Chapitre 9 - Politiques publiques et agronomie : avec, pour, ou malgré tout ?
p. 409-462
Texte intégral
1Dans ce chapitre, nous ambitionnons d’étudier le double lien entre politiques publiques et agronomie : d’une part, la place (ou les places) de l’agronomie dans la genèse, la définition, la mise en œuvre ou l’évaluation de certaines politiques publiques, et, d’autre part, les évolutions des outils, méthodes et concepts de l’agronomie induites par la mise en œuvre de ces politiques publiques. Ce chapitre analyse les relations ainsi entretenues sur le temps long. Nous retenons la définition suivante d’une politique publique : « les interventions d’une autorité investie de puissance publique et de légitimité gouvernementale sur un domaine spécifique de la société ou du territoire. […] La sociologie politique utilise ce concept afin d’analyser l’ensemble de ces interventions dans les différentes étapes de leur mise en œuvre, aussi bien que dans leur genèse ou au travers de leurs conséquences » (Grawitz et al., 1985, in Thoenig, 2010).
2Il y a autant de politiques publiques que d’enjeux majeurs arrivant à l’agenda politique. D’où une multiplicité de politiques pouvant affecter une même activité, ici l’agriculture. Les produits de cette activité assurent l’alimentation de la population et touchent ainsi à la sécurité nationale et à la santé, mais l’agriculture concerne aussi l’environnement, l’économie, les équilibres sociaux, l’occupation du territoire, l’éthique même (comme le bien-être animal), etc. Ces enjeux généraux se déclinent en multiples aspects plus techniques pris en charge par des politiques qui se succèdent au cours de ces soixante-quinze dernières années. Tout au long de cette période, nous pouvons cependant identifier des séquences très différenciées des politiques publiques générales concernant l’agriculture, en particulier les conditions économiques de sa mise en œuvre et de son accompagnement, mais aussi les évolutions concernant les modalités générales de l’action de l’État. Ces séquences constituent un cadre général dans lequel des politiques plus thématiques s’inscrivent.
Aborder les politiques publiques
3Les politiques publiques sont un sujet d’étude en soi, par exemple en sociologie politique ou en droit comparé. Des approches développées dans ces disciplines, nous avons retenu les trois éléments de méthode suivants comme étapes de travail premières.
4Une politique publique doit être analysée à partir de faits établis. Nous devrons nous intéresser non pas « à ce qu’une autorité est censée faire selon le mandat qui l’institue, mais à ce qu’elle fait et ce qu’elle renonce à faire face à une situation ou à un problème », et aussi à « ses actes concrets tels qu’ils se mettent en œuvre au quotidien, et la manière dont ils modifient les problèmes et perturbent les situations dans la société » (Thoenig, 2010) : il nous faut relever des faits, lois, règlements, circulaires, décrets, arrêtés, création ou démantèlement d’institutions publiques qui traduisent la volonté réelle des autorités publiques d’agir sur une question explicitée. Ceci oblige également à choisir et à expliciter le ou les enjeux concernés.
5Il faut ensuite reconstituer une chronologie et mettre au jour l’enchaînement de ces faits. Une politique publique est rarement immédiatement lisible, surtout si elle se déploie sur le long terme : il faut établir son histoire, c’est-à-dire la succession chronologique des faits et leurs liens forts aux faits précédents, ou au contraire les ruptures qu’ils traduisent. Il faut aussi essayer de repérer les « “non-actes” : ce que [les acteurs publics] refusent ou évitent de faire » (Thoenig, 2010).
6Il faut enfin situer ces faits comme éléments constitutifs d’un « cycle de politique publique ». La notion de cycle d’une politique publique a été introduite dans les années 1970 pour décrire comment on passe de revendications exprimées au sein de la société à des décisions et à des actions des autorités publiques. Les étapes classiquement reconnues sont la mise à l’agenda (depuis l’émergence d’un problème, la perception des enjeux publics et privés concernés, jusqu’à la mise à l’agenda proprement dite), la formulation des politiques, la prise de décision (l’adoption d’un programme législatif ou d’actions, etc.), la mise en œuvre et l’évaluation des politiques (Howlett et Ramesh, 2003, in Savard, 2012). Ainsi, les faits relevés précédemment peuvent se référer à l’une ou l’autre de ces étapes.
7Dans cette histoire explicitée, il est alors possible de s’interroger sur la mobilisation des savoirs et expertises de l’agronomie aux différentes étapes du cycle ainsi que sur celle des agronomes parlant de différents points de vue d’acteurs de l’agriculture : recherche, développement, organisations professionnelles, économiques, structures territoriales, État. Cette étape repose elle aussi sur l’identification de faits techniques, scientifiques, institutionnels, et de leurs enchaînements.
8Le cadre que nous proposons ainsi pour analyser les relations entre agronomie et politiques publiques relève d’un double questionnement : d’une part, quelle place occupent l’agronomie et les agronomes dans les différentes étapes du cycle d’une politique publique ? Quand est-elle mobilisée et pourquoi ? D’autre part, quels sont les modes de production de l’activité des agronomes confrontés aux politiques publiques ? En quoi le déploiement d’une politique publique génère-t-il questionnements et productions agronomiques ?
9De notre propre expérience d’agronomes impliqués dans la mise en œuvre des cycles de certaines politiques publiques, nous avons distingué a priori cinq modes principaux de relations qui nous serviront de fil conducteur pour notre analyse :
la mobilisation explicite d’une expertise destinée à instruire ou à inspirer une politique publique. Cette mobilisation relevant d’une commande est très conditionnée aux thèmes explorés, à l’agenda et aux sorties attendues ;
la mobilisation des connaissances agronomiques en vue d’instruire un règlement précis avec, en situation limite, l’instrumentalisation de celles-ci pour justifier d’un règlement (ou de dérogations) ; cette mobilisation est également très encadrée sur les questions, méthodes, sorties et contenu de l’agronomie mobilisée ;
la constitution d’une synergie entre experts agronomiques et pouvoirs publics pour l’élaboration d’une politique publique ; cette synergie s’opère souvent lors de « crises » majeures de l’agriculture : reconstruction d’après-guerre et plan Marshall, crise de la vache folle, etc. Par exemple, la création à la fin du xixe et au début xxe siècle des stations agronomiques ou des laboratoires d’analyse départementaux, dans la perspective de protéger les agriculteurs contre les fraudes relatives aux fertilisants, fut une dynamique génératrice d’agronomie ;
l’auto-saisine, expression d’une anticipation et d’interpellations issues de la communauté scientifique à partir des points de vue originaux qu’elle peut construire sur l’avenir et qui seront traduites ou pas en politique(s) publique(s) ;
l’invitation à la prudence, voire l’expression d’une réticence, c’est-à-dire l’analyse critique de politiques publiques ambitieuses, mais peut-être pas assez réfléchies dans leur efficacité réelle et l’ensemble de leurs effets.
10Pour ce travail, à défaut de pouvoir traiter de la totalité des politiques publiques qui croisent le champ de l’agronomie, ce qui constituerait une tâche immense, nous avons retenu d’explorer trois thématiques reconnues tant par les agronomes que par les agriculteurs pour leur importance dans l’efficacité de la production : la gestion de la fertilisation azotée et de l’azote plus généralement, la gestion des sols et l’aménagement foncier, la protection des cultures. En effet, d’une part, les règlements et plans d’action publics les concernant sont nombreux et se déploient sur toute la période étudiée et, d’autre part, leurs interactions avec l’agronomie ont été fortes à un moment ou à un autre de leur histoire. Enfin, ces histoires se poursuivent au présent et incitent à réfléchir concrètement au futur des relations entre agronomie et politiques publiques. Elles constituent ainsi un bon support pour l’exploration de notre cadre d’analyse.
11Cependant, avant d’aborder ces trois histoires singulières, il nous est apparu utile de proposer une brève histoire des politiques publiques générales et de leurs déclinaisons concernant l’agriculture et les agriculteurs, car elles constituent le cadre de référence contingent dans lequel se déploient les politiques agissant sur chacun des champs thématiques retenus.
12Ensuite, nos trois histoires ne se donnent pas à lire d’évidence. Aussi, et en application des principes énoncés précédemment, nous nous sommes attachés pour chacune à reconstituer la chronologie des différentes politiques publiques les affectant, à tenter de reconstruire l’histoire de l’émergence des enjeux concernés et de leur inscription à l’agenda politique, à décrire brièvement le contenu de celles-ci (en quoi mobilisent-elles des connaissances issues de l’agronomie ?), avant d’esquisser une analyse de la place de l’agronomie dans l’histoire des politiques publiques passées et esquisser un futur possible. À travers les trois cas traités, nous exposerons les relations entre politiques publiques et agronomie par grandes périodes chronologiques en référence à des dominantes, des ruptures dans ces relations. Pour chacune, et autant que faire se peut, nous éclairerons les différentes étapes reconnues des cycles des politiques publiques, et nous identifierons les modes principaux de relations entre agronomes et politiques publiques.
13Enfin, nous discuterons les points critiques majeurs que nous avons identifiés dans cette étude partielle des relations entre agronomie et politiques publiques et nous conclurons en identifiant des éléments de poursuite de cette réflexion et leurs implications pour les agronomes.
Une brève histoire des politiques publiques générales et de leurs déclinaisons agricoles
14Les politiques publiques concernant l’agriculture sont un élément constitutif des politiques publiques générales qui traduisent un projet global de société constitué autour de valeurs. Elles incluent la conception même de l’action publique, c’est-à-dire le rôle de l’État et des autres composantes des pouvoirs publics dans le fonctionnement et les régulations de « politiques publiques ». Celles concernant l’agriculture déclinent ce projet en actions et en règlements concrets qui vont orienter ou concerner cette activité : en premier lieu la politique agricole proprement dite, mais aussi les politiques de la recherche, de l’enseignement, de la santé, de l’environnement, etc.
15Pour mieux situer les histoires thématiques (au sens de l’agronomie) que nous allons analyser, il convient de disposer d’une compréhension minimale des politiques publiques majeures qui les conditionnent, qu’elles soient nationales ou européennes. En fixant des attentes vis-à-vis des performances attendues de l’agriculture française, elles orientent en partie les travaux relatifs à l’agronomie et aux techniques agricoles permettant de les atteindre.
Avant 1940 : une politique de maintien du monde rural
16Pour comprendre les formidables transformations de l’agriculture à partir de 1945, il nous faut considérer sa situation initiale. À la fin du xixe siècle, l’État se situe dans un cycle libéral-industriel jusqu’à la crise de 1929 : le rôle des politiques publiques n’est pas de transformer la société qui évolue sous l’effet du capitalisme industriel, mais d’accompagner le développement économique tout en préservant l’ordre social (Muller, 2018). « La fonction économique de l’agriculture dans le système capitaliste est ainsi clairement définie : fournir les produits agricoles au prix le plus bas possible, épargner pour la banque et l’industrie, servir de matelas en période de récession, devenir un débouché de plus en plus important pour les industries et le commerce agroalimentaire et constituer un réservoir de main-d’œuvre à la disposition des autres secteurs » (Gervais et al., 1976). Cette orientation se traduit par une tension entre un protectionnisme conservateur représenté et défendu par les mouvements agrariens, pour lesquels il s’agit de freiner l’exode rural et de préserver l’ordre social caractérisé par une prééminence des élites territoriales dans leur légitimité locale, et une intégration accélérée à l’économie de marché, en contenant les prix agricoles au plus bas niveau possible sans décourager la production.
17Avant 1940, la politique publique est limitée au soutien des prix agricoles, obtenus par une protection douanière aux frontières (loi Méline de 1892 à 1914) et par une régulation tardive des marchés (création de l’Office national interprofessionnel du blé en 1936). La modernisation n’est pas une priorité et se trouve même freinée par ce protectionnisme qui met l’agriculture française à l’abri relatif de la concurrence.
1945-1959 : l’engagement de la modernisation de l’agriculture par l’État
18Dès avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Alliés anticipent la question de la sécurité alimentaire dans les pays libérés. La conférence entre les représentants de 44 nations, tenue à Hot Springs aux États-Unis en 1943, considère que la production alimentaire doit et peut être fortement augmentée, sous la responsabilité des États. Elle pose « l’expansion de l’économie mondiale dans son entier » comme condition d’une production et d’une disponibilité suffisante en nourriture pour les populations. Elle pose aussi les bases de la création de la FAO en 1945.
19En France, à partir de 1945, un État particulièrement volontariste et planificateur impulse cette modernisation. Celle-ci se traduit par des politiques sectorielles affirmées et révisées (agriculture, santé, éducation, défense) et l’impulsion de nouvelles politiques plus transversales : recherche, aménagement du territoire, urbanisme, social. Ce volontarisme est incarné par la création du Commissariat général au plan en 1946. En matière agricole, le Gouvernement provisoire de la République adopte dès le 17 octobre 1945 une réforme structurelle issue du programme du Conseil national de la résistance du 15 mars 1944 : un nouveau statut du fermage et du métayage, apportant plus de sécurité aux preneurs et facilitant ainsi l’investissement dans les améliorations foncières « en vue d’assurer un meilleur rendement des biens ruraux » (Conseil économique, 1949). Un rapport de René Dumont de 1946 pointe les insuffisances techniques de l’agriculture française (in Cornu et al., 2018). « L’agriculture n’est plus comme autrefois un mode de vie, mais une véritable industrie biologique qui ne triomphera dans la lutte pour son existence que si elle sait mettre à son profit les immenses ressources de la science » (Demolon, 1946, in Cornu et al., 2018).
20Les moyens concrets mobilisés par l’État pour cette modernisation sont, d’une part, la vulgarisation du progrès technique sur trois axes principaux pour augmenter production et productivité : mécanisation, sélection variétale et fertilisation NPK. Cette vulgarisation est portée auprès des agriculteurs par les directions des Services agricoles, service extérieur du ministère de l’Agriculture présent dans chaque département. D’autre part, l’engagement d’une politique des structures vise à augmenter la taille des exploitations.
21En appui, un soutien à la recherche agronomique sera apporté avec la création de l’Inra en 1946, institut de science appliquée ayant pour mission de conduire les travaux de recherche visant « l’amélioration et le développement de la production végétale et de la production animale et la conservation et la transformation des produits agricoles » (in Cornu et al., 2018 ; et chapitre 6).
22Les réticences d’une partie du monde agricole à cette modernisation à marche forcée sont réelles. Au nom de sa capacité à prendre des responsabilités individuelles et collectives, sa composante « paysans moyens modernistes » est cependant prête à assumer politiquement les conséquences de cette transformation, qui se traduira par le départ de nombreux exploitants et une accélération de l’exode rural (Muller, 2015).
1960-1981 : l’accélération de la modernisation et l’âge d’or de la cogestion du développement agricole
23Après l’avènement de la Ve République en 1958, pour accélérer une modernisation de l’agriculture jugée trop lente et insuffisante, l’État arrête dès 1960 un ensemble de lois qui vont être considérées comme la « Charte agricole de la Ve République » : les lois d’orientation agricole de 1960 et 1962 (Gervais et al., 1976). Le modèle visé est l’exploitation familiale capable de mettre en œuvre des techniques de production modernes sur une surface lui permettant de viser la parité de niveau de vie avec les urbains. Pour faciliter cette évolution, et en s’appuyant sur le courant représenté par le Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA) qui a fait sien ce modèle, il confie en quelques années aux organisations professionnelles agricoles l’application des mesures qui les concernent au travers de la création de structures dédiées, l’État conservant seulement le rôle de contrôle.
24Ce transfert progressif concerne d’abord la vulgarisation agricole confiée aux groupes d’agriculteurs, qui échappe ainsi aux DSA (1959). Puis la politique des structures est transférée en 1966 avec la création du Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles (Cnasea) et des Associations départementales pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles (Adasea) en remplacement des organismes administratifs préexistants, pour une mise en œuvre délicate à assumer politiquement par l’administration. Enfin, les services extérieurs du ministère de l’Agriculture perdent une bonne partie de leurs compétences agronomiques tournées vers la vulgarisation, tandis que les chambres d’agriculture acquièrent en 1966 la responsabilité du développement agricole. Ces évolutions radicales vont affecter la capacité de prise en charge des questions sous un angle agronomique au sein du ministère de l’Agriculture, dont les ingénieurs d’agronomie se détachent du terrain pour rejoindre l’enseignement agricole (chapitre 7).
25La nouvelle politique agricole française de modernisation de l’agriculture est soutenue par des orientations européennes convergentes, retenues dans le plan Mansholt de 1968 : il s’agit toujours d’augmenter la taille des petites exploitations en encourageant le départ des agriculteurs, et de moderniser les méthodes de production. L’un des instruments majeurs de la politique des structures proposé par l’Europe est le « Plan de développement », procédure destinée à soutenir le projet individuel de transformation/modernisation de l’exploitation agricole en facilitant les investissements. Associée aux mécanismes protectionnistes qui assurent les agriculteurs de toujours vendre à un prix garanti (prix minimal d’achat garanti, droits de douane variables sur les importations et aides aux exportations), la politique agricole commune (PAC) aboutit à la constitution d’une agriculture d’entreprise compétitive, accompagnée d’une forte réduction du nombre d’actifs agricoles : de 1962 à 1988, le nombre d’exploitants et salariés agricoles en France passe de 3,8 millions à 1,2 million (Forget et al., 2019). Ainsi, dès les années 1970, l’offre en produits agricoles devient supérieure à la demande pour de nombreux produits.
26Mais au niveau international, les années 1970 voient « la fin de toute une série de cycles historiques emboîtés, ouvrant sur une période d’incertitudes et d’ajustements successifs de l’ordre économique et politique mondial » (Cornu et al., 2018) : c’est la fin des Trente Glorieuses considérées de 1946, fin de la Seconde Guerre mondiale, à 1973, année du premier choc pétrolier :
fin du volontarisme d’État dans la conduite des affaires publiques, hérité en particulier du gaullisme en France ;
fin du cycle de croissance intense en Amérique du Nord, en Europe et au Japon, et début du chômage et de l’inflation ;
fin du cycle de développement des innovations issues du xixe siècle (chimie, mécanique, électricité) qui étaient jusque-là vecteurs de la croissance ;
contestation de l’ordre économique mondial à l’occasion des chocs pétroliers de 1973 et 1979 ;
libéralisation des marchés agricoles internationaux ;
contestation montante de la relation entre progrès scientifique, progrès économique et progrès social.
27L’agriculture, même modernisée avec le soutien d’une PAC, est alors confrontée aux effets de ciseaux sur les prix qui résultent de la hausse du prix des intrants d’origine industrielle liés à l’énergie, et de la stagnation ou de la baisse des prix des produits agricoles.
1982-1992 : le virage de l’État vers la décentralisation et l’accélération d’une mondialisation économique
28À partir des années 1980, la conception du rôle de l’État évolue vers un régime d’État-entreprise. L’intervention publique est interrogée sur son efficience, car l’État est perçu comme un fardeau pour le développement économique et social. Les nouvelles normes encore d’actualité aujourd’hui sont la limitation de la dépense publique, la modernisation de l’État, la remise en cause des politiques industrielles, l’ouverture des services publics à la concurrence (Muller, 2018).
29En France, l’État entreprend de se transformer avec l’acte I de la régionalisation en 1983, qui renforce le pouvoir des conseils généraux et institue les régions en collectivités territoriales, sans compétences agricoles initiales.
30Sur le plan des marchés, la PAC générant une offre excédentaire pour certains produits agricoles coûteuse à assumer, l’Union européenne entreprend de les contingenter, avec la mise en place en 1984 de quotas laitiers, droits individuels à produire à prix garanti. Par ailleurs, la libéralisation des échanges mondiaux, initiée en 1947 par le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), s’intensifie lors de l’Uruguay Round, cycle de négociations débuté en 1986. Il se traduira entre autres par la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995. Il intéresse particulièrement l’agriculture par l’engagement d’une réduction significative des droits de douane et des subventions agricoles. Une profonde réforme de la PAC va y adapter l’agriculture européenne en 1992, tout en réglant la question des excédents de production : les prix garantis aux agriculteurs sont diminués et, pour limiter le stockage des excédents, les agriculteurs doivent geler une partie de leurs terres, avec toutefois la possibilité de développer des cultures à usage non alimentaire sur ces jachères.
31En contrepoint, les interrogations environnementales se développent : en 1986, la France ratifie la Convention de Ramsar de 1971 pour la conservation et l’utilisation durable des zones humides, et en 1987 le rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations unies, dit « rapport Bruntland », introduit le concept de « développement durable », c’est-à-dire un développement « qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».
32C’est dans cette période que le ministère de l’Agriculture protège l’appellation Agriculture biologique (loi d’orientation agricole de 1980), puis fixe la réglementation du label AB (1985), avant que l’Union européenne ne définisse son cahier des charges en 1992.
1993-2002 : l’agriculture européenne en concurrence mondiale et une prise de conscience environnementale affichée
33L’acte majeur qui ouvre la période est cette réforme de la PAC de 1992, qui comporte une vraie rupture dans la mesure où elle rend explicite le soutien au revenu. Ce dernier ne dépend plus tant du prix à la tonne (ramené au prix mondial) que des aides directes à l’agriculteur, fonction des surfaces cultivées et d’un rendement de référence moyen variable selon les départements. Cette orientation sera confirmée et intensifiée en 1999.
34La même année, le Sommet de la Terre de Rio acte une prise de conscience des gouvernements de la nécessité d’engager des actions pour une gestion des questions environnementales dans plusieurs domaines : diversité biologique, changement climatique, lutte contre la désertification, élimination des produits toxiques, gestion durable des forêts, etc.
35Durant cette période, les exigences environnementales deviennent une réalité concrète pour l’agriculture :
la Directive européenne n° 91/676/CEE concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles (directive Nitrates) est adoptée en décembre 1991, et progressivement transposée dans la réglementation nationale au cours des années 1990. Elle va concerner une large proportion du territoire national ;
la loi sur l’eau de 1992 comporte parmi ses objectifs, outre la protection de la qualité des eaux, la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides, en opposition au drainage par définition ;
les directives européennes Oiseaux (79/409/CEE, 1979) et Habitats (92/43/CEE, 1992) seront à l’origine du réseau de sites naturels ou semi-naturels de protection de la biodiversité Natura 2000. La constitution en France de ce réseau sera très contestée dans sa mise en œuvre, jugée technocratique par les acteurs du monde rural exploitant ces espaces, des forestiers aux agriculteurs en passant par les chasseurs (Charbonneau, 1997 ; Rameau, 1997) : le réseau français de sites ne sera prêt et validé par la Commission européenne qu’en 2007 ;
la PAC elle-même intègre dès 1992 les préoccupations environnementales en introduisant la possibilité d’aides contractualisées sur une base de volontariat pour des pratiques favorables à l’environnement, les mesures agro-environnementales (MAE). Certaines d’entre elles viseront l’adaptation des pratiques agricoles aux exigences des sites Natura 2000.
Depuis 2003 : l’État décentralisateur
36Pour l’agriculture, la réforme de la PAC de 2003 vise à se mettre en conformité avec les prescriptions de l’OMC sur la suppression des subventions à l’exportation des produits agricoles à la fin de 2013. Cette réforme achève le découplage des subventions et de la production : la plupart des aides directes perçues par les agriculteurs sont remplacées par un paiement unique par exploitation, indépendant de la production et calculé, en France, sur la base d’une référence historique. Par ailleurs, la « conditionnalité » des aides est introduite par la subordination de ce paiement unique au respect de 18 normes relatives à l’environnement, à la sécurité alimentaire et au bien-être des animaux. Dans le même esprit, la révision de la PAC en 2014 introduira des obligations supplémentaires appelées « bonnes conditions agronomiques et environnementales » (BCAE) : elles concernent le maintien de prairies, la diversité des assolements, la préservation d’éléments paysagers (arbres, haies, etc.). Cependant, du fait de nombreux aménagements dérogatoires à ces obligations, le « verdissement » de la PAC, tel que décliné en France, n’a pas permis d’améliorer l’état de l’environnement (Fosse et al., 2019).
37Enfin, cette nouvelle réforme n’a finalement pas d’effet positif sur l’emploi agricole (Forget et al., 2019), en décalage avec les orientations européennes générales fixées au Conseil européen de Lisbonne de mars 2000, qui visent à renforcer l’emploi, la réforme économique et la cohésion sociale dans le cadre d’une économie fondée sur la connaissance.
38En France, le mouvement de décentralisation engagé par l’État se renforce : en 2003, l’acte II de la régionalisation consacre l’autonomie financière des collectivités locales et conforte le transfert de certaines compétences ; l’acte III en 2015 voit la réorganisation des régions et une nouvelle distribution des compétences. L’État français abandonne ainsi progressivement une partie de sa centralité, aux bénéfices d’acteurs territoriaux reconnus. Régions, métropoles (créées en 2010) et PETR (Pôles d’équilibre territorial et rural, créés en 2014) deviennent des acteurs proactifs responsables des projets concernant leur territoire, passant contrat avec l’État pour leur réalisation. Certains politistes qualifient cette situation de « gouvernement à distance » par l’État (Epstein, 2006). Pour l’agriculture, cette orientation est visible dans le transfert de la gestion aux régions des aides destinées à accompagner le changement de pratiques agricoles, les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) introduites par la révision française de la PAC en 2014. Cette orientation générale prépare ainsi l’émergence de nouvelles formes d’action publique mobilisant les forces vives d’un territoire pour l’élaboration de projets répondant à des enjeux locaux reconnus, mais diminue la lisibilité de l’action publique (naissance du « millefeuille territorial »).
39Cette histoire brève nous raconte que sur la longue durée, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la politique agricole de l’État français ne vise qu’à définir les conditions économiques de réalisation de l’activité agricole en considérant qu’elle est une activité économique comme les autres, à laquelle des objectifs généraux sont assignés, correspondant aux valeurs et aux enjeux du moment : d’abord autonomie et sécurité alimentaire, puis capacité d’exportation dans un marché international concurrentiel, enfin capacité à contribuer à l’emploi et à la gestion de l’environnement. Ces orientations définissent à l’origine une doctrine reposant sur l’augmentation de la taille des structures dans un cadre d’exploitation familiale et la mobilisation d’un progrès technique univoque concernant au départ les améliorations foncières, la mécanisation, la sélection variétale et la fertilisation, auxquelles s’est ajoutée la protection phytosanitaire des cultures par des produits issus de la chimie de synthèse. Ces orientations ont été relayées par les différentes déclinaisons de la PAC arrêtée entre les membres de l’Union européenne depuis sa mise en œuvre initiale en 1962. À ce jour, les objectifs initiaux concernant la production ont été atteints, mais la PAC a montré ensuite ses limites dans son « incapacité à réorienter les systèmes agricoles vers des modes de production moins préjudiciables à l’environnement ou encore [à] garantir un revenu décent aux agriculteurs, notamment lors des crises » (Fosse et al., 2019).
40Si l’émergence des préoccupations environnementales a donné lieu à des infléchissements de la PAC, qui a progressivement intégré depuis 2003 des dispositifs de régulation d’application obligatoire (la conditionnalité, les BCAE) ou contractuelle (les MAE, puis les mesures agro-environnementales territorialisées, MAET, et enfin les MAEC), on peut affirmer que les principaux éléments structurant les politiques publiques déployées en France ont peu mobilisé l’agronomie comme approche holistique, la cantonnant dans un objectif de modernisation des techniques de production. L’État fait confiance au progrès technique, même pour résoudre les dysfonctions de plus en plus visibles du mode de production agricole largement adopté par les agriculteurs, qui repose sur le recours systématique aux engrais de synthèse et aux produits phytosanitaires. La réglementation déclinant la directive Nitrates européenne en est un exemple. Il faut attendre 2014 pour que le ministère de l’Agriculture tente de mobiliser et promouvoir un concept global forgé par les agronomes, l’agroécologie, comme nouveau référentiel pour la conduite des productions agricoles susceptible de faire converger les exigences productives et environnementales.
Les enjeux agricoles et environnementaux de l’azote, objets privilégiés de politiques publiques
41Nous avons choisi la gestion de l’azote comme fil conducteur de notre première investigation, car cet élément est au cœur à la fois de l’activité agricole par son importance comme facteur de production quantitatif et qualitatif, et des enjeux environnementaux par son cycle biogéochimique. De multiples questions environnementales sont concernées : qualité des eaux continentales et marines, énergie, changement climatique, qualité de l’air, biodiversité. Aussi, les politiques publiques concernant la gestion de l’azote en agriculture sont aujourd’hui multiples : elles ont accompagné l’émergence de ces enjeux collectifs inscrits successivement à l’agenda politique et constituent autant de politiques sectorielles qui se sont superposées au fil du temps.
42La productivité des cultures a été la préoccupation première, de façon explicite dès l’innovation de la synthèse chimique de l’ammoniac (procédé Haber-Bosch en 1913), et encore plus au sortir de la Seconde Guerre mondiale, pour permettre à la France et à l’Europe de parvenir à l’autosuffisance alimentaire en modernisant son agriculture. Les connaissances acquises concernant la nutrition minérale des cultures ont conduit à promouvoir l’usage des engrais azotés en particulier. Le recours aux fertilisants minéraux azotés est considéré aujourd’hui comme incontournable dans le cadre d’une production agricole conventionnelle.
43Le souci de la protection de la qualité des eaux est apparu ultérieurement, au cours de la décennie 1970, en relation avec la présence de nitrates détectés d’abord dans les eaux destinées à la consommation humaine, puis dans nombre de ressources en eau. Compte tenu des enjeux sanitaires et économiques de l’eau potable, la teneur en nitrate est encadrée par des normes et des valeurs guides. La dominance de l’origine agricole des nitrates retrouvés dans les ressources en eau a été assez rapidement identifiée, et l’état de contamination des ressources reste préoccupant et stable (Chiffres clés de l’environnement, 2016-2017).
44En parallèle, les enjeux énergétiques de l’utilisation des fertilisants azotés sont apparus. Les fertilisants de synthèse sont dérivés de la production industrielle d’ammoniac (NH3) à partir du diazote de l’air (N2). Cette synthèse utilise comme autre substrat du méthane (CH4) issu du gaz naturel, et s’accompagne d’importantes émissions de dioxyde de carbone, à hauteur de 4,24 kg CO2 par kg d’azote fixé sous forme uréique (Arvalis, 2020). Les fertilisants azotés sont ainsi directement concernés par les questions inscrites plus récemment à l’agenda politique de sobriété énergétique, de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de bilan carbone global.
45Pour les gaz à effet de serre, l’épandage des fertilisants azotés et organiques s’accompagne également d’une hausse des émissions de protoxyde d’azote (N2O) liés aux cultures : en 2017, l’agriculture contribue à 87 % des émissions nationales de N2O (Citepa, 2019).
46La qualité de l’air est elle aussi concernée par la gestion de l’azote par la filière agricole. L’épandage d’engrais azotés de synthèse et de certains produits résiduaires organiques ainsi que le fonctionnement de certains types de bâtiments d’élevage peuvent s’accompagner d’émissions d’ammoniac vers l’atmosphère. L’ammoniac est reconnu comme précurseur de la formation de particules fines dans l’air, qui sont un facteur de dégradation sanitaire majeur de la qualité de l’air. En 2017, l’activité agricole était responsable de 94 % des émissions nationales d’ammoniac (Citepa, 2019). Ces émissions de nitrates et d’ammoniac conduisent, par leurs retombées, à l’eutrophisation de milieux marins, aquatiques et terrestres oligotrophes, altérant ainsi certains aspects de la biodiversité.
47Les sollicitations adressées à l’agronomie et aux agronomes en accompagnement de ces politiques publiques sectorielles ont de fait été nombreuses, régulières, et ont mobilisé tous les types de relations entre la communauté des agronomes et les autorités publiques.
1945-1959 : la promotion de l’usage des engrais azotés
48Les ingénieurs des services de développement agricole assurent la promotion de l’azote fertilisant auprès des agriculteurs : c’est l’époque de la vulgarisation qui vise la modernisation de l’agriculture. Les conseils de fertilisation concernant l’azote à apporter aux cultures s’appuient sur des courbes de réponse et des modèles empiriques comme celui proposé par le Syndicat professionnel de l’industrie des engrais azotés (SPIEA) (Thévenet, 2000, cité in Tamian, 2008). La recherche agronomique oriente parallèlement la sélection génétique du blé, culture phare, vers des variétés qui répondent bien à l’azote, en diminuant le risque de verse : Étoile de Choisy en 1950, Capelle en 1953, Champlein en 1960 (Cornu et al., 2018). Il y a alors convergence entre le projet de l’État, les travaux des agronomes de la vulgarisation et ceux de l’agrofourniture pour soutenir un objectif général d’augmentation de la productivité à l’hectare, accepté par la grande majorité des agriculteurs sans autre préoccupation que de vaincre les ultimes réticences de ces derniers.
1960-1981 : le bilan prévisionnel et la première identification d’une responsabilité environnementale agricole
La méthode du bilan, outil de progrès
49Au cours de ces deux décennies, la recherche construit une compréhension de plus en plus aboutie des effets et mécanismes de la nutrition azotée sur l’élaboration du rendement du blé d’hiver. Si la notion de besoin de la plante en azote pour l’élaboration du rendement a été précisée avant 1960 (Coïc, 1956), le sol est introduit comme fournisseur d’azote dans le cadre d’un bilan prévisionnel en vue de calculer la dose d’engrais à apporter (Hébert, 1969). Puis les principaux processus affectant l’azote de l’engrais apporté au sol sont décrits (Rémy et Hébert, 1977). Ce modèle de calcul de la dose d’engrais azoté minéral sera repris et diffusé par les instituts techniques (ITCF, 1978), compte tenu des enjeux directs que la fertilisation azotée représente pour les agriculteurs. Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 révèlent en effet la dépendance du prix de ces engrais à celui des hydrocarbures et la menace de leur renchérissement. Il faut donc apprendre à ajuster au mieux les apports pour maximiser le bénéfice économique tiré de l’utilisation de l’engrais, ce que promet le bilan prévisionnel (chapitre 2). Indirectement, il incitera les agronomes à prendre en compte l’histoire parcellaire de cet azote dans la succession culturale.
Premiers questionnements environnementaux et expertises
50Déjà les travaux des années 1970 de ces chercheurs s’accompagnent de constatations concernant l’entraînement des nitrates vers les eaux souterraines à l’automne, derrière les céréales à paille. Les leviers principaux permettant de limiter ces risques de pertes de nitrates, ajustement de la dose d’engrais et couverture automnale des sols, sont même déjà clairement identifiés par leurs auteurs (Rémy et Hébert, 1977).
51Cependant, c’est surtout par les pouvoirs publics que la qualité de l’environnement en général et celle de l’eau en particulier s’inscrivent progressivement et durablement dans l’agenda politique national, avant d’intégrer celui des agronomes. La création des agences de l’eau par la loi sur l’eau de 1964, puis du ministère de la Protection de la nature et de l’Environnement en 1971 marque cette prise en charge. Le questionnement sur la qualité de l’eau est alors véritablement porté par ces institutions, et rapidement au-delà des frontières dans le cadre européen. La Commission européenne introduit entre 1975 et 1980 une série de directives relatives aux exigences concernant la qualité des eaux et sa surveillance. L’une d’entre elles fixe et harmonise la teneur en nitrates admissible dans les eaux destinées à la consommation humaine à 50 mg/l au plus.
52La présence de nitrates, de phosphore et de produits phytosanitaires qu’on commence à rechercher à grande échelle dans les eaux interpelle. Elle conduit l’État, représenté par les ministères de l’Agriculture et de l’Environnement et du Cadre de vie, à commander en 1979 au professeur Stéphane Hénin, directeur de recherche honoraire à l’Inra et agronome reconnu, un rapport intitulé « Activités agricoles et qualité des eaux ». Constituée de plus de 100 personnes, cette commission interdisciplinaire et multipartenariale réalise une synthèse des connaissances du moment concernant ces trois questionnements, en approfondissant surtout le sujet de l’azote et des nitrates. Elle établit et documente dans un cadre officiel la responsabilité des activités agricoles dans la pollution diffuse des eaux par les nitrates, les phosphates et les pesticides, et appelle à approfondir les recherches. Son travail est novateur, comme le souligne Tamian (2008) : « La démarche consistant à partir du constat d’une pollution et à chercher de quels processus elle découle est inverse de celle additionnant les processus connus les uns aux autres pour déterminer s’il peut y avoir ou non pollution au bout de la chaîne. Il y a donc également évolution dans la conception de la recherche scientifique. »
53Même s’il sous-estime les risques de contamination des eaux par des sources agricoles de phosphore et par les phytosanitaires, le rapport Hénin représente un tournant majeur pour la communauté des agronomes par quatre évolutions :
il constitue une première identification nationale incontestable de la problématique des impacts environnementaux de l’agriculture, au moins en ce qui concerne la qualité de l’eau, portée dans la sphère des décideurs politiques nationaux ;
il enclenche l’ouverture du monde agronomique, en particulier de la recherche, à des préoccupations sociétales dépassant les seules efficacités productiviste et économique de l’agriculture, ce qui va se traduire progressivement dans la structuration et les programmes des différentes instances scientifiques et techniques ;
il témoigne d’un apprentissage et de l’intérêt du dialogue interdisciplinaire entre agronomes et spécialistes de l’écologie et de l’hydrologie, qui se prolongera avec la création du Corpen (Comité d’orientation pour la réduction de la pollution des eaux par les nitrates, comité interministériel agriculture et environnement) à partir de 1984 ;
il fait apparaître le lien entre les pratiques locales à l’échelle des parcelles et des exploitations et leurs effets à l’échelle du territoire. C’est une étape majeure dans la prise de conscience de la nécessité d’intégrer les pratiques agricoles dans des échelles plus englobantes que la parcelle et l’assolement de l’exploitation agricole.
54Cependant, si le rapport est remis aux commanditaires fin 1980, il ne sera rendu public qu’en 1985 tant la remise en cause qu’il ouvre est forte, et les évolutions décrites ci-dessus ne se déploieront que très progressivement aux échelles plus locales !
1982-1992 : les pouvoirs publics définissent une gestion agronomique de l’azote
La question des nitrates sur la place publique
55En 1982, débats et réflexions sur l’opportunité d’une politique publique concernant l’agriculture et la qualité des eaux restent cantonnés dans un cercle restreint, même si, dans les territoires, les agences de l’eau prennent très rapidement le relais du rapport Hénin pour porter le message, avec des constats et des expertises régionales propres. Par exemple, en Alsace, les premières discussions avec les instances professionnelles agricoles au sujet de la responsabilité de l’agriculture dans la dégradation de la qualité des eaux de la nappe phréatique interviennent dès 1980 (témoignage de l’auteur).
56En 1984, deux événements portent l’interpellation posée à une échelle plus large :
le Corpen est créé. Il réunit organisations et instituts techniques professionnels, organisations d’usagers, établissements publics de recherche, agences financières de bassins, ministères concernés et quatre personnalités « choisies en raison de leurs compétences ». Sa mission est de connaître les programmes d’actions et de recherche engagés, et de faire toutes suggestions aux ministères à leur sujet (Décision interministérielle du 20 juin 1984 portant création d’un comité eau-nitrates). Il sera renommé en 1992 Comité d’orientation pour des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, en intégrant la problématique des produits phytosanitaires. L’expertise agronomique qui a éclairé les pouvoirs publics sur les causes de la situation est ainsi convoquée pour trouver des réponses ;
un colloque national, La pollution par les nitrates, quels responsables ? Causes et prévention, se tient à Dijon en octobre 1984 et élargit le cercle du questionnement avec une intervention directe de la ministre de l’Environnement, Huguette Bouchardeau.
57L’interpellation publique sera à son paroxysme en février 1990, suite à une déclaration du secrétaire d’État en charge de l’Environnement, Brice Lalonde, qui, lors d’une conférence de presse, reproche aux agriculteurs d’être le « point noir » en matière de pollution des eaux par les nitrates. Le questionnement sur la relation entre agriculture et qualité des eaux entre alors frontalement dans le débat public.
58Si, du point de vue des politiques publiques nationales, cette période se conclut par le premier Plan national pour l’environnement établi en 1990, signe d’une volonté publique forte et lisible de prise en charge de cette problématique (Lacroix et Zaccaï, 2010), pour l’azote et les nitrates d’origine agricole c’est au niveau européen que les orientations les plus décisives seront arrêtées. L’approbation au niveau européen de la Directive n° 91/676/CEE du 12/12/91 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles, dite « directive Nitrates », marque le coup d’envoi d’une politique d’ordre réglementaire qui sera progressivement mise en œuvre tout au long de la période suivante, à partir de 1993.
La directive Nitrates européenne mobilise fortement l’agronomie
59Il apparaît remarquable que cette directive reprenne des éléments d’agronomie issus de la connaissance des processus qui gouvernent les émissions de nitrates vers les eaux, et que ses exigences soient structurées autour des principaux mécanismes de transfert à contrôler. Elle demande par exemple « la limitation de l’épandage des fertilisants […] fondée sur un équilibre entre les besoins prévisibles en azote des cultures et l’azote apporté aux cultures par le sol et les fertilisants ». Sa transposition nationale doit donc permettre de respecter le principe d’équilibre de la fertilisation azotée, d’identifier les périodes inappropriées pour l’épandage des fertilisants, et peut proposer le maintien d’une couverture végétale. Des agronomes ont donc été entendus dans l’élaboration de ce texte, et la connaissance des leviers d’action est en arrière-plan de ces choix réglementaires.
60En visant un ajustement de la dose d’azote cherchant à minimiser les reliquats d’azote minéral post-récolte dans le sol, la méthode du bilan prévisionnel et le modèle cognitif qui la soutient sont en totale adéquation avec les exigences posées par la directive. Dès lors, la méthode sera constamment précisée, puis étendue aux autres cultures que le blé. Le Comifer, structure associative réunissant des agronomes de la recherche, des organismes publics de conseil et de l’industrie des fertilisants, créé en 1980, devient le lieu permanent d’échanges autour des travaux la concernant. En parallèle, l’Inra entreprend de formaliser les multiples équations constitutives de ce modèle dans un outil d’aide à la décision informatisé pour les grandes cultures, Azobil (1990) puis Azofert (2007). Leur usage se diffuse dans certains territoires par un réseau de laboratoires d’analyses de terre en relation avec les prescripteurs locaux.
61En parallèle, les chercheurs confirment les risques de pertes de nitrates et explorent l’efficacité des leviers. On peut citer par exemple les travaux de l’Inra conduits à Châlons-sur-Marne et à Colmar dans les années 1980 sur cases lysimétriques, concernant les systèmes de culture et les performances des cultures intermédiaires pièges à nitrates (Ballif, 1995 ; Chapot et al., 1996).
62Ainsi, les agronomes défrichent un nouvel aspect des relations climat-sol-plante, en accompagnement du questionnement des pouvoirs publics vis-à-vis des actions à conduire pour réduire les impacts environnementaux de la production agricole, en ajoutant le compartiment « eau lixiviante » vers les aquifères. Le Corpen constitue le lieu emblématique de la reconnaissance de leur expertise au travers de ses nombreux rapports techniques. En retour, cette situation favorise de nouveaux travaux destinés à renforcer cette expertise par une compréhension des phénomènes et des propositions d’actions qui dépassent le simple cadre de l’ajustement de la fertilisation azotée. Cette situation se prolongera et s’amplifiera au cours de la période suivante (1993-2002), durant laquelle sera expérimentée la mise en œuvre locale des méthodes et recommandations élaborées dans ce cadre.
1993-2002 : l’action publique, entre mode réglementaire et engagement collectif volontaire
63Cette période est marquée par la mise en œuvre effective de politiques publiques fortes relatives à la dimension environnementale de l’utilisation de l’azote en agriculture dans les territoires par deux voies bien différentes :
d’une part, l’administration transpose les exigences de la directive européenne sur les nitrates de 1991 pour aboutir aux premiers programmes d’action structurés par département en 1997. Les agronomes en région sont à cette occasion sollicités ponctuellement par l’administration pour apporter des avis et fournir des références qui seront intégrées dans la rédaction des premiers arrêtés préfectoraux d’application de la directive Nitrates ;
d’autre part, dans la continuité des travaux du Corpen, une proposition est émise en 1992 de construire des actions volontaires et collectives de prise en charge de la problématique nitrate par la profession elle-même, sur des territoires à enjeu « eau » bien identifiés : ce sont les opérations Ferti-Mieux, qui engageront, à la fin des années 1990, 54 territoires de France métropolitaine (chapitre 8). Ce dispositif constituera un lieu d’apprentissage pour de nombreux agronomes des nouvelles dimensions territoriale, environnementale et sociologique de leur métier, et un laboratoire pour la création de nouveaux outils et compétences : mise au point de nombreux indicateurs agro-environnementaux indispensables aux fonctions de diagnostic des risques et de suivi des actions, élaboration de référentiels agronomiques dédiés, conception de plans de communication et d’animation sur un sujet polémique.
64Sur le front de la recherche, on assiste au développement d’indicateurs et de modèles destinés à instruire les diagnostics requis pour l’action à l’échelle des exploitations agricoles et des territoires. Mais l’entrée principale des agronomes reste l’échelle du système de culture, pertinente pour analyser les risques, puisqu’elle concerne la succession des cultures et des intercultures dont on a compris l’importance dans les processus de pertes de nitrates : indicateurs Balance et Bascule (Benoît, 1992), I-N de la méthode Indigo (Girardin et Bockstaller, 1997), Merlin (Aimon-Marie et al., 2001). Par le champ d’application ouvert par les opérations Ferti-Mieux, les travaux sur les indicateurs sont conduits dans une perspective concrète d’application qui stimule leur développement, tandis que le Corpen leur confère une visibilité.
65La recherche s’engage aussi dans des tentatives de modélisation du complexe eau-sol-plante-climat, avec une prise en compte explicite des cycles couplés du carbone et de l’azote et du transfert des nitrates dans le sol. Ce seront par exemple les débuts des travaux sur le modèle Stics à l’Inra à partir de 1996.
66Bien sûr, les travaux de consolidation de la méthode du bilan sont poursuivis et aboutissent à la publication en 1996 par le Comifer d’un premier guide de calcul de la fertilisation azotée des cultures annuelles (GT azote du Comifer, 1996).
67Ainsi, stimulés par une attente des pouvoirs publics, représentée au niveau national par le Corpen et dans les départements par les autorités préfectorales en charge du déploiement de la directive Nitrates, les agronomes de la recherche-développement imaginent de concert de nombreux outils de diagnostic ou de suivi du risque et inventent une voie originale de mobilisation du monde agricole pour la prise en charge par ce dernier de la limitation des risques à l’échelle de territoires locaux, les actions Ferti-Mieux. Celles-ci seront aussi le creuset de l’élaboration de nombreuses références agronomiques locales et d’un questionnement renouvelé à la recherche. Mais, malgré ses succès, cette méthode, fortement mobilisatrice et déployée en parallèle de la transposition de la directive Nitrates, verra son acceptation décliner au fur et à mesure que les discussions et négociations locales autour des obligations réglementaires occuperont les acteurs de terrain. Après une décennie d’expérimentation, l’Association nationale pour le développement agricole (ANDA), structure nationale qui assurait l’accompagnement et organisait la labellisation de ces opérations, est dissoute en 2002 pour des motifs extérieurs à cette mission (Les aides au développement agricole, 2007), et les opérations Ferti-Mieux s’arrêtent. Seule l’Agence de l’eau Rhin-Meuse continuera de soutenir jusqu’à aujourd’hui un réseau d’opérations locales semblables baptisées « Agri-Mieux » et répondant à un cahier des charges régulièrement actualisé.
2003-2020 : difficultés de l’action par la réglementation et nouveaux enjeux
L’âge d’or de la méthode du bilan
68Au fil des années, on a assisté au passage d’une pratique empirique qui convenait aux priorités du lendemain de la Seconde Guerre mondiale, augmenter les rendements sans préoccupation d’éventuels effets indésirables pour l’environnement, à un projet de pratique agronomique fondée sur une connaissance détaillée de processus modélisables, qui fait consensus dans ses principes : la méthode du bilan prévisionnel. Ce projet est d’autant mieux reçu par les pouvoirs publics que la proposition reprend explicitement l’objectif d’équilibre entre besoins des cultures et fournitures par le sol et les fertilisants, qui est au centre de son propre modèle d’action pour la protection des eaux vis-à-vis des nitrates. Il intègre également la possibilité d’évaluer l’ensemble des émissions d’azote vers l’eau et l’air qu’on cherche à contrôler. Il constitue ainsi depuis la fin des années 1970 le modèle partagé par tous, supporté par les pouvoirs publics et qui concentre tous les efforts pour son développement et son déploiement.
69Cette situation aboutit à une institutionnalisation : la méthode du bilan prévisionnel est reconnue comme méthode de référence dans le cadre de la déclinaison en France de la directive Nitrates, et le Comifer est l’instance officielle de son élaboration. Après l’ouvrage de 1996 Calcul de la fertilisation azotée des cultures annuelles, le Comifer publie ainsi deux versions successives en 2011 et 2013 d’un Guide méthodologique pour l’établissement des prescriptions locales de la fertilisation azotée, qui établit l’état du consensus concernant les processus à prendre en compte, les formulations opérationnelles de la méthode du bilan prévisionnel de calcul de la dose d’azote et leur paramétrage, qui peut mobiliser des références locales (GT azote du Comifer, 2013).
70Les outils proposés aux agriculteurs pour le calcul d’une dose d’azote sont très nombreux. En 2015, les pouvoirs publics envisagent un dispositif de validation officielle de ces outils, fondé sur la comparaison des conseils formulés avec ceux obtenus en utilisant la méthode exposée dans le guide. Ils y renoncent cependant et laissent alors le soin au Comifer de proposer aux outils candidats un label de conformité à la méthode désormais baptisée « méthode Comifer ». Cet épisode souligne la difficulté de l’établissement de normes pertinentes jusqu’à une échelle parcellaire et du contrôle de leur mise en œuvre.
71La modélisation des processus portée par le projet Stics progresse également et conduit à la mise en chantier en 2012 d’un simulateur accessible des émissions d’azote des systèmes de culture, très attendu de tous les agronomes de terrain en charge de l’animation sur des territoires, l’outil Syst’N (Parnaudeau et al., 2012). Il simule les émissions d’azote vers les eaux (NO3−) et vers l’atmosphère (NH3, N2O), permettant ainsi de répondre aux nouvelles problématiques des gaz à effet de serre et de la qualité de l’air.
L’appel à l’expertise agronomique étendu et régionalisé
72Avec l’arrêt du dispositif Ferti-Mieux en 2002, ce sont les programmes d’action départementaux définis en application de la directive Nitrates qui deviennent le référentiel quasi unique de la lutte contre les fuites de nitrates d’origine agricole vers les eaux, combinant les déclinaisons locales de la méthode du bilan prévisionnel et des exigences âprement négociées de couverture automnale et hivernale des sols.
73Les agronomes en région continuent comme précédemment d’être sollicités par l’administration, et cette fonction est institutionnalisée à partir de 2011 avec la constitution des Groupes régionaux d’expertise nitrates (GREN), dont la composition est fixée par arrêté préfectoral. Ils ont pour mission de contribuer au paramétrage de la méthode du bilan pour les situations locales et d’en choisir les modes de calcul par culture. Mais les agronomes seront également fréquemment sollicités tantôt par des organisations professionnelles pour construire des argumentaires agronomiques destinés à étayer des demandes locales de dérogation aux règles nationales, tantôt par l’administration pour analyser ces demandes. La mise en place des GREN constitue alors une sécurisation de la fonction d’expertise requise par l’administration (au sein de laquelle les agronomes expérimentés sont devenus peu nombreux), tout en sélectionnant les compétences et en limitant le nombre d’experts participant aux débats. Cette sollicitation institutionnelle constitue l’échelon décentralisé de la mobilisation qui s’est établie sous différentes formes au niveau national depuis la commande du rapport Hénin en 1979 (encadré 9.1).
Encadré 9.1. Du rapport Hénin au groupe de concertation Genem, la mobilisation de l’expertise agronomique par les pouvoirs publics Depuis le rapport Hénin remis en 1980 jusqu’à la création du groupe de concertation Gestion des éléments nutritifs et des émissions vers les milieux (Genem) en 2018, l’élaboration d’une politique de prévention des impacts de l’utilisation agricole de l’azote a mobilisé une expertise agronomique constante, mais d’intensité et de structuration variant au fil des années. Le travail de Stéphane Hénin avec sa commission multipartenariale est une expertise que l’on qualifierait aujourd’hui de participative. Le Corpen, qui prend le relais de ce travail en 1984, consolide cette posture au service des politiques publiques agricoles environnementales. Après 24 années de fonctionnement, le rapport de l’administration qui examine l’avenir de cette structure (IGE-CGAAER, 2008) considère que « le Corpen se situe à la charnière entre les activités de recherche et l’élaboration des réglementations nécessaires, à la fois pour éclairer les décisions politiques et comme un centre de transfert des connaissances ». De fait, le Corpen aura produit de nombreux rapports établis de façon consensuelle traitant de l’état des connaissances et des recommandations techniques associées, des méthodes de diagnostic, des références techniques disponibles. Il dispose même sur la période 1984-1990 de moyens budgétaires lui permettant de soutenir des expérimentations locales de développement pour tester des méthodes de sensibilisation des acteurs agricoles via deux « zones pilotes d’information azote » déployées par l’Association pour la relance agronomique en Alsace de 1988 à 1990, expérimentation conduite sur la base des propositions établies par Philippe Lafleuriel pour le Corpen. Un rapport sera établi à la suite de ces tests, le « Cahier des charges des opérations de conseil aux agriculteurs en vue de protéger l’eau contre la pollution nitratée » (Mission eau-nitrates, 1992), qui servira de base au cahier des charges des opérations de conseil collectif Ferti-Mieux lancées en 1992. L’existence même du Corpen, en marquant une préoccupation officielle des autorités publiques sur cette question et en validant le principe d’une expertise continue confiée aux parties prenantes, donne un signal clair aux équipes de recherche en agronomie qui se préoccupent d’environnement dans leurs travaux. Cependant, le même rapport souligne que si « les productions du Corpen sont reconnues […], particulièrement dans le domaine des pollutions diffuses occasionnées par les effluents d’élevage, et qu’il constitue toujours un potentiel de réflexion et de débat sur des sujets relatifs aux pratiques agricoles respectueuses de l’environnement », il sera supprimé en 2009 sous un prétexte administratif, l’irrégularité de constitution d’une instance consultative œuvrant en marge de ses administrations de tutelle… C’est à cette période qu’apparaissent les premières expertises scientifiques collectives (ESCo), produites par l’Inra en association avec d’autres organismes scientifiques en réponse à une question explicitement posée par les ministères en lien avec une problématique de politique publique. La première de ces ESCo est rendue en 2005 (Aubertot et al., 2005) et elles se succèdent depuis. Cette sollicitation des milieux scientifiques marque le besoin continu des pouvoirs publics de disposer d’une expertise explicite en amont de la décision publique, en assurant son indépendance à la question traitée vis-à-vis des parties prenantes. Cette période correspond aussi à celle d’une démarche réflexive des milieux scientifiques sur la définition même d’expertise et la posture de l’expert (Roqueplo, 1997 ; charte Inra sur l’ESCo, 2007). Plus récemment, en 2018, les deux ministères en charge de l’Agriculture et de l’Environnement ont mis en place d’une part le Genem, groupe de concertation composé des parties prenantes de la lutte contre la pollution par les nitrates (administration, organisations professionnelles agricoles, associations environnementales, instituts techniques et établissements de recherche, soit semblable à la composition du Corpen), et d’autre part un comité scientifique et technique (CST) en appui à la fois du groupe de concertation et de l’administration. La création de ces instances souligne qu’au-delà de l’expertise scientifique ponctuelle de type ESCo ou d’études, les pouvoirs publics ont besoin d’un appui permanent à la conception d’actions. Les missions de ces deux instances sont toutefois très cadrées :
Il est souligné que « la production des référentiels techniques et outils reste assurée, selon les cas, par les instituts techniques, le Comité d’étude et de développement de la fertilisation raisonnée (Comifer), les établissements de recherche ou encore les bureaux d’études ». Ainsi, on assiste à une structuration de l’appel à l’expertise qui s’accorde avec les besoins spécifiques de chacune des phases du cycle d’une politique publique, avec la mobilisation d’instances propres à chacune : l’expertise scientifique collective commandée pour éclaircir les enjeux et l’état de l’art après la mise à l’agenda, le groupe de concertation pour le plan d’action, appuyé par un comité scientifique indépendant et mobilisé par des questions précises, des opérateurs techniques mandatés pour la production des référentiels et outils nécessaires à la mise en œuvre, des groupes d’experts locaux pour affiner leur mise en œuvre locale. Le bon fonctionnement de cet ensemble pose la question du partage d’une connaissance scientifique commune et du consensus autour de celle-ci. |
Les limites opérationnelles de la méthode du bilan et la réponse de l’innovation agronomique
74En dépit de la légitimation de la méthode du bilan et de ses variantes par l’administration, sa diffusion reste imparfaite. L’analyse des controverses apparues dans les GREN lors du processus de définition régionale des paramètres d’application de la méthode (choix de l’objectif de rendement, fiabilité de la mesure du reliquat en entrée de bilan, tension entre l’homogénéisation requise dans un cadre national et adaptation aux spécificités de chaque situation agricole) indique que le consensus autour de cette méthode masque des divergences autour de sa mise en œuvre, divergences qui pourraient contribuer à des erreurs dans les doses apportées. Les incertitudes de paramétrage sont par ailleurs autant d’arguments de défiance de la part des acteurs de terrain dont les pratiques sont remises en cause (Ravier et al., 2015). Ce constat a été le point de départ de la conception d’un nouvel outil d’aide à la décision pour le calcul de la dose d’azote permettant de s’affranchir de ces divergences et d’intégrer la capacité des acteurs à utiliser un tel outil, bousculant le consensus et plaidant pour un renouveau de l’innovation dans le traitement de cette question (Ravier, 2017 ; Jeuffroy et al., 2020). C’est en repartant de travaux poursuivis sur la nutrition azotée du blé que les acteurs de la recherche ont proposé cette alternative fondée sur l’évaluation du niveau de nutrition azoté de la culture, et non plus sur la modélisation de l’offre du sol. La nouvelle approche, baptisée « Appi’N », apporte une réponse à la question permanente de l’estimation de la quantité de fertilisant azoté à apporter à une culture, en évitant des surfertilisations que l’application de la méthode du bilan n’empêche pas toujours. Cependant, son intégration comme outil pour l’action dans le cadre de la réglementation visant à minimiser les fuites d’azote n’est pas acquise, car se pose la question de son insertion dans une procédure de contrôle par l’administration.
La montée en puissance de l’approche territoriale
75Au cours des deux décennies, les agronomes de la recherche ont dépassé le cadre du système de culture pour investir le champ de l’analyse et du diagnostic territorial sur de grands bassins-versants. Ils mobilisent pour cela des modélisations spatiales, en partenariat avec des hydrologues et en relation directe avec des acteurs publics régionaux qui s’interrogent sur les causes structurelles des pertes de nitrates et les évolutions à attendre de l’application des programmes d’action réglementaires. Ce sont les travaux du Piren sur le bassin-versant de la Seine en relation avec l’Agence de l’eau Seine-Normandie à partir de 1998 (Baudoin et al., 2010), ou les projets transfrontaliers MoNit (2006) puis Logar (2012) sur la vallée du Rhin supérieur, à la demande de la région Alsace à partir de 2003. En effet, les connaissances nécessaires pour un tel exercice sont réunies : modèles du cycle de l’azote dans le sol et les cultures, outils SIG puissants, bases de données spatialisées de l’occupation des terres, du climat et des sols, connaissance structurée des pratiques agricoles, etc. Cependant, malgré la qualité de ces travaux, les prospectives qu’elles autorisent sur le devenir de la qualité des eaux à grande échelle via des scénarios exploratoires semblent peu valorisées dans l’élaboration des politiques publiques, pour deux raisons. D’une part, le cadre réglementaire national d’application de la directive Nitrates « confisque » le débat entre les parties prenantes dans les territoires, et ne sollicite pas d’éventuelles prospectives de long terme et transversales concernant l’évolution envisageable de l’agriculture des territoires concernés. D’autre part, les parties prenantes elles-mêmes sont peu associées aux travaux de modélisation conduits dans un cadre plutôt académique et se refusent à solliciter de tels exercices, d’autant que les marges de manœuvre pour une action publique locale novatrice et ambitieuse qui pourrait en découler sont limitées par le droit européen relatif aux dispositifs d’aides à la production.
76Dans le même temps, le champ des enjeux pris en compte par les politiques publiques concernant l’azote déborde maintenant la seule question de la qualité de l’eau et s’étend progressivement, d’une part à la qualité de l’air à travers la problématique des émissions d’ammoniac, d’autre part à la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre via les émissions direct et indirectes que représentent la consommation d’engrais azotés de synthèse ou le non-recyclage des matières fertilisantes d’origine résiduaire. Il faut ajouter à cela l’orientation de soutien à la production d’énergie à partir de la biomasse, en particulier par la voie de la méthanisation (plan Énergie méthanisation autonomie azote, EMAA, 2013), avec comme corollaire une évolution possible des systèmes de culture destinés à alimenter les digesteurs et la production de digestats riches en ammoniac. Ces questions sont autant de degrés de complexité supplémentaires introduits dans la recherche de solutions d’économie de l’azote tant à l’échelle des systèmes de culture que des territoires.
Vers des démarches territoriales et participatives
77Depuis les années 2010, on assiste à un virage dans la mise en œuvre des politiques publiques portées par les ministères, mais dont le déploiement est maintenant souvent confié à des agences d’État (ici agences de l’eau, Ademe, Agence française pour la biodiversité) : au-delà d’un cadre réglementaire général, plutôt que d’assumer un portage direct par les administrations déconcentrées qui montre ses limites, les politiques publiques s’orientent vers une mobilisation des territoires locaux, en confiant l’élaboration et la conduite de plans d’action souvent obligatoires à des collectivités territoriales, de la région aux communautés de communes. On peut citer la gestion des aires d’alimentation de captage d’eau potable, les Plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) ou les Plans alimentaires territoriaux (PAT).
78Ainsi, à l’échelle de territoires plus locaux (captages dégradés prioritaires, opérations Agri-Mieux précitées), et avec la superposition d’autres enjeux tels que les conséquences du changement climatique sur l’agriculture, la nécessité de gagner en valeur ajoutée des productions ou encore les interrogations sur les évolutions des systèmes de culture qui accompagnent le développement des méthaniseurs, la recherche de solutions se dynamise avec une implication attendue des agriculteurs et des filières.
79Dans le même temps, les agronomes de la recherche comme du développement ont compris et tentent de démontrer que la seule amélioration de l’efficience des techniques ne permettra pas d’affronter ces enjeux et qu’il faut accepter d’explorer des stratégies de rupture. Ils abordent cette recherche de solutions par la coconception de systèmes de culture innovants, impliquant pour eux-mêmes un changement de posture vis-à-vis de l’agriculteur, dont ils deviennent les accompagnateurs et non plus les conseillers experts omniscients ou sachants. Ces évolutions sont facilitées par les réseaux d’échanges nationaux thématiques de type RMT (réseaux mixtes technologiques), soutenus par le ministère de l’Agriculture et qui développent eux-mêmes une forme de relation renouvelée entre chercheurs et acteurs directs du développement. Les questionnements concernant la gestion de l’azote sont par exemple pris en charge depuis 2007 par les RMT Systèmes de culture innovants (devenu « Champs et territoires ateliers » en 2020) et Fertilisation et environnement (devenu « Bouclage » en 2020). Ils constituent des lieux vivants d’interrogations, de partages d’expériences, de définitions de nouveaux concepts et de tentatives de constructions d’outils mobilisables pour soutenir des plans d’actions locaux en acceptant et en assumant la complexité de la construction des solutions avec les acteurs concernés.
80S’opère ainsi une convergence entre les orientations des politiques publiques qui privilégient les territoires locaux comme lieu de mise en œuvre de plans d’actions mobilisateurs, et les capacités des agronomes à rendre compte et modéliser l’agriculture de ces territoires et à s’impliquer dans une innovation participative auprès des acteurs. Les collectivités territoriales, qui dans ce cadre découvrent leurs nouvelles responsabilités et la complexité des questions à traiter, sont en attente de prospective et de propositions concrètes et se font accompagner dans leur démarche par des bureaux d’études publics ou privés. C’est une opportunité pour les agronomes d’être contributeurs actifs : au-delà de l’expertise, une nouvelle forme de participation des agronomes au déploiement de politiques publiques peut s’y déployer.
Demain : pour une approche intégrée des flux d’azote dans des systèmes territoriaux et globaux
81Un bon exemple des difficultés posées aujourd’hui aux agronomes par la gestion de l’azote dans le cadre de l’application de la directive Nitrates est illustré par un avis récent du CST Genem concernant « l’actualisation des connaissances permettant d’objectiver les périodes recommandées pour l’épandage des fertilisants azotés en prenant en compte à la fois les fuites de nitrates et les émissions de polluants atmosphériques » (CST Genem, 2019) : « Le CST-Genem recommande de poursuivre l’étude [étude réalisée par ACTA et Artelia, 2012] en développant une approche intégrée de l’ensemble des processus dans les différents milieux (sols, eaux, air, plantes). Une évaluation des impacts des pratiques d’épandage sur l’ensemble des milieux (qualité des eaux, des sols et de l’air) permettrait de considérer simultanément les réglementations établies pour chacun des milieux, afin d’évaluer les synergies et les antagonismes entre les flux azotés dans et entre les différents milieux, donc non seulement la minéralisation et la lixiviation du NO3−, mais aussi les concentrations et les émissions de NH3 et de N2O dans l’air. L’étude n’a pas permis de rassembler et/ou d’analyser un corpus suffisant de références scientifiques et techniques existantes ni, par conséquent, de fournir l’ensemble des critères opérationnels nécessaires pour la définition des périodes conseillées et déconseillées d’épandage des fertilisants selon tous les contextes pédoclimatiques français, tous les types de cultures et tous les types de fertilisants azotés ; elle n’a pas non plus permis de définir des compromis à effectuer entre la qualité des eaux, la qualité des sols et la qualité de l’air. »
82Cet avis renvoie à la difficulté d’établir une norme unique pertinente pour une très grande diversité de situations (ici un calendrier d’interdiction d’épandages). La mise en œuvre d’outils de conseils validés permettant la prise en compte de la diversité parcellaire est une piste alternative, mais la difficulté de cette approche est réelle, comme le souligne le renoncement récent à une validation par l’administration des outils de conseil de calcul de dose d’azote : il faut non seulement s’assurer de la justesse de l’outil dans toutes les situations, mais aussi être capable de contrôler l’effectivité et l’exactitude de sa mise en œuvre.
83La gestion de l’azote est au cœur d’une tension forte générée par des objectifs contradictoires : productivité, qualité des productions, préservation des milieux naturels et des services associés. Compte tenu de l’état des connaissances déjà bien avancé concernant les processus évoqués et la diversité des situations locales en matière de milieux, faut-il conduire des travaux de recherche ou bien plutôt développer une ingénierie agro-environnementale qui puisse intégrer l’ensemble des processus et des enjeux, en proposer une modélisation opérationnelle aux échelles des différents territoires, une lisibilité permettant sa reconnaissance comme élément de politique publique, un savoir-faire d’animation spécifique facilitant le jeu des acteurs des territoires et une mobilisation active et éclairée des agriculteurs, dans la continuité ou en une sorte de prolongation augmentée de l’expérience Ferti-Mieux ?
Les sols et leurs aménagements
84Les politiques publiques relatives aux sols concernent différents enjeux. Nous en avons retenu deux pour lesquels de nombreux actes de politique publique sont avérés :
la fertilité des sols et l’accroissement des potentialités de production : cette question est portée par des politiques publiques de soutien à l’aménagement foncier qui promeuvent le drainage, l’irrigation, le remembrement, la reconquête de terrains en friche et, plus récemment, une promotion de la gestion agronomique des sols ;
la préservation des surfaces agricoles : l’enjeu est de protéger ces surfaces vis-à-vis de leur consommation par les travaux d’aménagements divers, l’urbanisation ou le boisement, qui diminuent la capacité de production nationale et fragilisent certaines exploitations agricoles.
85On se doit d’y ajouter une autre question qui intéresse particulièrement les agronomes, la connaissance des sols de France au sens de la caractérisation de leurs propriétés agronomiques, pour laquelle les éléments de politique publique sont a priori moins lisibles. Cette histoire est à mettre en parallèle de celle des politiques d’aménagement, puisque celles-ci vont directement concerner les sols et leur exploitation et potentiellement s’appuyer sur cette connaissance.
1945- 1959 : l’État investit dans l’aménagement de quelques territoires
86Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la sécurité d’approvisionnement est une priorité et elle doit être résolue par la modernisation de l’agriculture. Dans cette vision, les politiques publiques s’intéressent aux terres agricoles comme surfaces productives, et au sol comme outil de production susceptible d’améliorations. L’État engage alors des programmes visant d’une part l’aménagement et l’amélioration foncière, d’autre part la reconquête de surfaces cultivées, tandis qu’il assure en parallèle la vulgarisation de la mécanisation et de la fertilisation, compléments indispensables pour la valorisation de ces améliorations. Une partie de cette action se lit dans la création de compagnies régionales d’aménagement.
Dans le sud de la France, la maîtrise de l’eau pour le développement rural
87Dès la Libération, l’État prend des initiatives sur des territoires particuliers : création d’une Commission du Bas-Rhône pour l’aménagement et l’irrigation de la Camargue (1946), d’une Institution interdépartementale pour l’irrigation des coteaux de Gascogne (1947). Ces institutions préfigurent la création dans les années 1950 des grandes compagnies d’aménagement, qui reçoivent mission de maîtrise de l’eau et de développement rural dans des régions où l’irrigation paraît indispensable à la modernisation de l’agriculture. Elle requiert la modernisation ou la création d’ouvrages hydrauliques importants, prises d’eau, canaux et barrages réservoirs. Ce sont la Compagnie nationale d’aménagement de la région du Bas-Rhône et du Languedoc (CNABRL) en 1955, la Société du canal de Provence (SCP) en 1957, la Société de mise en valeur agricole de la Corse (Somivac) en 1957, la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG) en 1959. Elles reprennent la gestion de grands ouvrages hydrauliques créés au xixe siècle et les complètent : canaux de la Neste, de Marseille, du Verdon, création des canaux Jean Lamour et des Costières, création de barrages (tels Orb ou Salagou) et de réservoirs. Les surfaces irriguées au moyen de ces ouvrages dépassent les 200 000 hectares et les ouvrages hydrauliques assurent également l’approvisionnement en eau de grandes agglomérations : Toulon, Marseille, Nîmes, Montpellier et les stations balnéaires de la côte languedocienne. Du fait des enjeux multiples, ces compagnies d’aménagement continueront leur activité après que les régions ont pris la place de l’État à partir de 2008 dans le cadre de la décentralisation.
Dans l’est de la France, la lutte contre la déprise
88La question de l’abandon des terres se pose : après la Seconde Guerre mondiale, 5,5 millions d’hectares de terres sont considérés comme délaissés. Rien qu’en Lorraine, 136 000 hectares ne sont plus cultivés. En Haute-Marne, après un diagnostic commandé dès 1951 par Edgard Pisani, alors préfet du département (et futur ministre de l’Agriculture de 1961 à 1966), période qu’il évoque dans son ouvrage Un vieil homme et la terre (Pisani, 2004), on recense 35 000 hectares de friches. Dans la logique de planification par l’État, la question des friches est inscrite dans le 3e plan national de modernisation (1958). La Société d’aménagement des friches de l’Est (SAFE) est ainsi créée en 1958 pour remédier « à la désertification des campagnes, au sous-développement de l’agriculture et à l’expansion des friches » dans 12 départements de l’est de la France. Sa mission, après un inventaire cartographique réalisé sur 13 départements (les sols inutilisés y sont évalués à 500 000 hectares), est de réaliser des opérations d’aménagement et de mise en valeur agricole et forestière des terres en friches. L’activité de la SAFE est intense à ses débuts, et elle acquiert le statut de Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) en 1965 pour deux départements. Mais les projets sont coûteux et, sans financement de l’État, l’activité d’aménagement assurée en bureau d’études prestataire s’arrête en 1988 (Peltre, 1992).
Des remembrements peu nombreux
89Si le remembrement des terres agricoles a été introduit comme outil d’utilité publique à la fin de la Première Guerre mondiale (lois Chauveau de 1918 et 1919 se concrétisant par 685 communes remembrées), puis confirmé par une loi de 1941 reprise à la Libération, les mises en œuvre sont lentes : 100 communes seulement sont remembrées entre 1941 et 1951. En 1954, au vu des difficultés rencontrées, un décret est promulgué en vue d’accélérer l’aménagement foncier agricole et le remembrement, introduisant la possibilité de « travaux connexes de nature à améliorer de façon rationnelle la productivité » concernant les chemins et l’hydraulique. C’est à partir de 1956, avec un fort accompagnement financier de l’État qui prend à sa charge 80 % du coût des opérations, que le rythme des opérations s’accélérera, principalement dans la moitié nord de la France.
L’État parfois dépassé par la modernisation de l’agriculture
90À l’inverse, également dans la région Est mais sur d’autres territoires, cette période est celle des grands défrichements opérés au détriment des forêts de pins peu productives installées à la fin du xviiie siècle et pendant le xixe siècle sur les terres pauvres de la Champagne crayeuse. À partir de 1945 et plus intensément de 1950 jusqu’à la fin des années 1970, 115 000 hectares de forêts privées y sont défrichés et mis en culture de céréales, betterave et luzerne sur les départements des Ardennes, de l’Aube et de la Marne. C’est le bénéfice conjoint de la mécanisation, qui facilite le défrichement lui-même, du remembrement, de la maîtrise de la fertilisation phosphatée, facteur agronomique limitant majeur des sols de craie, et du soutien des prix à ces cultures. Mais ce défrichement n’est pas le résultat d’une politique publique : il est au contraire subi par l’administration du ministère de l’Agriculture, qui ne peut le réguler faute de moyens humains et d’outil législatif. Elle s’inquiète même des risques de dérèglement climatique locaux et d’atteintes à la biodiversité exposée aux déboisements massifs (Chevalier, 1972).
91Dans le Sud-Ouest, avec les possibilités de développement de la culture du maïs dans les années 1960 résultant des progrès de la sélection variétale pour cette espèce, le massif forestier des Landes est menacé à son tour par ces défrichements, et avec lui les intérêts des sylviculteurs et de l’industrie locale du bois. Ainsi, à partir de 1970, les déboisements seront soumis à autorisation et taxés (loi de finance rectificative du 24 décembre 1969) (Charbonneau, 1977). En complément, pour la Champagne, des objectifs régionaux et opposables de conservation des surfaces boisées seront adoptés en 1971 pour les trois départements concernés, au motif de la prévention de l’érosion et du maintien de l’équilibre biologique de la région (Chevalier, 1972).
1960-1981 : une forte dynamique des aménagements fonciers portée par l’État et la profession
92Les bases des grandes opérations d’aménagement foncier que sont le remembrement, le drainage des terres et zones humides et l’irrigation, ont été posées au cours de la période précédente. Leur mise en œuvre va connaître un développement spectaculaire dans un cadre volontariste de modernisation de l’agriculture, désormais porté conjointement par l’État et les organisations professionnelles agricoles. L’un des objectifs de la loi d’orientation agricole de 1962 est en effet formulé en ces termes : « Pour diminuer les coûts de production : conduire plus avant l’aménagement foncier et mieux organiser les surfaces agricoles. » Les aménagements fonciers vont ainsi se déployer à grande échelle. La connaissance des sols de France reste fragmentaire et portée principalement par des pédologues.
L’accélération du remembrement et son encadrement progressif
93De 150 000 hectares remembrés en 1956, on dépasse les 400 000 hectares annuels de 1966 à 1976, avec un pic à 500 000 hectares en 1969 (Philippe et Polombo, 2009). En 1978, on franchit les 10 millions d’hectares cumulés remembrés, qui étaient l’objectif initial de l’État (Rieucau, 1962). Une partie de ce succès est liée au choix d’une décentralisation de la procédure dont la gestion est confiée à une Commission communale d’aménagement foncier, constituée pour chaque remembrement, chargée d’établir le consensus communal autour des échanges fonciers et des travaux connexes. Il faut souligner que l’indispensable estimation de la valeur agricole des terrains par la procédure ne repose pas sur une connaissance objectivée des sols, contrairement aux procédures adoptées dans d’autres pays comme la Belgique, qui établissent au préalable des cartes de sols (Party et al., 2014). Le remembrement semble donc se passer de référentiel pédologique ou agronomique et est conduit sur la base d’une évaluation locale et partagée de la valeur des terres par les agriculteurs, que nous appellerions aujourd’hui « participative ». Si la loi du 10 juillet 1976 (qui pose les bases de la protection de la nature en France) et son décret d’application du 12 octobre 1977 instituent l’obligation d’une étude d’impact environnemental pour les opérations de remembrement et leurs travaux connexes, le sol n’y est pas mentionné comme objet d’attention : agronomes ou pédologues ne sont donc pas sollicités. Seules les manifestations de l’érosion qui apparaissent suite à la modification globale des paysages et aux évolutions des systèmes de culture mobiliseront les agronomes à partir des années 1980 pour en comprendre les mécanismes et esquisser des solutions de remédiation (Ouvry, 1992 ; Auzet et al., 1995 ; Delahaye, 1996). L’étude hydraulique deviendra obligatoire en 1995 (décret du 27 janvier 1995).
Le développement exponentiel du drainage
94La loi d’orientation agricole du 5 août 1960, complétée en 1962, définit ainsi l’objet de l’aménagement foncier : « assurer une structure des propriétés et des exploitations agricoles et forestières conforme à une utilisation rationnelle des terres et des bâtiments » avec des « travaux connexes de nature à améliorer de façon rationnelle la productivité » (Philippe et Polombo, 2009). Cette orientation permet de lier au remembrement des terres, qui s’accélère, des travaux connexes d’arasement de talus, de haies, d’assainissement et de drainage. Un décret de mars 1972 fixe des taux d’aide de l’État pour les travaux de drainage, y compris pour l’achat de matériel permettant leur réalisation. Avec des aides importantes pouvant atteindre 30 % pour le drainage à la parcelle et jusqu’à 80 % pour les ouvrages collectifs, souvent complétées par celles des départements et régions, le rythme des chantiers de drainage augmentera d’abord doucement, puis s’accélérera dans les années 1970 (2 000 hectares drainés par an en 1965, 20 000 en 1972, 47 000 en 1976 et 105 000 en 1980) pour dépasser les 120 000 hectares par an durant les années 1982 à 1988. Cet effort contribuera de façon importante aux plus de 2 millions d’hectares drainés entre 1975 et 2000, sur une surface totale drainée estimée à un peu plus de 3 millions d’hectares en 2020, soit 20 % des surfaces en grandes cultures (Favrot, 1981 ; Vincent, 2020).
95Dans cette période, les agronomes accompagnent cette dynamique en produisant des travaux sur les pertes de rendement liées à la durée de l’ennoyage des sols selon les espèces cultivées d’une part, sur les gains de rendement à attendre d’autre part, en insistant sur l’intérêt des modifications de l’itinéraire technique de la culture permises du fait de plus grandes facilités d’intervention dans la parcelle : avancement de la date de semis et respect des stades recommandés pour les apports d’azote par exemple (Viaux et Bodet, 1986). À côté, les réflexions techniques concernant la mise en œuvre du drainage mobilisent pédologues d’un côté et hydrauliciens de l’autre, pas toujours en accord pour optimiser les dimensionnements des réseaux et les méthodes de pose selon le milieu, le sol en particulier. Cependant, la connaissance des sols de France réellement mobilisable reste à ce moment très partielle.
L’accroissement rapide des surfaces irrigables
96Après les opérations de grands aménagements hydrauliques pour l’irrigation dans la période précédente, mais aussi avec les progrès technologiques facilitant la mobilisation individuelle de ressources (pompages directs en nappe), les surfaces irrigables vont s’accroître elles aussi, passant de 500 000 hectares en 1955 à 1 325 000 hectares en 1979, atteignant 4,2 % de la SAU. La croissance se poursuivra jusqu’en 1997, où les surfaces irrigables culmineront à 2,7 millions d’hectares (Lacroix et Bergez, 2012), soit près de 10 % de la SAU.
La connaissance des sols de France : un effort inachevé de cartographie porté par des pédologues
97« Dans les années 50 et 60, différents travaux de cartographie des sols étaient réalisés en France, pour des objectifs très variés et avec des techniques parfois sensiblement différentes, et cela, […] sous l’impulsion d’un certain nombre d’organismes : Service d’étude des sols de l’Inra à Montpellier, Chambres d’agriculture dont tout particulièrement celle de l’Aisne, Sociétés d’aménagement régional… » (Jamagne et Boulaine, 2004).
98Dans un premier temps et grâce au renforcement de la politique de recherche scientifique et technique initiée en 1958 par l’État (création en 1959 d’une Délégation générale à la recherche scientifique et technique auprès du 1er ministre qui mobilise des moyens), une carte pédologique de France au 1/1 000 000 est éditée en 1963. Elle agrège les travaux conduits depuis trente ans par les spécialistes français du sol (Cornu et al., 2018).
99Puis des pédologues parviennent à convaincre les pouvoirs publics de créer au sein de l’Inra en 1968 le Service d’étude des sols et de la carte pédologique de France (CESCPF), qui vise à une production cartographique pédologique harmonisée au 1/100 000, le programme « Connaissance pédologique de la France » (CPF). Fin 2013, ce programme couvrira 24 % du territoire par 40 feuilles CPF et environ 18 % au 1/50 000 par diverses études locales (Richer de Forges et al., 2014). Mais il restera inachevé.
100Le CESCPF fonctionnera ainsi de 1968 à 1998. La mobilisation de scientifiques au sein du CESCPF permettra d’avancer sur des fronts méthodologiques. Exploitant dès le début des années 1980 le potentiel des systèmes informatiques en plein essor, ils développeront les outils et concepts qui seront déployés pour la capitalisation des données (fiches de description standardisées Stipa, outil et base de données d’archivage des observations Donesol en 1990, structuration des données spatiales et sémantiques en SIG, etc.), toujours utilisés actuellement.
101Les besoins de connaissance des sols à finalités agronomiques sont dans cette période plutôt couverts par des cartes locales de caractéristiques des sols à grande échelle et parfois par des typologies régionales de sol.
La carte des sols de l’Aisne, un modèle de cartographie des sols à vocation agronomique
102La cartographie des sols de l’Aisne est lancée en 1957 à l’initiative de Jean Hébert, directeur de la station agronomique départementale, et avec l’engagement de la chambre d’agriculture. Elle est réalisée de 1958 à 1979 par une équipe permanente de 20 personnes sur des minutes au 1/5 000, pour une édition imprimée en 64 feuilles au 1/25 000. La carte se distingue des cartes pédologiques par son choix de représenter les propriétés physiques des sols plutôt que « le type génétique d’évolution pédologique, qui n’a qu’un intérêt réduit pour l’utilisation agronomique alors que l’utilisation du sol doit tenir compte des conditions physiques et s’y adapter » (Sommé, 1967). Elle se rapproche ainsi des recommandations de la FAO pour la cartographie des sols (Marc Benoît, témoignage personnel). Du fait des moyens considérables à réunir, mais peut-être aussi de la difficulté à lire et à transposer cette information en conseil agronomique avant la disponibilité des outils SIG qui apparaîtront dans les années 1990, cette expérience restera isolée, à l’exception des départements de la région Centre et de la Vienne, qui s’engagent dans une cartographie comparable au 1/50 000 au début des années 1980 (Moulin et Eimberck, 2011). La carte des sols de l’Aisne sera informatisée entre 1994 et 1998, facilitant de nombreux usages, dont l’établissement de plans d’épandage pour les boues et les effluents d’élevage.
1982-1992 : l’identification des limites des aménagements fonciers et d’un besoin de références agronomiques sur les sols
103C’est au cours de cette période que la modernisation productiviste qui prévalait jusque-là commence à être revue au regard de l’environnement économique européen et international, tandis que les préoccupations environnementales s’inscrivent progressivement à l’agenda politique. Les pouvoirs publics commencent alors à prendre en considération la régulation des aménagements fonciers et leur intégration territoriale. Ainsi, le projet de loi de finance 1989 évoque des « contraintes résultant des limitations de la production en volume et des capacités des marchés solvables », et signale même pour la première fois que « les aménagements fonciers, l’hydraulique agricole et la maîtrise des sols revêtent une importance particulière, que renforce la nécessité de lutter contre la dégradation, l’érosion des sols, ainsi que la pollution des eaux par les nitrates » (Andlauer, 1990). Par ailleurs, pédologues et agronomes collaborent plus intensément sur des objets communs, secteurs de références et typologies.
Coup de frein sur le drainage
104L’interrogation porte sur la capacité des exploitations agricoles à rentabiliser l’investissement lourd du drainage qui constituait le postulat des années 1970 (BIMA n° 1124, nov. 1985, Andlauer, 1990). Dans un contexte de surproduction et dans un souci de rationalisation de l’efficacité économique de ses aides, l’État réduit ainsi son soutien au drainage en deux étapes. Dès 1979, il plafonne le taux de l’aide au drainage à la parcelle à 10 % au lieu de 30 %, avant de la supprimer à partir de 1984. L’achat de machines de drainage n’est plus aidé ni même les ouvrages collectifs, sauf s’ils présentent un « intérêt régional ». L’aide de l’État se concentre sur les études préalables aux travaux ; seules exceptions : les zones de montagne, et les 70 secteurs de référence que l’État a implantés en collaboration avec l’ONIC, et dont l’objectif est de permettre « aux agriculteurs candidats au drainage de bénéficier d’un transfert de connaissances, de références et de technologies, du secteur de référence à leurs parcelles » (Andlauer, 1990) (encadré 9.2). Par contre, régions et départements peuvent continuer à aider les travaux. Néanmoins, le rythme de drainage reste élevé jusqu’en 1990 (115 000 hectares cette année-là), mais chute à 36 000 hectares en 1993. La baisse du rythme des travaux, dont seulement les deux tiers bénéficient de subventions au début des années 1990, relève à la fois d’une succession d’années sèches et des incertitudes qui ont précédé la profonde réforme de la PAC de 1992 (Frejefond et al., 1996).
Encadré 9.2. Les secteurs de référence : une méthode d’identification des sols comme support aux références agronomiques Le concept de « secteurs de référence » a été proposé en 1977 pour soutenir les choix techniques et de dimensionnement des solutions de drainage des terres humides, s’inscrivant ainsi dans les préoccupations productivistes classiques qui portent le développement très rapide du drainage. Ces études finalisées cartographient à haute résolution (1/10 000) les sols d’une petite zone de 200 à 3 000 hectares considérée représentative d’un territoire. Elles ont l’avantage de rapprocher pédologues et agronomes autour de l’objet sol, en envisageant en complément des enquêtes pour définir des recommandations pour l’après-drainage concernant les aptitudes culturales, la fertilisation, les amendements, le travail du sol. Cette méthode sera recommandée à partir de 1980 par le groupe de travail drainage du ministère de l’Agriculture, et sera déployée sur 109 secteurs entre 1980 et 2013, couvrant des besoins locaux de référence en drainage pour 70 secteurs (Andlauer, 1990), puis dans un second temps des thématiques élargies à l’irrigation, à l’aptitude des sols à l’épandage, au travail du sol et à l’agriculture de précision (Lagacherie et Laroche, 2013). |
Les Cartes départementales des terres agricoles, une tentative pour les protéger
105Dans les années 1970 commence à apparaître la nécessité d’une protection des espaces agricoles face à l’urbanisation et à l’aménagement, pour leurs valeurs à la fois productive, économique et sociale (le maintien des exploitants agricoles). Cette préoccupation conduit au lancement en 1980 d’un programme de Cartes départementales des terres agricoles (CDTA) au 1/50 000 (loi d’orientation agricole du 4 juillet 1980), première tentative d’élaboration d’un outil pour la protection des terres agricoles, utilisable pour la gestion et la programmation des améliorations foncières. Ce programme conçu nationalement sera rapidement arrêté du fait de son coût et de la sous-utilisation de ses produits. Par conception, les CDTA croisent deux types d’informations, pédologique d’une part, agroéconomique d’autre part. La première ne sera pas correctement capitalisée et sera parfois perdue, tandis que globalement les CDTA seront sous-utilisées dans les Directions départementales de l’agriculture (DDA) qui auraient dû exploiter cet investissement consenti par leur administration centrale. Au total, 85 feuilles seront éditées dans le cadre de ce programme, couvrant 4,3 millions d’hectares (Richer de Forges et al., 2014), sans que les acteurs auxquels elles étaient destinées se les approprient, et sans que les levés pédologiques complémentaires qu’elles ont suscités soient correctement archivés. En particulier, il n’y a pas de tentative de mobilisation de cette information dans le cadre des procédures de remembrement qui se poursuivent par ailleurs.
Le sol dans le programme de Relance agronomique
106Pour répondre aux inquiétudes relatives à la dégradation des conditions économiques qui apparaissent au cours des années 1970 (le « ciseau des prix ») et aux interrogations sur le modèle de développement moderniste et uniformisant qui montre ses limites, le ministère de l’Agriculture et l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) engagent un plan de Relance agronomique en s’appuyant sur un cercle d’agronomes issus de l’enseignement supérieur et de la recherche (Boiffin et al., 2013b). Le plan est construit autour de trois axes : la formation en agronomie des agents de développement, des programmes agronomiques régionaux d’acquisition de références et un volet relatif aux analyses de terre et à la fertilisation raisonnée. « Au niveau technique, cela impliquait de mieux prendre en compte la diversité des conditions de milieu, des systèmes de culture et des exploitations agricoles, pour élaborer des conseils et références adaptés à chaque situation » (Manichon, in Boiffin et al., 2013b). Concernant la connaissance des milieux, les programmes agronomiques régionaux ont fréquemment permis de combler des lacunes dans la connaissance et l’identification des sols en produisant des typologies régionales de sol tournées vers la production de références agronomiques dans les années 1980 et 1990 : Normandie (Amiet et al., 1988), Pays de Loire (Lenfant, 1989), Nord (Schvartz et al., 1988), Alsace (Party et Koller, 1995), etc. Par ailleurs, le programme de promotion des analyses de terre renforçait indirectement une politique de vulgarisation de la fertilisation et des amendements.
1993-2002 : l’ébauche d’un programme national de connaissance des sols de France
107En cohérence avec les nouveaux enjeux reconnus pour la préservation de l’environnement, l’eau en particulier, cette période est marquée par le recul du soutien inconditionnel aux aménagements fonciers agricoles et par leur encadrement progressif. L’enjeu de connaissance des sols continue d’être porté surtout par une communauté scientifique plus attentive à l’agronomie et aux questions environnementales.
Les zones humides protégées par le Code de l’environnement
108La loi sur l’eau du 3 janvier 1992 dispose que « l’eau fait partie du patrimoine commun de la Nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général ». À ce titre, elle prévoit en particulier la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides, dont elle pose la définition. Cette reconnaissance de l’importance des zones humides ressort d’une prise de conscience internationale débutée au début des années 1960, actée par la Convention internationale de Ramsar en 1971 qui a été ratifiée par la France en 1986.
109À partir de 1993, la loi sur l’eau va soumettre les projets de drainage à une procédure de déclaration, voire d’autorisation s’ils dépassent 20 hectares, procédure intégrant désormais la préservation des zones humides. Ainsi, en un peu plus de quinze années, l’État sera passé d’une politique très forte de soutien financier au drainage à une politique de régulation environnementale. Les chantiers qui avaient commencé de régresser à partir de 1988 vont passer sous la barre des 40 000 hectares en 1992 et diminueront encore à 10 000 hectares annuels en 2000 (Vincent, 2020).
Des procédures pour protéger les terres agricoles de l’urbanisation
110Le souci de protection des terres agricoles contre l’aménagement urbain se confirme : en 1998, le rythme annuel d’artificialisation des terres est estimé à 40 000 hectares, soit l’équivalent d’un département tous les dix ans (King et al., 1999). Ce souci se traduit par des outils inscrits dans les lois d’orientation agricole successives : ce sont les zones agricoles protégées (ZAP) et les périmètres de protection des espaces naturels et agricoles périurbains (PAEN). En cohérence avec la logique de décentralisation, leur mise en œuvre repose sur l’engagement et la mobilisation des acteurs des territoires. Les ZAP sont créées par la loi d’orientation agricole de juillet 1999. C’est un périmètre de protection des terres agricoles contre tout changement d’affectation du sol en milieu périurbain qui altérerait de façon durable son potentiel agronomique, biologique ou économique. Il est actionnable par les communes ou leurs groupements. Les PAEN sont un dispositif institué par la loi relative au développement des territoires ruraux, dite « loi DTR » de 2005, pour permettre de préserver efficacement les espaces agricoles et naturels face à l’augmentation de la pression de l’urbanisation. Il est actionnable par les départements.
Les programmes de connaissance des sols de France réorientés
111À la fin des années 1980, le constat est fait au sein de l’Inra que, d’une part, les moyens affectés au programme Connaissance pédologique de la France (CPF) sont insuffisants pour envisager une couverture totale du territoire à moyen terme ; et que, d’autre part, un inventaire systématique du territoire ne suffit pas à répondre à une demande croissante et de plus en plus diversifiée et spécialisée sur les fonctions agronomiques et environnementales (King et al., 1999). Ceci conduit à donner la priorité à une autre stratégie lancée en 1990, l’établissement de cartes au 1/250 000 appelées Référentiels régionaux pédologiques (RRP), complétées par les « secteurs de référence » thématisés et par des « inventaires » CPF au 1/50 000 ou 1/100 000. Ce sera la trame du programme Inventaire, gestion et conservation des sols (IGCS) mené par l’Inra et le ministère de l’Agriculture. À partir du milieu des années 1990, l’établissement des RRP sera confié contractuellement à des opérateurs régionaux volontaires (chambres d’agriculture, compagnies d’aménagement, associations, établissements d’enseignement supérieur, etc.), détachant ainsi leur réalisation de la limitation des moyens humains mobilisables au sein d’une institution scientifique nationale. Les travaux de connaissance des sols conduits en Alsace illustrent cette organisation décentralisée (encadré 9.3). Mais le déploiement véritable de cette stratégie ne se fera qu’à partir des années 2000.
Encadré 9.3. Des Guides des sols d’Alsace au Référentiel régional pédologique Comme beaucoup de régions françaises, au début des années 1980, l’Alsace ne dispose pas d’une carte exhaustive des sols, même si des cartes thématiques locales existent : carte des sols de la Hardt au 1/25 000 pour l’irrigation (1969), carte des sols du Sundgau pour l’alimentation en eau du projet de canal Rhin-Rhône à grand gabarit (1979). Le centre Inra de Colmar est l’acteur numéro un de la connaissance des sols, et ses experts interviennent sur sollicitation de l’administration ou de collectivités pour des études plus locales. Pas plus les conseillers agricoles des chambres d’agriculture que les DDA ne disposent alors de documents accessibles et mobilisables pour un conseil agronomique reposant sur des caractéristiques de sol identifiées. Dans le cadre du programme régional de Relance agronomique lancé ici en 1984 avec la création de l’Association pour la relance agronomique en Alsace (ARAA), l’Inra propose d’une part de structurer une base de données autour des résultats des analyses de terre collectées, dont une partie est géoréférencée, et d’autre part de mettre à disposition la connaissance experte détenue sous forme de guides locaux descriptifs des sols d’une petite région. Un premier prototype de guide illustrant le concept est élaboré par Hubert Mettauer en 1989, sur le secteur de l’Ochsenfeld. Ces deux projets sont repris et conduits à terme par l’ARAA avec les moyens du programme Relance agronomique et aboutissent respectivement à la base de données Clara (Consultation et lecture des analyses de la région Alsace), et plus tardivement à la publication de la première version du Guide des sols de la plaine Centre-Alsace (Party et Koller, 1995). Ce guide comporte un zonage des sols à l’échelle du 1/100 000, une clé d’identification et des fiches descriptives des sols complétées par des interprétations agronomiques poussées relatives à des questions déjà sensibles dans le contexte régional, comme les besoins en eau des cultures, la fertilisation et le risque de lessivage des nitrates, la circulation de l’eau dans le sol, le risque d’excès d’eau et les besoins en drainage, la sensibilité au ruissellement, le pouvoir épurateur vis-à-vis des épandages de produits organiques, boues de stations d’épuration en particulier. De ce fait, l’accueil de ce premier ouvrage par la région et l’Agence de l’eau Rhin-Meuse est très positif. Ces instances sont en effet engagées dans la protection de la nappe phréatique d’Alsace à travers le soutien aux opérations Ferti-Mieux de prévention des pertes d’azote vers les nappes, et dans la promotion et la régulation des épandages de boues de station d’épuration. Un programme d’ensemble est alors établi avec elles en vue de disposer de ce type d’ouvrage pour chacune des dix petites régions naturelles composant l’espace agricole alsacien hors montagne. Les observations de terrain sont confiées à des prestataires sous le contrôle de l’ARAA selon un cahier des charges qui comporte la saisie des profils observés ou collectés au format Donesol et l’alimentation d’une base de données au format IGCS portée par l’ARAA. La publication de l’ensemble des guides s’étalera de 1999 à 2008, sous maîtrise d’ouvrage de la région Alsace. Ce travail capitalisé facilitera la réalisation du Référentiel régional pédologique, qui sera achevé et labellisé en 2011. Dès lors, l’Alsace dispose de deux bases de données sol harmonisées respectivement au 1/250 000 (2011) et au 1/100 000 hors montagne (2015). Mais, sans attendre la disponibilité de cette couverture exhaustive, l’existence connue d’une base de données des sols d’Alsace en cours de constitution a conduit à de nombreuses sollicitations adressées à l’ARAA pour des travaux d’interprétation sur diverses thématiques pour l’administration : sensibilité des bassins-versants au transfert des phytosanitaires en 2004 (Koller et al., 2005), identification des sols favorables au grand hamster (2005), sensibilité à l’érosion et aux coulées d’eau boueuses (2007), identification des zones potentiellement humides (2010), etc. Ces travaux de commande s’ajoutent aux utilisations internes, comme les cartes de sensibilité au lessivage des nitrates, l’expertise de l’aptitude des terrains aux épandages de boues de stations d’épuration, la cartographie des risques de ruissellement et d’érosion, et récemment l’estimation des capacités de stockage de carbone par les systèmes de culture. Il faut cependant relever que la majorité des questions adressées relèvent d’une thématique environnementale, et que les fonctions de production sont peu questionnées. Ces travaux nécessitent bien sûr le croisement de nombreuses couches de données spatialisées, et cette compétence est une spécificité de l’interprétation des bases de données sol au service des acteurs d’un territoire. |
112À la fin des années 1990, une réflexion est conduite au sein de la direction scientifique Environnement, forêt et agronomie de l’Inra sur l’ensemble des enjeux anciens et émergents relatifs aux sols et sur l’état de leur prise en compte (Boiffin et Stengel, 2000). Sur le mode de l’auto-saisine, le constat produit souligne le retard pris dans l’inventaire des sols de France et identifie les enjeux nouveaux (érosion, acidification, pollutions, protection des ressources naturelles, etc.) qui devront mobiliser une connaissance renouvelée des sols du territoire national « pour répondre aux besoins de l’agriculture et de la décision publique ». Il pointe aussi la faiblesse d’une surveillance patrimoniale nécessaire pour anticiper d’éventuelles dégradations des fonctions des sols. Il identifie enfin les connaissances et compétences qui seront nécessaires à l’exploitation des données par une ingénierie agro-environnementale. Cet argumentaire, intitulé « Réapprendre le sol : nouvel enjeu pour l’agriculture et l’espace rural », trouvera un écho favorable d’abord au sein de l’institution et auprès du ministère de l’Environnement, puis de celui de l’Agriculture. Il inspirera un renouvellement et une amplification de l’effort public de connaissance des sols dès le début de la période suivante.
2003-2020 : le sol reconnu pourvoyeur de services écosystémiques
113Durant cette période, la question de l’aménagement ou de l’amélioration foncière des terres agricoles n’est clairement plus un projet public majeur au sens des politiques agricoles, sauf leur protection contre l’urbanisation. Mais d’autres questionnements apparaissent autour des services écosystémiques portés par les sols et de leur protection, liés à la fois à des interrogations professionnelles et à de nouvelles demandes sociétales plus multifonctionnelles adressées aux territoires agricoles. Cependant, la prise de conscience de l’importance de ces services par les autorités publiques est lente du fait de la complexité du sujet, et sa prise en charge par les politiques publiques est encore très incomplète et peu lisible.
114Plus récemment, les exigences d’atténuation du changement climatique et la nécessaire adaptation de l’agriculture à celui-ci sont reconnues comme des enjeux majeurs et conduisent les pouvoirs publics à s’intéresser de nouveau à la gestion des sols, en relation avec la demande en irrigation et en drainage.
L’émergence d’une nouvelle perception du sol, milieu vivant et pourvoyeur de services
115À partir des années 1990, une nouvelle perception et compréhension du sol apparaît et se diffuse en France par plusieurs voies.
116S’inspirant de pratiques visitées sur les deux continents américains aux États-Unis et au Brésil, des agriculteurs et des techniciens pionniers se sont intéressés au non-labour et au semis sous couvert. Ils s’organisent en associations qui sont l’expression d’un mouvement en décalage de la recherche et de l’appareil de développement institutionnel. Apparaissent ainsi le Festival non labour et semis direct (1998), l’Association pour la promotion d’une agriculture durable (APAD, 1998), l’association Biodiversité, agriculture, sol et environnement (BASE, 2000), la revue Techniques culturales simplifiées (2000), etc., toujours actives en 2020. Ces pionniers organisés en réseaux expérimentent le non-labour, les couverts végétaux, et se forgent la conviction de travailler avec et pour un sol vivant en intégrant souvent des exigences environnementales.
117À partir des années 2000, des scientifiques qui ont développé des travaux sur le fonctionnement de l’écosystème sol contribuent à renouveler la vision des agronomes sur cet objet. Ils en assurent la diffusion à l’occasion d’interventions et de formations comme l’École thématique biodiversité et écologie du sol, dont la première session se tient en 2008, et accompagnent parfois les groupes d’agriculteurs innovants. Ensemble, ils tentent de définir des indicateurs de fertilité biologique des sols agricoles, comme dans le programme AgrInnov (Cannavacciulo et al., 2017).
118De leur côté, les écologues définissent le concept de service écosystémique, qui sera mis en avant par le Millennium Ecosystem Assessment (Reid et al., 2005). Le sol est perçu comme une composante des écosystèmes et ses différentes fonctions et services clairement identifiés au-delà de la seule production agricole et forestière : transformation des matières organiques, filtration, épuration, régulation des événements extrêmes dans le cadre du cycle de l’eau, régulation des gaz à effet de serre, patrimoine et ressource génétique, auto-entretien, etc. Dans cette logique, le ministère en charge de l’Écologie initie en 1998 le programme de recherche Gessol (Fonctions environnementales et gestion du patrimoine sol) qui se déploiera jusqu’en 2015.
La difficulté d’engager une politique de protection et de gestion durable des sols
119L’objet sol et les enjeux qui s’y rattachent s’inscrivent même dans l’agenda politique européen. Après des travaux préparatoires achevés en 2004 (Van-Camp et al., 2004), la Commission européenne présente en 2006 une communication intitulée « Stratégie thématique en faveur de la protection des sols ». Elle identifie un certain nombre de menaces : érosion, diminution de la teneur en matières organiques, contamination locale et diffuse, imperméabilisation, tassement, diminution de la biodiversité, salinisation, inondations et glissements de terrain, qui peuvent affecter les services attendus des sols (Commission européenne, 2006). À sa suite, un projet de directive sera adopté par le Parlement européen en 2007 avant d’être longuement négocié entre les États puis retiré en mai 2014, Allemagne et France en particulier y étant opposées. Les arguments avancés pour ce retrait sont que les sols sont déjà pris en compte dans de nombreuses réglementations européennes et nationales. Mais il apparaît également que la mise en opposition des pratiques agricoles avec la conservation de la biodiversité du sol a été un motif fort de rejet de la part de la profession agricole en France (Fournil et al., 2018).
120Néanmoins, le sol devient un objet visible dans l’agenda politique, et il suscite depuis 2014 de nombreux travaux au sein de différentes instances publiques ou professionnelles nationales, qui interrogent la mise en place de politiques de gestion durable et de protection des sols : Conseil scientifique du patrimoine naturel et de la biodiversité (2014), Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux et Conseil général de l’environnement et du développement durable (Bellec et al., 2015), Conseil économique, social et environnemental (Courtoux et Claveirole, 2015), Agrosolutions (2016), Académie d’agriculture (2018). Fin 2019, la 2e chambre de la Cour des comptes elle-même entreprend de préparer une note de cadrage sur la problématique des sols. Sur le plan européen également, le sujet est repris dans le cadre de la Stratégie en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, dont l’une des ambitions est de contrôler l’artificialisation des sols et de restaurer les écosystèmes des sols, et qui devrait conduire à une actualisation de la Stratégie thématique pour la protection des sols dès 2021 (Commission européenne, 2020). Un Observatoire européen des sols a été ainsi lancé en décembre 2020 pour vérifier l’atteinte de l’objectif de « 75 % de sols sains et en mesure de fournir des services écosystémiques essentiels en 2030 ».
121Cette prise de conscience se traduit aussi par le lancement en juin 2014 d’un plan de transition agroécologique par le ministère de l’Agriculture. Il est fondé sur le concept d’agriculture écologiquement intensive. Il avance que le maintien de la biodiversité des sols et de ses fonctions écologiques est une ressource et une opportunité pour les agriculteurs, devenant ainsi un projet plus acceptable pour la profession que celui de la directive européenne sur les sols (Fournil et al., 2018). Puis en 2015, à l’occasion de la COP21, intervient le lancement de « l’initiative 4 pour 1 000 : les sols pour la sécurité alimentaire et le climat », largement promue par les organismes de recherche. Elle vise à fédérer les acteurs volontaires publics et privés pour lancer des actions concrètes sur le stockage du carbone dans les sols et les pratiques pour y parvenir. Dans les deux programmes, les services liés aux sols sont clairement identifiés comme des enjeux, et la recherche se trouve mobilisée et stimulée par les pouvoirs publics aux côtés du développement. L’évaluation des actions réellement abouties dans ces deux programmes ambitieux et de moyen terme reste cependant à conduire. Par ailleurs, ces initiatives concernent les sols agricoles et forestiers principalement dans leurs fonctions productives et en réponse à des modes de gestion, tandis que la préservation des sols en tant que milieu spécifique soumis à des pressions et risques divers reste éparpillée entre différentes réglementations sectorielles et continue de manquer de lisibilité. En particulier, le rôle central des sols dans la stratégie globale de protection de la biodiversité reste à approfondir.
Vers la première carte complète des sols de France au 1/250 000
122Pour accélérer la mise en œuvre du programme IGCS lancé en 1990, un groupement d’intérêt scientifique Sol (GIS Sol) est créé en 2001 entre les acteurs de politiques publiques concernés par les sols « pour constituer et gérer un système d’information sur les sols de France et répondre aux demandes des pouvoirs publics et de la société au niveau local et national » (Arrouays et al., 2004). Les membres en sont les ministères de l’Agriculture et de l’Environnement, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et des institutions de recherche finalisée : Institut national de la recherche agronomique (Inra), Institut de recherche pour le développement (IRD), rejoints plus tard par l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) et l’Agence française pour la biodiversité (AFB). La mise en œuvre de ce programme est confiée la même année à une unité Inra dédiée, dite « unité de service », InfoSol. En parallèle de la réalisation des RRP, le GIS Sol entreprend de déployer un outil de surveillance des sols à long terme, le Réseau de mesures de la qualité des sols (RMQS) (Arrouays et al., 2021). Il reprend ainsi des éléments proposés dans l’analyse de Boiffin et Stengel en 2000.
123En pratique, et dans une logique de décentralisation visant à mobiliser des acteurs et des moyens régionaux, l’unité InfoSol collabore avec un réseau de maîtres d’ouvrage régionaux (chambres d’agriculture, associations, écoles supérieures d’enseignement agricole, compagnie d’aménagement) auxquels il apporte un soutien méthodologique. Ces maîtres d’ouvrage régionaux assurent des valorisations thématiques adaptées à des enjeux locaux, garantissant l’intérêt et l’usage de l’information produite ainsi qu’un relais de lobbying capable de mobiliser les crédits régionaux indispensables pour compléter les moyens limités accordés par l’État.
124Toutefois, même si le dispositif est remarquablement stable depuis l’origine d’IGCS, l’achèvement de la couverture de la France en Référentiels régionaux pédologiques au 1/250 000 est tributaire de l’émergence de ces maîtres d’ouvrage régionaux et du soutien que ceux-ci trouvent sur leur territoire en complément des moyens comptés du GIS Sol. Ainsi, en 2020, au terme de trois décennies, la couverture RRP est disponible pour plus de 90 % du territoire métropolitain, mais ne sera achevée qu’après cette date pour les dernières régions. Et ceci malgré une demande forte de l’État qui doit faire reposer la nouvelle délimitation des « zones défavorisées simples » éligibles à la PAC sur une série de critères sols spatialisés selon une exigence européenne. L’identification des sols de France par les RRP est toutefois suffisamment avancée pour constituer depuis mars 2020 une des couches d’information proposée par le Géoportail. Le RMQS aboutit de son côté dès 2011 à une première Synthèse sur l’état des sols de France (GIS Sol, 2011).
L’implication des agronomes pour une valorisation de la connaissance des sols de France
125Suite à l’extension de la couverture territoriale par les RRP, les agronomes engagés dans le réseau des maîtres d’ouvrage régionaux, particulièrement ceux des nombreuses chambres d’agriculture proches des préoccupations des professionnels agricoles, s’interrogent sur la valorisation des inventaires de sol ainsi constitués. Dès 2011, ils se posent la question de la façon dont les données « sol » capitalisées dans des bases de données d’accès complexe peuvent être mobilisées dans le cadre du conseil agronomique, particulièrement dans les nombreux outils d’aide à la décision et d’évaluation agro-environnementale qui sont proposés aux agriculteurs depuis le début des années 2000. Ceux-ci requièrent en effet une identification des caractéristiques fonctionnelles de sol au niveau parcellaire, comme la texture ou l’estimation du réservoir utile. Regroupés depuis 2011 au sein d’un réseau mixte technologique, le RMT Sols et territoires, ces agronomes associés à des pédologues conçoivent ainsi un produit dérivé des RRP qui valorise les informations de caractérisation agronomique des sols sous une forme adaptée au conseil agronomique en grande culture, les typologies de sol TypTerres, ainsi que la méthode d’élaboration de ces typologies (Laroche et al., 2020). Ce RMT explore aussi la question de l’intégration de la connaissance des sols dans les différents outils et procédures d’aménagement, comme dans le récent projet MUSE (Marseille et al., 2019) : il s’agit de proposer aux collectivités territoriales des outils leur permettant de prendre en compte la multifonctionnalité des sols dans la gestion de leur territoire.
Irrigation, drainage, sols et changement climatique
126Parmi les aménagements fonciers, seule l’irrigation a poursuivi son développement jusqu’au début des années 2000, atteignant un maximum d’extension à 2,7 millions d’hectares irrigables, soit près de 10 % de la SAU. Les surfaces irriguées se situent alors entre 1,6 et 1,9 million d’hectares selon les années, fonction de l’irrigation conjoncturelle des céréales à paille. Les surfaces en maïs grain et semence représentent alors près de la moitié des surfaces irriguées. En 2010, on constate une diminution des surfaces irrigables à 2,3 millions d’hectares et une stabilité des surfaces irriguées, mais avec un recul de 17 % des surfaces de maïs irriguées (Lerbourg, 2012 ; Lacroix et Bergez, 2012). C’est le résultat des effets combinés de divers éléments de politiques publiques : d’abord l’introduction d’une réforme des autorisations de prélèvement sur certains territoires régulièrement concernés par des déficits en eau liés à l’activité agricole, avec une régulation plus forte de ceux-ci (création des Organismes uniques de gestion collective de l’eau, OUGC, par la loi sur l’eau de 2006), puis le découplage des aides de la PAC spécifiques aux cultures irriguées en 2012. Ces évolutions conduisent les agronomes à renforcer des coopérations entre recherche et instituts techniques avec la création de l’unité mixte technologique Eau par Arvalis-Institut du végétal, l’Inra et le Cetiom en 2006. Il s’agit de questionner les assolements et proposer leur optimisation avec l’aide d’outils de simulation techniques et économiques à l’échelle de l’exploitation agricole (outil LORA d’Arvalis en 2010) puis à l’échelle du territoire pour répondre aux besoins créés par les OUGC (plateforme Maelia à partir de 2009).
127Au-delà de ces évolutions, depuis 2015, la prise de conscience des enjeux posés par le changement climatique interroge la doctrine publique concernant l’irrigation, entre soutien de la production et préservation des milieux aquatiques : les ministères en charge de l’Agriculture et de l’Environnement questionnent leurs experts sur ces sujets (Colas-Belcour et al., 2015 ; Ayphassorho et al., 2020). Le plus récent de ces deux rapports émet des recommandations qui dépassent largement les seules préoccupations de renforcement durable de la ressource en eau pour l’irrigation et préconise un changement de modèle agricole, plus économe en eau et protecteur des sols. En particulier, il préconise de « faire des sols le socle de la stratégie de l’adaptation de l’agriculture au changement climatique » en développant une politique nationale ambitieuse en faveur des sols, première infrastructure naturelle de stockage de l’eau, qui placerait les sols « sous la sauvegarde de la nation », avec des actions publiques en faveur de l’agriculture de conservation, de la séquestration du carbone et de la prise en compte des sols dans l’aménagement des territoires.
128Concernant le drainage, ce même rapport souligne son importance pour la production des cultures d’hiver dans un contexte d’augmentation prévue des pluies hivernales. Pourtant, durant cette période, les travaux de drainage se sont considérablement ralentis, au rythme de 6 000 ha/an entre 2000 et 2010 (ONB, 2019). Car, comme tous les aménagements fonciers agricoles ou non, depuis la loi sur l’eau de 1992, les travaux de drainage sont confrontés à la nécessité de préserver les zones humides. L’identification de celles-ci va être précisée par un arrêté ministériel du 24 juin 2006, qui indique clairement qu’elle repose sur des critères de végétation et de sol. Pour la première fois, une caractéristique précise du sol (ici son degré d’hydromorphie) est mobilisée dans un texte réglementaire. La nouveauté de cette procédure normée va nécessiter des clarifications et amener des agronomes à produire des documents d’appui technique pour sa mise en œuvre : Guide d’identification et de délimitation des sols des zones humides (Schnebelen et Laroche, 2013), Guide à l’usage des conseillers (Dury et Di Franco, 2017). En complément, comme il y a peu de techniciens expérimentés opérationnels, des demandes de formation vont être formulées de la part des agents des agences de l’eau, de l’Onema, des entreprises de drainage, etc., auprès des quelques pédologues ou agronomes qui maîtrisent cette identification.
129En l’absence de données statistiques totalement fiables, il semble néanmoins que le rythme des travaux de drainage atteigne en fin de période les 20 000 ha/an pour un total de 3 millions d’hectares drainés, et l’organisation en octobre 2018 du premier colloque national consacré au drainage depuis trente ans est le signe d’un regain d’intérêt pour ce type d’aménagement foncier, qui doit cependant faire la preuve de son intérêt comme outil de gestion durable de l’eau (Vincent, 2020).
Sols et aménagements dans les politiques publiques
130Cette histoire est marquée par un engagement très fort de l’État à partir de 1945 en faveur d’une politique de développement rapide des aménagements fonciers, jusqu’au milieu des années 1980 : le remembrement, le drainage et l’irrigation sont l’objet de politiques fortes de soutien et d’investissements. Elles traduisent en actes le projet de modernisation globale de la production agricole et de son intensification, avant qu’une régulation environnementale des procédures d’aménagement apparaisse dans les années 1990 et freine cette dynamique. Les connaissances agronomiques sont à l’origine mobilisées en simple accompagnement du projet, pour la valorisation des investissements consentis. Dans un second temps, les agronomes s’investiront pour analyser et comprendre les dysfonctions de cette modernisation : l’érosion, la mauvaise valorisation des terres drainées, etc.
131En comparaison, la connaissance des sols sur lesquels s’exercent ces aménagements n’a jamais fait l’objet d’une politique nationale forte. Elle a d’abord été portée majoritairement par des pédologues restituant leurs connaissances dans le mode de la pédologie génétique jusque dans les années 1980, avant que des agronomes prennent progressivement le relais, utilisateurs des outils cartographiques et soutenus par quelques relais scientifiques institutionnels. Aujourd’hui encore, au moment où les préoccupations environnementales se sont installées dans la durée, et où des outils de compréhension, d’analyse et de gestion des processus concernés se construisent et nécessitent une bonne connaissance spatialisée des sols (qu’il s’agisse d’outils d’aide à la décision pour l’optimisation de la mise en œuvre des techniques agricoles ou d’outils d’analyse territoriale à portée stratégique), cette connaissance reste inachevée et souvent sous-exploitée quand elle existe.
132De la même façon, il est difficile d’établir des bilans nationaux ou locaux des aménagements et de leurs conséquences sur l’utilisation des terres. Tout comme la connaissance précise des surfaces drainées ou irriguées, celle de l’utilisation réelle des terres reste encore mal renseignée ou difficile d’accès. Les données statistiques sont lacunaires et peu d’informations sont accessibles par le Géoportail.
133Pour connaître et objectiver la régression des terres agricoles, un Observatoire national de consommation des espaces agricoles est installé en 2010 (loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010). Son champ est élargi en 2013 en Observatoire national des espaces naturels, agricoles et forestiers (loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014). L’observatoire national est relayé par des commissions départementales de la consommation des espaces agricoles dont les avis peuvent être contraignants. Mais la réflexion sur la représentation de la valeur des espaces agricoles reste complexe (les CDTA ont constitué une tentative non aboutie) et les agronomes sont peu sollicités pour l’aborder. Ils ne s’en emparent que récemment, pour construire une vision renouvelée des territoires et des services écosystémiques dont ils sont porteurs, grâce aux capacités combinées de modèles et de systèmes d’information géographique faciles d’usage qui ont intégré la boîte à outil des agronomes.
134Alors que la conscience de la fragilité et de l’importance des sols augmente dans la communauté scientifique, depuis les années 2000, pour les nombreux services écosystémiques qu’ils portent au-delà du seul service de production, l’objet sol reste ainsi bien souvent considéré par les politiques publiques plus comme une surface que comme un milieu ou un « bien commun ». Les réticences sont fortes à une évolution de cette perception, du fait de son invisibilité en qualité de milieu d’une part, de son statut de bien privé d’autre part. Ainsi à ce jour, dans des territoires où la demande foncière est forte et devant la multiplicité des acteurs et le poids des enjeux économiques, les politiques publiques se limitent à la mise à disposition d’outils de constat et d’action volontaire dans l’espoir d’une régulation locale de l’artificialisation des terres.
135Pour les agronomes, profitant de la prise de conscience actuelle des enjeux liés au bon état des sols tant en France qu’en Europe, il s’agit aujourd’hui de continuer à expliciter les besoins en connaissances opérationnelles et spatialisées des sols. Celles-ci doivent permettre de contribuer à une évaluation de leurs potentialités dans tous les services attendus (production, stockage de carbone, filtration de l’eau, etc.) et aider à établir des relations constructives entre les différents acteurs concernés.
136La question de la « métrique » (les systèmes de mesure, indicateurs et dispositifs de monitoring) qui permettra de qualifier les sols d’un territoire de façon consensuelle vis-à-vis des différents services est un des enjeux de cette requalification : à côté de jeux complets d’indicateurs comme ceux proposés par l’Ademe (Calvaruso et al., 2019), le carbone organique du sol est parfois proposé comme indicateur générique de la multifonctionnalité (Fournil et al., 2018), et le réservoir utile en eau comme indicateur de la valeur agronomique (Laroche et al., 2006).
137La modélisation spatialisée à toutes les échelles de ces indicateurs et de leurs évolutions en réponse aux systèmes de culture d’une part, la capacité à la mettre en œuvre de façon opérationnelle et interactive auprès des acteurs des territoires d’autre part, sont deux autres enjeux. Les agronomes prenant en charge la problématique de l’érosion, pour laquelle la distribution spatiale et l’emboîtement aux différentes échelles des processus impliqués sont décisifs, ont été pionniers dans ce domaine. Dès le début des années 2000, ils élaborent des modèles et en conçoivent leur utilisation en interaction avec les acteurs locaux, dans une logique de modélisation d’accompagnement (Cerdan et al., 2002 ; Barreteau et al., 2010 ; Souchère et al., 2010). L’agronomie et les agronomes doivent s’inscrire dans cette orientation pour contribuer à des politiques publiques efficaces aux différentes échelles des territoires.
La protection des plantes et l’usage des produits phytosanitaires
138Les politiques publiques concernant la protection des plantes se déclinent vis-à-vis de différents enjeux concernant l’agriculture et souvent les agronomes. Nous pouvons distinguer les principaux enjeux dont les empilements temporels, très généralement cumulatifs, créent progressivement une complexification croissante des attentes à l’égard des agricultures, et par conséquent des métiers des agronomes. Les principaux enjeux liés à l’usage des produits phytosanitaires recoupent de nombreuses politiques publiques :
le rendement des cultures par la protection contre les ravageurs et parasites ;
la pollution de l’environnement et des ressources naturelles ;
la contamination de l’alimentation ;
la santé des travailleurs agricoles et de la population impactée ;
la préservation de la biodiversité et des régulations biologiques.
139L’histoire de la protection des plantes est plus que séculaire. Avant la Première Guerre mondiale, seules des molécules de formes métalliques étaient utilisées, puis l’histoire de la chimie organique croise celle de la protection des plantes, avec une création et un usage toujours accrus de nouvelles molécules (tableau 9.1).
Tableau 9.1. Historique des principales familles de produits utilisés en protection des plantes (source : Sénat, in Bajard, 2016).
Herbicides | Fongicides | Insecticides | ||||||||||||||||||
Avant 1900 | Sulfate de cuivre, sulfate de fer | ↓ | Soufre, sels de cuivre | ↓ | Nicotine | ↓ | ||||||||||||||
1900-1920 | Acide sulfurique | ↓ | Sels d’arsenic | ↓ | ||||||||||||||||
1920-1940 | Colorants nitrés | ↓ | ||||||||||||||||||
1940-1950 | Phytohormones | ↓ | Organochlorés, organophosphorés | ↓ | ||||||||||||||||
1950-1960 | Triazines, urées substituées, carbamates | ↓ | Dithiocarbamates, phtalimides | ↓ | Carbamates | ↓ | ||||||||||||||
1960-1970 | Bypiridyles, toluidines | ↓ | Benzimidazoles | ↓ | ||||||||||||||||
1970-1980 | Amino-phosphonates, proprionates | ↓ | Triazoles, dicarboximides, amides, phosphites, morpholines | ↓ | Pyréthrinoïdes, benzoylurées (régulateurs de croissance) | ↓ | ||||||||||||||
1980-1990 | Sulfonylurées | ↓ | ||||||||||||||||||
1990-2000 | Phénylpyroles, strobilurines | Néonicotinoïdes |
Avant 1940 : un usage peu réglementé, au service d’une protection des plantes limitée
140Dès la fin du xixe siècle, les sels de cuivre sont massivement utilisés contre les attaques fongiques, et continuent de l’être actuellement sur des productions spécifiques : vignoble et cultures horticoles. Puis, au début du xxe siècle, d’autres sels métalliques s’ajoutent : sels de mercure, puis les arséniates se développent, arsénite de cuivre et arséniate de plomb en particulier.
141Le perfectionnement des gaz de combat lors du premier conflit mondial et le développement de la chimie organique à partir des années 1930 permettent l’apparition d’un grand nombre de pesticides organiques de synthèse (Lejeune, 2013). Les propriétés insecticides du DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane) sont mises en évidence en 1939. Il sera le premier représentant commercialisé de la famille des organochlorés, qui domineront le marché des insecticides jusqu’aux années 1970 (Bajard, 2016).
1945-1959 : un usage de pionniers en utilisant les molécules issues de l’effort de guerre
142Le DDT, puissant insecticide utilisé pour la première fois à des fins agricoles après la Seconde Guerre mondiale, est mis en cause dans deux ouvrages qui feront date : Silent Spring de Rachel Carson (1962), et Avant que nature meure de Jean Dorst (1965). Le premier provoqua une profonde prise de conscience des problèmes liés aux pesticides et à la pollution de l’environnement ; il fallut attendre dix ans et de nombreux travaux de recherche pour aboutir à l’interdiction du DDT aux États-Unis en 1972. Le second est le premier ouvrage en français à lier explicitement les activités humaines et leurs impacts sur la nature. Ainsi, Jean Dorst affirme : « Même si l’homme décide de suivre aveuglément les bergers modernes, il a le devoir de prendre une assurance et de ne pas rompre tous les liens avec le milieu dans lequel il est né. Il faut chasser de notre esprit les concepts selon lesquels la seule manière de tirer profit de la surface du globe est une transformation complète des habitats et le remplacement des espèces sauvages par quelques végétaux et animaux domestiques. La conservation de la nature sauvage doit être défendue par d’autres arguments que la raison et notre intérêt immédiat. »
143Donc, dès les années 1960, les écologues étudiaient les conséquences des molécules sur les écosystèmes, et les agronomes n’étaient alors pas présents dans la scène d’argumentations sur ce sujet.
144La position des agronomes est plus classique et vise à insérer ces nouvelles innovations dans les techniques permettant de moderniser le pays. À la suite des nombreux voyages organisés aux États-Unis, René Dumont s’insère dans cette politique nationale de « rattrapage de notre retard de développement ». L’enjeu est progressivement d’adopter les systèmes de culture pratiqués outre-Atlantique via deux pratiques de développement principales en agronomie : la visite agronomique in situ aux États-Unis avec rédaction des comptes rendus de missions, les essais mis en place chez quelques agriculteurs souvent proches du mouvement des CETA initié en février 1944 par Bernard Poulain. Ainsi, la prise en charge de l’usage accru des produits phytosanitaires, sujet fréquent dans les CETA, a été à l’origine de nombreuses activités d’agronomes au sein des CETA : fiches techniques, essais au champ, tours de plaine.
1960-1981 : expansion de l’usage en grandes cultures
145Dans la suite de cet effort de modernisation agricole de post-guerre, un usage va bouleverser les modes de culture et les raisonnements de la culture des céréales d’hiver : les hormones de croissance qui permettent de raccourcir la tige des céréales. Cette modification a deux conséquences majeures dans la conduite technique des céréales : permettre des densités de semis plus fortes et l’augmentation des fertilisations azotées. En effet, ces molécules agissent sur la longueur de la tige des céréales, qui, plus courte, supporte ces deux modifications sans craindre la verse qui obérait notablement la production de grains. Leur approbation par les politiques publiques d’autorisation de mise sur le marché (AMM) permit ainsi une intensification des itinéraires techniques de céréales pendant les quatre dernières décennies.
146Leur insertion dans les systèmes de culture fut l’objet d’un énorme travail agronomique d’essais en parcelles d’agriculteurs, et aboutit à une quasi-généralisation de leur usage dans les itinéraires techniques des céréales.
1982-2002 :une généralisation des usages à contre-courant des politiques publiques environnementales
147Nous avons, sur le sujet de la protection des plantes, une continuité de 1982 à 2002. La césure de 2002 est créée par la première interdiction, en 2001, d’une molécule très utilisée : l’atrazine, herbicide appliqué surtout sur le maïs, dont la sole croît considérablement en France de 1982 à 2002.
148La montée en puissance des régulations des quantités de production (« politique des quotas ») et les incitations à une production moins coûteuse induisent une simplification des successions de culture (Xiao et al., 2014 ; Schott et al., 2018) et une forte diminution des surfaces en prairies permanentes (Xiao et al., 2015). Ces deux évolutions agricoles majeures sont les déterminants d’un usage croissant des molécules chimiques de protection des plantes. Une seule variable contrarie cette tendance qui semblait non modifiable : l’apparition de grandes régulations environnementales, en particulier en 1996 la Directive-cadre européenne sur l’eau, puis les arrêtés divers liés aux mortalités d’abeilles induisant une première tension sur l’usage des phytosanitaires.
149La fin de cette période se caractérise par le début d’une tension « production agricole massivement utilisatrice de molécules chimiques de synthèse-protection de l’environnement » au sein des politiques publiques impliquées dans l’usage des molécules phytosanitaires.
2003-2020 : confusion entre politiques publiques, aggravation des tensions, mais ouverture à l’agronomie
150L’expertise scientifique collective sur les pesticides de 2007 demandée par le ministère de l’Agriculture à l’Inra et au Cemagref rapporte : « L’étude bibliographique nous a rapidement montré que le thème de la consommation des pesticides était très peu abordé dans la littérature scientifique classique » (Aubertot et al., 2005). Pour le traiter, il est nécessaire de se rapporter à des rapports d’études publiés par différents organismes privés (European Crop Protection Association, Union des industries de la protection des plantes et ses homologues dans les autres pays européens, firmes phytosanitaires, etc.) ou publics (ministères, Commission des communautés européennes, Food and Agriculture Organization, etc.). De plus, les chiffres publiés dans ces rapports sont très souvent estimés à partir des chiffres de vente des principales firmes phytopharmaceutiques. Dans le cas des données Eurostat de la Direction des statistiques de l’Union européenne, les chiffres sont fournis par l’European Crop Protection Association (ECPA), regroupant les sept principales firmes vendant des produits phytosanitaires en Europe (Aventis Crop Science, BASF, Syngenta, Bayer, Dupont de Nemours, Dow AgroSciences et Monsanto). À elles seules, ces firmes représentent 90 % du marché européen des produits de protection des plantes (Eurostat, 2002).
151Force est de constater que les agronomes ne sont pas en mesure de rendre compte et d’expliquer l’usage réel des produits phytosanitaires par les agriculteurs. Et il renvoie à un enjeu de taille pour eux : comment connaître, en continu et pour tous les systèmes agraires français, la diversité des itinéraires techniques, et les usages des phytosanitaires induits ? En particulier, instruire leurs dynamiques temporelles et leurs localisations précises reste un point critique non résolu, où notre société attend les compétences des agronomes.
Des politiques publiques contradictoires face aux usages des produits phytosanitaires
152La mise en œuvre de plans d’action agricole pour lutter contre les pollutions diffuses des eaux à l’échelle des aires d’alimentation de captage (AAC) est un outil central pour répondre aux exigences de la Directive-cadre sur l’eau. Elle s’appuie sur des dispositifs juridiques et techniques récents (encadré 9.4 à la fin du chapitre) et doit monter en puissance de façon importante dans les années à venir. Nous sommes en présence d’un nouveau faisceau de politiques publiques : schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage), déclaration d’utilité publique (DUP), zones soumises aux contraintes environnementales (ZSCE) qui sont souvent incompatibles avec les précédentes, autorisations de mise sur le marché (AMM), Politique agricole commune (PAC) (Bonnefoy, 2012).
153L’élaboration des plans d’action agricole s’inscrit dans une démarche globale de protection des captages contre les pollutions diffuses et nécessite plusieurs étapes préliminaires (délimitation des AAC, identification des pressions et de la vulnérabilité intrinsèque). Le suivi national de cette démarche montre que, si les premières étapes ont bien été lancées et sont en général achevées ou en voie de l’être, l’élaboration des plans d’action est encore peu engagée. L’engagement du Grenelle de l’environnement, portant sur 500 captages prioritaires, arrive à son échéance et les objectifs fixés seront probablement loin d’être respectés.
154Au-delà de cette échéance, il est important de rappeler que ces travaux s’inscrivent dans le cadre plus général de la mise en œuvre de l’article 7 de la Directive-cadre sur l’eau. D’ici la fin des prochains Sdage, ce sont plus de 2 300 captages qui devront bénéficier d’un plan d’action, d’où des risques de contentieux européens en cas d’inaction sur les captages Grenelle, et plus largement sur l’ensemble des captages prioritaires des Sdage.
Un antagonisme entre politiques publiques : l’ampleur des zones non traitées
155La question de la spatialisation des politiques publiques peut être illustrée avec l’exemple des zones non traitées (ZNT) pour la protection des riverains. Les pouvoirs publics ont d’abord défini des ZNT liées aux caractéristiques des molécules. Ainsi, dans un même itinéraire technique, deux applications de produits phytosanitaires différents peuvent conduire à des ZNT différentes. Mais une première bascule a lieu, sans mobilisation de l’agronomie, par des initiatives d’élus qui actent des arrêtés municipaux étendant toutes les ZNT, pour toute application à 150 mètres de lieux habités en permanence. Les tribunaux administratifs de Rennes et Créteil instruisent des réponses qui sont, en janvier 2020, contrastées : acceptation avec conditions dans un cas, rejet des arrêtés dans l’autre. Parallèlement aux jugements des tribunaux, de nombreux agriculteurs ont réagi vigoureusement. La décision du gouvernement, très attendue, a été officialisée fin décembre 2020 : une distance minimale, de 5 à 10 mètres en fonction des cultures et des produits, sera désormais à respecter par les agriculteurs qui épandent des produits phytosanitaires à proximité des habitations. Cette nouvelle réglementation entre en application dès le 1er janvier 2020.
156Ainsi, en quelques mois, de nouveaux assolements naissent, dans ces bandes qualifiées en ZNT, sans implication des agronomes. Or cette question aurait pu être l’occasion de réaliser un remembrement multilocal, un réaménagement parcellaire à l’amiable où la répartition des systèmes de culture aurait été la clé d’entrée : prés de fauche proches des habitations, parcelles traitées plus loin ; maraîchers biologiques dans la ZNT, succession conventionnelle colza-blé-orge plus loin.
157Ainsi, trois politiques publiques se sont télescopées : la politique nationale des ZNT par produit, la politique communale des conseils municipaux, la politique nationale des 5 à 10 mètres. À notre connaissance, il n’y a pas eu d’interpellation des acteurs de ces politiques vers les agronomes pour tenter de concevoir une intégration de ces politiques. Ce télescopage est encore d’actualité, comme le montre le récent arrêt du Conseil d’État qui « ordonne que les règles d’utilisation soient complétées pour mieux protéger la population » (Conseil d’État, 2021).
L’agronomie, longtemps en retrait, enfin mobilisée
158Ainsi, pour conclure cet exemple, les superpositions d’enjeux liés à l’usage des produits phytosanitaires révèlent un séquençage en trois grandes périodes des relations politiques publiques-agronomie, mais le fait majeur est la superposition accrue d’enjeux successifs, ce qui complexifie notablement le métier des agronomes dans ce domaine :
de 1945 à 1981 : réutilisation en agriculture des molécules issues de l’effort de recherche chimique pendant la Seconde Guerre mondiale, et mise en avant de la sécurité alimentaire et du faible coût de l’alimentation dans les dépenses des ménages. La généralisation d’un raisonnement macroéconomique sur l’agriculture (« le pétrole de la France ») et la réforme du développement agricole confiée aux professionnels de l’agriculture accompagnent la généralisation d’usage des produits phytosanitaires dans la diversité des systèmes de production français ;
de 1982 à 2002 : montée en puissance des régulations des quantités de production (« politique des quotas ») et apparition de grandes régulations environnementales (Directive-cadre européenne sur l’eau) induisant une première tension sur l’usage des produits phytosanitaires. Nous vivons le début d’une tension « production-protection de l’environnement » au sein des politiques publiques impliquées dans l’usage des molécules phytosanitaires. La charnière est l’interdiction de l’atrazine en 2001, qui marque l’arrêt d’usage d’un des herbicides les plus utilisés sur cultures (maïs, etc.) ;
de 2003 à 2020 et au-delà : au début de cette période se construisent les premières limitations réglementaires d’usage et les premières réflexions collectives de politiques de recherche (initiation de l’ESCo pesticides, prospective Inra-Cemagref sur l’eau et les milieux aquatiques, programmes de recherche de l’Onema). Puis elle voit la généralisation des crises judiciaires (procès, arrêtés municipaux) sur l’usage des produits et des polémiques concernant les agences de régulation (EFSA, Anses). Les produits phytosanitaires sont au cœur de tels conflits que leur seule nominalisation sous forme de produits phytosanitaires ou de pesticides suffit à poser les conditions de conflits entre acteurs de la société française. Dans ce contexte, un premier programme d’ampleur est enfin confié aux agronomes : Écophyto (encadré 9.4). En parallèle, la conception par les agronomes des itinéraires techniques à bas niveaux d’intrants, y compris dans la conception de systèmes de culture en agriculture biologique, prend un nouvel élan, et c’est une des principales réponses conçues par les agronomes à ces objectifs de politiques publiques concernant les produits phytosanitaires. Cette conception de systèmes de culture à bas niveaux d’intrants lie, par exemple, les conduites azotées et les protections des cultures, induisant un lien entre politiques publiques, actuellement toutes conçues par « tronçon ».
Entre agronomie et politiques publiques, des relations difficiles
159Initiée par de fortes régulations dès le xixe siècle (lois portées par Jules Méline sur le protectionnisme), l’aventure des relations entre politiques publiques et agronomie s’enrichira de nouveaux chapitres dans les décennies à venir. Ce chapitre se veut une courte introduction à une synthèse complète qui reste à rédiger, même si de remarquables pièces figurent déjà au dossier (Benoît et al., 2008 ; Knittel, 2010 ; Denis, 2014 ; Cornu et al., 2018).
160Dans ce chapitre, nous nous sommes appuyés sur trois entrées thématiques reconnues du point de vue des agronomes, pour lesquels les plans d’action et règlements sont nombreux. Elles concernent donc des enjeux conséquents pour la société. Cependant, les questions relatives à la gestion de l’azote, à la gestion des sols et à l’aménagement foncier, à la protection des cultures, ne sont pas en elles-mêmes constitutives de politiques publiques unifiées. Ce constat est sans aucun doute le premier fait significatif de notre analyse concernant la relation entre agronomie et politiques publiques : les grandes questions agronomiques ne fondent pas en elles-mêmes des politiques publiques. Et réciproquement, les à-coups de politiques publiques ne font pas naître des questions agronomiques organisées. Une mise en relation systématique serait donc utile de part et d’autre et induirait un lieu partagé pour ce faire.
161Ces trois exemples ne sont qu’une brève et incomplète illustration de l’histoire des relations difficiles entre agronomes, agronomie et politiques publiques. D’autres thèmes mériteraient notre attention : la fertilisation organique par les effluents, la protection de la biodiversité face à la sixième extinction d’espèces en cours, la qualité des produits végétaux (fruits, céréales et vigne offrent déjà des figures très contrastées, en particulier avec la politique des signes de qualité). Bref, les relations entre agronomie et politiques publiques sont très diverses, rarement satisfaisantes pour les agronomes, et se caractérisent par une dynamique forte, tant sur les sujets abordés que sur les rythmes d’interventions induits pour les agronomes, car l’agenda est exceptionnellement maîtrisé par ceux-ci.
162Nous retenons quelques faits structurants de ces trois exemples d’histoires de relations entre politiques publiques et agronomie :
il est difficile d’expérimenter et de faire valoir des approches plus innovantes qui sortent du cadre réglementaire issu d’un consensus acté, mais daté. Constatée avec Ferti-Mieux (une action volontaire et collective grâce à laquelle on pouvait un temps déroger à la réglementation du programme d’action directive Nitrates), cette difficulté se poursuit avec les méthodes alternatives pour calculer la fertilisation azotée des cultures hors méthode du bilan. Est-il possible de tenter des politiques publiques qui s’appuient sur des expériences réussies ?
la réduction systématique des « subtilités liées à la dimension systémique de l’agronomie et à la diversité des situations » au moment de la mise en règlement, sous prétexte de faciliter les contrôles, pose un problème générique entre agronomes et décideurs publics. Nous avons la réputation de répondre souvent « ça dépend » aux questions simplistes de l’administration : combien d’azote ? Combien de mètres ? Ainsi, le travail mené sur les mesures à prendre au cas où il aurait fallu légiférer sur la coexistence OGM/non-OGM est un exemple frappant. Les agronomes ont développé une réflexion aboutie de la parcelle au territoire en passant par les filières pour proposer, d’une part, un nuancier de distance et d’outils d’évaluation des risques en fonction des régions, et, d’autre part, des dispositifs participatifs pour travailler cela avec les acteurs locaux. Le résultat fut un projet de décret qui aurait donné des distances minimales par culture partout en France !
la faiblesse des moyens en agronomie combinée à l’absence de projet d’usage clair par les pouvoirs publics n’est pas en rapport avec les ambitions de constitution d’une connaissance systématique agronomique. Ainsi, nous comptons peu, et sur le temps long de moins en moins, d’agronomes dans les ministères (agriculture, environnement, santé), Directions régionales de l’agriculture et de la forêt (Draaf), Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), Directions départementales du territoire (DDT) et Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de toutes tailles, susceptibles de coconstruire avec leurs homologues de la recherche et du développement des projets de politique publique ;
si une forte interaction avec les politiques publiques d’aménagement foncier est constatée pour certains aspects (cartographie des sols, période avant 1965), une lacune majeure demeure pour les agronomes : les usages agricoles des sols (successions de culture, arbres complantés, etc.) et leurs impacts sur les services écosystémiques impliqués dans de nombreuses politiques publiques (LEMA de 2006, directive européenne Habitats de 1992, etc.) ne sont toujours pas instruits, ni intégrés aux documents d’urbanisme (PLU, PLUI, etc.) (Boiffin et al., 2014) ;
depuis vingt ans, la prise de conscience progressive que le sol constitue un quatrième bien public après l’eau, l’air et la biodiversité, se heurte à de nombreuses lenteurs de prise en charge réelle. En particulier, comment constituer à long terme une base de données permettant de suivre les évolutions des sols ?
163Nous insisterons sur quatre points majeurs de ces soixante-quinze ans de relations entre politiques publiques et agronomie, et de leurs enjeux pour demain.
Un rapport au temps difficilement compatible
164La gestion du temps est délicate dans ces relations politiques publiques-agronomie :
les agronomes sont souvent convoqués pour traiter les problèmes quand ils sont survenus (pollution des eaux par les résidus phytosanitaires, érosion des sols, etc.). Or les latences des phénomènes (changement des assolements, des itinéraires techniques, des successions de culture ; inertie des milieux : aquifères, sols) repoussent souvent fort tardivement les effets des changements des politiques publiques. Ce point crée de nombreuses tensions sociétales, comme les diverses conséquences liées aux produits phytosanitaires le montrent ;
une très grande latence est constatée entre les résultats de recherche et la traduction dans les politiques publiques (l’atrazine est identifiée de façon prégnante dans les eaux de drainage agricole en 1974 et son interdiction d’usage intervient en 2003).
165Nous proposons à l’avenir que les agronomes s’insèrent de façon plus dynamique dans le cycle de déploiement d’une politique publique. Ce cycle (mise à l’agenda, formulation des politiques, prise de décision, mise en œuvre et évaluation des politiques, figure 9.1) présente une dynamique propre (Howlett et Ramesh, 2003, in Savard, 2012). Nous devons nous interroger sur la place de l’agronomie en sa qualité de science susceptible de contribuer aux différentes étapes d’un cycle en produisant identification de questions, compréhension, supports de solutions et de leur évaluation dont les politiques publiques s’empareront (ou pas). La connaissance de ces diverses étapes est essentielle à prendre en compte par les agronomes pour positionner efficacement une gamme de produits de l’agronomie lors de ces phases successives d’une politique publique.
Figure 9.1. Les étapes du cycle de déploiement d’une politique publique.
166Cependant, le rapport au temps des acteurs des politiques publiques et des agronomes est fort différent. D’une part, les politiques publiques structurent le temps et le « coupent » en fixant seules les dates de leurs révisions et les phases de leurs mises en œuvre, alors que, de leur côté, les acquisitions de connaissances et compétences en agronomie sont beaucoup plus liées à ses propres rythmes : campagnes de mesure, durée des thèses, etc. D’autre part, parfois les politiques publiques ont anticipé la recherche agronomique, par exemple avec la demande des cartes de potentialités des sols au 1/10 000 par la SAFE, alors que la directive Sols ne fut proposée que 47 ans plus tard ; parfois elles sont très en retard : il s’écoule 19 ans entre le rapport Hénin sur la pollution par les nitrates et l’élaboration de la Directive-cadre sur l’eau.
La compatibilité de politiques publiques plurielles : un enjeu délicat pour les agronomes
167Les agronomes, comme tous les citoyens, vivent professionnellement autant de politiques publiques que les décideurs publics locaux, nationaux, européens et internationaux construisent d’enjeux structurant l’agenda politique. Les politiques publiques concernant le secteur de l’agriculture sont multiples, puisque cette activité concerne de très nombreux aspects de la collectivité comme la sécurité nationale, la santé, l’environnement, l’économie, les équilibres sociaux, l’occupation du territoire ou l’éthique. Ces enjeux généraux sont eux-mêmes déclinés en multiples politiques sectorielles plus techniques.
168Cette compartimentation des politiques publiques, leur multiplication allant à l’hyperréglementation, créent pour l’agronomie des difficultés tant de déclinaison locale des fonctionnements génériques des couverts végétaux que de contradictions dans le choix et la conduite des systèmes de culture. Une agronomie des systèmes complexes (systèmes de culture, systèmes de production, système agraire, système alimentaire) devra continuer de se donner les moyens d’instruire ces interactions.
169De plus, les politiques publiques sectorielles traitent d’enjeux parfois antagonistes vis-à-vis des solutions requises. L’intégration devrait être le mot d’ordre ! L’agronomie, telle qu’elle a évolué en France, a l’habitude des systèmes complexes, des interactions entre leviers d’action, et devrait y contribuer – voir en exemple la construction d’indicateurs et d’outils d’évaluation multicritère d’une part (chapitre 2), et la hiérarchisation des problèmes à résoudre selon les échelles prises en charge (parcelle, bassin-versant, commune, région agricole, etc.) (chapitre 3) d’autre part. Nous pensons que l’agronomie doit éclairer les liens potentiels entre ces politiques et leurs objectifs disjoints via une évaluation multicritère de types de systèmes de production.
La pluralité des politiques publiques et des acteurs
170L’État n’est pas le seul acteur des politiques publiques, tant pour leur définition que pour leur mise en œuvre : administrations, associations, autres autorités publiques (l’Europe en particulier, mais aussi les collectivités territoriales et les régions) sont de plus en plus présentes dans le débat public, dès l’identification des problèmes et des enjeux, mais aussi comme acteurs des plans d’action. Ainsi, « si l’autorité publique est présumée jouer un rôle central, elle est loin d’agir seule. Elle voit intervenir des tiers […] qui ont leurs propres logiques ou priorités, qui se comportent comme des acteurs disposant d’autonomie et dont l’intervention perturbe ou infléchit le cours des choses » (Thoenig, 2010). L’élaboration d’une politique publique devrait résulter d’un dialogue entre ces acteurs, éclairé par des outils de diagnostic et d’évaluation reconnus, incluant les processus agronomiques et instruits avec le concours d’agronomes.
Le rapport des normes juridiques aux connaissances scientifiques
171Une constante apparaît depuis 1980, le besoin d’appui scientifique de la part des pouvoirs publics pour aborder les questions très complexes, car multifactorielles et maintenant multi-enjeux concernant la durabilité de l’agriculture, à la fois générique et dans les territoires. Leur intérêt pour associer les agronomes est d’autant plus grand que les discussions directes entre toutes les parties prenantes et les décideurs publics, en vue de construire des propositions techniques de solution, se complexifient… et se médiatisent souvent fortement (le barrage de Sivens et l’irrigation agricole, les produits phytosanitaires et les zones non traitées, etc.). Cet intérêt est particulièrement net pour la consolidation de normes de nombreux textes de politiques publiques. Commence alors une mise en relation entre pouvoirs publics et agronomes avec le Corpen, malheureusement trop rapidement supprimé, qui se poursuit avec les ESCo, les GREN, le Genem, etc. Ces étapes marquent un apprentissage réciproque de la fonction d’expertise scientifique au service de la définition des politiques publiques, clairement provoqué par la montée en puissance des enjeux environnementaux.
172Progressivement, la stimulation des questions portées par les politiques publiques induit auprès des milieux scientifiques une production nouvelle : élargissement des questions abordées, modélisations opérationnelles, y compris spatialisées, concept d’indicateur et mise au point d’indicateurs utilisables par les acteurs, relations chercheurs-parties prenantes générant précision sur les concepts et les savoir-faire à mobiliser (coconception, coconstruction), en particulier parce qu’il faut tenter de traiter simultanément de nombreux enjeux (et l’azote, et les phytosanitaires, et le changement climatique, et l’érosion, etc.). Mais nous observons une lenteur, voire une défiance, des pouvoirs publics à mobiliser ces opportunités d’animation et de réflexion avec les parties prenantes (par exemple, animer une prospective utilisant la modélisation spatialisée des ruissellements sur un territoire pour déterminer la largeur des bandes enherbées le long de cours d’eau). Ici, la norme juridique, par exemple le choix des largeurs des bandes enherbées le long des cours d’eau, s’impose comme une résultante de complexes négociations sociales, plus que d’une prise en compte directe d’une revue de littérature scientifique !
173Ainsi, nous pouvons affirmer que les relations entre agronomie et politiques publiques sont réciproques : quelques politiques publiques ont été générées par des agronomes qui se manifestent auprès des décideurs en maîtrisant la matière de futures normes et, inversement et massivement, de nombreuses politiques publiques ont influencé des travaux en agronomie, avec le plus souvent des approches normées qui doivent ensuite être prises en charge par les agronomes. Les interactions sont pourtant fortes, en créant des relations qui ont modifié la valorisation des connaissances, avec deux postures possibles pour les agronomes : être moteurs de politiques publiques, en ayant été impliqués, ou en subir les conséquences, et être en situation de dépendance. Mais dans cette réciprocité, le partage de l’élaboration des normes devrait remonter dans l’agenda des politistes et des agronomes.
Conclusion : avec, pour ou malgré tout ?
174Les récits des trois histoires, azote, sols et aménagement, protection des plantes, illustrent différents modes d’interactions, résumés abruptement et respectivement par « avec – pour – malgré tout ». Toutefois, pour dépasser le risque d’une simple instrumentalisation de l’agronomie par les pouvoirs publics, nous proposons de poursuivre la réflexion dans quatre directions :
développer une réflexion interprofessionnelle, entre tous les métiers d’agronomes, telle que vécue au sein de l’Association française d’agronomie, pour traiter de la question centrale des relations entre les normes mobilisées dans les politiques publiques et les résultats, méthodes et pratiques de l’agronomie. Ces relations constituent un énorme défi, en particulier celui de la généralité juridique face à la diversité des situations agronomiques !
initier une réflexion sur le maillage territorial des politiques publiques concernant l’agriculture. Les agronomes ont souvent rencontré la difficulté de décliner une politique publique sur chaque territoire, trop exclusivement conduite à l’échelle de chaque département, entité éminemment politique, et non, a minima, de chaque petite région agricole, ou au mieux de maillages ayant sens pour les agronomes ;
étudier plus avant les tensions entre politiques publiques environnementales (protection des ressources en eau, de la biodiversité, et adaptation/atténuation au changement climatique) et politiques publiques des filières, et celles entre politiques quantitatives (quotas de production, etc.) et qualitatives (normes de qualité, affichage des qualités des produits, etc.) ;
expliciter clairement, à chaque occasion où des agronomes sont mobilisés pour participer à l’élaboration de politiques publiques, leurs apports, si possible en les rattachant aux diverses phases de déploiement de cette politique publique, voire afficher leur refus de cautionner des arguments non fondés. Ici, les synthèses de littérature sont indispensables.
175À l’avenir, pour faciliter la reconnaissance des apports possibles de l’agronomie auprès des « autorités investies de puissance publique », il est nécessaire d’initier un débat sur les postures de l’agronome en situation d’interaction avec celles-ci. Nous devrions partager des repères et des pratiques professionnelles permettant d’interagir en toute lucidité et en bonne compréhension mutuelle avec elles.
Encadré 9.4. L’agronomie dans le plan Écophyto Jean Boiffin217 Le « plan Écophyto » est un programme gouvernemental visant à promouvoir la réduction des usages – agricoles et autres – des produits phytopharmaceutiques. Son lancement date de fin 2008, sous l’appellation initiale « Écophyto 2018 ». Suite aux six premières années de mise en œuvre (« Écophyto 1 »), il a fait l’objet d’un rapport parlementaire (Potier, 2014) débouchant sur une révision (« Écophyto 2 »), dont le terme affiché est désormais 2025. Intermède fugace ou tournant des politiques publiques en matière phytosanitaire ? Le plan Écophyto a son origine dans le Grenelle de l’environnement, vaste réflexion collective et participative entreprise en 2007 sous la présidence Sarkozy. Cette dynamique s’enclenche à la faveur d’une conjoncture politique pro-environnementaliste. Parmi les six axes de travail, l’un d’entre eux porte sur la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles, et c’est dans ce cadre que sont principalement traités les problèmes agricoles. Il débouche sur un engagement inédit de réduction massive et rapide d’usage des pesticides : moins 50 % en dix ans, c’est-à-dire à horizon 2018. Guy Paillotin, ex-président de l’Inra, très respecté dans les milieux aussi bien agricoles que scientifiques, préside la commission chargée de traduire cet engagement en plan d’action. Bon gré mal gré, les organisations agricoles, l’agrofourniture et l’industrie phytosanitaire acceptent d’y participer à côté des ONG environnementalistes et de cautionner le plan, à condition que figure dans son intitulé le fameux « si possible », qui correspond d’ailleurs au caractère non contraignant de la plupart des dispositions adoptées. Le plan est copiloté par les ministères en charge de l’Environnement et de l’Agriculture, mais la maîtrise d’œuvre est confiée à ce dernier, et centralisée à la Direction générale de l’alimentation (DGAL). L’architecture du plan traduit à la fois le parti pris incitatif et le souci d’exhaustivité qui ont présidé à son élaboration. Dans sa première phase, il comporte 114 actions regroupées en 9 axes, respectivement dédiés aux indicateurs, à la mise au point et à la diffusion des voies de réduction, à la recherche, à la formation, à la surveillance des bioagresseurs et aux effets non intentionnels, aux Dom-Tom, aux usages en zones non agricoles (ZNA), à la communication, et aux impacts sur la santé. Dans le cadre d’Écophyto 2, le contenu de ces axes et actions sera redistribué et réactualisé, sans remise en cause des orientations et du contenu des actions majeures, si ce n’est le report à 2025 de l’échéance initiale de réduction, dont le montant de 50 % est maintenu. La gouvernance et le financement du plan sont calqués sur cette structure pyramidale : chaque niveau (action, axe, plan) est doté d’un double système de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’œuvre, constitué selon le principe « grenellien » du « dialogue à cinq » impliquant à égalité de représentation pouvoirs publics (y compris recherche et enseignement), collectivités, ONG environnementalistes ou consuméristes, syndicats de travailleurs, organisations patronales et économiques. Transposé au « monde agricole », qui implique la représentation d’une multitude d’organismes professionnels, ce principe aboutit à une comitologie complexe, qui ne peut fonctionner que si la maîtrise d’œuvre du plan est extrêmement dynamique. Elle dispose d’un atout important et durable : une grande partie du financement (autour de 40 millions d’euros par an dans la phase 1) est assurée par une redevance perçue sur les ventes de produits phytosanitaires, à laquelle s’ajoute une part d’autofinancement par les multiples organismes publics ou professionnels en charge des diverses actions. Le plan Écophyto a aussi un double arrière-plan européen, car il est concomitant d’une part de la Directive-cadre 2009/128 sur l’utilisation durable des pesticides, d’autre part d’une nième révision de la PAC en 2015. Dans le premier cas, c’est la DGAL qui est à la manœuvre et assure la coordination : le plan Écophyto constituera officiellement la version française du plan national de mise en œuvre de la directive. Mais cette dernière ne comportant aucune obligation de réduction, la France est « en pointe » par rapport à ses compétiteurs européens, notamment l’Allemagne, qui privilégie la réduction des impacts. Les dirigeants des grandes filières végétales ont alors beau jeu de se plaindre qu’à travers le plan Écophyto la France s’inflige une « autodistorsion » de concurrence. Dans le cas de la PAC, la négociation est menée par d’autres acteurs que la DGAL, avec des objectifs très éloignés de l’agroécologie qui n’est pas encore un slogan officiel. La « nouvelle PAC » ne favorisera qu’à la marge les orientations environnementales, à travers un « 2e pilier » encore complexe et peu influent. Elle confortera les mécanismes de rémunération de l’activité agricole qui induisent spécialisation des assolements et utilisation intensive des intrants, notamment phytosanitaires. Dès lors, l’« échec du plan » est-il imputable au plan lui-même ? Ce dernier ne comportait par construction ni contrainte réglementaire ni mesure économique de nature à changer la hiérarchie des marges brutes entre les cultures, et les niveaux d’optimisation de l’usage des intrants. La non-réduction apparaît plutôt comme le résultat programmé des contradictions internes aux politiques publiques en matière agro-environnementale : en 2020, pour s’engager dans la réduction des pesticides, un exploitant de grande culture, d’arboriculture ou de viticulture doit vraiment avoir l’esprit pionnier. L’agriculture biologique est l’exception qui confirme la règle : c’est dans un cadre à la fois techniquement contraint et économiquement protégé par le signe de qualité qu’elle peut mettre en œuvre des systèmes radicalement économes en pesticides. Si on met de côté la naïveté de l’affichage initial, le véritable objectif du plan était de construire un cadre de conditions – non suffisantes, mais nécessaires – de la réduction d’usage, à travers une palette de mesures d’accompagnement sans lesquelles la réduction n’aurait sans doute pas pu avoir lieu, même dans un contexte économique favorable. Le dispositif Certiphyto, le panel d’indicateurs d’usage et d’impact, la rénovation des systèmes d’avertissement, les systèmes économes et performants mis au point au sein du dispositif Dephy, l’amplification des recherches sur la protection intégrée sous toutes ses formes, l’évolution de l’enseignement relatif à la santé des plantes, la réduction obtenue dans les ZNA, ne sont-ils pas des succès à mettre à l’actif du plan ? Finalement, ce dernier peut aussi être vu comme le signal donné par l’État d’un tournant inéluctable, vis-à-vis duquel les tergiversations relatives au glyphosate et aux néonicotinoïdes sont des péripéties d’arrière-garde. L’agronomie dans le plan Écophyto : un piège ou une rampe de lancement ? L’agronomie est, rappelons-le, quasiment absente de ce qui constituait, avant le plan Écophyto, le principal champ d’action des politiques publiques en matière de santé des plantes : l’homologation des substances et produits phytopharmaceutiques. Dès lors que la réduction massive des usages à la source (et non des seuls impacts en aval des applications) devient un objectif incontournable, la problématique ne se limite plus au produit, et s’élargit à l’ensemble du système de culture : la notion de protection intégrée fait appel à l’agronomie. Ce réinvestissement se fait d’abord au niveau de la recherche (chapitres 1, 3, 4 et 6), et dans le champ des politiques publiques il se traduit par la contribution des agronomes à l’ESCo de 2005 (Aubertot et al., 2005). Mais c’est dans le cadre du plan Écophyto que ce retour est officialisé, prend une dimension opérationnelle et s’étend aux sphères de recherche-développement et développement. Il prend sa source dans l’étude préliminaire Écophyto R&D (Butault et al., 2010), engagée en 2005 par l’Inra à la demande des pouvoirs publics, où les agronomes jouent un rôle de premier plan. Cette étude montre qu’une réduction de 50 % n’est pas atteignable si on se limite à l’amélioration d’efficience des applications de pesticides ou à leur substitution par des techniques alternatives, et implique une reconception des itinéraires techniques et systèmes de culture. Elle propose les grandes lignes du réseau Dephy, destiné à mettre au point et à tester « en vraie grandeur » les différentes solutions de réduction d’usage. Plusieurs actions-clés du plan – au premier rang desquelles Dephy, mais aussi le dispositif Certiphyto, les actions relatives à l’enseignement, les projets de recherche, le Bulletin de santé du végétal et bien d’autres – font appel à des compétences en agronomie. Cette extension inédite du champ d’intervention de l’agronomie dans le cadre du plan ne se fait pas sans difficulté, et les agronomes découvrent que leurs concepts-clés, notamment ceux d’itinéraire technique ou de système de culture, sont loin d’être unanimement compris et partagés. Dans le cas de Dephy, ce n’est qu’après plusieurs années de tâtonnement dans le recueil des données, suivies de laborieuses discussions au sein des instances de pilotage, que sera reconnue l’utilité de ces concepts pour délimiter les entités d’observation et d’analyse de la santé des cultures, et pour définir des stratégies de réduction d’usage. Cinq ans après le démarrage effectif de ces actions, ces notions ont non seulement prouvé leur pertinence, mais aussi fait l’objet d’avancées qu’il aurait été impossible de réaliser dans un autre contexte, comme la mise en œuvre à grande échelle de l’expérimentation-système, la création d’une base de données sur les systèmes de culture, et la mise en évidence de marges de réduction importantes et économiquement non pénalisantes, liées aux successions de cultures et aux itinéraires techniques (Lefèvre et Munier-Jolain, 2016). Du fait même de cette reconnaissance inédite, l’agronomie n’est-elle pas impliquée, voire discréditée dans l’« échec du plan » ? La question mérite d’être posée sans complaisance : après des années de désinvestissement, elle n’avait sans doute pas encore le bagage nécessaire pour assurer au rythme voulu la reconception des systèmes de culture, en particulier sur l’impact épidémiologique des pratiques culturales. Mais de multiples indices montrent qu’au contraire l’expérimentation « en vraie grandeur » qu’a constitué le plan Écophyto a à la fois amplifié et légitimé le réinvestissement de l’agronomie dans la gestion de la santé des plantes. Le plus significatif est sans doute la place bien plus importante dévolue aux thèmes et aux compétences relevant de l’agronomie dans les projets de recherche et de développement relatifs à la santé des plantes et orientés vers la réduction d’emploi des pesticides. À l’intérieur comme à l’extérieur du plan, les appels à projets, demandes d’expertise et financements sur ce domaine se sont multipliés, exerçant sur l’agronomie une force d’appel considérablement accrue par rapport à l’époque du Grenelle de l’environnement. Un jour viendra où les politiques européennes relatives à l’agriculture, à l’homologation des pesticides, à la conditionnalité des échanges commerciaux, donneront enfin à la réduction, voire à l’abandon des pesticides, un caractère économiquement avantageux, et non réservé à certains segments de marché tels que l’AB. Les connaissances et références accumulées, dans le cadre ou à la suite d’Écophyto, sur les liens entre systèmes de culture et gestion de la santé des plantes feront alors l’objet d’une valorisation intense, et contribueront au « déverrouillage » de l’innovation agricole. Il se confirmera alors que, malgré son insuccès, Écophyto a été pour l’agronomie un incubateur d’innovation agroécologique. |
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Gervais M., Jollivet M., Tavernier Y. (Duby G., Wallon A., dir.), 1976. Histoire de la France rurale, volume 4 : La fin de la France paysanne. Éditions du Seuil, Paris, 666 p.
Rémy J.-C., Hébert J., 1977. Le devenir des engrais azotés dans le sol. Comptes-rendus de l’Académie d’agriculture de France, 700-710.
Hénin S., 1980a. Rapport du groupe de travail « Activités agricoles et qualité des eaux ». Ministère de l’Agriculture, ministère de l’Environnement, Paris.
Roqueplo P., 1997. Entre savoir et décision, l’expertise scientifique, éditions Quæ, Versailles, 112 p.
Boiffin J., Stengel P., 2000. Réapprendre le sol : nouvel enjeu pour l’agriculture et l’espace rural. Demeter, 147-212.
Arrouays D., Hardy R., Schnebelen N., Le Bas C., Eimberck M., Roque J., Grolleau E., Doux J., Lehmann S., Saby N., King D., Jamagne M., Rat D., Stengel P., 2004. Le programme Inventaire Gestion et Conservation des Sols de France. Étude et Gestion des sols, 11 (3), 187-197.
Aubertot J.N., Barbier J.M., Carpentier A., Gril J.J., Guichard L., Lucas P., Savary S., Savini I., Voltz M. (éds), 2005. Pesticides, agriculture et environnement. Réduire l’utilisation des pesticides et limiter leurs impacts environnementaux. Expertise scientifique collective, synthèse du rapport, Inra et Cemagref (France), 64 p.
Tamian L., 2008. Genèse du Rapport Hénin et émergence de la préoccupation environnementale dans la pensée agronomique française. Université Lumière Lyon 2 et Inra, 141 p.
Philippe M.A., Polombo N., 2009. Soixante années de remembrement : essai de bilan critique de l’aménagement foncier en France. Études foncières, 140, 43-49.
Barreteau O., Bousquet F., Étienne M., Souchère V., D’Aquino P., 2010. La modélisation d’accompagnement : une méthode de recherche participative et adaptative. In : La Modélisation d’accompagnement : une démarche participative en appui au développement durable (Étienne M., coord.), éditions Quæ, Versailles, 21-46.
Butault J.P., Dedryver C.A., Gary C., Guichard L., Jacquet F., Meynard J.M., Nicot P., Pitrat M., Reau R., Sauphanor B., Savini I., Volay T., 2010. Écophyto R&D. Quelles voies pour réduire l’usage des pesticides ? Synthèse du rapport d’étude, Inra Éditeur (France), 90 p.
Parnaudeau V., Reau R., Dubrulle P., 2012. Un outil d’évaluation des fuites d’azote vers l’environnement à l’échelle du système de culture : le logiciel Syst’N. Innovations agronomiques, 21, 59-70.
Savard J.-F. (avec la collaboration de R. Banville), 2012. Cycles politiques. In : Le Dictionnaire encyclopédique de l’administration publique [en ligne] (Côté L., Savard J.-F., dir.). www.dictionnaire.enap.ca
GT azote du Comifer, 2013. Calcul de la fertilisation azotée. Guide méthodologique pour l’établissement des prescriptions locales, cultures annuelles et prairies. Comifer, 159 p.
Potier D., 2014. Pesticides et agro-écologie. Rapport de Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle, au Premier ministre Manuel Valls, Eco’phyto, 252 p.
Bellec P., Lavarde P., Lefebvre L., Madignier M.-L., 2015. Propositions pour un cadre national de gestion durable des sols. CGAAER/CGEDD, 138 p.
Courtoux A., Claveirole C., 2015. La bonne gestion des sols agricoles : un enjeu de société. CESE, 66 p.
Cornu P., Valceschini E., Maeght-Bournay O., 2018. L’Histoire de l’Inra, entre science et politique, éditions Quæ, Versailles, 463 p.
Fournil J., Kon Kam King J., Granjou C., Cécillon L., 2018. Le sol : enquête sur les mécanismes de (non) émergence d’un problème public environnemental. VertigO, 18 (2). http://journals.openedition.org/vertigo/20433 .
Muller P., 2018. Les Politiques publiques. Presses universitaires de France/Humensis, Paris, 126 p.
10.3917/puf.mulle.2018.01 :Fosse J., Aussilloux V., Grémillet A., Mesqui B., 2019. Faire de la politique agricole commune un levier de la transition écologique. France Stratégie, 106 p.
Jeuffroy M.-H., Ravier C., Lenoir A., Meynard J.-M., 2020. APPI-N : une nouvelle approche pour le raisonnement de la fertilisation azotée du blé. Agronomie, environnement & sociétés, 9 (1).
Laroche B., Degan F., Koller R., Scheurer O., Bouthier A., Moulin J., Sauter J., Ducommun C., Fort J.L., Maillant S., Party J.P., Renouard C., Saby N.P.A., Bertouy B., 2020. Typterres : vers une typologie agronomique partagée. Étude et Gestion des sols, 27, 241-255
Conseil d’État, 2021. Pesticides : le Conseil d’État ordonne que les règles d’utilisation soient complétées pour mieux protéger la population, 26 juillet 2021. https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/pesticides-le-conseil-d-etat-ordonne-que-les-regles-d-utilisation-soient-completees-pour-mieux-proteger-la-population
Notes de bas de page
217 Centre Pays de Loire – Angers, 42, rue Georges-Morel, CS 60057, 49070 Beaucouzé Cedex 01.
Auteurs
Ex-directeur Association pour la relance agronomique en Alsace, 2, rue de Rome, 67300 Schiltigheim.
Ex-directeur de recherche INRAE, département ACT, centre Grand Est, unité Aster, 662, avenue Louis-Buffet, 88500 Mirecourt.
Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Apprendre à innover dans un monde incertain
Concevoir les futurs de l’agriculture et de l’alimentation
Émilie Coudel, Hubert Devautour, Christophe-Toussaint Soulard et al. (dir.)
2012
Transformations agricoles et agroalimentaires
Entre écologie et capitalisme
Gilles Allaire et Benoit Daviron (dir.)
2017
Innovation et développement dans les systèmes agricoles et alimentaires
Guy Faure, Yuna Chiffoleau, Frédéric Goulet et al. (dir.)
2018
One health, une seule santé
Théorie et pratique des approches intégrées de la santé
Jakob Zinsstag, Esther Schelling, David Waltner-Toews et al. (dir.) Josette Derangère et Isabelle Thibaudière (trad.)
2020
Agriculture et qualité de l'air
Comprendre, évaluer, agir
Carole Bedos, Sophie Génermont, Jean-François Castell et al. (dir.)
2019
L'eau en milieu agricole
Outils et méthodes pour une gestion intégrée et territoriale
Delphine Leenhardt, Marc Voltz et Olivier Barreteau (dir.)
2020
Alerter la population face aux crues rapides
Compréhension et évaluation d’un processus en mutation
Johnny Douvinet
2020
Consommation et digestion des végétaux
Rôles des microbiotes et fonctions essentielles à la biodiversité
Gérard Fonty, Annick Bernalier-Donadille, Évelyne Forano et al.
2019
La fabrique de l’agronomie
De 1945 à nos jours
Jean Boiffin, Thierry Doré, François Kockmann et al. (dir.)
2022