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Introduction

p. 17-24


Texte intégral

1Qu’en est-il de l’information télévisée et de son public ? Qu’en est-il de la relation qu’elle construit avec ce qu’il faut sans doute considérer, d’emblée, comme un “public singulièrement pluriel” ? Cette double question liminaire, posée à propos du média spécifique qu’est la télévision mais transposable à d’autres médias aux caractéristiques techniques et organisationnelles différentes, est fondatrice d’un intérêt qui préside à la naissance et à la construction de ce travail : depuis le regard du public, qu’est-ce qui, de l’information conçue et diffusée, se trouve être repéré, sélectionné pour être commenté, par ces publics, comme des éléments pertinents de débat sur l’information télévisée ?

2Pendant longtemps, et sans doute depuis la naissance de la télévision, de tels débats ont eu lieu : au sein du cercle familial, dans les espaces de travail, au sein de collectifs sociaux organisés autour d’intérêts, de croyances… Ils restaient néanmoins enclos à ces espaces spécifiques et à ces réseaux de sociabilité où chacun, de façon plus ou moins formelle, pouvait mesurer le pouvoir d’attraction suscité par un reportage, le potentiel d’agacement, sur soi ou sur certains proches, de propos ou d’images médiatisés. A moins que quelque anthropologue1, ou sociologue, ne vienne tenter de mettre à jour certaines des caractéristiques de ces publics, permettant de les identifier comme des formes de publics, dont les instabilités et les recompositions permanentes pouvaient sembler des traits essentiels : ils avaient alors quelque chance de sortir du cercle étroit des discussions entre parents, amis ou collègues mais pour ne guère dépasser, cependant, celui des spécialistes ayant accès à ces types d’études et de résultats.

3Il est venu un temps où, après des démarrages réflexifs précoces mais ponctuels2, la télévision s’est mise à davantage « parler d’elle-même », sans qu’il s’agisse d’ailleurs particulièrement d’interroger les processus informatifs des journaux télévisés et des magazines de la rédaction. Plutôt vision des coulisses télévisuelles que véritable interrogation sur la conception de l’information, il s’agissait généralement de contribuer à l’attractivité du support en levant le voile sur certains aspects de ses dispositifs techniques, de ses ambitions culturelles : contribuer à installer toujours davantage la légitimité sociale du média semblait l’intention dominante.

4L’accession du public au média ne saurait être confondue avec une réflexivité médiatique qui, ayant en perspective le public, ne lui laissait guère la parole. Pendant très longtemps, de fait, c’est selon une vision quasi-mythologique du lecteur-téléspectateur que l’information a été conçue : de la mercière de Saint-Léon de P. Desgraupes à l’épicière d’Hazebrouck d’H. Bourges – équivalents nationaux de ce qui a cours dans une sorte de représentation journalistique commune, et transnationale, du récepteur-standard du média3 –, l’information n’a eu d’autre représentation du public que ce récepteur moyen, sorte de “symbole public” d’un destinataire de l’information à la fois, et paradoxalement, très inséré dans la réalité sociale et parfaitement abstrait. Si un tel modèle n’a pas forcément disparu des rédactions comme représentation moyenne permettant notamment une attention journalistique particulière au niveau de complexité du langage utilisé, il représente par contre une visée qui a eu besoin, au fil du temps, d’être précisée : faire l’information pour un public nécessitait de le connaître et, donc, de trouver des moyens complémentaires de l’identifier.

5Le courrier des lecteurs a pu faire office de révélateur de certaines tendances de réception, avec toutes les limites qu’il peut présenter en tant qu’indicateur et que les journalistes, souvent, n’ont pas manqué de souligner. Les études quantitatives d’audience, on le sait, constituent une autre façon d’aborder la question du public, qui n’est pas sans imposer elle-même ses propres limitations, tant pour les journalistes que pour le public lui-même, au travers des visions qui lui en sont renvoyées.

6La mise en place de démarches de médiation est donc progressivement apparue comme une voie vers une prise en compte accrue du public et une écoute de ses attentes, même si celles-ci se formulaient avant tout en tant que réactions à l’offre informative4. Ces démarches de médiation, depuis les trois dernières décennies, se sont développées dans les médias – la presse écrite ayant été précurseur dans ce domaine qui, désormais, touche aussi bien la radio que la télévision. L’expérience de France Télévisions5, de ce point de vue, est particulièrement révélatrice d’une sorte de mouvement de fond instituant la médiation comme moyen d’une plus grande attention au public, à la pluralité de ses composantes et aux discours qui en révèlent les identités. La mise en place d’un médiateur de l’information à France 26, en 1998, va dans le sens d’une tendance générale qui institue une relation renouvelée au public, dont il semble important de retracer les caractéristiques transversales d’un terrain à un autre, d’un secteur de la société à un autre. C’est ce que le premier chapitre s’efforcera d’éclairer pour tenter de tracer le cadre de problématisation de la médiation journalistique. Il apparaît en effet que celui-ci ne peut prendre sens que réinséré dans l’extension sociale d’une notion et d’une pratique qui, en se diffusant, acquièrent une signification globale sans laquelle on ne peut guère saisir ce qu’a de spécifique la médiation quand elle concerne les médias et l’information qu’ils conçoivent et diffusent.

7 Le discours sur le public qu’est fréquemment la relation au lecteur-téléspectateur dans les médias, lorsqu’ils se préoccupent de réception, devient, avec la médiation mise en œuvre par la chaîne publique, le discours du public tel que l’émission créée à cette occasion – L’Hebdo du Médiateur – le laisse apparaître, en interaction avec la parole journalistique, sollicitée par le médiateur, en réponse aux interpellations ou aux critiques des téléspectateurs. Approcher la médiation comme processus de renforcement du lien avec le téléspectateur et comme démarche d’explicitation auprès du public de ce qu’est le travail quotidien de médiatisation des phénomènes sociaux accompli par les journalistes ne se réduit certes pas à la conception et à la réalisation hebdomadaire de l’émission en question. Une partie publiquement invisible de l’activité de médiation s’accomplit en amont, mais aussi en aval, d’une telle émission. Cependant, le choix de France 2 de construire la médiation comme un rendez-vous régulier, en public, par le biais d’une émission où l’occasion de dialoguer avec les journalistes est offerte – avec, chacun le mesure, les contraintes inhérentes à une émission courte et en direct – amène à considérer que l’on ne saurait travailler sur la médiation ainsi mise en place sans observer scrupuleusement ce que l’émission, régulièrement, engendre comme types de débat, comme formes de mises au point. Le suivi, sur une durée prolongée, de l’émission constitue dès lors le matériau indispensable pour appréhender précisément ce qui s’y joue comme ajustements, comme régulations entre les partenaires de l’échange concernant l’information : de sa production à sa compréhension, des choix qui président à sa conception à ceux qui conduisent à son interprétation…

8Un corpus d’un an d’émissions, collectées entre décembre 2000 et décembre 2001, intégralement transcrites, a servi de matériau de départ à l’analyse. Une analyse qui se veut d’abord celle des discours, tant il semble fondamental de considérer que la médiation est d’abord affaire de “négociation du sens” : celui des reportages mis en question dans des critiques de téléspectateurs, l’un comme l’autre cités partiellement comme points de départ du débat ; celui des métadiscours venant commenter telle image, telle formule, telle pratique… « Donner la parole » aux téléspectateurs et aux journalistes à propos de l’information renvoie donc, dans une recherche en Sciences de l’Information et de la Communication, à la nécessité de situer les modes d’observation selon lesquels on va appréhender cette parole donnée. Le chapitre 2 se présente, par conséquent, comme une introduction méthodologique à la démarche d’analyse mise en œuvre.

9Le fait d’instituer, sur une7 chaîne publique de télévision, une démarche de médiation ne s’imposait toutefois pas comme une évidence absolue. La décision de mettre en place une telle démarche et de créer une fonction spécifique de médiateur est la traduction d’une volonté et d’un projet qui se sont progressivement structurés au sein – et “autour” – de la chaîne. L’avènement de la médiation à France Télévisions correspond à un contexte et à des enjeux qui, d’une certaine façon, font la spécificité et la fragilité de la télévision publique. Les valeurs attachées à la notion de service public et la volonté d’être la « télévision du public » sont intimement associées à la décision de concevoir le lieu permettant de renforcer le lien avec le public : créer les conditions d’une “audibilité” nouvelle du téléspectateur – jusqu’alors cantonnée aux échos limités que pouvait en donner le Service des Relations aux Téléspectateurs – en rendant régulièrement possible la diffusion de ses propos réactifs comme parole légitime devient, alors, une des façons de réaffirmer publiquement la place centrale qu’il occupe.

10Dans un contexte de crédibilité régulièrement décroissante de l’information, le fait de pouvoir identifier, par la médiation, les déterminants selon lesquels les téléspectateurs contestent la validité d’une information – ou la pertinence des choix divers qui la construisent comme telle – peut apparaître comme un instrument utile à l’amélioration de la « qualité8 » de l’information. On ne s’étonnera pas, néanmoins, que l’insertion de cette instance intermédiaire entre la rédaction et le public ait pu susciter un certain nombre de résistances internes, dont on pourra observer les formes d’expression principales. Entre les objectifs recherchés et les effets mesurés par les acteurs, il y a, sans doute, tout ce qu’une stratégie de changement entraîne comme frottements des conceptions et des représentations de ce qu’est l’acte d’informer. Le chapitre 3 vise donc à identifier les éléments contextuels et les enjeux stratégiques dans lesquels la médiation vient prendre place, non sans tensions – ni attentions critiques issues du sein même de la rédaction.

11La caractéristique principale de la médiation de l’information à France 2 est d’avoir ce caractère public affiché, que L’Hebdo du Médiateur, chaque samedi, vient réaffirmer : proposition de retour sur les critiques adressées, l’émission s’offre aussi comme invitation à exercer son droit de critique sur la médiatisation à venir. La visibilité particulière que donne cette émission à une activité de médiation qui ne s’y réduit pas laisse néanmoins apparaître toute l’importance que revêt le déroulement du débat en public : au-delà des arguments échangés, c’est le fait, chaque semaine, de “matérialiser” la rencontre entre une rédaction et un public, entre un9 téléspectateur et un journaliste, qui impose l’image d’une chaîne ouverte à son (ses) public(s). Les dispositifs – tant matériels que symboliques – qui permettent d’exprimer et de mettre en scène cette relation – et sa gestion, au-delà de l’émission elle-même – sont autant de situations qui méritent d’être explicitées comme des façons, multiples mais complémentaires, d’“encadrer” l’acte de médiation.

12Il faudra, par conséquent, dans le chapitre 4, tenter de préciser les implications de ces différents dispositifs qui, tous ensemble, contribuent à structurer la médiation face au public. La distinction des ensembles thématiques, reliés aux volumes de courrier parvenu au médiateur, n’est pas sans poser, d’ailleurs, une série d’épineux problèmes méthodologiques que ce chapitre tente de positionner en termes de flux et d’importances relatives, orientant vers certaines des questions que la seconde partie envisagera avec davantage de précision.

13Au sein de ces dispositifs, le médiateur, on peut l’imaginer, occupe une place centrale : dans la relation triangulaire qu’il constitue avec les téléspectateurs de la chaîne et les journalistes de la rédaction, il incarne l’idéal d’une place à mi-chemin des uns et des autres. Récepteur des réceptions qui ont été celles des téléspectateurs face à l’information diffusée par la chaîne, il est, en amont de l’émission, le gestionnaire des flux critiques qui parviennent à la chaîne – et que l’existence de la médiation contribue à générer. En ce sens, il fait office de “poste d’observation avancé”, vis-à-vis du public, à la façon de beaucoup de médiateurs dans différents secteurs, assurant une fonction de veille, attentive aux évolutions des sensibilités concernant les problèmes de ce secteur. Rendre compte publiquement des observations adressées à la chaîne ne peut donc se faire que par le biais, chaque semaine, d’une forme de “symbolisation” qui consiste à élaborer un plateau d’invités traduisant la sensibilité critique dominante du moment. L’observation des cadres participatifs, tant sur le plan des invités externes que sur celui des invités internes à la rédaction, devrait permettre de repérer les logiques essentielles selon lesquelles les débats sont agencés : pour être des actes d’ajustement et de régulation entre concepteurs et récepteurs de l’information, ces moments de médiation n’en sont pas moins des éléments d’une programmation télévisuelle où l’intérêt et l’attractivité des propos, relatifs à une question suffisamment vive pour être “élue” comme thème principal, doivent être préservés afin de maintenir devant l’écran un public conforme aux attentes de la chaîne.

14On ne s’étonnera pas, néanmoins, que la question des places occupées par les acteurs et révélées par leurs discours – dans une configuration où les images des uns et des autres, les rôles et les statuts auxquels ils sont reliés, sont autant de paramètres que la médiation “met en jeu” – ait une importance majeure dans une telle opération. Le chapitre 5 s’attache notamment à montrer comment, dans le jeu des distances nécessaires à la réalisation de la médiation, la place de médiateur se définit par un certain nombre de rôles discursifs dont la gestion, dans l’interaction, n’est pas sans difficultés ni sans écueils.

15 La seconde partie porte, plus précisément, sur le discours des téléspectateurs parvenant au médiateur ; comment l’acte de réception que de telles remarques expriment – et prolongent en une tentative d’expression “argumentée” de reproches, de griefs ou de nuances considérées comme nécessaires – s’insère-t-il dans cette démarche plus globale qu’est la médiation ? A l’écart des représentations quantifiées du public, la médiation s’offre comme un espace discursif où peut venir s’expliciter l’activité interprétative du téléspectateur face à l’information. La variété des formes réactives adoptées et des résistances exprimées, saisies sur une période d’une année, laisse alors apparaître un certain nombre de récurrences qui peuvent contribuer à révéler des cohérences discursives transthématiques, significatives d’“attitudes de réception” relativement stabilisées chez certains publics. Dans cette logique, le chapitre 6 vise à situer les repères méthodologiques nécessaires à la saisie de telles transversalités.

16A partir de cette hypothèse, le chapitre 7 pose un certain nombre de jalons que les remarques des téléspectateurs sélectionnées et reproduites dans l’émission permettent d’identifier, sinon comme des constantes, au moins comme des régularités significatives. La dimension normative est ainsi, sous ses multiples aspects, un outil prioritaire des téléspectateurs pour juger de la “qualité” de l’information et y réagir : tout manquement au respect de règles faisant partie du savoir commun (ou estimé tel) apparaît comme le signe d’un déficit condamnable qui pourra venir rejoindre d’autres types de remarques évoquant, de diverses façons, la rupture d’un contrat implicite liant – selon un certain nombre de valeurs à défendre – la chaîne publique à ses téléspectateurs. La convergence de certaines remarques critiques concernant “la porte trop grande ouverte10” à certains acteurs ou à certains arguments laisse entrevoir, parallèlement, un questionnement téléspectatoriel sur la crédibilité du média à partir d’une interrogation sur celle de ses “sources”, notion qui n’est rien moins qu’évidente dans le discours des téléspectateurs posant le problème de l’accès à l’espace médiatique de paroles sujettes à (forte) caution – sur les terrains politique, scientifique… – et aux enjeux que recouvre une telle contribution à leur publicisation.

17Dans un corpus comprenant les événements du 11 septembre 2001 comme moment particulièrement saillant mais incluant par ailleurs la médiatisation de plusieurs conflits, on ne s’étonnera pas que le questionnement sur l’image et ses usages soit un objet d’attention symptomatique. Le discours professionnel – régulièrement reformulé – sur la nécessité de l’image dans l’information télévisée, par-delà les logiques justificatives de l’activité qui le traversent, devient en médiation un débat sur les enjeux d’une telle « nécessité », souvent concédée mais requestionnée à partir des dimensions interprétatives et des mises à distance construites depuis la position de téléspectateur. L’usage itératif de certaines images fonctionne, du côté des téléspectateurs, comme un indicateur des relations construites avec le public dans l’acte d’informer : à travers la relation de l’image au réel, c’est la relation du public à l’image médiatisée qui est questionnée dans la médiation. On aura l’occasion d’observer que la perception d’“effet de violence” de certaines images – effet davantage lié aux modes de diffusion et de réception de ces images qu’à leur contenu propre – est une caractéristique régulière du discours des téléspectateurs sur l’information télévisée. La prégnance de la croyance en une relation directe de l’image au réel empêche-t-elle une réflexion sur les enjeux de la mise en images ? Tel semble être un des axes d’observation que la médiation permet d’établir, au fil des numéros de L’Hebdo du Médiateur et que le chapitre 8 explore.

18Au nombre des représentations des téléspectateurs concernant l’information télévisée, celle de son pouvoir et des effets, plus ou moins directs, qu’on lui prête est une question qui apparaît souvent en filigrane de remarques qui trouvent leur origine dans des “thèmes” très variés. Qu’est-ce que les discours réactifs des téléspectateurs – rendus publics dans la médiation – laissent entendre de ces effets, envisagés comme potentiels ou, parfois même, considérés comme assurés ? En quoi les logiques d’influence dans lesquelles sont pensées l’activité du téléspectateur, tout aussi bien que l’activité d’un journaliste ayant à constamment réaffirmer et argumenter la place qui est la sienne dans le faisceau des influences qui s’exercent sur lui, sont-elles des éléments d’un questionnement plus général où la médiation tente de redéfinir les rôles sociaux d’une profession et, plus largement, sa responsabilité sociale ? Reliés aux phénomènes de mise en visibilité médiatique et de hiérarchisation de l’information – mais ne s’y limitant pas –, ces deux angles d’approche de la médiation conduisent à l’envisager comme un moment particulièrement révélateur des conceptions, souvent implicites, qui guident l’activité informative. Il apparaît alors déterminant d’observer les “opérations de cadrage” qui, tant dans la pratique de production de l’information que dans celle de son interprétation, trouvent dans la médiation une occasion de résurgence régulière ; ce sont alors les ajustements difficiles de ces “cadrages” – progressivement définis, dans le chapitre 9, comme trame des débats de L’Hebdo du Médiateur – qui permettent de considérer la médiation de l’information comme une remise en chantier permanente de ces tentatives d’explicitation de ce qui fonde les incompréhensions, les “dis-jonctions” entre journalistes et téléspectateurs.

19Ce que les critiques adressées au médiateur laissent voir de collectif sous les réactions individuelles ; ce que les remarques critiques des téléspectateurs contiennent d’identités collectives mobilisées comme ancrage d’une posture de dénonciation : le chapitre 10 bouclant cette étude se voudrait une tentative de saisie des “communautés interprétatives” qui parcourent le discours réactif des téléspectateurs de l’émission de médiation de France 2. Une telle perspective conduit à s’interroger sur les espaces de diffusion – et de réception – de l’information de la chaîne, des discours qu’elle “accueille” et des métadiscours dont elle les accompagne éventuellement. C’est la façon dont des identités sociales, professionnelles, confessionnelles, nationales… entrent en débat par la médiation, par-delà la place de téléspectateur ordinairement occupée, qui constitue le point central de questionnement : les discours des médias contribuent, en effet, à la mise en place d’images publiques auxquelles la médiation est un espace de réaction possible et, parfois, un lieu de réparation publique espérée. La question des publics lorsqu’elle est abordée sur le plan de la médiation est donc, tout autant, celle des collectifs déjà constitués, préalablement à la médiatisation, que celle des collectifs que la médiatisation cristallise.

20Travailler sur la médiation est donc nécessairement travailler sur les représentations sociales activées par la médiatisation. Si l’acte d’informer est un acte éminemment social – pris dans des contextes et intriqué aux stratégies des acteurs sociaux recherchant ou subissant cette médiatisation, sujet à interactions multiples construisant les dimensions d’un débat dans un espace public où la dimension médiatique n’est qu’une composante de démarches de publicisation qui, généralement, l’excèdent –, l’activité de médiation en est comme un moment complémentaire : de resocialisation, pourrait-on dire, dans le sens où elle remet en discussion les perspectives de partage interprétatif sur des questions traitées et où elle crée, entre les publics participant à la médiation, les conditions d’un débat métajournalistique sur les enjeux du journalisme de télévision. Qu’un tel type de débat vienne rencontrer de multiples limites ne saurait étonner et c’est l’un des objets de cet ouvrage d’en tracer les fondements. Sous les projets volontaristes de la médiation, à France 2 comme dans bien d’autres lieux ayant opté pour la mise en place d’un médiateur – favoriser le dialogue, être conforme à un certain nombre de règles que l’on s’est fixées, exercer une forme de pédagogie auprès du public… –, il apparaît que les actes de médiation, au-delà de leurs surfaces fréquemment normatives, sont porteurs d’enjeux beaucoup plus larges que le simple rétablissement d’une vérité géographique ou orthographique, la simple justification d’un principe.

21Le pari de ce travail est donc de tenter de saisir, dans les “interstices” et les ajustements difficiles des discours des téléspectateurs et des journalistes, les éléments susceptibles de contribuer à une approche réflexive de la médiation de l’information.

Notes de bas de page

1 Nous réévoquerons ultérieurement les travaux ethnométhodologiques de D. Boullier, par exemple, ainsi que ceux de D. Dayan, parmi d’autres.

2 Dès les années 1950, comme l’a montré P. Beylot (2000).

3 Qui, chez les journalistes de la BBC, ainsi que le rapporte J. Bourdon (1993, 48) à partir des travaux de P. Schlesinger (1987), peut devenir « la femme du conducteur de bus de Sheffield ».

4 La forte montée en puissance, depuis quelques années, de weblogs d’actualité commentant la production journalistique des médias dits traditionnels est venue sensiblement complexifier le paysage métajournalistique.

5 La graphie particulière que nous adoptons, avec ce s en caractère romain, est une façon pour nous de rappeler, sous l’appellatif original au singulier – qui est celui qui a cours durant la période de diffusion des émissions rassemblées dans notre corpus –, la stratégie de complémentarité qui guide l’offre des trois chaînes du secteur public (France 2, France 3 et France 5, ainsi appelée depuis janvier 2002 après avoir longtemps été « La Cinquième ») – auxquelles sont venues s’adjoindre France 4 et France Ô – et qui trouve désormais sa traduction symbolique officielle sous une dénomination plurielle.

6 Parallèlement à celle d’une médiatrice des programmes.

7 C’est sur France 2 que cette étude se focalisera mais il est nécessaire de préciser que France 3 a également connu, à la même époque, l’arrivée d’un médiateur (Marc Francioli).

8 On a déjà pu entrevoir, dès l’avant-propos de cet ouvrage, combien cette notion traverse les époques et l’histoire de la télévision publique en même temps qu’elle constitue un carrefour symptomatique des conceptions qui, par son intermédiaire, s’y affrontent.

9 Ou plusieurs.

10 A côté de la critique des modes de traitement, celle de l’activité de sélection, de gate-keeping de la rédaction, malgré sa dimension plus organisationnelle, n’est pas ignorée du téléspectateur – ou, en tout cas, de certains d’entre eux.

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