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La Nouvelle-Calédonie à la croisée des chemins : 1989-1997

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David Gilbert
, 
Dominique Guillaud
, 
Patrick Pillon

Quatrième partie. La ville

L’habitat océanien spontané à Nouméa

Dorothée Dussy

Testo integrale

  • 1 Saussol (1990 : 22) écrit ainsi que « le hameau (familial, lignager ou clanique) constitue la form (...)
  • 2 Le squat désigne un quartier de logements précaires. Chaque maison du quartier est appelée cabane.

1La ville est à l’image de la culture de ses bâtisseurs et de ses occupants et le décryptage de sa morphologie est, à ce titre, riche d’enseignements. Un tel décryptage présente un intérêt tout particulier lorsqu’il s’agit de populations qui n’ont a priori pas de pratique traditionnelle de la vie en milieu urbain, comme c’est le cas pour les populations océaniennes. En milieu mélanésien traditionnel, il n’y a d’agglomération humaine ni considérable, ni définitive1 et la culture kanak ne propose aucun modèle pour une identification à la ville blanche française qu’est Nouméa. En ce sens, l’appropriation informelle d’une fraction de l’espace urbain par les populations océaniennes constitue une pratique originale de la ville : à Nouméa, elle prend la forme de « squats »2, qui regroupent de petites cabanes en tôle, entourées de jardins vivriers, et qui sont apparus il y a quelques années seulement sur la plupart des terrains non bâtis de la ville.

  • 3 Sur les 10 squats enquêtés par la police, 6 l’ont été aussi par nous : Logicoop, Kaméré, Motor Poo (...)

2Il n’existe qu’une source statistique officielle sur la population des squats : le recensement entrepris entre novembre 1992 et janvier 1993 par le Haut-commissariat, en collaboration avec la Mairie de Nouméa, la Province sud et quelques membres désignés du Comité de défense et de soutien aux squateurs. Le fait que la police ait été chargée de faire passer les questionnaires dans les squats3 introduit probablement un biais dans les résultats. Elle a recensé 270 cabanes abritant 1 200 personnes, mais toutes les instances concernées reconnaissent que ce nombre était déjà dépassé au moment de la parution des résultats de l’enquête.

Figure 1. — Ville de Nouméa en 1996 : quartiers et zones d’habitats spontané

3Les connaissances sur les squats sont ainsi très ponctuelles et très fragmentaires et se résument à quelques articles de presse et à une petite étude non publiée menée sur le squat de Logicoop. C’est pourquoi il a été décidé de mener, dans le cadre de l’ORSTOM, une enquête dans les dix principaux squats de Nouméa et de ses environs (Motor Pool, Koutio. Péage, Koutio-SPANC, Caillou Bleu, Ko We Kara, Kaméré, Logicoop, Nouville, Normandie et Magenta) (figure 1). Un total de 246 unités d’habitation, correspondant chacune à un ou plusieurs ménages, a été enquêté, ce qui équivaut à 1 194 personnes et à 20 % environ de la population totale des squats. L’étude a porté sur l’organisation spatiale et matérielle de ces derniers, sur l’origine ethnique et géographique de leur population et sur leur signification, notamment en termes de revendications identitaires. L’enquête a été réalisée à l’aide d’un questionnaire complété d’entretiens ouverts.

4L’extrapolation des données de l’enquête permet d’estimer la population des squats de Nouméa à 5 000 personnes au minimum en 1996. Ce chiffre représente près de 7 % de la population totale de la ville — qui s’élève, en 1996, à 76 000 habitants, et qui est en augmentation rapide — et à près de 20 % de la population océanienne de Nouméa, ce qui est tout-à-fait considérable.

À l’origine des squats

5Dès 1976, Bourret (1978 : 190) signalait l’apparition de cultures vivrières, non seulement en périphérie de la ville mais aussi à l’intérieur du périmètre urbain : « dans la zone périurbaine de Nouméa, les terrains en friche non lotis sont encore abondants à proximité des banlieues récemment construites. La mise en culture de ces brousses, commencée timidement vers 1974, est en expansion constante et de larges surfaces sont maintenant totalement débroussées et plantées. Pour la première fois en 1976, les hauteurs de la vallée du Tir, en pleine ville, ont été débroussées au sabre d’abattis et au feu, comme il se doit sur des pentes aussi raides ».

  • 4 L’agriculture en ville est d’ailleurs loin d’être inconnue avant les années soixante-dix. À ce que (...)
  • 5 L’on opposera ainsi les squats, relevant de l’occupation spontanée de l’espace urbain, à la ville (...)

6Ces mises en culture de terrains urbains par les Mélanésiens4 sont souvent identifiées à la genèse des premiers squats : sur un terrain libre de la ville, une première série de cultivateurs vient d’abord aménager, sans effectivement y résider, des parcelles de cultures vivrières, et y construisent une cabane destinée à entreposer les outils et les produits de ce « jardinage ». Peu à peu, la présence cesse de se limiter aux impératifs des opérations agricoles et les cultivateurs viennent passer le week-end sur la parcelle pour cultiver tout en profitant de la mer généralement proche. Là sont également organisés les repas de fête ou les réunions de famille qui ne peuvent avoir lieu dans les logements trop exigus de la ville « formelle »5. Par la suite, la cabane initiale accueille les parents ou amis de passage, qu’il n’est pas possible de loger au domicile déjà surpeuplé. Pour finir, c’est cette surpopulation elle-même qui provoque l’installation définitive du ménage sur la parcelle de culture. Entre-temps, la cabane s’est progressivement améliorée.

7Ainsi, il convient de distinguer, dans cette description, deux phénomènes successifs : la volonté de pratiquer l’agriculture, qui est à l’origine de l’aménagement de parcelles vivrières dans la ville, et la pénurie ou l’inadéquation des logements urbains, qui est à l’origine de l’installation permanente sur ces parcelles.

8Les processus qui conduisent à l’apparition d’une zone d’habitat spontané dans la période plus récente semblent être légèrement différents, puisque les squateurs viennent directement s’installer sur la parcelle sans préalablement l’avoir cultivée.

9Deux questions ont été posées aux squateurs afin de déterminer les mécanismes qui conduisent au développement des zones d’habitat spontané ; la première a trait aux causes du départ du logement précédent, la seconde aux raisons du choix d’installation dans un squat.

  • les causes économiques sont les plus fréquemment invoquées pour expliquer le départ du logement précédent (42 % des réponses6) : soit les revenus du ménage étaient insuffisants ou inexistants, soit une augmentation du loyer n’avait pu être assumée ; dans bon nombre de cas encore, le ménage n’avait pas réussi à trouver « en ville » un logement à des prix qui lui étaient abordables ;
  • 24 % des réponses évoquent une inadéquation du logement précédent, que celui-ci ait été insalubre ou trop exigu ;
  • 18,5 % des causes invoquées pour le départ étaient liées à une expulsion, souvent en vue de la réfection du logement ;
  • 6 % seulement des réponses motivent le départ par les commodités offertes par le squat, qu’il s’agisse de sa gratuité, de la proximité du lieu de travail, etc. ;
  • le reste des réponses — 9,5 % d’entre elles — renvoie à des cas particuliers ou à des causes marginales.

10Quant aux raisons de l’installation dans un squat, elles se ramènent elles aussi à quelques catégories :

  • un lien préalable (de parenté ou non) avec les occupants est invoqué dans 43 % des réponses pour expliquer le choix de s’établir dans un squat ;
  • 24 % des réponses justifient cette installation par divers avantages offerts par le squat : proximité de la mer, du lieu de travail, de la famille dans les quartiers proches, attrait pour le genre de vie rendu possible dans son enceinte, etc. ;
  • 11 % des réponses indiquent que l’installation s’est faite parce que des emplacements étaient encore disponibles dans le squat ;
  • 5,5 % des réponses indiquent que l’installation a tout naturellement fait suite à une exploitation agricole antérieure. Ce taux assez faible semble démontrer que l’agriculture, si elle est à l’origine du choix des sites de culture en ville, n’est pas ou n’est plus le facteur déterminant du développement des zones d’habitat spontané ;
  • 13,5 % des réponses obtenues n’indiquent pas de raison particulière à l’établissement dans un squat, si ce n’est une attirance très générale pour celui-ci ;
  • 2,5 % des réponses renvoient à des cas particuliers.

11Il n’a été obtenu qu’une seule réponse évoquant franchement la possibilité de spéculer, par l’occupation du terrain, sur son obtention, ainsi cette raison n’entre-t-elle guère en ligne de compte pour expliquer le développement du phénomène des squats. Néanmoins, une bonne partie des squateurs s’inquiète de la possibilité, à terme, de faire légaliser ou reconnaître leur occupation.

12La crise aiguë du logement à Nouméa touche en premier lieu les populations socialement défavorisées de la ville, qui correspondent principalement aux populations océaniennes. Ces populations défavorisées fournissent aux squateurs leurs plus importants effectifs. Roux (1981), traitant il y a une quinzaine d’années des « cités » accueillant les Océaniens, semblait déjà annoncer ce phénomène des squats : « seul le bas prix des loyers, l’équipement correct des immeubles et l’absence de ressources suffisantes pour accéder à la propriété retiennent dans ces cités de passage ou d’attente une population à la recherche d’une solution de rechange » ; il n’est pas exclu que cette dernière ait été trouvée dans les squats.

Les sites

  • 7 Voie express qui dessert l’entrée de Nouméa.

13Les squats où l’enquête s’est déroulée sont, la plupart du temps, de vastes terrains publics : le long de la Savexpress7, deux d’entre eux appartiennent au Domaine public maritime (Koutio Péage, Koutio SPANC), et un au Fonds social de l’habitat (Caillou Bleu). Ailleurs, sur la presqu’île de Ducos et en ville, ils relèvent de la commune, de la Province ou du Fonds social de l’habitat. Seul le squat de Motor Pool, en pleine ville, est situé sur un terrain privé. Tous ces terrains ont en commun d’avoir été laissés à l’abandon jusqu’à leur récupération par les squateurs. Les parcelles non utilisées sont encore recouvertes de la brousse qui les colonisait entièrement au départ.

14Dans la plupart des cas, les sites choisis permettent aux cabanes de ne pas être facilement visibles depuis le reste de la ville. En effet, les squats les plus anciens sont presque systématiquement établis sur le versant des collines qui tourne le dos à la ville, ou encore au creux des vallées, et une bonne partie sont installés immédiatement au bord de la mer ou de la mangrove. Ils forment ainsi des enclaves volontairement isolées — ou protégées — de l’espace urbain. Pour s’en convaincre, il suffit de se rendre à l’entrée des squats trop aisément accessibles ou visibles depuis la ville, dont la limite est matérialisée par la barrière dissuasive d’amoncellements d’ordures et de déchets divers. À signaler que cette tendance initiale à se mettre à l’écart tend à disparaître avec le développement et la densification des cabanes. Si les « clandestins » de la première heure ne pouvaient au départ que se protéger de la ville et choisir des emplacements à l’écart ou cachés, l’effet de nombre dû au développement des cabanes et à leur médiatisation a fini par banaliser la condition des squateurs et ils tendent, aujourd’hui, à se faire plus visibles.

Un espace conçu pour la collectivité

15Les squats, lieux de résidence, sont aussi et surtout les lieux de vie d’une population réunissant plusieurs cultures. C’est pourquoi, outre l’habitation et l’aire des cultures vivrières nécessaires à chacun des ménages et à leurs dépendants, on y trouve des espaces utilisés de façon collective.

  • 8 L’accès en voiture n’est possible que dans les squats éloignés du centre-ville.

16Ce sont en premier lieu les chemins et les routes. Il n’y a pas de route goudronnée à l’intérieur des squats, mais tout un réseau spontané de voies qui peuvent se classer en trois types. D’abord, des pistes principales connectées sur le réseau routier urbain permettent le passage des véhicules dans les squats8. Ensuite, plusieurs chemins piétonniers parcourent le squat, sans s’y limiter ; ils participent d’un réseau de voies piétonnières qui traversent l’agglomération et qu’utilisent presque uniquement les populations océaniennes peu motorisées de Nouméa. Enfin, des chemins piétonniers secondaires desservent chacune des maisons.

  • 9 On a recensé plus de dix sectes dans les squats, parmi lesquelles les témoins de Jéhovah, l’Assemb (...)

17Le culte détermine un autre type de lieu collectif. Toutes les sectes qui existent en Océanie ont des adeptes dans les squats9 et quelques temples y sont parfois bâtis. A Motor Pool, le temple de l’Assemblée de Dieu reçoit tous les dimanche un pasteur qui y célèbre le culte. A Nouville et à Koutio, des réunions de prières se déroulent plusieurs soirs par semaine. Mais, qu’il s’agisse du temple ou du lieu de prières, ces espaces ne sont pas ostentatoires et leur localisation, proche des limites des squats, les rend discrets.

  • 10 voir, supra, l’article d’A. Chanteraud. Tous les squats disposent d’un ou de plusieurs nakamals.

18En dehors des chapelles, seul le nakamal10, un autre espace collectif, nécessite une construction. Toujours installé sur la périphérie du squat, il représente l’unique point de rencontre avec la ville formelle, plus précisément entre les Océaniens et les Européens ; c’est le seul endroit, en effet, où sont acceptés sans réserve « ceux du dehors ».

19Enfin, dans certains squats, des emplacements sont réservés aux jeux de pétanque, de volley-ball et au bingo auquel hommes et femmes s’adonnent en fin d’après-midi.

20Hors des frontières du squat, la collectivité a souvent recours à un autre espace où elle puise une partie de ses ressources, le littoral. Sur l’ensemble des ménages interrogés dans les squats, 71 % se livrent régulièrement à la pêche, au ramassage de coquillages ou de crabes, proportion évidemment plus élevée encore dans les squats situés immédiatement en bordure du rivage.

Organisation de l’espace domestique

21Chaque unité d’habitation est ceinte d’un espace non bâti, en général cultivé (seuls 14 % des ménages ne pratiquent aucune culture autour de leur maison), planté d’arbres fruitiers et d’ombrage. Quelques parcelles sont clôturées de grillage. L’abord des cabanes est souvent décoré de plantes ornementales et de coquilles de Murex alignées, soulignant allées et plates-bandes. Le sol du quartier de Koutio-SPANC est recouvert de scories, quotidiennement ratissées. Les maisons sont toujours à distance les unes des autres, parfois à plusieurs dizaines de mètres, afin de préserver la tranquillité et l’intimité de chacune.

  • 11 A Koumac, où la configuration de la réserve peut être comparée à celle des squats de Nouméa, car e (...)

22Les regroupements d’habitations se font généralement sur la base d’affinités familiales ou ethniques ; 69 % des relations de voisinage, tous squats confondus, sont basées sur ce principe, même si d’importantes disparités existent selon les quartiers. Le principe du regroupement autour du clan ou de la famille est comparable à ce qu’on peut observer en tribu11.

23Dans les squats, certains agrégats autour d’un même clan ou d’une même ethnie, très nets, se signalent par une plus grande proximité des maisons les unes des autres ; l’îlot ainsi dessiné peut même s’attribuer un nom, souvent celui du village ou de l’île d’origine, et le signaler par un panneau. La population de ces îlots claniques ou ethniques comprend entre 20 et 40 personnes et peut regrouper tous les membres d’une même ethnie dans le squat.

Les constructions et l’équipement

  • 12 Dans la plupart des cas, la douche est un réduit comportant un réservoir d’eau surélevé, muni d’un (...)
  • 13 La cuisine ne comprend que l’évier prévu pour la vaisselle et un plan de travail. La gazinière, en (...)
  • 14 On peut également trouver des chambres en blocs séparés du corps principal de l’habitation.

24Les habitations elles-mêmes varient par leur taille, la qualité de leurs matériaux et par leur confort. Exactement comme en milieu mélanésien traditionnel, l’unité d’habitation est systématiquement composée de plusieurs blocs aux fonctions distinctes, la résidence elle-même, la douche12, la cuisine13, et les latrines, présentes dans 62 % des unités. Lorsque la topographie le permet, les blocs de la douche et de la cuisine sont disposés de telle sorte que les eaux usées, s’écoulant dans des rigoles, viennent irriguer les cultures maraîchères en contrebas. Le corps de la résidence comporte généralement une pièce commune à l’ensemble des habitants, une ou plusieurs chambres14 et une véranda. La pièce commune a une superficie variant entre 5 et 60 m2. La plupart des cabanes sont dotées d’une véranda qui prolonge la pièce principale.

25La tôle et le bois constituent les matériaux les plus courants des constructions. Au sol de la construction principale, on trouve soit simplement de la terre battue (48 % des maisons), recouverte ou non de linoléum ou de nattes, soit un plancher en bois (9 % des maisons), soit encore une dalle en ciment (43 % des cas). Cette dalle peut être plus ancienne que le squat et provenir des infrastructures datant de la présence américaine durant la Seconde Guerre mondiale (c’est notamment le cas pour Nouville, Logi-coop et Motor Pool), mais elle peut aussi avoir été coulée par les occupants actuels. Dans ce cas, ces derniers ont systématiquement installé, prise dans le béton, une charpente en bois soutenant le toit et les murs de l’habitation. Toutefois, cette charpente peut aussi se trouver dans les cabanes dépourvues de dalle, ou installées sur les dalles américaines, et les poteaux de soubassement sont alors soit simplement posés par terre, soit plantés dans une cavité remplie de béton. Le toit, toujours en tôle, est soit posé sur les murs et maintenu à l’aide de grosses pierres, soit, lorsque la charpente existe, fixé à celle-ci. Toutes les maisons sont de plain-pied et des ouvertures à l’emporte-pièce sont ménagées dans la tôle des murs, formant fenêtres à auvent et portes, parfois dotées d’un encadrement.

26En 1995, seuls deux squats (soit, au total, 31 % des cabanes de l’échantillon) bénéficiaient de l’eau courante, et encore l’approvisionnement en eau se faisait-il pour l’ensemble du squat et non par habitation :

  • les habitants du squat de Motor Pool étaient ainsi raccordés sur la canalisation d’adduction d’eau d’un riverain qui avait donné son accord et auquel la consommation était payée. Dans le squat lui-même, la distribution s’effectuait au moyen d’un réseau de tuyaux d’irrigation reliant la canalisation aux groupes de cabanes.
  • Koutio SPANC était branché sur le réseau d’eau de la station d’épuration15 voisine. Là, des canalisations enterrées avaient été installées.

27La population des autres squats s’approvisionnait en eau de diverses façons : certains se faisaient régulièrement apporter des bidons par la famille logée en ville, ceux qui avaient des voitures allaient chercher l’eau gratuite à la source d’eau minérale du Mont Dore, à une vingtaine de kilomètres, aux douches publiques des plages de Nouméa ou encore chez leur employeur. Tous avaient aussi des citernes de fortune, en général des fûts, leur permettant de stocker l’eau de pluie.

28En 1997, les négociations avec les autorités ont abouti et presque tous les squats de Nouméa sont équipés de citernes remplies quotidiennement d’eau potable par la municipalité. Au départ, outre le fait que cette disposition était censée être provisoire, certains squateurs se sont interrogés sur la qualité de cette eau qu’ils hésitaient à consommer ; l’habitude cependant s’est vite installée.

  • 16 Le raccordement sur le réseau électricité et eau de Calédonie. (E.E.C.) est discuté depuis des moi (...)

29L’électricité est présente en 1995 dans 32 % des habitations ; elle est fournie par des groupes électrogènes collectifs ou familiaux16. La plupart des maisons ainsi dotées de l’électricité sont équipées d’une télévision (voire d’un magnétoscope) et d’un réfrigérateur. Les cabanes sans électricité sont éclairées par des lampes à pétrole ou par des bougies. Les téléphones individuels sont, comme souvent en tribu, absents.

30Quant à l’ameublement, il est des plus divers. Certaines cabanes ne sont pourvues que d’une étagère et d’un matelas. D’autres, à l’inverse, offrent tout le mobilier et la décoration complète d’une maison habitée depuis plusieurs années.

31En résumé, il existe plusieurs types d’habitat informel, depuis la simple cabane formée de tôles rouillées posées sur la terre battue, dépourvue de fenêtre et de mobilier, jusqu’à ce qu’on peut appeler une véritable villa en bois, béton et tôles neuves, équipée du confort maximum et de l’électroménager. Ce qui apparaît à l’évidence est qu’on ne se trouve pas en présence d’un phénomène de bidonvilles comparable à ce que l’habitat informel produit habituellement ailleurs dans le monde.

La population et la dynamique des squats

32Dans les 246 ménages qui composent l’échantillon, le chef de ménage et, le cas échéant, son conjoint ont été interrogés sur leur origine ethnique. L’échantillon permettant de déterminer l’origine ethnique s’élève ainsi à 449 personnes et peut être comparé à la composition ethnique de la ville de Nouméa d’une part, et du territoire d’autre part. A noter que les effectifs d’enfants ne sont pas pris en compte (tableau 1).

33La population de l’échantillon est à 97 % originaire d’Océanie et à 50 % originaire de la Nouvelle-Calédonie même. Contrairement à une idée répandue qui attribue aux Wallisiens et Futuniens les plus forts contingents de squateurs, ce sont les Kanak qui sont ici majoritaires. Parmi ces derniers, on relève une sur-représentation des familles originaires des îles Loyauté et de la Province nord (tableau 2).

Tableau 1. — Répartition ethnique de la population des squats échantillonnée en 1995 rapportée au recensement de 1996 (source : enquête ; I.T.S.E.E., 1997)

Tableau 1. — Répartition ethnique de la population des squats échantillonnée en 1995 rapportée au recensement de 1996 (source : enquête ; I.T.S.E.E., 1997)

Tableau 2. — Origine de la population kanak des squats en 1995

Tableau 2. — Origine de la population kanak des squats en 1995

34L’installation des Kanak dans la ville est bien antérieure à l’apparition des squats. Elle correspond à l’abolition, en 1946, du code de l’Indigénat réglementant, entre autres, l’entrée et le séjour des Kanak à Nouméa, et à l’abrogation, à la même époque, du système des contrats de travail, organisant la venue dans la colonie d’une main-d’œuvre bon marché pour une durée déterminée. Depuis, les effectifs kanak et, d’une façon générale, océaniens, sont en croissance régulière et soutenue à Nouméa. En 1996, la ville compte 17 154 Kanak et 10 423 Océaniens d’autres origines, soit 34 % de la population de la commune.

  • 17 Sur les dix squats étudiés, six d’entre eux (Motor Pool, Koutio-Péage, Ko Wé Kara, Kaméré et Logic (...)

35Approximativement 10 % de la population des squats est née à Nouméa. Cela signifie que les squats ne sont pas seulement alimentés par la migration de travail et l’exode rural, mais que leur population est aussi issue de la seconde génération de Kanak de Nouméa. La proportion de cet habitat informel au sein de la ville est d’ailleurs appelée à s’accroître, les chefs de famille enquêtés manifestant leur intention d’installer, à leur tour, leurs enfants sur des terres de squats. Mieux encore, la population des squats ne semble pas être en majorité composée d’arrivants récents dans la ville, qui auraient choisi ce type d’installation faute de trouver rapidement un « habitat formel ». Sur les 241 ménages ayant accepté de donner la date de leur arrivée à Nouméa et de leur installation dans le squat, 61 % résident à Nouméa au moins depuis 1985 mais à peine 3 % résidaient déjà à cette époque dans un squat (tableau 3). Si ce résultat souligne la jeunesse du phénomène des squats, la figure 2 semble indiquer la saturation de certains d’entre eux ; la courbe descendante montre que les accueils y sont limités ou ne se font plus17. L’accroissement probable de la population des squats portera donc sur d’autres aires d’accueil déjà existantes ou qui restent à créer.

Tableau 3. — Ancienneté d’installation des ménages dans le squat et à Nouméa, en pourcentages selon les durées

Tableau 3. — Ancienneté d’installation des ménages dans le squat et à Nouméa, en pourcentages selon les durées

36Indépendamment des interventions des élus qui tentent d’obtenir, au moyen de négociations, l’arrêt de ces installations spontanées, il semble donc qu’il y ait une dynamique interne au squat, laquelle est intimement liée au rapport à la surface disponible (contrairement à ce qu’on observe dans la ville formelle où l’habitat peut, à l’occasion, se densifier). Il ne s’agit en fait pas tant de surface à bâtir, que de la notion « d’espace de vie » dans les conditions définies ci-dessus : éclatement des différents locaux d’habitation, présence d’un jardin ou d’une parcelle de cultures et existence d’espaces collectifs.

37D’une manière générale, le caractère récent ou ancien du squat n’influence guère la structure par âge de la population qui l’habite (tableau 4). Si elle présente des discordances avec celle de la population de l’ensemble de Nouméa, cette structure par âge coïncide assez bien avec celle de la population kanak de la Province sud, et aussi, d’ailleurs, avec celle de l’ensemble des populations kanak, wallisienne et ni-Vanuatu du sud de la Nouvelle-Calédonie.

Tableau 4. — Pourcentages cumulés de la population des squats par tranche d’âge rapportés à la population de Nouméa et à l’ensemble des Kanak et des Océaniens de la Province sud (source : I.T.S.E.E.,1989)

Tableau 4. — Pourcentages cumulés de la population des squats par tranche d’âge rapportés à la population de Nouméa et à l’ensemble des Kanak et des Océaniens de la Province sud (source : I.T.S.E.E.,1989)

38Mis à part les moins de 10 ans, qui représentent la classe la plus importante de la population, la classe des 20-29 ans fournit, chez les hommes comme chez les femmes, le plus gros contingent de squateurs. Ces caractéristiques désignent a priori une population active de jeunes ménages accompagnés de leurs enfants, assez récemment installée sur le mode familial. L’on a affaire non pas à une population où les hommes adultes sont en surnombre, comme ce serait le cas pour une population véritablement « immigrée », mais à une occupation assez stable des espaces urbains par des groupes ethniques bien précis. À signaler enfin que les femmes de certaines classes d’âge (20-24 ans pour le groupe des squats récents) paraissent légèrement en surnombre. Célibataires avec ou sans enfants, il s’agit souvent de femmes en rupture avec le monde de la coutume.

Les activités des squateurs

39L’échantillon de 444 personnes retenu pour l’analyse de la profession des squateurs se compose des chefs de famille et le cas échéant, de leur conjoint qui ont bien voulu répondre sur ce point.

40Au moment de l’enquête, 80 % des unités d’habitation comprenaient au moins un actif, ce qui est exactement la même proportion que celle déterminée en 1993 par le recensement du Haut-commissariat. La proportion des actifs, qui est stable, contredit le préjugé qui identifie la majorité des squateurs à des chômeurs. 63 % des chefs de ménage célibataires ou divorcés ont un emploi, et dans 83 % des ménages vivant en couple, on trouve au moins un actif. La proportion d’actifs est plus élevée pour les hommes : dans les couples, 76 % des hommes mais seulement 30 % des femmes travaillent. Le bâtiment pour les hommes et l’entretien pour les femmes sont les secteurs d’activité les mieux représentés (tableau 5).

Figure 2. — Évolution des installations dans les squats

Tableau 5. — Secteurs d’activité des squateurs en 1995 selon les sexes

Tableau 5. — Secteurs d’activité des squateurs en 1995 selon les sexes
  • * n = 167
  • 19 n = 70

Note* *
Note** 19

41D’une façon générale, les métiers exercés par les squateurs requièrent peu ou pas de qualification, et si la proportion globale d’actifs est stable chez les squateurs, les activités de ceux-ci le sont beaucoup moins : les maçons, qui représentent la moitié des hommes actifs, ne travaillent souvent que grâce à des contrats à durée déterminée, entre lesquels plusieurs mois peuvent s’écouler. Peu d’entre eux sont des salariés. De même, la moitié des femmes actives exercent la profession de femmes de ménage, presque toujours à temps partiel ; il arrive qu’elles ne travaillent que deux ou trois heures par semaine.

42La première conséquence de cette situation est la faiblesse d’ensemble, et sur la durée, des revenus des squateurs. La deuxième conséquence importante est que seule une proportion réduite de la population des squats bénéficie d’une couverture sociale. On est loin du mythe des squateurs aisés que propage une fraction de la population européenne.

Une organisation interne duelle : le monde de la réserve dans celui de l’urbanité

43Pour désigner les squats, certains Kanak emploient le mot de « tribu » et les Wallisiens et les Ni-Vanuatu celui de « village ». Par référence à leurs unités « traditionnelles » de résidence respectives, chaque groupe retrouve dans l’enclave urbaine du squat une identité quasiment rurale.

44À première vue, cette assimilation du squat à un espace rural peut s’expliquer par la nature agricole des premières activités qui s’y inscrivent. Mais l’analogie va plus loin car on trouve aussi dans les squats une organisation sociale et spatiale comparable à celle que l’on rencontre dans le monde « traditionnel » des réserves où le partage des zones se fait sur une base clanique ; dans l’enceinte du squat, les ethnies sont spatialement distinctes les unes des autres, chacune d’elles se voyant attribuer une zone d’installation préférentielle.

  • 18 C’est le terme employé à l’intérieur des squats pour désigner ce personnage, étant entendu que dan (...)

45Dans le même ordre d’idées, d’autres règles que l’on dirait issues de la coutume régissent l’organisation interne du squat. Ainsi, le droit du premier occupant est reconnu et prééminent ; le discours sur l’ancienneté de l’arrivée tend d’ailleurs à multiplier le nombre des premiers installés, ce qui est aussi assez courant, ailleurs, sur la Grande-Terre. Toutefois, il est fréquent, lors d’une installation, d’aller « faire la coutume » avec le premier occupant afin de se faire officiellement accepter par lui ; et ce, même s’il n’installe lui-même que rarement les arrivants, qui disent à 83 % avoir eux-mêmes choisi leur emplacement. Par la suite, les arrivées se font par les filières familiales ainsi constituées ; chaque famille installe ses nouveaux membres, leur indique un endroit proche où bâtir leur cabane, tandis que le premier arrivant continue en principe de recevoir la coutume au titre de « chef coutumier »18. On a ainsi une transposition des règles traditionnelles de l’accueil sur les terres claniques au sein même du squat.

46On peut également voir dans le geste coutumier des squateurs un reflet de l’organisation qui régit en tribu les dons et prestations traditionnelles. En effet, le chef coutumier du squat ne s’approprie presque rien des présents faits par les nouveaux arrivants : il stocke l’ensemble des dons ainsi reçus et les apporte ensuite à un personnage qui est le grand chef des « dynasties du Sud » ; il sera question plus loin de ce personnage. Le chef coutumier du squat a pour principale fonction d’autoriser les gens à s’installer sur une parcelle ; en outre, dans certains squats, et sans que cela soit systématique, il a vocation à désigner, organiser et diriger la « police tribale » chargée de veiller à l’ordre public et au respect de l’obligation coutumière.

  • 19 Toutefois, les travaux concernant l’organisation sociale et politique traditionnelle en Nouvelle-C (...)
  • 20 Kuindo était un chef des Gamba (ou Kambwa), dont la zone d’influence s’étendait, selon certaines v (...)

47Le mouvement des squats s’inscrit pour partie dans une mouvance coutumière qui vise à rendre aux espaces du sud de la Grande-Terre leur identité préeuropéenne. Le recueil et l’analyse de mythes anciens a permis au mouvement coutumier de restaurer une structure qu’elle dit avoir été abolie par la colonisation : Kambwa Wé Tcho, la « dynastie du Sud »19. Les membres actuels de cette dynastie seraient les successeurs de Kuindo20, et son chef, à qui sont portés les dons coutumiers des squateurs, est membre du clan qui est à la tête de la tribu du Col de la Pirogue située à une vingtaine de kilomètres de Nouméa.

48Les mythes de référence de ce mouvement révèlent la division de l’espace de l’actuel Nouméa et de sa proche périphérie en dix territoires, relevant de dix tribus :

  • Goaneta à Motor Pool,
  • N’Guéa à la Vallée des Colons,
  • Netoo sur la route Stratégique
  • Netwéra à Tindu,
  • Necodo à Logicoop
  • Nepavo à la carrière de Ducos.
  • Neware à Montravel,
  • Mourine à Ko Wé Kara,
  • Nekwéta sur Continent et
  • la Savexpress,
  • Nindu à Nouville
  • 22 Une demande de restitution des terres a été déposée en 1991 et a été aussitôt rejetée par la Provi (...)

49Il est intéressant de noter qu’à l’exception de Montravel, les territoires attribués aux anciennes tribus correspondent aux sites actuels des squats. De fait, la principale revendication de la dynastie du Sud porte sur la restitution non pas des terrains bâtis de la ville, mais des anciens territoires, et, plus précisément, des terres non bâties de Noujnéa22, c’est-à-dire celles où se sont implantés les squats.

  • 24 Au moment de la création du comité, les chefs coutumiers y siégeaient aussi. Ils l’ont rapidement (...)
  • 23 Le Collectif d’urgence humanitaire est créé en 1994 par une grande partie des associations caritat (...)

50Indépendamment de cette organisation coutumière, les squats relèvent d’une structure mise en place en octobre 1992 : le Comité de soutien aux squateurs. Celui-ci réunit des membres de l’église, des syndicats et des partis politiques24. Ce comité est chargé d’organiser les squateurs et de les représenter lors des négociations avec les autorités de la ville pour les demandes d’équipement en eau, en électricité, etc. Chaque squat envoie un délégué élu par l’ensemble de sa population pour siéger au comité. De ce dernier est issue en 1995 l’Association pour le droit au logement décent (A.D.L.D.), relevant de la loi de 1901, qui permet aux squateurs, en s’institutionnalisant, de s’associer au Collectif d’urgence humanitaire23 et de bénéficier de subventions.

51Les squats sont donc organisés par deux autorités indépendantes, la coutume (elle-même subdivisée en deux branches, l’une correspondant à la dynastie du Sud et liée aux indépendantistes, l’autre, moins active, liée au R.P.C.R.) et le comité. Une minorité de squateurs s’implique personnellement dans l’une ou l’autre et ne reconnaît que l’autorité de la structure qu’elle choisit. Ainsi, les militants du mouvement coutumier ne participent pas aux réunions hebdomadaires organisées par le comité et ne soutiennent pas son action. A l’inverse, la plupart des membres actifs du comité, s’ils « font la coutume » à leur arrivée dans le squat, contestent la légitimité de la dynastie du Sud, laquelle serait selon eux usurpée puisque les squats ne seraient pas légalement une propriété coutumière.

52Toutefois, la majorité des squateurs reconnaît, tour à tour ou en même temps, l’une et l’autre des deux autorités. La population des squats adhère au comité de soutien car elle compte sur lui pour obtenir une amélioration de ses conditions de vie, laquelle est subordonnée à l’obtention des autorisations officielles (pour amener des conduites d’eau dans les squats, par exemple). Mais après bientôt trois ans d’existence du comité, certains squateurs constatent que leurs conditions de vie ne se sont guère améliorées et que, de surcroît, le comité, par son nom même et par son action, les renvoie à une identité de squateurs relativement difficile à assumer. En effet, l’occupation illégale que sous-entend ce terme évoque le risque toujours possible d’une expulsion. Aussi les squateurs sont-ils de plus en plus nombreux à s’éloigner du comité, qu’ils jugent très critiquable, et à se rapprocher de la structure coutumière. D’une part, le geste coutumier fait à l’arrivée leur donne accès à un droit d’occupation « traditionnel » ; d’autre part, la structure coutumière leur offre une sorte de caution supplémentaire car, en reconnaissant l’autorité de la dynastie du Sud, les squateurs souscrivent aussi à ses revendications foncières. Ce n’est peut-être pas tout-à-fait un hasard si l’apparition et le développement des squats emboîtent le pas au mouvement de réforme foncière dans l’histoire calédonienne.

53En bref, il y a une double identité des squats, qui se veulent à la fois espaces coutumiers et espaces infra-urbains défavorisés. Ce paradoxe est exacerbé dans l’identité même des squateurs. D’un côté, sous équipés, sous-qualifiés et voués aux professions les moins gratifiantes, ils sont les laissés-pour-compte de la ville, et représentent le véritable prolétariat de Nouméa. D’un autre côté, ils reconnaissent avec une certaine satisfaction un retour au mode de vie, à la terre et aux valeurs ancestrales de la société océanienne. D’ailleurs, la nature même des squats n’est guère urbaine. En effet, les urbanistes font de la division organisée des tâches la base de l’émergence d’une société urbaine (Claval, 1982 : 29) ; or, les activités uniformément pratiquées par chaque ménage de squateurs, agriculture et pêche, semblent écarter toute idée d’organisation urbaine, d’autant plus que les squats n’apparaissent ni comme des lieux de transactions économiques (l’échange y est avant tout coutumier), ni comme des lieux où la collaboration dépasse l’échelle familiale ou clanique. La mise en place du comité de soutien aux squateurs ou du mouvement coutumier de la dynastie du Sud vise non pas à organiser les activités ou la vie des squateurs, mais à les représenter et à les défendre vis-à-vis de l’extérieur ou, au mieux, à leur procurer, avec un minimum de contreparties, des avantages provenant du monde « organisé » de la ville (eau, électricité).

54Les fondements de la vie urbaine, échange monétaire, spécialisation des activités, centralité, sont dans une situation d’incompatibilité avec les fondements du monde coutumier, où les unités sociales de base sont des groupes domestiques non marchands (Kohler, Pillon, 1986) « disposant chacun des outils, des terres et du savoir nécessaires à leur subsistance » (Bensa, Rivierre, 1982 : 107). Cette incompatibilité n’a pu, pour le moment, être contournée que par le compromis que représentent les squats, enclaves informelles et quasi-rurales dans le tissu urbain ; reste à savoir comment se passera la pleine intégration des squateurs à la ville — et si elle aura lieu.

55Nouméa, décembre 1995

Fillettes dans le squat de Nouville. Des Accords de Matignon aux Accords de Nouméa, le consensus difficile et un avenir encore incertain.
(D. Dussy).

Bibliografia

RÉFÉRENCES

Bensa, A. ; Rivierre, J.-C. (1982) — Les chemins de l’alliance ; l’organisation sociale et ses représentations en Nouvelle-Calédonie. SELAF ; Paris, 586 p.

Bourret, D. (1978) — État de l’agriculture vivrière mélanésienne en Nouvelle-Calédonie. Journal de la Société des Océanistes n° 61, 34, p. 187-193.

Claval, P. (1982) — La logique des villes ; essai d’urbanologie. LITEC, Paris, Coll. économique et Sociale, 623 p.

I.T.S.E.E. — Recensements de la population 1956, 1969, 1976, 1983, 1989, 1996. Nouméa.

Kohler, J.-M. ; Pillon, P. (1986) — Économie domestique mélanésienne et développement ; l’opération café. ORSTOM, Nouméa, 195 p.

Mac Taggart, W. D. (1964) — A social Survey of Nouméa, New Caledonia. PhD, A.N.U., Canberra, 135 p.

Roosen, S. (1995) — Réserve autochtone et centre urbain : exemple d’une cohabitation, Koumac, en Nouvelle-Calédonie. Mém. de maîtrise en géographie tropicale, Université Paris IV, 104 p.

Roux, J.-C. (1981) — Planche 49 : faits urbains. Atlas de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, ORSTOM, Paris.

Saussol, A. (1990) — Le pays kanak. In : La maison kanak, R. Boulay ed. Collection Architectures Traditionnelles, Parenthèse-ADCK-ORSTOM ; Marseille, p. 21-30.

Note

1 Saussol (1990 : 22) écrit ainsi que « le hameau (familial, lignager ou clanique) constitue la forme la plus fréquente et la plus représentative de l’habitat mélanésien précolonial », et que ce hameau est « toujours sujet à mobilité » même si l’ampleur des aménagements agricoles impose la sédentarisation à l’échelle du finage lignager.

2 Le squat désigne un quartier de logements précaires. Chaque maison du quartier est appelée cabane.

3 Sur les 10 squats enquêtés par la police, 6 l’ont été aussi par nous : Logicoop, Kaméré, Motor Pool, Nouville, Magenta et Ducos. On décompte, en 1996, seize squats bien identifiés à Nouméa (figure 1) ; néanmoins, des embryons de squats apparaissent ici et là dans le tissu urbain, et ils tendent, dans la périphérie de la ville, à se fondre dans les interstices du bâti en plate, adoptant ainsi de nouvelles modalités d’implantations.

4 L’agriculture en ville est d’ailleurs loin d’être inconnue avant les années soixante-dix. À ce que disent les informateurs, les Kanak ont toujours cultivé à Nouméa ; leurs parcelles ont pu devenir plus visibles, dans les années soixante-dix, dans certains quartiers où leur présence s’affirmait, comme dans la vallée du Tir. Cette agriculture dans Nouméa était aussi, autrefois, le fait d’Européens qui aménageaient leur potager dans leur « cour », et d’Asiatiques qui commercialisaient une production maraîchère.

5 L’on opposera ainsi les squats, relevant de l’occupation spontanée de l’espace urbain, à la ville « formelle » qui est représentée par le foncier et le bâti légalement enregistrés.

6 Échantillon de 302 réponses au total.

7 Voie express qui dessert l’entrée de Nouméa.

8 L’accès en voiture n’est possible que dans les squats éloignés du centre-ville.

9 On a recensé plus de dix sectes dans les squats, parmi lesquelles les témoins de Jéhovah, l’Assemblée de Dieu, Viens et Vois, les Baha’is, l’Église des Saints des derniers jours, les Adventistes du septième jour, l’Église libre, etc.

10 voir, supra, l’article d’A. Chanteraud. Tous les squats disposent d’un ou de plusieurs nakamals.

11 A Koumac, où la configuration de la réserve peut être comparée à celle des squats de Nouméa, car elle est située en bordure du centre urbain, ce regroupement concerne 80 % des habitations (Roosen, 1995).

12 Dans la plupart des cas, la douche est un réduit comportant un réservoir d’eau surélevé, muni d’un tuyau d’écoulement.

13 La cuisine ne comprend que l’évier prévu pour la vaisselle et un plan de travail. La gazinière, en revanche, reste à l’intérieur de la cabane.

14 On peut également trouver des chambres en blocs séparés du corps principal de l’habitation.

15 La distribution a été interrompue momentanément au début de l’année 1995 car les squateurs n’ont pu régler immédiatement la facture s’élevant à plusieurs centaines de milliers de francs C.F.P.

16 Le raccordement sur le réseau électricité et eau de Calédonie. (E.E.C.) est discuté depuis des mois, sans qu’aucune décision soit encore prise.

17 Sur les dix squats étudiés, six d’entre eux (Motor Pool, Koutio-Péage, Ko Wé Kara, Kaméré et Logicoop) étaient déjà occupés, même très sporadiquement, il y a plus de dix ans. Caillou bleu, à l’inverse, n’a été fondé que récemment.

18 C’est le terme employé à l’intérieur des squats pour désigner ce personnage, étant entendu que dans le monde traditionnel, ce sont les « maîtres de la terre », « propriétaires terriens », qui reçoivent les dons de ceux qu’ils installent.

19 Toutefois, les travaux concernant l’organisation sociale et politique traditionnelle en Nouvelle-Calédonie ne mentionnent aucun élément assimilable à une dynastie.

20 Kuindo était un chef des Gamba (ou Kambwa), dont la zone d’influence s’étendait, selon certaines versions, de Païta à la rivière des Pirogues, avec un large débordement à l’est. Kuindo rejetait la présence française sur ses terres et en 1855, il lança une offensive meurtrière sur Nouméa. Les Français n’obtinrent sa soumission que deux ans plus tard.

22 Une demande de restitution des terres a été déposée en 1991 et a été aussitôt rejetée par la Province et le Territoire. La dynastie réclame à présent l’usufruit des terres.

24 Au moment de la création du comité, les chefs coutumiers y siégeaient aussi. Ils l’ont rapidement quitté, considérant que les squats sont une conséquence des politiques urbaines néfastes des différentes institutions du territoire : les institutions étaient donc mal placées pour soutenir les squateurs.

23 Le Collectif d’urgence humanitaire est créé en 1994 par une grande partie des associations caritatives, religieuses ou laïques, de Nouméa, et a pour but d’intervenir dans le domaine de l’action sociale et du logement.

Note di fine

* n = 167

19 n = 70

Indice delle illustrazioni

Legenda Figure 1. — Ville de Nouméa en 1996 : quartiers et zones d’habitats spontané
URL http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1083/img-1.jpg
File image/jpeg, 588k
Titolo Tableau 1. — Répartition ethnique de la population des squats échantillonnée en 1995 rapportée au recensement de 1996 (source : enquête ; I.T.S.E.E., 1997)
URL http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1083/img-2.jpg
File image/jpeg, 178k
Titolo Tableau 2. — Origine de la population kanak des squats en 1995
URL http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1083/img-3.jpg
File image/jpeg, 129k
Titolo Tableau 3. — Ancienneté d’installation des ménages dans le squat et à Nouméa, en pourcentages selon les durées
URL http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1083/img-4.jpg
File image/jpeg, 128k
Titolo Tableau 4. — Pourcentages cumulés de la population des squats par tranche d’âge rapportés à la population de Nouméa et à l’ensemble des Kanak et des Océaniens de la Province sud (source : I.T.S.E.E.,1989)
URL http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1083/img-5.jpg
File image/jpeg, 175k
Legenda Figure 2. — Évolution des installations dans les squats
URL http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1083/img-6.jpg
File image/jpeg, 386k
Titolo Tableau 5. — Secteurs d’activité des squateurs en 1995 selon les sexes
Legenda Note* *Note** 19
URL http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1083/img-7.jpg
File image/jpeg, 130k
Legenda Fillettes dans le squat de Nouville. Des Accords de Matignon aux Accords de Nouméa, le consensus difficile et un avenir encore incertain.(D. Dussy).
URL http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1083/img-8.jpg
File image/jpeg, 2,0M

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