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Tahiti 40

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Émile de Curton

Tahiti terre française libre

Politique locale

Texte intégral

1Sur le plan politique, il l’a été, incontestablement, malgré quelques inévitables bavures.

2En affirmant qu’aucune direction politique partisane ne serait suivie, je m’adressais aussi bien — et peut-être davantage — à mes amis qu’à nos adversaires.

3De fait, dès le lendemain de ma prise de service, Etienne Davio, au nom du groupe communiste, venait me confirmer les déclarations qu’il avait faites, dès le 4 septembre, « pour rassurer les personnes qui se sont émues de voir parmi le service d’ordre, le jour du ralliement, des hommes réputés pour avoir des opinions politiques qualifiées d’« extrêmistes », comme pour ôter tout motif de dérobade aux soi-disant Français qui ne cherchent que des prétextes pour refuser leur adhésion au mouvement de la France Libre ».

4Ces déclarations étaient très nettes :

5« Quelques amis et moi, écrivait Davio, avons spontanément adhéré au mouvement de Gaulle à Tahiti sans qu’ait été agité entre nous à cette occasion la question des préférences politiques de chacun. Parce que nous considérons tous que le bien le plus sacré de l’homme, sa liberté, se trouve aujourd’hui menacé.

6En ce qui me concerne personnellement, et sans rien abdiquer de mes convictions politiques, j’estime qu’actuellement tous les vrais Français, sans distinction de partis et de tendances, doivent se retrouver groupés dans le mouvement de la France Libre. J’estime aussi qu’il serait d’un fou ou d’un criminel d’essayer actuellement de détourner ce mouvement de son but en raison de préférences politiques quelconques. Je suis communiste et un communiste conséquent est exactement le contraire d’un fou ou d’un criminel.

7Lorsque nous avons été informés que la remise du plébiscite au Gouverneur par le Comité de Gaulle pouvait comporter des risques de troubles provoqués par les éléments fascistes de Tahiti et que la sécurité des chefs du mouvement pouvait être menacée, nous avons considéré qu’il était de notre devoir de Français d’assumer ces risques plutôt que d’en laisser la charge aux Tahitiens. Nous nous sommes donc offerts spontanément pour assurer l’ordre public et, au besoin, la protection personnelle de chefs qui méritent l’estime et la confiance de tous.

8Je réitère de la façon la plus catégorique, tant en mon nom personnel qu’en celui de tous nos camarades qui ont bien voulu nous seconder dans notre aide au Comité de Gaulle que notre geste a été et reste exempt de tout esprit de tendance, de préférence ou de but politique ».

9Et le porte-parole du groupe communiste concluait : « Nous avons tenu aussi un peu à montrer à nos camarades tahitiens que, lorsque la liberté est en danger, tous les Français ne sont pas des capitulards ».

10Cette attitude de stricte neutralité politique ne s’est jamais démentie et si, plus tard, le Parti communiste français estima que j’avais été peut-être moins « social » que je n’aurais pu l’être, je dois dire qu’aucune difficulté ne m’est venue, à Tahiti, du groupe de militants communistes qui avaient, sans réticences et sans arrière-pensées, prêté leur concours au ralliement.

11De même, et dès que mon allocution lui eut été traduite, un des membres les moins bien connus du Comité France Libre — et qui allait donner beaucoup de mal à ceux de mes successeurs dont les brimades ne réussirent qu’à exacerber son sentiment nationaliste, sans jamais fléchir son indomptable détermination — Pouvana a Oopa, vint me dire : « Taote, tu es maintenant le Tavana Rahi, le Gouverneur, et, comme tu l’as bien dit : on commence la guerre et quand on fait la guerre on ne doit pas penser à autre chose. Moi, tant qu’il y aura la guerre, je ne penserai pas à autre chose ! » Lui aussi tint fidèlement cette promesse, qu’il me faisait spontanément et à titre individuel.

12Collectivement, le Comité « France Libre », réuni solennellement dans la salle des délibérations de la mairie comme au jour du ralliement, constatait que, les objectifs qu’il s’était fixés le 2 septembre étant atteints, il n’avait plus de raison d’être. En conséquence, il décidait de disparaître en tant que comité d’action et de laisser la place à une « Ligue de la France Libre » qui cessa d’ailleurs bientôt d’intervenir dans la vie officielle de la Colonie pour ne conserver qu’un rôle épisodique et une valeur historique.

13Quant à ce qui restait de nos adversaires, il est évident qu’ils n’allaient pas nous faire part de leurs intentions. Mais ils semblaient avoir pris conscience de leur faiblesse et de leur impuissance.

14Si, le 18 septembre, ils s’étaient sentis capables de renverser en leur faveur une situation encore instable, la réaction provoquée par leur tentative avortée de « coup d’état » leur avait démontré la réalité de trois données jusqu’alors sous-estimées : la cohésion du comité « France Libre », le soutien populaire au mouvement de ralliement, l’efficacité des groupes de volontaires.

15L’expulsion de Alain et de Breuhl, le départ de Gerbault pour Timor, celui de Rusterholtz pour l’Indochine, l’éviction d’Ardant et de Broche, l’internement des ressortissants allemands et italiens — libérés par de Géry au lendemain de l’armistice — avaient considérablement éclairci leurs rangs. Et, si des îlots de « résistance » subsistaient encore — aux télécommunications et parmi les médecins militaires, chez les magistrats et à la gendarmerie — il était vain de leur part d’escompter qu’une action de quelque importance puisse être organisée.

16Néanmoins, le docteur Florisson, que suivait avec quelque dilettantisme le docteur Cassiau, se manifestait par des incidents déplaisants qu’amplifiait, il faut le souligner, l’imagination troublée d’Isaac Walker. Inondant le gouvernement de lettres anonymes, dénonçant chaque mois à son beau-frère, Monsieur Ahnne, quelque complot illusoire dont il était prévenu… par les tables tournantes, Walker nous obligeait à plusieurs reprises à des mesures de précaution ridicules et parfois dangereuses.

17Or, s’il était possible de mettre un terme aux activités de harcèlement de Florisson et Cassiau — ce qui fut fait par leur éloignement temporaire à Maupiti — il était difficile de juguler les ardeurs intempestives du frère de Madame Ahnne, citoyen britannique de surcroît, et ce n’est que lorsqu’elles eurent atteint leur paroxysme — l’occupation du Consulat de Grande-Bretagne en mai 1941 — que nous pûmes le considérer comme disqualifié et le mettre, provisoirement du moins, hors d’état de nuire.

18Les « bleus », d’autre part, mis en vedette par ces alertes dérisoires, avaient tendance à se constituer en véritable milice.

19Nous en comprenions le danger. Mais les efforts que nous faisions, Ravet et moi, pour limiter leurs interventions « spontanées » et empêcher que soient violées les libertés individuelles n’étaient guère encouragés par l’attitude de la justice et de la police dont la passivité s’était érigée en système.

20Néanmoins, dans l’ensemble et au prix de quelques illégalités mineures — regrettables certes et souvent inutiles — l’ordre ne fut jamais sérieusement troublé, ni par nos partisans, ni par nos adversaires : la stabilité politique de la Colonie put être assurée… sans faire de politique.

21Encore faut-il souligner, avant de clore ce chapitre, que les quelques difficultés rencontrées dans ce domaine furent toujours le fait d’Européens et jamais de Tahitiens : la population dite indigène, administrée désormais par Marcel Sénac, ne donna jamais lieu à la moindre préoccupation ni à Tahiti, ni dans les Archipels. C’est pourtant elle qui supportait l’essentiel des difficultés économiques et de l’effort militaire.

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