4. Stratigraphies et chronologies
p. 71-96
Texte intégral
CADRE GÉNÉRAL
1La définition d’une chronologie liée à la fabrication des poteries Lapita a une longue histoire en Nouvelle-Calédonie. En effet, il apparaît que, dès les premières observations durant les années 1910, le géologue Piroutet avait soupçonné l’ancienneté de cette tradition céramique (1917 : 260-261 ; cf. Introduction). De même, Maurice Lenormand note, à la suite de la découverte du site de Saint-Maurice à l’île des Pins en 1948, que « ces événements remontent fort loin dans le temps » (1948 : 58). Il n’est donc pas étonnant que, dans sa proposition de chronologie préhistorique calédonienne publiée en 1950, Jacques Avias ait placé la période de fabrication des poteries Lapita dans la partie ancienne de sa frise historique.
2Ce furent les archéologues américains Edward Gifford et Richard Shutler qui, néanmoins, purent les premiers donner une fourchette temporelle contrôlée à la période Lapita, à la suite de la réalisation des premières fouilles sur le site 13 et de l’utilisation, pour la première fois en Mélanésie, d’échantillons de charbons pour une datation au carbone 14. La technique avait été mise au point quelques années plus tôt par le professeur Libby et la procédure des débuts, en particulier sans réelle préparation des échantillons, nécessitait un poids d’environ 100 g de charbons (Sand et al., 2002 : 176). Il n’est donc pas étonnant que Gifford ait daté les couches du site 13 et non les niveaux en place du site 13A, que l’on sait aujourd’hui contenir, à cause de leur ancienneté, surtout des charbons très fragmentés (Sand et al., 2002). Rétrospectivement, il est d’ailleurs à signaler que, vu la perturbation importante des niveaux datés du site 13, l’obtention de dates si anciennes a résulté d’un « coup de poker ». En effet, avec une quantité aussi importante de charbons à sélectionner, l’adjonction de quelques échantillons très récents aurait totalement changé le résultat. D’ailleurs, l’inversion stratigraphique des dates (cf. Introduction) montre bien que le niveau daté était perturbé et il est probable que les échantillons envoyés au laboratoire provenaient plus d’un horizon Podtanéan plus récent, que de l’horizon Lapita proprement dit (Sand et al., 2002 : 182).
3Logiquement, un des objectifs de Jack Golson, en débutant la première phase de programmes intensifs sur le Pacifique Ouest, fut de mieux définir la chronologie Lapita. Golson, lui-même, ne travailla en Nouvelle-Calédonie que sur le site Lapita de Saint-Maurice, où il obtint, à la suite de la campagne de 1959-1960, une datation de 2855+/-165 BP (ANU-262) sur son horizon II (Smart, nd). Son étudiant, Collin Smart, découvrit quelques autres tessons pointillés sur le site de Naïa à Païta. L’absence de publication finale des travaux de Smart a longtemps fait douter qu’il ait bien trouvé du Lapita sur le site WPT055 (Galipaud, 1988, 1996). Il est aujourd’hui démontré (Sand et Ouetcho, 1993 ; Sand, 1994b) qu’une implantation de groupes utilisant des poteries pointillées a bien existé dans la région de Païta, bien qu’aucun niveau en place n’ait été clairement fouillé et daté à ce jour.
4Dans les années 1960, Richard Shutler retourna deux fois à Koné pour des fouilles sur le site 13, découvrant, lors d’une visite, un nouveau site Lapita sur l’îlot Koniène, dans la baie de Foué. Mais aucune datation ni aucune publication finale du matériel découvert n’eurent lieu (Finn et Shutler, 1964 ; Sand, 1999a et b). En 1968, lors d’une visite à Saint-Maurice, Daniel Frimigacci et Bernard Brou découvrirent à la base du talus deux gros fragments de poterie Lapita. Dans la foulée, Daniel Frimigacci reprit les fouilles sur ce site, ouvrant des sondages en parallèle aux carrés réalisés par l’équipe de Jack Golson et localisant au nord-ouest de la plage un espace bien conservé, avec des structures au sol en place. Ce niveau fut numéroté horizon IV. La datation d’une coquille de coquillage terrestre Placosylus senilis par le laboratoire japonnais Gakushin donna un résultat de 4010+/-130 BP, faisant de l’horizon IV identifié par Daniel Frimigacci à Vatcha, le plus vieux site Lapita du Pacifique (Frimigacci, 1970). A l’époque, les problèmes liés à la datation de coquilles terrestres n’étaient pas bien connus, de même que l’aberration de toute une partie des résultats obtenus par Gakushin (Spriggs, 1990b).
5Deux sites Lapita majeurs furent fouillés à partir de la fin des années 1970 sur la Grande Terre : WBR001 de Nessadiou à Bourail et NKM001 de Boirra à Koumac. À Nessadiou, la découverte de tessons pointillés lors de l’exploitation d’une carrière de sable, dont certains en bon état de conservation, incita Daniel Frimigacci à réaliser un décapage massif de la base du remplissage archéologique encore en place en certains endroits. En parallèle, différents sondages furent pratiqués dans la partie non exploitée de la dune de sable. En tout, onze datations furent réalisées sur le site de Nessadiou, indiquant une occupation Lapita concentrée autour de 950 ans avant J.-C. Une série de dates entre 250 ans et 1050 ans après J.-C. indiquait, d’après l’auteur, la poursuite de la fabrication des poteries Lapita jusqu’au premier millénaire après J.-C. (Frimigacci, 1999a). À Boirra, les campagnes entre 1976 et 1982 mirent au jour différents ensembles de structures, articulés autour de monticules artificiels. Le niveau le plus profond du chantier A, caractérisé par un sédiment sableux gris, ne fut pas daté. La datation des niveaux supérieurs des chantiers A et E par Daniel Frimigacci (1980), ainsi que de différents niveaux des chantiers A, E, F et G par Jean-Christophe Galipaud (1988), permit d’obtenir des résultats s’étageant entre 550 ans avant J.-C. et 250 ans après J.-C. Ces datations furent interprétées par Daniel Frimigacci et Jean-Christophe Galipaud comme montrant une production de poteries Lapita jusqu’à au moins 200 après J.-C. (Galipaud, 1996), une hypothèse confirmée à l’époque par la datation de 70 après J.-C. obtenue sur le site NAR098 d’Arama, où quelques tessons pointillés avaient été découverts en fouille (Galipaud, 1988 : 49).
6Cette première série de résultats incita Jean-Christophe Galipaud, dans le cadre de sa thèse, à proposer une chronologie Lapita s’étageant sur près de mille cinq cents ans en Nouvelle-Calédonie (1988 ; également Kirch et Hunt, 1988). De plus, comme :
« aucune évolution notable dans la forme, le décor ou le matériau n’a été observée sur les sites (Lapita) » (Galipaud, 1992b : 189)
7l’hypothèse en vogue au début des années 1990 était qu’il n’existe pas de transformations céramiques internes identifiables durant la période Lapita. La première fouille du site Lapita de Patho aux îles Loyauté au milieu des années 1980, avec l’obtention d’une datation de 2590+/-110 BP (ANU-6616) (Galipaud, 1987), renforça l’idée d’une période Lapita longue dans l’archipel, englobant l’intégralité de la première moitié de la chronologie culturelle préhistorique de la Nouvelle-Calédonie (Galipaud, 1996).
Méthodologie d’étude de la chronologie Lapita : stratigraphies et échantillons datés
8Lors de la création du département Archéologie au début des années 1990, une nouvelle chronologie céramique calédonienne venait d’être définie par Jean-Christophe Galipaud (1990, 1992). Celle-ci s’accordait globalement avec les chronologies régionales développées dans le Pacifique Sud-Ouest et acceptait l’idée d’une période longue de fabrication de poteries Lapita (Kirch et Hunt, 1988). Ayant principalement travaillé durant les années 1980 sur la chronologie céramique de la région Fidji-Polynésie occidentale, qui commence également avec la tradition Lapita, j’étais depuis longtemps sceptique sur la longueur de la chronologie liée aux poteries pointillées. En Polynésie occidentale, la prise en compte de la masse des tessons pointillés présents dans les sites de premier peuplement, en terme de générations et non simplement d’artefacts archéologiques, laissait apparaître, si l’on acceptait l’idée d’une chronologie longue de plusieurs centaines d’années, une production correspondant à un ou deux pots décorés à chaque génération. Une synthèse publiée pour la zone de la Polynésie occidentale au début des années 1990 proposait l’hypothèse d’une chronologie Lapita extrêmement courte, avec une production réduite à quelques générations (Sand, 1992). Analysée dans une perspective de dynamique culturelle, l’idée d’une chronologie Lapita de mille cinq cents ans en Nouvelle-Calédonie, sans changements internes, semblait dès cette période une hypothèse profondément critiquable. Dans la synthèse du milieu des années 1990 sur la chronologie calédonienne, il apparaissait que les dates de premier peuplement situées autour de 1500 avant J.-C. étaient trop anciennes (Sand, 1994 : 266-267). De même, toute une partie des sites de premier peuplement semblait ne plus comporter de tessons pointillés au bout de quelques siècles. Seuls quelques sites de la moitié nord de la Grande Terre (n’ayant pas fait l’objet de publication) comporteraient des datations plus récentes (Sand, 1994 : 274-275).
9À partir du milieu des années 1990, afin de pouvoir discuter des nouvelles datations sur des bases argumentées et avec le moins de chances possibles de critique sur les protocoles et les choix méthodologiques (Spriggs, 1989 ; Spriggs et Anderson, 1993), une procédure générale d’enregistrement des échantillons de charbons fut mise en place dans le cadre des programmes de fouilles du département Archéologie sur les sites Lapita. Différentes expériences de récupération de charbons dans des ensembles stratigraphiques stables, comme les abris sous roche, avaient montré l’existence de phénomènes taphonomiques massifs sur les charbons au bout de quelques siècles, avec le fractionnement des blocs en de multiples esquilles (Sand et al., 1998 : 8). Dans un environnement stratigraphique de bord de mer principalement sableux tel que celui des sites Lapita, de tels phénomènes posent des problèmes concrets d’obtention d’échantillons datables. Afin de maximaliser la collecte d’échantillons pour datation immédiate ou plus lointaine, l’ensemble des esquilles de charbons observées en place lors d’une fouille a été prélevé chaque fois que possible. Les prélèvements par niveaux artificiels de quelques centimètres d’épaisseur étaient doublés par les prélèvements d’échantillons individuels, afin d’éviter d’éventuels mélanges.
10La stratégie de datation s’est focalisée sur l’utilisation quasi-automatique, au cours des six dernières années, de l’ams (spectrométrie de masse par accélérateur), afin de pouvoir faire dater surtout des échantillons individuels de petite taille (Pendergast, 2000). Après une première phase d’expérimentation de dates sur coquillages marins (Sand, 1996), ce matériau a été abandonné, car trop imprécis en raison des problèmes de réservoirs marins et de calibrations (Kirch, 2000). Enfin, une procédure de multiplication des datations a été entamée, afin de pouvoir comparer sur de grands échantillonnages les résultats individuels. Associée à la définition la plus précise possible du passage de couches stratigraphiques renfermant des tessons Lapita pointillés en place aux couches supérieures avec du Lapita remanié, cette stratégie m’a semblé être la mieux à même de permettre une évaluation satisfaisante de la chronologie Lapita en Nouvelle-Calédonie. La seule procédure qu’il n’a pas été possible d’appliquer de façon régulière, faute d’une collection de référence et faute de spécialistes anthracologues sur la flore calédonienne, concerne l’identification des types de charbons utilisés pour les datations. Composé de forêts comportant des arbres pluri-centenaires, l’archipel a pu facilement fournir aux premiers Austronésiens des combustibles anciens, dont la datation ne reflète pas nécessairement la date d’utilisation. Ce phénomène, connu sous le terme de « vieux bois » (Spriggs, 1990b), peut aboutir à des résultats parfois de 200 à 300 ans plus anciens que l’occupation réelle d’un niveau. L’existence de ce problème a été prise en compte lors de l’analyse et a incité à redater chaque fois que cela a été possible un niveau ayant fourni une date hors du spectre.
STRATIGRAPHIES DES SITES DE PREMIER PEUPLEMENT ET CHRONOLOGIES LAPITA LOCALES
11Avant le début des années 1990, les programmes de fouilles stratigraphiques menés par différentes équipes sur la période Lapita en Nouvelle-Calédonie avaient permis d’étudier partiellement cinq sites avec un remplissage significatif. Au cours de la dernière décennie, le nombre de sites fouillés comportant un horizon de premier peuplement substantiel est passé à onze. Huit d’entre eux ont été étudiés ou refouillés par le département Archéologie. En couplant nos données avec des informations plus anciennes publiées dans des rapports intermédiaires et des articles de synthèse, il est possible de présenter une description relativement complète des stratigraphies pour chaque site. Cette analyse prend en compte la remarque placée par Roger Green en tête des difficultés inhérentes aux sites Lapita :
« l’intégrité des dépôts dans les sites Lapita représente un problème majeur et persistant. Des occupations totalement en place sont rarement découvertes. Au contraire, la majorité des sites Lapita sont apparus difficiles à fouiller et à interpréter à cause [...] des processus naturels et culturels qui ont suivi l’occupation, en parallèle à des causes plus habituelles comme les trous de carabes ou de racines ainsi que les activités horticoles.* » (Green, 1979a : 31)
12Afin de faire un état des lieux de la chronologie d’occupation Lapita et post-Lapita pour chaque site, la discussion de cette section associera chaque fois que cela sera possible les caractéristiques stratigraphiques et les données des datations C14, en intégrant toutes les datations publiées à ce jour. Au cours des dix dernières années, plus de soixante datations nouvelles ont été réalisées par le département Archéologie sur différentes localités de sept sites Lapita et de deux sites où des tessons Lapita avaient été découverts en surface, dont environ un tiers par ams. Associée à la vingtaine de datations publiées par d’autres chercheurs, cette base permet de définir dans ses grandes lignes une chronologie du complexe culturel Lapita en Nouvelle-Calédonie. Dans les pages qui suivent sont présentés pour chaque site un sommaire de la stratigraphie et le corpus de datations C14 associé114, dans le même ordre que pour le chapitre précédent. Tout en faisant miennes les limitations analytiques exposées par Anderson sur le sujet (Anderson, Bedford et al., 2001), seront considérés ici comme représentant un horizon Lapita tous niveaux archéologiques renfermant au moins un tesson à décor pointillé interprété comme étant en position stratigraphique primaire.
La dune de bord de mer de Penelo à Maré
13La présence de tessons pointillés dans la région de bord de mer de Penelo, sur la côte Est de Maré aux îles Loyauté, a été identifiée dès les années 1960 par le père Dubois (Dubois, 1970), puis par Daniel Frimigacci en 1980 (Frimigacci, 1981b : fig. 1), incitant au milieu des années 1980 Jean-Christophe Galipaud à réaliser les premières fouilles sur une zone récemment exposée à la suite de travaux d’aménagement dans la tribu de Patho. Le site LPO020 choisi pour les sondages se trouve en bordure du terrain de sport, en arrière de la dune de sable (Galipaud, 1986 ; Sémah et Galipaud, 1992). Deux campagnes de fouilles, en 1987 et 1991, ont mis au jour sur une surface de 23 m2, une stratigraphie anthropisée divisée par les responsables du chantier en deux niveaux principaux (Sémah et Galipaud, 1992 ; Galipaud, 1996). Sur un niveau stérile de sable, comportant en certains endroits un sol de surface et reposant sur un horizon de ponces jaunes, une couche de sable marin entre 15 et 25 cm d’épaisseur (et subdivisée en deux horizons dans le sondage A) renferme l’ensemble du matériel archéologique (Sémah et Galipaud, 1992 : 11-12). Le faible remaniement de ce niveau Lapita est démontré par les possibilités de remontage de toute une série de tessons issus d’un même pot (Sémah et Galipaud, 1992 : photo 3). Deux datations sur charbon ont été réalisées sur ce niveau, donnant un résultat de 2590+/-110 BP (ANU-6616) (Galipaud, 1986) et de 2500+/-90 BP (Beta-50604) (Sémah et Galipaud, 1992). Aucune indication de la présence de la dune à l’époque Lapita n’a pu être trouvée sur ce site, ce qui laisse penser que la formation quaternaire s’est mise en place après la période de premier peuplement. Cette hypothèse est renforcée par la réalisation de deux datations sur des niveaux archéologiques découverts dans cette zone de la dune, datés respectivement de 1010+/-70 BP (Beta-59960) (Sand et al., 2002) et 1130+/-70 BP (Beta-50605) (Sémah et Galipaud, 1992 : 13). Ces résultats indiquent un processus d’élévation au cours du dernier millénaire et demi.

Figure 18. – Coupe de la dune de bord de mer au niveau du site Lapita LPO023 de Kurin
14En 1996, deux sondages ont été fouillés sous la direction de François Wadra sur le site de Kurin, plus au sud de la baie, où des tessons pointillés avaient été découverts dans la coupe de bord de route. En 1997, l’ouverture d’une piste au lieu-dit Lanjio à Kurin, a mis au jour un matériel archéologique diversifié. À l’issue d’une première étude du matériel, le site a été numéroté LPO023 et une fouille de sauvetage a été menée par le département Archéologie et François Wadra (Sand et al., 2002). Contrairement au site LPO020 de Patho, le site LPO023 est situé en sommet de dune (fig. 18). Le relevé d’une coupe perpendiculaire au bord de mer a permis d’identifier un pendage des niveaux anthropisés remontant vers la façade maritime, indiquant qu’au cours de la première phase d’occupation humaine de ce site, la dune était plus étendue vers le bord de mer et plus haute qu’aujourd’hui. Il est probable que la formation de la dune face à la tribu de Patho est la conséquence directe de l’érosion partielle de la dune de Kurin au sud.
15La fouille sur 8 m2 du site LPO023 a permis de mettre au jour une stratigraphie simple, divisée en cinq couches sans réel pendage (Sand et al., 2002 : 133-135) (fig. 19). La couche supérieure 1 – datée de 400+/-90 BP (Beta-118336) – correspond aux reliquats d’une occupation datée du deuxième millénaire après J.-C, reposant sur un niveau sableux (couche 2) quasiment stérile d’un point de vue archéologique. Les deux couches inférieures (3 et 4), qui reposent sur un niveau de sable blanc stérile, correspondent à une occupation liée au premier peuplement. La couche 3, d’une vingtaine de centimètres d’épaisseur, est formée d’un sable brun et de ponces oranges. Elle renferme des tessons Lapita non roulés, ainsi qu’une variété de vestiges coquilliers. La transition avec la couche 4, de couleur plus grise, n’est pas brutale et indique probablement un processus de formation continue. Cette couche inférieure, qui marque la base de l’occupation humaine, renferme de la poterie Lapita ainsi que toute une variété des vestiges non céramiques. La fouille a mis au jour à la base du niveau un four en blocs de corail d’environ 60 cm de diamètre et 35 cm de profondeur (photo 17), ainsi qu’un trou de poteau. La bonne préservation des deux couches Lapita est démontrée par l’identification de remontages entre tessons, la présence de seulement 4 % de déchets non identifiables de coquillages (Sand et al., 2002 : 140) et par le peu de tessons Lapita présents dans les couches 1 et 2. Quatre datations sur charbon ont été effectuées sur ce site, dont trois par ams, avec des résultats pour la couche 4 respectivement de 2920+/-110 BP (Beta-118334) à la base (60 cm) et 2890+/-60 BP (Beta-125142) à 56 cm, pour le four de 2900+/-60 BP (Beta-118335) et pour la couche 3 de 2670+/-60 BP (Beta-125141) (à 40-50 cm) (tab. 1).

Figure 19. – Coupe stratigraphique du site LPO023 de Kurin

Photo 17. – Vue du four dégagé à la base du remplissage archéologique du sondage A du site LPO023 de Kurin

Tableau 1. – Tableau récapitulatif des datations sur charbon obtenues sur les niveaux Lapita du site LPO023 de Kurin (Sand et al., 2002 : table 1)
16Ces données indiquent une première installation sur le site LPO023 de Kurin entre 1100 et 1000 avant J.-C, ainsi qu’une pérennisation de l’occupation sans phase observable d’abandon prolongé avant environ 800-700 avant J.-C. Les changements progressifs observés dans la typologie céramique en stratigraphie, présentée dans les chapitres 5 et 6, sont l’indication d’évolutions chronologiques et permettent d’écarter l’hypothèse d’une occupation limitée à une très courte période. Globalement, ces données sont comparables avec ce qui a été découvert sur le site voisin LPO020 de Patho. Tout en rappelant que, dans le chapitre précédent, avait été émise l’hypothèse que la partie du front de mer de Patho était une zone particulière de l’occupation Lapita, les deux datations du site LPO020, qui comportent une large fourchette de calibration, tombent à deux sigmas dans la chronologie identifiée pour Kurin. Ces données incitent à reculer de quelques siècles la date d’implantation Lapita à Patho, qui apparaît plus ancienne que les 2 500 ans proposés par Jean-Christophe Galipaud au début des années 1990 (Sémah et Galipaud, 1992 : 15). Ce qui fait la grande particularité de ce site est la parfaite conservation des niveaux Lapita récents, qui ont été préservés des bouleversements postérieurs grâce à l’abandon apparent de cette zone de dune durant plus de deux mille ans. Ceci fait de la zone de Kurin un endroit unique pour entreprendre un jour un réel programme de fouille extensive.
Les sites Lapita de Lifou
17Découvert en 1996 par le département Archéologie (Sand et al., 1999), le site LLI002 de Wassany dans la tribu de Hnaeo a été fouillé en 1997 et 1998 par François Wadra (Construire les Loyauté, sept. 1998 : 23). Aucun rapport sur cette campagne de recherches n’a encore été publié. D’après des informations préliminaires, la fouille a mis au jour dans la dune de bord de mer, à partir d’environ 50 cm de profondeur, un niveau stratigraphique bien différencié renfermant de la poterie Lapita (LNC du 17/9/1997) (photo 18). Morphologiquement, la stratigraphie de ce site semble donc se rapprocher de celle du site LPO020 de Patho à Maré. Une datation, obtenue à partir d’un échantillon prélevé dans la coupe lors d’une visite du département Archéologie en 2004, a donné un résultat de 2790+/-40 BP (Beta-201693) (tab. 2).

Photo 18. – Vue de la stratigraphie du site LLI002 de Wassany dans la tribu de Hnaeo sur la côte Sud-Est de Lifou

Tableau 2. – Dates calibrées de Hnaeo, Keny et Hnajoisisi
18Plus au nord, des fouilles ont été menées par le département Archéologie sur une partie du site LWT054 de Keny. La majorité des sondages réalisés à l’arrière de la dune (fig. 20), dans des localités où des tessons pointillés avaient été découverts en ramassages de surface, n’a permis de découvrir que des niveaux remaniés par les activités horticoles, qui se poursuivent encore aujourd’hui (Sand, 1995b : 31-34). L’emplacement le plus prometteur étant frappé d’interdit coutumier, seul le sondage E, placé en sommet de dune à l’avant de la zone probablement la plus riche, a permis de mettre au jour un niveau de première occupation en place, à 80-110 cm de profondeur (niveau 5), caractérisé par un sédiment sableux gris renfermant quelques tessons pointillés et estampés (fig. 21). La datation de 2680+/-60 BP (Beta-82661) obtenue sur un charbon (profondeur 90-100 cm) (tab. 2), qui place la formation de ce niveau à la fin de la chronologie Lapita, est bien représentative du type de matériel découvert dans le niveau.
19Lors de la fouille de l’abri sous roche LWT008 sur le site de Hnajoisisi, sur la côte Nord-Ouest de Lifou, le dégagement du niveau de première occupation à la base du remplissage (entre 110 cm et 130 cm de profondeur) a permis de mettre au jour quelques petits tessons de couleur brique, dégraissés au sable corallien et comportant un décor pointillé. Le niveau a été daté à trois reprises, avec des résultats sur charbons de 2700+/-50 BP (Beta-136938, base), 2710+/-60 BP (120-130 cm) (Beta-88506) et 2760+/-60 BP (-110 cm) (Beta-80045) (tab. 2), compatibles avec la conclusion que le niveau caractérise la première occupation d’une zone écologique plus marginale de Lifou, à la fin de la période Lapita.

Figure 20. – Coupe de la dune de bord de mer au niveau du site LWT054 de Keny

Figure 21. – Coupe stratigraphique du sondage E du site LWT054 de Keny
L’occupation transitoire de Goro
20Dans le chapitre précédent ont été décrites les causes rendant difficile la localisation de sites anciens sur la côte Est de la Grande Terre. Les circonstances de la découverte du site SGO015 de Goro sont une parfaite illustration de ce constat. En effet, les niveaux renfermant des tessons Lapita n’auraient jamais été découverts si un drain n’avait pas été creusé par des engins mécaniques, dépassant la profondeur des niveaux horticoles supérieurs. Les conditions extrêmement humides lors des fouilles n’ont malheureusement pas permis de fouiller jusqu’à la base de la stratigraphie les carrés localisés au pied de la montagne. Les quatre sondages ouverts de part et d’autre du drain, dans la partie basse du site (fig. 21), ont mis au jour une stratigraphie globalement de même nature. Sur un niveau de sable marin détritique partiellement concrétionné (couche 5), une couche de sable homogène, enfouie aujourd’hui en moyenne entre 50-80 cm et 100-110 cm suivant les carrés (couche 4), renferme des tessons de la tradition Lapita et des tessons de Podtanéan. Cette couche est recouverte d’un niveau de sable stérile, qui a scellé le dépôt ancien et qui a permis une parfaite conservation de sa stratigraphie (couche 3). Les deux couches de surface (couches 2 et 1), qui forment les 50-60 cm supérieurs de la stratigraphie, sont composées de sols terrigènes d’origine alluvionaire remaniés par les activités horticoles (fig. 23). Aucun tesson du premier millénaire avant J.-C. n’a été découvert dans ce niveau.
21Afin de préciser au maximum la chronologie d’occupation du site de Goro, les quatre datations sur charbon ont été conduites par ams. Une date de 1510+/-40 BP (Beta-154627) a été obtenue pour la base de la couche horticole inférieure du sondage B, où des tessons de poterie de la tradition de Plum, caractéristique du premier millénaire après J.-C, avaient été découverts. Trois datations ont été réalisées sur le niveau de premier peuplement, calibrées respectivement (pour le début de l’occupation) à 2920+/-40 BP (Beta-154626) pour le sondage F (70 cm) et 2850+/-40 BP (Beta-154625) pour la base du sondage A (100-110 cm). La partie supérieure de la couche 4 dans le sondage A (88 cm) a été datée de 2760+/-40 BP (Beta-154623). Ces résultats concordants permettent de dater la première occupation du site SGO015 de Goro entre 1100-1000 et 900-850 avant J.-C. (tab. 3). Le site fouillé est caractérisé par une installation de faible densité, probablement liée à un campement irrégulièrement occupé (peut-être avec quelques structures construites en arrière de la plage), en liaison avec un hameau permanent sur un ou plusieurs des îlots de la baie.

Figure 22. – Positionnement des sondages ouverts sur le site SGO015 de Goro

Figure 23. – Coupes stratigraphiques de l’alignement de sondages nord du site SGO015 de Goro

Tableau 3. – Tableau récapitulatif des datations ams au charbon obtenues sur les niveaux Lapita du site SGO015 de Goro (Sand et al., 2001 : 97-98)
L’installation de Boirra dans le nord-ouest de la Grande Terre
22Le site de Boirra, sur le bord de mer de la commune de Koumac (photo 19), a été fouillé de façon répétée entre le milieu des années 1970 et le début des années 1980 par une équipe dirigée par Daniel Frimigacci. À ce jour, aucune publication finale de ce site n’a été réalisée, en particulier sur le matériel archéologique. Des informations partielles sont présentées dans des rapports préliminaires (Frimigacci, 1978, 1980 ; Calaque et al., 1980). Au cours de cinq campagnes de terrain, totalisant de nombreux mois de fouilles, une superficie totale d’environ 100 m2 a été ouverte sur différents talus côté plage, la partie arrière du site ayant été nivelée par des bulldozers pour édifier un terrain de sport. La particularité principale de Boirra est d’être composée de toute une série de buttes atteignant aujourd’hui entre 50 cm et 80 cm de hauteur (Frimigacci, 1978 : fig. 3). Certaines buttes ont été plus ou moins complètement fouillées. La mise au jour de la stratigraphie a montré une histoire sédimentaire complexe, avec différents épisodes d’aménagements, de surcreusements et parfois d’édification de banquettes utilisant des dalles de sable consolidé (Frimigacci, 1978 ; Galipaud, 1988 : 19-22).
23La complexité de ces aménagements et l’absence de données sur la répartition des différents types de matériaux archéologiques dans les niveaux, à l’exception notable du chantier F (Galipaud, 1988), rendent actuellement impossible une synthèse complète sur la chronologie de Boirra. En effet, les nombreux réaménagements stratigraphiques ont, de toute évidence, perturbé profondément les couches et ont mélangé du matériel ancien avec du matériel récent, des tessons Lapita pointillés étant présents jusqu’en surface. La seule stratigraphie apparaissant raisonnablement structurée provient du chantier F, où Jean-Christophe Galipaud a mis au jour, au sein d’une butte, deux niveaux archéologiques (B et D) entrecoupés par des niveaux de sable stérile. Les illustrations du matériel issu de ce chantier montrent la présence de tessons Lapita de petite taille, mélangés à des tessons de tradition Podtanéan (Galipaud, 1988 : 21-22, fig. 15-16). En attendant la publication finale concernant ce site, il semble que la grande majorité des réaménagements observables dans la stratigraphie du site NKM001 de Boirra soit post-Lapita : il n’apparaît pas utile de décrire ici ces niveaux remaniés.

Photo 19. – Vue du bord de plage du site de Boirra en direction du sud-est
24Dans le cadre de cette publication, deux points peuvent néanmoins être relevés. Le premier concerne le début de la stratigraphie anthropisée. En effet, un fin niveau gris (niveau 5) a été dégagé à la base du chantier A (Frimigacci, 1978 : 19, fig. 6) (fig. 24). Ce niveau, dont la texture semble s’apparenter à ce qui est connu dans les autres sites de premier peuplement, pourrait correspondre au reliquat de la couche Lapita en place, dont toute la partie supérieure aurait été remaniée au cours des millénaires suivants en parallèle à la formation de couches supérieures, aboutissant à la présence de tessons pointillés jusqu’en surface du site. Le deuxième point concerne les aménagements en fosses avec banquettes consolidées par des dalles de sable congloméré. D’après la description, celles-ci apparaissent peu propices à un aménagement d’habitat (hypothèse proposée par Daniel Frimigacci [1978 : 21-22]) mais elles pourraient être les vestiges de structures horticoles pour des cultures humides en fosses. Un relevé préliminaire de la topographie de sous-sol par résistivité électrique a montré que ce qui apparaît comme des drains est présent dans le périmètre du site de Boirra (Sand, 1990). La technique de cultures horticoles en fosses, une tradition répandue en Océanie en bordure de marécages, est bien connue pour la période ethnographique (Barrau, 1956 ; Sand, 1995a : 178-181) et des vestiges de champs sont encore clairement observables à l’embouchure de la rivière Koumac, juste à l’ouest du site (Baret et Sand, 2005 : 34 et 167). Si une utilisation intensifiée du site pour des cultures horticoles a eu lieu au cours des derniers mille cinq cents ans, il n’est pas étonnant que la majorité des niveaux archéologiques ait été profondément remaniée, en particulier dans les zones basses au pied des buttes.

Figure 24. – Coupe stratigraphique du chantier A du site NKM001 de Boirra individualisant le niveau S (d’après Frimigacci, 1978 : fig. 6)
25La réalisation des datations au carbone 14 sur ce site entre la fin des années 1970 et le début des années 1980 doit être replacée dans le contexte de recherche de l’époque, caractérisé par l’hypothèse d’une chronologie Lapita longue. La nécessité de recourir à des datations classiques, avant la possibilité d’accès à l’ams, obligeait de plus à disposer d’une quantité significative de charbons par échantillon, ce qui est souvent difficile pour les niveaux anciens. Il n’est ainsi pas surprenant qu’aucune datation n’ait été effectuée sur le niveau 5 du chantier A, qui apparaît comme le seul pouvant peut-être encore caractériser un horizon en place. Le niveau 3 du chantier A a donné un résultat sur charbon de 2515+/-130 BP (UW-364) (Frimigacci, 1980), avec une forte fourchette de calibration. Calibré à 2 sigma, ce résultat permet néanmoins de définir pour le niveau 5 en dessous, une occupation au minimum quelques générations plus tôt. Toutes les autres datations, issues des différents chantiers ouverts autour du chantier principal A, ont donné des résultats entre la fin du premier millénaire avant J.-C. et le début du premier millénaire après J.-C. (Galipaud, 1996 : tab. 2). De toute évidence, au vu des stratigraphies et des tessons fragmentés découverts, ces échantillons datent des niveaux post-Lapita contenant du matériel archéologique de premier peuplement remanié. Ils ne peuvent pas être utilisés pour définir la première occupation du site de Boirra. La seule indication fiable d’une présence humaine au début du premier millénaire avant J.-C. dans la région de Koumac est fournie par la mise au jour d’un niveau de première occupation dans un abri fouillé à l’arrière de la plaine alluviale, à environ 5 km du bord de mer. Deux datations aux résultats chronologiques inversés (2690+/-90 BP [Beta-72826] à-123 cm de profondeur et 2860+/-90 BP [Beta-69688] à -103 cm de profondeur [Sémah et al., 1995]), probablement dues à des problèmes de « vieux bois », fournissent une indication indirecte permettant de soutenir l’hypothèse d’une première occupation du site de bord de mer de Boirra par des populations Lapita au tout début du premier millénaire avant J.-C. Seules de nouvelles fouilles sur le site NKM001 pourraient permettre de préciser la chronologie de cette première occupation.
L’ancienne île de Vavouto
26L’ensemble de sites Lapita découvert sur la presqu’île de Vavouto en 2000 lors d’un programme de prospection entrant dans le cadre d’une étude d’impact archéologique (Baret et al., 2000) a commencé à être fouillé en 2002. Cette étude a permis de circonscrire, partiellement, l’étendue de l’occupation et les caractéristiques du premier peuplement du site WVH050 de Ouané. Trois sondages ont identifié, dans un profil stratigraphique pouvant atteindre 100 cm, sous un niveau de surface, un niveau II caractérisé par :
« un épais dépôt d’argile solidifiée [...]. Sous l’argile se trouvait une couche de sable calcaire meuble (couche III).* » (Carson, 2002 : 135)

Figure 25. – Coupe stratigraphique du sondage 809 sur le site Lapita WVH050 de Vavouto (d’après Barp, 2006 : fig. 185)
27Le niveau III, fortement concrétionné à certains endroits et nécessitant une fouille à la barre à mine, a permis de mettre au jour des tessons pointillés Lapita et des tessons imprimés au battoir. Dans la partie supérieure de la stratigraphie, ces deux traditions étaient mélangées avec des types céramiques plus récents, indiquant une stratigraphie partiellement remaniée (Carson, 2002 : 135-150). Les fouilles plus étendues réalisées en 2005 ont permis la découverte de matériel archéologique Lapita bien en place dans le niveau inférieur (fig. 25), avec de gros tessons décorés. À la base de la stratigraphie ont été différenciées un certain nombre de structures au sol (Barp, 2006 : 191-192). Des échantillons ont permis de dater par ams la période de première occupation à 2760+/-40 BP (Beta-207463) pour la fosse F8041 et 2690+/40 BP (Beta-207462) pour la fosse F8048 (tab. 4).

Tableau 4. – Calibration des deux datations ams au charbon du niveau Lapita du site WVH050 de Vavouto (Barp, 2006 : 191-192)
28Les fouilles étendues réalisées en 2005 ont confirmé l’absence de niveau Lapita en place dans le site WVH053/54 (Carson, 2002 :169 ; Barp, 2006 : 141-143). Les réaménagements post-Lapita dans la partie basse de la stratigraphie de ce site sont datés de la seconde moitié du premier millénaire avant J.-C. (Carson, 2002 : 180-181), l’occupation principale étant, quant à elle, datée du deuxième millénaire après J.-C. (Barp, 2006 : 143).
Le site éponyme de Lapita sur la zone de Foué
29La baie située à l’est de la presqu’île de Foué à Koné, est bordée par le site éponyme de Lapita. Localisé dès le début du xxe siècle, fouillé dès 1952 (Gifford et Shutler, 1956), il a été prospecté à plusieurs reprises au cours des années 1970 (Frimigacci, 1975) et 1980 (Galipaud, 1987), avant la reprise des fouilles dans les années 1990 (Sand, 1998). La mise en place d’un programme de plusieurs années par le département Archéologie et la réanalyse des données de certaines fouilles plus anciennes (Sand et al., 2002) a permis de clarifier grandement les différentes stratigraphies présentes sur les trois localités du site. Il apparaît aujourd’hui que l’histoire sédimentaire de la baie est complexe et ne peut se réduire à une interprétation unique comme cela a été tenté par le passé (Frimigacci, 1975 ; Galipaud, 1987).
Le reliquat de niveau ancien sur la localité WKO013
30La localité WKO013, dans la zone nord-ouest de la baie, fouillée initialement en juillet 1952, est aujourd’hui très fortement érodée. Elle comporte une stratigraphie relativement simple avec, à la base, des niveaux de sable détritique plus ou moins concrétionnés, englobant des ponces. Le niveau supérieur est formé d’un sédiment terrigène argileux compact, renfermant divers types de poteries, dont des tessons pointillés souvent roulés. À la base de ce niveau probablement utilisé comme terrain horticole à un moment de la chronologie, se distinguent, en certains points de la stratigraphie, les vestiges d’un horizon sableux fin discontinu de couleur grise, renfermant des coquillages, du charbon et des tessons (photo 20). Un échantillon de charbon provenant de ce niveau a fourni un résultat par ams de 2660+/-40 BP (Beta-179501), s’inscrivant dans la fourchette chronologique Lapita. Rappelons que deux datations sur les charbons découverts dans un niveau argileux supérieur avaient été réalisées à l’issue des fouilles de 1952, avec des résultats de 2800+/-350 BP (M-341) à 24-30 pouces de profondeur et de 2435+/-400 BP (M-336) à 30-36 pouces de profondeur respectivement (Gifford et Shutler, 1956 : 89). La réanalyse des sédiments et du matériel de cette fouille (Sand et al., 2002) a permis de montrer que cette localité renfermait principalement de la poterie de Podtanéan.

Photo 20. – Vue de la stratigraphie du site WKO013
Le talus érodé de la localité WKO013B
31À l’autre extrémité de la baie se trouve la localité WKO013B, également en cours de forte érosion depuis plusieurs décennies. Au cours des quinze dernières années, près de cinq mètres de profondeur du talus de bord de mer ont été rongés par la mer en certains points, mettant régulièrement au jour de nouveaux vestiges (Dédane et Kasarhérou, 1988 ; Sand et Ouetcho, 1993b). Les différentes fouilles réalisées par le département Archéologie sur ce site ont permis de différencier clairement cinq niveaux stratigraphiques, comportant pour certains des vestiges céramiques en place (fig. 26). Le niveau supérieur A est formé d’une terre argileuse compacte, très homogène. À sa base a été identifiée une surface d’occupation dans un niveau B devenant progressivement plus sableux. L’occupation humaine est marquée par un horizon d’installation dans la partie supérieure du niveau, caractérisé en particulier par un four en pierre (photo 21), des vestiges de coquillages consommés, des tessons post-Lapita en place et des tessons pointillés roulés. La datation du four a donné un résultat sur charbon de 2290+/-40 BP (Beta-179503). La sépulture en fosse baptisée « Anne » découverte en 1988, aménagée dans le niveau sableux (Pietrusewsky et al., 1998), est probablement contemporaine de l’occupation de la partie supérieure du niveau B. La base de ce niveau B, plus sableuse, comportant une proportion nettement plus importante de tessons et de coquilles roulés, a été interprétée comme un horizon redéposé en sommet d’une borne de sable (niveau C). Deux datations sur charbon, de 2660+/-40 BP (Beta-92762) (100 cm) et 2610+/-50 BP (Beta-136943) (125 cm), sont probablement issues d’échantillons redéposés avec les tessons roulés. Une datation sur coquille d’Anadara scapba prélevée à 90 cm de profondeur a donné un résultat de 2450+/-70 BP (Beta-59964) après calibration (2870+/-70 BP). Il apparaît donc qu’on a affaire ici à une occupation pérenne de la partie supérieure du niveau B, contemporaine d’un changement d’environnement des talus de bord de mer et de la mise en place de sédiments argileux. Le niveau B repose sur un niveau sableux C, composé de différents horizons lités de sable plus ou moins grossiers, dont la formation semble d’origine marine et non éolienne comme l’a précédemment proposé Galipaud (1988). Le matériel archéologique découvert dans ce niveau, composé de quelques tessons et de coquillages, est visiblement remanié, tous les vestiges comportant des signes d’érosion. Calé entre ce niveau sableux supérieur C et différentes couches de corail roulé et de sable de taille variable du niveau E, se trouve un horizon de sable concrétionné D. Aucune observation au cours de la dernière décennie n’a permis d’identifier au-dessus de cet horizon un réel sol d’occupation Lapita, tous les vestiges attribuables à la première phase de peuplement découverts sur WKO013B correspondant à des enfouissements spécifiques en fosse centrés au niveau de l’horizon concrétionné. C’est ainsi que quatre ensembles de fosses renfermant une poterie entière ou de gros fragments céramiques ainsi qu’une fosse contenant des restes humains ont été découverts au cours des deux dernières décennies (photo 22). Ces données laissent à penser que le niveau d’occupation Lapita de la localité WKO013B, s’il a existé, a été lessivé peu après sa mise en place, peut-être lors d’un événement naturel majeur ayant permis la formation du niveau C. Une alternative moins convaincante est que la zone d’occupation ait été située plus en avant du bord de mer, dans la partie aujourd’hui totalement érodée du site. Ce qui reste de l’horizon de premier peuplement Lapita sur cette partie de la baie, localisé aujourd’hui à plus de 2 mètres sous la surface, a été daté grâce à des échantillons prélevés dans les différentes fosses mises au jour. Les résultats, tous sur charbon, sont de 2560+/-50 BP (Beta-136946) (ams) pour une grande poterie découverte en 1992, de 2770+/-50 BP (Beta-144344) (ams) pour une grande poterie simple à décors en zigzag et de 2850+/-60 BP (Beta-61955) (ams) pour un pot mis au jour par André-John Ouetcho. Deux autres échantillons de charbon, provenant des sédiments entourant les vestiges osseux humains découverts sur le site en 2003 (Sand et al., 2003 ; Valentin et al., 2004), ont été datés respectivement de 2870+/-40 BP (Beta-179504) et 2720+/-40 BP (Beta-179505). Ces datations s’insèrent parfaitement dans la chronologie connue pour la période Lapita dans l’archipel.

Figure 26. – Relevé de la coupe stratigraphique du sondage principal de la localité WKO013B de Lapita

Photo 21. – Vue du four en pierre dégagé dans la couche B post-Lapita de la localité WKO013B de Lapita

Photo 22. – Poterie entière découverte en 2004 enfouie à la base du remplissage anthropisé du talus WKO013B de Lapita
Les horizons de premier peuplement en place de la localité WKO013A
32Bien que fouillée dès 1952, la localité WKO013A située au centre de la baie et qui correspond probablement à l’occupation principale, n’a été relocalisée qu’en 1991 (Sand et Ouetcho, 1992). Trois campagnes successives au milieu des années 1990 ont permis de fouiller en tout environ 70 m2 de surface et de reconstituer de façon relativement complète la diversité des ensembles stratigraphiques. Il apparaît tout d’abord que la formation sableuse sur laquelle est installée la localité WKO013A est relativement récente. Le site repose en effet sur des niveaux de tourbes renfermant des racines de palétuviers. Une de ces racines a été datée de 6260+/-70 BP (Beta-136945). Le niveau supérieur de tourbes a été daté sur fragments organiques (bois) de 5980+/-60 BP (Beta-136944). Ces niveaux verdâtres sont couverts par des niveaux sableux de marécages devenant de plus en plus océaniques, avec la présence de coquilles sous le premier niveau archéologique anthropisé.
33Au-dessus de cette base stratigraphique ancienne, la succession des dépôts peut grossièrement se diviser en trois catégories. Vers le bord de mer, la base du remplissage anthropisé repose sur un niveau de sable grossier partiellement congloméré. Le conglomérat a jadis été décrit comme une dalle formée :
« de petites coquilles de lamellibranches entières constituant la partie marine sommitale croûtéfiée de la terrasse sous un niveau de ponces jaunes à 1,5 m au-dessus du niveau moyen actuel et pouvant représenter approximativement le niveau des Hautes Mers. » (Coudray et Delibrias, 1972 : 2625)
34Mais il n’est pas évident que les coquilles et les fragments de corail soient en position stratigraphique primaire dans le substrat de sable dans lequel ils ont été incorporés. Une datation sur coquillage obtenue au début des années 1970 (à une époque où les questions de réservoir marin n’étaient pas encore clairement identifiées) avait daté la « dalle » de 3040+/-100 BP (Gif-1981) (Coudray et Delibrias, 1972 : 2623), calibré 3442+/-105 BP après inclusion du C13 (Spriggs, 1990b : 16). Au-dessus, les fouilles n’ont permis de localiser, dans des stratigraphies anthropisées ne dépassant souvent pas 50 cm d’épaisseur, que quelques reliquats de l’horizon Lapita en place. Le niveau supérieur, formé d’une terre sablo-argileuse brun foncé, renferme des tessons de poterie de différentes époques. Il s’agit d’un niveau horticole, organisé en billons allongés qui étaient encore visibles il y a quelques années en surface du site, dont le retournement régulier a profondément mélangé les couches archéologiques. Il n’est donc pas étonnant qu’une datation réalisée dans les années 1970 sur une coquille prélevée dans ce niveau supérieur remanié « à 0,10 m sous la surface » (Coudray et Delibrias, 1972 : 2625) », ait donné une estimation de 2250+/-100 BP (Gif-1983) (Coudray et Delibiras, 1972 : 2623), soit 2662+/-100 BP après correction C13 (Spriggs, 1990b : 16), trop récente pour correspondre à l’occupation de premier peuplement. L’existence ancienne d’un niveau Lapita est néanmoins démontrée par les nombreux tessons pointillés et le matériel non céramique ancien (parures, fragments d’herminettes, éclats lithiques) présents dans le niveau supérieur, ainsi que par l’identification de vestiges de trous de poteau. Un de ces reliquats a été daté sur charbon de 2780+/-60 BP (Beta-74600/cams 15331) (carré 34J22, 50-55 cm). De plus, l’érosion continue du bord de mer a permis de mettre au jour sur la plage une grosse fosse ne contenant pas moins d’une quinzaine de poteries décorées plus ou moins complètes (Sand, 1997a ; Sand, Coote et al., 1998) (fig. 27). Un échantillon de charbon prélevé à la base de cette fosse, sous la poterie n° 2, a été daté par ams de 2930+/-50 BP (Beta-136947), un autre prélevé dans la poterie entière n° 2 a été daté de 2820+/-50 BP (Beta-92752, ams Oxford).
35La deuxième zone stratigraphique est localisée dans la partie centrale du site, avec l’identification de trois niveaux différenciés (photo 23). Le niveau supérieur correspond à l’horizon horticole, souvent moins épais que vers le bord de plage. La base du niveau remanié a été datée à partir de quatre échantillons par ams sur charbon à 2610+/-40 BP (Beta-136949) (Zonel, D3, 30-40 cm), 2610+/-40BP (Beta-136955) (Zone IV, F6, fosse 1, 30-50 cm), 2550+/-50 BP (Beta-136951) (Zone I, base de fosse) et 2470+/-40 BP (Beta-136952) (Zone II, G3, 30-35 cm). La découverte d’un squelette daté de 1100+/-40 BP (Beta-125135) (Valentin et Sand, 2001), permet d’associer à la dernière phase d’occupation préhistorique – en parallèle aux nombreux tessons de la tradition récente d’Oundjo présents dans le niveau supérieur – les structures horticoles visibles en surface. Le niveau supérieur repose sur un niveau Lapita souvent très riche en vestiges coquilliers, pouvant atteindre 40 à 50 cm d’épaisseur. Il apparaît que l’importance de cette couche coquillière a été le facteur prépondérant du faible développement de la couche horticole dans cette partie du site, les horticulteurs post-Lapita ayant limité leur labour à la fine couche humiphère supérieure. En conséquence et suivant l’importance du remaniement, une proportion variable de tessons pointillés a été intégrée dans l’horizon horticole. Globalement, dans cette partie du site, le niveau Lapita apparaît bien homogène, s’apparentant dans sa moitié inférieure à un niveau de dépotoir ayant progressivement entraîné un comblement (cf. paragraphe suivant). À l’issue du dégagement d’une zone de plusieurs dizaines de mètres carrés en 1996, toute une série de datations a été réalisée sur ce niveau. La base du remplissage a été datée sur charbon par ams de 2780+/-50 BP (Beta-136954) (Zone II, G3, 64 cm), 2810+/-50 BP (Beta-136950) (Zone I, D3, 40-50 cm) et 2860+/-40 BP (Beta-136953) (Zone II, G3, 45 cm). La base de l’occupation de premier peuplement repose sur un niveau sableux partiellement induré, dans lequel ont été creusés des trous de poteaux et des fours, témoins de la présence d’habitats. Le contenu de l’un d’eux a été daté sur charbon de 2900+/-120 BP (Beta-75584) (carré 17U25, 80 cm) et deux fosses ont été datées par ams respectivement de 2750+/-40 BP (Beta-136956) (Zone I, D3, 50-60 cm) et 2730+/-40 BP (Beta-136957) (Zone IV, F10, structure base). Une inhumation en fosse, fouillée en 1967 par Richard Shutler, a été datée sur os humain de 2710+/-80 BP (Beta-125136) (Valentin et Sand, 2000) et, plus récemment, de 2587+/-30 BP (Wk-23255). Une seule datation a été réalisée sur un coquillage, livrant un résultat de 2590+/-60 BP (Beta-55998), calibré de 2970+/-60 BP après correction C13.

Figure 27. – Coupe schématique de la stratigraphie de bord de mer face à la localité WKO013A du site de Lapita au niveau de la double fosse à poteries découverte en 1995

Photo 23. – Coupe du sondage section 18Y24 au centre de la localité WKO013A de Lapita
36La dernière zone stratigraphique est localisée dans la partie nord du site, vers l’estuaire de la rivière Koné. Sous le niveau horticole se succèdent jusqu’à parfois plus de 100 cm de profondeur, des horizons de sable plus ou moins fins, parfois conglomérés et renfermant du matériel archéologique (fig. 28). Ces horizons sont entrecoupés par des sols d’occupation caractérisés par de petits foyers et des trous de poteau de petite taille, dont un a été daté sur charbon de 2800+/- 60 BP (Beta-74603/cams 15332) (carré 11K22, 55-60 cm). À la base du remplissage, on note la présence d’horizons argileux humides brunâtres, parfois entrecoupés de lentilles de sable fin, renfermant du matériel archéologique. Une datation sur charbon réalisée sur des échantillons prélevés sous le premier horizon anthropisé, a donné un résultat de 3120+/-170 BP (Beta-75586) (carré 11K22, 90-95 cm), montrant que le début de la mise en place de ce niveau est pré-humain et semble caractériser un bord de zone marécageuse. La présence de cette zone marécageuse a permis la pousse de petites coquilles d’huître sur des tessons Lapita, avant leur recouvrement par des niveaux de sable détritique. La mise en place du niveau inférieur dans cette partie du site a été datée par quatre échantillons de charbon, avec des résultats respectivement de 3050+/-60 BP (Beta-75585) (carré 10Y22, 115 cm), 2930+/-90 BP (Beta-92753) (carré 12 R6, niveau induré), 2780+/-50 BP (Beta-136948) (ams, carré 11K22, 95-100 cm). La datation d’un échantillon à 115-120cm (carré 10Y22, couche 11) a donné un résultat de 2730+/-60 BP (Beta-100296) probablement trop récent si on le met en parallèle avec les autres datations du même niveau profond. Comme pour la catégorie précédente, il apparaît ici qu’il y a comblement progressif du bord de mer face au delta de la rivière Koné, aboutissant à l’élargissement de l’espace habitable du site.

Figure 28. – Coupe du sondage section 11K22 en partie arrière de la localité WKO013A
Localité WKO013

Localité WKO013A

Localité WKO013B

* : coquille marine ; ¤ : datation ams
Tableau 5. – Tableau de synthèse des datations obtenues sur le site de Lapita (Sand, 1996a : 31-33 ; 1998a et non publiées)
Synthèse
37L’ensemble de ces datations issues des différentes localités du site WKO013 permet de dater l’occupation Lapita du site principalement entre 1050 et environ 850 avant J.-C. (tab. 5), avec des occupations postérieures régulières.
La première occupation de la plage de Nessadiou
38L’occupation Lapita du bord de mer de Nessadiou, localisé géographiquement en plein centre de la côte Ouest, a donné lieu à des interventions dans le cadre d’opérations de sauvetage à la fin des années 1970. Une synthèse de ces travaux a été publiée (Frimigacci, 1999a), permettant d’avoir une vision synthétique des découvertes. Tous les sondages effectués dans la partie est de la dune ont montré l’existence de stratigraphies peu profondes et remaniées, bien que des tessons de poteries pointillés soient présents. Les résultats les plus complets ont été obtenus sur la partie centrale de la dune, en bordure d’une zone vidée par la carrière de sable. Trois ensembles de sondages, numérotés chantiers A, B et C, ont mis au jour une stratigraphie anthropisée atteignant en moyenne 50 à 60 cm de profondeur. Trois niveaux (hors de la couche de surface), numérotés I (un remplissage légèrement sableux noir), IIa et IIb (une couche plus ou mois sableuse bleutée), ont été distingués par Daniel Frimigacci (1999a : 71-77). Globalement, les tessons de poterie Lapita sont aussi nombreux en sommet de stratigraphie qu’à la base. Le sommet du niveau Ha a été daté par des échantillons de charbon respectivement de 940+/-50 BP (UW-645) (chantier B, Niv IIa, -25 cm), 930+/-40 BP (UW-646) (chantier C, Niv IIa, 30-35 cm) et 1780+/-100 BP (UW-472) (chantier A, Niv IIa, -22 cm). La base du niveau IIb a été datée sur charbon de 2875+/-115 BP (UW-471) (chantier A, Niv IIb base, 40-55 cm), 2790+/-120 BP (UW-647) (chantier F, base Ilb, -80 cm) et 2710+/-50 BP (UW-648) (chantier G, base IIb, 70-80 cm).
39Profitant du décapage complet des niveaux supérieurs anthropisés réalisés par les bulldozers, Daniel Frimigacci a également réalisé dans la carrière un relevé complet des structures apparaissant dans le sable stérile, ainsi que la fouille des creusements principaux (fig. 29). Ces témoins en négatif peuvent grossièrement se subdiviser entre les fosses-poubelles (numérotées chantiers D, E et F) et les trous de poteau (dont les chantiers I et L) (Frimigacci, 1999a : 77-80). Les trous de poteau fouillés comportent encore, pour certains, les bases de bois carbonisé. Ceci est en particulier le cas d’un poteau du chantier I, daté de 820+/-40 BP (UW-650). Certaines fosses renfermaient de nombreux tessons Lapita bien conservés. Les datations sur charbon permettent de clairement définir la période de remplissage de ces fosses. La fosse du chantier D, d’une capacité d’environ 7 m3, comportait en stratigraphie l’indication d’une occupation étalée sur un certain temps, entrecoupée de périodes de non-utilisation identifiées par des lentilles de sable stérile. Elle a été datée de 2830+/-50 BP (UW-652) (-86 cm [sommet]) et 2790+/-60 BP (UW-654) (-180 cm [base]), avec une petite inversion de date parfaitement dans la fourchette de calibration. La fosse E a donné une datation relativement récente de 2600+/-55 BP (UW-651) (-180 cm [base]), ainsi qu’une datation plus conventionnelle de 2760+/-60 BP (UW-653) (-180 cm [base]).

Figure 29. – Relevé de structures au sol réalisé par D. Frimigacci sur la zone centrale du site WBR001 de Nessadiou (d’après Frimigacci, 1980 : fig. 6)
40Les datations très récentes obtenues pour certains niveaux du site nous ont incités à refouiller ce site en 1996 (Sand, 1996 : 87-100). Trois mètres carrés ont été implantés proches des chantiers B et C de Daniel Frimigacci. La fouille a montré l’existence d’une stratigraphie très perturbée divisée en trois niveaux, avec la présence de fosses s’enfonçant à chaque niveau dans la couche inférieure (fig. 30). Trois datations sur charbon ont été obtenues sur différents creusements identifiés, avec des résultats de 1760+/-50 BP (Beta-100294) (1A, structure 1 [50-60 cm]) et 1710+/-50 BP (Beta-109374) (1B, 50-60 cm) pour la partie basse de la stratigraphie, ainsi que de 60+/-60 BP (Beta-100295) (1B, 37 cm) pour la partie supérieure de la stratigraphie. Surtout, il est apparu que, là où le niveau Lapita était encore en place, il était peu épais, dépassant rarement quelques centimètres. La présence de tessons pointillés de taille de plus en plus petite jusqu’en surface (Sand, 1996a : fig. 123), s’explique donc simplement par une forte perturbation post-Lapita du site, avec un mélange des niveaux stratigraphiques à de nombreuses reprises au cours des millénaires, en particulier lors d’activités horticoles.
41Ces nouveaux résultats permettent d’interpréter de façon différente les données obtenues sur ce site à la fin des années 1970. Clairement, l’occupation ancienne en place est celle datée par les fosses et la base du niveau IIb, caractérisé par un sédiment plus clair. Daniel Frimigacci note d’ailleurs que, dans son chantier B, il y a :
« En A7, apparition de grosses ponces jaunes dans un sol nettement plus clair (gris clair). Ces ponces pourraient distinguer le niveau IIa du niveau IIb, plus ancien. En A7, à -40/45 cm, on atteint la base du remplissage archéologique. Cependant, une poche riche en tessons de poterie, ponces jaunes et cendres se prolonge jusqu’à -70 cm. » (Frimigacci, 1999a : 73)
42L’absence de nombreux tessons imprimés au battoir (de la tradition de Podtanéan) et incisés (de la tradition de Puen) sur le site WBR001 (Frimigacci, 1999a : 83), contrairement au site voisin WBR002 de l’autre côté de la plaine (où ces poteries post-Lapita sont bien présentes [Frimigacci, 1999a : 82]), indique qu’il y a eu chronologiquement, à la fin ou dans les siècles après la période Lapita, un déplacement de l’habitat, avec abandon de la zone occupée par le premier hameau. Une nouvelle utilisation de la zone de WBR001 au début du premier millénaire après J.-C. a entraîné le mélange de matériel de l’occupation Lapita, selon toute probabilité dans le cadre d’activités horticoles. D’après les données publiées à ce jour sur les fouilles de la fin des années 1970, il est difficile de clairement identifier si cet événement s’est accompagné de la mise en place d’un niveau d’installation. Enfin, la dernière phase d’occupation correspond à l’implantation d’un hameau avec habitats, daté du début du deuxième millénaire après J.-C. Le lien entre ce niveau supérieur et les trous de poteau de cases relevés en plan est identifiable dans le texte de Daniel Frimigacci, qui note pour le chantier B que :
« En B3, le sol sableux stérile apparaît, mais on observe la trace d’un trou de poteau contemporain du niveau IIa qui s’enfonce dans ce sable jusqu’à 1,38 m de la surface. Ce poteau est comparable à ceux mis en évidence dans le sable blanc de la carrière, il pourrait faire partie des mêmes structures. » (Frimigacci, 1999a : 74)

Figure 30. – Coupe stratigraphique du sondage A fouillé en 1996 sur le site WBR001 de Nessadiou
43Cette période est caractérisée dans la moitié sud de la Grande Terre par la tradition céramique de Néra (Sand, 1995a), dont de nombreux tessons ont été découverts dans les sondages (Frimigacci, 1999a ; Sand, 1996). Les habitats cartographiés à la base du site WBR001 ne sont donc pas de la période Lapita.

Tableau 6. – Tableau de synthèse des datations sur charbons prélevés dans des niveaux Lapita non remaniés obtenues sur le site WBR001 de Nessadiou par Daniel Frimigacci (1999a)
44Cette analyse détaillée sur un des sites les plus importants de l’archipel calédonien laisse apparaître un problème de taille. En effet, si les datations ont été capables de définir clairement la date de la première installation Lapita à Nessadiou, l’importance numérique des tessons pointillés découverts dans les niveaux remaniés indique que cette occupation s’est poursuivie après les niveaux qu’il a été possible de dater par l’horizon et les fosses en place, sans qu’il soit possible de définir clairement la longueur de l’occupation. Les études sur le matériel fouillé par Daniel Frimigacci indiquent que « la masse des tessons est dix fois plus importante dans les fosses » (Siorat, 1999 : 109), laissant supposer que le remplissage de la stratigraphie remaniée des sondages ne représente statistiquement qu’une petite quantité de la masse totale des tessons de poterie Lapita présents sur le site. Ceci pourrait indiquer une occupation de premier peuplement de faible durée. L’indication d’une très faible présence de tessons au battoir de la tradition Lapita sur WBR001, vient renforcer l’hypothèse que l’occupation de premier peuplement n’a pas été très longue. En effet, dans tous les sites dont l’occupation se poursuit après le premier peuplement ou commence après la période Lapita, la quantité des tessons imprimés au battoir est importante et parfois massive (Frimigacci, 1982 ; Green et Mitchell, 1983 ; Sand, 1994b ; Galipaud, 1999). De façon significative, ceci est le cas du site voisin WBR002 (Frimigacci, 1999a : 82-83). Une occupation restreinte aux tous premiers siècles du peuplement austronésien est donc plus que probable sur le site WBR001 de Nessadiou (tab. 6).
Le site Lapita le plus méridional : Saint-Maurice-Vatcha
45Si la majorité des questionnements sur la chronologie des sites Lapita menée dans le cadre des programmes du département Archéologie a porté sur une meilleure définition de la période de début et de fin d’occupation de ces sites en Nouvelle-Calédonie, l’analyse sur le site KVO003 de Saint-Maurice-Vatcha à l’île des Pins s’est focalisée sur le problème spécifique de la possible existence de deux niveaux Lapita anciens, occupés à des dates différentes. En 1948, Maurice Lenormand avait publié dans son article décrivant la découverte du site, une coupe stratigraphique montrant un remplissage sur près de cinq mètres d’épaisseur (Lenormand, 1948 : fig. 2), mais décrivant dans le texte une stratigraphie en deux couches, d’une épaisseur totale d’environ 150 cm (Lenormand, 1948 : 56). La fouille de 38 m2 du site à la fin des années 1950 avait montré la présence d’un remplissage ne dépassant pas 50 cm de profondeur, avec l’identification d’une stratigraphique divisée en deux niveaux anthropisés (Golson, 1962 : 15). Dans le cadre de la préparation de la thèse de Collin Smart, le niveau inférieur II avait été daté sur charbon de 2855+/-165 BP (anu-262) (Golson, 1971 : 75). En reprenant les fouilles sur KVO003 à la fin des années 1960 dans le cadre de sa propre thèse, Daniel Frimigacci avait doublé une partie des sondages de Jack Golson mais avait également fouillé une zone apparemment intacte au nord-est du front de mer. La mise au jour d’une série de structures de combustion dans un niveau fortement induré, qui se poursuivait sous le chantier principal mais sans vestiges archéologiques, incita Daniel Frimigacci à interpréter cet horizon inférieur IV comme une occupation plus ancienne. Cette hypothèse semblait être confirmée par la datation de 4010+/-75 BP obtenue par le laboratoire japonais Gakushin sur une coquille de coquillage terrestre Placostylus senilis découverte dans cet horizon IV (Frimigacci, 1970 : 43). L’étude des motifs pointillés, réalisée par Roger Green dans le cadre de son article de synthèse publié en 1979, semblait confirmer l’existence de deux niveaux chronologiquement différenciés, tout en rejetant le résultat de la datation du coquillage terrestre (Green, 1979a : 32).

Photo 24. – Fouille du chantier 2 implanté sur le sommet du talus de bord de mer de la localité Saint-Maurice du site KVO003 à proximité d’un sondage ouvert par Jack Golson en 1959
46L’hypothèse de deux périodes chronologiquement et stratigraphiquement séparées d’occupation Lapita à Saint-Maurice-Vatcha prenait dans les années 1990 une importance nouvelle, dans le cadre de la suggestion de différentes vagues de peuplement au début de la chronologie préhistorique de la Nouvelle-Calédonie (Galipaud, 1992c), débutant dès le milieu du deuxième millénaire avant J.-C. (Galipaud, 1992b). Ceci a incité le département Archéologie à réaliser un nouveau programme de fouilles sur le site KVO003, en parallèle à une analyse des travaux plus anciens. En tout, 15 m2 ont été fouillés, aussi bien dans la zone de Saint-Maurice fouillée par Jack Golson (photo 24) que dans la zone de Vatcha où Daniel Frimigacci avait localisé son horizon IV. Les nouveaux sondages réalisées dans la zone de Saint-Maurice ont confirmé que les stratigraphies de la partie sud-ouest de la dune sont toutes relativement semblables (fig. 31). La partie supérieure du remplissage est formée, à partir de la surface, d’un premier niveau de sable terrigène, puis d’un niveau de sable brun. Celui-ci renferme très peu de matériel archéologique avec principalement des coquillages et des tessons roulés. Aucune réelle trace d’occupation n’a pu être identifiée. La base de ce niveau sur le chantier 2, caractérisée par la présence de beaucoup de petites coquilles de bivalves, a été datée sur charbon de 2410+/-50 BP (Beta-119176) (B1, 30-40 cm). Sur le chantier 1, la base du niveau a été datée sur charbon de 1690+/-90 BP (Beta-92754) (B1, 30-40 cm). Ces formations reposent sur un niveau archéologique de sable de couleur gris, qui correspond à l’occupation Lapita, avec beaucoup de matériel céramique, lithique et coquillier, ainsi que des structures au sol (trous de poteau et fosses). La base de l’occupation avait été datée dans un premier temps sur charbon de 3050+/-80 BP (Beta-92755) (sond. A, 50-60 cm), mais ce résultat ancien a été tempéré par un résultat sur charbon de 2750+/-60 BP (Beta-100292) (sond. B, 40-50 cm) réalisé sur le même contexte stratigraphique. Cinq autres datations rapprochées sur charbon, permettent de définir avec précision la chronologie d’occupation Lapita sur le site de Saint-Maurice : 2820+/-50 BP (Beta-92756) (chantier 1, A3, fosse), 2800+/-50 BP (Beta-92757) (chantier 2, A2, 50-60 cm), 2800+/-60 BP (Beta-119178) (chantier 2, Al, 60-107 cm), 2790+/-50 BP (Beta-119177) (chantier 2, A2, 40-50 cm) et 2520+/-60 BP (Beta-119179) (chantier 1, Bl, 40-50 cm). Enfin, la partie inférieure de la stratigraphie est composée de couches de sable plus ou moins induré suivant la profondeur. Si vers le bord de mer, l’induration aboutit à la formation de plaques cimentées, ceci est bien moins le cas en arrière du talus, indiquant que l’induration est un phénomène naturel ne correspondant pas à un niveau stratigraphique spécifique, mais plutôt à un phénomène de solution chimique entre l’eau douce et l’eau salée.

Figure 31. – Coupe stratigraphique du chantier 1 de la localité de Saint-Maurice du site KVO003

Figure 32. – Coupe stratigraphique de la localité de Vatcha du site KVO003
47La deuxième zone fouillée se situe en bordure du chantier de Vatcha où Daniel Frimigacci avait découvert l’horizon IV en place. L’ouverture d’un sondage en sommet de dune (chantier 3) a permis de montrer la présence de plusieurs couches archéologiques clairement différenciées dans le niveau de remplissage situé au-dessus de la dalle concrétionnée formant l’horizon IV (fig. 32). Ces couches renferment des trous de poteau et un four, ainsi que du matériel céramique, dont des tessons pointillés de petite taille. La base du remplissage à environ 100 cm de profondeur, au-dessus de la dalle conglomérée, a été datée sur charbon de 2080+/-50 BP (Beta-100291) (B1, 80-90 cm) et 2070+/-50 BP (Beta-119174) (B1, couche 10, 110 cm). Une première datation de 2380+/-80 BP (Beta-92758) (B1, 60-70 cm) (sur charbon pour le four découvert à 50-70 cm de profondeur) apparaissait trop ancienne, avant d’être jugée incorrecte à l’issue d’une deuxième datation pour la même structure sur charbon de 2030+/-50 BP (Beta-119175) (B1 57-60 cm). L’horizon IV avec des vestiges archéologiques apparaît être limité à une petite zone, d’environ 20 m2, érodée vers le bord de mer et ne s’étendant pas vers l’intérieur des terres. Cette partie du site étant en cours d’érosion depuis longtemps, il est possible que le niveau s’étendait plus avant vers le bord de mer lors de l’occupation Lapita. La découverte d’un reliquat de niveau en place dans la zone sud-ouest, non fouillé en 1970, a entraîné, entre autres, la mise au jour d’un foyer appareillé en dalles de sable congloméré (fig. 25) dans l’horizon induré. Ceci a permis de dater, pour la première fois, cet horizon sur charbon, avec un résultat de 2810+/-70 BP (Beta-92759) (F1, au-dessus de la cendre dure), 2800+/-40 BP (Beta-92760) (F1, sous la cendre dure) et 2730+/-50 BP (Beta-119180) (niv. IV, au sud de la dalle). L’impossibilité de recourir à des datations sur coquille terrestre a été démontrée grâce à une double datation d’une coquille de Placostylus sp. et d’un charbon découvert dans la coquille. Le coquillage a donné un résultat de 3500+/-60 BP (Beta-119181) (niv. IV), mille ans plus vieux que le charbon, daté de 2520+/-60 BP (Beta-119182) (niv. IV).

Photo 25. – Vue du foyer découvert dans le niveau IV de la localité de Vatcha (site KVO003) en 1996

Tableau 7. – Tableau de synthèse des datations sur charbon (sauf mention contraire) obtenues sur le site KVO003 de Saint-Maurice-Vatcha (Sand, 1999b : table 1)
48Ces différents résultats permettent de montrer que les occupations du niveau II et du niveau IV de Saint-Maurice-Vatcha sont globalement contemporaines, avec une occupation entre environ 950 et 800 avant J.-C. (tab. 7). Le niveau cimenté ne correspond pas à une couche stratigraphique2 et il n’y a donc pas deux phases successives d’installation Lapita sur ce site, la différence de niveau étant simplement due à la micro-topographie de la dune.
LA CHRONOLOGIE DE LA PÉRIODE LAPITA EN NOUVELLE-CALÉDONIE : NOUVEAU CADRE ET SIGNIFICATION CULTURELLE
49La définition précise des limites chronologiques de la période Lapita en Nouvelle-Calédonie ne pouvait être avancée sans une multiplication des datations sur cet horizon culturel. Au cours de la dernière décennie, nous sommes passés d’une vingtaine de datations sur des couches renfermant des tessons pointillés (Galipaud, 1992b, 1996 ; Sand, 1995a), à plus de quatre-vingts, soit une multiplication par quatre. Environ un tiers des datations récentes a été réalisé par ams, avec un intervalle de confiance situé entre +/-40 et +/-60 BP, permettant une calibration bien plus satisfaisante qu’avec une fourchette de +/-90 à +/-110 BP, comme cela est souvent le cas pour les résultats des années 1980 et ceux de la première moitié des années 1990.
50L’analyse de l’évolution des problématiques autour de l’archéologie du Lapita au cours des derniers cinquante ans (cf. Introduction) fait ressortir qu’une combinaison d’associations parfois imprécises entre niveaux décrits comme en place et tessons pointillés, couplées à des problèmes inhérents à une difficulté de maîtrise de la technique du carbone 14 avant la fin des années 1970, avaient abouti à une hypothèse de très longue chronologie Lapita. La soixantaine de nouvelles datations, prenant en compte le contexte stratigraphique, est donc un outil essentiel pour redéfinir cette chronologie, tant pour en préciser les limites temporelles que pour tenter d’en proposer une évolution interne.
51Les quatre-vingts datations obtenues sur des niveaux Lapita considérés en place montrent une concentration de l’ensemble des datations dans un petit espace de temps, entre l’extrême fin du deuxième millénaire et les premiers siècles du premier millénaire avant J.-C. D’après ce schéma global, en prenant en compte l’intercepte moyen, la durée de la période Lapita en Nouvelle-Calédonie n’a pas dépassé 200 à 300 ans suivant les sites et les régions. Cette conclusion représente une diminution de la chronologie de cette tradition céramique des quatre cinquièmes par rapport aux évaluations couramment admises il y a encore quelques années (Galipaud, 1996 ; Frimigacci, 1999a). Culturellement, cette nouvelle vision chronologique a des conséquences évidentes : elle donne à l’horizon Lapita un sens différent en terme de dynamiques humaines. En effet, une chronologie courte place le Lapita comme ensemble culturel de première colonisation sur une dizaine de générations et non comme tradition ayant caractérisé la moitié de la préhistoire calédonienne. Les retombées de cette conclusion, qui sont majeures, sont développées dans le dernier chapitre de l’ouvrage.
52La définition de la date du début du peuplement de la Nouvelle-Calédonie doit prendre en compte l’étendue géographique de l’archipel. De par sa géographie, il apparaît probable que les différentes parties des îles Loyauté et de la Grande Terre, couvrant un espace total d’environ 19 000 km2 de terres regroupées dans un quadrilatère de 60 000 km2, bien que visitées, n’ont pas toutes été peuplées durant la même génération. De plus, il est fort peu probable que la zone de toute première installation ait été datée sur chacun des sites fouillés (Hazelwood et Steele, 2003 : 213-215). Gardant en mémoire les limitations inhérentes à la technique de datation au carbone 14, cette étude ne peut donc être que préliminaire et n’est réalisée ici que pour proposer une hypothèse de travail. Afin de préciser la date de première découverte de l’archipel ainsi que la ou les directions de progression du front de première colonisation, c’est la datation la plus probable de la période de fondation de chacun des sites qui est retenue. La carte 11 présente les datations calibrées obtenues sur les couches les plus profondes de chacun des sites majeurs. Des différences chronologiques et géographiques sont clairement identifiables. Elles indiquent l’existence d’un axe de progression allant des îles Loyauté vers l’ouest de la Grande Terre d’un côté (selon toute probabilité par le nord) et vers le sud de l’archipel de l’autre. Tout en notant une nouvelle fois que la précision des datations est aléatoire à 60-100 ans près, on peut néanmoins observer que les premières installations à Maré (LPO023) et à Lapita (WKO013A) sont calibrées autour de 1 050 cal avant J.-C, celle de Nessadiou (WBR001) et Goro (SGO015) est calibrée autour de 1 000 cal avant J.-C. et l’implantation à Saint-Maurice-Vatcha (KVO003) est calibrée autour de 950 cal avant J.-C. Ces données laissent paraître une progression de front de peuplement sur environ quatre générations. Encore une fois, il manque dans cette image les données sur le premier peuplement de la côte Est. De même, n’est pas évoquée non plus la possibilité d’arrivées successives de groupes en provenance des archipels plus au nord au cours de la période Lapita, hypothèse qui sera discutée en conclusion (chapitre Synthèse).

Carte 11. – Chronologie des sites Lapita de Nouvelle-Calédonie (dates de première occupation définies par les datations C14)
53En toute logique, au cours de la dizaine de générations qu’englobe la période Lapita en Nouvelle-Calédonie, toute une série de nouveaux sites ont été progressivement fondés, comme Vavouto (WVH050), Koniène (WKO028) en face de Lapita, Pindaï (WNP038) (Sand, 1996a : 103), Déva (Domergue, 2009), Ongoué (WPT148), Naïa (WPT055) (Sand, 1995a : 69-71) et la pointe Magnin (SNA019)3. Ces fondations secondaires, ne comportant parfois que quelques tessons pointillés caractérisés par un décor moins couvrant, n’avaient probablement pas toutes la même fonction que les sites de tout premier peuplement. Ces exemples posent la question de la variabilité temporelle dans la définition de la fin de la chronologie Lapita, caractérisée par la disparition des poteries pointillées dans des niveaux stratigraphiques en place. En effet, les données typologiques indiquent aujourd’hui qu’il n’y a pas à proprement parler d’arrêt brutal de la production des pots Lapita, mais une évolution progressive de la typologie céramique et des décors au cours des deux à trois siècles de la période, aboutissant à la diminution puis à la disparition des poteries décorées de pointillés. Étant donné que, pour une partie des sites, il manque en stratigraphie l’horizon récent de la période Lapita, il est nécessaire d’ajouter à cette durée quelques générations supplémentaires aux datations de fin de niveaux en place. En reprenant une nouvelle fois l’argument géographique de la distance entre les sites, il est probable que ces évolutions typologiques ne se sont pas faites de façon coordonnée, mais que chaque sous-région de l’archipel a suivi une progression partiellement autonome. Ainsi, la variation sur un peu moins d’un siècle de la fin de l’horizon Lapita suivant les sites, entre 800 et 700 ans avant J.-C, n’est probablement pas uniquement la conséquence des imperfections de la technique de datation et des possibles remaniements post-Lapita des couches stratigraphiques supérieures. À mon avis, elle reflète une réelle variation historique des évolutions céramiques au sein de l’archipel calédonien, ayant abouti à la disparition des poteries pointillées à des générations différentes entre les sous-régions. L’exemple le plus significatif de la rapide évolution typologique dans certaines parties de l’archipel est donné par le site LPO023 de Kurin à Maré où, dès 900 avant J.-C, on observe le remplacement progressif des poteries pointillées par d’autres techniques de décoration (Sand et al., 2002). Les tessons au décor pointillé « dégénéré » découverts dans certains sites (par exemple à Pwékina (STY007) [Sand et Ouetcho, 1992 : 68-69]) représentent probablement la phase ultime et très localisée de la période Lapita en Nouvelle-Calédonie.
54La première occupation de régions comme Hnajoisisi au nord-ouest de Lifou (voir plus haut) et Tiouandé sur la côte Est de la Grande Terre (daté à 105 cm dans l’abri EHI013A de 2590+/-40 BP (Beta-155196) [Sand, 2001b : 37-40]), est l’indication que la fin de la période Lapita a été caractérisée par une multiplication des nouvelles installations dans des environnements géographiques plus marginaux. Tous ces sites, ainsi que le niveau le plus ancien daté sur le site WNP038 de Pindaï, avec 2630+/-60 BP (Beta-67063/cams 9888) (Sand, 1996a : 104), sont caractérisés principalement par de la poterie imprimée au battoir de tradition de Podtanéan. En parallèle sont identifiées les premières conséquences des brûlis dans l’intérieur des terres, avec des datations de 2850+/-40 BP (ams) en sommet de colline à Noéli (Koné), et de 2620+/-60 BP à la base de niveaux d’alluvions à Pwadai (Bopope)4, qui témoignent des premiers mouvements permanents de groupes vers les vallées. Aux îles Loyauté, la datation de figures d’art rupestre au fond d’une grotte de Wanaham à Lifou (district de Wetr) à partir de 2500+/-60 BP (GifA 102577) est la preuve d’une installation loin de la mer, sur les plateaux coralliens (Sand, Valladas et al., 2006). Ces évolutions marquent le début d’une nouvelle phase culturelle, celle de la première expansion permanente vers les différents terroirs éloignés des bords de mer, entraînant un type nouveau d’enracinement et des évolutions culturelles locales, propres à chaque sous-région.
CONCLUSION
55La multiplication des fouilles stratigraphiques sur des sites de premier peuplement austronésien en Nouvelle-Calédonie a permis, au cours des dernières décennies, de progressivement mieux comprendre les phénomènes internes de mise en place et de transformation des niveaux anciens, en prenant en compte en particulier toute une série de facteurs taphonomiques. L’analyse des caractéristiques de chaque site, proposée dans ce chapitre, a permis de différencier dans leurs grandes lignes les ensembles stratigraphies en place et les ensembles perturbés. L’exercice a démontré que toute une partie des sites avait subi des remaniements post-Lapita et que l’intégrité stratigraphique était souvent partielle. À l’issue de cette analyse, il a été possible de retenir quatre-vingts datations C14 associées à des occupations Lapita, qui définissent une chronologie de production de poteries pointillées limitée à environ deux ou trois siècles suivant les sites, grossièrement entre 1050 et 800-750 avant J.-C. L’analyse a également permis de montrer que si certains sites majeurs ont été fondés dès la première découverte et ont maintenu leur occupation durant les générations suivantes, il y a également eu une multiplication progressive du nombre de sites fondés au cours de la période Lapita, en parallèle à une évolution des ensembles céramiques. Ces traits caractérisent de toute évidence des sociétés fondatrices dynamiques, qui ont progressivement diversifié leurs traditions, chacune à leur rythme en fonction des sous-régions de l’archipel, jusqu’à rendre méconnaissables aux archéologues les évolutions du fil conducteur matériel caractéristique du tout début du peuplement austronésien de la région : la poterie décorée de motifs pointillés.
Notes de bas de page
1 Les datations ont été calibrées en utilisant le programme intcal 98 (datations à trois nombres) et le programme Calib Rev 5.0.1 (datations à deux nombres) (Stuiver et Reimer, 1993 ; Stuiver et al., 1998).
2 Un phénomène identique a été noté pour le site Lapita WBR001 de Nessadiou, avec une induration de la base du remplissage du chantier D liée à des contingences non-anthropiques (Frimigacci, 1999a : 79).
3 Le ramassage de tessons « Lapita » a été signalé sur la côte Ouest à Temrock (YVBR006) (Yves Rieu, com. pers., 1998), à Ouatom (WBI106) ainsi qu’à Gadji (KGJ004) (Frimigacci, 1981b : fig. 1), mais le matériel n’a pas fait l’objet de publication, ce qui empêche l’inclusion de ces sites dans la présente étude. Il faut également signaler la découverte d’un tesson pointillé lors de fouilles sur l’îlot Vert, en face de Nessadiou (Frimigacci et Siorat, 1988).
4 Ces datations comportent probablement un écart d’un à deux siècles par rapport à la date réelle des brûlis, écart dû à un effet de « vieux bois ».
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Vivre de la mer, vivre avec la terre… en pays kanak
Savoirs et techniques des pêcheurs kanak du sud de la Nouvelle-Calédonie
Isabelle Leblic
2008