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Avant-propos

p. 13-15


Texte intégral

1A la “veille” de la publication de cet ouvrage, l’annonce présidentielle inopinée, le 8 janvier1 2008, d’un projet de réforme de l’audiovisuel public venant modifier, en profondeur, les modes de financement de France Télévisions, la remise du rapport de la commission Copé, au tout début de l’été, puis la publicisation du projet de loi durant l’automne et les débats parlementaires qui s’ensuivirent éclairent indirectement l’objet qui est au centre de cette recherche : la question de la médiation de l’information sur les chaînes publiques de télévision et les questions corrélatives des valeurs que le service public de l’audiovisuel a vocation à incarner et à défendre publiquement.

2Si la place du téléspectateur dans le cadre de cette évolution ou la participation du public dans cette forme renouvelée de la télévision publique n’ont pas été le point central des discussions ou, du moins, de ce qui en a été rendu public – c’est, fréquemment, au nom de ses “intérêts” qu’un certain nombre de notions, voire de principes, ont été mobilisés.

3On ne s’étonnera pas, de fait, de la remise en circulation, dans ce contexte, du fameux triptyque “informer, cultiver, distraire” convoqué dès la lettre de mission comme référence fondatrice d’un modèle dont l’audiovisuel public se serait éloigné. On ne sera pas davantage surpris de la récurrence de la notion de « qualité », formulée à la confluence de l’exigence informationnelle/culturelle et de l’attractivité pour des publics espérés comme « substantiels ». On ne sera pas le moins du monde étonné de l’omniprésence du « pluralisme » comme argument absorbant de très multiples dimensions liées aux questions d’égalité de traitement, de représentation, d’expression…

4Autant de questions dont on s’apercevra qu’elles constitu (ai ?) ent la trame continue de l’émission de médiation de France 2 – L’Hebdo du Médiateur – et, sur la base du projet de réforme en discussion, le sujet de la dernière émission de la saison 2007-20082, avant de disparaître de la grille de France 2 à la rentrée 2008-2009… Autant de perspectives dont on pourra observer les “prises”, tant du côté des téléspectateurs que des journalistes et des responsables de la chaîne publique dans une émission qui permet (tait ?) une réflexivité publique et, somme toute, l’affirmation performative d’une responsabilité face au(x) public(s).

5La réflexion sur ce qu’est/serait une « information de qualité » traverse donc l’intégralité des chapitres qui suivent : à partir de micro-observations des téléspectateurs ou de cadrages beaucoup plus globaux des journalistes, les modes d’évaluation – implicites ou explicites – mobilisés dans ces commentaires critiques, ou lors de ces interactions à visées plus ou moins persuasives participent de ces ajustements sur un concept aussi labile. On s’apercevra assez aisément que la revivification actuelle du débat sur les liens de dépendance de la télévision publique au pouvoir en place, par-delà ses racines lointaines, a une permanence représentationnelle diffuse – que la décision présidentielle de nomination (et de révocation3) du Président de France Télévisions vient expliciter. La “confirmation à distance” d’une crainte traversant les dix années d’existence de L’Hebdo du Médiateur vient en quelque sorte donner corps au soupçon d’une télévision du pouvoir en lieu et place d’une « télévision du public ».

6Cette « télévision du public », comme matérialisée par la parole intermédiaire du médiateur mais aussi symbolisée par la contribution du téléspectateur par le biais de la redevance qu’il paie, apparaît en cette fin de décennie – sous le registre de la dépossession – comme une télévision publique régie d’en haut, au nom des intérêts de téléspectateurs dépourvus du lieu d’accueil public de leur parole… Force est, en effet, de constater qu’au moment où l’on ne pérennise pas l’accès à l’écran d’une parole du public sur « sa » télévision, le politique, au nom de sa légitimité propre, entreprend de configurer ce que doit être la nouvelle logique de cette télévision publique, laissant transparaître, sous cette prise de pouvoir définitionnnel, le soupçon d’une mainmise d’une autre nature. On peut, dès lors, se demander si « le récit héroïque de l’émancipation du petit écran » (Bourdon, 1994, 9) n’est pas en train de se réécrire : sous la forme d’un lien assumé entre l’Etat et la télévision publique, libérée de sa dépendance au secteur publicitaire pour mieux dépendre d’un financement dont la pérennité n’est que partiellement assurée.

7Cette nouvelle “ère du soupçon”, réalimentée à la source de représentations que l’on aurait pu croire datées – et renouant les liens d’une dépendance imaginée comme dépassée – a pu prendre, dans le débat public, la forme d’une déploration d’une régression ou de la crainte d’un démantèlement insidieux. Quoi qu’il en soit, la « révolution4 » de l’audiovisuel public annoncée début 2008, perçue quasi-étymologiquement sous le registre d’une « gouvernance » en filiation avec des modèles anciens, a également été articulée au non moins vieux débat (1968) de la légitimité de la publicité sur la télévision publique. La réorientation des ressources publicitaires vers le seul secteur privé pouvait potentiellement être considérée comme une clarification de fonctionnement des deux secteurs si la concomitance avec la parution du Livre Blanc de TF1 n’était venu en éclaircir, hypothétiquement, certains des fondements et si le refus d’une augmentation substantielle de la redevance n’était, à son tour, venu confirmer certaines des inquiétudes s’exprimant quant à la pérennité du financement au-delà de 2011.

8L’un des effets paradoxaux de cette logique visant à différencier nettement offre télévisuelle privée et offre télévisuelle publique repose notamment sur le fait que le financement de cette dernière sera partiellement dépendant des ressources publicitaires de la première et donc des volumes de public que celle-ci sera capable d’attirer. Un tel lien de dépendance, par-delà sa perversité propre, ne peut que laisser dubitatif sur les conditions d’évolution vers un changement qualitatif qui ne saurait s’appréhender mécaniquement en termes de « purification des programmes » (Regourd, 2008, 134) de toute publicité mais bien davantage – et à l’écart de tout paradoxe – en termes d’invention de nouvelles formes de qualité télévisuelle, tant des programmes que de l’information, ce qui est dépendant d’une double pérennisation : des financements publics et de l’attention citoyenne dont L’Hebdo du Médiateur était l’un des modèles.

9Le projet de cette recherche, au moment où elle a été construite, ne s’inscrivait pas dans une dimension historique mais se voulait une exploration d’une forme innovante de la relation au téléspectateur telle qu’elle est publicisée dans le cadre d’une émission laissant une place centrale à ses réactions en matière de traitement de l’information ; les circonstances politiques, et les volontés stratégiques qu’elles peuvent recouvrir sur le terrain particulièrement sensible que constitue l’audiovisuel public, confèrent, après coup, à ce travail une perspective qui le situe désormais dans ce que l’on peut considérer comme une certaine épaisseur du temps télévisuel, sujet à certaines accélérations brutales. Que cette analyse puisse contribuer à une forme de décélération et de remise en perspective de ce que le temps politique contribue parfois à brouiller est, au fond, la meilleure contribution à laquelle elle puisse prétendre.

Notes de bas de page

1 Sans céder au fétichisme des dates, on se souvient que le 8 janvier… 1975, Valéry Giscard d’Estaing, en référence à un propos pompidolien célèbre, déclarait que « les organismes de radio et de télévision ne sont pas la voix de la France » : où l’on voit que l’audiovisuel public, de longue date, constitue un espace particulièrement symbolique d’affirmation du politique – et de sa distinction – par la définition du télévisuel – et de ses périmètres…

2 Samedi 28 juin 2008.

3 Par « décret motivé » : le projet d’inscription, dans la loi, de cette possibilité de révocation, à tout moment, est ce qui est venu alimenter, sous l’angle d’une sanction potentielle constante, la perception de ce lien de dépendance.

4 « Révolution qui, en changeant le modèle économique de la télévision publique, changera du tout au tout la donne de la politique culturelle dans la société de communication qui est la nôtre » (déclaration faite par le chef de l’Ėtat, lors de sa conférence de presse à l’Ėlysée, le 8 janvier 2008).

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