1951-1958. La TEAL organise une ligne régulière Auckland-Papeete

1Avec la TEAL (Tasman Empire Airways Limited), nous passons dans cette étude des documents d’archives aux souvenirs personnels, du récit historique aux aventures vécues.

2En 1957, – il y a de cela seulement 15 ans ! – au temps des moteurs à piston, le Français à destination de Tahiti s’embarquait à Orly et, après une ou deux escales techniques à Shan- non ou Gander, atterrissait à New York. Par vent favorable, c’était alors San Francisco d’une seule traite. Là, une fois reposé, il gagnait Fidji par Honolulu (nouvelle nuit de repos) et Canton Island. Il s’agissait alors de faire par un autobus cahotant les 150 kilomètres de route poussiéreuse qui séparent Nandi de Suva où l’on rejoignait l’hydravion de la TEAL venu d’Auckland. C’était la célèbre « Route du Corail » dont d’engageants prospectus colorés vous vantaient les charmes exotiques. Encore une nuit à Fidji et l’on repartait vers Samoa et les îles Cook, les deux dernières escales sur la route de Tahiti. Cet itinéraire zigzagant vous faisait passer deux fois la ligne de date, si bien qu’on ne savait plus du tout si l’on était le matin ou le soir, la veille ou le lendemain.

3Si mes souvenirs sont exacts, la TEAL ne volait pas de nuit. On devait donc une fois encore coucher à terre. Sûrement pas à Akaiani, îlot inhabité de l’admirable lagon d’Aitutaki. Le stewart nous dira là-bas : « Aucune boutique... Vous ne trouverez rien à acheter... On peut vous offrir un thermos de thé ou une limonade... C’est tout... Mais vous avez le temps de prendre un bain. » C’est sans doute dans un hôtel d’Apia qu’on devait passer la nuit. Samoa était alors en pleine ferveur pro-hibitioniste et la consommation des boissons alcoolisées strictement interdite. L’archipel était signalé dans les guides par une théière et une tasse, placée à côté d’une bouteille de whisky frappée d’une croix. Cependant les passagers étaient discrètement avertis qu’un club local s’entrouvrait volontiers aux personnes en transit et acceptait des voyageurs apportant avec eux des flacons « personnels et entamés » !

4L’arrivée dans le lagon de Papeete avait lieu dans l’après-midi. On amerrissait sur la piste mouvante, entre la ceinture de corail et le quai rempli de goélettes et de yachts. Sitôt la cabine ouverte, un Tahitien apparaissait muni d’une bombe avec laquelle il vaporisait à l’intérieur de l’appareil je ne sais trop quel produit désinfectant. Il s’agissait de protéger le territoire de l’invasion du « rhinocéros », un insecte prédateur qui ravageait alors, et ravage toujours, les cocoteraies de Samoa et dont l’agriculture locale redoutait la venue. Cette opération menée à bien, un à un nous prenions place dans une vedette, qui nous conduisait au quai où nous attendaient nos amis. On avait quitté la France depuis cinq ou six jours. L’appareil apportait également le courrier aérien. Il repartait quarante-huit heures plus tard.

5Pour autant qu’il m’en souvienne, la ligne était fort bien rodée et rien n’y sentait l’improvisation. On respectait les horaires et le personnel du bord, entièrement masculin, se montrait parfaitement stylé. J’ai vu un stewart aller tout naturellement, et sans tiquer, chercher une autre bouteille de vin à un passager vétilleux qui avait trouvé un peu de bouchon dans son verre !

6La TEAL avait une grande expérience dans l’exploitation des hydravions. Elle avait peu à peu prolongé cette ligne d’Auckland jusqu’à Nouméa, Fidji, Samoa et les îles Cook. La première liaison vers Tahiti datait du 27 décembre 1951. Ce vol inaugural avait naturellement donné lieu à une émission d’enveloppes « premier jour ».

7Les avions employés étaient des Sunderland – sans doute le Short S. 45 A Soient, – la version civile du Seaford flying boat, un appareil commandé en grande série durant la seconde guerre mondiale par l’aéronautique britannique à la plus vieille firme anglaise, Short Brothers & Harland, spécialisée dans les hydravions à coque de métal.

8C’était un hydravion dont la guerre avait prouvé l’incroyable robustesse. Il s’était alors sorti de difficultés effarantes, volant avec des blessures mortelles ou décollant sur des mers déchaînées. La paix revenue, la BOAC lui avait fait confiance ainsi que la TEAL, qui lui commandèrent bon nombre de ces appareils pour leurs liaisons maritimes à grande distance. Equipé de Bristol-Hercules de 14 cylindres à refroidissement par air, cet hydravion à coque était un monoplan quadrimoteur portant sous ses ailes deux flotteurs latéraux de stabilisation. Percée de hublots, énorme et ventrue, sa coque était divisée intérieurement en deux ponts. Tout à ! avant, on trouvait la cabine de pilotage avec deux sièges côte à côte pour les pilotes et les places du radio, du navigateur et du mécanicien. Puis venaient deux compartiments destinés aux passagers et un bar. L’étage inférieur comportait trois compartiments de passagers et les commodités. La version qu’il m’a été donné d’utiliser comportait une trentaine de passagers. L’appareil pouvait décoller avec 34 tonnes et avait un rayon d’action de 3 700 km1.

9Cette « Route du corail » allait ainsi, deux fois par mois et pendant plusieurs années, être le seul lien régulier et « rapide » entre la France et Tahiti. Le voyage durait pourtant 5 ou 6 jours, si tout allait bien.

10Ce privilège devait durer jusqu’en 1958, date de la réouverture de l’aérodrome de Bora Bora et des premiers vols de la TAI, Nouméa, Nandi, Bora Bora2.