1De 1801 à 1901, la population du Département du Nord a augmenté trois fois plus que celle de la France. Cette simple constatation fait surgir toute une série de problèmes : quels sont les facteurs qui expliquent une telle différence d’évolution ? Tous les arrondissements du Nord participèrent-ils à ce mouvement ? Y eut-il, en France, des régions comparables au Nord ? Quelles furent les répercussions de· cette situation au XXème siècle ? Des données numériques peuvent donc permettre de concrétiser certains domaines de !’Histoire et ouvrir la voie à de nouvelles études.

2C’est pourquoi, dans notre travail d’études et de recherches, nous avons tenté de rassembler le plus grand nombre possible de documents chiffrés concernant le mouvement de la population dans le Département du Nord au XIXème siècle.

3Comme on entend généralement par mouvement de population, « tout changement apporté à l’état de la population »1 , ce qui inclut les changements de profession, de culte, etc..., il fallait limiter cette définition : nous avons étudié, d’une part, les· changements provoqués par les naissances et les décès, c’est-à-dire « le mouvement naturel de la population » , d’autre part, les changements de domicile des individus ou « migrations » .

4Le rassemblement des données chiffrées a occupé une grande partie du temps consacré à notre travail. Aux Archives Départementales du Nord, nous avons dépouillé les nombreux dossiers des recensements, dont la pratique s’élabora tout au long du XIXème siècle. Sous l’Ancien Régime, quelques travaux, fruits d’initiatives individuelles le plus souvent, avaient bien été effectués pour dénombrer les Français. Mais ce fut à la fin du XVIIIème siècle qu’on s’aperçut vraiment de l’importance de l’étude statistique de la population ; le principe des recensements généraux fut établi pendant la Révolution.

5Evidemment ces recensements ne prirent pas immédiatement l’allure que nous leur connaissons aujourd’hui. Et ce fut très intéressant de découvrir, à travers la correspondance des maires et des préfets en particulier, leur cheminement vers la forme actuelle. La réduction de la durée des opérations, indispensable pour obtenir des résultats prec1s, apparaît particulièrement à la lecture des documents : voici par exemple un extrait d’une circulaire, envoyée par le ministre de l’Intérieur aux Préfets, le 2 Avril 1841 : « Vous pourrez donc prescrire à ces fonctionnaires de commencer l’opération du dénombrement du Ier au 10 Mai... six semaines doivent suffire aux maires pour terminer leur travail... vous devrez donc prescrire aux maires de vous adresser leurs tableaux à la fin de Juin. »2.

6Un autre document, toujours adressé par le Ministre de l’Intérieur aux Préfets, daté du- 19 Novembre 1881 : « le vendredi 16 Décembre au plus tard, l’agent recenseur déposera dans chaque maison un bordereau de maison... et un nombre de feuilles de ménage et de bulletins individuels... l’agent recenseur passera le lundi 19 Décembre dans toutes les maisons... il vérifiera sur place s’il y a bien été répondu à toutes les questions... la tournée de l’agent recenseur pourra même avantageusement commencer dans l’après-midi du dimanche et, si elle n’était pas terminée le lundi, elle continuerait le mardi et le mercredi, mais ce dernier délai ne devra pas être dépassé. »3.

7La valeur des résultats fut donc très variable au XIXème siècle, à cause de l’attitude dé l’administration centrale - indifférence, et même hostilité pendant la Restauration -, de la plus ou moins grande compétence des agents recenseurs, ou encore de la méfiance de la population qui associait ces opérations à celles de levées de troupes ou d’imposition. Nous avons trouvé, aux Archives Départementales du Nord, de nombreux exemples régionaux illustrant ces problèmes qu’Abel Chatelain a particulièrement étudiés4.

8Cependant, répétons-le, la pratique des recensements s’améliora tout au long du siècle, et, en même temps, les résultats se diversifièrent.

9Nous pouvons en énumérer les principaux : le nombre des habitants du département et des arrondissements, la composition de la population selon l’état-civil. A ceux-ci vinrent s’ajouter, dans la seconde moitié du siècle, une répartition selon l’âge, la nationalité, le domicile, le caractère rural ou urbain des communes. Quant à celle selon le lieu de naissance, elle fut souvent négligée ; on la connaît seulement en 1886, 1891 et 1896.

10Mais les recensements ne furent pas notre seule source de données chiffrées : nous avons aussi utilisé les Annuaires statistiques du département qui nous ont permis de connaître le mouvement annuel de l a population. Ce fut en 1803 que parut le premier, rédigé sous la direction de Sébastien Bottin, secrétaire général du Préfet du Nord. La publication de ces livrets, qui étaient « appelés à être des comptes-rendus annuels de la vie du Département »5, se poursuivit jusqu’en 1914. Mais il n’y eut une rubrique « Population » que de 1827 à 1912.

11Nous y avons trouvé des états récapitulatifs, par arrondissement et pour l’ensemble du département, des naissances, mariages et décès. Tout au long du XIXème siècle, ces tableaux se diversifièrent : on indiqua, par exemple, le nombre des défunts par âge et par état-civil.

12Mais ces données, comme celles des recensements, étaient f acilement critiquables. De nombreuses erreurs apparaissaient dans les tableaux, ce dont se rendait bien compte l’administration centrale de l’époque. « Dans quelques tableaux, les additions étaient faites avec une telle négligence que presque jamais les totaux placés dans le sens horizontal n’étaient d’accord avec les totaux placés dans le sens vertical. Je pourrais citer un département dont le travail a dû être renvoyé trois fois de suite pour de semblables incorrections, et chaque fois, il revenait chargé d’erreurs nouvelles »6 écrivait le Secrétaire d’Etat de l’Intérieur au Préfet du Nord le 10 Avril 1836.

13Ce travail de dépouillement des dossiers des Recensements et des Annuaires étant achevé, nous avons rassemblé leurs donné_es dans des tableaux. Mais, coin.me l’a écrit Alfred Sauvry : « Sous cette forme initiale, ces tableaux ne sont, comme toutes les statistiques brutes, que médiocrement instructifs »7. Il a donc été nécessaire que nous les transformîons, selon certaines méthodes, afin d’obtenir de meilleurs résultats.

14Nous avons d;abord fait une étude globale du nombre d’habitants du département8. Grâce aux recensements, nous avions la série de ses valeurs, ce qui nous a permis de calculer : l’écart absolu entre deux termes de la série, qui fut utile, nous le verrons ensuite, pour apprécier les migrations apparentes ; l’écart relatif, obtenu en rapportant la valeur de l’écart absolu à celle d’un des deux termes étudiés, et qui nous a donné le « taux d’accroissement » de la population ou son « taux de diminution » .

15Nous avons aussi recherché la part de la population de chaque arrondissement dans celle du département, ou encore comparé l’évolution de ces groupes d’habitants par la méthode des indices.

16Ce fut ensuite l’examen des facteurs d’évolution de l’effectif de la population, en distinguant d’une part ce qu’Alfred Sauvy appelle « les changements d’état-civil »9, c’est-à-dire les naissances, mariages et décès, d’autre part les déplacements d’individus ou migrations. Là encore, les nombres absolus, indiqués dans les Annuaires, ne pouvaient être qu’une base de travail : bruts, ils ne nous apprenaient que peu de choses et il fallait les transformer pour augmenter leur intérêt.

17« Une naissance est un évènement démographique, et la natalité est la première des caractéristiques du mouveinent d’une population »10. Nous avons donc calculé le taux brut de natalité, ce taux annuel étant obtenu en rapportant le nombre total N des naissances11 pendant une année à l’effectif P de la population au milieu de cet te même année. Mais immédiatement un problème se pose : si ce calcul est fait pour une zone d’immigration, où arrivent des éléments jeunes, le taux est forcément plus élevé que dans une zone d’émigration, où demeurent des personnes âgées : « ceci rend absurde la comparaison du taux de natalité dans une ville, où il existe un afflux d’adultes, et dans une zone rurale »12. Il fallait donc évaluer la natalité en rapportant le nombre des naissances à celui des personnes en âge d’avoir des enfants, c’est-à-dire le taux de fécondité générale.

18En ce qui concerne les mariages et les décès, nous rappellerons simplement leurs taux bruts pour 1000 habitants : Taux brut de nuptialité=

19M étant le nombre annuel des mariages Taux brut de mortalité=

20D étant le nombre des décès de l’année

21Comme nous l’avons vu précédemment, les migrations d’individus forment la seconde des deux composantes du mouvement de la population. Mais leur évaluation n’est pas très précise. Considérons une population lors de deux recensements : P1 est son effectif lors du premier, P2 lors du second.

P2 - P1 = N - D + Mi

22N étant le nombre total des naissances entre les deux recensements, D celui des décès et Mi celui des migrations.

23Comme les valeurs de P1, P2, N, D sont connues, il est facile de calculer Mi. Mais Mi n’est que la différence entre les entrées et les sorties d’individus. Ce calcul ne permet pas d’évaluer réellement le mouvement d’immigration et le mouvement d’émigration de la population. C’est pourquoi il faut parler d’immigration et d’émigration « apparentes » .

24L’application de ces méthodes, qui avaient pourtant été choisies en fonction des sources, n’a pas été sans poser différents problèmes.

25Il y eut, par exemple, la question des groupes d’âge, qu’il fallait connaître pour calculer la mortalité sans erreurs d’appréciation : car « dans un hospice de vieillards, la mortalité est plus élevée que dans une prison. Cela ne veut pas dire que les pensionnaires de l’hospice soient moins bien traités, moins bien nourris ou soignés que les prisonniers »13. Malheureusement les Annuaires statistiques donnaient des tranches diverses selon les époques, et les comparaisons ont été difficiles, sinon impossibles.

26Mais le problème majeur a été l’ignorance de l’effectif annuel de la population, nécessaire pour calculer de nombreux taux. Comment évaluer P, effectif de la population au milieu de l’année ? Nous ne possédions des renseignements que tous les cinq ans, lors des recensements ; et ces valeurs· n’étaient d’ailleurs pas celles du milieu de ces années : la date des décrets ordonnant les recensements variait selon les époques, et les opérations duraient plus ou moins longtemps. Il était impossible d’attribuer le résultat du recensement à une date précise. En calculant quelles étaient les erreurs commises en utilisant différentes méthodes, nous avons choisi de chercher des taux moyens, sur une période de trois ans, l’année du milieu correspondant à une année de recensement. Si nous étudions trois années a, b, c, un recensement ayant eu Heu en b, le taux moyen de natalité sera égal à :

27Evidemment, nous ne connaissons que P (b), mais un calcul d’incertitude nous a montré que nous pouvions remplacer P (a) + P (b) + P (c) par 3 P (b) en ayant une incertitude inférieure à un dizième sur le taux recherché.

28Nous avons particulièrement insisté sur ces problèmes méthodologiques pour montrer, qu’outre le dépouillement et le rassemblement des sources, il y a un long travail d’adaptation de ces documents aux formules construites par les démographes.

29La seconde partie de notre travail fut l’étude globale du mouvement de la population, dont l’évolution fut envisagée sans chercher d’abord à l’expliquer par différents facteurs. Nous avons simplement essayé de déduire le plus possible de renseignements des tableaux et graphiques constitués auparavant.

30L’effectif de la population du Département du Nord a toujours augmenté au XIXème siècle (cf. Tableau 1). Passant de 765.000 habitants, en 1801, à 1.961.780 en 1911, il a plus que doublé : « accroissement d’autant plus appréciable qu’il partait déjà d’un chiffre élevé »14. En effet, grâce au recensement de 1801, nous savons que le Nord était alors le département français le plus peuplé, ceci devant la Seine (631,6 milliers d’habitants) et la Seine Inférieure (609,8). Il y avait seulement huit départements de plus de 500.000 personnes, la majeure partie des 85 départements de l’époque en ayant de 200 à 300.000. L’étude des indices des populations respectives du Nord, du Pas-de-Calais et de la France15 confirma cette supériorité de l’accroissement départemental :

31Nous avons ensuite dégagé, par l’examen des périodes quinquennales, les principales phases de l’évolution. Dans la première partie du siècle, la population du Nord s’est élevée assez régulièrement, avec cependant deux périodes de croissance ralentie : la fin de la Restauration et les alentours de 1848. Le Second Empire apparaît nettement comme l’époque du « décollage » : en quinze ans, l’accroissement relatif fut de 20,2 %. La vigueur de l’expansion diminua par la suite : en 45 ans, de 1866 à 1911, l’augmentation fut de 40,7 %. Il est intéressant de comparer ce mouvement de la population, dans le Nord et en France, car de sérieuses différences apparaissent.

32Ce fut en effet pendant la Monarchie de Juillet que la population française connut ses meilleurs taux d’expansion du XIXème siècle : entre 1841 et 1846, le taux moyen annuel fut de 6,8 pour 1000. A la même époque, le Nord perdit sa première place dans l’importance de l’effectif, en faveur de la Seine. La crise de 1848 semble porter un coup décisif à l’évolution française : de 1851 à 1911, la population stagna, n’augmentant que de 9 % : « la France a d’abord l’air de s’enfoncer dans l’immobilisme »16. Pendant ce temps, l’effectif de la population anglaise s’accrut de 78 %, celui des Allemands de 57 %.

33Nous avons donc remarqué que les grandes phases du mouvement de la population, dans Je dépàrtement du Nord, semblent plus s’apparenter à celles des pays européens industrialisés qu’à celles de l’ensemble de la France.

34Parallèlement à ces constatations sur la France et ses nuances régionales, nous pouvons signaler qu’à l’intérieur même du département du Nord, chaque arrondissement eut un comportement particulier17. Ce furent les arrondissements de Lille et Valenciennes qui eurent les plus forts taux d’accroissement du siècle : de 1801 à 1911, la population du premier augmenta de 284 %, celle du second de 174 %. Lille18 fut, au siècle dernier, et il l’est encore aujourd’hui, le plus peuplé des arrondissements du département. La population, en 1801, était double de celle de Cambrai, qui avait la seconde place dans ce classement : 222.988 habitants contre 108.550. Et tout au long du XIXème, l’écart entre les deux premiers arrondissements s’accrut19 : en 1911, l’arrondissement de Valenciennes n’avait que 261.819 habitants alors que celui de Lille en possédait 855.721.

35Le mouvement remarquable qui fit passer l’arrondissement de Lille de l’indice 1000 à l’indice 3839, entre 1801 et 1911, s’effectua en plusieurs étapes d’intensité variable. La Restauration semble avoir été plus favorable que la Monarchie de Juillet, mais ce fu t surtout après la crise de 1848 que la croissance s’accentua : les années 1851-1866 furent décisives. La force de ce mouvement rend d’autant plus sensible la crise des années 1866-1872 : au taux annuel de 28,4 pour 1000 succèda celui de 10,2. Par la suite, le mouvement d’expansion ne retrouva plus les valeurs records du Second Empire.

36Ce fut dès le début du XIXème siècle que la region de Valenciennes connut un important développement. Il fut tel qu’en 1824, les cantons de cette zone furent enlevés à l’arrondissement de Douai, et formèrent celui de Valenciennes.

37L’évolution de la population de l’arrondissement de Valenciennes fut beaucoup moins régulière que celle de l’arrondissement de Lille. Elle se fit par saccades, et nous n’avons pas trouvé une grande période d’expansion décisive - comme le Second Empire l’a été pour Lille - mais plusieurs, plus courtes, et de plus faible intensité.

38Nous avons ensuite étudié les cas des arrondissements d’Avesnes, Douai et Dunkerque. L’amplitude de leurs mouvements fut bien inférieure à celle des arrondissements de Lille et de Valenciennes : la population de l’arrondissement d’Avesnes, comme celle de l’arrondissement de Douai, augmenta de 135 %, de 1801 à 1911, celle de l’arrondissement de Dunkerque de 95 %. Cependant, lorsque l’on examine l’allure générale de leurs courbes d’indices, on a l’impression d’une bonne évolution ; ce qui n’est pas le cas de celle des arrondissements de Cambrai et Hazebrouck.

39Pour l’arrondissement d’Avesnes, nous avons surtout remaraué une période de progression très régulière, de 1851 à 1872, suivie de dix années de forte expansion : les taux annuels atteignirent alors leurs niveaux les plus élevés du siècle, 14,8 pour 1000 de 1872 à 1876, 18,9 pour 1000 de 1876 à 1881. Pendant ces cinq dernières années, l’arrondissement d’Avesnes eut d’ailleurs le taux d’accroissement le plus élevé de tous les arrondissements.

40Si l’augmentation de la population de l’arrondissement de Douai fut médiocre dans la première moitié du siècle, un net changement se produisit ensuite. L’apogée du mouvement se plaça entre 1872 et 1876, avec un taux annuel de 18 pour 1000. Il y eut ensuite un déclin puis une nouvelle remontée, se traduisant, sur la courbe des indices, par des ondulations. L’allure rectiligne de la courbe de l’arrondissement de Dunkerque s’y oppose. Les taux annuels d’accroissement varièrent très peu en effet et, surtout après 1850, restèrent toujours compris entre 6 et 8 pour 1000.

41Dans l’évolution de l’arrondissement de Cambrai, nous avons distingué deux parties : une phase de croissance jusqu’en 1861 environ, puis une phase de stagnation, se transformant en déclin au début du XXème siècle. Jusqu’en 1846, la population de l’arrondissement de Cambrai se caractérisa par son dynamisme : en 1846, son indice était le plus fort de ceux des arrondissements. Mais la crise des années 1846-1851 l’atteignit gravement, et, malgré un léger rétablissement de la situation au début du Second Empire, ce fut le début de la stagnation.

42Contrairement à l’arrondissement de Cambrai, Hazebrouck eut toujours une population stationnaire au XIXème siècle. Le Second Empire parvint à peine, et d’ailleurs momentanément, à le faire sortir de cet état de torpeur. A la fin du siècle, le taux de croissance oscillait autour de zéro et la population se mit à diminuer au début du XXème.

43Après avoir dégagé les grands traits de l’évolution de l’effectif de la population, nous avons essayé de les expliquer par l’étude du mouvement naturel et des migrations.

44En représentant graphiquement le nombre annuel des naissances et des décès au XIXème siècle20, nous pouvons faire plusieurs remarques : les deux courbes sont très irrégulières, et présentent de nombreuses « dents de scie » . Cependant la grandeur de ces pointes a tendance à diminuer au fur et à mesure que l’on avance dans le temps. Enfin, les variations du nombre des décès sont plus nombreuses et beaucoup plus fortes que celles des naissances.

45Mais nous avons vu, dans la partie méthodologique, qu’il n’est guère possible de tirer des conclusions de ces études de nombres absolus. Ils traduisent des évolutions passagères, accidentelles plutôt qu’un mouvement à long terme. Le graphique montre bien la gravité de la crise provoquée par l’épidémie de choléra de 1832, par les famines et les épidémies de 1846-1849, mais il apporte peu de renseignements sur l’évolution de la natalité et de la mortalité au XIXème siècle. Nous l’avons donc envisagée à partir des taux.

46Jusqu’au milieu du XVIIIème siècle, la natalité et la mortalité demeurèrent très élevées. Puis,, « vers la seconde moitié du XVIIIème siècle, l’Ancien Régime Démographique commença à se modifier profondément, du moins en Europe Occidentale21 ».

47Dans un premier temps, semble-Hl, la mortalité se mit à fléchir, à cause des progrès scientifiques, médicaux et économiques. Comme le taux de natalité demeurait à son niveau antérieur, la population se mit à augmenter. Le deuxième temps fu t celui de la baisse de la fécondité : la croissance de la population continua, car elle avait acquis une base jeune auparavant, mais à un rythme plus lent. La troisième phase fut celle de l’équilibre entre les taux de natalité et de mortalité : la conséquence fut la stagnation et parfois la diminution de la population.

48La structure de la population joue évidemment un rôle très important mais enfin, la valeur 30 pour 1000 peut marquer pour le taux de natalité, le passage d’une forte fécondité à une fécondité moyenne et elle fut atteinte vers 1830 par la France. Or, dans le département du Nord, ce ne fut que vers 188522. Ensuite, le taux se mit à baisser régulièrement, mouvement qui marqua une certaine pause de 1890 à 1900, avant de s’accélérer au début du XXème siècle : la valeur du taux passa de 27,2 pour 1000 en 1900-1902 à 21,6 en 1910-1912. Alors qu’en 1875 il dépassait encore le taux français de 24 %, l’écart, au début du XXème, n’était plus que de 12 %.

49Quant à la mortalité, son niveau fut relativement plus proche de celui de la France, mais l’amplitude de ses variations fut supeneure. Si nous faisons abstraction des années exceptionnelles (choléra de 1830 - guerre de 1870), nous pouvons remarquer que le taux diminua régulièrement, et qu’il atteignit même, en 1910-1912, un niveau inférieur à celui de l’ensemble de la France : 16,9 pour 1000 contre 18,1 pour 1000.

50Cette étude des taux de natalité et de mortalité suggère immédiatement l’existence d’un taux d’accroissement naturel beaucoup plus fort dans le département du Nord qu’en France. Egal à 10,9 pour 1000 en 1820-1821, il diminua dans la première moitié du XIXème siècle, jusqu’à 5,7 pour 1000 ; durant le Second Empire, il retrouva des valeurs élevées : 9,8 en 1860-1862 ; ceci comme au début des années 1880 de la Troisième République : 9,3 en 1880-1882. Puis il suivit le déclin rapide du taux de natalité. En 1910-1912, il ne valait plus que 4,8 pour 1000, soit cependant près de cinq fois plus que le taux français.

51Il faut faire intervenir, pour expliquer le niveau élevé de la natalité dans le Nord, la pratique religieuse qui a contribué à maintenir la forte fécondité. La Flandre était l’une des aires de fidélité déterminées par Gabriel Le Bras. Cela se manifeste d’ailleurs plus particulièrement dans certains arrondissements, comme celui de Dunkerque. Remarquons aussi que la composition par âge de la population est à la fois cause et effet du niveau de natalité. Dans les arrondissements qui ont connu un grand développement de l’activité économique, il y a eu, comme nous le verrons ensuite, un afflux d’immigrants. Or, ceux-ci étaient en grande partie des jeunes, qui ont donc contribué à accroître la natalité ; ce fut le cas des arrondissements de Lille et de Valenciennes. En revanche, à Hazebrouck, d’où partaient beaucoup de personnes, l’âge moyen de la population s’est élevé, ce qui a fait baisser le haut niveau traditionnel de la natalité.

52Cependant, à la fin du siècle, le taux de natalité était partout en diminution : la diffusion des pratiques malthusiennes en a été la principale cause. Leur usage a existé, dès la fin du XVIIIe et peut-être même bien avant, dans les couches supérieures de la société, puis a touché les classes moyennes et les paysans. L’arrondissement d’Avesnes eut ainsi de très bonne heure une faible fécondité, très inférieure à celle d’arrondissements industrialisés comme Lille et Valenciennes. Ceux-ci furent atteints dans les dernières décennies du XIXème.

53Le déclin de la mortalité fut une autre caractéristique du XIXème : Les progrès de la médecine contribuèrent à le provoquer, avec l’amélioration de l’alimentation. Cependant il fut plus lent dans le département qu’en France. En effet, ce phénomène a été ressenti différemment selon les classes sociales, et l’existence, dans le Nord, d’un important milieu ouvrier, aux conditions de vie difficiles, a retardé la baisse du nombre des décès. L’insalubrité de l’habitat, les mauvaises conditions de vie et de travail provoquaient de nombreuses maladies et facilitaient la diffusion des épidémies. Ce fut seulement à la fin du XIXème siècle que le recul de la mortalité se fit vraiment sentir dans le département du Nord.

54Ces mouvements de la natalité et de la mortalité ne pouvant expliquer, seuls, l’expansion de la population, il faut évoquer les migrations. Ce furent les changements économiques qui les provoquèrent. La petite industrie rurale, consistant surtout en filature et en tissage, et qui permettait au paysan d’accroître ses ressources, céda la place à la grande manufacture. En même temps, le développement des techniques agricoles diminua le besoin en main-d’œuvre. Il y eut donc exode des paysans vers les usines, et les centres urbains se formèrent. L’émigration de l’arrondissement d’Hazebrou ck illustre bien ce phénomène. Les habitants se dirigèrent vers la région de Lille, pour y travailler dans les usines textiles, vers Dunkerque, dont le commerce se développa particulièrement dans la seconde moitié du XIXème, enfin vers le bassin houiller du Pas-de-Calais.

55Ainsi la proportion de ruraux diminua d’environ 50 % entre 1846 et 1911, déclin supérieur à celui de la population rurale française, comme le montrent ces quelques chiffres :

56Les centres urbains, qui apparurent ou se développèrent alors, furent de différentes natures : l’industrie textile donna naissance à de grands organismes urbains (Roubaix - Tourcoing) ; autour des mines de charbon se créèrent de petites cités. Les étrangers, recensés dans la seconde partie du siècle, se rassemblèrent en grande partie dans ces zones. Leur nombre s’accrut de 1851 à 1886 puis diminua. Ils représentaient 6,83 % de la population totale en 1851, 18,30 % en 1886 et 9,18 % en 1911. Cette proportion était beaucoup plus forte qu’en France où il n’y en avait que 1,06 % en 1851 et 2,86 % en 1911. Les recensements nous renseignent sur les nationalités : dans le Nord, plus de 95 % étaient des Belges, le reste étant surtout composé d’Anglais, d’Allemands et de Hollandais. Ils accomplissaient des travaux saisonniers ou s’installaient définitivement. A Tourcoing, en 1836, 36 % des habitants étaient belges ; ils étaient aussi très nombreux à Lille, où le quartier de Wazemmes s’appelait « la petite Belgique » . Ces immigrants, attirés par les offres d’emploi multipliées par le développement économique, contribuèrent donc à faire, du XIXème, le siècle de l’essor démographique du Nord.

57Comment la situation évolua-t-elle au XX:ème siècle ? Il est malheureusement difficile de comparer les deux périodes, à cause des répercussions des deux guerres. La croissance paraît cependant s’être singulièrement ralentie : nous savons que l’indice de la population était passé de 1000 à 2441 entre 1801 et 1901 ; or, a u recensement de 1952, il n’était que de 2970. Dans la première moitié du siècle, le nombre des habitants n’a donc augmenté que de 135 pour 1000, alors qu’il s’était accru de 1440 pour 1000 au XIXème siècleee. La natalité avait poursuivi sa chute jusqu’à la seconde guerre mondiale. Le taux de mortalité est élevé, supérieur à celui de la France, notamment en ce qui concerne la mortalité infantile ; enfin un important courant d’émigration se développe : « En moyenne, 10.000 personnes quitteraient la Région chaque année depuis 50 ans »23. Si le développement économique du XIXème siècle favorisa l’essor démographique du département, il semble bien que le déclin des industries textiles traditionnelles, et actuellement la récession des Houillères, donnent, au XX:ème siècle, l’empreinte d’une stagnation démographique.

58Nous avons étudié le mouvement de la population sur le plan départemental : les dimensions de ce sujet nous ont forcé à demeurer souvent au niveau des constatations. Nous voudrions donc terminer en soulignant qu’il serait intéressant d’examiner ce phénomène, d’une manière plus approfondie, au niveau des classes sociales d’une ville par exemple. Les comportements démographiques en dépendent en effet très $Ouvent et leurs liens avec « l’économique » y seraient plus nettement décelables. Mais il fallait bien aller d’abord au global.

Populations Légales des départements du NORD et du PAS-de-CALAIS

TAUX d’ACCROISSEMENT de la Populations des Arrondissements de 1801 à 1911

MOUVEMENT NATUREL DE LA POPULATION DU DEPARTEMENT DU NORD

Taux bruts de Natalité et de Mortalité du Département du Nord

Pyramides des âges de la Population du Nord de la France au recensement de 1851

Migrations apparentes de population dans les Département du Nord au XIXe siècle