3. Éco-géographie des sites de premier peuplement insulaire
p. 53-70
Texte intégral
1Une des évidences, dans l’analyse du premier peuplement d’îles qui n’ont jamais été rattachées à un ensemble continental au cours de leur histoire humaine, est que la découverte s’est nécessairement faite par une arrivée maritime. Les plus anciens sites archéologiques sont donc logiquement à rechercher le long des anciennes lignes de rivage, en prenant en compte les phénomènes de transformations plus récentes des espaces géographiques (Kirch et Hunt, 1997 ; Spriggs, 1981). La Nouvelle-Calédonie, de par ses origines géologiques et sa position géographique spécifiques, comporte un certain nombre de particularités uniques dans le Pacifique Sud-Ouest. Schématiquement, l’archipel peut se diviser en deux ensembles : à l’ouest, une masse continentale formée de la Grande Terre et des ses îles proches ; à l’est, la ligne des îles Loyauté, de formation corallienne sur un substrat volcanique. Situé hors de l’aire de diffusion de la malaria, il se caractérise par la présence de différents ensembles géologiques et environnementaux, qu’il est important de décrire succinctement avant de détailler les spécificités éco-géographiques des sites de premier peuplement découverts à ce jour.
LES PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES ENVIRONNEMENTALES DE L’ARCHIPEL CALÉDONIEN
2La Grande Terre, avec sa superficie de près de 16 900 km2, est un fragment du Gondwana. Il y a un peu plus de 80 millions d’années, un bloc baptisé Tasmantis s’est détaché de ce qui allait devenir la plaque australienne de Sahul. En se déplaçant, il s’est enfoncé progressivement en se disloquant. La Grande Terre de Nouvelle-Calédonie, ainsi que des îles plus au sud comme la Nouvelle-Zélande et Norfolk, sont les vestiges de cette séparation (carte 8).
3Le socle continental de la Grande Terre est positionné entre 19° et 23° Sud, dans un axe nord/ nord-ouest sud/sud-est. La partie émergée mesure aujourd’hui environ 400 km de long sur une moyenne de 50 km de large. Elle est entourée, sur l’ensemble de son pourtour, par une barrière corallienne – partiellement effondrée sur sa face est – et se prolonge au nord par les îles Bélep et au sud par l’île des Pins. A l’est, séparée de la Grande Terre par une fosse maritime d’environ 100 km de large et plus de 2 000 m de profondeur, se développe la chaîne des îles Loyauté, dans un pendage s’abaissant vers le nord-ouest. Bien que comportant probablement un substratum basaltique, les îles Loyauté sont des plateaux coralliens surélevés au relief relativement plat, sans rivières et avec une façade maritime souvent composée de falaises. Au centre de l’arc se trouve Lifou, d’une superficie de près de 1 200 km2, encadrée par Maré au sud-est (650 km2), Tiga à l’est (10 km2) et Ouvéa au nord-ouest (130 km2) (carte 9) (Sautter, 1981).
4La zone est positionnée à la limite sud de la région tropicale, subissant en été l’influence des dépressions tropicales formées plus au nord, alors que le climat d’hiver est affecté par les perturbations froides qui se développent au sud. L’instabilité climatique locale et sa diversité avec, en particulier, des précipitations deux fois plus nombreuses sur la côte Est que sur la côte Ouest, sont également dépendantes de phénomènes régionaux. Ceci est tout particulièrement le cas des cycles réguliers de sécheresse qui affectent le Pacifique et qui peuvent, certaines années, avoir des conséquences catastrophiques sur l’environnement.
5La structure géologique de la Grande Terre peut se diviser en quatre ensembles distincts : la nappe des ultrabasiques, le nord calédonien, la chaîne montagneuse centrale et la côte Ouest (Paris, 1981). L’ensemble le plus distinctif est celui des péridotites, présentes sous forme d’une nappe de roches ultrabasiques, qui se répartissent principalement dans le tiers sud de l’île ainsi qu’en plaques dispersées plus au nord. Le noyau axial de la Grande Terre est composé d’une alternance de coulées volcaniques sous-marines et de roches sédimentaires. Différentes phases de transgression marine ont conduit à des épisodes de sédimentation qui, à terme, ont formé une partie des dépôts de la côte Ouest, alors que des mouvements tectoniques et l’érosion entraînaient l’émergence de dunites, de gabbros, de chromites et de serpentinites. Au même moment, durant l’éocène final (environ 40 millions d’années), un métamorphisme de haute pression a affecté le nord-est alors que se mettaient en place les péridotites. Les différentes transgressions marines du quaternaire ont permis, en particulier, le développement du récif-barrière durant les périodes chaudes ainsi que la mise en place de nouveaux sédiments alluviaux dans les vallées, les cordons littoraux ou dunaires actuels ne se stabilisant que durant les derniers millénaires (Dupont, 1989 : 16 ; Cabioch et al., 1989).

Carte 9. – Géographie de la Nouvelle-Calédonie (d’après Atlas de la Nouvelle-Calédonie, 1989 : 23)
6La complexité de l’histoire géologique de la Grande Terre a façonné une grande diversité de sols (Latham, 1981). La décomposition et l’érosion de la péridotite, essentiellement composée au départ de magnésium, de silice et de fer, ont entraîné la formation de sols riches en fer et en nickel, sous forme de cuirasse et de matériaux plus meubles, les latérites. Une partie de la côte Est et de la Chaîne centrale sont couvertes de sols fersialitiques argileux, également nommés schistes volcano-sédimentaires et formations à charbons. La côte Ouest est principalement composée de sols sur basalte et flyschs, souvent peu développés. En surface des plaines, se trouvent des sols issus d’alluvions récentes. Tout comme les sols sur calcaires de type rendzine, qui forment la surface terrigène principale des îles Loyauté, ces sols cultivables sont les plus fertiles.
7Ainsi, malgré l’apparence, l’ancienneté du substrat fait de la Grande Terre une île comportant de nombreuses aires peu fertiles et peu à même de porter un environnement naturel dense. De plus, la diversité des milieux naturels, avec en particulier une côte Est, au vent, principalement formée de vallées alluviales courtes, une Chaîne centrale comportant des plateaux à plus de 600 m d’altitude et de larges plaines aux débouchés des vallées de la côte Ouest, sous le vent, rend illusoire toute réduction de la Grande Terre à un modèle simple d’espace géographique.
8Cette spécificité géologique de la Grande Terre a façonné une histoire biologique unique au monde. Ainsi, on dénombre aujourd’hui encore environ 3 000 espèces végétales indigènes sur l’île, contre 1 460 en Nouvelle-Zélande qui forme pourtant un archipel quinze fois plus étendu. La spécificité principale de cet ensemble calédonien est qu’il regroupe des plantes parmi les plus archaïques de la planète avec, en particulier, la collection la plus homogène de vieux arbres du monde. Treize des dix-neuf espèces de pins Araucaria recensés poussent sur la Grande Terre (photo 9), de même que la majorité des pins Kaori. De nombreuses plantes calédoniennes ne vivent pas en milieu forestier mais sous forme d’espèces bonzaï dans un environnement pédologique de latérites, sous forme de maquis minier. Ces sols originaires de la plaque océanique, riches en nickel, en magnésium, en chrome et en manganèse, ont fait émerger une flore spéciale ayant développé une tolérance aux éléments acides. L’adaptation à chaque nature de sol acide a engendré, par ricochet au cours du temps, une diversité importante de variétés végétales, à l’extension géographique très restreinte. Ceci a également offert un support à des insectes aux caractères spéciaux ainsi qu’à de nombreux invertébrés, en particulier des escargots terrestres (Flannery, 1994 : 43).
9Etrangement, alors que des espèces très diverses, allant des dinosaures aux geckos, étaient présentes sur le Gondwana lors de la séparation de Tasmantis, très peu des gros animaux ont survécu. Ce sont des espèces étranges qui ont progressivement prédominé sur l’île, avec en particulier des crocodiles, des lézards, des tortues ainsi que quelques espèces de chauves-souris (Balouet et Oison, 1989). À l’arrivée de l’homme, les oiseaux terrestres n’étaient représentés que par 44 espèces, dans de nombreux cas incapables de voler. Le plus gros était le Sylviornis neocaledoniae, grand mégapode d’environ 100 cm de long et pouvant peser entre 20 et 30 kg. Une poule de marais, nommée Porphyrio kukwiedi, qui mesurait environ 50 cm de haut et pouvait peser 10 kg, côtoyait un cagou géant nommé Rhynochetos jubatus.

Photo 9. – Exemple de massifs d’Araucaria à l’île des Pins
10La Grande Terre calédonienne est surtout connue des spécialistes comme étant l’île comportant des reptiles parmi les plus spécifiques et les plus diversifiés au monde, avec une origine principalement issue du Gondwana. Le plus grand herbivore local avant l’arrivée de l’homme était une tortue à cornes Meiolania, rattachée à une famille primitive de tortues ne pouvant pas entrer leur tête dans leur épaisse carapace. Le plus gros prédateur était un varan de quelques dizaines de kilogrammes. Le crocodile terrestre Mekosuchus inexpectatus, rattaché à un vieux groupe crocodilien pygmée, mesurait environ 2 m de long et pouvait peser jusqu’à 30 kg. Il avait, entre autres particularités, une mâchoire aux dents pointues à l’avant et arrondies à l’arrière. Comportant une séparation entre les deux parties, cette mâchoire unique était la résultante d’une évolution liée à une adaptation aux contraintes locales, les dents arrondies servant probablement à écraser les coquilles d’escargots.
11Seules deux familles de lézards ont été identifiées, comprenant en particulier 21 espèces de geckos. Le lézard Phoboscincus bocourti, d’environ 40 cm de long, a été collecté pour la dernière fois durant la deuxième moitié du xixe siècle, mais pourrait encore être présent dans certaines forêts. Certains geckos calédoniens (dont au moins 14 espèces tracent leur origine au Gondwana) sont parmi les plus étranges reptiles identifiés dans la chaîne d’évolution naturelle. Parmi eux, se trouve le plus grand gecko vivant, le Rhacodactylus leachianus, pouvant mesurer jusqu’à 40 cm de long. Ce gecko est connu comme étant un champion du camouflage.
12Les particularités évolutives du règne animal de la Grande Terre au cours des derniers quarante millions d’années sont en grande partie liées à l’environnement spécifique de l’île, de petite superficie, positionnée à la limite du climat tropical et formée de sols souvent acides ou peu riches. Les sols peu riches ont entraîné un faible développement de la biosphère, la petite taille de l’île devenant rapidement dans ce contexte un handicap pour les gros animaux, poussés à limiter leur masse démographique à de faibles populations. La chaleur tropicale permettait alors aux espèces à sang froid de réchauffer leur température au soleil et de devenir compétitives dans l’équilibre écologique. Ces facteurs cumulés ont joué au fil du temps en faveur des reptiles qui ont fini par s’imposer face aux oiseaux terrestres pourtant plus mobiles (Flannery, 1994 : 50-51).
13En conclusion, il est donc important de souligner que les différentes données environnementales caractérisent la Grande Terre calédonienne comme un endroit tout à fait unique sur la planète, de par son environnement géologique, sa flore et sa faune. Nul doute que ces spécificités ont dû influer sur les modalités d’implantation humaine.
LES SITES D’IMPLANTATION LAPITA
14Depuis les années 1970, les archéologues travaillant sur le Lapita ont noté que les sites renfermant de la poterie pointillée se localisent dans des environnements côtiers particuliers (Green, 1979a ; Frimigacci, 1980 ; Lepofsky, 1988). Cette observation démontre un choix délibéré des groupes austronésiens de s’implanter, chaque fois que cela a été possible, dans un cadre écologique adapté à leurs traditions culturelles et aux impératifs d’une première installation humaine dans des espaces insulaires nouveaux. Afin de relever les principales similitudes mais également les différences observables entre les régions, cette partie présente le cadre environnemental de chacun des principaux sites de premier peuplement identifiés à ce jour en Nouvelle-Calédonie (carte 10). Ceci permettra de discuter les premières synthèses proposées sur le sujet et de compléter la liste des caractéristiques environnementales des sites Lapita.
Les îles Loyauté
15Si l’on admet que le peuplement de l’archipel calédonien a été réalisé par des groupes de navigateurs austronésiens descendant le long de l’archipel du Vanuatu, il est plus que probable que la première découverte ait concerné les îles Loyauté, situées entre le sud du Vanuatu et la Grande Terre. La caractéristique principale de l’archipel des Loyauté est d’être formé d’îles coralliennes surélevées, sans réelle formation lagonaire à Maré et Tiga, avec quelques baies abritées à Lifou et un grand lagon intérieur à Ouvéa. Une partie des bords de mer des trois îles principales est formée de falaises, ne permettant pas un accostage facile et n’autorisant pas une implantation humaine durable. Il n’est donc pas surprenant de constater que les sites de premier peuplement Lapita découverts sur chacune des îles se situent tous dans un environnement de bord de mer particulier, propice à une occupation humaine permanente. Huit sites Lapita, dont cinq majeurs, ont été identifiés à ce jour aux îles Loyauté.

Carte 10. – Localisation des sites renfermant des tessons Lapita découverts en Nouvelle-Calédonie
La dune de Kurin-Patho à Maré
16L’ensemble de sites ayant donné les plus anciennes datations connues à ce jour aux îles Loyauté se trouve sur la côte Est de l’île de Maré, dans le district de Penelo. La région de dune de bord de mer s’étend de Padawa au nord à Kurin au sud, sur une distance d’environ 3 km (fig. 10). Suivant les zones, des tessons pointillés ont été découverts sur ou à l’arrière de la dune, indiquant l’existence de plusieurs ensembles discontinus d’occupations Lapita répartis sur le front de mer. Les caractéristiques environnementales de la zone de bord de mer de Penelo ont dû être, pour des groupes de premiers découvreurs, des atouts majeurs de choix d’implantation. La façade maritime est séparée de la haute mer par une formation corallienne comportant un récif barrière, délimitant un petit lagon intérieur d’environ 200 m de large, plus ou moins profond suivant les zones (photo 10). Cette protection naturelle contre la forte houle de la haute mer garantissait une protection minimale lors des tempêtes. Dans la barrière récifale, entre Patho et Padawa, s’ouvre une petite passe, signe pour tout Océanien de la présence d’un écoulement d’eau douce par la terre. Le problème de l’accès à l’eau a toujours été un point central pour les populations habitant des îles coralliennes dépourvues de cours d’eau. La présence d’une série de sources au pied de la falaise avec, en particulier, une grande piscine naturelle à Padawa, a dû être un des facteurs importants dans le choix d’implantation. A terre, différentes caractéristiques naturelles permettaient une implantation sécurisée et l’accès à plusieurs types de ressources. L’existence d’une dune pouvant atteindre 6 m de hauteur (créant une protection naturelle contre le vent) et la présence de zones de sols cultivables fertiles plus ou moins marécageux aux pieds des falaises, s’ajoutaient à celle du lagon intérieur, riche en poissons et en coquillages que l’on pouvait pêcher en sécurité et à la présence d’une forêt où nichaient différentes espèces animales comestibles. Cette zone de bord de mer de Penelo comportait donc tous les critères permettant l’installation d’un premier peuplement avec une forte chance de pérennisation de l’implantation.

Figure 10. – Plan de la région de front de mer de Pénélo localisant les différents sites Lapita décrits dans le texte
17D’après les données préliminaires obtenues au cours des différentes fouilles sur et à l’arrière de la dune (Sand et al., 2002), cette implantation semble s’être caractérisée par une occupation relativement étendue mais diffuse, proche de ce qui peut être observé de nos jours dans cette zone. Les stratigraphies ne laissent pas apparaître de concentrations majeures en des points précis. La grande différence par rapport à l’espace contemporain concerne la position de la dune. En effet, il apparaît que, lors de l’occupation Lapita, la dune de bord de mer (qui atteint 5 m de hauteur sur le site LPO023 de Kurin, avec une largeur de 120 m) était plus étendue dans la partie sud de la baie, mais peu développée dans la partie centrale, où se trouve localisé le site ancien LPO020 de Patho (Sémah et Galipaud, 1992). Il est probable que cette zone centrale était utilisée pour des activités spécifiques, en particulier liées à la mer : lieu d’accostage et de mise à l’eau des pirogues, points d’implantation des hangars à embarcations, lieu d’arrivée des visiteurs étrangers et des premiers échanges, espace social ouvert.

Photo 10. – Vue du petit lagon de Patho-Kurin en direction du nord-est
Les sites de Hnaeo et de Keny à Lifou
18Lifou, la plus grande des îles Loyauté, comporte des environnements maritimes diversifiés, avec une série de baies partiellement abritées par des formations récifales, des cordons littoraux protégés par un récif-barrière et des zones de falaises plus ou moins élevées portant des plateaux terrigènes. À ce jour, deux sites Lapita significatifs ont été identifiés sur la façade orientale de l’île, dans un environnement éco-géographique très proche de celui de Patho-Kurin à Maré1.
19Le premier site se trouve dans le sud de la côte est, au lieu-dit Wassany dans la tribu de Hnaeo (LLI002) (Sand et al., 1999). Des sondages réalisés par François Wadra indiquent que les niveaux Lapita sont aujourd’hui localisés à environ 50 cm sous le sommet de la dune (Les Nouvelles calédoniennes du 17/9/1997), face à un espace de récif-barrière qui se prolonge sur plusieurs kilomètres. Différentes cavités dans les falaises qui bordent le littoral comportent des résurgences d’eau douce.
20Une situation relativement semblable caractérise le site LWT054 de Keny au nord de la façade est de Lifou (Sand, 1998b). Implanté sur une formation dunaire de 100 m de largeur moyenne, atteignant en certains endroits 7 m de hauteur, le site de Keny est positionné face à un récif-barrière protégeant tout l’espace du cordon littoral sur une dizaine de kilomètres (photo 11). Au nord du site fouillé se trouve une passe naturelle dans le récif. Des tessons pointillés ont été découverts en surface dans plusieurs zones du cordon littoral, indiquant l’existence – comme à Kurin-Patho – d’une occupation Lapita relativement continue mais diffuse. Les fondateurs de ces implantations pouvaient être assurés de disposer d’eau douce dans différentes cavités des bas de falaises, en parallèle à des sols fertiles à l’arrière de la dune, encore cultivés aujourd’hui alors que plus personne ne vit sur ce bord de mer (Sand, 1995b).

Photo 11. – Vue de la zone de bord de mer de Keny identifiant le platier frangeant, la plage et la zone de dune
Le site de Wadrilla à Ouvéa
21Le seul site d’Ouvéa actuellement identifié se situe en limite de dune de bord de mer au sud de la tribu de Wadrilla. Ce site a été localisé en 1994 par le département Archéologie (Sand et al., 1999) et grâce à des ramassages de surface par François Wadra en 1998, mais n’a pas encore été fouillé. L’implantation Lapita à cet endroit est certainement liée à l’eau douce. En effet, Wadrilla est un des points de l’atoll basculé d’Ouvéa où le récif corallien surélevé est le plus proche du lagon intérieur, tout en autorisant un accès facile à la plage. Cette particularité permettait de disposer avantageusement des sols fertiles du petit plateau surélevé et d’un point d’accès aux résurgences d’eau douce dans les grottes, tout en gardant un accès aisé à l’espace maritime. Ouvéa, protégée par un énorme lagon et offrant une multitude de ressources marines, ayant dû être pour les découvreurs Lapita une zone de l’archipel calédonien particulièrement attractive, il est probable qu’au moins un autre site Lapita existe sur l’île, probablement plus au nord2. Tant qu’aucune chronologie de la formation des différents ensembles de dunes n’aura été établie, il restera également la possibilité que des sites anciens soient à découvrir à l’arrière du bord de mer contemporain.
Le site de Tiga
22Le site Lapita le plus récemment découvert aux îles Loyauté est localisé à l’extrémité arrière de la dune quaternaire portant la tribu contemporaine de Tiga, sur la petite île du même nom (Sand, 2006 ; Sand et al., sous presse). La première occupation semble avoir été concentrée à Namara (LTD025), au pied du plateau corallien surélevé, dans un environnement ancien de bord de mer moins étendu. En effet, les nombreux sondages réalisés sur la dune ont montré que celle-ci s’était développée de façon significative seulement au cours des deux derniers millénaires, multipliant sa taille de façon massive. Cette partie de l’île reste aujourd’hui la seule à comporter une dune de sable significative et à être localisée face à une réelle passe dans le récif, permettant un accès facile à la haute mer pour les embarcations.
La côte Est et le nord de la Grande Terre
23Par beau temps, les montagnes de la côte Est de la Grande Terre sont visibles des trois îles Loyauté et il faut moins d’une journée de navigation pour effectuer la traversée en pirogue. Il est donc probable que le premier accostage de groupes austronésiens sur la Grande Terre se soit fait dans les semaines, si ce n’est dans les jours, ayant suivi la première découverte des îles Loyauté. D’un point de vue strictement géographique, le premier toucher a dû se faire quelque part sur la côte Est. Comme je l’ai explicité en début de chapitre, la découverte de la Grande Terre n’a pas seulement été celle d’une nouvelle île parmi d’autres. La complexité géologique et environnementale de l’île a, sans doute, représenté la découverte d’un « Nouveau Monde », dans le sens premier du terme.
24Malheureusement, nos connaissances sur cette première période d’implantation humaine dans cette partie de l’archipel sont extrêmement réduites. À ce jour, seuls quatre sites comportant des vestiges de la période Lapita ont été découverts dans cette région géographique. Il y a une double raison à cet état de fait : d’une part, l’absence quasi totale de programmes de recherches sur cette région de l’archipel (certaines communes n’ont jamais été étudiées même de façon sommaire (Houaïlou, Thio) et, dans certaines autres, les seules fouilles réalisées remontent à plus de 50 ans) ; d’autre part – et c’est la raison la plus significative –, les problèmes de localisation des vestiges archéologiques anciens, enfouis à la suite des transformations plus récentes de l’environnement. En effet, cette côte au vent est formée de vallées alluviales débouchant directement en bord de mer, sans plaines littorales comparables à la façade ouest de la Grande Terre. Au cours des derniers 2 500 ans, l’impact massif de l’homme sur l’environnement, en particulier lié à la déforestation, a profondément fait évoluer les zones de plaines alluviales et les cordons littoraux, à la suite d’une sédimentation accrue. Le dépôt dans certaines vallées de millions de mètres cubes de sols arrachés par l’eau aux versants des montagnes a logiquement, dans un premier temps, envasé les estuaires, avant d’entraîner un élargissement des plaines et le comblement des espaces marécageux de bord de mer, aboutissant à une avancée des cordons littoraux en de nombreux endroits. Comme cela a été démontré sur un certain nombre de sites (par exemple, Sand et Ouetcho, 1992 ; Sand, 1999c, 2001b), la configuration des bords de mer contemporains, particulièrement sur la côte Est, n’est donc pas la même que celle que les navigateurs austronésiens ont pu observer, il y a environ trois mille ans, lors de leur première découverte de la Grande Terre.

Photo 12. – Vue de la baie de Taré en arrière de la plaine de Goro où est localisé le site Lapita SGO015 de Kokweiméé
Le site de Goro
25Le site de Kokweiméé, numéroté SGO015, est localisé au nord de la tribu de Goro, dans le sud de la côte Est. Le site avait été prospecté en 1991 sans indiquer la présence de poteries anciennes (Sand et Ouetcho, 1992). L’existence de tessons Lapita en stratigraphie n’a pu être découverte que grâce à l’ouverture d’un profond drain pour l’écoulement des eaux pluviales par des engins mécaniques en 1999 (Sand et al., 2001). Le site est situé sous une plaine horticole humide, d’environ 150 m de largeur, qui prend appui sur le pied de la montagne et laisse place, en bord de mer, à une mangrove. La mise au jour d’un niveau ancien enfoui entre 70 cm et 100 cm sous la surface (et séparé des niveaux supérieurs par une couche de sable stérile) a permis de partiellement reconstituer l’environnement de bord de mer qui caractérisait la baie de Taré il y a trois mille ans (photo 12). De toute évidence, les formations supérieures de la plaine sont composées de sols issus de la montagne, qui ont recouvert après le premier peuplement une côte sableuse. Caractérisés aujourd’hui par un espace marécageux fermant le bord de mer par des formations de mangrove, les bords de la baie étaient au tout début du peuplement humain principalement constitués de plages basses de sable corallien fin, localisées à quelques dizaines de mètres du pied de la montagne. La baie de Taré, entre Touaourou et Goro, avec ses îlots, devait être à l’époque un des points les mieux protégés et écologiquement les plus diversifiés en espèces marines de toute la côte Sud-Est de la Grande Terre et elle a dû, logiquement, attirer rapidement des groupes austronésiens. Mais il n’est pas évident que le site SGO015 ait été un lieu central d’occupation. Bien que les fouilles n’aient pas pu être menées à leur terme à l’arrière de la plage fossile (cf. chapitre 4), il est plus probable qu’il se soit agi d’un point de campement, en particulier en lien avec le creek d’eau douce qui débouche tout près du site. Le nombre d’ossements de tortue découverts (cf. chapitre 8) pourrait également indiquer l’existence d’un camp de pêche et de préparation culinaire.
Localisation possible d’autres sites sur la côte Est
26Tout en soulignant qu’aucune preuve archéologique n’a à ce jour permis de démontrer la présence de sites Lapita ailleurs sur la côte Est, il est probable que des recherches futures montreront une occupation précoce dans des baies protégées comme Canala ou Houaïlou. Bien qu’il ne soit pas encore formellement localisé à ce jour, un site Lapita semble exister dans la région de Kouaoua. Différents tessons pointillés provenant de ramassages de surface ont en effet été illustrés dans un document à diffusion restreinte rédigé par Roger Ludeau (Ludeau, nd). Plus au nord, la région côtière de Pouébo, protégée de la haute mer par un vrai récif-barrière et un lagon intérieur, reste la zone la plus prometteuse.
Pam et Arama dans le nord
27La grande baie du Diahot, à l’extrême Nord de la Grande Terre, a certainement été dès la première phase de peuplement une région attrayante. La présence de l’estuaire du Diahot, le seul réel fleuve de l’archipel, donnant accès à une des plus grandes plaines alluviales de l’île et porte d’entrée vers l’intérieur des terres, couplée aux nombreux îlots placés au centre de systèmes de lagons protégés par des barrières récifales jusqu’à l’île de Balabio, devait faire de cette région une zone à forts potentiels. De par l’importance du débit du Diahot, les limites de l’estuaire du fleuve ont dû profondément changer au cours des derniers 2 500 ans et aucun site Lapita n’a pour le moment été signalé sur cette partie de la Grande Terre. Un site Lapita, découvert par Louis Lagarde en 2001, est par contre clairement présent sur la côte occidentale de l’îlot Pam, situé à la sortie de la baie (Sand et al., 2003a). Localisé dans un environnement aujourd’hui marécageux, le site n’a pas encore été fouillé. En face de Pam, sur le bord de mer de la tribu d’Arama, des fouilles réalisées en 1983-84 par Jean Monnin et Jean-Christophe Galipaud ont mis au jour, en contexte stratigraphique remanié dans les remplissages archéologiques de plusieurs sondages, dix tessons comportant des décors pointillés (Monnin, 1984 ; Galipaud, 1988). L’absence de tessons de la tradition de Podtanéan dans les fouilles (Galipaud, 1999 : 532), laisse penser que la première occupation fut de relativement courte durée. Compte tenu de l’environnement actuel du site, caractérisé par un bord de mer où prédomine la mangrove, il est probable que l’on ait également à faire à Arama à une évolution post-Lapita des caractéristiques naturelles du rivage, avec le passage d’un espace de plage ouverte à une progressive sédimentation alluvionnaire permettant une pousse plus extensive de la mangrove.
La côte Ouest de la Grande Terre
28Les caractéristiques environnementales de la côte Ouest en ont fait, de tous temps, une région favorable à l’implantation humaine. Protégée des violences de la haute mer par une barrière de corail ininterrompue sur les 400 km de ses côtes, la côte Ouest comporte un lagon d’une largeur variant de moins de 4 km dans la région de Bourail, à plus de 30 km dans le sud-ouest et le nord, où il se présente sous la forme d’une petite mer intérieure. Cette exceptionnelle diversité d’espaces maritimes protégés a concouru à une diversité de faciès naturels. On y inventorie, outre la présence régulière de zones marécageuses en bord de mer, des ravins maritimes pouvant dépasser 40 m de profondeur où s’aventurent les grands pélagiques, des plateaux sableux et coralliens, de multiples îlots d’origines géologiques diverses, des espaces très étendus de mangroves aux embouchures des cours d’eau. Les études sédimentologiques ont montré que la forme d’une partie des lignes de littoral avait évolué au cours des derniers trois mille ans, en particulier suite à une sédimentation accrue dans les rivières, due au développement de brûlis dans l’intérieur des terres (Sand, 1999c). La taille des plaines alluviales a néanmoins limité les conséquences de ces transformations principalement aux embouchures et aux deltas, l’environnement éco-géographique des anciens sites Lapita apparaissant aujourd’hui globalement peu différent de ce qu’il était il y a trois mille ans. Les sites de premier peuplement sont présentés ici du nord vers le sud de la côte Ouest.
Le site NKM001 de Boirra (Koumac)
29Le site de Boirra est localisé sur le bord de mer de la commune de Koumac, dans la partie nord de la côte Ouest, face à la grande passe de Koumac. La zone de plage portant le site Lapita est ouverte au sud : elle reçoit de face les alizés, mais est partiellement protégée des vents d’ouest par la masse de la colline de la pointe Pandop. Le site se présente aujourd’hui sous la forme d’une banquette d’environ 300 m de large dans un axe nord-sud, à l’arrière d’une plage de sable d’environ 400 m dans un axe est-ouest. Le sédiment de la plage est formé de corail détritique issu de la mer et de sable alluvionnaire de la rivière Koumac, dont le delta est situé à l’ouest de Boirra. À l’arrière immédiat du site se trouve le marais de Ko Oui (Frimigacci 1980, fig. 2). La configuration actuelle du terrain laisse penser que lors de la première installation sur le site, l’environnement géographique était différent (fig. 11). En effet, la prise en compte de phénomènes réguliers d’alluvionnement des plaines – mis en lumière à Koumac par Anne-Marie Sémah (1998) –, entraînant l’envasement de certains estuaires au cours des derniers millénaires, permet de reconstituer un espace de langue de sable probablement plus étroit, sur laquelle était installé le hameau Lapita. Le promontoire de Pandop était une île, séparée de la Grande Terre par un petit bras de mer face à Boirra et une petite baie ouverte à l’emplacement du marais (Hope et al., 1999). Celle-ci devait être assez large et profonde pour permettre aux pirogues de disposer d’un havre abrité des vents.

Figure 11. – Reconstitution des lignes de rivage possibles de Koumac il y a environ trois mille ans. La zone bleu-vert correspond aux zones émergées contemporaines et le point rouge positionne le site Lapita NKM001 de Boirra
Le site WVH050 de Vavouto (Voh)
30La presqu’île de Vavouto est localisée au pied de la colline de Poa Mavouo au nord de la tribu d’Oundjo (commune de Voh). Lors de l’étude d’impact archéologique de cette zone, en prévision d’un projet industriel, a été découvert en 2000 un site Lapita (Baret et al., 2000). Une seconde phase d’étude a permis d’ouvrir une série de sondages sur ce site ainsi que sur la zone de plaine terrigène et sableuse reliant Vavouto à la Grande Terre. L’étude stratigraphique de ce cordon montre que la langue de terre n’était pas présente il y a trois mille ans. En effet, la zone basse de la plaine était alors un petit bras de mer probablement peu profond, faisant de Vavouto une île séparée de la terre ferme. L’environnement géographique actuel face au site a donc peu à voir avec ce qu’il était lors du premier peuplement. Le site WVH050 de Ouané était localisé sur ce qui était encore l’île de Vavouto, en bordure d’une petite plage face à ce bras de mer (Carson, 2002)3, avec peut-être une deuxième occupation Lapita située sur l’autre versant de Vavouto, face au nord (sites WVH053/54 (V-11/12) de Vavouto) et à la baie de Voh, donnant accès à la grande passe dans le récif (Baret et al, 2000) (fig. 12). Une des caractéristiques de Vavouto est d’apparaître relativement éloignée d’une source permanente d’eau douce, aucune résurgence n’étant connue aujourd’hui à l’arrière immédiat du site. Une troisième phase d’étude de la presqu’île (Barp, 2006) a permis de réaliser une série de fouilles extensives sur le site WVH050, mettant au jour des tessons pointillés et incisés Lapita de caractère ancien et récent, en relation avec un certain nombre de structures au sol. Les sondages ont montré que l’étendue du site ne dépassait probablement pas une centaine de mètres le long de l’ancien cordon littoral.

Figure 12. – Modélisation en 3D de la zone de Vavouto et reconstitution des lignes de rivage possibles : (A) il y a trois mille ans ; (B) au deuxième millénaire après J.-C. (Carson, 2003 : fig. 29)
L’ensemble WKO013 de Lapita
31Le site éponyme de Lapita, signalé dès le début du xxe siècle par Piroutet et Sarazin (cf. Introduction), est probablement un des sites Lapita les mieux connus de l’archipel calédonien (Sand, 1998a). La zone de Lapita couvre le cordon littoral de terre joignant la presqu’île de Foué à la Grande Terre, au sud-est de l’estuaire de la rivière Koné. La plage de Lapita fait face à une grande baie ouverte vers le sud-est avec, au large, l’île de Koniène (qui comporte un petit site Lapita [Sand, 1999a et b]), le lagon et la passe de Koné dans le récif barrière (fig. 13). En tout, trois localités différentes renfermant des quantités importantes de tessons Lapita ont été identifiées en arrière de la plage (photo 13). La première, numérotée WKO013, est aujourd’hui en grande partie érodée par la mer. Au nord-est, au centre de la langue de terre, côté terre, la localité WKOO13A est celle ayant donné le plus de données archéologiques. Enfin, à l’est, la localité WKO013B, située au pied du talus, a été progressivement érodée par la mer au cours des dernières décennies, permettant la découverte régulière de vestiges (Sand, 1996a, 1998a). Plus loin se trouvent des résurgences d’eau douce, en arrière du littoral, qui devaient fournir aux occupants du site (avec des sources irrégulières sur Foué) un complément d’eau, la source principale étant probablement la rivière Koné.

Figure 13. – Plan de localisation générale de la presqu’île de Foué et des différentes localités du site WKO013 de Lapita
32Les données obtenues sur le site de Lapita permettent d’identifier les mêmes processus que sur Boirra et Vavouto. Il apparaît en effet que, lors du premier peuplement, Foué n’était pas rattaché à la Grande Terre mais formait un îlot séparé de la terre ferme par un petit bras de mer (fig. 14). Il y a trois mille ans, les phénomènes d’alluvionnement dans l’estuaire de la rivière Koné étaient encore de faible ampleur et la plaine, aujourd’hui envasée sur près de 4 km de largeur, devait être une grande baie ouverte. Les courants marins dans la zone étaient donc partiellement différents de la configuration contemporaine et il apparaît évident, d’après les stratigraphies, que les bords de plage dans la région de Lapita étaient en certains endroits plus étendus qu’ils ne le sont aujourd’hui, en particulier dans les localités WKO013 et WKO013B. Ce qui signifie que les espèces de poissons, mais surtout les espèces de coquillages que l’on pouvait pêcher, n’étaient pas nécessairement toutes semblables à ce qu’elles sont de nos jours.

Photo 13. – Vue de la plage de Lapita en direction du sud-est

Figure 14. – Reconstitution des lignes de rivage possibles de l’estuaire de la rivière de Koné il y a trois mille ans
Le site WBR001 de Nessadiou
33Un site Lapita important, numéroté WBR001, a été identifié dans les années 1970 au centre de la côte Ouest, dans la région de Bourail (Frimigacci, 1999a : 67). La colline de flysch prolongeant la petite plaine de la rivière Nessadiou forme une presqu’île et sépare la baie de Nessadiou de l’estuaire de la rivière Néra au nord-ouest. Elle est bordée sur sa face sud d’une zone dunaire d’environ 1 200 m de longueur et 200 m de largeur, avec un espace de marécage localisé en arrière-plan de la dune quaternaire, au pied de la colline (fig. 15). Lors de l’ouverture d’une carrière de sable dans la dune en 1976, les pelleteuses ont mis au jour, dans le niveau terrigène de surface, des horizons renfermant des tessons de poterie Lapita, entraînant la réalisation de fouilles de sauvetage sur différents points du site au cours des années suivantes (Frimigacci, 1999a) (photo 14).
34Placé dans une baie avec un accès rapide à la grande passe de la Néra ainsi qu’au platier du grand récif et à l’îlot Vert face à Nessadiou, tout en étant partiellement abrité de la houle du lagon, qui dans cette partie de la côte ouest est étroit, le hameau de Nessadiou était il y a trois mille ans dans un environnement plus ouvert sur la mer. En effet, les fouilles réalisées sur la partie ouest de la dune quaternaire – numérotée WBR002 – ainsi que plus près de la plage vers le sud immédiat de WBR001, n’ont pas permis de mettre au jour des niveaux Lapita. Ceci laisse penser que cette partie de la dune s’est formée plus tardivement, ou du moins que sa configuration ne permettait pas, lors du premier peuplement, une occupation permanente. La présence de la zone marécageuse à l’arrière de WBR002 renforce l’hypothèse de l’existence ancienne d’une baie ouverte s’enfonçant vers le vallon intérieur de la presqu’île au nord. Le hameau Lapita de Nessadiou aurait ainsi été localisé sur un petit espace de dune, à l’avant du chenal naturel d’accès au lagon présent dans le platier. La présence de l’eau douce issue du petit creek de la presqu’île au lieu-dit Nérhe (qui signifie « l’eau » dans la langue locale) (Frimigacci, 1979 : 5) et de la rivière à proximité, ainsi que de la plaine alluviale fertile de Nessadiou devait permettre une occupation permanente de cette zone.

Figure 15. – Plan de la zone de bord de mer de Nessadiou
Les baies de Naïa et d’Ongoué
35Dans la partie sud de la côte Ouest, en limite de la grande baie de Saint-Vincent, ont été identifiés au cours des dernières décennies toute une série de sites céramiques. Parmi ceux-ci, les sites WPT055 de Naïa (photo 15) et WPT148 d’Ongoué, situés de part et d’autre d’un promontoire en forme de presqu’île, contiennent des tessons pointillés. Le site de Naïa a été fouillé au milieu des années 1960 par Collin Smart, alors qu’une exploitation de carrières de sable était en cours sur la baie. Smart n’a jamais publié ses résultats (Smart, nd ; Vanderval, nd ; Green et Mitchell, 1983), mais toute une série de données (synthétisées in Sand et Ouetcho, 1993 : 125-128), montre qu’il avait découvert un certain nombre de tessons Lapita dans ses sondages. Jean-Christophe Galipaud (1997) a récemment affirmé que le nombre de tessons était très réduit et ne faisait pas de ce site un site Lapita classique. Au vu de la faible extension géographique de la plupart des sites Lapita identifiés à ce jour sur la Grande Terre, cet argument peut être réfuté. De plus, Jean-Christophe Galipaud ne prend pas en compte l’existence probable d’un niveau Lapita dans une zone de Naïa non fouillée par Collin Smart, mais échantillonnée par Luc Chevalier dans les années 1950 (Chevalier, com. pers., 1993 ; Sand et Ouetcho, 1993 : 126 ; Sand, 1995a : 69-71).

Photo 14. – Fouilles en cours en janvier 1996 à l’avant des anciennes carrières de sable du site WBR001 de Nessadiou

Photo 15. – Vue de la plaine de bord de mer de Naïa
36Bien plus que pour le site de Naïa, la présence d’une occupation Lapita sur le site voisin d’Ongoué ne repose que sur la découverte de quelques tessons pointillés (Sand et Ouetcho, 1993 : fig. 6 ; Sand, 1994). Les occupations archéologiques, qui couvrent l’ensemble de la chronologie préhistorique, étaient situées sur une dune de sable qui a été totalement détruite par les carrières au cours des deux dernières décennies. Les tessons Lapita pointillés ont tous été découverts en ramassage de surface dans les déblais, mais au moins un comporte un motif complexe de visage allongé. Le site d’Ongoué a apparemment été faiblement occupé durant la phase de premier peuplement, l’installation principale devant être localisée dans la baie de Naïa, à quelques centaines de mètres. Ongoué, avec son bord de mer abrité par un récif frangeant délimitant une baie intérieure, devait probablement surtout servir comme zone de pêche et d’horticulture, ainsi que de lieu d’approvisionnement en eau douce, grâce à une source au pied de la colline. La destruction des niveaux archéologiques ne permet pas de tenter une reconstruction des anciens contours de plage lors du premier peuplement.
Le site de Saint-Maurice-Vatcha à l’île des Pins
37Localisé dans la partie sud-est de l’île des Pins, dans le prolongement de la Grande Terre, le site KVO003 de Saint-Maurice-Vatcha est, à ce jour, le plus méridional de l’aire géographique Lapita (Sand, 1999d). L’emplacement d’un site à poteries décorées a été signalé à la fin de la Deuxième Guerre mondiale par le père mariste Boutin à Maurice Lenormand (Lenormand, 1948) et trois programmes de recherches ont depuis été réalisés sur ce site, qui est aujourd’hui un des mieux étudiés de l’archipel calédonien avec la localité WKO013A de Lapita. L’occupation Lapita est limitée à la partie centrale (180 m sur 90 m) d’une petite dune quaternaire d’environ 350 m de long sur 180 m dans sa plus grande largeur, atteignant 3 m en son point le plus haut (fig. 16). Celle-ci est localisée à l’avant d’un petit plateau corallien surélevé sur lequel elle prend appui au nord et à l’est. Mais surtout, la dune ferme presque complètement la seule large plaine basse de l’île des Pins, autour de laquelle s’est concentrée l’occupation kanak historique de l’île après la christianisation (Pisier, 1971). Cette plaine d’environ 25 hectares est issue d’un défaut de pousse du corail, lié à l’écoulement continu d’une résurgence d’eau douce dans le plateau péridotique qui, dans cette partie de l’île, est le plus proche du bord de mer. Après avoir traversé la plaine en l’humidifiant, la résurgence sort vers la mer en passant entre la falaise du plateau corallien surélevé au sud-ouest et la dune quaternaire de Saint-Maurice-Vatcha, dans une configuration unique sur l’île. Cet accès facile à l’eau douce était couplé à la présence de terrains fertiles à l’arrière du site. Enfin, une position stratégique privilégiée au point d’entrée des grandes baies abritées de Gu et d’Upi, face à la passe de sortie sud et dans un environnement de plateaux maritimes riches en coquillages et en poissons, faisait de Saint-Maurice-Vatcha un site tout indiqué pour une première installation sur l’île des Pins (photo 16). Il apparaît aujourd’hui difficile de reconstituer l’étendue atteinte par la dune côté mer avant sa partielle érosion, mais il est probable que celle-ci ne devait pas dépasser quelques dizaines de mètres au maximum, avec un pendage plus doux et une plage où pouvaient être échouées les pirogues.

Figure 16. – Plan de la zone de bord de mer de Saint-Maurice-Vatcha à l’île des Pins

Photo 16. – Vue de la dune portant le site KVO003 de Saint-Maurice en cours d’érosion par la mer (1996)
SYNTHÈSE : CARACTÉRISTIQUES ÉCOGÉOGRAPHIQUES DES SITES DE PREMIER PEUPLEMENT
Les données régionales
38Depuis longtemps, les archéologues travaillant sur la période Lapita ont identifié un certain nombre de caractéristiques environnementales majeures liées aux sites de premier peuplement austronésien. Dans sa synthèse sur l’ensemble culturel Lapita, Roger Green (1979a) notait ainsi que :
« Ceux-ci sont le plus souvent situés sur des îles basses, bien que certains se trouvent dans des zones littorales appropriées sur de grandes îles. [...] Lors de leur occupation, les sites Lapita étaient localisés afin de permettre un accès rapide à la mer. Ils étaient situés dans un lieu permettant la mise à l’eau et l’échouage de grandes pirogues [...]. La nécessité de pouvoir pratiquer l’horticulture est soulignée par le choix de localisation de nombreux sites Lapita. Ceux-ci sont en effet positionnés dans un contexte qui, sinon, obligerait les occupants à une exploitation des ressources marines ou à la chasse d’oiseaux et d’animaux marins bien plus importante que ce qui apparaît (au vue des données archéologiques).* » (1979a : 32 et 37)
39Daniel Frimigacci a tenté de définir dans ses grandes lignes les caractéristiques éco-géographiques majeures de quelques sites Lapita de la Grande Terre, faisant en particulier remarquer « qu’ils étaient franchement tournés vers les espaces marins », proches d’une passe dans le récif, à faible distance de l’embouchure d’une rivière et d’espaces marécageux (Frimigacci, 1980 : 5). Plus récemment, à partir d’une étude de cas sur vingt-huit sites Lapita couvrant la totalité de l’aire géographique de l’ensemble culturel, Dena Lepofsky a proposé un descriptif relativement complet des caractéristiques environnementales des sites Lapita, qu’il apparaît utile de synthétiser ici : proximité du bord de mer lors de l’occupation, possibilité d’accès aisé à la haute mer pour des pirogues, proximité de l’eau douce, d’un récif frangeant, d’un lagon et/ou d’une barrière de corail (seuls un quart des sites étant situés face à la haute mer), présence de terres arables à moins d’un kilomètre du site (Lepofsky, 1988 : 36-42).
Les sites calédoniens
40Une synthèse sur les quatorze sites majeurs de premier peuplement découverts à ce jour dans l’archipel calédonien permet de montrer que ceux-ci ne se différencient pas grandement de ce qui a été déjà identifié par le passé dans la région et correspondent en grande partie aux caractéristiques dont la liste a été établie par Daniel Frimigacci (1980). Néanmoins, l’ajout récent des sites des îles Loyauté permet de diversifier les données des premières synthèses.
41Logiquement, les sites Lapita se trouvent tous en bord de mer, avec une possibilité relativement facile d’accostage de pirogues. On note de plus que, dans bien des cas, l’emplacement choisi permettait de disposer d’une baie intérieure partiellement protégée de la houle (fig. 17). En effet, la reconstitution des caractéristiques géographiques locales pour une partie des sites de la Grande Terre, indique une préférence pour une zone localisée dans une baie, à distance plus ou moins importante d’un îlot ou d’une série d’îlots. On retrouve ici une des spécificités d’implantation Lapita préalablement identifiée ailleurs en Mélanésie insulaire (Kirch, 1997a : 166), de toute évidence non liée, en Nouvelle-Calédonie, à la présence de malaria (cf. chapitre Synthèse). La multiplicité des cas indique que ce choix était néanmoins volontaire. Il avait probablement partiellement pour objectif de permettre, si nécessaire, de protéger les embarcations en arrière immédiat du cordon littoral4.

Figure 17. – Tentative de reconstitution de la baie de Saint-Maurice-Vatcha lors de l’occupation Lapita (doc. cdpnc)
42Tous les sites sont proches d’un accès à la haute mer, avec une différence logique – de par le cadre géographique propre aux différentes îles de l’archipel – entre, d’une part, les sous-régions de la Grande Terre et, d’autre part, entre la Grande Terre et les îles Loyauté. Si le lien entre sites Lapita et passes dans la grande barrière de corail (parfois à plusieurs kilomètres de navigation) reste une caractéristique partagée par tous les sites de la côte Ouest de la Grande Terre ainsi que le site de Saint-Maurice-Vatcha à l’île des Pins, on note une situation plus complexe pour les sites de la grande baie du Diahot, qui ont géographiquement un accès moins direct à une passe vers la haute mer. Le site de Goro sur la côte Sud-Est comporte des caractéristiques de bord de mer qui le rapprochent plus des environnements identifiés sur les sites Lapita de Maré et de Lifou, avec un plateau récifal réduit ouvrant sur la haute mer. De façon significative, les implantations de Keny, de Hnaeo et de Patho-Kurin se situent toutes sur la côte Est des îles, c’est-à-dire la côte au vent. Les baies plus abritées de la côte Ouest, qui ont la particularité de comporter une diversité plus réduite d’environnements marins, n’ont été occupées que plus tardivement. L’importance de l’accès direct à des zones aux ressources marines diversifiées lors des premières installations, au détriment des qualités de confort offert par les baies positionnées sous le vent, apparaît dominant.
43Les sites de bord de mer occupés au tout début du peuplement étaient localisés à proximité d’une variété de ressources maritimes potentielles, s’articulant différemment suivant les particularités environnementales locales. Si un intérêt pour des espaces de mangrove basse, en parallèle à des plateaux sableux ouverts et à des formations récifales, est clairement identifiable pour les sites de l’ouest et du nord de la Grande Terre, il est évident que l’environnement naturel des îles Loyauté et de l’île des Pins ne permettait pas les mêmes choix d’implantation. Néanmoins, avec une logique économique de recherche des meilleurs emplacements possibles, on peut observer que, pour chaque région, les premiers arrivants ont occupé la zone offrant le plus de possibilités d’exploitation marine. Dans toute une partie des cas, ce choix a apparemment également été lié à la présence, à proximité, de colonies de tortues marines (cf. chapitre 8).
44Pour chaque site a été relevée la proximité entre l’emplacement de l’occupation et une source d’eau douce. Structurellement, il y a un lien écologique entre la présence d’une passe dans un récif corallien et la présence d’un écoulement d’eau douce à terre. Lors des voyages de découverte, cette caractéristique naturelle a certainement aidé les premiers groupes explorant les rivages de l’archipel à localiser les sources potentielles à l’arrière des cordons littoraux. Ce lien avec l’eau est particulièrement évident pour les sites des îles Loyauté et l’île des Pins, où l’eau douce n’est pas directement présente sous la forme de rivières. Elle a, à mon avis, également conditionné de façon centrale les choix d’implantation des sites sur la côte Ouest, les passes dans le grand récif étant de toute façon localisées à plusieurs kilomètres du bord de mer.
45La dernière caractéristique qui regroupe tous les sites de premier peuplement est la proximité de sols cultivables. Ceci est tout particulièrement évident à l’île des Pins et aux îles Loyauté. Le lien peut toujours être critiqué et être considéré comme arbitraire au vu de la taille des îles, mais il est identifiable dans chaque cas. La difficulté est de clairement reconstituer les potentiels horticoles de la période Lapita pour chaque site et de les distinguer des situations environnementales contemporaines, issues en particulier de près de trois mille ans de transformations liées à l’occupation humaine. À cet égard, un intérêt apparent pour des zones comportant des espaces marécageux humides est observable sur des sites comme Koumac, Vavouto, Lapita, Nessadiou, Naïa, Saint-Maurice-Vatcha et Patho-Kurin. La présence de ces espaces marécageux laisse à penser qu’une partie des traditions horticoles connues par les découvreurs austronésiens était composée de plantes humides comme les taros et les cannes à sucre.
CONCLUSION
46L’analyse des spécificités d’implantation des sites de premier peuplement en Nouvelle-Calédonie a montré la présence de toute une série de caractéristiques partagées par les sites Lapita. Les choix d’implantation ont répondu à une série de logiques incontournables dans toute installation humaine (comme l’accès à l’eau douce et l’implantation dans une zone relativement sûre) mais, également, à toute une chaîne de contraintes spécifiques à ces groupes de découvreurs (comme l’accostage facile des pirogues, l’accès rapide à la haute mer, l’utilisation immédiate d’espaces humides non boisés pour les premières plantations). La prise en compte de ces différents paramètres explique que ces premières occupations ne se soient pas faites au hasard. Elles répondaient à une succession de critères de toute évidence identifiés par les navigateurs austronésiens.
47Les programmes de prospections menés au cours des dernières décennies ont permis de découvrir régulièrement de nouveaux sites Lapita dans le Pacifique Sud-Ouest, le chiffre passant de 60 à la fin des années 1970 (Green, 1979a : fig. 2.2) à plus de 180 vingt ans plus tard (Anderson et al., 2001) et 230 en 2007 (Bedford et Sand, 2007). Il est évident que de nombreux autres sites restent encore à découvrir (Bedford, 2003 ; Bedford et al., 2004). Un certain nombre de sites de l’archipel calédonien, bien qu’inclus – à la suite de la découverte d’au moins un tesson pointillé – dans la liste récemment publiée de sites ayant une composante Lapita (Anderson et al., 2001 : tableau 1), n’ont pas été traités ici, nos connaissances sur leurs caractéristiques archéologiques étant quasiment inexistantes. En conclusion de ce chapitre sur l’éco-géographie des sites de premier peuplement, on peut néanmoins noter que toute une partie d’entre eux comporte des caractéristiques observées sur des sites mieux étudiés : plage ouverte à Déva-Temrock (WBR006) et Déva (GD190) face à un lagon étroit et à proximité de la seule grande passe de la zone, emplacement de bord de mer proche d’une source sur l’îlot Koniène (WKO028) dans la baie de Lapita, dune de sable en face d’une baie protégée, avec accès facile à l’eau douce et à la haute mer à Pindaï (WNP038), à Koojë sur la côte Nord-Ouest de l’île des Pins, à Oanono, à la pointe Magnin (SNA019) et à Pwékina (STY007).
48Mais on constate également, en lien avec des installations nouvelles fondées à la fin de la période Lapita, la création d’implantations dans des environnements éco-géographiques plus marginaux. Ceci est le cas, par exemple, de la zone de Hnajoisisi dans le nord-ouest de Lifou (LWT008), où une occupation Lapita terminale a été identifiée sur un plateau corallien surélevé étroit, dans un environnement marginal, sans accès facile à la mer et sans plage véritable. Cet élargissement des zones écologiques utilisées traduit probablement une première phase d’implantation plus généralisée à la fin de la période Lapita, dans des environnements de climat plus sec qu’aujourd’hui (Cabioch et al., 2008 : 32-33). La multiplication des niches écologiques progressivement occupées souligne la nécessité de définir avec précision la chronologie d’occupation de chacun des sites Lapita de l’archipel, afin de les placer dans un cadre temporel structuré.
Notes de bas de page
1 Un nouveau site Lapita a été récemment fouillé dans la baie de Chateaubriand (Qanono) par François Wadra (com. pers., 2007).
2 La zone nord d’Ouvéa n’a pas encore été prospectée dans le cadre d’un programme archéologique.
3 Un article récent publié par Mike Carson (2008) utilise le cas du site WVH050 pour proposer l’existence d’une hauteur moyenne de la mer de plus 1,5 mètre par rapport à aujourd’hui, il y a trois mille ans sur la Grande Terre calédonienne. L’argumentation, basée uniquement sur des données régionales en l’absence d’études scientifiques précises sur le sujet pour l’archipel calédonien et d’une datation de ses niveaux archéologiques Lapita de Vavouto, pose une série de problèmes et demande donc à être prise avec circonspection. Tout le monde s’accorde sur le fait que le niveau de la mer était plus élevé il y a 3 500 ans. Mais si réellement cela avait encore été le cas il y a trois mille ans, toute une partie des sites de premier peuplement de la Grande Terre (en particulier le site voisin WKO013A de Lapita) n’aurait jamais pu être occupé, car ils auraient alors été sous l’eau.
4 Des fouilles futures mettront probablement au jour quelques tessons pointillés tardifs à la base de certaines occupations d’intérieur, comme à Fidji (Anderson et al., 2000). Certaines données archéologiques indiquent en effet que l’exploration de l’intérieur des terres s’est faite dès le tout début du peuplement (cf. dernier chapitre), sans nécessairement que cela implique une occupation permanente.
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Vivre de la mer, vivre avec la terre… en pays kanak
Savoirs et techniques des pêcheurs kanak du sud de la Nouvelle-Calédonie
Isabelle Leblic
2008