Conclusion
p. 155-156
Texte intégral
1Nos rapports avec Londres et le Chef des Français libres étaient en effet très ténus. Après avoir salué d’une phrase chaleureuse notre ralliement à la cause qu’il incarnait, le Général de Gaulle nous avait confiés à la tutelle des Dominions voisins. Que pouvait-il faire d’autre ?
2Son dénuement dans une capitale étrangère, au milieu d’un peuple engagé dans une épreuve dont dépendait son existence même, était total. Sans assise juridique, ni pour son mouvement ni pour sa propre personne, condamné et diffamé par le Gouvernement « légal » de la France, attaqué de l’intérieur par des adversaires autrement plus puissants que les nôtres, comment aurait-il pu nous aider davantage ?
3Sollicité par trop de tâches que le petit nombre de ses collaborateurs compétents ne suffisait pas à embrasser toutes, il devait parer au plus pressé, s’attacher aux problèmes les plus graves. Or, parmi ceux-là, ne pouvait se ranger la situation dans le Pacifique en cette fin d’année 1940.
4Alors que commençait ce sombre hiver, pendant lequel « les Anglais tendus et mélancoliques, assiégés dans leur île,... se sentaient au plus noir du tunnel », les soucis ressentis aux antipodes, dans ces îles fortunées baignées d’un printemps perpétuel, par un petit groupe d’amis soutenus par une population insouciante et généreuse, ne méritaient en effet guère plus d’attention qu’il ne leur en était accordée.
5Une liaison directe, si elle eut été possible, aurait permis aux hommes qu’animait une même foi, de se mieux comprendre, aux responsables de mieux apprécier les situations locales. Mais, lettres1 et rapports mettaient des semaines à parvenir à destination2, et il fallut attendre des mois avant que Jean Gilbert, gagnant l’Angleterre avec ses marins, établisse ce premier contact. Portée par lui, ma première lettre parvenue au Conseil de Défense de l’Empire devait, selon le Commissaire qui en fit la lecture, « faire monter des larmes d’émotion aux yeux de ses collègues ! » Plus réservé et moins émotif, le Général me faisait répondre, le 4 mai 1941 : « Nous réalisons à quel point votre tâche fut ardue ainsi que celle des fonctionnaires qui ont été vos collaborateurs ».
6D’ailleurs, le Général était, à ce moment, entièrement absorbé par la situation au Moyen-Orient et l’action qu’il fallait y mener pour que le Levant fût à la fois fermé aux Allemands et coupé de Vichy, sans que le leadership britannique soit instauré à Damas et à Beyrouth aux dépens de la France.
7Aussi était-il raisonnable qu’il envoie, comme le lui suggérait Sautot, un chargé de mission en qui il eut toute confiance pour nous apporter sa pensée et l’informer de la situation exacte dans une région du monde qui ne serait pas longtemps pacifique.
8Son choix se porta sur le Gouverneur général Brunot dont il devait plus tard écrire que, au Cameroun, en 1940, « éperdu par la conjoncture, il refusait de prendre parti » — ce qui allait justifier l’intervention de Leclerc, l’éviction de Brunot et son transfert à Londres.
9En quelques semaines, muni de pleins pouvoirs extorqués au Conseil de Défense de l’Empire, exploitant les intérêts les plus mercantiles, suscitant les intrigues les plus viles, commettant les pires excès, ordonnant des dizaines d’arrestations arbitraires dictées à son imagination délirante par une peur animale... et par les tables tournantes de Walker, Brunot allait déchaîner les passions et compromettre l’équilibre intérieur, encore précaire, d’un petit pays plein de bonnes intentions.
10Mais ceci est une autre histoire !
11Le Général de Gaulle la résume en ces quelques lignes : « Dès le printemps de 1941, j’avais cru bon d’y envoyer en inspection (en Océanie) le Gouverneur général Brunot, devenu disponible depuis que Leclerc avait rallié le Cameroun. Mais Brunot s’était heurté, souvent avec violence, à des fonctionnaires qui lui imputaient non sans apparence de raison, l’intention de s’installer lui-même à leur place avec ses amis. Papeete avait été le théâtre d’incidents tragi-comiques. On y avait vu le Gouverneur, le Secrétaire général, le Consul d’Angleterre, mis en état d’arrestation par ordre de M. Brunot, tandis qu’à Nouméa le Gouverneur Sautot exhalait sa méfiance à l’égard de l’inspecteur ! »
12Sans doute « l’affaire Brunot3 » mériterait-elle sur le plan anecdotique une étude plus détaillée, et une analyse moins sommaire sur le plan humain.
13La conclusion en fut, après un « jugement public », quatre mois de détention au secret et d’épreuves partagées par de nombreux amis — ceux que je connaissais et d’autres qui se révélèrent à cette occasion — la dislocation complète de la petite équipe qui, fraternellement unie, avait amené à la France Libre les Établissements français d’Océanie, et sa dispersion dans un monde bouleversé où chacun allait connaître des fortunes diverses avant de se retrouver, mûri par ces années de guerre, dans une France enfin libérée.
Notes de bas de page
1 Note annexe n° 29.
2 C’est ainsi que je recevais le 5 juin 1941 une réponse datée du 29 avril à une lettre du 15 février ; toute la partie opérative de cette réponse se résumait à ceci : « je comprends que vous devez rencontrer bien souvent des difficultés graves et je vous félicite de la vaillance avec laquelle vous les surmontez ! »
3 Pièces annexes nos 31 et 32.
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