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Chapitre 3. La mise en place de la médiation à France Télévisions : contextes institutionnels, enjeux identifiés et légitimations publiques

p. 71-101


Texte intégral

1Après avoir envisagé, dans un premier chapitre, la diffusion sociale de la médiation puis les cadres d’approche de cette activité dans le domaine des médias et notamment de la télévision, l’examen du contexte dans lequel la mise en place de cette médiation s’est décidée et s’est effectuée doit à présent permettre d’en saisir ce que l’on peut considérer comme les phases d’ajustements essentielles – reliées à des enjeux primordiaux dans la reconfiguration forte du paysage audiovisuel de cette fin de siècle.

2L’inscription de la médiation de l’information dans un mouvement de fond incluant, comme nous l’avons vu, de nombreux secteurs sociaux ne doit pas conduire à estomper les contours spécifiques d’une médiation dont le caractère symbolique est tout entier contenu dans le fait qu’elle s’exerce au sein d’une chaîne publique de télévision e face au public, par le biais d’une émission qui lui est consacrée1. Il est nécessaire en effet de situer le cadre institutionnel d’une telle médiation. Avant d’envisager comment “se réalise” concrètement la médiation dans l’exercice particulier de cet acte que nous propose France 2, il est indispensable de l’appréhender dans ce qu’à la suite de Milburn (2002) on souhaiterait appeler sa « dimension verticale » : celle qui relie l’exercice de la médiation à un certain nombre de déterminants contextuels qui ont pu en favoriser l’émergence. Au nombre de ceux-ci, il est nécessaire de souligner le rôle de volontés institutionnelles affichées et notamment celle d’un ministère de la Culture et de la Communication attaché à réaffirmer le rôle spécifique de la télévision publique dans notre pays et à lui donner les moyens de sa réalisation pratique2.

3On se doit donc d’envisager avec quelque attention les rapports entre l’État et l’institution publique France 2, en particulier sur le plan des démarches de rationalisation des structures audiovisuelles publiques dans le contexte fortement évolutif de la fin des années 90. Il nous faut par conséquent accorder toute leur importance aux politiques publiques développées dans le domaine et à la parole politique qui les porte, notamment celle de Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication de l’époque, dont le rôle a été majeur dans l’impulsion et la mise au point d’une réforme de l’audiovisuel qui, en 1998-1999, constitue l’arrière-plan sur lequel L’Hebdo du Médiateur vient se dessiner.

4De fait, c’est bien de démarches de régulation qu’il s’agit, à de multiples niveaux : depuis celles, très globales, qui concernent le secteur de l’audiovisuel – et notamment ses composantes publiques – dans un contexte de multiplication de l’offre jusqu’à celles, beaucoup plus circonscrites, qui concernent la relation au téléspectateur. Il semble cependant légitime de penser que c’est aussi dans la dimension “micro” de la relation à l’individu-téléspectateur que se jouent des dimensions stratégiques beaucoup plus générales.

5Il s’agira par ailleurs, dans ce chapitre, d’identifier, par-delà la volonté politique que la réforme entreprise formalise, les enjeux stratégiques qui sont associés à la création de la médiation et qui se trouvent publiquement identifiéts comme tels. Si le contenu de l’émission prise sur une certaine durée constitue l’espace en quelque sorte naturel d’expression de la médiation et le lieu d’analyse prioritaire de sa pratique, un niveau d’attention complémentaire sera accordé aux discours d’“accompagnement” qui ont pu évoquer la création de l’émission et les objectifs qu’elle visait. Ces discours sont ceux qui ont été tenus dans la presse écrite – qu’elle soit d’information générale ou spécialisée3. Sans qu’il puisse s’agir ici d’un travail systématique sur un méta-corpus4 à propos de l’émission, ce matériau second sera envisagé comme un outil préparatoire de l’analyse même de l’émission, présentant un triple intérêt :

  • en tant que méta-discours, il éclairera, tant de l’extérieur que de l’intérieur de sa pratique5, un exercice de la médiation saisi comme une des formes de régulation possibles à propos de l’information télévisée. On s’attachera, en particulier, à observer en quoi le débat sur la médiation dans l’audiovisuel public est révélateur de questions spécifiques au secteur public mais aussi de problèmes et d’enjeux qui sont loin de lui être singuliers. La question du rôle de la médiation et celle du statut ainsi que de la légitimité du médiateur sont, on le verra, des dimensions essentielles d’une médiation dont une partie du sens se reconstruit régulièrement dans cette opération de relégitimation publique,

  • en tant que déclarations médiatisées, circulant dans l’espace public, les discours ainsi produits pourront être considérés comme un élément important du débat autour de l’intérêt d’une telle émission sur une chaîne de télévision. La tribune qu’ils pourront constituer pour ceux qui ont contribué à la conception de l’émission ou qui participent à son animation aura valeur, sinon d’engagement, au moins de justification des orientations portées par un tel projet auprès du public : celui de la publication, celui de la chaîne publique elle-même – les deux étant susceptibles de se recouper dans bien des cas,

  • en tant que lieu de mise en débat public, ces discours seront susceptibles de mettre en évidence combien les arguments qui peuvent s’échanger à propos de la médiation sont déjà porteurs de représentations des publics, d’attentes supposées qui en permettraient la caractérisation. Ils sont d’ailleurs tout autant révélateurs d’images du journaliste, de ce que sont sa fonction et son rôle. Il semble par conséquent que l’approche de la médiation rencontrerait quelque limite à se situer uniquement dans l’analyse de son strict exercice, tel que L’Hebdo du Médiateur en témoigne chaque samedi. On tentera donc de montrer que le discours public de “méta-médiation6” n’est pas sans importance dans la définition des enjeux au nom desquels le projet de l’émission a été mis en place, la presse trouvant là l’occasion de réaffirmer, de façon récursive, son propre rôle de “médiatrice”.

6On trouvera, par conséquent, dans le tableau qui suit l’ensemble des références d’articles concernant la médiation sur les chaînes publiques – au-delà de la stricte référence à L’Hebdo du Médiateur – durant la période 1997-2001, dans les quotidiens évoqués plus haut. Le bornage-amont de ce méta-corpus couvre, avant la mise en place de la démarche de médiation, la période qui voit la nomination du nouveau directeur de la rédaction de France 2 dont le rôle, on aura l’occasion de le vérifier, sera essentiel dans la création de l’émission. Le bornage-aval, quant à lui, ne se justifie que par sa coïncidence7 avec la clôture du corpus d’émissions.

Tableau 1 Méta-corpus presse quotidienne nationale (Note en fin de tableau)

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a. – VMP désignera ici la rubrique « La vie des médias et de la publicité » du Figaro et MTRM, « Le Monde Télévision, Radio, Multimédia ».

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3.1. Contextes de décision et de mise en œuvre de la médiation sur les chaînes publiques

3.1.A. Le projet de loi de réforme de l’audiovisuel

7L’apparition de la médiation à la télévision publique française est fortement liée à un contexte de développement de l’offre audiovisuelle et multimédia. La croissance de chaînes thématiques aisément disponibles par le biais de bouquets de programmes visant à capter vers le secteur privé des publics attirés par des offres spécifiques est ressentie au sein des chaînes publiques comme une concurrence forte8 qui, conjuguée à une diversification des services interactifs, conduit la télévision publique à un certain nombre de repositionnements – qui peuvent d’ailleurs être des réaffirmations de positionnements antérieurs dont on souligne les spécificités et les enjeux.

8L’appartenance d’une partie importante du secteur audiovisuel à quelques grands groupes industriels diversifiant, par ce biais, leurs activités et l’image qui s’y trouve liée est ce qui fait craindre à l’État, malgré la diversification des supports et des contenus thématiques, leur soumission à l’intérêt des groupes qui les dirigent, notamment en matière d’information : la communication en Conseil des ministres de Catherine Trautmann, le 28 janvier 1998, qui préfigure le projet de loi de modernisation de l’audiovisuel soumis à la représentation nationale fin 1998, souligne déjà la nécessaire « préservation des entreprises de communication des influences extérieures à leur objet » liée, comme on le verra, à l’enjeu central de « pluralisme9 » dont la loi – qui sera celle du 1er août 2000, venant réformer celle de septembre 1986 relative à la liberté de communication – fera l’une de ses lignes directrices. C’est dans le cadre de cette profonde mutation du secteur audiovisuel, à la fin de la décennie 90, et d’une évolution sensible de ses techniques de diffusion que ce projet de loi propose, pour le secteur public, une nouvelle organisation et un renforcement de son rôle susceptibles non seulement de répondre aux nouveaux enjeux du domaine mais aussi de mieux faire apparaître les valeurs qui sont celles du service public. Et c’est au sein de cette nouvelle organisation de l’audiovisuel que la médiation apparaît comme l’une des solutions susceptibles de rendre visibles ces valeurs10.

9L’accès public à la pluralité des opinions mais aussi l’accès du public à un support qui autorise, et même encourage, l’expression critique constituent la double mise en œuvre d’un pluralisme entendu comme composante essentielle d’un espace public démocratique11 et d’une télévision publique qui a pour ambition de le figurer doublement :

  • dans l’information et l’expression plurielle qui la sous-tend,

  • hors de l’information, dans les débats qu’elle rend possibles, sur la nature de celle-ci.

10Cette réforme engage donc tout aussi bien le téléspectateur que le citoyen : parce qu’en tant que payeur de redevance et financeur du service public de télévision, il a des droits qui doivent être pris en compte et mieux garantis12 ; parce que son association au fonctionnement du système, à son évaluation et à sa régulation sont susceptibles d’en faire plus qu’un simple téléspectateur. Signe discret d’un nouveau contrat implicite qui s’esquisse avec le public, la médiation apparaît comme ce qui peut, avec d’autres moyens, venir renforcer les caractéristiques du service public de l’audiovisuel : un outil permettant une redéfinition publique précise des missions de la télévision publique, appuyée sur un « respect » du téléspectateur13, dans le cadre d’une relation contractualisée entre l’État et les chaînes publiques.

11Le volet public de la loi de modernisation de l’audiovisuel institue en effet, par-delà les cahiers des charges qui fixent en amont les obligations de chacune des chaînes, des « contrats d’objectifs et de moyens » qui déterminent, pour une période de trois à cinq ans, les orientations stratégiques qui engagent l’État, la direction du groupe France Télévisions et son personnel. C’est sur cette base que sont fixées les allocations de ressources publiques permettant la mise en œuvre de ces objectifs. Si la rationalisation des relations entre les entreprises audiovisuelles et l’État est bien l’objectif central qui vient coiffer une telle démarche – et, de ce point de vue, la restructuration des différentes sociétés en un seul groupe France Télévisions au sein duquel on organise les meilleures complémentarités est bien le signe dominant de cette nouvelle rationalité14 – on ne saurait ignorer cependant que le renforcement de l’audience des chaînes publiques est un objectif non moins essentiel : la forte concurrence, sur les programmes et l’information, qui oppose les chaînes publiques et leur rivale dominante qu’est à l’époque – et que reste – TF1 est un élément structurel de la réorganisation qui conduit à la création de la société holding France Télévisions ; conjointement, les difficultés que rencontrent, en termes d’audience, les journaux télévisés de France 2 ne sont, à l’évidence, pas sans lien avec la réflexion concernant les démarches de mise en place de la médiation qui se développent en 1997-1998.

12C’est donc bien dans le cadre d’une politique de développement du service public de l’audiovisuel que la médiation, envisagée comme l’un des moyens de pérenniser certaines de ses valeurs centrales, prend place. Il nous faut par conséquent dégager les orientations stratégiques dominantes du groupe France Télévisions telles qu’elles s’esquissent au moment de la mise en place de la réforme de l’audiovisuel afin de mieux saisir la place spécifique de la médiation dans cette évolution et les enjeux qui s’y trouvent associés.

3.1.B. Le plan stratégique 1999-2003 de France Télévisions

13Le plan stratégique 1999-2003 de France Télévisions – dont l’élaboration faisait partie des propositions initiales du projet de loi, dès janvier 1998 – apparaît comme l’un des documents de base pour appréhender les axes de développement de la télévision publique française au moment où elle se réorganise en un « groupe industriel public de l’audiovisuel15» structuré autour d’une présidence commune, d’un conseil d’administration du groupe, et d’un conseil de direction réunissant les directeurs généraux des différentes chaînes partenaires. La question du développement du secteur audiovisuel public apparaît, de fait, intimement lié au caractère de solidarité entre les différentes chaînes publiques, lui-même indissociable de nouvelles formes de rationalisation de leurs relations, en termes notamment de complémentarité et d’articulation. Si, en matière de programmes16, cela se traduit en particulier par la mise en place de « comités d’orientation de programmes » chargés d’assurer un suivi régulier de l’orientation stratégique de chaque chaîne dans ce domaine, d’analyser les grilles en préparation et de réfléchir au positionnement adopté par rapport aux chaînes concurrentes, dans le domaine de l’information, la même logique de veille prévaut : l’institution d’un médiateur et le projet d’adoption d’une charte déontologique prennent, comme on le verra, une place essentielle qui témoigne de la relation suivie que la télévision publique entend construire et entretenir avec le téléspectateur.

3.1.B.1. La défense des valeurs du service public

14C’est par la réarticulation interne du secteur que la réforme entend assurer une nouvelle phase de développement de la télévision publique française. Force est de constater cependant qu’un certain nombre de déterminants externes contribuent à tracer la logique de cette réforme et, de fait, France Télévisions adopte une planification stratégique de son activité qui, dans le nouveau cadre législatif en phase de débat public évoqué plus haut, s’articule d’abord à la dimension externe que représente la concurrence télévisuelle privée : refusant toute forme de « subsidiarité » qui placerait la télévision publique en position dominée, simplement complémentaire de l’offre privée, l’orientation de France Télévisions s’affirme autour de la notion de « concurrence dans la différence17».

15Cette différence est, sous un premier aspect, argumentée comme la difficile conciliation de cette nécessaire concurrence et des missions de service public que se doit d’assurer un groupe comme France Télévisions. Et c’est justement parce qu’une « nouvelle concurrence thématique » est susceptible d’accompagner, voire de redoubler, un certain nombre d’inégalités sociales pouvant s’exprimer en formes diverses d’exclusions et de replis identitaires que la télévision publique se revendique comme une « télévision de solidarité », au service de la cohésion sociale18. Le principe d’« intérêt général » est donc, dans la logique stratégique du groupe public, un principe réaffirmé avec constance : parce qu’il est, en quelque sorte, l’expression d’un « pluralisme » auquel la société française est historiquement attachée et que la télévision publique entend porter et exprimer ; parce qu’il traduit, à rebours des segmentations sociales que peut entretenir le développement audiovisuel thématique, la volonté d’un « service généraliste », s’adressant à tous les publics. L’« universalisme » explicitement revendiqué par le groupe apparaît, dès lors, comme un fondement réaffirmé d’une télévision publique qui se veut « télévision du public19 », au service de son désir de comprendre et de mieux analyser le monde environnant. Le service du public est donc envisagé, notamment dans le domaine de l’information, comme une offre de « repères » utiles au décryptage du monde social – dont on verra que L’Hebdo du Médiateur constitue une sorte de strate ultime faisant retour sur l’offre de repérage initiale.

16C’est, par rapport à cette intentionnalité affichée, le système de “réponse” constitué par une émission rendant possible l’expression d’autres représentations du service (au) public qui fera tout l’intérêt de la médiation sur une telle question. Il apparaît en effet que, soumise à la discussion publique ou utilisée comme argument dans le débat sur l’information à la télévision publique, la notion de service public ne va pas de soi20. C’est donc dans le “jeu” des représentations qu’une telle notion autorise, et que la médiation rend visible, que peut donc aussi se situer l’enjeu stratégique pour le nouveau groupe public : saisir, au moment d’une orientation importante, les visions plus ou moins partagées de cette notion centrale dans le public auquel on s’adresse.

3.1.B.2. Une certaine idée du public

17« S’adresser à tous les publics » ne saurait signifier qu’on les ramène, d’une façon ou d’une autre, à une globalité indifférenciée. De ce point de vue, la « télévision du public » que voudrait être France Télévisions a toutes les chances d’être la télévision d’un public extrêmement pluriel, aux souhaits et aux exigences multiples et fréquemment contradictoires – comme, ici encore, L’Hebdo du Médiateur le montrera. Il nous faut néanmoins souligner que la référence, dans le plan stratégique de France Télévisions, aux autres entreprises publiques que sont La Poste, la SNCF, EDF… et aux démarches qu’elles ont mises en œuvre pour faire évoluer une offre standardisée pour un public indifférencié vers des offres de service adaptées et davantage finalisées vers leurs publics montre en quoi le service public – qu’il soit de télévision, de transport… – s’inscrit dans une évolution globale qui surdétermine l’évolution de chacune de ses composantes.

18L’un des aspects majeurs de cette évolution transversale est sans doute de prendre en compte les attentes des publics et donc de se donner les moyens de les identifier. Les démarches d’évaluation de la performance en matière de service rendu sont, comme on peut le constater régulièrement dans de multiples enquêtes relatives à ces services, des pratiques croissantes où l’“usager” se trouve sollicité comme contributeur de la définition ou de la réorientation de ces services – et, au total, comme co-producteur de leur évolution21. Dans l’audiovisuel public, ce sont les démarches de médiation qui, dans le prolongement du travail opéré par les services de relation aux téléspectateurs des différentes chaînes, vont constituer « l’interface » entre les “usagers” du service public de l’audiovisuel – dont on va tenter de repérer les logiques d’usage du service et de critique de celui-ci – et les responsables des programmes et des rédactions. La multiplicité des discours évaluatifs tenus apparaît, dès lors, comme l’une des matérialisations de cette diversité des publics ; en même temps, elle est l’expression de modes de réception non moins variés, et non moins utiles à prendre en compte pour le pilotage stratégique d’une chaîne.

19En tant que tentative de construction d’un lien renouvelé avec les publics, la médiation vient donc trouver sa place dans une réflexion sur les publics où les objectifs d’audience sont clairement affirmés mais où, néanmoins, la dimension qualitative des orientations est toujours présente. On se contentera de rappeler ici que la qualité en matière d’information audiovisuelle est déclinée, dans le plan stratégique de France Télévisions, en critères de « fiabilité » et de « rapidité » de l’information qui, associés à une volonté de « qualité technique », constituent les orientations principales dans le domaine. Ici encore, L’Hebdo du Médiateur constituera l’un des lieux de la mise en débat de ces critères. On ne saurait néanmoins déconnecter ces enjeux qualitatifs des objectifs plus quantitatifs de croissance d’audience desquels ils sont censés être les leviers, la médiation étant à la fois perception des écarts et lieu de réaffirmation d’une volonté organisationnelle permettant l’amélioration de l’offre. L’un des objectifs clairement affirmés de France Télévisions est d’ailleurs de « rééquilibrer le public entre les différentes classes d’âge22 » avec une volonté particulière de conquête accrue du public des « nouvelles générations » – par ailleurs symptomatiquement désignées « enfants de la télé23». Si c’est, certes, par le biais d’une réflexion stratégique sur le contenu des programmes que ces logiques de captation d’audience peuvent potentiellement trouver à se réaliser, c’est aussi par une évolution de l’offre informative et une diversification des formats d’émissions24 susceptibles, au-delà du journal télévisé, de fidéliser les publics et d’y adjoindre des publics complémentaires. A la croisée de ces deux secteurs, une « diversification des supports de diffusion » – dont à sa manière et dans le cadre du débat sur l’information qui est le sien, L’Hebdo du Médiateur s’empare également25 – apparaît comme un élément stratégique pouvant favoriser une diversité accrue des publics de l’offre télévisuelle des chaînes publiques (Meaux, 1999).

20On voit, dès lors, que la réflexion stratégique de France Télévisions est fortement appuyée sur la représentation d’un « public compétent », non seulement porteur d’attentes précises qu’il est prêt à exprimer mais aussi dépositaire, dans certains cas, de savoirs spécifiques sur la médiatisation susceptibles d’en faire un interlocuteur d’autant plus légitime26. Ceci ne fait naturellement que complexifier la satisfaction d’une attente toujours prête à se nuancer en micro-attentes insatisfaites.

21On peut toutefois se demander si ce que le plan stratégique de France Télévisions formule globalement comme des “attentes” du public ne serait pas, dans le cas spécifique de l’information, avant tout l’expression de non-coïncidences média-public dans la perception de l’importance à accorder à telle ou telle occurrence événementielle, dans les modes de traitement adoptés pour l’évoquer, dans la façon de distribuer la parole… Cela nous orienterait, par conséquent, vers un mode de regard où la notion d’attente n’est peut-être pas – pour le domaine informationnel concerné – la plus appropriée pour caractériser un lieu d’expression où le mode d’intervention, avant d’être l’expression d’une attente, est d’abord la formulation d’une insatisfaction : une réaction avant d’être une projection.

22Par ailleurs, on ne saurait négliger, ici, la dimension sociétale de la médiation dans la mesure où elle contribue à révéler, par-delà les individus qui prennent la parole et les propos individuels qu’ils émettent, les valeurs et les croyances sociales en matière de nature et de diffusion de l’information. Lieu de confrontation mais aussi point de jonction de représentations multiples de la société et de son fonctionnement, de visions diffractées des rôles et des pouvoirs de l’information dans le fonctionnement social, la médiation est bien un territoire d’ajustements et de régulations multiples.

3.1.C. Des enjeux de régulation

23Le projet de réforme de l’audiovisuel est adossé à une volonté de « modernisation » des systèmes de régulation qui régissent le secteur audiovisuel. A côté de la volonté réaffirmée d’un service public fort et d’une primauté des contenus sur les supports27, le renforcement du rôle des autorités de régulation est explicitement évoqué par le projet de loi : la place du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel comme autorité susceptible de garantir l’expression pluraliste des courants de pensée, l’indépendance de l’information et la liberté de création est envisagée comme une donnée prioritaire dans un contexte de plus en plus concurrentiel. Il s’agit ici d’une régulation externe (Cornu, 1997) par le biais de laquelle le respect de ses obligations par chaque opérateur est l’objet d’un suivi régulier.

24Les formes de veille et de contrôle que cette régulation institutionnalisée peut avoir sur les chaînes et l’information qu’elles délivrent sont de diverses natures. On peut les regrouper, à la suite de B. Libois (1994, 74), en deux dimensions dominantes : celle de réglementation, par laquelle s’exerce un « pouvoir réglementaire dérivé, octroyé par l’autorité politique » ; celle de surveillance, qui consiste à vérifier « l’accomplissement des obligations imposées en contrepartie de l’octroi de l’autorisation d’émettre ». Parmi ces obligations, celle du respect de l’équité dans les possibilités d’expression des points de vue, notamment en contexte électoral, est l’objet d’une surveillance particulière, rejaillissant dans l’une des émissions traitée dans la seconde partie et où l’on constatera que la question des règles d’équilibre des temps de parole au respect desquelles veille le CSA peut devenir le thème à part entière d’un numéro de L’Hebdo du Médiateur. Cet exemple semble d’ailleurs doublement caractéristique : d’une conception du droit du public à l’information posée, en système démocratique, en termes d’équilibre et étroitement reliée au droit et à l’exercice du vote ; et du fait que la médiation de l’information peut tout aussi bien être la médiation des règles au nom desquelles s’effectue sa régulation par l’instance qui en est chargée.

25Le choix d’enrichir ce dispositif institutionnalisé d’une autre forme – plus interne et moins surplombante – de régulation, sollicitant le public et lui ouvrant un droit à l’expression apparaît comme une composante forte et significative de cette « télévision du public » qu’entend être le service public audiovisuel. S’exprime ainsi le rejet d’une forme d’unilatéralisme impositif qui, sous prétexte que l’information “s’imposerait à nous”, induirait un téléspectateur simple destinataire d’un contenu informatif, un téléspectateur muet. En aval du processus informatif, s’esquisse une place disponible pour exprimer ce qui auparavant ne trouvait guère à se dire au-delà de l’espace privé28. L’espace d’expression ainsi ouvert est le signe d’une attention renouvelée au public et au fait que l’information est non seulement délivrée mais reçue. Cet espace ouvert à la réception de l’information par le public apparaît comme la voie d’une régulation où le citoyen-téléspectateur n’est pas envisagé comme une référence idéale – au nom de laquelle une régulation s’opère, « par le haut » (Cornu, 1997) – mais comme un acteur à part entière assumant la responsabilité des avis et des jugements qu’il porte. On est donc dans le cadre de ce qu’on pourrait appeler une “autorégulation par public interposé”, la démarche étant double :

  • il s’agit bien, pour la rédaction de France 2, de se donner les moyens d’une régulation interne rendant possible l’amélioration de la qualité informative proposée,

  • ces ajustements internes sont envisagés comme la résultante d’un recueil de ces « accusés de réception » (Proulx, 1998) constitués par les réactions du public.

26Est-ce à dire pour autant que cette parole, autorisée et même régulièrement encouragée, de réception de l’information est susceptible, par l’entremise du médiateur, d’avoir des effets en retour réguliers sur le travail de la rédaction ? Il est pour l’instant sans doute prématuré de l’affirmer ; on pourra, pour le moins, constater que cette parole contribue assurément à l’identification, par les journalistes, de certains effets produits par l’information qu’ils proposent, sur certains téléspectateurs. Que cette identification produise des effets dans les pratiques professionnelles du journalisme télévisé est une question qui, dès lors, se pose et même s’impose au téléspectateur un tant soit peu assidu d’une telle émission : l’une des réponses possibles est sans doute dans l’observation des récurrences critiques à propos d’un problème, faisant suite à un premier signalement de ce même type de problème.

27C’est, par conséquent, l’espace d’expression ouvert à la réception du téléspectateur mais aussi l’espace de réaction professionnelle à celle-ci qui devront être envisagés, dans leurs interactions, pour saisir les enjeux des micro-régulations constantes qui constituent comme la “matière organique” d’une émission de médiation.

3.2. Enjeux et légitimations

3.2.A. Une crédibilité régulièrement décroissante

28De tout temps, des débats sur la légitimité de certains choix journalistiques, sur l’adoption de certains modes de traitement ont agité, à l’interne, les rédactions de beaucoup de médias, qu’ils soient écrits ou audiovisuels – en amont comme en aval de ces sélections, d’ailleurs, ces discussions et ces arbitrages étant fondateurs des choix opérés pour générer l’information mais aussi des délibérations ultérieures permettant d’y faire retour. Comprendre comment ces débats – dont la permanence constitue le cœur même d’une activité où les questions de sélection, de hiérarchisation et de construction du sens de l’actualité sont primordiales – trouvent, à un certain moment, à s’exprimer en dehors des rédactions est sans doute un élément-clé dans l’identification des enjeux de la médiation de l’information sur une chaîne publique de télévision29. Il apparaît, de fait, que l’identification du contexte dans lequel l’idée et le projet de la médiation prennent naissance est un point d’entrée nécessaire pour mieux comprendre à quelles questions et à quels enjeux elle est censée être, sinon une réponse, du moins un élément de clarification.

29En août 1997, Albert du Roy arrive à la direction de la rédaction de France 2, chargé d’une mission précise : réhabiliter la crédibilité de la chaîne en matière d’information, notamment en réformant certaines des méthodes de travail de la rédaction en vue d’améliorer la perception des journaux télévisés par le public. Cet objectif s’inscrit dans un contexte, externe et interne au champ audiovisuel qu’occupe France 2 :

  • les médias, tous supports confondus, souffrent d’un discrédit généralisé et régulièrement réaffirmé par les sondages, notamment ceux annuels de La Croix-Télérama30. L’« épée de Damoclès31 » de la guerre du Golfe et de son traitement est non moins régulièrement évoquée comme un des éléments déterminants de ce discrédit généralisé qui trouve, cycliquement, à se réaffirmer dans le travail des médias lui-même : au moment où A. du Roy prend ses fonctions, la mort accidentelle de la Princesse de Galles et les questions qu’elle pose quant aux pratiques de certains journalistes-photographes supposés, un moment, avoir une part de responsabilité dans la genèse de l’accident, renforcent un tel discrédit32. Dans le même contexte, le débat relatif aux méthodes d’investigation des auteurs-journalistes de l’ouvrage « L’affaire Yann Piat » peut aisément apparaître comme un élément de renforcement d’une perception critique généralisée du travail journalistique. C’est donc « à travers les lunettes de la suspicion33 » – dont on constatera, au passage, qu’elles sont partiellement élaborées par les médias eux-mêmes et notamment la presse écrite à l’égard de l’information télévisée – que l’activité médiatique est généralement regardée. Le climat de défiance quant aux pratiques professionnelles des journalistes trouve ainsi des formes de traduction plus ou moins régulièrement réactualisées de ce que l’on peut considérer comme une crise générale de crédibilité des médias,

  • de façon interne au secteur audiovisuel, la concurrence qui oppose le privé au public et, notamment, TF1 à France 2 – particulièrement sur la question des journaux télévisés de 13 heures et 20 heures – a tendance, en termes d’audience, à tourner à l’avantage systématique de la chaîne privée, jugée « plus fiable34 » que sa concurrente. Même si cette notion de concurrence entre TF1 et France 2 est fréquemment déniée publiquement par la direction de France 2 ou de France Télévisions35, on peut considérer que la « différence36 » qui s’esquisse, en 1997, dans l’évocation d’un éventuel remède à cet écart d’audience par la médiation et une attention réaffirmée à l’égard du public est un élément de “distinction” qui signifie la prise en compte de cette situation concurrentielle. Cette question d’objectifs d’audience en termes quantitatifs est quelque chose qui vient heurter une forme de culture du service public, notamment en matière d’information où le critère de qualité informative est, avec constance, argumenté publiquement en dehors de toute référence au volume de public touché37. C’est dans cette logique, semble-t-il, que D. Épelbaum affirmera que « l’audience n’est pas la priorité pour les journalistes de la rédaction38 ». La recherche de l’audience est toujours implicitement soupçonnable d’intentions – de choix, de traitement des sujets…

  • dont la finalité prioritaire est la captation du public et non la “qualité” de l’information – ou ce que l’on se représente comme telle. L’optique quantitative est fréquemment assimilable à une recherche du plus grand nombre, que l’on relie parfois aisément à l’adoption de certaines facilités. De ce point de vue, on peut d’ailleurs faire l’hypothèse que la séparation organisationnelle information/programmes a sans doute quelque porosité sur le plan de ce que l’on pourrait appeler le rapport stratégique au public. C’est en tout cas autour de cette question de l’information pour le public que se situent certains des enjeux essentiels de la médiation : ce qui est à destination de ce public doit-il tenir compte des goûts ou attentes, supposés ou avérés, de ce public ? Cette prise en compte peut-elle légitimement s’exprimer et s’afficher en termes de recherche d’audience, notamment pour une chaîne publique39 ?

30En même temps, une « télévision du public » qui n’aurait pour public qu’une fraction quantitativement peu significative de celui-ci ne pourrait guère prétendre être à son service et revendiquer un intérêt général qui est pourtant censé la structurer. Et de fait, le premier médiateur de France 2 n’hésite pas à évoquer la création de la médiation de l’information comme une démarche résolument « pragmatique40 » et comme une des solutions pour « accroître un public de plus en plus dubitatif devant le produit qui lui est proposé41 ». Ce pragmatisme est celui d’une écoute envisagée comme moyen d’amélioration de ce qu’on désigne ici comme un « produit », dont l’adaptabilité serait envisageable par et pour le public. Permettre au doute et aux interrogations de s’exprimer est, on le voit, un moyen préalable pour rendre le traitement de l’information plus conforme à ce que le public en attend – ou est supposé en attendre – et permettre un accroissement éventuel de celui-ci. Il n’est pas rare, d’ailleurs, que médiation et audience soient ainsi reliées comme le montre l’exemple fréquemment cité42 de la nomination d’un médiateur au Los Angeles Times ayant permis une réduction sensible du taux de désabonnement43.

31La genèse des démarches de médiation dans les médias n’est donc guère séparable d’une crise de crédibilité généralisée des informations qu’ils délivrent et qui, durant les années 1990, constitue une trame continue de la perception publique dégradée de leur rôle44. A cette fragilisation croisante de leur légitimité aux yeux du public, on tente de trouver remède par l’expression du public lui-même, dans un mode d’attention particulier aux questions spécifiques – et parfois récurrentes – sur lesquelles se fixent ses critiques.

3.2.B. Responsabilité journalistique et responsabilité sociale

32La concurrence dans laquelle le service public de télévision se trouve nécessairement pris ne l’empêche pas pour autant d’être, sur un autre plan, redevable à un téléspectateur qui est, d’une certaine façon, son financeur : on retrouvera régulièrement dans le discours des médiateurs – tant de l’information que des programmes – l’argument selon lequel le téléspectateur est somme toute le « bailleur de fonds45 » de la télévision publique qu’il regarde – ou qu’il ne regarde pas. A ce titre, la télévision publique se trouve dans une position de “redevabilité réciproque” vis-à-vis d’un téléspectateur contribuant par le paiement de sa redevance au fonctionnement de cette télévision. Dans cette logique, la médiation apparaît comme la formalisation de ce « droit à être écouté46 », expression à la fois du droit de regard du citoyen-contributeur et du droit de critique du téléspectateur. En ce sens, la création de la médiation est sans nul doute la « réponse à une demande du public47 » ; on peut tout aussi bien la considérer comme la mise en œuvre particulière d’une démarche généralisée d’attention au public qui signifie l’intégration dans les institutions publiques de ce qui les fonde : le public lui-même. C’est d’ailleurs au nom de cette généralisation du principe de responsabilité vis-à-vis du public dans les entreprises de service public que, politiquement, l’hypothèse de la médiation à la télévision publique sera argumentée par C. Trautmann, lors d’un colloque de Reporters sans frontières (« Les journalistes présumés coupables ») où, pour la première fois, l’idée sera publiquement émise48.

33Le lien régulièrement fait par le téléspectateur-citoyen entre paiement de la redevance et droit à une « information de référence49 » prend alors tout son sens dans une conception de l’information où celle-ci est moyen d’inscription et de reconnaissance de l’individu dans un système démocratique. Cette conception, en matière télévisuelle, s’appuie sur le rôle dévolu à la télévision publique d’outil de renforcement de l’appartenance citoyenne (Mouchon, Massit-Folléa, 1997). Considérée comme « l’ensemble des connaissances générales que tout citoyen doit avoir sur le monde, sur les autres hommes et sur les responsabilités qui lui incombent au sein des sociétés auxquelles il appartient » (Schwoebel, 1968), l’information est non seulement le moyen privilégié d’accès à la connaissance qui fonde la citoyenneté mais aussi le moyen de l’exercice raisonné des droits et des responsabilités qui lui correspondent. L’« élargissement du champ de conscience » (Delforce, 1999) qu’elle rend possible est ce qui permet à l’individu de se sentir partie prenante d’un savoir commun en état de permanente recomposition. Ce savoir commun est d’abord mise en commun de connaissances par l’information mais aussi mise en circulation et mise en débat, l’ensemble étant susceptible de générer les éléments structurants d’une opinion publique riche de ses diversités mais idéalement appuyée sur des principes de rationalité acceptables par tous (Habermas, 1978). L’exigence particulière qu’expriment les téléspectateurs est symbolique, on le verra, de l’objectif d’instruction et de construction de la responsabilité citoyenne qui reste, chez eux, l’objectif central d’une télévision publique posée en modèle des autres télévisions.

34Ce sont certaines des “défaillances50” observées par rapport à cet idéal de représentation du rôle de la télévision publique et notamment certaines contestations des conditions de la mise en débat public de telle ou telle question traitée dans un journal de la chaîne qui seront fréquemment questionnées dans la démarche de médiation. De tels débats-en-médiation sur la nature (ou l’absence) d’un débat sur une question donnée, même si elles n’amènent pas forcément le téléspectateur à poser la double question de la responsabilité journalistique et de la responsabilité sociale des médias – ce ne sont généralement pas en ces termes que ces questions sont formulées en réception –, contiennent en germe de nombreuses dimensions liées à ces questions. Ce qui pourra être analysé par les téléspectateurs comme certains “manquements” sera fréquemment révélateur à la fois des conceptions de l’information qu’ils portent mais aussi de ce qui, dans cette conception, correspond à des “insuffisances” dans l’exercice du journalisme. Parallèlement, les propos du médiateur interviewé par la presse dans ce qui a été appelé la démarche de méta-médiation laissent entrevoir un certain nombre d’éléments sur la façon dont la double question de la responsabilité journalistique et de la responsabilité sociale des médias est posée :

  • le débat sur la responsabilité journalistique apparaît, dans le corpus-presse évoquant l’émission, comme une question essentiellement organisationnelle faisant ressortir la nature collective du journalisme télévisuel et la notion de « responsabilité distribuée51 ». La logique sous-jacente de la faute rencontre ici la mise en avant de l’activité d’équipe, et les aléas sur lesquels elle peut reposer, comme élément explicatif – sans qu’on sorte de cette logique,

  • la question de la responsabilité sociale des médias – et de leur travail – se situe dans une autre logique : l’évocation que fait D. Épelbaum, dans Le Monde du 25 mai 1998, de la médiatisation d’espoirs vaccinaux en matière d’hépatite B susceptibles ensuite d’être infirmés, pose toute la question des effets potentiels de la médiatisation : sur les téléspectateurs pris globalement, sur certains d’entre eux plus spécialement concernés… Derrière un tel exemple, c’est toute la question du « devoir pour les médias d’exercer leur activité de manière responsable » (Cornu, 1998, 44) qui se pose. On ne saurait négliger, par ailleurs, le fait qu’ici encore cette responsabilité peut être largement partagée avec nombre d’acteurs sociaux rendant possible ou même favorisant cette médiatisation. La responsabilité partagée l’est donc sans doute bien au-delà des médias eux-mêmes…

35Il n’empêche que la médiation comme projet public puis comme réalisation effective est en quelque sorte “performative” de l’intention qui l’anime : rendre possible l’écoute de ces effets formulés par le public et signifier, par cette écoute, qu’on est prêt à en tenir compte dans la médiatisation ultérieure des mêmes questions (Bailey, 1990). La médiation, en ce sens, est donc riche d’une promesse d’écoute mais aussi d’une promesse de responsabilité accrue par l’écoute. La forme d’engagement implicite qu’elle contient n’est par conséquent pas sans risque d’exposition accrue à la critique ultérieure.

3.2.C. Entre public et rédaction

36La question de la position occupée par le médiateur, et de son double rapport au téléspectateur et à la rédaction, devient alors une question cruciale, largement évoquée par la presse dès que le projet de médiation à France Télévisions prend naissance et au fil de ses réalisations concrètes dans les émissions diffusées. Point de jonction entre deux univers, celui du téléspectateur et celui de la rédaction, la médiation se préconstruit d’abord comme un programme d’intercompréhension entre deux lieux d’emblée évoqués sur le mode de la distance, de la séparation : « incompréhension, tension, défiance52 » reviennent souvent pour caractériser ce rapport. Cette distance se trouve signifiée comme une difficulté à accéder aux modes de perception ou de compréhension propres à l’univers de celui qui se situe “de l’autre côté”. Comme si deux langues étrangères l’une à l’autre sur la question commune de la compréhension du monde avaient du mal à s’échanger au point qu’elles nécessitent un acte intermédiaire de traduction. La métaphore du médiateur-interprète est d’ailleurs significativement utilisée par D. Épelbaum dans l’évocation du projet d’émission en mai 199853. Plus significativement encore, c’est la qualité de « représentant » du public assurée par le médiateur qui apparaît comme une donnée prioritaire du processus de médiation – qu’il s’agisse de « l’intérêt moral54 » de ce public que l’on entend porter auprès des journalistes ou de la voix, jusqu’alors peu audible, d’un téléspectateur qu’on souhaite faire entendre comme un des acteurs de ce processus. Cette première face de la médiation correspond à un modèle relativement ancré dans les pratiques de médiation de presse où le médiateur est fréquemment désigné comme « readers representative » voire, comme c’est le cas pour le médiateur d’El Pais dans une version plus radicale encore, en tant que « defensor del lector55 ».

37Cette défense envisagée unilatéralement ne saurait toutefois correspondre à l’image d’équilibre de la représentation qu’on peut se faire de la médiation. La « défense » du lecteur-téléspectateur s’accompagne donc inévitablement d’une défense symétrique de journalistes objets de critiques voire de « réquisitoires56 » que rend possibles l’expression du public. Que le médiateur57 se présente simultanément comme « porte-voix » du public et « avocat » des journalistes ne saurait donc nous étonner. C’est dans la mise en œuvre constante de cet équilibrage que la médiation tente de préserver son acceptabilité par les deux parties. Il nous faut néanmoins préciser que le travail critique du public que permet la médiation induit parallèlement un discours journalistique d’explicitation des pratiques professionnelles dont on peut se demander s’il ne vient pas recouvrir – et au fond annuler – les remarques critiques de départ58. Ce discours – qu’il soit celui du médiateur lui-même ou des journalistes invités dans le cadre de la médiation – revêt une dimension pédagogique59 dont l’expression régulière consiste à expliquer à un téléspectateur peu au fait des contraintes, des rythmes et des conditions réelles d’exercice du métier, « les difficultés de tournage dans les banlieues, les problèmes de reportage en Algérie60 » : au total, « comment cela fonctionne61 ».

38Cette dimension d’acculturation du public que recouvre ce discours journalistique sur les pratiques professionnelles est incontestablement un des objectifs fondateurs de la médiation. En même temps, ce travail discursif d’explicitation des pratiques peut apparaître comme un moyen de relégitimation d’une activité soumise à la critique. Un enjeu comme celui-ci laisse donc apparaître toute l’importance de la question de la place du médiateur et de la gestion de celle-ci, entre les deux pôles des téléspectateurs et des journalistes.

39L’idéal d’une position équidistante entre ces deux pôles susceptible de faciliter la compréhension réciproque entre eux est toutefois une position difficile à tenir. Cette difficulté d’occupation de la place, et du rôle qui lui correspond, est signifiée par les médiateurs de multiples façons – le fait d’être « assis entre deux chaises62 », ainsi que le déclarera M. Francioli, médiateur de France 3, étant finalement l’une des synthèses les plus significatives, sans doute, de cet inconfort de position. Cela tient probablement à la gestion de ce que M. Mathien (1992, 298) appelle la « double allégeance » du médiateur vis-à-vis du public et du média : un médiateur dont la caractéristique de position principale est, au fond, cette situation de perpétuelle tension entre deux pôles contradictoires – ou, plus précisément, dont la contradiction est fréquemment ce qui vient justifier l’existence de la médiation. C’est donc dans le jeu de construction des distances entre ces pôles et dans ce que l’on pourrait appeler la “figuration publique de la distanciation” par rapport à l’un et/ou à l’autre que l’on pourra saisir une part essentielle de la médiation comme gestion des distances63.

3.2.D. Relation et image du médiateur à l’interne

40Hormis ce phénomène de tension, quasi-structurel, de la médiation, « visant à mettre du liant là où il y a de l’incompréhension64 » entre public et gens de télévision, il serait naïf de croire qu’il existe un consensus interne sur ce qu’est ou devrait être la médiation. Il est souhaitable par conséquent d’envisager les phénomènes de perception internes à France 2 de la mise en place et du fonctionnement de cette médiation tels qu’ils ont pu apparaître publiquement dans la médiatisation qui a été faite de cette démarche. Il apparaît, de fait, que ce que d’aucuns ont appelé le « réflexe protectionniste » (Bertrand, 1991, Grévisse, 1998…) disqualifiant d’emblée tout discours d’évaluation externe à la pratique journalistique est une attitude qui peut transparaître en filigrane de certaines réactions. Que cette parole octroyée au public soit susceptible de venir renforcer le discrédit dont souffrent déjà les médias est un des effets potentiels de la médiation qu’un certain nombre de discours internes à la chaîne contiennent en substance. Le propos rapporté par D. Épelbaum65 selon lequel il « mettrait artificiellement un coup de projecteur sur les défauts » est sans doute révélateur d’un discours traduisant une perception contreproductive de la médiation, allant à l’encontre des effets positifs qu’on pouvait en attendre66. C’est la crainte d’une stigmatisation accrue des médias, rendue possible par la médiation qui, à l’occasion, aboutit au diagnostic extrême d’un « masochisme67 » de la chaîne.

41Ce premier type d’objection appuyé sur l’hypothèse d’effets paradoxaux de la médiation laisse parfois place à un autre type d’objection dominé, lui, par une composante stratégique. Organisé sur une représentation des pouvoirs internes à la chaîne et à la rédaction, il consiste à assimiler potentiellement le rôle du médiateur à celui d’« un flic, un commissaire dans la rédaction68 ». Plus que la nature même de la critique adressée par le public, c’est l’usage supposé pouvoir en être fait qui gouverne ce type de représentation où domine la suspicion des journalistes pour la médiation. C’est le levier stratégique et décisionnel que peuvent constituer les remarques des téléspectateurs qui est soupçonné d’être un outil de management favorisant un certain nombre d’évolutions – notamment organisationnelles – que les journalistes peuvent considérer avec réserve69. Ce qui est supposé pouvoir se jouer dans le sens téléspectateur-rédaction par l’entremise du médiateur est supposé pouvoir aussi s’effectuer dans l’autre sens, sur le mode de « tentatives d’instrumentalisation par leur rédaction en chef qui cherche à imposer certaines contraintes aux journalistes en passant par [le médiateur]70 ». Ce sont, comme on le constate, les finalités au service desquelles la médiation peut être mise qui questionnent les journalistes et qui, comme il est finalement classique en matière de changement, orientent vers des réflexes d’inquiétude et de perception tendue des évolutions futures du métier.

42En ce sens, la perception du médiateur par les journalistes pourra être celle des effets potentiels que son existence peut induire : remise en cause et fragilisation de l’activité71, exercice de contraintes plus fortes sur la réalisation de celle-ci… Dès lors, la perception, plus ou moins fantasmée, du médiateur comme « limitateur d’indépendance » (Mesquita, 1998, 88) peut trouver à parfois s’exprimer – voire à ne pas s’exprimer sans qu’on puisse considérer pour autant qu’elle cesse d’exister.

43C’est en fonction de ce “risque perceptuel” interne de surveillance journalistique par le biais de la médiation que, dès l’origine, une disposition essentielle a été établie, non comme règle a priori mais comme pratique limitant le risque en question. Si le médiateur, en effet, s’« interdit toute intervention avant diffusion72 », c’est bien parce qu’un tel type d’intervention en amont serait susceptible de venir buter sur un triple obstacle :

  • n’avoir aucune légitimité à se revendiquer, et à se présenter, comme parole mandatée par le téléspectateur,

  • accroître le risque d’être perçue comme s’apparentant à une forme de censure a priori,

  • avaliser en interne une perception négative de la médiation, rendant ensuite plus délicate voire impossible toute “intervention-au-nom-de”.

44Le fait de « ne jamais intervenir en amont73 » est donc la réaffirmation implicite d’une forme de délégation de parole dont le médiateur est porteur ; en même temps, cette prudence dans la gestion du temps d’intervention est le signe des limites du rôle qu’entend assumer un médiateur ne se revendiquant pas « conseiller74 ». Par rapport à la question de l’information, la règle de positionnement du médiateur consistant à intervenir systématiquement en aval de celle-ci est le signe d’un double respect :

  • des délimitations professionnelles internes. Être conseil en matière d’information et intervenir en amont de celle-ci placerait potentiellement le médiateur en situation de destinataire direct de critiques relatives à cette information. C’est par conséquent le risque de confusion des places et des rôles qui a sans doute à être précisément intégré – par le médiateur mais aussi par le public auquel il s’adresse – comme une composante forte de la médiation nécessitant, corrélativement, une réflexion non moins précise sur le positionnement du médiateur dans l’acte énonciatif de la médiation,

  • d’une parole externe prise comme préalable et comme condition nécessaire de toute intervention.

45L’un des signes les plus nets de cette systématicité de positionnement en aval est sans doute La lettre du médiateur proposant régulièrement à la rédaction la synthèse des critiques du public75. On voit donc par là que la médiation ne se résume pas à l’émission télévisée qui en est le support d’expression : ce matériau critique collecté et ainsi réuni s’offre alors comme une sorte d’“avalde-l’aval”, traçant les lignes de fond de cette parole critique. Cette démarche de communication interne que vient matérialiser l’existence d’une telle publication, s’apparentant à une sorte d’évaluation sommative de la rédaction, n’est pas sans susciter quelque réserve dans un univers journalistique où la prévention régulière à l’égard de telles démarches est bien connue76 – et fait partie de la construction identitaire du journalisme. Dans ce domaine, le risque n’est d’ailleurs pas moins symétrique dans la mesure où, comme D. Épelbaum l’avance lui-même, le médiateur n’entend pas être « un homme de relations publiques » de la chaîne et n’entend pas davantage que son action soit perçue comme celle d’un « service de communication bis de la chaîne77 » : façon, somme toute, d’émettre le même message de prévention à double usage, externe mais aussi interne (Ettema, Glasser, 1987, Bernier, 2002).

46L’inconfort relatif de la position de celui qui exerce la médiation, cette « vigie78 » de l’information qui ne saurait se convertir en figure de « vigile79 » – avec les connotations qui lui sont associées –, est donc le signe d’une double fragilité et d’un double risque sur le plan de la perception de l’activité de médiation :

  • aux yeux des journalistes, pouvant croire non sans quelque méfiance à une forme de régulation de l’interne par l’externe,

  • aux yeux du public, voyant non sans quelque doute, un journaliste assurer la médiation de l’information au sein d’une chaîne de télévision.

47C’est la prise en compte de ce risque, et notamment de son second volet, que l’on souhaiterait à présent considérer, à partir toujours du “débat public” à certains moments-clés de la mise en place de l’émission.

3.2.E. Le statut du médiateur comme double message

48L’identification de ce double risque peut autoriser sans doute à parler d’une acceptabilité contradictoire de la médiation. En effet, le médiateur a affaire à ce que l’on peut considérer comme un double public : celui, externe, constitué des téléspectateurs et celui, interne, des journalistes. Cette parole doublement exposée du médiateur rend l’exercice de la médiation délicat du fait même de la double contrainte80 dans laquelle elle se trouve insérée : exprimer avec constance l’autonomie du médiateur par rapport au champ journalistique dans le domaine objet de la médiation et, en même temps, signifier une compétence dans ce domaine qui a tendance à le faire percevoir comme appartenant à ce champ. On peut dès lors se demander comment le difficile ajustement de la position de médiation est une donnée prise en compte institutionnellement, dans ce qu’on pourrait considérer comme une régulation en amont de cette question.

49En amont de la médiation, la définition statutaire du médiateur est à prendre comme une réponse anticipée aux soupçons d’une éventuelle confraternité du médiateur avec les journalistes. Le fait qu’il soit « indépendant de toute hiérarchie et étranger aux choix éditoriaux des chaînes81 » fonctionne comme un signal adressé au téléspectateur de garantie d’indépendance du médiateur et de son discours. C’est d’ailleurs au nom de ce principe que le médiateur n’assiste pas aux conférences de rédaction et que, comme évoqué antérieurement, toute intervention de sa part en amont de la diffusion de l’information est inenvisageable – et déclarée publiquement comme telle. A l’autre extrémité du processus, l’absence de tout pouvoir de réorientation imposée de l’activité est une autre matérialisation du même phénomène d’absence de rapport hiérarchique entre le médiateur et les journalistes de la chaîne. Cela s’accompagne, au demeurant, d’une absence de droit de regard de la hiérarchie de France 2 sur le travail du médiateur.

50Cette indépendance signifiée de ces multiples façons engendre un sentiment d’isolement dont se plaignent souvent les médiateurs, quels que soient leurs lieux d’exercice82. Ce sentiment, consubstantiel à cette espèce de non-place qu’est la médiation83, est révélateur de l’entretien d’une forme d’appartenance à la rédaction que continuent à éprouver, à leur insu et par-delà ce que leur impose la fonction, bon nombre de médiateurs. Un acteur social, quel qu’il soit, ne se démarque pas aussi facilement, sans doute, de ce qui l’a construit professionnellement même lorsqu’un statut lui impose de prendre quelque distance avec l’identité qu’il s’est forgée. La “désidentification”, même recherchée, a une série de coûts symboliques dont l’un des révélateurs premiers est dans la stabilisation difficile du discours propre à l’identité que le nouveau statut nécessite84.

51On notera cependant que ces modes de signification symbolique de l’indépendance ne sont pas sans venir croiser certains éléments susceptibles d’émettre des messages contradictoires par rapport à celle-ci : le fait que le médiateur soit nommé par le Président de France Télévisions85, qu’il soit rattaché administrativement au Directeur Général de la chaîne et qu’il ait son bureau au sein de la rédaction86… Ce qui organisationnellement n’est pas sans légitimité peut néanmoins être perçu par les téléspectateurs comme des indices interprétables, “contre-significatifs” de ce que voudrait être la médiation.

52La signification statutaire de l’indépendance du médiateur apparaît par conséquent comme un message nécessaire auprès des téléspectateurs ; les mêmes téléspectateurs n’ignorent cependant pas, en général, que D. Épelbaum et J.-C. Allanic étaient journalistes de France 2 avant d’être médiateurs de la rédaction de cette même chaîne. On peut sans doute se demander, dès lors, si ce volontarisme statutaire et l’intention d’indépendance qu’il est censé exprimer ne risquent pas plutôt d’être considérés, de l’extérieur, comme les stricts éléments d’une stratégie de chaîne dans laquelle le téléspectateur peut choisir de ne pas s’impliquer, au seul motif de ne pas venir cautionner ce qu’il peut interpréter comme une manœuvre où il jouerait certaines utilités. Si la construction du médiateur comme “outsider” sépare institutionnellement celui-ci de sa fonction antérieure de journaliste, il n’est pas dit que cela puisse suffire à

  • ce que le rôle soit conforme à ce que l’on souhaiterait qu’il soit : de stricte médiation et de non-réimplication dans le rôle antérieur,

  • ce que la perception du rôle du médiateur par le téléspectateur efface celui du journaliste et des intérêts propres à la profession qu’il pourrait ainsi défendre.

53Cette construction dont les effets sont, on peut le pressentir, incertains est néanmoins le préalable nécessaire d’une démarche où les questions de légitimité sont incontestablement des enjeux centraux.

3.2.F. Légitimités tendues et attendues

54Un regard transversal sur les pratiques de médiation dans les médias montre que celles-ci sont, très généralement, assurées par un journaliste – ou un ancien journaliste. L’exemple qui fait souvent référence, dans ce domaine, est celui du Monde dans la mesure où, en France, l’initiative du quotidien fait figure de symbole précurseur d’une démarche dont la transposition au média audiovisuel en adoptera la caractéristique principale : c’est au sein même du champ journalistique87 que, de fait, s’opère le choix de celui/celle qui assurera la fonction de médiation. La dimension présupposée – et parfois affirmée – d’un tel choix est qu’« il vaut mieux que le rôle du médiateur soit attribué à un journaliste car il connaît le travail et la machine88 ». L’origine interne au champ journalistique du médiateur s’explique, on le constate, par des critères de savoirs et de compétences propres au domaine objet de la médiation et même, plus particulièrement ici, au secteur audiovisuel et aux compétences spécifiques qu’il réclame. Ces critères sont fréquemment articulés à une expérience journalistique consistante et variée qui, appuyée sur la connaissance des « processus de fabrication89 », vise à construire l’autorité du médiateur. Le fait qu’il s’agisse fréquemment d’un « journaliste-senior » (Charon, 1996, 51), « ayant une autorité morale sur ses confrères » (Mathien, 1992, 298), contribue à renforcer l’image d’un médiateur comme au dessus de la mêlée mais dépositaire de toutes les compétences qui justifient son rôle – et la place particulière qui lui correspond. Nous sommes là, au total, dans ce que M. Weber (1919, 102) a pu appeler la « légitimité charismatique », par laquelle un groupe social accepte de voir portée par un individu symbolique l’identité collective du groupe.

55Cette autorité, étayée sur des savoirs tant techniques qu’organisationnels, est ce qui permet d’assurer à l’interne l’acceptabilité du médiateur. La connaissance intime de la nature, des méthodes et des difficultés d’exercice du métier est en effet ce qui, seul, peut permettre au médiateur d’être reconnu, par la profession, comme médiateur légitime. Cette légitimité, qui est le produit d’une reconnaissance et d’une délégation internes, est donc l’expression potentielle des valeurs du groupe ; ce qui l’amène conjointement à être l’obstacle premier dans l’exercice d’une médiation qui ne saurait se limiter à cette seule expression défensive.

56L’écueil qu’une telle conception de la légitimité vient inévitablement rencontrer est alors le soupçon externe d’une médiation qui serait au service d’un cautionnement systématique de la démarche journalistique dans les questions mises en débat90. Le fait que le téléspectateur puisse être considéré comme un auxiliaire d’une opération au sein de laquelle il aurait le sentiment de n’être que le “tremplin de justification” des journalistes est un risque réel pour la crédibilité de la médiation. La perception par le téléspectateur d’un médiateur juge et partie apparaît dès lors comme un risque à prendre en compte par l’institution décidant de la médiation. Ce risque peut être ressenti de diverses façons par le téléspectateur et prendre différentes formes d’expression : confraternité, connivence, proximité professionnelle… Dans tous les cas, c’est une lecture utilitariste de la médiation qui domine et qui apparente la médiation à une démarche révélatrice de l’« idéologie corporative d’autodéculpabilisation » (Mesquita, 1998, 85) qui caractériserait la profession. Ce mode de perception n’est pas propre à la médiation télévisuelle mais il est caractéristique d’un risque constant pour la médiation qui tient essentiellement dans le danger d’asymétrie qui la menace.

57La médiation, quel que soit le domaine de spécialité où elle s’exerce, ne peut mettre à l’écart le modèle socialement partagé qui en fonde l’utilité aux yeux du public : le fait qu’elle incarne un idéal d’extériorité, seul susceptible de garantir l’impartialité – ou ce qui est perçu comme tel – dans l’évaluation du problème traité. C’est bien la question du tiers et de l’idéal de position non-engagée qu’il incarne symboliquement qui est ici en jeu. Le hiatus perçu par le public dans la figure “tendue” d’un médiateur-journaliste est ce qui vient troubler, dès le départ, bon nombre d’expériences de médiation et obérer une partie de la crédibilité que l’opération cherche à avoir (Ferreira Maia, 2004, Krieg-Planque, 2004)91. La question de l’“indépendance” du médiateur apparaît dès lors comme un enjeu venant surdéterminer l’ensemble du processus de médiation – indépendance dont on verra qu’elle ne saurait, en l’occurrence, s’analyser en termes strictement statutaires mais qu’elle doit être abordée discursivement, dans l’ensemble des formes langagières qui peuvent la signifier, au-delà du statut.

3.2.G. Fragilités et invalidations potentielles de la médiation

58Avant d’être l’expression d’arguments qui s’opposent sur une question donnée et qui traduisent des écarts plus ou moins larges dans les perceptions et les valeurs à accorder aux questions médiatisées, la médiation elle-même a donc affaire avec quelques formes d’“adversité” im-médiate que l’on peut globalement ramener à deux dominantes :

  • l’une, en quelque sorte centrifuge92, où la médiation est d’abord perçue comme ostentation. Signe trop volontariste d’un dialogue, elle est considérée comme un révélateur, en creux, d’une absence de celui-ci en dehors de ce que l’on estime être une pratique ponctuelle. La mobilisation d’un tel argument pourra avoir pour visée première de se démarquer de ce qu’on dénonce chez l’adversaire et de faire identifier, à rebours, la constance de sa propre pratique d’écoute. On ne s’étonnera pas par conséquent que le directeur de l’information de TF1, Robert Namias, saisisse l’occasion que lui offre Libération93 de dénoncer la « démagogie » d’une pratique consistant à « faire semblant de s’ouvrir au débat quelques minutes par semaine » afin de mieux mettre en valeur sa propre pratique de dialogue permanent – ou, plus précisément, ce qui est déclaré comme tel,

  • l’autre, davantage centripète, où la médiation est vue comme une pratique à usage d’abord interne et à vocation essentiellement déculpabilisante, visant non pas à trouver des remèdes à des difficultés mais à « se donner bonne conscience tout en continuant les mêmes erreurs94 ». Cette conception où le public est plus l’outil d’une revalorisation d’image de la rédaction (Pritchard, 1993) que le partenaire d’une véritable démarche critique constitue une sorte de soupçon latent qui trouve néanmoins à parfois s’exprimer de façon plus nette comme dans cet article de Libération où la crainte du « gadget » se traduit dans la métaphore du « cache-sexe ». Entre occultation et révélation partielle, c’est ici encore la logique de la faute qui domine une telle conception mais pour invalider sa prise en compte effective : toute concession, tout aveu ou toute dénégation, dans un tel cadre, est alors implicitement considéré comme porteur de stratégies autoprotectrices qui constituent, par-delà les cas étudiés, la visée première de l’opération de médiation.

59On le voit, les objectifs au nom desquels on met en œuvre des démarches de médiation – donner la parole au téléspectateur, exercer un travail d’analyse et de suivi des mécontentements, être l’interface entre le public et les journalistes… – ont, dans ces approches distanciées, une caractéristique transversale : ils sont toujours susceptibles d’être réinterprétés comme des discours dont la dimension publique constitue une affirmation de surface recouvrant des intentions stratégiques moins publiquement déclarables. C’est la somme – totujours extensible – de ces intentions prêtées qui, d’une certaine façon, vient miner l’entreprise : depuis les formes d’expression les plus frontales de ce soupçon – dont le médiateur du Monde en 1996-1998, Thomas Ferenczi, rapporte un fragment significatif où le médiateur est désigné comme étant « une marionnette salariée par Le Monde chargée de faire avaler des couleuvres aux contestataires » (Le Bohec, 2000, 239) – jusqu’à des formes plus atténuées d’expression d’une solidarité implicite du médiateur avec la rédaction, la médiation apparaît comme une activité particulièrement exposée, absorbant et révélant en même temps les formes diverses de crise de confiance qui agitent la relation d’un média à son public. Comme si, en somme, la défiance quant à l’information trouvait à se renforcer par le soupçon d’une médiation instrumentalisée au service de la rédaction.

60Une autre forme d’“adversité” à la démarche de médiation vient la fragiliser sur d’autres bases et d’une autre façon : il s’agit de la contestation, par les journalistes eux-mêmes, du fait que ce courrier critique soit « représentatif » de la façon dont le public en général a pu recevoir tel reportage, telle séquence. Le fait que « la majorité y ait trouvé à redire95 » est revendiqué comme la condition nécessaire à sa prise en considération publique. Qu’on ne puisse guère, dans ce domaine, quantifier – même de façon relative – les modes de réaction des téléspectateurs peut nous amener à penser que toute critique est, dès lors, toujours “renvoyable” à des formes de singularité limitant la portée de la critique. Il semble, de fait, que la perception journalistique usuelle du lecteur/téléspectateur écrivant au média pour se plaindre, en « râleur96 » plus ou moins coutumier d’un principe d’hostilité affiché, constitue une sorte d’arrière-plan idéologique partagé dans le champ professionnel97. Dans cette logique, l’expression du mécontentement ou de la réserve n’est pas envisagée comme un “symptôme éloquent”, potentiellement porteur d’une perception générale, mais renvoyé à des caractéristiques idiosyncrasiques. Dès lors, le caractère absolument minoritaire d’une réaction limitée à sa stricte singularité tend à annuler, dans cette conception, la portée du propos critique dont l’isolement souligne, au fond, l’invalidité.

61Réduire à un tel schéma la perception interne à France 2 des propos critiques qui lui parviennent mérite néanmoins d’être fortement nuancé. L’engagement de la chaîne dans la démarche de médiation l’obligeait, en quelque sorte, à renoncer à cette vision disqualifiante a priori du propos critique. Il n’empêche que l’investissement global d’une équipe rédactionnelle peut néanmoins venir, à certains moments, rencontrer certaines “butées” idéologiques où se cristallisent, en quelque sorte, les valeurs d’un groupe professionnel. Et c’est sans doute dans quelques-unes de ces rencontres difficiles entre journalistes et téléspectateurs que pourront se lire certains des paradoxes fondateurs de la médiation : rendre possible l’expression d’“attentes” que l’on ne souhaiterait pas forcément entendre – ou que l’on se refuse à entendre –, favoriser le renforcement de plaintes là où l’on s’emploie à les réduire…

62Ce qui était identifié, au début de cette partie, comme « méta-médiation » aboutit, par conséquent, à un trajet permettant de dégager un certain nombre de zones de tension autour de la notion de médiation : tant dans la perception de son sens et des valeurs qu’il recouvre que dans l’approche des pratiques et des difficultés qu’elles présentent. En ce sens, aller à la rencontre du public, c’est avant tout aller à la rencontre des représentations dont il est porteur et rendre possible l’expression de celles-ci ; c’est aussi, en un autre sens, aller à la rencontre des représentations du public que l’on porte, en tant que journaliste, et s’exposer, in situ, à leur remise en cause par la confrontation aux réactions du public dans une situation donnée. C’est ce travail sur les logiques d’exposition réciproque des différents acteurs sociaux – et de leurs arguments – qui sera envisagé dans la suite de la démarche.

63La discussion sur cas que constitue le travail sur le corpus des émissions elles-mêmes aura donc un triple intérêt par rapport au cheminement accompli dans ce chapitre :

  • elle introduira – massivement – la parole du téléspectateur et autorisera, sur de nombreuses perspectives, un travail de repérage transversal des principes et des conceptions de l’information qui la gouvernent,

  • symétriquement, elle permettra de saisir, dans les réponses faites aux critiques des téléspectateurs, les lignes directrices selon lesquelles les journalistes de télévision font valoir publiquement leurs pratiques professionnelles. Elle constituera, par conséquent, une façon de confronter la pratique discursive effective de la médiation aux métadiscours commentant – ou anticipant – cette pratique et dont ce chapitre a tenté de dégager les axes principaux,

  • complémentairement, elle rendra possible le dégagement de formes de “partage discursif” qui, à l’occasion de tel ou tel cas, affleureront comme formes de représentation commune de l’activité informative chez les téléspectateurs et les journalistes.

64S’il ne s’agit là que d’un rappel partiel des perspectives de cette recherche, on aura identifié qu’un principe transversal dirige ce travail : il ne saurait être question d’entrer dans une logique de jugement, voire de procès, des pratiques professionnelles des journalistes mais de comprendre au nom de quoi cette logique est parfois adoptée par certains téléspectateurs. Par-delà les “façons de faire” des journalistes, ce sont les normes implicites et les conventions tacites qui règlent souterrainement ces pratiques qui paraissent mériter une attention particulière : non pour mettre en évidence ou – pire – stigmatiser des manquements à une règle qui aurait été mal respectée, individuellement ou collectivement, mais pour dégager des processus qui régissent l’activité, à l’insu parfois des acteurs eux-mêmes (Delforce, 1996) et qui manifestement posent problème en réception. La médiatisation-mise-en-questions que constitue la médiation sur France 2 repose sur un certain nombre d’effets dont les réactions des téléspectateurs sont des formes de traduction publique rendues possibles par L’Hebdo du Médiateur : introduire de la transversalité dans ces réactions de téléspectateurs et dans les réponses – vues comme réactions aux réactions – des journalistes est ce qu’à présent on souhaiterait mettre au point pour identifier, chez les uns et chez les autres, les représentations de l’activité d’informer.

65Il faudra néanmoins auparavant préciser les éléments de dispositif dont les remarques qui précèdent constituent une sorte de canevas préparatoire esquissant la trame des intentions, des ancrages historiques et des enjeux qui leur sont associés.

Notes de bas de page

1 Même si l’on ne saurait ignorer que cette émission n’est que la face visible d’un processus qui, en amont et en aval de celle-ci, gère la relation au public.

2 On précisera néanmoins que cette volonté s’inscrit dans un contexte communautaire fortement structurant, qui est celui de la construction européenne, régie par le principe dominant de la « libre concurrence » – principe sur lequel s’appuie notamment TF1 pour dénoncer les aides publiques faussant, selon lui, le jeu de cette libre concurrence. Le maintien du service public de l’audiovisuel, dans un tel contexte – et au titre d’« exception » –, nécessite par conséquent la réaffirmation précise des missions, des rôles et des périmètres qui le caractérisent, comme y invite le protocole additionnel (n° 32, du 22 octobre 1997) au Traité d’Amsterdam sur le système de radiodiffusion publique dans les États membres (Regourd, 1999).

3 On se centrera ici exclusivement sur la presse nationale d’information générale et, plus particulièrement, sur Le Figaro, Le Monde et Libération.

4 La notion de sous-corpus sera réservée aux segmentations ultérieures du corpus d’émissions, considérant que la nature “méta” de ce corpus s’organise autour des trois points développés ensuite.

5 Par le biais, notamment, d’interviews des médiateurs successifs.

6 Soulignons ici que cette “méta-médiation” inclut ce que l’on peut considérer comme une “prémédiation”, un nombre non-négligeable d’articles paraissant avant le début effectif de l’émission sur France 2.

7 Coïncidence toute relative, cependant, aucun article n’ayant été recensé dans les trois journaux entre avril et décembre 2001.

8 Le dossier cordonné par M. Fansten – « La télévision publique en Europe. Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni » – paru en décembre 1998, dans la collection des « Rapports du CSA », souligne « une baisse générale, lente mais régulière, de l’audience des chaînes généralistes, privées comme publiques, au profit des nouvelles chaînes ».

9 C’est au CSA, en tant qu’autorité de régulation, que revient en dernière instance le contrôle du respect de ce pluralisme, notamment en période électorale, comme L’Hebdo du Médiateur le laissera apparaître à plusieurs reprises (émission du 16 décembre 2000 sur les invités politiques au sein des émissions de variété et émission du 24 novembre 2001 sur le « respect de l’équilibre » entre formations politiques en contexte pré-électoral, notamment).

10 Ce qui sera initié, dans le secteur public, avant même la promulgation de la loi mais dans un esprit fortement inspiré par le projet de cette loi, dès 1997-1998, sera proposé comme “modèle” susceptible d’être transposé aux services hertziens par câble ou par satellite diffusant des émissions d’information et que l’on invite, pour « garantir l’indépendance de l’information par rapport aux intérêts de leurs actionnaires », à favoriser « l’institution d’un médiateur, l’adoption d’une charte de déontologie ou encore la création d’une société de rédacteurs » (articles 16 et 17 des nouvelles dispositions adoptées en Conseil des ministres, le 21 avril 1999, s’insérant dans la lettre rectificative [MCCX9900032L/R1] au projet de loi).

11 Sur les rapports entre la notion de pluralisme et le secteur de l’audiovisuel, envisagés d’un point de vue juridique, on pourra utilement consulter le travail de P. Marcangélo-Léos (2004).

12 C’est en tout cas l’une des orientations affirmées de la réforme.

13 Orientation particulièrement apparente lors de la présentation du projet de loi en Conseil des ministres, le 10 novembre 1998.

14 Il faut néanmoins souligner ici que chacune des chaînes rassemblées au sein de France Télévisions garde son autonomie éditoriale, ce qui se traduit notamment par un médiateur de l’information à France 2 et un médiateur de l’information à France 3.

15 Sans autre précision les accompagnant, toutes les citations de ce chapitre seront extraites du plan stratégique 1999-2003 de France Télévisions.

16 La division télévisuelle en « programmes » et « information » se retrouve dans la segmentation opérée au sein même de la médiation en médiateur des programmes (qui est, en l’occurrence, une médiatrice) et en médiateur de l’information.

17 Qui n’est pas sans rappeler le slogan de France Inter conseillant à son auditeur, dans les années 90, d’« écouter la différence… » du service public.

18 V. Cayla (1999), membre du CSA, évoque la nécessité pour l’État d’« investir sur France 2 et France 3 pour contrebalancer les effets centrifuges [des chaînes thématiques et des chaînes communautaristes] et resserrer les liens sociaux ».

19 On soulignera que le discours d’une « télévision qui appartient au téléspectateur » (Bourges, 1991) est une constante du propos des différents dirigeants qui se sont succédé à la tête des chaînes publiques.

20 Cette dimension sera abordée au chapitre 7.

21 La proposition d’association du public (« vingt membres nommés pour trois ans, après tirage au sort parmi les personnes redevables de la redevance ») au Conseil consultatif des programmes, dans la loi du 1er août 2000, va dans le même sens.

22 Le vieillissement du public des chaînes publiques est un constat régulièrement opéré à l’échelle de l’Europe (Fansten, 1998).

23 L’arrière-plan implicite continu que représentent TF1 et sa grille des programmes trouve ici une de ses formes d’expression les plus nettes mais la présence en filigrane de la grande chaîne privée apparaît comme une constante du positionnement de France Télévisions.

24 De ce point de vue, la création dans la grille de rentrée 2003-2004 de l’émission de Nahon-Benjamin consacrée aux enjeux spécifiques de l’image dans l’actualité télévisée est un exemple révélateur de la volonté de diversification…

25 L’environnement multimédia de l’émission et l’interactivité dont elle s’accompagne sont des éléments de cette « diversification » de l’émission au-delà de ses strictes limites télévisuelles.

26 Il n’est sans doute pas excessif de parler, dans une certaine mesure, d’une “professionnalisation du téléspectateur”, ainsi que certains modes d’intervention de téléspectateurs dans l’émission pourront le montrer.

27 La « soumission » de l’évolution technologique à l’« affirmation culturelle et à l’exigence démocratique » est une constante du discours ministériel dans la phase de discussion du projet de loi.

28 Ou professionnel, comme a pu le montrer D. Boullier (1987), dans ce qu’il appelle des « conversations-télé ».

29 Cette démarche s’inscrit dans le cadre plus général que C.-J. Bertrand (1991, 1997, 1999) dénomme les M.A.R.S. (moyens d’assurer la responsabilité sociale des médias) qui peuvent regrouper aussi bien les conseils de presse que les codes de déontologie, les revues spécialisées en journalisme que les ombudsmen de presse et dont le point commun est, au total, « une pression du public […] guidée et stimulée par des professionnels compétents et conscients de leur mission sociale » (1991, 116).

30 Au-delà du corpus sélectionné, mais de façon symptomatique quant à ce type de préoccupation, l’émission du 31 janvier 2004 se conclura par l’annonce de la prise en compte de ce sondage dans l’émission suivante qui, finalement, sera consacrée – “actualité oblige” – au « retrait » de la vie politique d’A. Juppé. Un an plus tard, l’émission du 19 février 2005 inscrira la médiation de France 2 dans la même logique d’examen transversal des médias, au travers de ce sondage.

31 Le Monde, 19 4 1999.

32 La publication, juste antérieure à cette occurrence largement événementialisée, du Carnaval des hypocrites consacré au traitement médiatique de la vie privée fait apparaître la « co-occurrence » de la nomination d’A. du Roy – elle-même tout juste antérieure à la mort de la princesse – comme une conjonction particulièrement symboiique.

33 Le Monde, 22 111997.

34 C’est D. Épelbaum lui-même, premier médiateur de France 2, interviewé par Le Monde (25 5 1998), qui utilise cet élément comme argument venant justifier, parmi d’autres, la création de la médiation sur la chaîne publique.

35 Comme l’atteste, par exemple, l’intervention de M. Tessier (Président de France Télévisions) dans un Hebdo du Médiateur certes postérieur au corpus traité (8 juin 2002) mais où se trouve significativement affirmé qu’« une rédaction, c’est une collectivité qui a ses règles de fonctionnement et qui ne répond pas à une course avec une autre rédaction ».

36 On se souvient de cette notion de « concurrence dans la différence » qui constitue, ainsi que nous l’avons vu, une des ossatures de la stratégie de France Télévisions.

37 Si, comme l’affirment régulièrement les magazines de programmes de télévision (et notamment Télérama, par exemple, dans l’article du 17 juin 1998 de F. Granon intitulé « Une rédaction à la dérive »), la rédaction de France 2 est divisée en « déontologues » et « audimatologues » – dans une sorte de discours plus ou moins récurrent (et encore d’actualité, en février 2004, lors du titrage sur le « retrait » annoncé d’A. Juppé évoqué plus haut) sur l’« ingou-vernabilité » d’une rédaction soumise à de multiples tensions – force est de constater que les prises de parole journalistiques dans la médiation pour argumenter une perspective “audi-matologique” sont inexistantes dans le corpus traité. On renverra, sur ce point, le lecteur au sous-chapitre 7.3.B.

38 Libération, 12 9 1998.

39 On retrouvera des éléments de ce débat, vus du côté du public, au chapitre 7.

40 Le Monde, 25 5 1998.

41 Libération, 4 1 2000.

42 Le Monde, 5 6 2000, Libération, 27 4 2001...

43 Même si c’est, certes, ici sur le mode relatif de l’atténuation d’une pente négative…

44 On soulignera, de ce point de vue, que, si la création des ombudsmen dans les entreprises de presse remonte aux années 1960 – un consensus se faisant généralement autour de l’initiative, en 1967, du Louisville Courier-Journal, dans le Kentucky (Bertrand, 1991, 118 ; Bernier, 2002, 55) –, ce que l’on considère comme une redynamisation des formes de médiation, étroitement articulée à cette crise de crédibilité, s’opère dans les années 1990 : inspirée par les démarches de médiation mises en place, au début de ces années 90, en Angleterre par la BBC, et au Canada par la radio-télévision publique canadienne (voir, à ce sujet, notamment Libération 19 5 98, Le Monde 22 2 99 et 5 6 00), la préfiguration de la médiation sur une chaîne de télévision publique française, à la fin de l’année 1997 et au début de la suivante, trouve une partie de son “modèle” dans la mise en place, en 1995, d’une émission mensuelle de médiation sur Radio-Canada (Goulet, 2004, 282).

45 G. Guicheney, Libération, 4 1 2000. Ce propos rejoint un propos antérieur de G. Guicheney (Victor, 1991, 47), alors membre du CSA, déclarant qu’« (elle est) frappée par le fait qu’un patron de chaîne, qui est aussi un chef d’entreprise, ne se sente pas plus responsable envers les clients que sont les téléspectateurs ».

46 D. Épelbaum, Libération, 12 9 1998.

47 D. Épelbaum, Libération, 27 4 2001.

48 Le Monde, 22 111997, Le Figaro, 25 11 1997.

49 Libération, 12 9 1998.

50 Manquements, défaillances et insuffisances doivent être pris ici comme l’expression d’une conception de la responsabilité journalistique qui empêche souvent de voir – sous l’aveu ou la dénonciation – les déterminants de ces “erreurs” ; elle affleure cependant suffisamment dans les propos médiatisés sur (et dans) la médiation pour esquisser une première logique d’approche de la question.

51 D. Épelbaum, Libération, 19 5 1998, 12 9 98.

52 Libération, 3112 1998, Le Monde, 22 2 1999.

53 Libération, 19 5 1998, Le Figaro, 19 5 1998. La même image sera utilisée dans l’interview qu’accordera D. Épelbaum à A. Dassonville, lors du démarrage de l’émission (Libération, 12 9 1998).

54 Libération, 3112 1998.

55 On ne confondra pas néanmoins cette désignation, à caractère souvent officiel et public, avec l’identification critique que pourront en faire les journalistes eux-mêmes.

56 Libération, 31 12 1998.

57 Celui du Monde, en l’occurrence (Solé, 1999 ; 2008).

58 Une telle hypothèse ne peut naturellement être testée qu’à partir de l’analyse des émissions elles-mêmes. On renverra par conséquent le lecteur aux chapitres de la deuxième partie où ces questions seront traitées.

59 Cette vocation pédagogique de la médiation était déjà présente dans le rapport d’étude initial mené par D. Épelbaum, à la demande d’A. du Roy.

60 D. Épelbaum, Le Monde, 25 5 1998.

61 D. Épelbaum, Libération, 12 9 1998.

62 Libération, 4 1 2000.

63 Ces aspects seront plus particulièrement traités dans le chapitre 5.

64 G. Guicheney, Le Monde, 22 2 1999.

65 Libération, 4 1 2000.

66 J.-M. Charon, dans le rapport qui lui avait été commandé par C. Trautmann, sur la déontologie de l’information (1999), souligne que la mission de médiation ne saurait « conduire à une autoflagellation démobilisante pour les rédactions, risquant de renforcer encore les doutes du public à l’égard de la qualité et de la fiabilité de l’information ».

67 Libération, 4 1 2000. Ces formes de résistances internes sont également mentionnées par C.-J. Bertrand (1991) qui reprend à leur propos l’image rabelaisienne de l’« écorche-cul », particulièrement évocatrice du fait qu’elles s’effectuent, dans certains cas, à contrecoeur et de façon symboliquement douloureuse…

68 D. Épelbaum, Libération, 12 9 1998.

69 J.-M. Charon (1995, 100) rappelle l’hostilité relative avec laquelle est perçue la médiation par le Syndicat National des Journalistes qui la soupçonne d’être surtout autojustificatrice pour la direction et la hiérarchie rédactionnelle.

70 Libération, 27 4 2001.

71 La métaphore du « chien dans le jeu de quilles » (Libération, 17 4 2001), utilisée par J.-C. Allanic, le médiateur de la rédaction de France 2 ayant succédé, en septembre 2000, à D. Épelbaum, apparaît, de ce point de vue, comme symptomatique d’une perception interne des risques de fragilisation de l’organisation de l’activité que fait encourir la médiation au journalisme là où elle se veut, au contraire, au service d’une meilleure organisation.

72 D. Épelbaum, Libération, 12 9 1998. La formulation de telles orientations était déjà présente dans un article du Figaro (« Un médiateur pour France 2 ») paru le 19 5 1998.

73 D. Épelbaum, Libération, 4 1 2000.

74 D. Épelbaum, Libération, 4 1 2000.

75 Libération, 19 5 1998, 3112 1998.

76 On se souviendra, à ce propos, des remarques particulièrement caractéristiques de Pierre-André Boutang, en réponse aux propositions de Claude-Jean Bertrand : « Imaginez-vous TF1 ou Antenne 2 accepter l’arrivée d’un Pierre Desgraupes tenant une rubrique télévisée hebdomadaire dans laquelle il pourrait dire, par exemple, l’émission de M. X… de la semaine dernière a atteint le fond de l’ignominie ? » (Victor, 1991).

77 Cette citation ainsi que la précédente sont extraites de Libération, 12 9 1998.

78 Libération, 19 5 1998.

79 La métaphore est de J.-L. Péninou, à l’époque (1990) Directeur Général de Libération, dans un article d’Esprit intitulé « Il faut des ombudsman dans les journaux ».

80 Il sera important de revenir ultérieurement sur ces phénomènes de double contrainte dont les niveaux multiples semblent pouvoir caractériser la médiation.

81 G. Guicheney, Libération, 22 2 1999.

82 Mario Mesquita, médiateur en 1997-1998 dans la presse quotidienne portugaise, a écrit, de ce point de vue, un article au titre caractéristique : « La médiation solitaire de l’ombudsman de presse » (1998).

83 Non-place plutôt qu’u-topie même si la question se pose de la médiation comme lieu introuvable…

84 Ce que le chapitre 5 montrera de diverses façons. On se contentera, pour l’instant, de faire remarquer que cette “désidentification” journalistique du médiateur, une fois produite, doit aussi être reconnue par les journalistes, comme une adoption légitime de place pour assurer, avec le moins d’ambiguïté possible, l’opération de médiation.

85 Après une procédure de sélection propre à France 2.

86 Libération, 4 1 2000. Du moins dans les premiers temps d’exercice de la fonction, ce qui ne fut plus le cas par la suite.

87 Et même, de la rédaction, même si, semble-t-il, aucune règle écrite ne l’impose (Glasser, 1999). Dans le grand quotidien du soir, à André Laurens, premier médiateur de 1994 à 1996, succéderont Thomas Ferenczi (1996-1998) puis Robert Solé (1998-2006) et, désormais, Véronique Maurus. A France 2, Jean-Claude Allanic, chef du service « sciences et techniques » de 1995 à 2000 et membre de la chaîne publique depuis 1977, succédera à Didier Épelbaum, longtemps correspondant à Jérusalem de la chaîne et médiateur de l’information de 1998 à 2000. La médiation est désormais assurée par Christian-Marie Monnot, grand reporter à Antenne 2 puis chef du service économique, rédacteur en chef chargé des affaires européennes, correspondant à Bruxelles pour France 2...

88 D. Épelbaum, Le Monde, 25 5 1998. C’est d’ailleurs au nom de cette connaissance interne nécessaire pour envisager tout travail d’analyse de l’information que la critique externe se trouve invalidée, dans bon nombre de rédactions.

89 Libération, 19 5 1998.

90 Ce type de critique est extrêmement fréquent sur les weblogs, notamment ceux positionnés sur le terrain du métajournalisme.

91 La figure de la tension que nous évoquons ici vient rejoindre celle de la fragilité (du compromis des principes de justification de la médiation de presse) argumentée par K. Ferreira Maia (2004) ; d’ailleurs, cette fragilité est significativement illustrée, ainsi que le souligne A. Krieg-Planque (2004, 157) à propos du médiateur du Monde, par l’icône accompagnant chaque avis du médiateur et qui représente « un funambule marchant sur la tranche d’une série d’enveloppes et se servant de son stylo-plume comme d’une barre d’équilibriste ».

92 Au sens où l’accent est mis, ici, sur la diffusion externe.

93 12 9 1998.

94 Libération, 4 1 2000.

95 Libération, 12 9 1998.

96 Libération, 12 9 1998. Dans une approche sociologique de la médiation, V. Goulet (2004, 292) vient confirmer la perception interne récurrente du téléspectateur écrivant au médiateur comme protestataire systématique.

97 Sans qu’il puisse néanmoins être envisagé comme une constante pour tous les professionnels du secteur et en tous points de celui-ci.

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