1Les trois méthodes de mesure de la consommation alimentaire présentées permettent d’évaluer la qualité de l’alimentation ou d’identifier des modèles alimentaires dans une population donnée. Ces méthodes quantitatives reposent sur un travail important de préparation de la collecte et de gestion des données qu’il est fondamental de ne pas sous-estimer.

2La mesure de la consommation alimentaire et des ingérés en nutriments au niveau individuel est une discipline récente qui a vu le jour au début du xx^e siècle, notamment grâce au développement des tables de composition des aliments permettant de convertir aliments en nutriments et dont les premières publications sont attribuées à Percy et Vaquelin en France en 1818 (Church, 2006). On peut tout de même considérer qu’une forme plus rudimentaire de mesure de la consommation alimentaire existe depuis l’Antiquité. Déjà à cette période, le repas est un moment du quotidien que les artistes s’attachent à immortaliser, notamment sur des poteries, et l’on a par exemple retrouvé des vases d’environ 460 av. J.-C. sur lesquels étaient représentés des banquets. Ainsi, au cours de l’histoire de l’humanité, ce que l’on mange et la façon dont on mange ont toujours été représentés de manière picturale au travers des siècles, notamment sur des poteries, des tapisseries ou encore sous forme de peintures. Au-delà de ces représentations picturales, il existe également depuis l’Antiquité des textes sur l’art culinaire, ainsi que des livres de recettes, dont notamment le De re coquinaria, datant du iv^e siècle apr. J.-C, compilation de recettes romaines. L’arrivée du papier et de l’imprimerie à partir du xiv^e siècle va par la suite permettre la diffusion des premiers livres de cuisine et la connaissance précise des types de plats préparés et consommés aux différentes époques. Par exemple, dans un livre de recettes datant du xviii^e siècle, on peut lire une description de préparation de pâtes au bouillon : « On fait un bouillon de viande sans herbes, avec du sel, et quand il est fait on met dans un plat sur un peu de feu la quantité de pâtes qu’on juge à propos ; à mesure qu’elle s’échauffe, on l’arrose doucement de bouillon, la pâte s’imbibe et se gonfle, et lorsqu’on la voit à un certain degré de grosseur ou sans se dissoudre elle est tendre, molle et bien humectée, on la sert sur la table » (Flandrin, 1983). De même, certains registres (archives de communauté, actes notariés de pensions, registres de versements de salaires en nature) permettent d’avoir une description quantitative de la consommation de certains aliments. Ainsi, grâce à ce type de registre, on sait par exemple que « Le Provençal des xiv^e et xv^e siècles boit beaucoup de vin (210 l par an), mange de bonnes quantités de pain (300 kg par an). Le mets fondamental est une soupe aux choux et au lard ou une soupe de fèves ou de lentilles ou encore un bouillon de viande dans lequel on trempe la grosse ration de pain. Un peu de poisson salé et de porc salé, un peu de viande fraîche peut-être deux fois par semaine (la consommation atteint 26 kg par an en 1473) » (Benassar et Goy, 1975). Les méthodes de mesure de la consommation individuelle telle qu’on les connaît aujourd’hui n’ont fait leur apparition qu’autour des années 1940 (1942 pour le rappel des 24 heures et 1947 pour l’histoire diététique2) (Biro et al., 2002). Ces méthodes sont généralement divisées en deux types : les méthodes rétrospectives visant à mesurer la consommation passée, comme les méthodes basées sur les questionnaires de fréquence de consommation ou la méthode du rappel des 24 heures ; et les méthodes prospectives visant à mesurer la consommation actuelle, comme les enregistrements alimentaires.

Plusieurs types de méthodes en fonction des objectifs de mesure

3En tant que déterminant de l’état nutritionnel et de la santé, la consommation alimentaire est une préoccupation majeure des Objectifs de développement durable adoptés par les Nations unies ; elle est associée à des domaines prioritaires comme le développement de l’agriculture durable, la production et la disponibilité des aliments ou encore la couverture des besoins nutritionnels et la santé des populations. Cependant, la consommation alimentaire est complexe à appréhender. Le choix de la méthode utilisée va dépendre notamment de l’objectif de l’étude (Webster-Gandy et al., 2020). Il est cependant important de garder à l’esprit qu’aucune de ces méthodes ne permet une évaluation exacte de la consommation alimentaire « réelle ».

4Dans le présent chapitre sont décrites les trois méthodes les plus couramment utilisées en enquête en population : deux méthodes rétrospectives (la méthode des fréquences de consommation et le rappel des 24 heures) et une méthode prospective (la méthode des enregistrements alimentaires).

5Ces trois méthodes peuvent permettre le calcul de différents indices alimentaires qui vont rendre compte notamment de la qualité de l’alimentation (e.g. Diet Quality Index-International, Healthy Eating Index…), mais vont aussi permettre de caractériser des modèles alimentaires (e.g. régime méditerranéen, régime occidental…). Le rappel des 24 heures, en plus de cela, rend également possible le calcul des scores de diversité alimentaire tel que le Dietary Diversity Score, qui rend compte de l’adéquation nutritionnelle.

Méthodes rétrospectives

Mesure de la fréquence de consommation des aliments

6Cette méthode, via un questionnaire, permet d’évaluer, par individu, la fréquence de consommation des aliments ou groupes d’aliments sur une période de temps donnée (généralement une semaine ou un mois, mais parfois sur une période plus longue pouvant aller jusqu’à un an). Elle repose sur l’administration d’un questionnaire de fréquence, incluant une liste d’aliments (ou groupes d’aliments), et des catégories de réponse de fréquence correspondantes, par exemple « jamais, une fois par semaine, deux fois par mois ». Les modalités de réponse doivent garantir que toutes les catégories de temps sont incluses pour la période cible, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de lacunes. Le nombre et les types d’aliments présents dans le questionnaire dépendent de l’objectif de l’étude pour lequel le questionnaire a été élaboré, en lien avec la population étudiée (femmes enceintes, personnes âgées, jeunes enfants, population générale, par exemple). Par conséquent, le questionnaire peut ne contenir que quelques items, par exemple lorsqu’il se concentre sur des nutriments particuliers (tels que les fibres alimentaires ou le fer), ou il peut en contenir plus, par exemple jusqu’à 200 items lorsqu’il vise l’évaluation du régime alimentaire dans son ensemble (c’est-à-dire apport énergétique et ingérés en nutriments). En général, les aliments (ou groupes d’aliments) inclus dans le questionnaire doivent être informatifs. C’est-à-dire que chaque aliment doit être consommé assez fréquemment par un nombre non négligeable de sujets ; contenir en quantité suffisante le nutriment/l’aliment dont l’apport est étudié ; être consommé en quantité (fréquence) variable selon les individus pour que le questionnaire soit discriminant.

7Le questionnaire de fréquence a été conçu à l’origine pour fournir des informations qualitatives descriptives sur les habitudes de consommation alimentaire. Avec l’ajout de la taille des portions, le questionnaire de fréquence est devenu semi-quantitatif (lorsque les quantités consommées sont estimées à l’aide de portions standards ou de référence) ou quantitatif (lorsque les quantités consommées sont estimées à l’aide de mesures ménagères du type cuillère, bol, verre, ou de photographies de taille de portion d’aliments). La quantification permet ainsi de calculer des ingérés alimentaires (en multipliant la fréquence par la quantité).

8Le principe sous-jacent du questionnaire de fréquence est de renoncer à la mesure précise de l’apport alimentaire au profit d’informations plus brutes concernant une période de temps prolongée. Ainsi, l’approche par questionnaire de fréquence vise à mesurer davantage le régime alimentaire habituel que l’apport réel précis. Le questionnaire de fréquence est généralement conçu pour classer les individus dans de grandes catégories (par exemple en terciles), plutôt que pour calculer des apports moyens exacts. Il est principalement utilisé pour évaluer les associations entre les habitudes alimentaires et le risque de maladies dans le cadre d’études de cohortes ou de cas témoins.

9Le questionnaire de fréquence constitue un moyen relativement peu coûteux et standardisé de collecter des données auprès d’un grand nombre d’individus. Il peut facilement être auto-administré (si les répondants savent lire et écrire) ou même administré par ordinateur. Les données peuvent être facilement traitées et informatisées. La plupart des questionnaires peuvent être remplis relativement rapidement – selon la longueur de la liste des aliments – et prennent généralement entre 15 et 30 minutes à remplir, ce qui représente une faible charge pour les répondants et conduit donc à une meilleure conformité.

10L’un des principaux inconvénients du questionnaire de fréquence est que sa mise au point et sa validation nécessitent à la fois d’avoir déjà des données alimentaires pour la population cible et de mettre en place des études de validation (comparaison avec les résultats obtenus par une méthode standard comme des biomarqueurs sanguins ou une enquête par pesée), qui sont très longues et lourdes (Cade et al., 2002). Un autre inconvénient de cette méthode est sa faible capacité à obtenir des informations sur la façon dont les aliments sont consommés (par exemple, les méthodes de cuisson), ni sur les combinaisons d’aliments au sein d’un repas. En outre, l’apport moyen dépend du nombre d’items alimentaires, c’est-à-dire que plus la liste des aliments est longue, plus l’apport risque d’être surestimé (inversement, plus la liste est courte, plus l’apport risque d’être sous-estimé).

Rappel des 24 heures

11Le rappel des 24 heures est la méthode la plus utilisée pour obtenir des données quantitatives dans les enquêtes en population. Cette méthode consiste généralement en un entretien en face-à-face (ou parfois en un entretien téléphonique), mené par un enquêteur qualifié, au cours duquel la personne interrogée est invitée à fournir des informations détaillées sur tout ce qu’elle a bu et mangé au cours de la journée précédant le jour de l’enquête. Au cours de l’entretien, afin de recueillir des informations complètes et précises, l’enquêteur utilise des questions ouvertes et des questions d’approfondissement, maintient une attitude neutre vis-à-vis des réponses et évite les questions suggestives ainsi que les commentaires critiques.

12La technique d’entretien à passages multiples en quatre étapes est souvent utilisée et reste à privilégier. Tout d’abord, la liste complète des aliments et boissons consommés par le sujet au cours du jour précédant l’enquête est établie. Ensuite, une description détaillée et précise de chaque aliment et boisson consommés (y compris les méthodes de préparation et de cuisson des aliments, la marque des produits commerciaux) est recueillie. Puis des estimations de la quantité d’aliments et de boissons consommés sont obtenues, généralement à l’aide de mesures ménagères ou de photographies d’aliments. Des informations sur les ingrédients des plats composés (recettes) consommés par la personne interrogée doivent également être collectées à ce stade. Enfin, le questionnaire de rappel est passé en revue afin de s’assurer que tous les aliments ont été correctement enregistrés.

13Dans l’idéal, le rappel doit être effectué à l’aveugle (c’est-à-dire que la personne ne doit pas savoir à l’avance le jour sur lequel portera le rappel) et au domicile de la personne enquêtée car cela encourage la participation, améliore la qualité des informations et facilite les étapes de calibration des mesures ménagères utilisées pour les quantifications.

14Habituellement, les personnes interrogées sont les sujets de l’enquête de rappel eux-mêmes. Dans certains cas, lorsque le sujet ne peut pas répondre directement lui-même, par exemple les enfants dont les réponses ne sont pas suffisamment fiables avant l’âge de huit ans (Arsenault et al., 2020) ou les sujets souffrant de problème de mémoire, le répondant peut être soit un parent, soit la personne qui s’occupe d’eux.

15Le rappel des 24 heures permet d’évaluer de manière assez précise les ingérés alimentaires des individus et peut être utilisé pour estimer l’apport absolu plutôt que l’apport relatif. Par conséquent, si l’objectif de l’étude est de décrire la consommation habituelle d’un individu ou d’estimer la distribution de la consommation individuelle au sein de la population étudiée, un seul rappel est insuffisant (principalement en raison de la variabilité quotidienne). Dans ce cas, il est préférable de mener plusieurs rappels pour un même individu sur plusieurs jours non consécutifs afin de calculer des ingérés habituels. En cas de répétition, le rappel des 24 heures peut inclure à la fois des jours de semaine et des jours de week-end, en supposant des différences d’apport alimentaire entre les différents jours de la semaine. Idéalement, chaque jour de la semaine devrait être représenté de manière équivalente au sein de la population étudiée, mais en pratique, cela est généralement assez compliqué à obtenir en population.

16Dans cette méthode, il n’est pas nécessaire que le répondant soit alphabétisé. C’est bien là l’une de ses forces. De plus, les entretiens nécessitent généralement une trentaine de minutes. Par conséquent, la charge du répondant est relativement faible et le taux de réponse est généralement élevé. Le rappel des 24 heures étant basé sur des questions ouvertes, cela permet un niveau de spécificité illimité concernant les descriptions des aliments (type d’aliment, méthodes de préparation, méthodes de cuisson, provenance des aliments, etc.). De même, cette méthode permet de recueillir de l’information sur la structuration des différentes prises alimentaires, ainsi que les combinaisons d’aliments au cours de ces dernières. Les principales limites associées au rappel des 24 heures sont sa dépendance à la mémoire de la personne interrogée, à la fois pour identifier les aliments et les boissons consommés, mais également pour évaluer les quantités consommées. Généralement, les ingérés mesurés viale rappel des 24 heures ont tendance à être sous-estimés avec des variations selon les participants, les femmes et les personnes en surpoids étant plus enclines à la sous-estimation de leur consommation (Thompson et Byers, 1994 ; Webster-Gandy et al., 2020).

Méthode prospective : enregistrements alimentaires

17Lors d’un enregistrement alimentaire, il est demandé au participant de noter en temps réel sur un carnet le détail de toutes ses consommations (boissons comprises) au cours d’une période de temps déterminée. Historiquement, cette période s’étendait sur sept jours afin de capturer les variations au cours de la semaine et l’on parlait alors de semainier alimentaire. Ce type de méthode demandant un investissement important de la part du participant, en pratique la période de temps peut être diminuée et les enregistrements alimentaires se font alors le plus souvent sur une période de trois jours. Généralement, les jours sont consécutifs et idéalement comportent un jour de week-end. Le participant peut quantifier sa consommation soit à l’aide d’une balance de cuisine – et dans ce cas on parle d’enquête par pesée –, soit à l’aide d’outils du type mesures ménagères ou photographies de taille de portion d’aliments. Pour ce type de méthode, il est nécessaire de former les participants pour qu’ils décrivent précisément les aliments (nom, type de préparation, type de cuisson…), ainsi que les quantités consommées. À la fin de la période d’enregistrement, un intervieweur qualifié passe en revue l’enregistrement avec le participant afin de clarifier et rechercher d’éventuels aliments oubliés.

18L’enregistrement alimentaire permet d’avoir une description détaillée des aliments consommés, ainsi qu’une mesure précise des ingérés (cela est d’autant plus vrai que la quantification se fait par pesée). Si l’enregistrement est effectué sur une semaine, il permet également de capturer la diversité du régime alimentaire.

19Un des inconvénients majeurs lié aux enregistrements alimentaires réside dans la nécessité que les participants soient alphabétisés, rendant notamment ce type de méthode difficilement applicable dans les pays du Sud. Par ailleurs, ce type de méthode demande un investissement fort de la part des participants, et ce d’autant plus que le nombre de jours est grand, pouvant entraîner d’une part un biais de sélection des participants, qui conduit à privilégier les plus motivés, et d’autre part une modification du comportement des participants allant généralement dans le sens d’une sous-déclaration (en quantité, principalement si les aliments sont pesés ou sur le type d’aliments, notamment les aliments consommés en dehors des repas) (Thompson et Byers, 1994 ; Webster-Gandy et al., 2020).

Avantages et inconvénients des différentes méthodes

20Le tableau ci-dessous (tableau 1.1) récapitule les principaux avantages et inconvénients du questionnaire de fréquence, du rappel des 24 heures et des enregistrements alimentaires.

Tableau 1.1. Avantages et inconvénients des trois méthodes présentées

	Avantages	Inconvénients
Questionnaire de fréquence (méthode rétrospective)	Pas de modification du comportement des sujets enquêtés par le dispositif d’enquête	Pas/peu de précision sur les aliments (préparation, cuisson, marques)
	Charge/fardeau relativement faible pour l’enquêté	La coopération du répondant et la précision de ses réponses diminuent avec la longueur du questionnaire
	Rapide à remplir	Développement et validation du questionnaire représentent une lourde charge de travail
	Auto-administration possible	Les questionnaires longs surestiment les ingérés et les courts les sous-estiment
	Possibilité d’une lecture optique des réponses → diminution des coûts liés à la saisie	Peu précis pour évaluer l’ingéré calorique et/ou en nutriments (d’où un classement des individus par exemple en terciles de consommation)
Rappel des 24 heures (méthode rétrospective)	Pas de modification du comportement des sujets enquêtés par le dispositif d’enquête	Le jour précédent n’est peut-être pas typique
	Charge/fardeau relativement faible pour l’enquêté	Cette méthode ne rend pas compte de la variabilité entre les différents jours de la semaine, sauf si répétition
	Généralement effectué avec un enquêteur, donc pas de problème d’alphabétisation des sujets	Nécessité d’avoir des enquêteurs bien formés (idéalement des diététiciens) qui interrogent de façon neutre
	Rapide à remplir (± 30 min)	Sous-estimation des ingérés (avec de grandes variations selon les individus)
	Réalisation en face-à-face ou par téléphone
Enregistrements alimentaires (méthode prospective)	Bonne idée de la diversité du régime (d’autant plus que le nombre de jours est élevé)	Sujets devant être alphabétisés, sinon nécessité d’avoir des enquêteurs, auquel cas l’augmentation du coût est conséquente
	Méthode précise dans la description des aliments, les tailles des portions (ou le poids, si les aliments sont pesés)	Lourdeur de la méthode, chronophage
	Demande peu de moyens logistiques	Modification possible du comportement (aliments et quantités)
		La validité des données diminue avec le nombre de jours
		Sous-estimation des ingérés

Erreurs associées aux méthodes de mesure de la consommation alimentaire

« There is not, and probably never will be, a method that can estimate dietary intake without error. » (Beaton, 1994)

21Les erreurs sont de deux natures : aléatoires ou systématiques.

22Les erreurs aléatoires (variabilité journalière des apports, estimation des quantités) augmentent la variance des ingérés alimentaires et donc réduisent leur précision. Les effets des erreurs aléatoires peuvent être réduits en augmentant le nombre d’observations. La variabilité liée aux spécificités éventuelles du jour de l’observation peut être réduite soit en augmentant le nombre de jours d’observation, soit en augmentant la taille de l’échantillon (Rutishauser, 2005).

23Les erreurs systématiques peuvent être dues par exemple à l’utilisation d’une donnée incorrecte de composition nutritionnelle d’un aliment et conduiront donc à des biais systématiques dans l’estimation des nutriments ingérés par les individus (Rutishauser, 2005). Leurs effets ne peuvent donc pas être réduits en augmentant le nombre d’observations.

Implications juridiques et éthiques

24Comme pour toutes recherches impliquant la participation d’êtres humains, les enquêtes visant à mesurer la consommation alimentaire tombent sous le coup de la déclaration d’Helsinki, datant de 1964. Cette dernière énonce des principes éthiques ayant pour but de protéger les participants de la recherche en termes de santé et bien-être, de protéger leur vie privée et d’assurer le maintien de leur intégrité.

25Toute enquête ayant pour but de mesurer la consommation alimentaire doit faire l’objet d’une demande d’autorisation auprès d’un comité d’éthique local, lequel comité s’assurera du respect des principes éthiques. En outre, depuis 2018, en plus de l’autorisation d’un comité d’éthique, des démarches spécifiques en lien avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) doivent être effectuées.

26Dans certains contextes et selon les réalités socioculturelles, avant toute enquête auprès des populations, la prise de contact ou des demandes d’autorisation auprès des autorités locales et/ou religieuses peuvent également être une nécessité.

27Avant toute enquête, chaque participant, ou chaque tuteur légal du participant si celui-ci est mineur, doit se voir expliquer les objectifs et implications de l’enquête, ce qu’il sera fait des données collectées et des résultats de l’enquête, mais également quels sont ses droits en tant que participant, notamment celui de refuser de participer, et ce afin de pouvoir donner son consentement éclairé.

28De tout temps, l’alimentation a été régie et influencée par des codes culturels, sociaux ou religieux. Elle est soumise à un ensemble de normes pouvant porter par exemple sur des exclusions alimentaires ou des modes de préparation ou consommation des aliments. Lorsque l’on mesure la consommation alimentaire, il faut donc nécessairement prendre en compte ces spécificités afin de ne pas heurter la sensibilité des participants (Rucker et Rucker, 2016).

29Selon la méthode utilisée et le contexte dans lequel elle est conduite, la mesure de la consommation alimentaire peut être plus ou moins intrusive. Au-delà même des questions posées aux participants sur leur alimentation – qui, selon les contextes et le niveau socio-économique des participants, peuvent être sensibles –, les enquêtes, essentiellement dans les pays du Sud du fait de taux d’alphabétisation parfois faibles, sont réalisées par des enquêteurs et idéalement au domicile des participants. Il faut donc porter une attention toute particulière à la formation des enquêteurs afin que ceux-ci adoptent une attitude neutre, respectueuse et culturellement adaptée.

Mesures de la consommation alimentaire et collaborations entre disciplines

30Dans le contexte actuel des bouleversements alimentaires qui touchent tous les pays (par exemple, augmentation de la consommation d’aliments ultra-transformés, augmentation de la consommation de produits carnés), la mesure de la consommation alimentaire des individus permet de comprendre et d’évaluer l’impact de ces bouleversements, notamment sur le statut nutritionnel ou la santé des populations. En effet, c’est en mesurant la consommation alimentaire des individus que l’on peut par exemple savoir s’ils couvrent leurs besoins nutritionnels ou si certains modèles alimentaires constituent des facteurs de risque de développement de certaines maladies chroniques liées à l’alimentation comme l’hypertension ou le diabète de type 2. Par ailleurs, la connaissance de la consommation alimentaire est indispensable pour concevoir et évaluer des politiques et outils d’intervention pertinents et adaptés, comme l’enrichissement de certains aliments en micronutriments pour lutter contre des carences (Eussen et al., 2015), ou encore la taxation de certains aliments néfastes à la santé pour en réduire la consommation (Alagiyawanna et al., 2015). Plus globalement, la mesure de la consommation alimentaire peut également permettre, à l’échelle d’une région ou d’un pays, de faire de la planification agricole afin qu’il y ait adéquation des disponibilités aux besoins de la population.

31Généralement, lorsque l’on mesure la consommation alimentaire, un certain nombre de données sont recueillies de manière concomitante. Ainsi, il n’est pas rare que soient recueillis la provenance des aliments consommés, le lieu de consommation (chez soi, au travail, au restaurant…), ou encore les personnes avec qui les repas sont consommés. Ces données annexes peuvent avoir un intérêt pour d’autres disciplines telles que la sociologie ou l’économie. Inversement, la consommation alimentaire étant socialement et culturellement déterminée, les sciences sociales peuvent en amont permettre de prendre en compte certains facteurs afin que la mesure de la consommation alimentaire soit adaptée au contexte (par exemple, ne pas questionner sur des aliments tabous).

Un cas d’application du rappel des 24 heures

32Dans le cadre du présent chapitre, seule une des trois méthodes décrites précédemment sera illustrée, à savoir le rappel des 24 heures (méthode peu coûteuse pour la phase de collecte des données et fréquemment utilisée). La mesure de la consommation alimentaire via le rappel des 24 heures passe par trois étapes principales : une phase préparatoire, une phase de collecte et une phase de gestion des données. Il est à noter que ces trois phases sont communes aux autres méthodes de mesure de la consommation alimentaire avec toutefois des différences quant à leur contenu.

Phase préparatoire

33L’opérationnalisation des différentes méthodes de mesure de la consommation alimentaire passe par la réalisation d’enquêtes nécessitant l’élaboration de plusieurs outils de collecte qui sont souvent fonction de l’objectif visé. Il s’agit notamment des questionnaires en eux-mêmes, des répertoires des aliments et recettes consommés par la population cible, des catalogues photos présentant différentes tailles de portion d’aliments, des mesures ménagères (bols, tasses, assiettes, cuillères…) utilisées pour la quantification des ingérés. Si l’objectif est de déterminer les apports nutritionnels ou le taux de couverture des besoins en nutriments, l’utilisation d’une table de composition ou d’une base de données sur la composition des aliments est indispensable. Il arrive qu’une base de données spécifique sur la composition des aliments soit pensée et développée lors de la phase préparatoire, bien qu’elle ne soit pas un outil de collecte, mais un outil de gestion de données.

34Le questionnaire de rappel des 24 heures est adapté et élaboré selon le type d’étude et la cible. On peut choisir d’utiliser un guide d’entretien avec des questions ouvertes (il peut s’agir d’une feuille vierge sur laquelle sont recueillies les informations nécessaires) ou, à l’inverse, un questionnaire bien structuré avec des questions fermées.

35Le répertoire des aliments (recettes incluses) renseigne sur le nom des aliments ou plats, généralement en plusieurs langues incluant des langues locales, leur identification à l’aide d’un code et les méthodes de mesures à utiliser pour les quantifier (prix, volume, poids, photo). C’est un outil dynamique, qui aide à l’identification et à la caractérisation des aliments/recettes durant l’enquête et qui peut être complété au cours de la collecte.

36Le catalogue photos est souvent élaboré dans le but de faciliter l’estimation des quantités ingérées (figure 1.1). Il présente des photos standardisées de portions d’aliments ou recettes habituellement consommées par la population cible de l’étude. Il existe dans la littérature des directives indiquant comment développer et valider un tel outil (Nelson et al., 1998 ; Foster et al., 2005 ; Martin et al., 2014).

Figure 1.1. Exemple de photos de taille de portion utilisées au Bénin, extrait d’un catalogue de 35 aliments et recettes.

Figure 1.1. Exemple de photos de taille de portion utilisées au Bénin, extrait d’un catalogue de 35 aliments et recettes.

Figure 1.1. Exemple de photos de taille de portion utilisées au Bénin, extrait d’un catalogue de 35 aliments et recettes.

Figure 1.1. Exemple de photos de taille de portion utilisées au Bénin, extrait d’un catalogue de 35 aliments et recettes.

Source : Institut de recherche pour le développement (IRD) et faculté des Sciences agronomiques de l’université d’Abomey-Calavi (FSA/UAC), 2015.

37Il est parfois souhaitable de s’appuyer sur des mesures ménagères (généralement les plus couramment utilisées par et pour la population cible) afin d’estimer les quantités consommées. Ces ustensiles, gradués et calibrés, permettent au répondant d’indiquer le niveau correspondant à la quantité consommée d’aliment ou de plat.

Phase de collecte

38La phase de collecte de données concerne à la fois les données alimentaires en elles-mêmes, que l’on peut qualifier de données primaires (rappel des 24 heures dans le cas présent), ainsi que les données secondaires, par exemple un répertoire de recettes, ou encore des outils de quantification tels que les mesures ménagères ou le prix des aliments/plats. La collecte des données secondaires va dépendre des objectifs de l’enquête et de l’existence ou non de telles données pour la population cible.

Données primaires

39Le principe de collecte des données grâce au rappel des 24 heures est décrit dans la section  « Rappel des 24 heures ».

40Comme expliqué dans la méthode, le rappel des 24 heures est conduit idéalement au domicile des participants. Un des avantages de cette démarche réside dans le fait que, si un répondant n’arrive pas à quantifier ce qu’il a consommé avec les outils proposés, il peut utiliser ses propres ustensiles pour le faire. Par la suite, une correspondance est faite avec les outils de l’enquêteur.

41Lors d’un rappel des 24 heures, on peut décider d’utiliser des recettes standards, représentant la composition moyenne pour cette recette, qui seront attribuées à tous les participants qui les auront consommées ou bien de recueillir pour chaque participant les recettes individuelles des plats qu’il aura mangés. La méthode « recette moyenne » représente un gain de temps lors de la phase de collecte des données, mais gomme les particularités individuelles dans la préparation des recettes. Il est à noter qu’un répertoire de recettes moyennes ne sera de toute façon jamais exhaustif et que, par conséquent, même lorsque l’on travaille avec les recettes moyennes, il reste possible de recueillir des recettes individuelles au cours de l’enquête.

Données secondaires

Répertoire et composition de recettes moyenne

42Après avoir dressé la liste des recettes les plus couramment consommées (au cours de la phase préparatoire) par la population cible, on procède à l’observation desdites recettes. Lors de celle-ci, les différentes opérations unitaires qui constituent la recette sont suivies de bout en bout. Ainsi, tous les ingrédients entrant dans la recette (eau comprise) sont pesés avant et après préparation (épluchage, dénoyautage…). Le poids total de la préparation est ensuite mesuré avant et après cuisson. Lors de ces étapes, il est important de faire attention aux potentielles sources d’erreur qui pourraient affecter la qualité des données recueillies. Par exemple, il est nécessaire de toujours tarer la balance avant les prises de mesure, enlever les couvercles ou tout ustensile laissé dans les casseroles lors de la cuisson. Les observations doivent être répétées pour la même recette cuisinée successivement par des personnes différentes (idéalement 10 personnes). À l’issue des observations, les recettes sont « moyennées » pour obtenir une seule recette, dite « moyenne », qui sera affectée à tous les individus qui l’auront consommée. Une tâche intermédiaire importante est le choix des ingrédients à retenir pour la recette moyenne, qui doit être justifié et documenté. Parfois, le nombre ou le type d’ingrédient varie d’une personne à une autre. Par exemple, pour une même recette, certaines personnes peuvent utiliser la poudre de crevette pendant que d’autres emploient la farine de poisson, ou encore du gingembre et d’autres pas.

Calibration des mesures ménagères

43Lors de l’enquête, on identifie les ustensiles couramment utilisés pour quantifier les différents aliments et recettes (figure 1.2). Pour chaque combinaison de mesure ménagère/aliment, il faut connaître la correspondance du poids de l’aliment/préparation en question. Pour cela, il faut calibrer les mesures ménagères. Par exemple, pour de la farine de maïs quantifiée à l’aide d’un bol équivalent à 350 ml d’eau, la calibration consistera à remplir le bol en question de farine de maïs après avoir fait la tare, à peser le bol et la farine, à recommencer l’opération 10 fois afin de calculer un poids moyen.

Figure 1.2. Exemple de mesures ménagères au Bénin dans le cadre du projet Recipal (Retard de croissance intra-utérin et paludisme).

Source : Institut de recherche pour le développement (IRD) et faculté des Sciences agronomiques de l’université d’Abomey-Calavi (FSA/UAC), 2015.

Prix des aliments

44Pour chaque aliment quantifié en prix, il est nécessaire d’avoir une correspondance en poids. Pour cela, il faut réaliser une enquête « marché ». À partir de la liste d’aliments et de recettes concernées, il faut échantillonner sur les marchés, dans les boutiques ou auprès des vendeurs de rue afin de connaître la quantité correspondante au prix payé par les participants. Toutefois, il faut tenir compte des variations saisonnières et spatiales des prix.

Phase de gestion des données

45La première étape, déterminante pour la qualité des résultats, est la vérification et la correction de tous types de données saisies. Pour chaque donnée primaire ou secondaire, il faut en vérifier la plausibilité. Par exemple, lorsque des recettes ont été observées, il faut vérifier que le poids final de la recette après cuisson est inférieur au poids total des ingrédients avant cuisson. Ce type d’erreur peut s’expliquer par une mauvaise lecture du poids de la recette, une cuillère oubliée dans la casserole avant la pesée finale, un poids d’ingrédient mal noté… Dans ce cas, puisque chaque recette est observée plusieurs fois, il est possible de comparer les valeurs ou proportions des différentes observations pour prendre la décision de corriger, d’ajuster ou d’éliminer la donnée non plausible. Pour ce qui est des données primaires, la vérification de la plausibilité peut se faire sur les quantités d’aliments ou de plats consommés. Par exemple, il est peu probable qu’un individu consomme 4 kg de niébé sur une journée d’enquête.

46Avant de passer au calcul des apports nutritionnels, il faut s’assurer que toutes les données relatives aux outils de quantification, ainsi que la table de composition des aliments sont finalisées. Lorsque, pour chaque individu, les ingérés en nutriments sont calculés sur une journée, il faut vérifier la plausibilité des apports énergétiques. Les enquêtes de consommation alimentaire sont sujettes à des problèmes de sur- et sous-déclaration, qui peuvent être identifiés grâce aux ingérés caloriques journaliers. Dans le cas du rappel des 24 heures, il s’agit essentiellement de sous-déclaration. Pour chaque sous-déclarant, il est essentiel de revenir aux données primaires pour vérifier ce qui a été déclaré par le répondant. Concernant les sous-déclarants, il existe, dans la littérature, différentes façons de les traiter (Ferrari et al. 2002 ; Gibson et al. 2017).

Adaptation de la méthode au contexte d’application

47Les méthodes de mesure de la consommation alimentaire doivent être adaptées au contexte de leur mise en œuvre, à savoir la population cible, le milieu (urbain ou rural), les normes socioculturelles, les moyens matériels, humains et financiers disponibles, le temps dont on dispose pour faire l’enquête. Par exemple, selon que la population cible est alphabétisée ou non, il faudra adapter le mode de recueil des données, c’est-à-dire le questionnaire, afin qu’il soit auto-administré ou administré par un enquêteur.

48Les outils de quantification, que ce soit les prix, les mesures ménagères ou le catalogue photos, ne sont valides que pour la population et le contexte pour lesquels ils ont été développés et validés. Il en est de même pour le questionnaire de fréquence de consommation alimentaire.

49Lorsque l’on mesure la consommation alimentaire, il est recommandé de ne pas influer sur le comportement alimentaire des participants. Cependant, dans le cas où les individus se nourrissent à partir d’un plat commun, on peut adapter la méthode et alors demander aux participants de préparer des assiettes individuelles de manière à mieux estimer les quantités consommées. Cela est envisageable sur une courte période de temps allant d’un à trois jours. Cette adaptation n’est pas envisageable quand il s’agit d’une étude sur la fréquence de consommation alimentaire. Dans le cas où l’on veut effectuer une enquête de consommation alimentaire dont l’objectif est de capturer les habitudes alimentaires d’une population cible, l’utilisation du questionnaire de fréquence est la méthode la plus adaptée. Pour cela, il faut qu’il existe déjà un questionnaire de fréquence développé et validé pour la population d’intérêt. Si ce n’est pas le cas, il est possible de s’orienter vers une autre méthode telle que le rappel des 24 heures ou l’enregistrement alimentaire en augmentant la durée du recueil.

50Le choix de la méthode la plus adéquate pour recueillir des données de consommation alimentaire va dépendre non seulement des objectifs de l’étude, mais également de la population concernée par l’étude, des outils existants ou non, ainsi que des ressources humaines et financières disponibles. La collecte de données de consommation alimentaire peut paraître relativement simple (au moins pour les trois méthodes concernées par ce chapitre). Cependant, il faut avoir à l’esprit que les phases de préparation de la collecte et de gestion des données recueillies sont, quant à elles, généralement complexes et chronophages, et souvent sous estimées.