi ses membres) répond favorablement à une autre invitation et assure le succès à Villeurbanne d’une journée d’étude sur les apports respectifs de la linguistique et de l’intelligence artificielle à la construction de systèmes d’information automatisés.

45La consolidation de la discipline est parallèlement obtenue au niveau des institutions universitaires. En octobre 1979, la 52^e section du CCU se voit confier par le ministère la préparation des projets de programme de licence, maîtrise, DEA et DESS en SIC. Preuve de sa montée en puissance, elle est maintenue au sein du Conseil supérieur des corps universitaires qui, en 1980-1981, remplace le CCU – même si en 1980 le nombre de ses électeurs inscrits dans le 1^er collège (professeurs) est inférieur au double du nombre (égal à neuf) des postes à pourvoir, ce qui conduit à remplacer l’élection dans ce collège par des nominations ministérielles. Elle subsiste de même en 1982 dans le Conseil supérieur provisoire des universités, malgré les bruits alarmistes qui courent sinon sur sa possible suppression, du moins sur la restriction de ses attributions. Ces inquiétudes sont levées en février 1983 par une circulaire du ministère fixant le découpage du nouveau Conseil supérieur des universités : c’est désormais une 71^e section qui est consacrée aux SIC, rangée dans un XIV^e groupe de sections où elle voisine avec les sciences de l’éducation, l’histoire des sciences, les langues et cultures régionales, les sciences et techniques des activités physiques et sportives, toutes considérées comme des « interdisciplines ». Une dernière péripétie voit en 1985 toutes les sections de ce groupe menacées par les arguties juridiques de quelques enseignants réactionnaires : le Parlement doit intervenir en votant un article de loi, le Conseil constitutionnel après le Conseil d’État est appelé à trancher : la légalité de la 71^e section est enfin définitivement acquise.

46Mais ses membres et ses autorités légitimes n’ont pas attendu cette confirmation pour travailler. Les listes électorales du CSU ayant été constituées au printemps 1983, elle voit s’inscrire 33 électeurs dans le 1^er collège et 142 dans le second (à comparer avec les effectifs actuels, multipliés environ par quatre). Après les élections de janvier 1984, elle siège régulièrement pour examiner les dossiers qui lui sont soumis. Elle doit notamment pourvoir quelques postes ouverts au recrutement, en nombre bien faible (les créations de postes universitaires sont rares, et même exceptionnelles entre 1973 et 1988). Elle prend acte de la création de nouveaux diplômes dans sa spécialité et décide de plusieurs initiatives importantes comme celle de préciser elle-même les frontières de son terrain d’action. Fin des années 1980, si certains continuent encore à la contester ou à l’ignorer, ils ne peuvent plus espérer la remettre en cause : les SIC sont devenues une discipline comme les autres.

Les voies de la structuration

47Ainsi que nous l’avons déjà relevé, les causes immédiates de l’émergence des SIC sont à rechercher en priorité dans des changements importants intervenus dans les filières et les programmes d’enseignement, avec la création de diplômes spécifiques, et secondairement dans l’inscription des techniques d’expression et de communication dans des cursus de premier cycle, d’abord dans les IUT, puis dans les DEUG généralistes, ainsi que dans certaines activités offertes par les universités en formation continue.

48Mais à elles seules ces transformations n’expliquent pas tout : la dispersion des enseignants sollicités, la diversité de leurs origines disciplinaires (majoritairement littéraires cependant), la diversité de leur rapport à la recherche, la difficile légitimation de leurs interventions dans des universités qui, autour des années soixante-dix, s’étaient souvent contentées de modifier leur organisation interne et les modalités de transmission des savoirs sans s’interroger sur les transformations de ces derniers, et l’instrumentalisation des cours nouveaux dans les demandes formulées aux nouveaux intervenants par les directions pédagogiques, tous ces facteurs pèsent alors fortement dans le développement de la discipline (qui prétendrait qu’ils ne jouent plus aujourd’hui ?). Faut-il pour autant tenir le blocage des carrières et la pression de ceux que leurs collègues ne veulent ni reconnaître ni promouvoir comme le facteur-clé expliquant pour l’essentiel la structuration, et au delà de la reconnaissance institutionnelle ? R. Escarpit, parmi d’autres fondateurs, a souvent insisté sur ce point, indiquant à plusieurs reprises que la fondation d’une section du Comité consultatif des universités devait d’abord permettre de donner satisfaction pour leur carrière à ceux qui prenaient en charge la formation des journalistes ou des documentalistes. Cette création est tenue par lui (mais aussi par d’autres) non comme un aboutissement, mais comme une condition de survie, et finalement comme un point de départ assurant au moins le recrutement et la pérennité des premiers cercles. Ce fait vérifiable mis en avant par ceux qui, en 1975, sont à l’origine de l’arrêté de création de la 52^e section, n’est cependant pas de nature à expliquer ni la progressive construction de la discipline, ni le fait qu’à partir d’une certaine date il devient impossible à ceux qui en gardent encore le dessein de la contester et/ou d’obtenir sa suppression. Et corolairement, il n’aide pas à comprendre les spécificités des SIC au sein de l’Université, spécificités qui ne se retrouvent pas telles quelles (loin s’en faut !) dans des pays voisins, en Amérique du nord ou en Amérique latine.

49En effet, dès le départ, des voies différentes sont envisageables et ont été (voire sont encore çà et là) envisagées par certains : par exemple, sans reproduire le projet anglais ou nord-américain des Cultural studies, la perspective d’un enseignement culturel modernisé et pluri-disciplinaire (projet que l’on peut appeler « humanités modernes ») est un choix possible. A de rares exceptions près, il n’est pas retenu par la grande majorité des universités, aussi bien dans la phase d’émergence que dans la période postérieure. Une première explication peut être avancée : craignant la concurrence des filières nouvelles, les universités ou les UFR littéraires ou de sciences humaines évitent en général de laisser se former des cursus trop proches de leurs fonctions traditionnelles, au risque de voir une majorité d’étudiants, et même les meilleurs d’entre eux, s’y inscrire. Et ce risque est bien réel dans une période de stagnation des effectifs étudiants. Seules s’engagent dans cette voie les filières relevant de départements dits « fondamentaux » aux effectifs importants, quand elles ne fournissent pas le moyen d’accueillir des étudiants ayant des difficultés d’adaptation aux cursus « nobles » et « historiques ».

50L’info-com (expression qui apparaîtra ultérieurement) ne suit donc pas un chemin parallèle à celui des Cultural studies, et ce dès la période d’émergence. Plusieurs éléments permettent de l’expliquer. Nous insisterons sur trois d’entre eux :

• en premier lieu, le rattachement à des formations littéraires et de sciences humaines. Ce trait est souvent passé sous silence, et en tout cas ses conséquences ne sont guère mises en évidence. Le « primat littéraire » a, rappelons-le, une origine manifeste : la nécessité d’organiser des enseignements de techniques d’expression et de communication dans les premiers cycles professionnalisés ou généraux. Mais les décisions successives qui étendent cet enseignement ne sont pas simples à appliquer, soit que des enseignants de littérature et de langue françaises se contentent d’enseigner ce qu’ils ont l’habitude d’enseigner, soit que l’on fasse appel à des vacataires parfois peu préparés, soit enfin que le contenu des dites techniques se révèle plus complexe et plus ambigu que prévu, ouvrant la voie à des expérimentations de toutes sortes (de la prise de parole au tournage vidéo, en passant par l’expression dramatique). Si le plus souvent ce sont des enseignants de lettres (plus rarement des enseignants – chercheurs) qui prennent en charge les techniques d’expression et de communication, non sans conflits et incessants questionnements, leurs activités s’ajoutent à celles traditionnellement confiées aux littéraires et sans beaucoup de synergies ou d’influences réciproques.

51Et pourtant, ce sont majoritairement des départements, des UFR ou des Universités de lettres et de sciences humaines qui, progressivement, sont à l’initiative de la création des formations spécifiquement dédiées à l’information et à la communication. Alors qu’ils sont presque exclusivement orientés vers les métiers de l’enseignement, c’est en leur sein que la majorité des filières spécifiques s’organisent. Bien que moins préparés à ces formations nouvelles que les spécialistes des sciences sociales ou des disciplines technologiques, voire même que les psychologues, les littéraires font preuve de « plasticité » et d’une plus grande ouverture intellectuelle. Certainement moins attachés que d’autres au bornage disciplinaire et aux questions épistémologiques, ils acceptent d’accueillir et d’héberger des formations dont ils comprennent souvent mal les spécificités. Pourtant, les incompréhensions sont permanentes et parfois difficilement supportables (d’où de longues discussions, y compris dans les conseils d’université, sur l’emploi de matériels pourtant alors peu perfectionnés, et sur les maigres budgets de fonctionnement !). Mais in fine, ils s’engagent dans des innovations que d’autres remettent régulièrement à plus tard, et pour certains jusqu’à l’arrivée de la société dite de « l’information ». Pour être complet, on ajoutera qu’il conviendrait de tenir compte des spécificités institutionnelles qui éclairent également les choix effectués : les situations des grandes universités de Paris intra muros ne sont pas analogues à celles des universités de Paris extra muros ou à celles des universités des grandes villes de province. Les positionnements disciplinaires interviennent également : par exemple, quand l’existence d’un fort département de linguistique en conflit ouvert avec les littéraires laisse peu d’espace à l’information et à la communication, lorsque les sciences de l’éducation ont une implantation ancienne, quand les sociologues et politistes (plus rarement) s’intéressent aux problématiques de l’information et de la communication...

• deuxièmement, le développement de filières professionnalisées. Il s’agit là d’une spécificité qui marque et continue encore à marquer les SIC en France, et ce à plus d’un titre. Car si les départements Carrières de l’information des IUT bénéficient d’une incontestable antériorité, c’est surtout à partir du moment (entre
  1972 et 1974) où des seconds cycles professionnalisés se créent que les perspectives s’élargissent. Sauf exception locale, ces départements d’IUT ont peu de relations avec le cœur des universités, ils comprennent peu d’enseignants-chercheurs, leurs filières sont conçues de façon très autonome et les programmes relativement contraignants laissent peu de place aux initiatives locales. Ce n’est pas le cas des maîtrises de sciences et techniques qui, dès le début, se construisent autour d’orientations pédagogiques, scientifiques et professionnelles à chaque fois différentes, et qui surtout sont le lieu de modifications régulières ; à Bordeaux 3, à Grenoble 3, à Paris 13 ou à Strasbourg 3, les spécialités diffèrent : journalisme, communication audiovisuelle, relations publiques, animation culturelle, management du changement organisationnel.... Les programmes évoluent continuellement et même les options ; ainsi, par exemple, cinq ans seulement après son lancement, Grenoble 3, qui n’a pas obtenu le soutien prévu de Grenoble 2, supprime l’option « animation culturelle » et se recentre sur la communication audiovisuelle, tout en développant des activités pédagogiques et scientifiques consacrées à la communication locale et à la communication organisationnelle.

52Cette diversité de l’offre de formation n’empêche pas les relations entre les responsables de ces filières de 2^e cycle. Ces derniers – ce sont pour la plupart des maîtres-assistants à qui leurs collègues professeurs ont laissé, officiellement ou non, la responsabilité de la coordination pédagogique, et surtout le suivi des stages et l’organisation des travaux dirigés – se rencontrent souvent et échangent sur les questions qui les préoccupent. Ils prennent également part, et pour certains de façon active, aux premières manifestations scientifiques6. En outre, ils considèrent que leur insertion universitaire ne dépend pas seulement d’une professionnalisation réussie, mais tout autant du développement de la recherche. C’est pourquoi ces seconds cycles à finalité double (scientifique et professionnelle), souvent accessibles de façon sélective après un certificat préparatoire complétant la formation de premier cycle, donnent une impulsion à l’enseignement de l’information et de la communication, impulsion aujourd’hui encore observable, et sans doute plus aisément depuis des pays voisins dotés de systèmes universitaires différents et donc plus aptes à distinguer les originalités.

53Le lancement après 1975 de plusieurs DESS renforce ce dispositif, d’autant qu’une partie importante de ces troisièmes cycles à finalité professionnelle sont proposés par des établissements ne disposant pas de second cycle en SIC, et souvent avec des spécialisations très précises (archivistique, documentation et informatique, systèmes d’information...). Certes, il faut tenir compte, comme nous l’avons relevé supra, de la création rendue possible par l’arrêté de 1977 de licences et de maîtrise d’information et de communication. Mais celles-ci ne se développeront que lentement, puisqu’on en dénombre seulement quinze en 1989. Une partie d’entre elles est d’ailleurs proposée par des départements disposant déjà de filières professionnelles. Et si leur programme d’enseignement comprend 375 heures au minimum (soit la moitié de ce qui est prévu pour les MST), les stages sont obligatoires ainsi que des activités pratiques en ateliers. Toutes ne disposant des moyens humains, matériels et financiers suffisants, certaines sont condamnées à fonctionner pendant longtemps avec une ébauche de professionnalisation. Quant aux DEUG spécifiques portant initialement la mention « communication et sciences du langage », ils sont inconnus au cours de la période et leur expansion rapide ne se réalise que postérieurement.

54Une conclusion peut d’ores et déjà être tirée : les filières d’information et de communication sont expérimentées en premier lieu soit dans le cadre de filières sélectives aux caractéristiques bien différenciées en premier, second ou troisième cycle, soit dans des filières générales de second cycle, elles mêmes partiellement sinon « professionnalisantes », du moins spécialisées. C’est une situation qui, en dépit des incontestables difficultés rencontrées présente quelques avantages, aujourd’hui évaluables.

• troisièmement l’apport des DEA et des formations doctorales. Une discipline ou interdiscipline nouvelle ne peut fonctionner qu’en faisant appel à des enseignants-chercheurs « transfuges » définitifs ou partiels d’autres disciplines. En outre, se pose à elle la question fondamentale de la formation, à échéance plus ou moins rapide, de ses étudiants de troisième cycle et des docteurs appelés à occuper progressivement les postes disponibles, autrement dit la question de sa reproduction.

55Si jusqu’à la fin des années quatre-vingt très peu de postes créés ou vacants s’avèrent disponibles, de sorte que la grande majorité des membres de la 52^e puis de la 71^e section est constituée de « ralliés », la formation des doctorants et des docteurs est cependant engagée, et ce assez rapidement. Ce qui favorise l’accélération du processus c’est sans conteste la création, en 1975, des DEA, première filière de formation à la recherche pour les futurs doctorants, et parfois de première sensibilisation aux préoccupations scientifiques des SIC. Les pôles existants (l’IFP, le CELSA, l’EHESS, auxquels il faut ajouter les quelques universités qui ont lancé des seconds cycles professionnalisés : Bordeaux 3, Grenoble 3, Paris 13) sollicitent rapidement et obtiennent une habilitation à délivrer ce nouveau diplôme (cf. supra). Les programmes accordent encore peu de place à la formation épistémologique et méthodologique, et la formule du séminaire où sont présentés des travaux menés tant par des enseignants que des étudiants a en général la préférence. Les réflexions proprement scientifiques sur l’information et la communication sont succinctes, tandis que la disparité des sujets traités étonne aujourd’hui. Les directeurs de recherche sont parfois, et pour de longues années encore, des universitaires qui restent attachés à leurs disciplines d’origine (cf. infra Tétu). Mais leur double rattachement, observable pas seulement dans les universités hors Ile de France, permet d’accompagner l’émergence de la discipline là où il faut du temps pour commencer à acquérir de la légitimité, c’est à dire au niveau des études doctorales. Toutefois, ce « portage » ne s’avère pas toujours bénéfique : le retard actuel de quelques grandes universités vient de ce qu’il s’est limité en un contrôle par quelques disciplines des recherches sur l’information et la communication, ici par les sciences du langage, là par les études littéraires (travaux relatifs au cinéma et à l’audiovisuel), ailleurs, mais plus rarement, par les sciences de l’éducation...

56Au milieu des années quatre-vingt, si les SIC ont acquis une dimension certaine et si les menaces pesant sur elles se sont estompées, leur édification comme discipline scientifique est loin d’être achevée. On peut assez aisément dresser la liste des faiblesses ou des carences manifestes qui les caractérisent encore et qui mettront parfois de longues années à s’estomper (cf. aussi Miège, 1999) :

• une ouverture internationale réduite : alors même que certains courants théoriques trouvent leurs racines dans les travaux d’auteurs étrangers et notamment nord-américains, les échanges scientifiques sont ténus et peu d’auteurs français prennent part aux congrès ou colloques internationaux, et encore moins sont publiés dans des revues d’audience internationale. Il faudra du temps pour améliorer la présence de chercheurs français à l’étranger.

• une légitimation seulement amorcée : si le processus est engagé, il reste beaucoup de chemin à parcourir. D’une certaine façon, ce phénomène n’a rien d’étonnant, il s’observe régulièrement dans l’histoire des sciences où les luttes entre disciplines recouvrent souvent des tentatives de percée de disciplines nouvelles face à des disciplines installées. Cependant les difficultés rencontrées viennent pour partie de ce que la pression de la société et des « demandes sociales » (étudiants, médias, entreprises...) demeure faible ; cette caractéristique va se modifier assez vite et favoriser l’ouverture des universités et des universitaires au paradigme de l’information-communication. La reconnaissance – toute relative – des SIC suivra alors la croissance des effectifs étudiants et la diversification des demandes.

• une recherche en mal de structuration : à cet égard, il conviendrait de citer de nombreux passages du Rapport au ministre de la Recherche et de l’industrie (aujourd’hui encore très éclairant), à la suite de la mission Mattelart-Stourdzé. Ce document, publié à la fin de 1982, insiste comme il est prévisible, sur l’ignorance par le CNRS des SIC ainsi que sur la nécessité de structurer dans l’Université des dispositifs de recherche fondamentale. Mais il va plus loin ; les auteurs notent : « à cette minorisation du statut des recherches en communication dans la sphère des disciplines universitaires, il faut ajouter l’éclatement des lieux de recherche dans l’Université même. La faible reconnaissance des sciences de la communication n’a pas permis une confrontation suffisante, à de rares exceptions près (...) entre les chercheurs, chacun se plaçant plus ou moins dans l’optique de sa discipline d’origine. Elle a entraîné une grande dispersion et sectorialisation des travaux lorsque les critères académiques mis en avant par les instances chargées de juger des carrières des enseignants-chercheurs ont pris le dessus, ce qui fut le cas. Cet éclatement des recherches à l’intérieur de l’Université a son équivalent en son dehors...»7.

• une conscience des enjeux loin d’être partagée par l’ensemble de la « communauté » concernée : les indices sont divers, et parmi eux on doit remarquer que les pratiques de l’instance nationale de promotion et de recrutement, des enseignants-chercheurs, manquent parfois de clarté, au point de laisser place à des choix opportunistes, et parfois même clientélistes. En accordant trop peu d’intérêt aux critères scientifiques et en favorisant des candidats proches de ses propres positions, la tendance conservatrice de cette instance manque singulièrement de clairvoyance face à l’exigence, difficilement évitable, d’édification de la discipline.