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Conclusion

p. 297-301


Texte intégral

1J.-M. Charon le rappelait dans ses Réflexions et propositions sur la déontologie de l’information à C. Trautmann, en 1999 : « le parti-pris de la médiation s’appuie sur une conviction qui est celle de l’enclenchement d’une dynamique vertueuse. Stimuler la discussion et la réflexion sous l’impulsion des questionnements du public n’est pas substitutif des moyens mis en place par les rédactions en chef pour renforcer la vigilance de leurs rédactions. Elles peuvent également fournir une matière riche sur laquelle peut s’appuyer l’encadrement rédactionnel1 ». C’est l’analyse de ce « parti-pris » et de la « matière » discursive sur laquelle la médiation de l’information vient s’ancrer, aux multiples occasions qu’offre le traitement télévisuel quotidien de l’actualité, que ce travail a tenté de mettre en œuvre.

2A l’écart d’attitudes, fréquemment dénoncées, d’ignorance radicale du courrier des lecteurs/téléspectateurs ou de mise en souffrance de ce qui s’en dégage (Sorlin, 1992, 100), l’institution d’un médiateur2 sur la principale chaîne de télévision publique française a eu un mérite essentiel : rendre possible, visible et immédiatement investissable par n’importe quel téléspectateur de la chaîne une parole émise depuis la réception de l’information. Au risque de créer un “appel d’air critique” susceptible d’aller à l’encontre des objectifs recherchés et, notamment, d’une image de qualité accrue, par l’entremise de la médiation – ou, du moins, de donner quelque argument complémentaire à ceux qui, du côté de la rédaction, y voyaient d’abord une forme d’autoflagellation. Générer, par la médiation, la mécanique paradoxale d’une « faute aux médias » (Mamou, 1991) systématique, plaçant le journalisme et le traitement médiatique proposé dans le rôle prédéfini de l’accusé, n’est pas, en effet, le moindre risque d’une entreprise pouvant conduire à renforcer une vision critique dominante du travail des médias et, en particulier, de la télévision.

3De la médiation comme promesse (donner sa parole), progressivement réalisée comme une légitime attention au téléspectateur et comme programme d’écoute réciproque, à la médiation comme attribution d’un espace (donner la parole) où les discours des téléspectateurs pourraient venir se croiser et rencontrer ceux des journalistes, il y a toute la complexe et fragile mise en œuvre d’une négociation sur le sens à accorder aux informations qu’une chaîne de télévision délivre quotidiennement. C’est dire que l’ambition d’une telle entreprise risque, à chaque moment, de venir rencontrer les limites que le format même de l’émission impose mais aussi de venir se heurter à un scepticisme réengendré par une émission qui devait pourtant venir le combattre. Le paradoxe propre à une telle situation n’est pas spécifique à ce type de médiation mais vient en manifester, à la fois, les intérêts et les difficultés.

4Si la médiation permet d’éviter l’écueil d’une totale dissymétrie où le téléspectateur muet n’est, face à l’information, que pur destinataire, sans aucun pouvoir d’être entendu, d’une quelconque façon – notamment lorsqu’elle le concerne directement3 –, elle n’en a pas moins à affronter le risque, certes moins visible mais néanmoins fragilisant en terme de crédibilité de la démarche, d’asymétries multiples : l’écueil est alors de renforcer, par la médiation et à l’encontre de ses objectifs affichés, le sentiment dans le public que – sauf concessions marginales – l’émission est d’abord au service d’une démarche explicative de la rédaction, pour laquelle les remarques des téléspectateurs ne seraient que d’utiles tremplins. Les formes de prétérition dont certaines remarques des téléspectateurs sont parfois accompagnées – « je sais que vous allez encore vous justifier mais… » – témoignent de ce soupçon transversal d’une asymétrie régulièrement favorable à l’institution médiatique, à laquelle le téléspectateur peut avoir quelque réticence à participer, par-delà sa volonté d’expression critique. Le sentiment, convergent, d’une médiation implicitement conçue comme outil stratégique au service de l’image de la chaîne apparaît alors comme une version selon laquelle l’émission peut être reçue et où le discours de l’usager-téléspectateur est l’auxiliaire nécessaire d’une réaffirmation publique des valeurs et des principes de « qualité » guidant la démarche informative de la chaîne.

5L’analyse de la médiation, envisagée comme processus métacommunicationnel, a conduit à considérer qu’une part essentielle de son sens réside, certes, dans le dispositif matériel et symbolique qui en trace le cadre d’effectuation mais aussi, surtout, dans le système de places occupées, la médiation pouvant être considérée comme une visée d’ajustement des représentations que les différents acteurs du processus informatif – concepteurs comme récepteurs – peuvent avoir du rôle, de l’activité et de la place dans ce processus des uns et des autres. L’approche discursive proposée aura été la tentative de saisie, dans le discours, des formes diverses de décalages dans les conceptions de ce qu’est l’acte social de médiatiser et des ajustement difficiles dont la médiation de l’information est, au fil des émissions, la permanente reprise. Elle aura été, aussi, l’occasion d’identifier que l’analyse de la médiation comme pratique – au-delà du dispositif dans lequel elle s’inscrit et des places pré-attribuées qui le caractérisent – est d’abord ce que les discours tenus révèlent des places effectivement occupées. La mise en évidence, par le dispositif, d’une place d’“outsider” – le médiateur – est ainsi discursivement relativisée par certains des propos tenus qui viennent, dans certains cas, atténuer, sinon annuler, la place initialement construite et la distance a priori voulue avec l’instance médiatique. Si l’enjeu d’explicitation des pratiques professionnelles, comme objectif légitime d’une médiation présupposant un téléspectateur peu au fait des contraintes voire des obstacles rencontrés par les journalistes de télévision, pose le médiateur comme interface, le risque est grand que la face-journaliste du médiateur estompe, de fait, les autres faces nécessaires de l’acteur dans l’opération de médiation.

6La médiation ne saurait être, cependant, qu’interface explicative ; elle a aussi à être – pour faire retour sur les propositions de J.-P. Astolfi4 (1996, 13) – cet espace de transition vers des réajustements de conceptions relatives à l’acte d’informer. En complémentarité avec les rectifications d’inexactitudes, d’erreurs ou d’approximations nécessitant d’être im-médiates pour ne pas être perçues comme autant d’indices d’un déficit de qualité plus global, l’activité de médiation aurait, par définition, besoin aussi d’être médiate : d’être proposée, lorsque le type de problème évoqué l’exige, comme une activité sans réponse immédiate à certaines des questions soulevées par les téléspectateurs. Faire le pari de la latence, du travail du temps nécessaire5 au changement des cadres dans lesquels les problèmes sont posés est sans doute un luxe inenvisageable pour une chaîne de télévision où le gros quart d’heure hebdomadaire de médiation de l’information est déjà une exception notable dans le « paysage audiovisuel ». Il n’est pas dit, d’ailleurs, que l’évolution du format de l’émission modifierait sensiblement les logiques profondes selon lesquelles la médiation de l’information est envisagée mais qui se trouvent confortées, et régulièrement confirmées, par les limites et la répétitivité que favorisent des débats sitôt clos qu’amorcés.

7De ce point de vue, le direct, comme idéal-type, partagé par les journalistes et les téléspectateurs, d’un accès im-médiat à la réalité, dans un rapport de transparence où la médiation6, tant humaine que technique, serait abolie, apparaît comme symptomatique d’une mythologie plus globale qui continue, dans L’Hebdo du Médiateur – comme dans d’autres débats métajournalistiques, d’ailleurs – à constituer la trame implicite de nombreuses réactions et réflexions : face au réel-référent, toujours conçu comme préconstitué – antérieurement à toute intervention médiatique –, la qualité du travail des médias se mesurerait en termes de fidélité restitutive, de reproduction conforme. On a pu voir transparaître, dans un certain nombre de cas, au long de cette étude, que la pensée de la médiation restait fréquemment enclose dans le présupposé du « fait » (à restituer) et de la « réalité » (à reproduire) : la représentation de l’activité journalistique comme « couverture » d’occurrences préexistantes – plutôt que comme « médiatisation » où la construction sociale de l’événementialité inclut le journaliste et les équipes rédactionnelles comme acteurs sociaux parmi d’autres – reste la représentation dominante. Le modèle d’une objectivité à respecter et d’une extériorité du journaliste au jeu social, dont il ne serait qu’un reflet, constitue la trame invisible de nombreux débats et échappe régulièrement à un questionnement dont on aurait pu penser que la médiation de l’information pouvait être le lieu. La concession des erreurs, l’aveu des anomalies et la déploration des manquements s’inscrivent, tous, dans un cadre normatif de représentation de l’activité qui fonctionne, pour reprendre les propos de D. Cornu (1997, 52), comme « refuge illusoire derrière une vision mythifiée de la profession d’où chacun tirerait bonne conscience ».

8Appareil de relégitimation d’une « éthique normative » (Libois, 1994, 6 ; Cornu, 1997, 8) plutôt que véritable interrogation sur la complexité de la position sociale du journaliste7, l’émission de médiation de l’information de France 2 se présente sous la figure de ce que l’on pourrait considérer comme une tension symbolique : en tant qu’activité de médiation, elle contribue à créer, dans l’espace public, la place d’un débat possible sur le rôle d’acteur des médias – et, particulièrement, d’une chaîne de télévision publique – dans la société ; en même temps, le poids des croyances communes au groupe professionnel des journalistes et des adhésions identitaires à des principes qui contribuent à le forger comme groupe conduisent le journaliste à fréquemment dénier – dans la médiation comme à bien d’autres moments – le fait qu’il puisse être co-constructeur de la réalité sociale. L’activité de médiatisation – par-delà les principes intimement associés à l’espace public démocratique que sont le droit du public à l’information et le devoir d’informer comme responsabilité sociale, liée à l’exercice de la citoyenneté – envisagée comme coopération conflictuelle entre acteurs sociaux où le rapport aux sources est aussi, et parfois avant tout, relation stratégique aux acteurs sociaux pour l’accès à l’information apparaît comme un discours difficile à tenir tant il semble contrevenir à l’image idéale d’indépendance, régulièrement revendiquée par la profession.

9Le journaliste, n’est pas hors-jeu social mais acteur, partie prenante d’une réalité qu’il contribue, qu’il le veuille ou non, à construire par l’activité de sélection et de hiérarchisation qui est la sienne, par les choix dénominatifs qu’il adopte ou les images publiques des acteurs auxquelles il participe. La parole des téléspectateurs a une vertu heuristique indéniable dans le sens où elle est ce réactif discursif qui permet de faire affleurer, à la fois, les résistances des journalistes à certaines conceptions de leur activité – vue comme profondément intégrée à la construction du sens social – et les failles d’une approche déontologique strictement normative de l’activité sur laquelle la réalité de la pratique vient buter régulièrement.

10Sans doute ne peut-on pas attendre d’une émission comme L’Hebdo du Médiateur qu’elle se convertisse en lieu d’un débat “méta-éthique” (Cornu, 1997, 8) où la réflexivité du propos engendrerait un questionnement à tous égards fragilisant de ce qui constitue le fondement des pratiques et qui se trouve régulièrement réaffirmé dans l’émission. Sans doute ne doit-on pas attendre d’une telle émission qu’elle éclaircisse, sans la moindre zone d’ombre, ce qu’est l’activité médiatique, dans l’ensemble de ses perspectives ; bien au contraire, comme nous en avertit J. Siracusa (2001, 284), « entretenir une zone d’ombre entre le travail concret et l’image publique de ce travail est un comportement typiquement professionnel ». Il faut alors considérer que la médiation de l’information, tendue par essence entre les impératifs contradictoires esquissés au fil de ce parcours, est comme un clair-obscur des pratiques médiatiques : paradoxalement “occultant” dans le geste même de montrer et de révéler.

Notes de bas de page

1 Partie IV (Préconisations), point 2 (La rencontre annuelle des médiateurs).

2 Parallèlement, rappelons-le, à une médiatrice des programmes.

3 Professionnellement, “identitairement”… ainsi qu’on l’a vu dans le chapitre 10.

4 Évoquées dans le cadrage de la problématique, au cours du chapitre 1.

5 Sans être forcément suffisant…

6 Celle qui a été considérée de « premier niveau », au début du deuxième chapitre.

7 Notamment celui de télévision qui, en assurant la sélection et la circulation des images, est supposé dépositaire d’un pouvoir dont on a pu entrevoir certains des effets présumés (chapitre 9).

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