LE MATÉRIEL LITHIQUE

1De par son origine ancienne liée au Gondwana, la Grande Terre calédonienne a une géologie complexe. La diversité des types de pierres charriées par les rivières n’a pas dû échapper aux premiers Austronésiens qui découvrirent les estuaires de l’île il y a trois mille ans. Certaines roches paraissant propices à la production d’outils étaient présentes en abondance à proximité des rivages. D’autres avaient leur source géologique dans l’intérieur des terres, incitant probablement, dès l’installation des camps de base, à remonter certaines vallées. Les vestiges lithiques de cette activité se retrouvent nombreux dans les collections de fouilles et en ramassages de surface sur les sites Lapita de la Grande Terre. Leur présence en nombre plus limité aux îles Loyauté, de formation essentiellement calcaire, est l’indication matérielle de l’existence d’échanges entre les groupes de premier peuplement de l’archipel.

2Bien que le sujet ait été abordé de façon générale dans un mémoire universitaire dès les années 1980 (Cayrol, 1982), les premières recherches de fond sur l’outillage lithique de l’archipel n’ont débuté que dans les années 1990, avec un travail de synthèse sur deux collections archéologiques réalisé par Hubert Forestier (1994, 1996), puis par une première étude ciblée sur une partie des collections de la localité WKO013A du site de Lapita et du site NKM001 de Boirra (Forestier, 1999). L’apport principal de cette série d’études fut de montrer l’existence d’une tradition de débitage discoïde (photo 78), permettant « l’utilisation de près de 100 % du volume initial » du nucléus (Forestier, 1999 : 351). Au cours des dernières années, une étude plus complète et détaillée a été menée par Louis Lagarde (2004) sur les collections lithiques issues des sites Lapita de l’archipel fouillés récemment. Le texte qui suit s’appuie en partie sur ces résultats (Lagarde et al., 2006) pour tenter une synthèse générale sur le sujet.

Les éclats

3Les outils sur éclat découverts dans les sites Lapita calédoniens ont, dans leur grande majorité, été extraits de roches sédimentaires siliceuses. Suivant le contexte géologique propre à chaque site, les premiers groupes austronésiens ont favorisé l’utilisation d’un type particulier de roche ou ont, au contraire, varié leurs choix. Sur la localité WKO013A du site de Lapita, la très grande majorité des éclats provient d’une forme de radiolarite, le jaspe, de couleur rouge-brun ou noir, abondant dans la région de Foué (Lagarde, 2004 : 16). A Nessadiou, c’est une autre roche siliceuse localement plus abondante de couleur grise, la phtanite, qui compose près de la moitié de la collection (Lagarde, 2004 : 44). La tendance à utiliser de façon préférentielle la phtanite s’accentue plus au sud (Forestier, 1996). Différentes expérimentations ont montré, qu’en moyenne, seul le tiers central de blocs siliceux présents sur la Grande Terre est propice à l’obtention d’éclats tranchants, la partie superficielle étant systématiquement micro-fissurée et/ou diaclasée (Forestier, 1994). Par ailleurs, les études typologiques ont permis d’identifier à proportion globalement identique des nucléus de type conique, biconique ou polyédrique, de taille comprise entre moins de 3 cm et plus de 6 cm de longueur maximale dans quelques rares cas (Lagarde, 2004 : fig. 9) (fig. 120). L’analyse des surfaces d’enlèvement a mis en lumière l’utilisation d’une technique de débitage principalement centripète ou discoïde, comme en témoignent également les éclats à l’axe morphologique décalé par rapport à leur axe de débitage.

« La production était orientée vers une fabrication de supports en grande quantité, sans prédétermination et sans préparation de plan de frappe. » (Lagarde, 2004 : 24)

4Deux ensembles majeurs d’éclats, issus de la même chaîne opératoire et comportant souvent la trace de retouches par percussion, étaient extraits de ces nucléus. Le premier ensemble est composé d’un macro-outillage, globalement quadrangulaire, de taille moyenne dépassant 3 cm, qui servait à la réalisation de racloirs, de denticulés, de coches et de gravers (Lagarde, 2004 : 27-28) (fig. 121). Le deuxième ensemble est défini comme un micro-outillage. Les éclats de petite taille en forme générale de perçoirs de section rectangulaire représentent, à eux seuls, près de la moitié des éclats inventoriés.

« Les retouches continuelles et l’absence de talon sur ces micro-outils illustrent une constante volonté de réfection, donc une utilisation prolongée et répétée de ceux-ci. [...] Ils se décomposent en micro-épines, micro-couteaux, micro-denticulés, de micro-racloirs et perçoirs proprement dits. » (Lagarde, 2004 : 29-30) (fig. 122)

5Ces derniers sont utilisés pour perforer les parures, en s’appuyant en particulier sur des plaques de roche (Sand, 1996b : fig. 37) ou des chutes de coquillages (Sand, 1996a : fig. 79). La longueur de certaines pièces, ainsi que les données sur les perles perforées, montrent une bonne maîtrise technique du perçage, atteignant parfois près d’un centimètre de profondeur (Sand, 1996a : fig. 79). Bien qu’aucun autre élément de perçoir n’ait été mis au jour, il est possible que le perçage soit fait grâce à un outil muni d’un volant (cf. photo 99a : 188) (cf. Frimigacci et Vienne, 2003 : 20 pour un exemple régional).

6En l’absence de données numériques comparatives sur le matériel issu des sites NKM001 de Boirra et WBR001 de Nessadiou, fouillés dans les années 1970-1980, il est difficile de définir si la présence statistiquement importante d’éclats débités sur la localité WKO013A du site de Lapita est due à une spécialisation propre au site. Les résultats obtenus sur quelques sondages ouverts à Nessadiou en 1995 (Sand, 1996a : 96 ; Lagarde, 2004 :43-44) semblent montrer que, probablement, la majorité des grands sites de cette période sur la côte Ouest de la Grande Terre, se caractérisaient par une production abondante d’outils taillés. De façon significative, la présence d’un micro-outillage n’est apparue que grâce à un tamisage à maille fine, à l’eau, des sédiments des sites Lapita fouillés au cours de la dernière décennie. Il est donc probable qu’un outillage de même type ait existé dans les sites fouillés plus anciennement mais n’ait pas été reconnu. Par contre, il apparaît que l’absence de macro-outillage sur les sites éloignés de bonnes sources de matière première, en particulier à l’île des Pins et aux îles Loyauté, soit directement liée à une recherche d’optimisation des pièces importées dans le cadre d’échanges avec la Grande Terre. Les pièces retrouvées sur ces sites ne montrent aucune différence typologique, indiquant qu’il existe un même mode opératoire d’extraction pour l’ensemble de l’archipel.

7Très peu d’autres types de roches semblent avoir été utilisés durant la période Lapita. Quelques éclats de calcédoine, de quartz/cristal de roche (photo 79) et de grauwacke ont été inventoriés sur le site de Lapita, ainsi que de la radiolarite de couleur verte à Saint-Maurice-Vatcha. L’existence de quartz/cristal de roche, présent géologiquement principalement dans le nord de la Grande Terre (bien que signalé dans certaines vallées du sud-est) sur des sites aussi éloignés que Saint-Maurice-Vatcha à l’île des Pins (Sand, 1996a, 1999d : 318), est une indication indirecte de la remontée de certains groupes, en exploration, vers l’arrière des grandes vallées alluviales, ceci dès les premiers temps d’implantation. En effet, la grande majorité des rognons de cristal de roche présents dans les sédiments d’estuaires, sont trop petits pour être taillés, ce qui nécessite de remonter aux sources géologiques, localisées souvent à plusieurs kilomètres des bords de mer.

8Une place particulière doit être donnée à l’obsidienne, une roche absente de l’archipel calédonien mais présente sous forme d’éclats dans au moins deux sites de premier peuplement, WKO013A de Lapita et KVO003 de Saint-Maurice-Vatcha. Les études pétrographiques de ce verre volcanique ont permis d’identifier la source comme étant Kutao-Bao, sur la péninsule de Talasea en Nouvelle-Bretagne (archipel Bismarck), à près de 3 000 km de navigation de l’île des Pins vers le nord (Sand et Sheppard, 2000) (carte 12). L’étude typologique a montré qu’une partie des éclats était apparemment des chutes provenant d’un débitage. Néanmoins, deux éclats sont de type gravers, avec une pointe latérale (photo 80), venant se classer dans une catégorie d’outils également identifiée sur des sites Lapita des Reef/Santa Cruz (Sand et Sheppard, 2000). De façon intéressante, une série d’outils de même type a été identifiée sur un support en jaspe (cf. fig. 121 : 170), indiquant un possible transfert de type d’outillage sur un matériau lithique local (Lagarde, 2004 : 28).

Les herminettes

9Contrairement aux éclats, relativement peu d’herminettes complètes ont été mises au jour lors de fouilles. Dans la majorité des cas, il s’agit de fragments provenant d’exemplaires cassés, comportant encore une face polie. Tous les exemplaires découverts dans les niveaux stratigraphiques profonds se caractérisent par une section lenticulaire à bords linéaires (fig. 123). Deux ensembles typologiques peuvent être différenciés, dont l’un semble péricliter rapidement et le second évoluer au cours du temps. Le premier se compose d’exemplaires courts, dont la longueur ne dépasse pas le double de la largeur en moyenne. Leur section est plate, presque rectangulaire, et leur face proximale comporte un biseau simple (fig. 124). Ils semblent surtout être présents dans les couches les plus anciennes. Les pièces les plus petites, mesurant pour certaines moins de 5 cm de longueur maximale (fig. 125), avaient peut-être vocation à servir d’outils de sculpture. Le second ensemble est formé d’herminettes allongées, dont la longueur dépasse de plus de trois fois la largeur en moyenne (fig. 126). Elles ont une section ovoïde plus enflée, avec des bords latéraux moins marqués ainsi qu’un biseau plus large. Bien que le polissage soit toujours de haute qualité, il doit être noté la présence régulière de stigmates, probablement liés au processus d’extraction et de façonnage. Certaines herminettes étaient échangées jusqu’aux îles Loyauté (Sand et al., 2002 :139).

10Il doit être souligné que l’immense majorité des herminettes anciennes en pierre ayant conservé leur forme ainsi que les fragments cassés sont issus d’une roche siliceuse au reflet verdâtre, de la famille des radiolarites. La préférence marquée pour une roche verte comme matériau poli est une constante de l’ensemble culturel Lapita, de l’archipel Bismarck jusqu’en Polynésie occidentale (Green, 1991 : 300-3 02)1. La couleur verte devait être porteuse d’un sens symbolique particulier pour les communautés austronésiennes, incitant les groupes Lapita à rechercher, dans chaque nouvel archipel découvert, des roches ayant cet éclat, propices à l’emploi. Contrairement aux chutes de taille de jaspe et de phtanite présentes en nombre dans les remplissages archéologiques, aucun témoin de débitage et de taille de blocs de radiolarites n’a été identifié à ce jour. Bien qu’aucune source d’extraction n’ait encore été localisée, les données géologiques indiquent que des affleurements de radiolarites vertes sont présents en différents points de la côte Ouest de la Grande Terre. L’approvisionnement en pierres vertes nécessitait donc de quitter, pour quelque temps, le hameau de bord de mer. L’absence complète de gros éclats de débitage sur les sites fouillés peut indiquer que les blocs à partir desquels étaient extraites les herminettes étaient préparés ailleurs, probablement à la source géologique servant de carrière. Ce point laisse penser que celle-ci se trouvait relativement loin des lieux d’habitat. Quelques chutes interprétées comme des préformes en cours de préparation, cassées avant la phase de polissage, ont été découvertes sur la localité WKO013A (photo 81). Elles portent des traces de percussion marquées sur les biseaux, indiquant une préparation par bouchonnage. La présence d’outils allongés et polis sur la localité WKO013A du site de Lapita permet, pour la première fois, d’émettre l’hypothèse de l’existence d’une deuxième technique d’extraction de ces préformes. En effet, ces outils ressemblent grandement à ceux utilisés par exemple par les Maori de Nouvelle-Zélande pour extraire, par abrasion, les grandes herminettes en jade à bords coupés (Beck, 2002 : 106-109). La présence de bords coupés droits ou à deux pans sur la majorité des herminettes Lapita serait ainsi liée directement au mode de production, les lames étant extraites de blocs par polissage de deux rainures parallèles. Les herminettes quadrangulaires plates étaient selon toute probabilité extraites de plaques de radiolarites naturellement fines, l’épaisseur de l’outil étant partiellement dépendante des possibilités offertes par le matériau brut.

11Seule l’absence d’autres matières premières facilement disponibles pouvait inciter, dans certains cas, à tailler des éclats cassés d’herminettes en outil, comme cela a pu être observé sur le site KVO003 de Saint-Maurice-Vatcha (Lagarde, 2004 : 42). Il est possible de conclure de cette présentation des données, que la réalisation des herminettes polies devait être entourée d’une série de règles et d’obligations, peut-être aussi complexes que celles connues ethnographiquement en Mélanésie au cours des derniers siècles (Pétrequin et Pétrequin, 1993 ; Hampton, 1999). Ceci devait conférer aux plus belles pièces une force symbolique importante. Cette hypothèse est soulignée par la découverte, sur la localité WKO013B du site de Lapita, d’une herminette d’une longueur inhabituelle (28,5 cm de longueur sur 7,5 cm de largeur maximale), parfaitement polie, sans marques ni éclats apparents d’utilisation (fig. 127). Il est peu probable que cette pièce ait été un jour utilisée comme outil de taille. Tout la rapproche par contre des types d’herminettes cérémonielles connues traditionnellement dans de nombreuses sociétés océaniennes, aussi bien en Mélanésie qu’en Polynésie.

12Il reste à souligner qu’en s’installant sur la Grande Terre calédonienne, les groupes austronésiens touchaient probablement la première terre comportant une forme de jade (néphrite) depuis Taiwan (Hung, 2005 ; Hung et al., 2007). Pourtant, malgré l’abondance naturelle de blocs tendres de serpentine d’une jolie couleur verte veinée dans les lits des rivières et de semi-néphrites, celles-ci, d’après les données archéologiques, n’ont commencé à être utilisées comme matière première pour les herminettes que longtemps après la fin de la période Lapita (Sand, 2001c : 78). De même, alors que plusieurs types de perles en pierre ont été produits durant la seconde partie de la chronologie calédonienne (Sand, 2001c : 80), aucune parure lithique n’a été découverte à ce jour en contexte Lapita. Apparemment fascinés par la qualité des roches siliceuses découvertes sur la Grande Terre, les groupes austronésiens ne s’attardèrent pas à expérimenter d’autres roches et s’attelèrent à adapter leurs techniques lithiques aux différents types de radiolarites locales. Ceci a engendré, à la fin de la période Lapita, la production d’herminettes de plus en plus allongées et ovoïdes, progressivement fabriquées dans des phtanites grises (Sand, 2001c : 78) : un autre support des symboliques ancestrales Lapita, tourné autour de la couleur verte des pierres, s’estompait alors.

Percuteurs, polissoirs et broyeurs

13Les ramassages de surface et les fouilles ont permis de rassembler une série importante d’outils lithiques liés à des activités domestiques. Il s’agit principalement de percuteurs, de polissoirs et de broyeurs. Les types de roches sont variés, allant de pierres siliceuses à des galets de péridotites, bien qu’apparaisse, logiquement, un choix préférentiel d’un matériau granuleux pour certains outils comme les polissoirs.

14Les percuteurs sont des blocs de forme généralement arrondie, comportant des traces d’écrasement sur plusieurs de leurs arêtes (photo 82). Si les exemplaires dépassant 10 cm de longueur maximale, de section souvent ovale, sont les plus nombreux, il faut noter également la présence de petits galets de section plus ronde, d’un diamètre moyen autour de 3 cm. Malgré l’utilisation préférentielle de pierres dures, rares sont les gros exemplaires entiers, indiquant une activité répétée et violente, ayant fini par fragiliser la masse. Par comparaison ethnographique, il est possible d’émettre l’hypothèse que ces percuteurs étaient utilisés, par exemple, pour le calfatage de pirogues (Sand, 1996b : 43) ou comme masses dans les processus de préparation des éléments végétaux pour la construction des cases. Les galets de plus petite taille ont pu, quant à eux, être utilisés comme percuteurs mobiles pour la préparation d’éclats ou comme enclumes lors de la fabrication des poteries.

15Les artisans Lapita ont utilisé un nombre varié de polissoirs, en choisissant, suivant leurs besoins, des roches dures ou tendres, sans qu’il apparaisse possible à ce stade d’identifier une corrélation claire entre taille et résistance. Le type de polissoir le plus original est composé d’outils allongés de section arrondie, avec des extrémités rondes ou appointées (photo 83). Certains se singularisent par la présence d’une rainure centrale piquetée, favorisant peut-être la prise. Ces polissoirs étaient probablement utilisés en particulier pour l’extraction des herminettes, ainsi que dans la confection de bracelets en coquillages. Les autres polissoirs sont de type plus classique sur galets, avec une ou plusieurs faces planes (photo 84). Une grande diversité de taille (de moins de 3 cm à plus de 15 cm de diamètre) et de dureté de roches est identifiable, allant des galets de gabbro durs aux plaques tendres extraites de pierres ponces ou d’une sorte de tuf indéterminé. Toute une série de plaques de schiste de petite taille, naturellement aplanies et fines (photo 85), a été inventoriée à Lapita et Nessadiou : leurs tranchants servaient peut-être de limes. À Saint-Maurice-Vatcha, ont été notés de très petits polissoirs en grès, totalement usés (Szabo, com. pers., 2000). Un objet à ce jour totalement absent des collections calédoniennes, est le polissoir rainé de plusieurs sillons en demi-lune, pourtant présent dans les sites Lapita orientaux tardifs (Poulsen, 1987 : plate 78 [3-4] ; Sand, 1993 : fig. 15).

16Les broyeurs sont difficilement séparables des percuteurs. Ils comportent comme eux des arêtes marquées, bien que parfois avec une texture moins éclatée, comme si l’outil avait servi par exemple à écraser des végétaux. Le seul élément spécifique est la présence, sur certains objets, d’une cupule arrondie, pouvant dépasser 2 cm de diamètre (fig. 128). Celle-ci a été réalisée au centre de la partie plane de la pierre ou sur deux faces. Cette particularité permet de les interpréter comme des casse-noix, d’un type classique connu en contexte archéologique (Kirch, 1988c : 210) mais également par des données ethnographiques dans de nombreuses régions du Pacifique. De façon intéressante, les casse-noix à cupule semblent être quasiment absents des contextes culturels plus tardifs dans l’archipel (Sand, 2001c : 81).

Miscellanées

17Une série de vestiges lithiques, découverts dans les sites Lapita ou pouvant y être associés, ne semblent pas pouvoir être directement classés dans les parties précédentes ou demandent à être décrits de façon spécifique. Une pierre sans forme extérieure particulière, découverte à Lapita, comporte deux profondes cupules arrondies, de 4 cm de long et 1,5 cm de profondeur (photo 86a). La fonction de cet outil reste inconnue, bien que les cupules aient pu servir à appointer un bâton ou à arrondir des pierres. Sur le même site (Sand, 1996b : fig. 37), une petite plaque de moins de 4 cm de diamètre comporte deux petites cupules d’environ 4 mm de diamètre, peu profondes (photo 86b), résultant peut-être de l’utilisation d’un perçoir pour perforer des perles de coquillage.

18D’autres éléments minéraux semblent ne pas être liés directement à une activité manuelle. La curiosité simple face à une pierre brillante au beau reflet vert clair peut expliquer le transport de quelques fragments de nickel vert dans le site de Saint-Maurice-Vatcha (Sand, 1996a : fig. 195). Par contre, la découverte de plusieurs fragments de muscovite témoigne probablement d’une autre démarche. Cette roche est un type de schiste (William Dickinson, com. pers., 2002), se présentant en blocs peu compacts et formant, au grattage, une poudre scintillante. L’action de grattage est visible sur les fragments d’une certaine taille, dont une plaque concave et un bloc allongé de section arrondie (photo 87). Un de ces fragments polis de muscovite, découvert sur le site de Lapita, a été source géologiquement à la Grande Terre (Roger Green, com. pers., 2004). De façon intéressante, des fragments du même type de roche, mais provenant d’une autre source géologique, ont été découverts sur des sites Lapita des îles Reef/Santa-Cruz (Green, 1978b). Ceci indique l’existence d’une tradition régionale pour l’utilisation de formes de muscovite. Bien qu’il ne soit pas possible de définir l’utilité exacte de cette poudre brillante il y a trois mille ans, les comparaisons ethnographiques permettent d’émettre l’hypothèse d’une utilisation comme peinture corporelle lors de danses au cours de cérémonies collectives, ainsi que comme revêtement appliqué à d’autres supports, comme le bois ou les tapas par exemple. Il doit, par contre, être noté une absence totale de pilons façonnés, pourtant communs dans le nord de la Mélanésie (Swadling, 2004, 2005 ; Swadling et Hide, 2005) comme ustensiles de préparation de plats à base de pâte broyée. Cette méthode de préparation d’aliments ne semble jamais avoir été pratiquée de façon courante dans l’archipel.

19Un objet unique par sa forme a été découvert sur le site de Lapita. Il s’agit d’un bloc travaillé de 13,5 cm de long, comportant un « manche » de section ronde d’environ 30 mm de diamètre. Cette partie, apparaissant comme une prise, laisse place, à compter du milieu environ de l’outil, à un espace plus large, de section rectangulaire à quatre faces irrégulières partiellement polies (photo 88). Bien que la partie distale de l’objet soit apparemment cassée, la forme typologique fait immédiatement penser à un battoir, mais la roche employée, peu résistante, ne permet pas d’imaginer une utilisation répétée sur matériau dur. Structurellement, cet objet semble se rattacher à d’autres plaques taillées de formes étranges, signalées en plusieurs endroits de la Grande Terre (Leenhardt, 1930 : pl. xxvi), dont le positionnement chronologique et l’utilité restent, pour le moment, inconnues.

20Une dernière catégorie d’objets, les « pics à gorge », est intégrée ici, bien qu’aucun lien archéologique direct n’ait pu être établi à ce jour avec des niveaux Lapita. Ces pics allongés ont une forme unique, avec une section ronde, deux extrémités symétriques appointées et une rainure centrale marquée. Ils sont présents dans des collections ethnographiques du xix^e siècle et sont décrits principalement comme des objets magiques (Lambert, 1900 ; Boulay, 1990). D’après des informations orales, un fragment de pic à gorge aurait été découvert, en ramassage de surface, sur le site Lapita NKM001 de Boirra à Koumac (Menaouer, com. pers., 2004). Il doit être signalé pour information que le seul autre archipel où ont été produits des « pics à gorge » de même typologie générale est le Japon (Suzuki, 1981), bien qu’aucun lien historique et culturel direct n’ait jamais été établi entre ces régions géograpiquement très éloignées. A ma connaissance, aucun objet de même forme n’a été découvert ailleurs dans le Pacifique (mais voir aussi Specht, 2007b).

Conclusion

21Les différents travaux menés sur le matériel lithique montrent que les groupes Lapita s’installant pour la première fois dans l’archipel calédonien maîtrisaient parfaitement l’ensemble des techniques de travail de la pierre. La découverte, sur la Grande Terre, de roches siliceuses comportant de bonnes prédispositions pour la taille, a dû être une aubaine pour les artisans Lapita. Ceci leur permettait même de reproduire des types d’outils extraits jusque-là uniquement d’éclats d’obsidienne, comme les gravers à pointe (Sheppard, 1992 : 150). Cette volonté initiale de tenter de répliquer localement les traditions du bagage culturel Lapita, probablement dans le cadre d’un respect de préceptes et de règles symboliques, est tout particulièrement visible dans le choix préférentiel d’une roche de couleur verte pour la réalisation d’herminettes polies, suivant en cela une tradition dont il est peut-être possible de suivre la genèse jusqu’en Asie du Sud-Est. Le reste de l’outillage sur pierre, bien que lié à des activités souvent plus quotidiennes, s’insère également de façon générale dans la tradition culturelle régionale. Ces données archéologiques illustrent ainsi une réelle continuité dans la tradition de production lithique Lapita par les premiers groupes s’installant dans l’archipel. Par cet élément technologique est soulignée l’existence d’une structure culturelle forte au sein des groupes Lapita de premier peuplement, autour d’un système et de valeurs profondément enracinées dans un cadre social et cultuel élaboré.

LE MATÉRIEL EN COQUILLAGE

22Outre la spécificité immédiatement reconnaissable des vestiges céramiques, les sites Lapita ont depuis longtemps été identifiés comme renfermant souvent une quantité inhabituellement importante de vestiges coquilliers travaillés, principalement pour la production de parures : bracelets en cône, en bénitier ou en troca, perles de différentes formes, pendentifs, plaques percées, etc. (Green, 1979a : 39-40). Quelques synthèses ont permis de définir, dans leurs grandes lignes, les caractéristiques majeures de cette tradition (Smith, 1991 ; Green, 2000 : 380-382), en faisant en particulier apparaître une homogénéité régionale étonnante (Jephcoate, n.d. ; Kirch, 1997a : 236-238 ; Green, 2003). Des analyses plus anthropologiques, tentant de replacer ces données archéologiques dans un contexte social d’échanges, ont également été publiées (Kirch, 1990). Plus récemment, une thèse a regroupé la majorité des données disponibles sur le sujet (Szabo, 2004), en intégrant en particulier les deux principales collections Lapita calédoniennes, WKO013A de Lapita et KVO003 de Saint-Maurice-Vatcha. La synthèse proposée ici s’appuie sur mes études personnelles du matériel (Sand, 2001c : 81-85) et les conclusions de la thèse de Szabo. Les analyses menées sur les collections ont permis d’identifier une diversité dans les choix de certaines espèces entre les sites. Cette diversité, connue ailleurs dans la région (cf. Szabo et Summerhayes, 2002 : 97-98), est probablement en partie liée aux spécificités écologiques locales, suivant le type d’environnement marin proche de chaque site, mais devait également s’appuyer sur des préférences culturelles. Le déterminisme culturel peut être supposé par exemple pour le site de Lapita, où il apparaît que la majorité des coquillages transformés en parures a été collectée à distance de la baie de Foué. En effet, les environnements marins pouvant procurer les coquillages recherchés comme les cônes, les trocas ou les huîtres perlières n’existent pas à proximité immédiate du site (Szabo, 2004 :215).

Les outils

23Les recherches menées dans l’arc mélanésien ont montré l’existence, durant la période Lapita, d’une tradition bien établie d’outils en coquillage, en particulier en bénitier (Green, 2003 : tab. 4). Les données archéologiques calédoniennes ne reflètent pas cette observation, probablement parce que la richesse géologique de la Grande Terre permettait une focalisation sur de l’outillage lithique. À ce jour, un seul exemple de préforme d’herminette en bénitier (Tridacna sp.), extrait de la partie ventrue de la coquille, a été identifié avec certitude sur la localité WKO013A du site de Lapita. L’outil est de forme allongée, de 11 cm sur 4,5 cm maximum, avec une section quadrangulaire au talon (photo 90). D’autres pièces pouvant également correspondre à cette utilisation finale ont été identifiées sur les sites KVO003 de Saint-Maurice-Vatcha et LPO023 de Kurin, en particulier des fragments polis sur plusieurs faces, dont un présente ce qui apparaît être un tranchant (Szabo, 2001). L’utilisation de blocs comme nucléus, pour l’extraction d’éclats, est également apparente sur certains exemplaires (Smith, 1991 pour un exemple régional), avec même, à Saint-Maurice-Vatcha, ce qui pourrait être une lame en bénitier. Quelques vestiges semblent avoir servi de polissoirs (Sand, 1996a : fig. 63). Différents fragments taillés de bénitier ont été identifiés dans le matériel, mais sont probablement liés surtout au travail de préparation de parures.

24La seule autre forme d’outil apparaît être un type de gouge, extrait de la panse du cône. Un exemplaire répondant à cette caractéristique, comportant un tranchant bien marqué et des côtés polis, a été identifié sur le site de Saint-Maurice-Vatcha (Sand, 1996a : 84) (photo 90). Sur d’autres exemplaires possibles, il est difficile de différencier un tranchant volontaire d’une chute de préparation de bracelet. Enfin, une plaque volontairement taillée, probablement dans de l’huître, comporte une série d’indentations, ayant pu permettre son utilisation comme râpe (Sand, 1996a : fig. 72). Plusieurs fragments d’huîtres Pinctada sp. et de hognamon sp. portent des traces évidentes de polissage (Sand, 1996b : fig. 48) : celles-ci ont pu être réalisées afin de créer un tranchant et non comme chutes de production de perles ou peut-être d’hameçons. Il doit enfin être noté l’absence totale, à ce jour, de polissoirs en épines d’oursins crayons Heterocentrotus mammillatus (Kirch, 1988c : fig. 128 pour un exemple régional), ainsi que le peu de polissoirs sur corail identifiés dans les collections calédoniennes pour la période Lapita.

Typologie des parures

25À quelques exceptions près (Poulsen, 1987 ; Kirch, 1988d), les données disponibles sur le matériel coquillier présent dans les sites Lapita se sont réduites pendant longtemps à quelques illustrations et à des présentations préliminaires, dans le cadre d’articles généraux ou de descriptions dans des mémoires universitaires (par exemple, Best, 1984 ; Jephcoate, nd ; Smith, 1991 ; Bedford, 2006). Un certain nombre d’articles de synthèse détaillant les découvertes pour un site (Szabo et Summerhayes, 2002) ou un archipel particulier (Bedford et Spriggs, 2002), ont permis au cours des dernières années de mieux définir les similitudes et les différences existant entre les provinces Lapita. Plus récemment, Katherine Szabo a réalisé une synthèse régionale à partir de quelques sites majeurs (Szabo, 2004). Le travail mené sur le matériel calédonien issu des sites Lapita permet d’identifier une collection comportant la même diversité générale que celle observée dans le reste de l’arc mélanésien. Les données calédoniennes ont été subdivisées pour cette synthèse en catégories logiques recouvrant, dans leurs grandes lignes, celles définies par Patrick Kirch pour les sites de Mussau (1988d).

Eléments de parures en cône

26Les éléments de parures tirés du cône sont les plus nombreux, représentant en moyenne 80-90 % de la totalité des productions découvertes en fouilles, si on exclut les perles perforées. Typologiquement, il est possible d’identifier des « bracelets » simples de différentes tailles (qui composent la majorité des vestiges), des plaques rectangulaires ou circulaires, ainsi que des segments courbes.

27Les « bracelets » en cône ont été extraits de la partie proximale, la plus large, de Conus litteratus ou de Comis leopardus, ainsi que quelques exemples de Conus marmoreus à Lapita (Szabo, 2004 : 211). Il doit être signalé que de nombreux fragments de cônes de relative petite taille, ayant la particularité d’être fortement tachetés (en particulier le Conus eburneus et le Conus coronatus), ont été identifiés à Saint-Maurice-Vatcha, portant des enlèvements uniquement par percussion (Szabo, 2004 : 219-220). La diversité des diamètres de ces éléments, compris entre 6 cm et plus de 10 cm pour les plus larges, indique que nombre d’entre eux étaient trop étroits pour pouvoir être enfilés en bracelet au bras (photo 91). Une proportion de ces « bracelets », dont aucun exemplaire fini n’a été découvert en fouilles (Szabo, 2004 : 223), avait donc vocation à être utilisée différemment, probablement comme pendentifs sur des ornementations élaborées ou en « monnaies ». Il est possible que les parures tirées de ces petites coquilles aient été intégrées dans des échanges entre communautés, comme il a été proposé pour d’autres sites Lapita (Kirch, 1988d).

28Les nombreuses chutes de façonnage, en particulier sous la forme de parties distales du coquillage dont l’apex est manquant, aident à définir avec précision la chaîne opératoire permettant d’obtenir les bracelets de grande taille (photo 92). Dans un premier temps, un polissoir à l’arête relativement plate, était utilisé pour limer le pourtour du coquillage à la hauteur voulue (photo 93). Sauf à Saint-Maurice-Vatcha, très peu d’exemplaires portant des traces de percussions pour réaliser cette opération ont été notés. L’emplacement de la zone de polissage était probablement choisi en fonction de la dimention du bracelet à extraire, mais également de la taille initiale du coquillage. Une fois la partie supérieure détachée, souvent grâce à un mouvement de rotation permettant de décrocher l’axe central sans abîmer le culot, l’apex était enlevé, soit par abrasion du pourtour ou de la surface totale, soit (plus rarement) par percussion. La largeur significative de certaines pièces, comparée à leur faible épaisseur, indique que certains cercles ont même été extraits de la partie la plus large des calottes issues de très gros exemplaires. Ce procédé a, dans certains cas, entraîné la cassure du bracelet et l’abandon du façonnage. Une fois obtenu un cercle évidé, les arêtes étaient polies, afin d’obtenir une surface régulière. Suivant la taille, la zone d’extraction et le fini recherché, les sections des « bracelets » de petite taille pouvaient être triangulaires ou bien rectangulaires, à angles marqués ou avec la partie extérieure arrondie. Si, dans certains cas, une partie des irrégularités intérieures naturelles du coquillage était conservée, ces irrégularités étaient totalement éliminées sur les pièces les plus polies.

29Peu de bracelets presque complets ont été découverts en fouilles. D’après les observations, les artisans Lapita semblent avoir cherché à produire trois largeurs différentes de corps de bracelets en cône (photo 94). Les premiers sont étroits, avec une section arrondie ou en cloche ne dépassant pas 4-6 mm de largeur. Les deuxièmes ont une section rectangulaire allongée, car ils comportent une surface plane mesurant en moyenne 8 à 16 mm, sur laquelle étaient parfois gravés des motifs géométriques. Le dernier ensemble est composé de bracelets larges, comportant une surface plane pouvant atteindre 30 à 50 mm, avec, pour certains, l’indication claire de marques de ligatures ayant permis de joindre différentes plaques (fig. 129).

30Ces différents types de bracelets en cône ont été identifiés dans la majorité des sites Lapita de l’arc mélanésien. Les nombreux déchets de fabrication découverts sur les principales fouilles, sur la Grande Terre mais également aux îles Loyauté, témoignent qu’ils étaient pour la plupart réalisés sur place, bien qu’il faille noter que la proportion de ces chutes varie d’un site à l’autre (Szabo, 2004 : 223). Ce point pourrait indiquer l’existence de lieux particuliers de fabrication, de processus particuliers de rejet des déchets ou de préférences dans le choix des cônes suivant les sites. La présence régulière dans plusieurs sites calédoniens, de sillons parallèles à la courbure, au nombre d’un à trois (fig. 130), est à ce jour unique dans l’arc mélanésien. Seuls des bracelets à une incision ont été à ma connaissance signalés dans l’archipel Bismarck (Kirch, 1988d : fig. 3b ; Szabo et Summerhayes, 2002 : fig. 3a-b). Une des spécificités majeures de la collection calédonienne est la présence, aussi bien à Boirra qu’à Lapita et à Saint-Maurice-Vatcha, d’un nombre sans équivalent de décors géométriques incisés sur la face externe des bracelets de largeur moyenne (fig. 131). Les motifs sont rectilignes, comportant, suivant les cas, un décor de triangles emboîtés pouvant s’inverser. Ce même décor peut être lui-même enserré entre deux lignes parallèles de bordure faisant le tour de l’objet. Un deuxième motif est composé d’une série de X emboîtés, séparés par une série de lignes parallèles gravées perpendiculairement à l’axe du bracelet, enserrés entre deux lignes parallèles. Sur un des deux exemplaires connus, le décor avait été poinçonné point par point dans le coquillage, afin d’obtenir un motif ressemblant à un décor pointillé de poterie (Sand, 1996a : fig. 47) (photo 95). Un exemplaire unique comporte une figure de deux triangles inversés, comblés avec quelques lignes parallèles gravées sur l’extrémité proximale du bracelet.

31De grandes plaques rectangulaires extraites de la partie extérieure courbe des cônes ont des tailles variées, allant de 30 mm à plus de 70 mm de longueur (fig. 132). Les arêtes étaient arrondies par polissage. Ces plaques se caractérisent par la présence quasi systématique de trous percés à plusieurs extrémités, indiquant l’existence de ligatures reliant plusieurs plaques. Des percements de même type, présents sur quelques exemplaires de bracelets larges, laissent penser que les parures recherchées se composaient d’une succession de plaques, permettant d’obtenir des brassards à la taille voulue. Les points de ligatures, fins et donc fragiles, finissaient parfois par casser (photo 96). Ceci explique la présence, sur certaines pièces, de plusieurs trous rapprochés autour d’un même angle. Enfin, quelques exemples de disques de taille variable, extraits de l’apex du cône, polis et souvent percés en leur centre, ont été inventoriés (photo 97). L’usage de ces pièces n’est pas clairement établi.

Les parures en bénitier

32Dans les principaux sites archéologiques Lapita, ont été mis au jour des fragments de parures en bénitier, principalement de Tridacna maxima et d’Hippopus hippopus, en parallèle à des chutes travaillées. Les bracelets et les anneaux, obtenus par percussion et polissage, sont bien finis, atteignant une qualité évidente sur un matériau réputé difficile à travailler (photo 98). Cette observation témoigne de l’existence d’artisans de haut niveau parmi les premières générations d’arrivants austronésiens. Les bracelets sont globalement d’un diamètre plus important que ceux en cône, entre 10 et 12 cm, avec des sections principalement rectangulaires ou trapézoïdales. Si la face interne est le plus souvent rectangulaire, la lèvre externe est souvent appointée en un arrondi final. Contrairement aux bracelets en cône, ces anneaux ont la particularité d’être épais (environ 15 mm en moyenne) et de comporter une face apparente relativement large (autour de 20 mm). Cette spécificité se retrouve ailleurs dans l’aire Lapita (Smith 1991 : fig. 3.8). La petite taille du diamètre intérieur de certains de ces anneaux ne devait pas permettre de les utiliser comme bracelets (fig. 133).

33Le seul autre type d’objet non utilitaire travaillé dans le bénitier a une forme de disque. Un fragment de disque épais, percé en son centre, a été mis au jour dans la localité WKO013A du site de Lapita et un disque fin, d’environ 25 mm de diamètre, a été découvert sur le site LPO023 de Kurin (photo 99). Ce dernier a peut-être été utilisé comme ornementation d’une sculpture. Des exemplaires de même facture ont été signalés dans l’archipel Bismarck (Kirch, com. pers., 2000) et au Vanuatu (Bedford et Spriggs, 2002 : fig. 8n).

Les bracelets en Trochus

34Un nombre non négligeable de chutes de production ainsi que quelques exemplaires de bracelets étroits, permettent de démontrer l’existence d’objets extraits de différentes variétés de trocas, en particulier Trochus niloticus. Ceux-ci étaient obtenus à partir de la première spire du gastéropode, principalement par percussion, afin d’éliminer le pourtour du coquillage, une technique peu identifiée ailleurs dans la région (Szabo, 2004 : 210). Ce procédé provoquait, dans certains cas, la fracture de la coquille et entraînait l’abandon de l’exemplaire en cours de fabrication, comme le montrent plusieurs exemples découverts en fouilles (Sand, 1996b : fig. 45). Contrairement au cône, le troca ne permet pas d’extraire de bracelets à la section très large. On note néanmoins une diversité de formes, avec des bracelets très fins et des bracelets pouvant atteindre 6 mm de largeur de corps, comportant une section triangulaire ou rectangulaire (photo 100).

Les perles plates

35Le tamisage fin et à l’eau des sédiments archéologiques extraits des fouilles Lapita a permis de découvrir un nombre important de petites perles plates en coquillage, aussi bien sur la Grande Terre qu’à l’île des Pins et aux îles Loyauté. La majorité provient de l’apex de cônes, bien que des perles en nacre extraites de Nautilus macromphalus et de petites quantités de perles plates extraites de bivalves aient également été identifiées, en particulier à Saint-Maurice-Vatcha (Szabo, 2004 : 222-223). Le diamètre de ces perles peut être minuscule, avec des exemples de moins de 4 mm, mais peut également atteindre 8 mm (photo 101). Certaines perles ont été totalement polies, d’autres ne semblent comporter qu’un polissage partiel et des reliquats d’irrégularités de la structure du coquillage. La présence de quelques préformes non achevées (Sand, 1996a : fig. 70) permet de définir une partie de la chaîne opératoire. Des petites plaques anguleuses étaient extraites de la partie centrale de l’apex du cône pré-poli sur sa face extérieure ou d’une portion d’un autre coquillage. Cette petite plaque était ensuite percée, soit d’un seul côté, soit de façon bipolaire. Enfin, les arêtes irrégulières étaient polies pour aboutir à un objet ayant l’aspect d’un disque. Il n’a pas été découvert de polissoirs comportant des rainures arrondies, souvent issues du polissage de colliers enfilés, laissant à penser que les arêtes des perles étaient polies sur des surfaces irrégulières, peut-être une par une. La majorité était probablement enfilée en colliers, bien que certaines perles comportent des marques d’usure, témoignant peut-être de l’existence de ligatures complexes de type brassards (Garanger, 1972 : fig. 47 pour un exemple archéologique).

Les autres types de parures

36D’autres éléments de parure en coquillage en nombre peu important ont été identifiés dans les différentes collections. Il s’agit tout d’abord de perles allongées, de longueur pouvant varier entre 7 et 9 mm, comportant une section ovale arrondie (photo 102-1). En forme de tubes et tirées d’une coquille de Spondylus, elles sont percées de part en part à partir de chaque extrémité (Kirch, 1987 : fig. 9a). Ceci témoigne d’une bonne maîtrise du foret et de l’existence de perçoirs longs et très fins. Au cours de ce processus, une des arêtes d’un exemplaire découvert à Saint-Maurice-Vatcha a été abîmée (Sand, 1996a : fig. 79). Il est probable que ces perles étaient enfilées à la suite sur un lien, pour être portées en colliers.

37Un second type de perle percée est caractérisé par une forme plus épaissie (en moyenne 8-10 mm) et un corps grossièrement rectangulaire, plus allongé, atteignant 25-35 mm (photo 102-2). Extraits surtout du Cassis, ces segments sont percés de biais à chaque extrémité. Dans un cas (Sand, 1996a : fig. 70), une rainure avait été gravée sur la partie sommitale entre les deux percements, probablement afin de faciliter le maintien d’une ligature, et une petite encoche avait été incisée à chaque sortie extérieure du percement. La forme de ces segments ainsi que la manière dont sont percées les extrémités indiquent que ceux-ci sont sans doute la forme ancestrale d’un type de parure caractéristique de la tradition Lapita orientale : les « éléments longs [long units] » (par exemple, Poulsen, 1987 : plate 70, 1-7). En lien avec ces objets, il doit être signalé qu’aucune fouille de site Lapita de l’arc mélanésien ne semble avoir mis au jour une forme quelconque de « polissoir rainé », du type pourtant couramment découvert aussi bien à Fidji (Best, 1984 : fig. 6.39) qu’en Polynésie occidentale (Sand, 1998c : fig. 14). Les formes miniatures de segments percés aux deux bouts dans les sites Lapita en Mélanésie, mesurant en moyenne entre 15 et 25 mm de longueur (Bedford et Spriggs, 2002 : fig. 9), semblent donc avoir été fabriquées avec une technique de polissage différente de celle mise au point plus tardivement dans la partie orientale de l’aire Lapita et qui permettait la réalisation d’objets plus volumineux, avec une longueur de segment pouvant dépasser 65 mm (Poulsen, 1987 : fig. 70,1).

38Quelques plaques taillées d’huîtres et ce qui a été interprété comme des coquilles de bivalves travaillées ont peut-être servi de parures, bien qu’aucune forme entière n’ait été identifiée à ce jour (Kirch, 1987 : fig. 9c-d). Quelques vertèbres de poissons, polies et parfois percées, doivent être intégrées à ce corpus des parures calédoniennes lors de la phase de premier peuplement (Sand, 1996a : fig. 79). En revanche, aucune épine d’oursin crayon Heterocentrotus mammillatus transformée en pendentif n’a été signalée à ce jour.

Hameçons et autres éléments de pêche

39Durant de nombreuses années, un seul exemple d’hameçon complet, découvert sur le site Lapita NKM001 de Boirra, était connu en contexte archéologique en Nouvelle-Calédonie (Frimigacci, 1982 : 13). Au cours de la dernière décennie, la multiplication de fouilles comportant systématiquement un tamisage fin et souvent à l’eau des sédiments archéologiques a permis de totalement redéfinir les connaissances sur les anciennes traditions de pêche dans l’archipel, en mettant au jour une collection d’une quarantaine d’hameçons en coquillage. Si la majorité de ceux-ci provient de niveaux post-Lapita (Sand, 2001c : 84-85), cinq sont associés à la première période de peuplement. Les fouilles ont permis d’identifier l’ensemble de la chaîne opératoire, avec des chutes de taille, quelques plaques internes de pré-formes, ainsi que différents hameçons finis, en plus ou moins bon état de conservation. Les études ont surtout permis de montrer l’existence d’un ensemble typologique spécifique à la période Lapita, qui ne perdure pas au-delà de quelques siècles après le premier peuplement. Celui-ci se caractérise, d’une part, par une diversité de taille des hameçons et, d’autre part, par des spécificités de formes. La forme la plus emblématique est un hameçon en Trochus, découvert sur la localité WKO013A du site de Lapita. Mesurant 6 cm de longueur maximale, avec un angle marqué de hampe, il comporte deux barbelures proéminentes au point de ligature (fig. 134a). La pointe d’un autre gros hameçon en Trochus, peut-être de même type, a été identifiée sur le site de Saint-Maurice-Vatcha, montrant que ces objets étaient probablement réalisés en grande partie par polissage, sans véritable débitage préalable (Sand, 1996a : fig. 72). Cette forme unique a déjà été signalée dans différents sites Lapita de l’archipel Bismarck, uniquement en contexte Lapita (Kirch, 1997a : fig. 7.1 ; Smith, 1991 : fig. 5.16, 2001 : fig. 5). De plus, les barbelures ont été identifiées comme une spécificité des hameçons du premier millénaire avant J.-C. (type HT1) sur l’île d’Anuta, dans le sud-est de l’archipel des Salomon (Kirch et Rosendahl, 1973 : 66). La seconde forme, plus fine et plus petite, est également extraite principalement du Trochus. Le seul exemplaire bien conservé a une hampe de forme courbe et un crochet en demi-lune prononcé (fig. 134b). Cette typologie est bien différente de la grande majorité des hameçons plus tardifs. Les quelques petites pointes cassées d’hameçons fins découvertes en fouilles sont probablement liées à cette forme. Il doit être signalé qu’une plaque allongée en Cassis, avec un renflement d’attache et une pointe comportant une prise d’attache, découverte à Saint-Maurice-Vatcha, pourrait être un leurre d’hameçon composite (Sand, 1996a : fig. 80), bien que rien ne permette de démontrer sans ambiguïté cette hypothèse.

40Une seconde technique de pêche, employée pour la capture de poulpes, est démontrée par la présence de différents exemples de calottes de porcelaines, principalement de Cypraea tigris, volontairement taillées et parfois faiblement polies sur la lèvre (Spennemann, 1993). Ethnographiquement, ces calottes sont connues pour être utilisées comme élément de couvercle dans la fabrication de leurres de pêche, prenant souvent la forme symbolique d’un rat, avec une queue en fibres végétales (Sarazin, 1917 : 251). Cet élément central dans l’élaboration technique d’un outil particulier associé à la technique de pêche aux poulpes a été découvert dans plusieurs sites Lapita (Sand, 1996b : fig. 46). Sa présence permet d’émettre l’hypothèse que le mythe océanien « du poulpe et du rat », qui se retrouve dans de nombreux archipels, pourrait remonter à plus de trois mille ans et avoir été connu par les tous premiers navigateurs austronésiens de l’Océanie lointaine.

41Un dernier élément coquillier ayant pu être employé dans des matériaux de pêche est le bivalve Anadara scrapha percé, connu ethnographiquement pour avoir été utilisé comme lest de filets (Gifford et Shutler, 1956 : 63). Malheureusement, diverses observations de terrain ont montré que les coquilles pouvaient se fracturer ainsi de façon naturelle, en particulier sous l’effet de la houle. Il n’est donc pas possible d’assigner directement tout bivalve percé découvert en contexte archéologique à une activité humaine. Il n’en reste pas moins que les données ichtyologiques montrent l’utilisation probable, durant la période Lapita, de techniques de nasses et de filets pour la pêche.

Conclusion

42Les productions manufacturées extraites des coquillages se caractérisent, d’une part, par la diversité des réalisations et, d’autre part, par l’existence de véritables chaînes opératoires permettant d’aboutir aux objets finis. Quelques catégories d’objets forment la part essentielle dans les parures, permettant d’identifier des évolutions spécifiques à l’archipel calédonien. Ceci est en particulier le cas du développement, sans parallèle dans la région, de décors géométriques incisés sur des bracelets en cône. Une des découvertes importantes est une production diversifiée de perles percées, obtenues à partir de différents types de coquillages. Ceci permet de définir, du même coup, l’une des utilisations des perçoirs fins identifiés dans les éclats lithiques. Dans les parures moins communes, il est à noter la présence de plusieurs types connus ailleurs dans l’arc mélanésien mais également l’absence de certaines formes spécifiques à d’autres régions de l’aire Lapita. Ces différents éléments permettent de circonscrire des axes d’influence prédominants, ainsi que les évolutions spécifiques du complexe culturel Lapita de l’archipel calédonien au cours des générations ayant succédé au tout premier peuplement.

LE MATÉRIEL NON CÉRAMIQUE CALÉDONIEN DANS SON CONTEXTE REGIONAL

43Les comparaisons entre les données archéologiques identifiées sur le matériel non céramique dans l’archipel calédonien et celles publiées sur le reste de la région montrent une image composite. Une association typologique générale est ainsi clairement identifiable, pour l’arc mélanésien, dans les herminettes (photo 103) et la forme des éclats lithiques. Grâce aux études détaillées menées par Louis Lagarde (2004), la Grande Terre calédonienne est la première région où a été mise en évidence la présence d’encoches de type gravers sur des roches autres que l’obsidienne. Malgré cette homogénéité générale, il doit être toutefois souligné que suivant les particularités géologiques de chaque archipel, l’importance dévolue à l’outillage lithique varie de façon considérable. Ainsi, Stuart Bedford et Matthew Spriggs notent que dans l’archipel voisin du Vanuatu, « il y a un nombre étonnement faible d’herminettes en pierre dans les différents sites fouillés » datés de la période Lapita (Bedford et Spriggs, 2002 : 140). Seuls quelques fragments d’herminettes en pierre ont été découverts récemment sur le site de Teouma (Bedford, com. pers., 2006). Une différence évidente apparaît dans la concentration d’éclats d’obsidienne de Talasea découverts entre les sites du centre de l’arc mélanésien et ceux de l’archipel calédonien. Aussi bien aux îles Reef/Santa Cruz (Sheppard, 1992) que sur le site de Makue à Aoré près de Santo (Galipaud et Swete Kelly, 2007) ou encore à Teouma sur Efate (Reepmeyer et al., soumis), les éclats d’obsidienne sont nombreux, alors qu’ils se limitent à quelques pièces sur les sites de Lapita et de Saint-Maurice-Vatcha. De même, pour les parures en coquillage, si le fond typologique est commun à l’ensemble de l’aire Lapita, des variations peuvent être observées dans le choix des matériaux. Par exemple, les études menées sur la collection des niveaux Lapita des îles Arawe en Nouvelle-Bretagne ont montré que les parures en Conus étaient moins fréquentes qu’ailleurs, avec une présence significative de parures issues de Tridacnidae, de Cypraeidae, de Pteriidae et surtout de Lucinidae (Smith, 1991 : fig. 3.15). Ceci est bien différent des données calédoniennes, dans lesquelles les parures en Conus sont dominantes. Ceci semble également être le cas du site de Kamgot à Anir (Szabo et Summerhayes, 2002 : 93) et de Talepakemalai à Mussau (Kirch, 1987 : 174-175). D’autres éléments comme les calottes de Cypraea, qui sont pourtant représentées sur les principaux sites calédoniens, semblent absentes d’une région comme l’archipel Bismarck (Jephcoate, nd). Ceci est également le cas des bracelets incisés, qui apparaissent plus nombreux et porteurs de décors plus complexes en Nouvelle-Calédonie (fig. 135). Enfin, si les quelques hameçons Lapita découverts en fouilles dans l’arc mélanésien montrent la présence d’une forme régionale spécifique à la période2, les formes simples apparaissant à la fin de la période semblent avoir des caractères locaux plus marqués. En particulier, les formes découvertes en Polynésie occidentale se différencient, typologiquement, de celles présentes plus à l’ouest (Kirch, 1993 : fig. 11.2 et 11.3 ; Burley, com. pers., 2000).

44À ce stade de nos connaissances sur la période Lapita en Nouvelle-Calédonie, il est difficile de clairement identifier, au-delà des circulations de matériel lithique et de quelques poteries, l’existence d’un processus d’échanges « inéquilibrés » entre les différentes parties de l’archipel. Il est évident que la Grande Terre offrait, en termes de matières premières, un potentiel inégalé dans la grande région, permettant de disposer d’une série de ressources d’objets d’échange. Néanmoins, les travaux de reconstitutions linguistiques menés depuis longtemps sur le proto-océanique (Ross et al., 1998) et ses formes régionales plus tardives (Kirch et Green, 2001) ont montré à quel point l’archéologie reste limitée à la petite partie des vestiges se conservant dans le sol (photo 104). Kirch et Green (2001 : 199) ont pu ainsi montrer que seuls environ 20 % des objets et témoins usuels, dont il était possible de reconstituer la racine linguistique proto-polynésienne, étaient identifiables dans les fouilles. Avec 80 % de vestiges périssables, absents d’un inventaire archéologique, dont certains pouvaient servir d’éléments d’échanges de grande valeur symbolique ou pratique (tapas, nattes, etc.), tenter une étude des termes et des modalités d’échanges entre la Grande Terre et les îles Loyauté il y a trois mille ans, devient peu significatif.