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    Plan détaillé Texte intégral Du début du xxe siècle aux années 1960-1970 : des tâtonnements à l’identification de l’agronomie À partir des années 1980, avec les sciences naturelles, mieux comprendre pour mieux agir À partir des années 1980, avec les sciences sociales, comprendre les déterminants sociaux pour savoir comment agir Conclusion Bibliographie Notes de bas de page Auteurs

    La fabrique de l’agronomie

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre 4 - L’agronomie en interaction avec les autres disciplines

    François Papy, Gilles Lemaire, Éric Malézieux et Michel Duru

    p. 165-210

    Texte intégral Bibliographie Notes de bas de page Auteurs

    Texte intégral

    1On comprend chaque discipline scientifique à travers son histoire. C’est donc vrai pour l’agronomie, plus peut-être que pour d’autres, tant elle a été et reste, par nature, liée à d’autres disciplines qui ont aussi chacune leur propre histoire. Au chapitre 1, l’agronomie a été présentée comme cherchant à relier « deux centres de gravité » principaux : les processus de production végétale et l’action de l’homme sur ces derniers. L’objet de ce chapitre est de montrer comment les agronomes ont noué des relations interactives, de nature différente, dans ces deux champs de recherche distincts en les élargissant aux disciplines du milieu naturel et de l’alimentation, ainsi qu’aux disciplines économiques, sociales, voire juridiques et politiques. Le positionnement de l’agronomie dans ses relations aux autres disciplines a nettement évolué au cours du temps. Dans la première moitié du xxe siècle jusqu’aux années 1960, l’agronomie, n’étant pas encore totalement définie en tant que discipline scientifique, est avant tout considérée comme la mise en application d’autres disciplines dont elle dépend. Et il faudra attendre que l’identification de l’agronomie se précise dans les années 1960 et 1970 pour que les rapports de l’agronomie à d’autres disciplines changent de nature. Au cours de ces deux décennies, des fondements sont en effet jetés, qui lui donnent une identification plus nette. Les relations qu’elle noue alors avec d’autres disciplines ne traduisent plus des rapports de dépendance, mais de coopération. Ces relations sont plus ou moins interactives et denses. Lorsque, sur une longue période, dans une relation où chaque discipline scientifique garde sa spécificité, il y a échange de concepts, voire d’objets d’étude, nous parlerons d’interdisciplinarité. Le chapitre 1 en donne des exemples. Mais nous ferons également état de relations plus complexes, qualifiées de transdisciplinaires, lorsqu’il s’agit d’étudier un problème qui dépasse chaque discipline, tout en les concernant toutes, et en mobilisant, le cas échéant, les connaissances d’acteurs non scientifiques impliqués.

    2Pour tenir compte de cette évolution, ce chapitre est organisé en trois sections. Dans la première, du début du xxe siècle jusqu’aux années 1960-1970, les investigations des agronomes ont oscillé entre l’étude des processus biophysiques en jeu dans l’agriculture et celle des pratiques agricoles, mais sans grande connexion entre les deux. Ces travaux constituent les prémices de ce qui devient, à la fin de cette période, une discipline scientifique et technique. Puis, sur la période de 1980 à nos jours, les agronomes continuent à construire le corpus théorique mis en place dès la fin des années 1970, en reliant les investigations faites entre deux champs disciplinaires pour faire face à la complexification des objets d’étude (chapitre 2) et à des enjeux toujours plus englobants (chapitre 3). C’est pourquoi suivent deux sections qui traitent, en parallèle, dans le champ des sciences naturelles et dans celui des sciences humaines, l’évolution des relations inter et transdisciplinaires de l’agronomie à d’autres disciplines spécifiques à ces domaines. Le choix de ce découpage vient de la spécificité même de ces domaines et de la nature différente de leurs relations avec l’agronomie, ce qui conduit à un plan différent pour les deux dernières sections. Dans la deuxième section, nous montrerons comment les différentes disciplines du domaine des sciences naturelles ont progressivement enrichi le corpus théorique des agronomes sur les processus naturels en jeu et, dans la dernière section, c’est autour de problèmes de relations entre acteurs, communs à plusieurs disciplines, que nous aborderons les interactions de l’agronomie avec les sciences humaines et sociales.

    Du début du xxe siècle aux années 1960-1970 : des tâtonnements à l’identification de l’agronomie

    3Lorsqu’au xviiie siècle se constitue l’ébauche d’une discipline scientifique pour étudier comment améliorer l’agriculture, les connaissances échangées sont de nature empirique. Des observations et des expérimentations de terrain émergent de nombreuses hypothèses, fort différentes, quant aux processus en jeu dans le champ cultivé (Rozier, 1783). Elles concernent alors surtout la nutrition des plantes. Mais au xixe siècle, une véritable rupture dans l’exercice de l’agronomie s’opère : l’explication des processus d’alimentation des plantes ne provient plus d’investigations réalisées au champ ou fondées sur l’analyse des pratiques, mais de recherches menées en laboratoire.

    L’agronomie comme application de la chimie

    4Ce sont en premier lieu des chimistes qui ont élaboré une vision théorique de la nutrition carbonée, hydrique et minérale des plantes ; d’abord de Saussure, au début du xixe siècle, tandis qu’à la même époque le grand agronome expérimentateur allemand Thaër défendait toujours la théorie selon laquelle les plantes s’alimentent d’humus ; puis, en 1840, von Liebig confirme la théorie de l’alimentation minérale des végétaux. De cette théorie découle une technique qui s’avérera efficace et constituera le premier socle sur lequel se constituera l’agronomie : la fertilisation minérale. Inspirée par la chimie, l’agronomie s’institutionnalise alors grâce au rôle qu’elle joue dans le contrôle de la qualité des engrais (Jas, 2001).

    5En effet, en France, l’État devient producteur et vendeur d’engrais à la suite du traité de Versailles de 1918 et de ses conquêtes coloniales. L’Institut de recherche agronomique (IRA), créé en 1921, recrute alors beaucoup de chimistes. À partir du Centre national de recherche agronomique (CNRA) de Versailles, il coordonne les stations d’agronomie réparties sur tout le territoire. Pédro (2005), qui évoque le « règne sans partage de la chimie », en dénombre près d’une centaine où sont pratiquées des analyses d’échantillons de sol, de végétaux et de matières fertilisantes, à des fins de répression des fraudes pour protéger l’agriculteur, mais sans pouvoir s’appuyer sur une théorie pour les interpréter.

    6Un germe d’autonomie de l’agronomie par rapport à la chimie agricole se fait néanmoins jour pour interpréter les analyses en couplant ces dernières à la réponse des cultures aux engrais. Il est rendu possible grâce au recours à l’expérimentation au champ et à la statistique fisherienne, qui joue alors un grand rôle dans la validation des connaissances (chapitre 2). D’ailleurs, en sens inverse, l’essor de l’expérimentation agronomique constitue un champ d’application très favorable au développement des statistiques. Elles constituent alors la deuxième compétence de base de l’agronome, conférant à l’agronomie une démarche scientifique qui présente cependant l’inconvénient, si elle est mal interprétée, d’engendrer des apparences de rapport de causalité pouvant dispenser d’une analyse explicative. Cette analyse sera mise en œuvre grâce à un approfondissement de la science du sol. Par ailleurs, en se généralisant après la Première Guerre mondiale, la fertilisation minérale (les engrais azotés de synthèse remplaçant les nitrates du Chili qui s’épuisent) engendre une évolution majeure : le découplage entre culture et élevage, auquel, malheureusement, les agronomes ne porteront pas suffisamment d’attention.

    À côté de la chimie agricole, l’autonomisation de la science du sol

    7En 1927, Albert Demolon est chargé de coordonner les stations d’agronomie à partir du CNRA de Versailles. Considérant que les expérimentations de fertilisation minérale, trop souvent au service d’une propagande pour les engrais, ne font pas une part suffisante aux fonctionnements physique, chimique et biologique du sol, il forme le projet scientifique de constituer le sol en objet d’étude autonome. Pessis (2019) présente ce projet d’autonomisation de la science du sol comme s’opposant clairement au corps de chercheurs dominé par les chimistes. Demolon publie, en 1932, La Dynamique du sol. Dans l’introduction de l’ouvrage, il écrit : « Toutefois, dans ses revendications d’autonomie, la science du sol ne doit pas perdre de vue que les rapports du sol et de l’agriculture représentent un merveilleux champ d’application, car, ainsi que le proclamait Olivier de Serres en 1600, “la cognoissance du naturel des terroirs que nous voulons cultiver est le fondement de l’agriculture”. » Ainsi, Demolon fonde une science du sol généraliste, affranchie de l’approche naturaliste de la pédologie, son projet étant qu’elle puisse ensuite s’appliquer à l’agronomie, bien au-delà de la fertilisation minérale. Ce projet se précise ensuite lorsque deux ans plus tard, en 1934, il complète son premier ouvrage par La Croissance des végétaux cultivés. Dans la préface de cette première édition, il précise que son but n’est pas tant d’approfondir les connaissances de physiologie végétale que « d’étudier successivement l’action des divers facteurs, physiques, chimiques et biologiques sur le développement des plantes cultivées pour aboutir à la discussion des lois de la croissance et du problème de la fumure ». L’ensemble de ces deux ouvrages publiés sous l’intitulé général de Principes d’agronomie donne un cadre de pensée dans lequel ressort la prédominance du milieu (sol et climat) sur la biologie végétale et selon lequel c’est en modifiant le « milieu cultural » – selon l’expression de Demolon – par les techniques que l’on peut agir sur les végétaux cultivés (chapitre 1, encadré 1.1).

    8La façon qu’a Demolon de considérer les rapports de la plante cultivée au milieu, selon les conceptions écologiques de l’époque, le conduit à proposer des principes de fertilisation différents des agronomes chimistes, qui considèrent les éléments nutritifs azote (N), phosphore (P) et potassium (K) indépendamment les uns des autres. Considérant l’interdépendance de ces éléments, il élabore la « doctrine française de fertilisation », qui consiste à donner à l’azote la fonction de « pivot de fumure », à déterminer approximativement, pour une culture, la quantité à apporter et à choisir les doses de phosphore et de potassium de façon à assurer à l’azote son maximum d’efficacité (chapitre 1, figure 1.1). Mais, prenant en compte les premières connaissances de microbiologie des sols, il met en garde sur le fait que « l’apport direct d’azote trouble [la fixation microbienne du sol] et rend la terre paresseuse à fixer l’azote de l’air ; les engrais azotés se comportent en la circonstance comme un facteur antagoniste »68. Ce faisant, Demolon montre qu’il est conscient des limites de certaines actions sur le milieu pour favoriser la croissance des plantes, dans la mesure où elles entravent des processus naturels favorables à cette croissance. Nous verrons que les agronomes mettront du temps à concevoir des interventions culturales qui tiennent compte des régulations biologiques à l’œuvre dans les agroécosystèmes. Demolon ne manque pas de souligner également l’intérêt de bien utiliser la fixation symbiotique par l’association de légumineuses aux graminées dans les prairies et de légumineuses à graines dans les rotations. Cependant, malgré l’intérêt qu’il porte à la microbiologie des sols, la place qu’il fait à l’humus dans la fertilité des sols est réduite à ses effets sur les propriétés physico-chimiques. À la même époque, l’Anglais Howard (1940), dans son Testament agricole, à partir des nombreuses observations de pratiques paysannes faites en Inde, pressent un ensemble de fonctions joué par l’humus. Mais ses idées, reposant sur des savoirs empiriques plus que sur des théories, non encore élaborées, ne sont pas reconnues dans la communauté scientifique. On verra au chapitre 6 que cette réserve vis-à-vis des savoirs empiriques s’est traduite par une longue période d’indifférence à l’agriculture biologique de la part des institutions de recherche, à laquelle a succédé un intérêt de plus en plus poussé qui se traduit maintenant par des programmes qui lui sont dédiés.

    9Cependant, pendant la Seconde Guerre mondiale, nécessité faisant loi, la pénurie d’engrais (fabrication d’explosifs dans les usines productrices d’azote, arrêt des importations de phosphates) conduit à une réhabilitation des pratiques organiques et de leurs fondements théoriques (Pessis, 2019). La limitation forcée de la fertilisation minérale donne aux agronomes, Demolon en tête, un élan pour accentuer les recherches en microbiologie des sols. Des recherches sont entreprises sur la valorisation des ordures ménagères, la sélection de souches microbiennes symbiotiques des légumineuses, l’introduction de ces dernières dans les rotations, ainsi que sur des cultures dérobées pour limiter les pertes en nitrates. Mais, comme nous le verrons, la guerre finie, c’est la fertilisation minérale qui sera rapidement privilégiée en raison de son efficacité immédiate sur le rendement des cultures.

    Agronomie et géographie : description et évaluation des pratiques agricoles

    10À côté des agronomes qui approfondissent la connaissance des processus au sein du champ cultivé, d’autres étudient les procédés de culture que pratiquent les agriculteurs : choix des espèces cultivées, rotations pratiquées, proportions entre terres de culture et prairies naturelles utilisées par des élevages, en appliquant couramment le concept de système de culture dans le sens qu’en a donné de Gasparin (chapitre 1, encadré 1.6). Ils se placent dans la suite des études régionales de Hitier (1913), professeur à l’Institut national agronomique (INA), qui fait une place importante à la géologie, mais aussi à la géographie de Vidal de La Blache. Ils mettent donc en rapport les caractéristiques du milieu (sols et climat) et les pratiques agricoles dans des études régionales, comme le font également les géographes qui abordent, à cette époque, les questions agraires. La géographie régionale est, en effet, en vogue chez les géographes français qui utilisent le concept de système de culture dans un sens très voisin de celui de de Gasparin (George, 1974). Exemple de proximité de ces deux disciplines : de 1929 à 1955, agronomes et géographes participent à la délimitation, sur le territoire métropolitain, de 432 « petites régions agricoles » qui servent de base à de nombreuses investigations microrégionales et à la publication de données statistiques (Ravignan et Roux, 1990).

    11Outre-mer, les pratiques traditionnelles des paysans restent peu étudiées, à quelques exceptions près. Il faudra attendre l’après-guerre pour que les pratiques agricoles paysannes et leurs déterminants soient réellement pris en compte. L’objectif est principalement de s’affranchir des contraintes locales, naturelles et humaines, pour « rationaliser » et augmenter la production par une artificialisation du milieu. C’est la période de la mise en place des grandes plantations de palmier à huile, de cocotier, d’hévéa, etc., et l’objectif des agronomes est principalement d’apporter une fumure optimale aux cultures mises en place. La recherche tropicale donne alors la priorité aux grandes productions capables d’alimenter en matières premières un Occident qui s’industrialise : coton, huile de palme, café, cacao, etc.

    12Quelques agronomes choisiront néanmoins de s’intéresser aux pratiques locales. Un bon exemple en est l’ouvrage publié par Dumont, en 1935, après trois ans passés dans les rizières du delta du Tonkin. Rare ouvrage de ce type consacré par un agronome aux pays d’outre-mer, qui sera heureusement suivi par de nombreux travaux de géographes tropicalistes, comme la thèse de Pélissier (1966). En concevant des propositions d’amélioration des techniques traditionnelles à partir de comparaisons de situations, Dumont jette les bases d’un futur enseignement d’« agriculture comparée » (Cochet, 2011). En métropole, des études similaires sont entreprises. Dans les régions considérées comme présentant des conditions de production proches, les agronomes repèrent les « meilleurs agriculteurs » pour faire connaître leurs « bonnes pratiques », sans être bien capables toutefois d’en analyser ce qui en fait le succès (voir chapitre 2, « La normalisation des “bonnes pratiques” »). L’article de Riedel et Franc de Ferrière (1951), paru après la guerre, est significatif de cette démarche qui vulgarise auprès des agriculteurs de la Brie les « bonnes pratiques » à partir d’une classification pédologique des sols de limon. La mise en rapport, à l’échelle régionale, des caractéristiques des milieux avec les cultures pratiquées et les rendements obtenus conduit les agronomes à parler de « vocation agricole », terme un peu trop empreint d’un certain déterminisme géographique que, d’ailleurs, les géographes ne défendent pas, imprégnés qu’ils sont de culture historique, et que les agronomes remplaceront plus tard par « aptitudes culturales » (Hénin, 1980b).

    13Ainsi, jusqu’au début de la guerre et même dans la décennie qui a suivi, l’agronomie n’est pas encore établie sur des bases fermes. On relève, d’un côté, des recherches qui se veulent fondamentales sur le sol, et des recherches plus appliquées sur le climat et les plantes cultivées qui, en définitive, intègrent peu le choix des techniques, mise à part la fertilisation ; de l’autre, une description des pratiques culturales paysannes dans des situations mises en comparaison, mais sans corpus explicatif des processus.

    Agronomie et génétique : une division inégale du travail en faveur du progrès technique

    14Alors que l’agronomie est encore bien tâtonnante, l’amélioration des plantes, qui s’appuie sur les fondements théoriques bien établis de la génétique, connaît des progrès plus mesurables. Juste après la Seconde Guerre mondiale, la priorité est à la reconstruction de l’agriculture nationale. Il faut que la France puisse subvenir le plus vite possible à ses besoins alimentaires. Dumont, en 1946, esquisse un plan d’orientation et d’équipement. La priorité est d’augmenter la production et la productivité du travail par la sélection des plantes, la fertilisation et la mécanisation selon la voie américaine du « progrès » que Dumont, alors, cite en exemple69. Le même schéma de progrès est appliqué dans toutes les colonies françaises en Afrique et en Asie par les instituts de recherche spécialisés récemment créés. Aussi, lorsqu’est créé, en 1946, l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), une rude bataille se joue entre les tenants de différentes disciplines scientifiques. Les recherches fondamentales poursuivies par Demolon ne sont plus de mise. Le rapport de force est en faveur de Charles Crépin, directeur de la Station centrale d’amélioration des plantes, à qui est confiée la direction de l’Inra (chapitre 6). L’amélioration des plantes deviendra alors pendant longtemps le domaine phare de l’Inra (Bonneuil et Thomas, 2009).

    15Ainsi, en France comme dans le monde entier, s’installe, par une extrapolation abusive de la loi dite « des facteurs limitants » énoncée par von Liebig, une séparation des fonctions de recherche : à la génétique le rôle moteur de sélectionner des variétés au plus haut potentiel permis par les variables non modifiables du milieu (température, rayonnement, etc.), à l’agronomie de réduire ce qui en limite l’expression. Généralisant la loi des facteurs limitants, énoncée par von Liebig pour les éléments nutritifs, aux contraintes physiques du sol, excès ou manque d’eau, maladies, ravageurs, etc., les agronomes se spécialisent. Chaque agronome s’intéresse prioritairement à un facteur limitant, comme le notent Cornu et Meynard (2020).

    16Le même contexte s’instaure dans les régions de l’outre-mer. Les instituts, structurés par espèces cultivées et par filières de production (chapitre 6), déploient dans les colonies des stations de recherche focalisées sur la productivité d’espèces végétales destinées à fournir des produits d’exportation à une métropole demandeuse. En lien avec des intérêts privés, des plantations monospécifiques (palmiers à huile, cocotiers, hévéas, caféiers, cacaoyers, bananeraies, ananas, manguiers, etc.) sont établies, lieu d’évaluation des nouveaux hybrides issus des laboratoires et des champs d’essais des chercheurs en amélioration des plantes, et bases de production pour l’exportation. Le dispositif est installé au Sénégal, en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Togo, au Bénin, à Madagascar, en Indochine, etc. La plupart des disciplines (agronomie, mais aussi entomologie, phytopathologie, nématologie, technologie alimentaire) répondent à l’organisation mise en place autour de l’amélioration des plantes, dans la perspective d’optimiser la productivité de nouveaux génotypes.

    17Beaucoup (les généticiens, mais aussi les acteurs de la décision publique) considèrent que c’est avant tout par l’amélioration des plantes que la recherche peut répondre aux injonctions de la puissance publique d’augmenter la production agricole : la génétique apportera le progrès. Des essais multilocaux font ressortir les comportements des variétés. Et, sous la direction de la Station centrale d’agronomie générale et de biochimie, les stations d’agronomie, sur l’ensemble du territoire, continuent à être « des bureaux d’études de la fertilisation ». L’expérimentation de techniques de fertilisation a donc le vent en poupe dans des démarches phytotechniques qui visent, par la recherche empirique de « paquets techniques », à augmenter les rendements de variétés améliorées en permettant l’expression de leur potentiel en fonction d’un milieu donné qu’il convient de modifier en conséquence. Sont ainsi établies des relations « techniques → rendement », tout au plus des relations « paquets techniques → rendement », pour tenir compte des relations entre les techniques culturales successives. Ces travaux aboutissent à des recommandations de type normatif auprès des agriculteurs (chapitre 2). La même démarche s’applique dans les régions d’outre-mer, où de grandes stations sont créées et dédiées à l’amélioration des plantes. Les variétés performantes sont ensuite fournies aux planteurs, accompagnées du « paquet technique » censé être optimal. Les productions serviront essentiellement à approvisionner la France en matières premières alimentaires (fruits, huile, café, cacao, etc.) ou industrielles (coton, latex). Si, dans les institutions de recherche, l’amélioration des plantes tend à mettre l’agronomie sous sa coupe, les contenus d’enseignement des chaires d’agriculture des institutions d’enseignement supérieur illustrent parfaitement la séparation qui existe, au cours des premières décennies suivant la guerre, entre agronomie et amélioration des plantes (chapitre 7). D’un côté (à Paris et à Grignon), l’enseignement sait différencier les milieux et diffuse peu ou prou les « Principes d’agronomie », de l’autre (à Rennes et à Montpellier), c’est l’amélioration des plantes qui domine avec l’idée d’introduire dans les plantes un progrès génétique. Tandis que les agronomes ont de la diversité génétique une appréhension très sommaire qui se réduit à ce qu’ils appellent « l’effet variété ». Il faudra attendre les années 1990 pour qu’un lien se fasse après de longues décennies d’ignorance réciproque.

    Agronomie et sciences animales : des relations qui se compartimentent

    18La première révolution agricole au xvie siècle en Europe avait consacré une étroite imbrication entre agriculture et élevage, concrétisée par les rotations dites « de Norfolk » en Angleterre, où l’introduction de soles pâturées de prairies à base de légumineuses dans la rotation des cultures avait fait passer les rendements céréaliers de 10 à 20 quintaux par hectare (Lemaire et al., 2019b). Les animaux d’élevage n’étaient plus seulement des consommateurs d’espaces communs extérieurs à l’ager du cultivateur ou de résidus alimentaires familiaux, mais devenaient constitutifs d’un agrosystème en apportant des fonctions essentielles tant sur le plan agronomique par le découplage et le recouplage des cycles des éléments minéraux (carbone, azote, phosphore), le maintien de la fertilité des terres, la diversité des rotations et des assolements, que sur le plan économique, par la trésorerie des exploitations, la diversification et la valorisation des produits et du travail. Les métiers de cultivateur et d’éleveur étaient alors indissociables au sein de chaque exploitation, d’autant plus que le cheptel de trait était essentiel.

    19La motorisation (le tracteur et le fioul remplaçant l’animal de trait et l’avoine) et l’utilisation des engrais de synthèse, qui se sont développées depuis les années 1950, ont permis la disjonction de la production du champ de celle de l’étable, tant à l’échelle de l’exploitation individuelle que de régions entières (chapitre 3). L’agronomie s’est alors consacrée à la production du champ cultivé, essentiellement céréalier, laissant la gestion des troupeaux à une zootechnie naissante s’émancipant des sciences vétérinaires. Cette dichotomie a eu lieu dans tous les pays développés (États-Unis, Europe, Australie, puis Argentine, Brésil, etc.) dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, entraînant une séparation structurelle et institutionnelle de plus en plus importante entre la recherche en production végétale et la recherche en production animale. Ainsi, la production fourragère d’une part, et le recyclage des éléments nutritifs par les déjections animales d’autre part, qui étaient à la base du fonctionnement des systèmes de polyculture-élevage, ont été disjoints et donc mal traités, malgré leur rôle essentiel dans la régulation d’ensemble d’un système de production agricole cohérent.

    20Le lien le plus direct entre agronomie et zootechnie a été celui des herbivores domestiques et de la prairie. La révolution fourragère (« l’herbe, ça se cultive… » !), débutée en 1945, s’est concrétisée par :

    • la volonté de la génétique de faire bénéficier aux prairies, par l’amélioration des plantes, le progrès génétique alors déjà en marche pour les céréales (création à l’Inra de la station de Lusignan), en remplaçant les prairies naturelles jugées peu productives par des prairies temporaires et artificielles ;

    • le souhait des agronomes d’utiliser les fourrages et des prairies temporaires dans les rotations (ley-farming) pour améliorer la fertilité et surtout la structure des sols (Monnier, 1957), et d’augmenter la productivité des prairies grâce aux amendements et à la fertilisation minérale ;

    • l’objectif des zootechniciens d’assurer une nutrition équilibrée des animaux grâce aux ressources fourragères produites en étudiant le déterminisme de la qualité des fourrages et de leur valorisation par les ruminants (travaux de Jarrige, puis Demarquilly).

    21À cette époque, 1950-1980, le triptyque amélioration des plantes, agronomie, zootechnie a réellement organisé la révolution fourragère. Des débats animés ont eu lieu à l’époque entre les tenants du retournement des prairies permanentes naturelles, jugées peu productives (René Dumont, Jean Rebischung), et ceux prônant au contraire leur maintien et leur valorisation (André Voisin, Louis Hédin). Les agronomes se sont montrés partagés entre ces deux tendances, entre ceux privilégiant l’approche phytosociologique et écologique des prairies naturelles (Jeannin, de Montard) et ceux privilégiant la production fourragère par la culture de l’herbe grâce à l’utilisation des engrais. Étrangement, l’agronomie est restée relativement à l’écart de cette problématique en concentrant ses études sur les systèmes de culture d’espèces annuelles, essentiellement céréaliers, et ayant peu d’interactions avec l’élevage. Elle a d’ailleurs contribué indirectement à la disparition massive des prairies permanentes en accompagnant leur drainage, réalisé par les ingénieurs du génie rural, et leur chaulage, ce qui a permis leur retournement et leur conversion en terres arables.

    L’identification de l’agronomie, tournant dans ses relations aux autres disciplines

    22C’est donc essentiellement sur les cultures d’espèces annuelles que, dans les années 1960 et 1970, les fondations de l’agronomie comme discipline autonome ont été posées. Sans doute est-ce parce qu’elle a été refondée, en France, dans une école d’ingénieur (chapitre 7) que l’agronomie a cherché à relier « comprendre et agir » à travers deux démarches nouvelles et complémentaires. L’une est une démarche clinique, qui permet à partir d’observations in situ d’inférer des fonctionnements que des connaissances théoriques ont permis d’établir, l’autre, une démarche conceptualisant la logique décisionnelle qui génère les systèmes d’action technique à mettre en œuvre pour agir sur les fonctionnements. Ces démarches faisaient jusqu’à présent défaut aux investigations des agronomes. Elles leur ont permis d’avoir un objet d’étude bien spécifique, le champ cultivé (chapitre 3), et de concevoir l’action de cultiver comme résultant de boucles de rétroactions entre diagnostics et conception de systèmes d’action.

    L’approche clinique pour comprendre les processus

    23À la retraite de Demolon, Hénin, dès 1945, prend la tête du laboratoire des sols qu’il parviendra ensuite à étoffer. À partir de sa compétence spécifique en physique du sol, il poursuit la réflexion générale de Demolon sur ce que peut devenir l’agronomie. Et c’est pourquoi, en France, l’agronomie s’est trouvée dans la filiation de cette branche de la science du sol, ce qui lui a évité la tutelle exclusive de la chimie. On peut certes regretter la place prise par ces processus physico-chimiques du sol dans l’explication des phénomènes par rapport à l’importance des régulations biologiques, telles que les avait pressenties Demolon à propos de l’azote. Mais, pour comprendre le rôle que ce laboratoire a joué sur la refondation de l’agronomie, l’essentiel n’est pas là. Il est dans le pont jeté entre des études théoriques en laboratoire et en stations expérimentales et les pratiques agricoles, qui comble une lacune que nous avons soulignée au cours de l’époque précédente. Qu’une partie de ce laboratoire s’intitule « laboratoire des techniques culturales » est significatif, tout au moins de ses intentions de recherche. L’ouvrage Le Profil cultural (chapitre 1, figure 1.2), qui paraît en 1960 juste après la nomination de Hénin comme professeur d’agriculture générale à l’INA (chapitre 7), est le fruit des travaux de son équipe de l’Inra. Il a été conçu pour être « une méthode d’examen de l’état du sol affecté par les façons culturales et exploité par les racines » (Hénin et al., 1960). Il sera abondamment utilisé dans l’enseignement par ses premiers assistants au cours des tours de plaine (Sebillotte, 1969) (chapitre 2).

    24On peut considérer Hénin comme le fondateur d’une démarche clinique du diagnostic agronomique in situ, qui renoue ainsi avec la « clinique agricole » de Dombasle (Benoît et Knittel, 2017). Il n’est pas étonnant que le profil cultural, portant sur l’état physique du sol et ses conséquences agronomiques, ait servi d’outil de diagnostic. En effet, cet état, sur l’évolution duquel l’agriculteur peut intervenir, conditionne beaucoup le fonctionnement du champ cultivé. Le profil cultural permet de faire un lien explicite et en partie explicatif entre des états du milieu, des interventions culturales et leurs effets conjoints sur la performance des cultures. Il a permis aux agronomes d’étudier le champ cultivé pas seulement, comme ils le faisaient jusqu’à présent, pour y décrire les façons culturales qui y sont pratiquées, ou pour y préconiser des techniques de fertilisation, mais pour inférer son fonctionnement à partir de mesures et d’observations. Comme indiqué au chapitre 2 (voir « Le diagnostic-conseil »), le profil cultural devient un outil de diagnostic qui se pratique à l’échelle d’une station représentative d’une zone homogène au sein d’une parcelle (chapitre 3).

    25Mais les agronomes ont très vite eu besoin de compléter cet outil de diagnostic du sol par un diagnostic de la plante. Dès la fin des années 1960, ils ont précisé leurs connaissances sur l’effet des techniques culturales sur les facteurs et les conditions de la croissance et du développement des plantes, utilisant les premiers travaux de physiologie végétale et de bioclimatologie dus à Geslin, mais surtout ceux du laboratoire d’étude des sols dont Monnier a pris la direction. Ces connaissances leur ont servi à concevoir des schémas d’élaboration du rendement dans les années 1970. Ces outils consistaient à mettre en relation l’évolution des états du milieu avec les différentes composantes du rendement au cours des étapes successives où s’élabore chacune d’elles sous l’effet des techniques, des événements climatiques et des agents pathogènes. C’est pourquoi ils ont été surtout utilisés pour les céréales (Boiffin et al., 1981) et de façon plus générale pour les espèces annuelles productrices de grains dont le cycle cultural peut être découpé en étapes et repéré par des stades phénologiques (chapitre 1, encadré 1.4, et chapitre 2, figure 2.1). Ils ont cependant été assez vite établis pour la betterave sucrière (Papy, 1973) et la canne à sucre (Jouve, 1976), puis adaptés à d’autres cultures et enrichis, plus tard, de connaissances en écophysiologie (Malézieux, 1988). Ils seront alors progressivement intégrés dans les modèles de culture. Nous allons voir que l’étude des principaux processus du fonctionnement du peuplement végétal apportera une plus forte consistance théorique à cet outil (Combe et Picard, 1994). Cependant, ces deux outils de diagnostic (le profil cultural et le schéma d’élaboration du rendement), utilisés au départ par les agronomes, présentent des limites quant à leur capacité de rendre compte de l’ensemble des processus qui interviennent dans la production de matière végétale. Aussi les agronomes vont-ils approfondir leurs connaissances sur ces processus grâce à des apports venant de disciplines voisines.

    La conception de systèmes techniques pour comprendre les logiques de décision

    26Monnier (1969) analyse comment les techniques permettent d’adapter le milieu aux besoins des plantes et au maintien du sol en « bon état de culture ». Puis, montrant qu’une technique a de multiples effets (dont certains indésirables), qu’il n’existe pas de relation bi-univoque entre techniques culturales et caractéristiques du milieu et que l’effet des techniques est conditionné par l’aléa climatique, il conclut « que l’ensemble des techniques appliquées à une culture doit être considéré comme un tout ». C’est en raison de ce lien que des conseils sont donnés aux praticiens sous forme de paquets techniques à mettre en œuvre, se présentant comme des recettes. Mais c’est considérer l’agriculteur comme un exécutant et non comme un acteur qui a des objectifs, des connaissances issues de son expérience, ainsi d’ailleurs que des contraintes qui lui sont propres. C’est pourquoi l’article de Sebillotte (1974) peut être considéré comme le second élément fondateur de l’agronomie en complément de la démarche clinique. En effet, y lit-on, l’agronome doit « répondre à toute une série de questions que lui pose l’agriculteur ». Et pour ce faire, Sebillotte ne se contente pas de dresser une liste de références pour répondre à ces questions. Il imagine l’agronome en situation d’action. À l’échelle spatiale de la parcelle cultivée et temporelle du cycle cultural, les agronomes doivent, dit-il, concevoir des itinéraires techniques qui sont définis, dans cet article, comme « des combinaisons logiques et ordonnées de techniques ». C’est une vision d’enchaînement dynamique d’interventions culturales s’apparentant au concept industriel de génie des procédés qui nécessite de comprendre les décisions qui en sont à l’origine. Aussi, empruntant des concepts aux disciplines sur la cognition et la décision, l’article précise que l’itinéraire technique primo résulte d’un choix fait, face à des risques, entre plusieurs stratégies possibles pour atteindre un objectif donné, et secundo contient des règles tactiques d’adaptation immédiate des opérations culturales à des aléas. C’est le début d’une théorie agronomique de l’action qui suppose que l’acteur a des objectifs, fonction de possibilités et de contraintes qu’il perçoit, et une représentation de l’évolution probable des événements dans laquelle il doit agir. Il faut croire que, mettant l’agronome en situation d’action, Sebillotte s’est bien rapproché de la réalité, car le concept d’itinéraire technique a tout de suite été utilisé dans une démarche compréhensive des pratiques, c’est-à-dire des techniques mises en œuvre par les agriculteurs. C’est ainsi que, dès 1979, Papy et Lelièvre utilisent ce concept pour comprendre les différences de pratiques d’installation de la sole céréalière, en climat méditerranéen, dans les différents types d’exploitations rencontrés. Ils montrent que, pour répondre à l’antagonisme qui existe, pour tous les agriculteurs, entre la nécessité de semer tôt pour bénéficier de la courte saison des pluies et celle de maîtriser les adventices, il n’existe pas de solution unique. Les itinéraires techniques, différant d’ailleurs selon les exigences des orges et des blés, diffèrent aussi, pour une même espèce, selon les risques qu’il est possible de prendre en fonction des moyens de préparation du sol dont dispose chaque agriculteur.

    27L’itinéraire technique ayant montré sa pertinence comme concept d’action, Sebillotte va ensuite s’en inspirer pour stabiliser la signification de système de culture qui, jusqu’alors, ne l’était guère (chapitre 1). Sur un pas de temps pluriannuel, le système de culture peut se définir comme une suite logique et ordonnée de cultures successives, avec comme objectifs le rendement de chacune d’elles et le maintien des capacités productives de la parcelle. Le concept de système de culture inclut celui des itinéraires techniques appliqué à chaque culture. Selon la question étudiée et le pas de temps sur lequel elle doit l’être, à la fin des années 1970, les agronomes utilisent l’un ou l’autre de ces deux termes pour désigner le système technique appliqué à une parcelle cultivée70. Pour rester fidèles à cette acception liée à l’action, les agronomes francophones utilisent cropping system pour traduire le terme français de système de culture. Cependant, comme le souligne Fresco (1984), le sens est différent en anglais ; il désigne l’ensemble des activités de production végétale au sein de l’exploitation agricole. Les agronomes francophones ne peuvent cependant pas traduire, sans trahir leur pensée, système de culture par cropping pattern qu’utilisent Zandstra et al. (1981). Aussi ont-ils pris soin, au début, de souligner la diversité des acceptions et la signification qu’ils en donnent, comme le font, par exemple, Boiffin et al. (2001). On peut se demander si, au fil du temps, cette précaution n’étant pas toujours prise, ils restent bien compris.

    28À partir d’une démarche de diagnostic et des concepts d’itinéraire technique et de système de culture, les agronomes construisent alors les bases d’un corpus théorique qui relie les connaissances sur les processus biophysiques à des logiques d’action résultant de processus de décision. Dès lors, l’agronomie ne peut plus être envisagée comme application d’une autre discipline, quelle qu’elle soit. De laquelle, d’ailleurs, le serait-elle ? Son objet d’étude est le système constitué à la fois par les processus naturels sur lesquels agit l’agriculteur et par les logiques d’action de ce dernier.

    29Dans la section suivante, nous allons voir comment, avec des sciences naturelles, les agronomes ont enrichi leur corpus théorique dans des relations interdisciplinaires en passant de l’agrosystème à l’agroécosystème ; puis comment, munis de ce dernier, au-delà des questions de production, ils ont pu aborder les questions d’environnement, de biodiversité et de santé dans des relations transdisciplinaires. Dans la dernière section, ce sont les relations avec les sciences humaines et sociales qui sont abordées. Mais cette fois non par discipline, mais autour de deux objectifs : remonter la chaîne des processus décisionnels jusqu’aux systèmes sociotechniques et politiques qui influent sur les systèmes de culture et se donner des bases scientifiques pour s’impliquer dans la diffusion des connaissances sur les processus et pour concevoir des innovations.

    À partir des années 1980, avec les sciences naturelles, mieux comprendre pour mieux agir

    30Nous avons vu au chapitre 3 comment les agronomes ont été confrontés à des problèmes de complexité croissante. Ajoutant aux problèmes de production ceux liés à l’environnement, ils ont été conduits, grâce à des collaborations avec d’autres disciplines que nous allons retrouver ici, à reconsidérer leur corpus théorique pour concevoir ce qu’ils appellent désormais l’« agroécosystème ». Suivant un sens pratiquement inverse, nous allons, dans ce chapitre, partir des relations interdisciplinaires ayant permis de construire le concept d’agroécosystème pour voir comment, par des collaborations transdisciplinaires, les agronomes ont pu aborder les problèmes qui font l’objet du chapitre 3. Cependant, avant de suivre, au cours du temps, l’enrichissement conceptuel ayant conduit à l’agroécosystème, faisons le point sur la situation de l’agronomie en France au tournant de l’année 1980.

    Avec la physico-chimie du sol et la physique du climat, agir sur le milieu cultural de la plante cultivée : l’agrosystème

    31Pour étudier l’ensemble « climat-sol-plante-techniques » tel que représenté dans la figure 2.7 du chapitre 2, les agronomes utilisent un bagage conceptuel venu essentiellement de la physico-chimie du sol et de la physique du climat. Ces connaissances portent sur les effets sur la plante cultivée du milieu cultural, pour reprendre l’expression de Demolon, essentiellement physico-chimique. Leur spécificité est d’étudier l’effet du système technique appliqué (itinéraire technique ou système de culture, selon le pas de temps considéré) sur cet ensemble pour en tirer un rendement se rapprochant le plus possible du potentiel. Les emprunts conceptuels faits aux disciplines du sol et du climat ont été largement présentés au chapitre 1 : texture, structure, stabilité structurale, capacité d’échange, réserve utile, point de flétrissement, rayonnement, évapotranspiration potentielle et réelle, etc. Dans cet héritage, les disciplines du milieu physique dominent. Les collaborations se poursuivent. Il n’en a pas été de même avec la physiologie végétale. Dès les années 1950, pourtant, les collaborations entre l’agronomie et la physiologie végétale avaient permis d’étudier les grandes fonctions physiologiques impliquées dans la production végétale : croissance et développement des plantes, assimilation du carbone, absorption et assimilation de l’azote et des minéraux, composition biochimique des plantes et qualité des récoltes. Ainsi, les travaux de Coïc (1956) sur la dynamique des besoins en azote du blé avaient permis aux agronomes de préconiser le fractionnement des apports d’engrais azotés afin de faire coïncider au mieux la disponibilité de cet élément très mobile dans le sol avec la période de besoins élevés des cultures. De la même manière, des travaux sur la vernalisation des plantes et sur les effets de la photopériode avaient jeté les bases des modèles de développement des espèces cultivées qui ont servi d’échelle phénologique pour raisonner les interventions culturales sur les différentes espèces cultivées. Cependant, très vite, le besoin pour la physiologie végétale d’expliciter de manière de plus en plus poussée les mécanismes biologiques sous-jacents aux différentes fonctions a fait basculer cette discipline vers l’approche in vitro, à l’échelle de l’organe, voire du tissu ou même de la cellule, en s’éloignant donc de plus en plus du fonctionnement de la plante entière et, a fortiori, du peuplement végétal. Pour un temps, une rupture entre agronomie et physiologie végétale s’est ensuivie.

    32Dès lors comment, au début des années 1980, les agronomes utilisent-ils ces matériaux conceptuels venant d’autres disciplines ? Ils les utilisent à des fins de diagnostic sur les champs des agriculteurs (ou sur des parcelles d’essais) et à des fins de conception d’itinéraires techniques pour atteindre, au début tout au moins, les rendements potentiels.

    33Le premier de ces usages (le diagnostic) est bien illustré par la façon dont ils organisent leurs connaissances théoriques dans les schémas d’élaboration du rendement. La figure 4.1, tirée d’une étude de diagnostic régional sur la fertilisation azotée du blé, le montre bien (Boiffin et al., 1981).

    Figure 4.1. Schéma d’élaboration du rendement du blé (Boiffin et al., 1981).

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    Le temps est découpé en phases du développement de la plante au cours desquelles sont élaborées les composantes du rendement. Le sens des flèches indique la façon dont ces dernières sont expliquées. En italique sont indiquées les données fixées au moment de l’installation de la culture et les modalités d’apport de l’azote et, en majuscules, les enregistrements et les observations réalisés sur les parcelles.

    34Cet exemple montre la façon dont les agronomes étudient, au début des années 1980, le fonctionnement de la parcelle cultivée qui est schématisée par la figure 4.2a (encadré 4.1) pour illustrer ce que nous appelons l’agrosystème. Le système technique s’applique sur les facteurs du milieu pour permettre à la plante cultivée d’aboutir à une production71. Les diagnostics permettent de revoir, si besoin est, en cours de culture l’itinéraire technique, et dans tous les cas de le reconsidérer une fois le cycle achevé dans une démarche itérative de type retour d’expérience.

    35Le second usage des apports venant des disciplines du milieu cultural consiste à concevoir de nouveaux systèmes techniques. Ainsi par exemple, dans le cas de la fertilisation, les diagnostics d’analyses de sol permettent de pronostiquer la réponse de la plante en fonction de ses exigences propres et donc d’ajuster des doses d’apport. Pour l’azote, compte tenu de la dynamique et de la mobilité de cet élément, la démarche est un peu plus complexe. À partir d’un diagnostic sur le reliquat de l’azote minéral dans le sol en début du cycle cultural, elle consiste à établir un bilan prévisionnel entre la demande de la plante liée au rendement objectif, les fournitures en azote du sol et les pertes par lixiviation et par émissions atmosphériques, pour en déduire une dose optimale d’apport (Hébert, 1969 ; Rémy et Hébert, 1977). La méthode du bilan prévisionnel repose sur l’hypothèse que l’ensemble de l’azote minéral du sol disponible depuis la mesure du reliquat jusqu’à la récolte est utilisé par la plante. Les agronomes se rendront compte plus tard que dans sa mise en œuvre, et même dans son principe, cette méthode conduit à une surfertilisation. Une autre méthode de raisonnement de la fertilisation consiste en un diagnostic de la nutrition minérale de la plante à partir d’analyses de feuilles réalisées à des moments clés de son cycle phénologique. Cette approche par le diagnostic foliaire a largement été utilisée de façon efficace sur les plantes pérennes tropicales (palmier à huile, cocotier, hévéa, etc.), dès les années 1960, pour établir des plans de fumure censés procurer des rendements proches du rendement potentiel. Établies selon des méthodes empiriques, elles conduisent cependant à définir des seuils dont l’imprécision amène également à une surfertilisation en azote et en phosphore, dont il est prouvé désormais que, même minime, celle-ci provoque des dégâts importants sur les milieux aquatiques et l’effet de serre.

    36En appliquant au champ des connaissances de physique du sol établies en laboratoire, les agronomes étudient sur le profil cultural l’organisation spatiale des actions de fragmentation dues aux outils, et des actions de compactage dues aux passages de roues (chapitre 2, figure 2.7 ; Manichon, 1982b ; Gautronneau et Manichon, 1987). Ils notent l’effet de ces organisations structurales sur l’enracinement (Tardieu et Manichon, 1987) ou sur la circulation de l’eau dans le sol (Papy, 1986). Ils modélisent au cours du temps, sous l’effet des opérations successives de travail du sol, l’évolution des éléments structuraux les plus compacts défavorables aux végétaux (Roger-Estrade et al., 2004), ou encore, sous l’effet des pluies, la dégradation structurale à la surface du sol (Boiffin, 1984). Comme indiqué au chapitre 1, l’ensemble de ces travaux a largement contribué à comprendre et à modéliser les processus qui prévalent dans l’implantation des cultures (Boiffin et al., 2020 ; Aubertot et al., 2020) et dans le ruissellement érosif (Boiffin et al., 1988).

    37Un autre exemple d’emprunt de concepts se situe dans le domaine de la consommation d’eau par les plantes et de la conduite de l’irrigation. Les agronomes se sont très tôt appuyés sur les concepts venant de la bioclimatologie, comme l’évapotranspiration potentielle (ETP) et l’évapotranspiration réelle (ETR), et des sciences du sol, comme la réserve utile. Ils ont ainsi quantifié les besoins en eau des cultures et analysé les réponses à l’irrigation en estimant l’efficience des apports d’eau calculés pour combler le déficit ETR/ETM (ETM : évapotranspiration maximale) (Marty et al., 1975).

    38Si, au début des années 1980, les agronomes conservent une vision du milieu cultural très liée aux aspects physico-chimiques du sol et aux aspects physiques du climat, c’est qu’ils ont vu dans l’arrivée de pesticides sur le marché une opportunité de ne pas avoir à s’occuper de la lutte contre les bioagresseurs, excepté cependant pour les adventices qui pouvaient être partiellement détruites par des opérations de travail du sol. Ce n’est que plus tard qu’ils auront comme objectifs la réduction des pesticides. Et si, dès 1985, Meynard (1985) conçoit pour le blé des itinéraires techniques qui ne visent pas le rendement potentiel et permettent de réduire engrais et pesticides, ce n’est pas, au premier chef, pour réduire les effets environnementaux de ces intrants, c’est pour adapter la conduite du blé à la concurrence de la culture de betterave sucrière dans l’organisation du travail au sein de certaines exploitations. C’est, en définitive, pour donner à l’agriculteur les meilleures chances de fabriquer suffisamment tôt le lit de semences des betteraves.

    39Ainsi le concept d’agrosystème des agronomes, au début des années 1980, a prouvé ses capacités comme outil de diagnostic et de conception. Il lui manque cependant de considérer les rétroactions des plantes sur leur propre milieu de manière réellement dynamique. Pourtant, dans son article fondateur de 1974, Sebillotte avait écrit : « On pourrait alors être tenté de n’étudier, dans cet ensemble de relations [il s’agit de l’ensemble formé par la plante, le climat et le sol], le sol et le climat que vis-à-vis de leur action sur la plante cultivée. Or, précisément, à cause des interrelations entre la plante, le climat et le sol, on ne doit pas privilégier l’étude de ces relations dans le seul sens milieu-plante cultivée. » Malgré cette pensée prémonitoire, c’est pourtant bien ce qu’ont fait pendant longtemps les agronomes. Il manque également aux agronomes les connaissances qui leur permettront d’envisager des voies biologiques de lutte contre les bioagresseurs des plantes cultivées. Ces vides vont être comblés par les apports d’autres disciplines.

    Avec l’écophysiologie, mieux comprendre le fonctionnement du peuplement et les interactions plante-milieu : l’agroécosystème

    40L’apport de l’écophysiologie, qui a elle-même importé des concepts de l’écologie fonctionnelle, va radicalement modifier la conception des agronomes sur le fonctionnement de la parcelle cultivée. L’écologie fonctionnelle, telle qu’elle a été pratiquée au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive du Centre national de la recherche scientifique (CEFE-CNRS) de Montpellier à la suite d’Eckart, a étudié initialement les interactions entre les plantes et leur milieu dans des formations végétales naturelles en l’absence de toute intervention humaine. Ainsi, introduisant dans leur conception l’idée qu’un couvert végétal fonctionne comme un écosystème indépendamment de toute action, les agronomes modifient leur conception du fonctionnement de la parcelle cultivée. Ils passent d’une conception où les techniques de culture agissent sur le milieu pour satisfaire aux besoins des cultures à une conception où ces techniques modifient ou perturbent une dynamique de fonctionnement faite d’interactions multiples entre le milieu et les plantes cultivées. Ainsi un écosystème piloté en fonction d’objectifs devient un agroécosystème, et la parcelle cultivée de l’agriculteur, d’agrosystème qu’elle était pour les agronomes, devient agroécosystème (encadré 4.1, figure 4.2b). Analysons comment cette nouvelle conception a été intégrée en agronomie.

    41Il n’est guère étonnant que l’écophysiologie ait été introduite par les agronomes des prairies. Celles-ci sont en effet des formations végétales peu soumises aux interventions culturales. Contrairement aux cultures annuelles, les prairies ont une croissance continue tout au long de l’année, et non pas avec un début et une fin de cycle sanctionnée par un rendement. Le concept même de rendement est donc inopérant. La productivité des prairies ne peut donc s’exprimer qu’en termes de vitesse de croissance, et les effets du milieu sur la production de fourrage doivent donc s’analyser de manière dynamique sur la modulation de cette vitesse. En prenant la vitesse de croissance comme objet d’étude en soi, les agronomes des prairies ont remplacé l’approche phasée de l’agrosystème par une approche dynamique par laquelle le temps intervient de manière continue, et non plus seulement sous forme de repère discret dans l’analyse des processus (Gillet et al., 1984).

    42Dans cette optique dynamique, l’approche de type bilan et stock de la nutrition minérale n’est pas satisfaisante et doit être remplacée par une approche reliant la disponibilité instantanée des éléments, la capacité de prélèvement des plantes et de leur demande en éléments minéraux à la vitesse de croissance. La même approche dynamique est appliquée dans les travaux pionniers de bioclimatologie de l’Inra (Varlet-Grancher et al., 1982) sur les processus de captation et de conversion de la lumière par les peuplements végétaux, qui sont essentiels comme outil d’analyse du fonctionnement des agroécosystèmes (Gosse et al., 1984). Il est ainsi possible de réunir dans un même cadre conceptuel et fonctionnel la nutrition en carbone et la nutrition en azote et de renouveler les principes de la fertilisation azotée (Lemaire, 1997). Pour toute culture, il est possible de déterminer un indice de nutrition azotée en référence à une courbe de teneur critique en azote de la plante en fonction de la biomasse de la culture (Lemaire et Meynard, 1997). Le concept de courbe de dilution a été, plus tard, étendu aux autres éléments tels que le phosphore, le potassium et le soufre (Lemaire et al., 2019b). Ainsi, la plante est elle-même un acteur essentiel de la disponibilité des éléments minéraux dans le sol. L’utilisation des relations d’allométrie entre la croissance des plantes et leurs prélèvements d’éléments minéraux, largement inspirée par les approches de l’écologie fonctionnelle, permet de rendre compte de la rétrorégulation essentielle de la nutrition minérale des plantes et des interactions (synergies et antagonismes) entre éléments (Briat et al., 2020). Cette nouvelle conception du fonctionnement de la parcelle cultivée amène à reconsidérer les méthodes de conduite de la fertilisation pour l’azote (Ravier et al., 2018).

    43La charte de l’écophysiologie, signée en 1990 entre les départements de bioclimatologie et d’agronomie de l’Inra (chapitre 6), a donné aux diagnostics agronomiques basés sur les analyses des composantes du rendement des cultures un cadre plus fonctionnel. Ainsi, ces composantes du rendement peuvent prendre en compte la dynamique des processus morphogénétiques et des processus d’acquisition et du partage des ressources en carbone et en azote au sein de la plante. Ce couplage entre l’acquisition des ressources (photosynthèse et absorption minérale) et leur utilisation dans les méristèmes pour la croissance a été à la base de l’approche de modélisation (Bonhomme et al., 1995) qui a permis aux agronomes d’accéder à la simulation des effets de pratiques culturales sur les performances des cultures à travers l’élaboration d’outils comme Stics (Brisson et al., 1998). Ces formalismes avaient déjà été établis aux États-Unis dans l’orbite de la crop physiology, discipline sœur de l’écophysiologie dans le monde anglo-saxon bien que moins tournée justement vers les rétroactions plante-peuplement-milieu.

    44En considérant le peuplement végétal comme une entité fonctionnelle échangeant des flux de matière et d’énergie avec le sol et l’atmosphère, l’écophysiologie a permis de séparer l’efficacité de l’acquisition des ressources (lumière, carbone, azote, phosphore, minéraux, eau, etc.) de celle de la conversion de ces ressources en production récoltable. Il en est ressorti que les efficiences de conversion (qu’il s’agisse de celle du rayonnement, de l’azote et même de l’eau) s’avèrent assez peu variables entre espèces et génotypes, alors que les efficiences de captation, aussi bien pour la lumière, pour les éléments minéraux que pour l’eau, sont beaucoup plus sensibles à la variabilité génétique. De la même manière, pour améliorer les rendements, les interventions culturales sur les parcelles doivent avant tout permettre aux plantes de mieux capter les ressources dans l’atmosphère et dans le sol.

    45En interaction avec la bioclimatologie, l’écophysiologie a étudié les échanges de matière et d’énergie, au sein et à proximité des peuplements, dans la zone appelée « couche limite » : c’est-à-dire l’extinction de la lumière et la modification de sa qualité, les gradients thermiques et de concentration en CO2 et les échanges de chaleur latente (encadré 4.1, figure 4.2b). Ces échanges modifient le milieu réellement perçu par les différents organes de la plante. Ils induisent des réponses adaptatives des plantes à ces modifications qui ont permis, enfin, de coupler la nutrition carbonée et la nutrition azotée dans un même formalisme. L’analyse des effets directs du milieu sur les plantes et des rétroactions que ces effets produisent sur leurs propres causes permet donc de considérer la culture comme un ensemble de plantes, interagissant les unes avec les autres par des modifications locales de leur milieu. En établissant ainsi des relations de hiérarchie pour l’acquisition des ressources (Lemaire et Millard, 1999), une deuxième génération de modèles dits « architecturaux » (Moulia et al., 2000) fait progresser les connaissances sur le fonctionnement des cultures plurispécifiques et plurivariétales.

    46Dans le sol, la captation des ressources par les plantes a été abordée plus tard. Ceci est dû aux difficultés inhérentes à l’observation et à l’étude des systèmes racinaires, et au fait que pour l’étude de la biologie du sol on a longtemps manqué d’outils d’analyse performants de la diversité des organismes souterrains. Mais des avancées significatives sont réalisées dans les régions d’outre-mer sur les plantes pérennes comme le palmier, le caféier ou le cocotier, avec des approches innovantes sur le plan expérimental et théorique, basées sur des représentations en 3D, qui permettront de nouvelles approches pour comprendre le développement racinaire et le représenter.

    47À partir des années 1980-1990, en s’enrichissant de connaissances sur la biologie des sols, la discipline de l’écophysiologie prend en compte le rôle de la flore et de la faune du sol en interaction avec les racines dans ce qu’on appelle la rhizosphère. Ceci permet de comprendre la dynamique de disponibilité et de prélèvement des éléments minéraux par les plantes (encadré 4.1, figure 4.2b ; voir la synthèse de Recous et al., 2019). Les végétaux diffèrent dans leur aptitude à sélectionner des communautés microbiennes dont deux sont impliquées dans des symbioses majeures : la symbiose fixatrice d’azote, qui concerne principalement les légumineuses et permet de réduire (voire de supprimer) le recours aux engrais azotés, et la symbiose mycorhizienne, qui confère à la majorité des espèces cultivées une meilleure capacité à prélever le phosphore du sol, économisant ainsi une ressource non renouvelable (Hinsinger et al., 2019a). Le rôle de ces symbioses, longtemps sous-estimées ou oubliées, fait maintenant l’objet de collaborations interdisciplinaires entre agronomes et microbiologistes.

    48Aux interfaces avec l’atmosphère et le sol, les concepts de couche limite et de rhizosphère traduisent l’idée que la végétation modifie son propre milieu. Ces rétroactions des plantes sur leur propre milieu donnent à la parcelle cultivée ses propriétés systémiques émergentes d’autorégulation, d’autoadaptation et d’autoévolution (encadré 4.1, figure 4.2b). Sur cette parcelle cultivée, conçue, grâce à des apports venant d’autres disciplines, comme un écosystème, les agronomes raisonnent désormais les interventions culturales comme des perturbations d’un fonctionnement général intégré, et non plus seulement comme des modifications du milieu aux limites externes du système. La parcelle peut donc être désormais considérée pour les agronomes comme un « agroécosystème ».

    Encadré 4.1. Un changement de paradigme : de l’agrosystème à l’agroécosystème

    À partir d’un paradigme initial basé sur l’analyse de la cohérence des actes techniques mis en œuvre par l’agriculteur et de la réponse des cultures aux modifications du milieu qu’ils induisent en fonction d’un unique objectif de rendement (figure 4.2a), l’agronomie a effectué deux mutations importantes grâce à l’interdisciplinarité :

    • la prise en compte, avec l’appui des disciplines de l’écologie fonctionnelle, des multiples rétroactions des plantes sur leur milieu, qui confèrent aux peuplements cultivés des propriétés autoévolutives et autoadaptatives similaires à celles des écosystèmes naturels. Les actes techniques deviennent alors des perturbations pilotées par l’agrosystème, ce qui aboutit à la notion d’agroécosystème (figure 4.2b) ;

    • la multiplication et l’élargissement des objectifs aux problématiques de l’environnement et de la biodiversité, qui ont nécessité un changement d’échelle spatio-temporelle et de niveaux d’organisation impliquant des collaborations plus larges avec les disciplines de l’environnement physique et biologique (figure 4.2c).

    D’une approche linéaire initiale…

    Figure 4.2a. Représentation de l’approche initiale de l’agronomie.

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    Cette analyse s’effectue à l’échelle de la parcelle cultivée, même si le système technique qui traduit la cohérence des interventions culturales est déterminé à des niveaux plus englobants (exploitation agricole). Le rendement d’une culture (Y), dans un milieu donné, résulte d’un potentiel (Ymax) dépendant essentiellement de la génétique et de variables non modifiables du milieu (température, rayonnement, etc.), et de facteurs limitants successifs (contraintes physiques du sol, éléments nutritifs, excès ou manque d’eau, maladies, ravageurs, etc.) qu’il convenait donc de supprimer grâce à des interventions techniques mobilisant les intrants correspondants (mécanisation et travail du sol, drainage, fertilisation, irrigation, pesticides, etc.). Le caractère systémique (agrosystème) de cette approche concerne la réflexivité de l’analyse qui, grâce à un système de décision basé sur des diagnostics d’état des cultures et des pronostics de réponses, permettait une autoadaptation de l’action de l’agriculteur à des contextes et à des conditions sans cesse changeants.

    … à une approche écosystémique, à l’échelle de la parcelle…

    Figure 4.2b. Représentation du fonctionnement d’un peuplement cultivé.

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    La prise en compte explicite des nombreux processus de rétroaction des plantes sur leur milieu physique et biologique permet d’identifier des entités fonctionnelles comme la couche limite au niveau aérien ou la rhizosphère au niveau souterrain, qui deviennent de véritables interfaces au sein desquelles sont régulés les échanges entre les divers composants d’un peuplement cultivé, désormais pleinement considéré comme un véritable écosystème dont le fonctionnement global peut alors être analysé en fonction d’objectifs plus divers que le seul rendement. Les interventions culturales sont ici considérées comme des perturbations appliquées à l’ensemble de l’écosystème dont les bases de fonctionnement sont identiques à celles des écosystèmes naturels. Comme dans l’approche précédente (figure 4.1), la spécificité de l’agronomie revient à relier ces interventions culturales à l’agrosystème par l’intermédiaire du système de décision en fonction des outils de diagnostic et de pronostic qui en permettent le pilotage. Ainsi, cette nouvelle approche est doublement systémique : au niveau de l’agrosystème et au niveau de l’écosystème, ce qui permet de définir un agroécosystème.

    … puis à celle du territoire

    Figure 4.2c. Une agronomie des territoires… vers la transdisciplinarité.

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    Le territoire agricole est considéré comme un réseau d’agrosystèmes devant être gérés de manière coordonnée pour mettre en relation les différents écosystèmes constitutifs, afin d’optimiser un certain nombre de fonctions à des échelles englobantes, compte tenu de contraintes locales naturelles ou humaines.

    Avec l’écologie fonctionnelle, comprendre comment réguler les bioagresseurs, préserver et cultiver la biodiversité : l’agroécosystème (suite)

    49Au début des années 1990, les impacts des pesticides sur l’environnement et la santé humaine commencent à être reconnus et deviennent une préoccupation importante. Au cours de cette période, les agronomes mettent déjà au point des itinéraires techniques et des systèmes de culture qui limitent les fuites d’azote nitrique et réduisent les résidus de pesticides vers les sols, les eaux et les produits végétaux. Des recherches se généralisent à travers des « essais systèmes » où sont testées des règles d’action par rapport à plusieurs objectifs explicités (Meynard et Girardin, 1991). Mais ce sont là essentiellement des recherches de combinaisons techniques. Alors qu’en France, les entomologistes de l’Inra ont été, dès les années 1960, parmi les fondateurs de la lutte intégrée – méthode qui associe lutte biologique et lutte chimique afin de faire jouer au mieux les régulations biologiques –, les agronomes n’ont alors pas su voir l’intérêt de leurs travaux (Lescourret et al., 2019). L’interaction entre les disciplines de l’agronomie et de l’écologie fonctionnelle des populations n’est pas encore lancée. Un saut conceptuel sera fait à travers l’émergence et la valorisation du concept de biodiversité. À l’Inra, en 1998, l’agronomie, l’écophysiologie et la bioclimatologie (réunies dans le département Environnement et agronomie), et la phytopathologie, l’entomologie et la malherbologie (département Santé des plantes et environnement) sont appelées à collaborer (Lescourret et al., 2019 ; chapitre 6). Il faut dire que l’émergence des idées autour de l’agroécologie et de la biodiversité bouleverse certaines visions. Cependant, petit à petit, les agronomes utilisent des concepts venus de l’écologie (Lescourret, 2012), par exemple celui de niche trophique pour concevoir un mode de régulation des bioagresseurs par des plantes de couverture, ou celui de trait fonctionnel pour concevoir des communautés de plantes complémentaires et résilientes (Malézieux et al., 2009 ; Malézieux, 2012). C’est donc aux alentours des années 2000 que les centres d’intérêt des agronomes vont progressivement, mais profondément, évoluer vers la prise en compte explicite des régulations biologiques dans les agrosystèmes, régulations qui incluent bien sûr les interactions avec les bioagresseurs, autrefois apanage exclusif des disciplines de la protection des plantes.

    50Se multiplient alors des études sur les interactions entre espèces cultivées, bioagresseurs et auxiliaires, et entre adventices et plantes cultivées, permettant de proposer des méthodes de lutte (Lavigne et al., 2011). Ces évolutions sont révélatrices des évolutions qui marquent l’influence des approches et des démarches de l’agroécologie, formalisée par Altieri (1987 ; 1989), sur l’agronomie (Doré et al., 2011b). Ces nouveaux processus nécessitent de prendre en compte de nouvelles échelles. Certes, la régulation des adventices ou encore celle des champignons pathogènes telluriques, qui ne se dispersent que sur de faibles distances, relève principalement d’un fonctionnement de l’agroécosystème à l’échelle parcellaire. Pour lutter contre les adventices, les agronomes savent, depuis les avancées faites en écophysiologie sur les peuplements complexes plurispécifiques, que les adventices ne deviennent un problème qu’à partir du moment où elles entrent en compétition pour la lumière avec les espèces cultivées. Leur consommation des autres ressources (eau, azote et minéraux) est totalement inféodée à leur accès à la lumière (Perthame et al., 2020). À part certaines espèces nocives pour l’homme (datura, ambroisie), il ne s’agit donc plus d’éliminer totalement les adventices des parcelles, mais de connaître la tolérance des plantes cultivées à leur présence. La lutte contre les champignons pathogènes telluriques demande une étude de la concordance entre le cycle des parasites et celui des plantes cultivées, par une collaboration avec la phytopathologie. Se poursuivent alors des recherches sur des itinéraires techniques à bas niveaux d’intrants utilisant des variétés multirésistantes et des successions de cultures diversifiées (Meynard et al., 2003 ; Loyce et al., 2011).

    51Mais la production agricole dépend aussi de populations mobiles, comme les pollinisateurs, ou encore de bioagresseurs qui peuvent se disperser à distance et être régulés par des auxiliaires. Toutes ces populations en cause sont liées à l’organisation spatiale du paysage (chapitre 3, figure 3.4). Il a fallu un certain temps aux écologues pour reconnaître que la mosaïque des parcelles participait à la continuité écologique, eux qui, au début, n’imaginaient cette continuité que dans le réseau des formations semi-naturelles (Aviron et al., 2019). Désormais, c’est sur l’ensemble des unités paysagères qu’agronomes et écologues étudient les cycles de vie des bioagresseurs et des auxiliaires en relation avec le peuplement cultivé. Ces unités ne sont plus vues comme résultant de l’activité productrice, ainsi que les avaient tout d’abord définies Deffontaines, mais bien construites à dessein pour préserver la biodiversité et entretenir les auxiliaires des cultures (Médiène et al., 2011 ; chapitre 1, figure 1.3). Elles sont constituées non seulement d’une diversité de cultures sur des parcelles pas trop grandes pour permettre les déplacements alimentaires d’auxiliaires, mais aussi d’éléments semi-cultivés (arbres, haies, fossés) pour leur servir d’habitats (Burel, 2017). C’est donc, en définitive, à l’échelle du paysage qu’il faut définir l’agroécosystème et mettre en œuvre les stratégies de protection intégrée des cultures.

    52Ainsi, pour réduire au maximum l’usage des pesticides jusqu’à ne les utiliser qu’en dernier recours, on doit concevoir des agroécosystèmes qui favorisent l’abondance et la diversité des ennemis naturels des bioagresseurs. Comme le soulignent les entomologistes Deguine et Ratnadass (2016), les stratégies de protection agroécologiques des cultures visent à établir des équilibres bioécologiques entre communautés animales et végétales dans le but de prévenir les risques d’infestation de bioagresseurs des cultures. La finalité n’est pas tant, précisent ces auteurs, de concevoir des techniques ayant un objectif spécifique de protection des cultures que de piloter l’agroécosystème grâce à l’ensemble des techniques de travail du sol, de succession des cultures, de date et de densité des semis, de fertilisation, de couverture végétale du sol, etc., mais aussi de dimension des parcelles et d’entités semi-cultivées, comme les haies, les bordures de champs et de chemins. À travers ces travaux, en s’appuyant sur les concepts de l’écologie fonctionnelle, l’agronomie et l’entomologie connaissent d’importantes avancées conceptuelles qui servent de base à la conception de nouveaux systèmes.

    53C’est aussi dans cet esprit que collaborent agronomes et écologues en associant les principes de l’écologie du paysage (Burel et Baudry, 1999) au pilotage des systèmes de culture et des espaces agricoles. Avant de se généraliser, cette collaboration avait débuté, dès 1993, à Rennes, au département Système agraire et développement de l’Inra, par la comparaison fonctionnelle de trois unités agrophysionomiques se distinguant par la densité du bocage. Les interactions entre activités agricoles et biodiversité y ont été analysées (Baudry et al., 2000). À partir de nombreux dispositifs de ce genre, véritables expérimentations de systèmes conçues à l’échelle du paysage, cette collaboration se poursuit. L’ouvrage Paysage, biodiversité fonctionnelle et santé des plantes (Petit et Lavigne, 2019) présente une synthèse de la réponse des bioagresseurs, auxiliaires et pollinisateurs à l’organisation spatiale et temporelle des paysages. Face à la diversité des contextes d’action et à la complexité du pilotage des équilibres bioécologiques, la protection agroécologique des cultures met les agronomes au défi de concevoir des solutions plurielles adaptées localement (Meynard et Jeuffroy, 2021).

    54Au-delà de la simple préoccupation de protection des cultures, les interactions biotiques et les régulations biologiques peuvent être valorisées par la conduite d’agroécosystèmes complexes composés de plusieurs espèces (Malézieux et al., 2009). Il est ainsi possible de tirer profit de la complémentarité des caractéristiques adaptatives et fonctionnelles des différentes espèces cultivées ensemble. La place de l’arbre dans les agroécosystèmes devient de plus en plus reconnue. Et plus la biodiversité cultivée intentionnellement est complexe, plus la biodiversité associée est forte. Mais passer d’un système composé du meilleur génotype dans le meilleur environnement possible à un système composé de la meilleure complémentarité de gamme dans un environnement hétérogène et peu prévisible constitue un changement de paradigme profond qui nécessite l’apport de connaissances génériques construites à partir de situations pionnières (Reboud et Malézieux, 2015).

    Avec la génétique, de nouvelles relations interdisciplinaires

    55Le choix variétal ne peut être séparé de la conduite des cultures. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le progrès génétique a été considéré comme le moteur du développement de l’agriculture. L’avancée génétique a ainsi consisté à créer des variétés dont la courbe de réponse aux apports d’engrais, notamment d’azote, ne fléchit qu’à des doses trois à quatre fois supérieures à celles obtenues pour des variétés traditionnelles. Cette stratégie a été adoptée dans le monde entier, dans les pays du Nord comme du Sud, dans l’élan de la Révolution verte, avec l’appui de toutes les organisations internationales. L’agronomie, avons-nous dit, mais aussi les disciplines liées à la santé des plantes devaient étudier comment artificialiser le milieu pour permettre l’expression du potentiel génétique. Ce ne sont pas les variétés, sélectionnées pour de hauts rendements potentiels, qui sont directement responsables des nuisances sur l’environnement, mais les systèmes de culture conçus pour exprimer ce potentiel. Dès lors que, pour préserver l’environnement, la recherche agronomique focalise ses priorités sur la conception de systèmes économes en intrants et basés sur les régulations écologiques offertes par des systèmes plus complexes, il faut repenser l’amélioration variétale.

    56Le rendement d’une plante dépend de trois propriétés des peuplements cultivés : la capacité à capturer dans le milieu les ressources nécessaires à la croissance des plantes (lumière, eau, azote, minéraux) – c’est l’efficience de captation – ; la capacité à convertir ces ressources captées en biomasse végétale – c’est l’efficience de conversion – ; la capacité à affecter la biomasse élaborée à la formation des organes récoltés (grains ou tubercules) – c’est l’indice de récolte. Or l’efficience de conversion de l’énergie captée en biomasse a très peu évolué au cours de l’histoire de la sélection végétale (Gosse et al., 1986). Le progrès génétique a été essentiellement dû à l’amélioration de l’efficience de captation de la ressource « lumière » grâce à la rapidité de mise en place des surfaces foliaires. De même, l’efficience de conversion de l’azote absorbé en biomasse est restée très stable dans l’histoire de l’amélioration des plantes, alors qu’il existe une grande variabilité encore mal explorée de l’aptitude des plantes à prélever l’azote du sol même dans un environnement pauvre en azote (Lemaire et Gastal, 2008). De manière similaire pour la ressource en eau, on trouve plus de variabilité inter et intraspécifique dans la capacité de la plante à extraire de l’eau de l’ensemble des horizons du sol, et donc à échapper à la sécheresse, que dans sa capacité à produire une quantité de biomasse donnée avec une quantité d’eau transpirée donnée (efficience de l’eau). Par conséquent, les efficiences de conversion des ressources (photosynthèse, azote, eau, etc.) n’ont pratiquement pas été augmentées par la sélection. Seuls les indices de récolte (harvest index) l’ont été. Et tant que le progrès génétique s’est accompagné d’une augmentation concomitante de la disponibilité des ressources (en particulier azote et eau) grâce aux apports d’intrants, la capacité des génotypes à prélever efficacement leurs ressources dans leur milieu n’a pas été priorisée par les sélectionneurs.

    57Le progrès génétique doit désormais changer d’orientation. Il consiste à sélectionner des génotypes capables de mieux capter les ressources du milieu lorsque celles-ci sont limitantes et de mieux résister aux stress abiotiques, aux maladies et à la compétition des adventices (Meynard et Jeuffroy, 2002), voire des autres espèces cultivées en association. Ainsi sont recherchées des variétés peu exigeantes en azote du fait de leur plus grande efficacité d’absorption du système racinaire, mais aussi tolérantes aux stress hydriques par une réduction de la transpiration et une augmentation du prélèvement d’eau par expansion racinaire (Tardieu, 1996). Sont également recherchées des variétés multirésistantes aux maladies qui, malgré leur plus faible potentiel de rendement, peuvent être avantageusement cultivées avec des densités de peuplement plus faibles et des doses de fertilisation azotée réduites (Loyce et al., 2001).

    58Ainsi, le choix variétal doit répondre à des objectifs multiples, parfois contradictoires, et, dans tous les cas, de plus en plus variés. Par ailleurs, la volonté de diversifier les cultures conduit les agronomes à s’intéresser à des espèces dont l’amélioration génétique a été délaissée et qui doivent s’intégrer dans des systèmes de culture. Pour ces raisons se sont multipliées des recherches portant sur le choix d’idéotypes variétaux associés à des itinéraires techniques dans un milieu donné. Debaeke et al. (2014) donnent un exemple de conception d’idéotype pour le pois d’hiver qui combine des connaissances de la génétique, de l’écophysiologie, de l’agronomie et de la pathologie avec des avis d’experts.

    59Enfin, une autre voie de collaboration entre généticiens et agronomes est à ouvrir. Plutôt que de mettre tous les gènes d’intérêt au sein d’une même plante, elle consiste à introduire les gènes favorables au sein d’une même population de plantes génétiquement hétérogènes. Vidal et al. (2014) montrent qu’une association bien choisie de variétés d’une même espèce permet de réguler les maladies et de stabiliser la production. Au-delà, la combinaison d’espèces dans un même système (en association sous diverses formes), y compris certaines espèces ligneuses et pérennes (agroforesterie), conduit à rechercher de nouvelles propriétés chez les cultivars (meilleure tolérance à l’ombre, exploration d’horizons du sol différents, etc.) (Montazeaud et al., 2018). Ainsi, allant plus loin, des programmes de recherche entre génétique des populations, écophysiologie et agronomie sont entrepris, dans des démarches de sélection participative, tout particulièrement dans les pays du Sud, autour de l’intérêt et de l’amélioration de « variétés populations » (Vom Broke et al., 2010).

    Avec la zootechnie, des relations interdisciplinaires entérinant la dissociation entre culture et élevage

    60Nous avons vu que les agronomes des prairies et du pâturage ont joué un rôle important dans l’introduction de l’écophysiologie dans le corpus théorique de l’agronomie. Inversement, les concepts d’itinéraire technique et de système de culture ont servi à concevoir ceux de système de pâturage, de système fourrager et de système d’élevage, tout particulièrement au sein du département Système agraire et développement de l’Inra, réunissant zootechniciens et agronomes des prairies. Mais, dans la réalité, par la force des choix politiques (accords commerciaux internationaux) et de la recherche d’efficacité immédiate (augmentation rapide de la production), les mondes du « végétal » et de l’« animal » ont continué à se disjoindre et à se compartimenter en filières par espèce.

    61L’expansion du maïs comme ressource fourragère, commencée dès les années 1970-1980, a joué un rôle déterminant dans cette évolution. Pour produire du lait ou de la viande, il a été associé à des importations massives de tourteaux de soja à bas prix. Il a pris la place de l’herbe, et l’insertion des prairies dans les rotations céréalières comme source de fertilité des sols et de contrôle des adventices, maladies et ravageurs, théorisée dans le ley-farming, est rapidement devenue une thématique obsolète. Pour l’agronome, le maïs fourrage est devenu une culture identique au maïs grain, qu’il s’agissait alors d’intégrer au système de culture annuel, indépendamment de son usage ultérieur.

    62La dichotomie entre agronomie et zootechnie est donc liée à une sectorisation générale des filières d’une agriculture essentiellement productive. Mais les problématiques environnementales et alimentaires qui s’imposent aujourd’hui remettent en exergue des concepts et des approches systémiques qui étaient autrefois la base de l’agriculture. Il ne s’agit plus d’une simple interdisciplinarité impliquant des échanges de connaissances et de méthodes entre disciplines végétales et animales, mais bien de la mise en place d’actions de recherche et de développement résolument transdisciplinaires.

    Avec les sciences de l’environnement, les sciences animales et de l’alimentation, proposer des agroécosystèmes innovants

    63À partir des années 1980, de façon tout à fait progressive au cours du temps, nous avons vu au chapitre 3 que les agronomes ont pris de plus en plus en compte l’environnement, devenu une préoccupation majeure pour la société. La question revêt plusieurs aspects : pollutions azotées, diffusion des pesticides dans l’eau, l’air, le sol, résidus de pesticides dans les produits agricoles, pollution de l’eau par les particules de terre, les microbes, impacts sur la biodiversité, émissions de gaz à effet de serre, etc. La prise en compte des impacts négatifs s’intensifie. Les agronomes collaborent alors, dans des démarches transdisciplinaires, avec plusieurs disciplines pour comprendre et atténuer les différents impacts de l’agriculture, dans différents contextes, d’abord sur l’environnement puis, depuis les années 2010, sur la santé, à travers l’alimentation principalement. Ils s’engagent alors dans la mise au point de nouvelles méthodes d’évaluation multicritère des formes d’agriculture, pour concevoir des agroécosystèmes adaptés à différentes situations et à différents objectifs. Cet élargissement devrait s’amplifier pour contribuer à l’adaptation de l’agriculture au changement global, c’est-à-dire au dérèglement climatique, aux cycles planétaires de l’eau, de l’azote et du phosphore, à la diminution globale de la biodiversité, à l’apparition de pollutions globales, ainsi qu’au changement d’occupation des sols à grande échelle en relation avec l’accroissement de la population mondiale. Dans ces changements, l’élevage occupe une place centrale par l’importance des ressources mobilisées (surface, énergie) et des impacts générés. À cet égard, la question des modalités d’élaboration de la biomasse végétale (combien, comment et où ?) et de ses utilisations (food, feed, fuel, fibre and fertility, « denrées alimentaires, aliments pour animaux, combustibles, fibres et fertilité ») est devenue essentielle, et pour cela les agronomes doivent travailler en transdisciplinarité.

    Avec les sciences de l’environnement

    64Avec l’hydrogéologie, la géomorphologie, la biogéochimie et la science du sol, les agronomes ont cherché, aidés de modélisations, à reproduire les flux hydriques de surface ou de profondeur, au sein de bassins-versants et d’aquifères, qui créent des processus érosifs et contribuent à des pollutions multiples de la ressource en eau : pollution par les nitrates, les pesticides, les particules terreuses, les microbes, etc. Dans ces entités géomorphologiques, ils ont pu ainsi repérer différentes zones fonctionnelles justifiant des traitements spécifiques. C’est ainsi que, tenant compte de la différence de risques de lixivation de l’azote hors de portée des racines entre les zones d’un aquifère, Sebillotte et Meynard (1990) préconisent des itinéraires techniques adaptés aux potentialités locales et, dans les exploitations d’élevage, une meilleure gestion des effluents et des prairies. C’est ainsi également que, croisant la modélisation du processus érosif et des systèmes de culture au sein des exploitations, Joannon (2004) étudie les possibilités d’organiser les systèmes de culture dans l’espace pour réduire l’érosion (figure 4.2c, encadré 4.1).

    65Bien que des chercheurs en écotoxicologie aient montré, dès les années 1970, les impacts des pesticides sur les écosystèmes (Pesson, 1976), les agronomes ont tardé à prendre en charge cette question. Cependant, dès qu’elle a pris plus d’ampleur, c’est bien sûr avec des écotoxicologues qu’ils cherchent à construire, à la fin du siècle dernier, des indicateurs de risques liés à l’usage des pesticides (Devilliers et al., 2005).

    66Qu’il s’agisse des teneurs en nitrate ou en pesticides, l’enjeu de préservation de la qualité de l’eau devenant important, c’est toute la réorganisation de l’espace qu’il faut considérer. À cet égard, l’exemple des sources de Vittel est emblématique, puisque la réorganisation de l’entreprise est allée jusqu’à un réagencement des bâtiments, des prairies et des cultures (Deffontaines et Brossier, 1997). Les approches spatiales de régulation des impacts de polluants sont multiples ; elles combinent de nouvelles méthodes de diagnostic ou de modélisation, comme c’est le cas pour l’épineux problème des pesticides aux Antilles (Mottes et al., 2015 ; 2017).

    67Au fur et à mesure qu’ont émergé à la fin du xxe siècle les problèmes environnementaux liés aux échanges gazeux, la nature des relations entre l’agronomie et les sciences de la Terre (plus particulièrement celles du climat et du sol) s’est fortement transformée. Les sciences du climat ont commencé à mesurer les émissions gazeuses dues à l’agriculture, tout d’abord pour estimer les pertes que ces émissions représentent dans le cycle de l’azote pour l’alimentation des plantes cultivées, puis pour estimer l’émission des gaz à effet de serre. Ainsi, dans les années 1990, les bioclimatologues de l’Inra mesurent les émissions d’ammoniac, particulièrement au moment des épandages de lisier, avec pour objectif d’en déduire les pertes pour la culture, signe que l’objectif premier est encore la production. À la même époque, les émissions de protoxyde d’azote étaient considérées comme un poste de perte négligeable dans le cycle de l’azote, au regard de la présence de nitrates dans l’eau, alors objet de préoccupation majeure. Et dans le sol, le carbone était essentiellement étudié par le rôle qu’il joue vis-à-vis de propriétés du sol comme la rétention en eau, la stabilité structurale, la vie microbienne, la fourniture d’éléments minéraux à la végétation.

    68La finalité environnementale s’affirmant, les sciences du sol, du climat et l’agronomie nouent de nouvelles relations pour étudier les multiples échanges gazeux au sein de l’ensemble sol-couvert végétal-atmosphère. Poursuivant leurs travaux réalisés sur l’ammoniac, les bioclimatologues mettent au point, à l’échelle de la parcelle, des instruments de mesure des émissions au niveau de la couche limite, puis des modèles de volatilisation et de transport aérien. À l’ammoniac, perçu désormais comme un polluant de l’air, viennent s’ajouter d’autres composés nocifs à la santé : oxydes d’azote, ozone, produits phytopharmaceutiques, composés organiques volatils, particules (Génermont et al., 2019). Les modèles d’émission de transport et de dépôts de ces polluants sont mis au point à différentes échelles. Quant aux émissions de protoxyde d’azote, le regard des chercheurs change totalement lorsqu’on prend conscience de leur rôle sur l’effet de serre additionnel qui provoque le dérèglement climatique (Pellerin et al., 2019b). À partir de l’année 2000, les efforts portent sur l’évaluation des émissions de protoxyde d’azote dans les parcelles et leur modélisation, ainsi que sur les émissions de méthane dans les élevages. Et dans le sol, le carbone est abordé pour son rôle dans l’atténuation du changement climatique dans la mesure où il peut être stocké (Arrouays et al., 2002). Les potentiels de stockage du carbone dans les sols sont alors estimés.

    69Les impacts de ces différents échanges de gaz ne se manifestent pas tous aux mêmes échelles spatio-temporelles (chapitre 3). Les échanges de gaz à effet de serre se manifestent à l’échelle planétaire et sur de très longues durées, tandis que les autres émissions ont des effets plus locaux et pouvant être très brefs. Mais, pour les agronomes, c’est aux échelles locales qu’il faut réguler toutes les émissions, ainsi que le stockage du carbone dans les sols, en concevant de nouveaux agroécosystèmes visant de multiples objectifs.

    Avec la zootechnie, reconstruire l’interface entre production végétale et animale

    70À partir des années 1990-2000, les problématiques d’environnement et de biodiversité ont fait émerger des interfaces interdisciplinaires indispensables à reconquérir.

    L’interface herbe-animal au pâturage

    71La recherche d’une « agriculture plus économe et plus autonome »72 a remis le pâturage de l’herbe au centre de la problématique de l’élevage des herbivores domestiques. La gestion du pâturage est devenue essentielle, alors que les études pionnières d’André Voisin des années 1950 avaient été sinon combattues, du moins largement occultées et oubliés dans le maelstrom de la mécanisation et de l’intensification des années 1970-1980. Les recherches sur l’interface herbe-animal au pâturage, liant l’écophysiologie des espèces prairiales et leurs propriétés autoadaptatives à la défoliation par l’animal, et le comportement alimentaire des herbivores à la structure du couvert végétal, ont été fortement développées par une étroite collaboration entre agronomie et zootechnie en France dans les années 1990-2000, prenant la suite du leadership de la recherche anglo-saxonne sur cette thématique. Ces analyses ont été réalisées aussi bien au niveau des processus élémentaires liant la morphogenèse des plantes et la dynamique de croissance des peuplements prairiaux que des processus de régulation de l’ingestion de l’herbe par l’animal, de son temps de pâturage, de la formation des bouchées pour la préhension de l’herbe, et de la structure, la composition et la qualité du bol alimentaire (Peyraud et al., 1996). Ces études analytiques ont abouti, faisant suite aux travaux empiriques d’André Voisin, à de nouvelles règles de conduite du pâturage plus génériques et basées sur une meilleure connaissance de l’interaction herbe-animal permettant d’optimiser le prélèvement de la ressource ainsi que son renouvellement. De plus, ce cadre d’analyse a permis d’aborder, enfin, la diversité botanique des prairies et leur contribution générale à la biodiversité, de manière plus fonctionnelle que celle jusqu’ici mise en œuvre par les agronomes de la prairie par les méthodes purement descriptives de la phytosociologie (Garnier et Navas, 2011). Les traits fonctionnels des espèces prairiales, caractérisant leurs réponses aux facteurs du milieu et à l’action de défoliation de l’animal, et leurs effets sur la production et le comportement alimentaire de l’animal (Duru et al., 2010) sont devenus ainsi un concept et un outil essentiel de l’écologie des prairies pâturées, englobant les points de vue de l’agronomie et de la zootechnie dans l’analyse de l’agroécosystème prairie.

    Les légumineuses prairiales

    72La nécessité de réduire l’utilisation des engrais azotés de synthèse a fait prendre conscience aux agronomes et aux zootechniciens de l’intérêt de réhabiliter les mélanges prairiaux contenant des légumineuses, et notamment l’usage du trèfle blanc dans les prairies pâturées. Cet élan est parti de l’initiative d’éleveurs laitiers bretons (Pochon, 2008) en réaction au système maïs/ray-grass alors dominant, et a été relayé par les agronomes et les zootechniciens de Bretagne qui ont pu ainsi montrer qu’un système de production laitière « à l’herbe », suffisamment productif et respectueux de l’environnement, était possible. Cette collaboration est un exemple de transdisciplinarité réussie impliquant directement les acteurs, aussi bien les éleveurs laitiers que les responsables d’aménagement au niveau des territoires pour la reconquête de la qualité des eaux en Bretagne73.

    Les effluents d’élevage

    73La maîtrise des pollutions engendrées par la concentration territoriale d’élevages intensifs a fait prendre conscience à la fois aux agronomes et aux zootechniciens des différentes filières animales qu’il était indispensable de concevoir des systèmes d’élevage, de traitement et de recyclage des effluents impliquant une réutilisation agronomique des matières fertilisantes. Là encore, dès les années 2000, des actions de recherches transdisciplinaires impliquant agronomie, zootechnie, hydrologie et bioclimatologie ont visé à réduire les émissions et à concevoir des systèmes moins générateurs de pollutions (Vertès et al., 2019). Des démonstrations probantes ont pu être faites, mais, faute de pouvoir s’attaquer aux causes structurelles profondes liées à la concentration locale des élevages, ces connaissances et ces solutions restent encore peu mises en œuvre aujourd’hui.

    Avec les disciplines de l’alimentation et de la santé, le concept de système alimentaire

    74Les nouvelles demandes sociétales invitent l’agronomie à élargir progressivement son champ d’activité, à prendre en compte de nouvelles questions de recherche et à proposer de nouvelles méthodes. Le concept de système alimentaire, considéré comme « la façon dont les hommes s’organisent pour produire, transformer, distribuer et consommer leur nourriture », est ainsi de plus en plus prégnant et offre de nouveaux défis à l’agronomie (Doré et al., 2011a). Les systèmes alimentaires ont en effet beaucoup évolué durant les années 1970, notamment à la suite de changements technologiques majeurs qui ont permis d’accroître la productivité du sol et du travail, la transformation et la conservation des produits, leur emballage et leur distribution, etc. Mais de nouveaux modes d’intégration verticale et de régulation des échanges, ainsi que la montée en puissance des préoccupations environnementales, ont également eu une influence déterminante. De nouveaux styles de consommation émergent reliant davantage les préoccupations environnementales et sanitaires. La question des pesticides est en 2020 plus que jamais au cœur des questionnements. Mais, au-delà de ces questions, s’informant de l’ensemble des effets directs de l’alimentation sur la santé, les agronomes sont amenés à travailler de plus en plus avec des nutritionnistes et des médecins, ainsi que le montrent certaines initiatives comme la Key-initiative de l’université de Montpellier74. L’acte de produire, objet de l’agronome, doit désormais s’intégrer dans la vaste entité que constitue le système alimentaire.

    Rassembler enjeux environnementaux et alimentaires

    75Devant la complexité des problèmes visant à intégrer des enjeux environnementaux et alimentaires, deux pistes s’ouvrent pour concevoir de nouveaux systèmes agricoles.

    76Primo, face à des objectifs multiples, il importe d’analyser à la fois les antagonismes et les synergies. Réduire les premiers, développer les secondes, voilà la voie à suivre. C’est ce qu’ont déjà entrepris les agronomes, entre les objectifs de production élevée et la préservation de l’environnement, en intégrant dans la conception des systèmes techniques les connaissances issues de l’écologie sur la fonctionnalité du vivant dans sa diversité. En ont résulté des principes d’agroécologie : diversification des cultures (par l’agroforesterie, les rotations, l’introduction de plantes de service, etc.), entretien d’espaces semi-naturels, réduction (pouvant aller jusqu’à la suppression) de l’emploi des pesticides et des engrais azotés de synthèse, réduction du travail du sol, complémentarité des cultures et de l’élevage, etc. Sans doute existe-t-il toujours des antagonismes à repérer entre la qualité des produits et la préservation de l’environnement, par exemple entre travail du sol sans apport de pesticides de synthèse, en agriculture biologique, et utilisation de pesticides sans travail du sol, en agriculture de conservation. De façon générale, l’analyse des exigences sanitaires des systèmes alimentaires a plutôt fait ressortir des synergies entre le souhait de produits sains et la préservation de l’environnement. Par exemple, la nécessité, pour des raisons sanitaires, de rééquilibrer, dans les régimes alimentaires, le rapport protéines végétales/protéines animales au profit des premières conforte l’intérêt de promouvoir la culture des légumineuses qui, par ailleurs, permet de réduire les apports d’azote de synthèse, consommateur d’énergie fossile, source de pollution des hydrosystèmes et de l’air, et facteur important du dérèglement climatique (Duru et al., 2017). Ces auteurs, comme d’autres (Hinsinger et al., 2019b), proposent le concept d’« une seule santé » (One Health en anglais) comme pouvant fédérer agriculture, environnement et alimentation. Nous avons là l’illustration que des synergies existent et qu’il est parfois intéressant de ne pas craindre la complexité pour rechercher des solutions. À la condition de ne pas traiter les problèmes séparément les uns des autres.

    77Secundo, la multiplicité des objectifs soulève la question des évaluations multicritères pour concevoir de nouveaux systèmes agroécologiques. Ces évaluations s’avèrent d’autant plus délicates que les domaines de connaissance concernés ne sont pas tous bien renseignés (Doré et al., 2011a). Quand on s’en tient à un seul critère, on peut arriver à chiffrer des performances dès lors que les connaissances commencent à être approfondies. Ainsi, dans le cas de certains critères environnementaux et alimentaires, les agronomes arrivent à proposer des indicateurs de résultats qui permettent aux agriculteurs de progresser par comparaison à la solution facile de prendre comme critère l’application de « bonnes pratiques » (Jeuffroy, 2014). Mais dans une approche multicritère, l’agrégation des critères implique d’aborder un vaste champ de connaissances, dont certaines sont informelles, et d’utiliser des informations qualitatives (Sadok et al., 2009). Ceci montre les efforts à faire pour améliorer les indicateurs de résultats et pour les agréger. Un enjeu est d’articuler les évaluations d’impacts (émissions de gaz à effet de serre, eutrophisation et acidification, etc.) par les analyses de cycle de vie (ACV, le plus souvent par kg de produit) et les services fournis à la société (régulations du climat, du cycle de l’eau, etc.) qui s’évaluent à la surface cultivée (van der Werf et al., 2020). Cet exercice amène aussi à intégrer d’autres échelles que la parcelle et l’exploitation agricole, par exemple pour prendre en compte l’échelle du paysage au travers des régulations biologiques qu’il englobe, mais aussi des échanges et des réutilisations de matières qui peuvent y être produites (Duru et Therond, 2021).

    78Les deux considérations précédentes laissent entendre qu’existent de nombreuses pistes de solutions mettant en œuvre les principes agroécologiques, mais hiérarchisant les critères différemment. De nombreuses études existent portant sur des comparaisons multicritères de cas types d’agriculture, comme celle que présentent Duru et al. (2020) au prisme de la « santé unique ».

    À partir des années 1980, avec les sciences sociales, comprendre les déterminants sociaux pour savoir comment agir

    79Au cours de la décennie 1970, tant au Service d’expérimentation et d’information (SEI) de l’Inra, dans certains instituts outre-mer comme l’IRAT récemment créé, qu’à la chaire d’agriculture (puis d’agronomie) de l’INA ou encore à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, au Maroc, se précise l’idée, chez les agronomes, qu’il leur est nécessaire de s’impliquer dans le développement, c’est-à-dire la mise en œuvre des connaissances nouvelles qu’ils sont en train d’établir dans l’ensemble des exploitations agricoles d’une région. C’est de cette préoccupation que germe l’idée d’étudier les exploitations agricoles dans leur diversité et d’en faire des types pour adapter les préconisations à chacun d’eux (chapitre 3). Ces réflexions d’agronomes, menées par d’anciens collaborateurs de Hénin (Deffontaines et Sebillotte en particulier), des zootechniciens et des économistes de l’École nationale supérieure des sciences agronomiques appliquées (Enssaa), aboutissent à la création, en 1979, du département Systèmes agraires et développement (SAD) (Deffontaines et Osty, 1977 ; Vissac, 1979 ; Cornu, 2021 ; chapitre 6). C’est dans ce département de l’Inra que les agronomes établissent des relations interdisciplinaires avec les disciplines économiques et sociales, mais aussi avec les zootechniciens étudiant les systèmes d’élevage qui n’ont pas trouvé leur place dans les départements de sciences animales de l’Inra.

    80Cette orientation se retrouve, quelques années plus tard, dans les institutions de recherche françaises sur les agricultures du Sud. Même si les recherches sur les systèmes de production et les systèmes agraires étaient présentes dans les instituts d’agriculture tropicale tout au long des années 1970 (surtout à l’IRAT), il faudra attendre 1984 pour voir la création du Département des systèmes agraires (DSA) au sein du Cirad, lui-même créé la même année (Tourte, 1997 ; chapitre 6). La recherche sur les systèmes agraires propose des approches différentes de celles top-down, alors en vigueur à l’époque chez les agronomes. Elle revisite le lien entre recherche, développement et production. Elle valorise l’approche systémique et s’adresse d’emblée aux différents niveaux d’organisation de la production agricole : parcelle ou troupeau, exploitation agricole, village, pays, petite région. Le DSA du Cirad, dès sa création, vise une action novatrice et par nature interdisciplinaire. Comme à l’Inra, il comprend des agronomes et des zootechniciens, mais aussi des économistes et des sociologues. Ainsi, en métropole comme en outre-mer, une même orientation de collaboration est prise entre agronomes et chercheurs en sciences humaines et sociales qui constitue une spécificité française (Fresco, 1984 ; encadré 4.2).

    Encadré 4.2. Une spécificité française

    Lors de la 4e conférence annuelle du Farming System Research qui s’est tenue en 1984 à l’Université du Kansas, Louise Fresco présente une comparaison des approches anglophone et francophone de la recherche agronomique dans les pays du Sud. Elle souligne que, dans l’approche française, “institutional linkages with development and extension programmes are crucial from the beginning and, in theory, the development process itself becomes a subject of research75”.

    Et, poursuit-elle, “the existence of concepts like ‘système agraire’ and ‘milieu réel’ point to a concern with development on a scale large enough to have an impact on regional or even national production level”76. Les termes de « système agraire », vus comme l’étude des interactions entre les exploitations agricoles et les organisations sociotechniques d’ordre supérieur (chapitre 3), et de « développement », incluant les organismes de transfert (chapitre 8), traduisent bien cette orientation.

    L’approche anglophone du Farming System Research, dominante dans les centres internationaux de recherche agronomique, est différente. Constatant la faible adoption paysanne des techniques testées dans les stations agronomiques, les chercheurs anglophones se concentrent alors sur les exploitations agricoles qui ont trop peu de ressources et d’accès aux intrants externes pour suivre « le progrès technique ». Travaillant directement avec les agriculteurs les plus défavorisés, les scientifiques cherchent à leur trouver des solutions viables77.

    81Cochet (2011) fait remarquer que dans la conception qui prévaut au département SAD de l’Inra (Vissac et Hentgen, 1979) ou au DSA du Cirad, l’approche du système agraire part de l’exploitation agricole, niveau privilégié de l’analyse système avec l’idée de comprendre comment s’inscrit son fonctionnement dans des niveaux supérieurs. À la même époque, dit-il, une autre conception du système agraire est promue par Mazoyer à la chaire d’agriculture comparée de l’INA. Accordant du poids à la dimension historique de l’organisation sociale, il donne d’emblée au système agraire une dimension plus dynamique et englobante que celles proposées dans les départements SAD de l’Inra et DSA du Cirad. Dans la conception de Mazoyer, le système agraire résulte des interactions réciproques entre l’écosystème cultivé et le système social productif, historiquement situées et durables, adaptées aux conditions bioclimatiques d’un espace donné. C’est cette conception qui permet à Mazoyer et Roudart (1997) de présenter une Histoire des agricultures du monde qui met en évidence entre les agricultures de fortes inégalités de productivité héritées de l’histoire et de la géographie.

    82Cependant, nous allons plutôt adopter l’approche des départements SAD de l’Inra et DSA du Cirad, car c’est dans ce cadre que se sont instaurées, à partir des années 1980, les collaborations entre les agronomes et les chercheurs en sciences humaines (économiques, sociales, juridiques, politiques). En effet, lors de l’assemblée constitutive du département SAD de l’Inra en 1979, Vissac et Hentgen écrivent ce qui va se révéler en convergence parfaite avec les idées développées au DSA du Cirad : « Aborder le processus de recherche-développement suppose donc la prise en compte de ces relations et interactions multiples. L’approche systémique vise précisément à l’analyse des relations, à la mise en évidence des niveaux d’organisation, grâce à un éclairage multidisciplinaire dépassant la spécialisation des sciences et le cloisonnement des savoirs. » Aussi est-ce autour du concept de système agraire que nous allons voir comment les agronomes ont cherché, avec les sciences humaines, à étudier les liens qui existent entre niveaux de décision, de la conduite des parcelles jusqu’aux différents niveaux sociotechniques (voire politiques), pour comprendre dans quelle mesure les seconds déterminent les premiers ; et, autour du concept de développement, comment ils ont fait évoluer, grâce aux disciplines des sciences humaines, leurs propres relations avec les acteurs (allant des agriculteurs aux différents acteurs des filières et des territoires) dans des démarches transdisciplinaires de formalisation de problèmes et de recherche de solutions.

    Comprendre l’exploitation agricole et les déterminants des systèmes de culture

    83Nous avons vu au chapitre 3 l’intérêt des agronomes pour comprendre la coordination des activités au sein de l’entreprise agricole. Nous précisons ici comment certaines disciplines économiques et sociales les y ont aidés et comment des relations interdisciplinaires ont abouti à l’intégration de concepts venant de ces dernières dans leur corpus théorique. Mais, pour comprendre les liens entre les décisions prises au sein des exploitations avec les niveaux organisationnels supérieurs, les agronomes ont engagé avec les disciplines économiques et sociales des relations qualifiées, cette fois, de transdisciplinaires. En ce sens qu’elles n’ont guère modifié le cœur de la discipline, mais qu’elles étaient nécessaires pour aborder et traiter les nombreux problèmes liés au changement d’échelle et à la multifonctionnalité de l’agriculture présentés dans le chapitre 3. Il a alors paru utile de distinguer des catégories de relations entre acteurs relevant de ces disciplines. C’est ainsi que les agronomes ont dû comprendre comment les systèmes de culture s’inscrivaient dans des relations marchandes autour de la fonction productive de l’agriculture, mais aussi dans des relations non marchandes, visant le bien commun, autour des fonctions environnementales.

    Relations interdisciplinaires autour de l’exploitation agricole

    84Les concepts d’itinéraire technique et de système de culture, fondateurs de l’agronomie, ont été conçus à l’échelle de la parcelle. Le concept d’agroécosystème conduit à dépasser cette échelle jusqu’à celle de l’unité paysagère élémentaire, combinant des parcelles contiguës et des espaces semi-naturels. Cependant, l’agriculteur ne cultive pas des parcelles ou des motifs paysagers isolément les uns des autres. Il les cultive au sein d’une entreprise agricole qui est devenue, dès les années 1960, un objet d’étude de l’agronomie à travers une collaboration avec des économistes (chapitre 1).

    85Les premiers emprunts des agronomes aux sciences économiques ont porté sur les méthodes d’optimisation de profit de l’économie standard, par la méthode de programmation linéaire (chapitre 3). Mais, proches du terrain, les agronomes ont vite recherché des collaborations avec d’autres disciplines des sciences humaines et sociales. Avec des ethnologues, en 1971, dans les Recherches coopératives sur programme en Aubrac (RCP Aubrac), ils comprennent que les techniques que mettent en pratique les agriculteurs résultent d’un apprentissage (Gras et al., 1989). Au cours des années 1970, ils se tournent vers des économistes de l’Enssaa qui promeuvent la théorie du comportement adaptatif ; celle-ci prend en compte le fait que les agriculteurs font des arbitrages entre objectif du profit et besoin de sécurité, mais surtout qu’ils suivent un processus de décision qui s’adapte en permanence (Chia et al., 2014). Ces considérations de gestion conduisent les agronomes à une vision systémique et dynamique de l’exploitation agricole. À l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II de Rabat, le sociologue Pascon (1977), initiateur d’une forte orientation pédagogique des stages en exploitation, apporte les éléments d’une approche dynamique sur le long terme des exploitations familiales à partir de l’évolution des besoins de consommation et de la force de travail. Aussi l’exploitation agricole est-elle vue par les agronomes comme un système de relations entre système de production et famille (Osty, 1978). C’est ainsi que pour caractériser la diversité de ces relations, les agronomes ont réalisé des typologies d’exploitation fondées sur des analyses de leur fonctionnement et de leur trajectoire.

    86Au début des années 1980, Sebillotte pense qu’il faut aller plus loin encore dans le champ d’investigation de l’agronomie en y faisant entrer l’agriculteur comme décideur de ses façons de cultiver (chapitre 1). C’est pourquoi il applique des méthodes d’enquête venant de l’ergonomie cognitive pour observer le processus de décision d’agriculteurs sur leurs interventions culturales pour semer des betteraves. Il met en évidence un trait commun à tous les agriculteurs suivis, et dégage ainsi un modèle d’action78 (Sebillotte et Servettaz, 1989). Cependant, même si le modèle d’action présente des traits généraux, des différences existent entre agriculteurs sur la façon de collecter de l’information. L’approche cognitive permet de comprendre les spécificités, pour chaque agriculteur, de la construction de son modèle d’action, c’est-à-dire son répertoire d’actions possibles, son organisation du recueil d’informations, ses anticipations (Cerf et Sebillotte, 1997).

    87Plus tard, les agronomes travaillant sur les prairies ont appliqué les mêmes méthodes de l’ergonomie cognitive pour comprendre et accompagner la conduite des systèmes herbagers. Ces systèmes sont intrinsèquement difficiles à gérer du fait des variations entre saisons et entre années de la croissance de l’herbe et de sa composition, notamment en fonction du climat. C’est, entre autres, une des raisons qui ont entraîné la régression de la contribution de l’herbe à l’alimentation des ruminants. Au pâturage, l’éleveur suit à la fois la vitesse de consommation du troupeau et celle de la croissance de l’herbe sur l’ensemble de son territoire herbager. Pour ajuster l’une à l’autre, le modèle des stratégies planifiées simulant les décisions de l’agriculteur qui conduit des cultures annuelles ne suffit plus. Il faut considérer que les stratégies sont en partie planifiées, mais aussi continuellement révisées au fur et à mesure du déroulement de l’année (Girard, 1995). Des travaux de recherche, couplant la modélisation des flux de production et de l’utilisation de l’herbe à l’analyse des pratiques d’éleveurs, ont permis d’identifier des indicateurs systémiques, comme les « jours d’avance au pâturage » (Duru et al., 1999 ; Bellon et al., 1999). Ce sont là des repères concrets permettant d’anticiper les adaptations de chargement (nombre d’animaux par unité de surface) à réaliser de façon à s’assurer une optimisation de la croissance et de l’ingestion, sur des pas de temps courts, à l’échelle de la parcelle et, par conséquent, de concevoir des règles de constitution de lots d’animaux, de dates de mise à l’herbe et de retrait, de fauche ou d’ensilage. C’est ainsi que s’élabore, au fur et à mesure et de façon différente d’une année sur l’autre, la parcellisation de la surface en herbe. La gestion territoriale est différente de celle où les parcelles sont délimitées à l’avance.

    88Chez l’agriculteur, qu’il soit ou non éleveur, l’approche cognitive permet aussi de relier les décisions de long terme (stratégiques) et de court terme (tactiques). En définitive, elle permet de comprendre comment l’agriculteur rétroagit à sa perception de l’évolution de l’état du système, qu’il s’agisse d’une parcelle de culture, d’une prairie ou de son exploitation. D’autres apports sur « la conception des choses » propres aux agriculteurs ont été faits par l’anthropologie à partir d’une analyse rigoureuse de leurs discours (Darré et al., 2004). Les objets conceptuels que les acteurs traitent dans leur système de pensée sont maintenant repris par les sciences de gestion, que ce soit dans le secteur industriel ou sur l’exploitation agricole. Ainsi, pour reconstituer le passage des décisions de l’exploitation aux parcelles cultivées ou aux prairies, les agronomes utilisent des concepts du même genre : sole, lot de parcelles, parcelle guide, chantier, troupeaux, lot d’animaux, etc., ainsi que cela a été présenté au chapitre 3 (Sebillotte et Soler, 1990 ; Aubry, 2000 ; Coléno et Duru, 2005).

    89Ces collaborations interdisciplinaires ont montré la capacité adaptative des agriculteurs par un apprentissage continu. Il importe de souligner la convergence Nord/Sud des idées qui émergent alors. À l’IRAT, puis au DSA du Cirad tout comme au département SAD de l’Inra, l’heure est à la mise en avant de l’agriculteur. « La production agricole est le fait des producteurs agricoles. C’est au niveau de ces producteurs que se prennent une large part des décisions. De fait, ce que l’on observe lorsqu’un ensemble d’innovations est proposé en vulgarisation, c’est un processus complexe d’appropriation technologique. Nier la complexité de cette appropriation des systèmes concernés, comme l’ont fait souvent des modes de vulgarisation ramenant le producteur à un exécutant […], est bien inutile au progrès de l’agriculture », écrivait Griffon en 1980. Dès le début des années 1980, Sebillotte parle de l’existence d’un double diagnostic : celui de l’agronome, réalisé en fonction de connaissances théoriques sur le fonctionnement du champ cultivé, et celui de l’agriculteur, fondé sur son expérience qui se renouvelle continûment (Sebillotte, 1990). La richesse de cette distinction n’est pas perçue tout de suite, mais grâce à des travaux de socio-anthropologie (Darré, 1994), le savoir pratique des agriculteurs devient progressivement accessible aux agronomes, qui le valoriseront dans des démarches de développement.

    Relations transdisciplinaires sur les échanges marchands

    Les échanges marchands d’amont

    90Les économistes ont montré qu’après une période d’intense concurrence entre entreprises d’amont au cours des années 1950-1970, puis une forte concentration de celles-ci, elles ont cherché à consolider leur part de marché en intégrant dans la fonction commerciale une fonction de conseil (Valceschini, 1990). Elles ont ainsi renforcé le poids qu’elles avaient déjà sur les décisions des agriculteurs, les poussant à intensifier les modes de conduite des cultures. Au moment où les agronomes ont cherché à inciter les agriculteurs à réduire les intrants, des travaux menés en lien avec des sociologues ont permis de voir qu’existait un verrouillage de l’agriculture intensive autour des pesticides. Lamine et al. (2010) ont observé en effet que, lorsque la firme amont vend en même temps pesticides et semences, les outils d’aide à la décision permettant de raisonner les traitements étaient plus diffusés que les variétés résistantes aux maladies ou que les associations d’espèces ou de variétés pourtant efficaces pour limiter les bioagresseurs. Une autre forme d’influence des firmes d’amont sur les décisions des agriculteurs est liée à l’arrivée du numérique. Des outils numériques embarqués dans les machines font maintenant l’objet de la concurrence féroce que se livrent entre elles les firmes de l’agroéquipement, comme le souligne Jeanneaux (2018), qui invoque la nécessité d’un débat critique sur le numérique en agriculture79.

    Les échanges marchands d’aval

    91C’est aussi grâce à la collaboration d’économistes des filières que les agronomes ont pu comprendre comment les relations marchandes d’aval influençaient les systèmes de culture. Les contrats passés entre les agriculteurs et les firmes agro-industrielles, conformes à un contrat-type, dans le cadre d’accords interprofessionnels qui dominaient dans les années 1960, ont évolué, dans les années 1980, vers une coordination marchande entre chaque firme et les agriculteurs qui la fournissent (Valcheschini, 1990 ; 1993 ; de Sainte-Marie et Casabianca, 1998). La qualité, jadis définie de façon unique par une interprofession, est entrée dans le champ de la concurrence. Elle ne porte pas seulement sur le produit, mais sur la façon de produire, traduite par des cahiers des charges qui, résultant d’une coordination technique, s’imposent aux exploitations agricoles (Capillon et Valceschini, 1998). Le chapitre 3 montre comment, au sein des bassins d’approvisionnement d’entreprises de collecte, premier maillon des relations entre les exploitations agricoles et le secteur agroalimentaire d’aval, cette coordination technique se traduisait sur la conduite des parcelles. Tandis qu’au sein de chaque exploitation la multiplicité des cahiers des charges issus de l’aval affecte l’ensemble de la gestion technique de l’exploitation (Wünsch, 2004).

    92L’apport des économistes fait également comprendre que la recherche d’économie d’échelle de la part des entreprises d’aval incite à la spécialisation des productions dans les exploitations agricoles. C’est pourquoi, lorsque les agronomes ont cherché à diffuser des principes agroécologiques par la diversification des cultures, ils ont constaté la difficulté d’introduire de nouvelles espèces dans les exploitations, les stratégies des filières autour de quelques grandes espèces verrouillant toute introduction (Meynard et Messéan, 2014). Pour comprendre les obstacles à une transition écologique, les agronomes utilisent alors le concept de verrouillage technologique, issu de l’économie de l’innovation, qui a été proposé pour l’agriculture en France par Labarthe (2010) et Fares et al. (2012). L’économie d’échelle s’oppose à une économie de gamme, qui donnerait de la valeur à la diversité des productions en faisant jouer des synergies et des complémentarités. Tout est solidement lié dans le système sociotechnique dominant. Poussant plus loin avec des économistes leur recherche sur les raisons pour lesquelles les légumineuses graines sont si peu présentes dans les systèmes de culture, alors que leurs effets environnementaux et sanitaires sont si manifestes, les agronomes remontent à des choix politiques du début des années 1960 (Magrini et al., 2016) (chapitre 3).

    93Cependant, autour d’acteurs minoritaires existent des « niches d’innovations », et Meynard (2016), s’inspirant de concepts issus de la sociologie des techniques, propose de repérer ces niches comme autant de systèmes sociotechniques constitués d’acteurs en réseaux. Les sociologues montrent que ces niches se manifestent souvent dans des circuits courts de producteurs à consommateurs au sein desquels se renforcent des liens de confiance (Lamine, 2008). Ces circuits courts se multiplient depuis les années 2000 dans les pays développés en périphérie des villes, où ils peuvent aussi remplir d’autres fonctions qu’alimentaires, spécifiquement environnementales et récréatives. Très différenciés et encore mal documentés, leurs performances techniques, économiques et environnementales doivent faire l’objet d’évaluations par des démarches transdisciplinaires (Aubry et Chiffoleau, 2009). Mais, alors que dans les pays du Nord, en périphérie des villes, la fonction alimentaire de ces circuits n’est pas première, assurée qu’elle l’est par la grande distribution, elle l’est au contraire dans les pays du Sud peu industrialisés, marqués par une agriculture vivrière importante (Soulard et Aubry, 2011).

    Relations transdisciplinaires autour de la fonction environnementale de l’agriculture

    94Sur les questions environnementales, les relations entre les agriculteurs et les autres acteurs sont de nature radicalement différente de ce qu’elles sont dans les transactions marchandes autour de la production (Papy et Torre, 2002). Les relations marchandes s’établissent souvent entre des partenaires qui passent volontairement des accords qui, même s’ils ne sont pas équilibrés, aboutissent à une coordination entre différents systèmes techniques de production, de collecte, de transformation, de distribution, etc. Lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre un objectif environnemental par la régulation de processus naturels, de nouveaux rapports entre acteurs interfèrent avec les systèmes de culture et d’aménagement. Les agronomes doivent alors nouer de nouvelles relations avec les disciplines humaines et sociales. Tout comme l’agronomie, ces dernières sont en cours de rénovation, ayant ignoré les questions environnementales jusqu’à la fin des années 1970. Dans le chapitre 3, les problèmes environnementaux sont abordés en fonction de la nature des processus en jeu dans un changement d’échelle de la parcelle à la planète. Ces processus s’inscrivent dans une continuité spatiale et peuvent avoir des impacts plus ou moins lointains sur des populations plus ou moins larges. Dans leur collaboration transdisciplinaire avec les sciences humaines et sociales, les agronomes doivent penser l’organisation des systèmes de culture dans l’espace où les processus sont en jeu, aspects qu’ils n’avaient pas à prendre en compte tant qu’ils n’abordaient que des échanges marchands.

    95Beaucoup de problèmes environnementaux sont liés à la gestion spatio-temporelle de flux qui peuvent entraîner entre acteurs des problèmes locaux de voisinage. Un bon exemple de la contribution d’agronomes à la fixation de règles juridiques de voisinage est tiré des travaux réalisés sur la dissémination des OGM dans les paysages agricoles (Messéan, 2019). Le législateur reconnaissant, en France comme en Europe, au consommateur le droit d’avoir des produits garantis sans OGM, et voulant par avance éviter les conflits juridiques, a demandé à la recherche agronomique s’il était possible de faire cohabiter des filières OGM et non OGM. En utilisant un modèle de l’effet des techniques culturales et des successions de cultures sur les repousses de colza (Colbach et al., 2001), en le généralisant à d’autres cultures et en y associant des modèles de dispersion atmosphérique de propagules, les agronomes ont préconisé des distances d’isolement, des décalages de semis ou de choix de variétés de précocités différentes.

    96Bien au-delà des problèmes de voisinage, les questions de préservation des biens publics que sont l’eau, le climat, la biodiversité relèvent de politiques et d’organisations visant à modifier l’aménagement des territoires. Au sein de la politique agricole commune (PAC), à partir de 1992, ont été mises en œuvre des opérations établissant des cahiers des charges pour limiter les effets négatifs des pratiques agricoles sur l’environnement. Mais, reposant sur le volontariat, elles n’ont pu résoudre correctement la régulation de phénomènes qui se manifestent dans une continuité spatiale. C’est vrai des opérations locales agro-environnementales (OLAE) ou des mesures agro-environnementales (MAE) qui s’appliquent à la parcelle, mais aussi des contrats territoriaux d’exploitation (CTE) (chapitres 3 et 8). La répartition très discontinue dans l’espace de ces opérations explique, entre autres raisons, leur faible efficacité.

    97Il a ainsi fallu analyser comment se constituent de nouvelles organisations entre acteurs autour de la gestion d’unités spatiales fonctionnelles telles que décrites au chapitre 3 (bassin-versant, aire d’alimentation d’aquifère, aire sous influence de pôle urbain, etc.). Dans de tels cas, l’apport des géographes a été décisif, s’étant eux-mêmes appuyés d’abord sur des approches régionales plutôt descriptives et fonctionnelles, puis sur des études des pratiques d’acteurs dans leur rapport à l’espace, facteurs structurants de l’organisation des territoires (Bülher et al., 2010). L’ouvrage intitulé Agricultures et territoires (Laurent et Thinon, 2005) est le fruit d’une collaboration entre agronomes, géographes et économistes pour « représenter les règles d’organisation des espaces ruraux sous influence agricole », comme le souligne Béranger dans la préface. On y trouve comment traiter les nombreuses données pour renseigner les relations entre les formes d’agriculture et les territoires (Le Bas et al., 2005) et comment cartographier les usages agricoles du sol comme résultant de champs géographiques, de distances, de milieux, de réglementations, etc. (Thinon, 2005a).

    98Le développement territorial constitue une belle illustration de démarche transdisciplinaire où l’agronomie est fortement impliquée en interaction avec des disciplines telles que l’économie spatiale, la géographie, mais aussi les sciences politiques et juridiques (Boiffin et al., 2014). Un exemple de cette transdisciplinarité est donné dans le chapitre 8. Il montre comment, s’appuyant sur une démarche géographique (Soulard, 1999), des agronomes du développement, dans le cadre d’une opération locale Ferti-Mieux, combinent sur deux bassins d’alimentation de sources des dispositifs réglementaires, incitatifs et fondés sur le volontariat, pour faire baisser la pollution nitrique. L’approche géographique conduit à proposer une grille de lecture des composantes spatiales qui interviennent dans le traitement d’un problème de pollution. La lutte antiérosive dans le pays de Caux est un autre bon exemple de recherche transdisciplinaire dont Papy et al. (2016) proposent une chronique qui commence au début des années 1980. Face à l’accroissement des inondations catastrophiques consécutives à la disparition des prairies et à l’augmentation des tailles de parcelles, des fonds publics financent alors des travaux d’agronomes, de géomorphologues, de socio-anthropologues, tandis que les instances locales créent en 1985 une association gestionnaire parapublique, Areas (Association de recherche sur le ruissellement, l’érosion et l’aménagement du sol), avec à sa tête un agronome. Ce dernier joue un rôle charnière entre les différents chercheurs et les instances décisionnelles. Les premiers analysent comment les processus érosifs s’organisent au sein de bassins-versants, chacun constitué d’une hiérarchie différente des bassins élémentaires, et les seconds (préfet et président du conseil général) décident de créer en 2000 vingt et un syndicats de bassins-versants. Ils calquent ainsi une organisation sociale sur des entités naturelles fonctionnelles. Agronomes et géomorphologues ont joué des rôles complémentaires dans la compréhension du processus érosif. Les premiers, en analysant le processus de déclenchement du ruissellement dans les bassins-versants élémentaires, expliquent les conditions d’apparition des crues hivernales. Mais il faut tenir compte de l’analyse morphologique des géographes pour comprendre que les bassins-versants élémentaires ne présentent pas le même risque de crues turbides de printemps selon leur raccord à l’axe principal du grand bassin-versant. Selon qu’à l’échelle du bassin-versant élémentaire c’est l’un ou l’autre des processus qu’il faut réguler, la forme des négociations entre acteurs ne sera pas la même.

    99On trouve d’autres exemples d’interactions entre agronomes et géographes sur des questions d’aménagement du territoire en région périurbaine, où la multifonctionnalité de l’agriculture s’impose tout particulièrement. À la fonction de production s’en ajoutent d’autres comme des fonctions environnementales spécifiques de l’environnement urbain, paysagères et récréatives. Soulard et Aubry (2011) font remarquer que ces fonctions n’ont pas du tout le même poids dans les pays du Nord industrialisés, où l’approvisionnement alimentaire de la population est assuré en grande partie par la grande distribution, et dans les pays du Sud, où les populations défavorisées dépendent des approvisionnements périurbains. Ceci étant, même au Nord, les politiques alimentaires des différentes métropoles varient sensiblement. Les travaux de Perrin et al. (2013) sur l’agglomération de Montpellier illustrent bien le passage d’un développement conflictuel entre ville et agriculture (étalement urbain versus viticulture) à une politique ambitieuse de l’agglomération de préservation des terres agricoles pour contenir l’étalement urbain.

    100Enfin, des recherches sur la réassociation culture-élevage au sein de territoires sont en cours. Leur objectif est de recréer une diversité fonctionnelle entre systèmes, tout en maintenant une forme de spécialisation individuelle (Lemaire et al., 2014). Des recherches ont été initiées dans ce sens en Europe vers 2010 impliquant l’agronomie et la zootechnie (Leterme et al., 2019). La complémentarité à l’échelle des territoires repose sur des échanges de matières (fourrages, déjections). Une telle stratégie peut conduire à un changement d’utilisation des terres, comme l’introduction de luzerne (sans élevage) dans des exploitations de grande culture. Mais l’intégration agroécologique des cultures et de l’élevage entraîne une complexification des systèmes, liée aux nécessités de gérer à la fois la circularité des flux pour limiter l’utilisation d’intrants et les émissions polluantes, et l’organisation des espaces pour favoriser l’expression de services écosystémiques. Cette complexification nécessite des apprentissages et des coordinations au sein des systèmes socioécologique et sociotechnique (Lemaire et al., 2014 ; Moraine et al., 2016).

    Relations transdisciplinaires autour de recherches sur les politiques publiques

    101Pour remonter aux causes premières des décisions des agriculteurs, c’est-à-dire, in fine, aux politiques publiques, les agronomes ont procédé par étapes en s’adjoignant la collaboration de disciplines économiques et sociales. La réduction de l’usage des pesticides dans les itinéraires techniques est un des sujets de préoccupation constante. Analysant les échecs du plan national Écophyto lancé en 2008, Guichard et al. (2017) montrent qu’au-delà des critiques sur les actions mises en place auprès des agriculteurs et de leurs conseillers, c’est tout le système sociotechnique qui verrouille tout progrès dans la réduction des pesticides. C’est donc avec des sociologues des techniques que des pistes de recherche doivent être enclenchées. Mais, au-delà encore des différents systèmes sociotechniques mis en cause, il a bien fallu comprendre ce qui a engendré l’évolution de l’agriculture ayant conduit à la crise actuelle. C’est grâce à la collaboration de macroéconomistes que les agronomes ont pu comprendre la spécialisation des régions et pourquoi les systèmes de grande culture sont si spécialisés sur les céréales, et les systèmes d’élevage intensif sur une alimentation composée de maïs fourrage et de tourteau de soja importé. Preuve de l’intérêt des agronomes sur ces questions, la revue de l’Association française d’agronomie a consacré deux numéros à la PAC (en 2013 et en 2021) et un numéro sur la mise en synergie de l’agronomie et de l’économie autour du rôle des politiques publiques sur les exploitations agricoles (en 2014). Quelle politique agricole pourrait assurer un lien entre les processus de production marchande et ceux de préservation, voire d’augmentation des ressources naturelles (Bazin, 2021) ? Comment rémunérer les agricultures qui produisent des biens marchands et non marchands ? Ce sont là des questions communes aux agronomes et aux sciences économiques, sociales, juridiques, politiques. Les agronomes ne peuvent y répondre sans comprendre les effets sur les modes de production des différentes mesures politiques que simulent les économistes. Les économistes ne peuvent y répondre sans tenir compte des connaissances agronomiques sur les modes de production ; sur les synergies entre cultures, comme par exemple l’effet précédent (Jeuffroy, 2014) ; sur les besoins en travail et de façon plus générale sur tout ce qui peut affiner les fonctions d’utilité des agriculteurs à la base des modèles économiques (Jacquet, 2014). La rémunération des services écosystémiques constitue actuellement un vaste chantier de collaboration transdisciplinaire. Lescourret et al. (2015a) montrent qu’il est pertinent de traiter à la fois plusieurs services dans des démarches participatives avec les acteurs concernés.

    102Une façon originale de participer à la définition de politiques publiques est de construire des scénarios portant sur le changement global des rapports entre nature, agriculture et société. En collaborant avec de nombreuses disciplines relevant des sciences naturelles (sciences de l’environnement, sciences animales et de la nutrition, etc.), les agronomes doivent développer des approches holistiques pour imaginer différentes voies à proposer aux choix politiques, dès lors que la situation actuelle est remise en question. De ce point de vue, les agronomes ont récemment pris conscience que les productions animales étaient au cœur des enjeux de sécurité alimentaire, de santé, de réchauffement climatique et de biodiversité (Duru et al., 2021). Ce n’est guère surprenant quand on prend conscience qu’actuellement, en France métropolitaine, en plus des prairies permanentes (9,2 Mha), l’élevage mobilise 65 % de la surface agricole utile (4,8 Mha pour les prairies temporaires et le maïs ensilage, 2,8 Mha de céréales et 3,2 Mha de protéagineux), auxquels il faut ajouter l’équivalent de presque 2 Mha de soja importé.

    103Or, suite à la COP2180, de nombreux États se sont engagés à atteindre zéro émission nette de gaz à effet de serre en 2050, ce qui revient en France à diviser par deux les émissions de l’agriculture et de l’alimentation. Dans le même temps, les émissions de gaz à effet de serre résultant de nos choix alimentaires ont été évaluées. Il est maintenant montré que dans les pays occidentaux, l’essentiel de cet impact de notre alimentation provient de la viande. D’une part nous consommons plus de protéines que nos besoins (1,4 g consommé vs 0,8 g de besoin/kg de poids corporel) ; d’autre part, le pourcentage de protéines animales (plus de 60 %) devrait être ramené à 50 %. En outre, il est montré que les régimes plus végétalisés sont aussi les meilleurs pour la santé. Il faut donc envisager un redimensionnement de l’élevage.

    104Dans le même temps, la pression sur les terres agricoles se fait plus grande afin de fournir des produits biosourcés (bioénergie, biomatériaux), ce qui met plusieurs utilisations de la biomasse en compétition, entre food, feed, fuel, fibre and fertility. Le dernier terme résulte de ce que pour réduire l’utilisation des intrants de synthèse il devient nécessaire de restituer plus de matière organique au sol, ce qui accroît la compétition pour l’usage de la biomasse. Enfin, la pandémie de la Covid-19 nous rappelle que la plupart des zoonoses ont pour origine la déforestation, qui favorise la mise en contact d’une faune sauvage porteuse de virus avec les animaux domestiques ou les hommes. L’utilisation des tourteaux de soja et de l’huile de palme pour l’élevage contribue à l’accélération de la déforestation.

    105L’élevage et les protéines animales jouent donc un rôle majeur dans ces multiples défis : alimentaires, sanitaires, énergétiques et environnementaux (locaux et globaux). Le choix des niveaux de production de biomasse (potentiel pédoclimatique ou non comme en bio), la façon de la produire (utilisation des engrais de synthèse et des pesticides ou des services fournis par la biodiversité) et la part allouée aux différents usages ont donc des répercussions majeures, tant locales que globales, sur les sols, les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi sur la séquestration du carbone, la perte de biodiversité et les services qu’elle peut rendre.

    106Les scénarios à construire doivent prendre en compte à la fois les logiques culturales (comment produire la biomasse), la place et les formes d’élevage dans les territoires, l’alimentation (notamment la part des protéines animales) et les bioénergies, et évaluer l’ensemble de leurs impacts environnementaux et sanitaires. Comme on le voit, les innovations agronomiques doivent être imaginées au cœur d’un ensemble d’enjeux complexes.

    Participer avec les acteurs à l’émergence de solutions

    107La connaissance permet d’agir et l’action permet de connaître. C’est cette relation interactive entre connaissance et action qu’utilisent les agronomes, grâce aux apports conceptuels de disciplines cognitives et sociales, pour participer, dans des démarches de développement, à l’émergence de solutions. Cela suppose le partage entre les acteurs concernés d’un avenir souhaité pour l’agriculture. Ce qui fait dire à Meynard (2016) que le développement est une notion fondamentalement politique. Le chapitre 8 présente comment a évolué au cours du temps le système de développement agricole et comment il a contribué à la dynamique de l’agronomie. Examinons ici comment cette évolution a résulté d’interactions entre disciplines.

    108L’objectif du développement est la diffusion du progrès technique. Il consiste essentiellement en une transmission de connaissances. Il est d’abord le fait des ingénieurs des services agricoles qui entretiennent leurs compétences, de 1945 à 1961, à travers le Bulletin technique des ingénieurs des services agricoles. Puis, après 1959, les conseillers des chambres d’agriculture prennent le relais quand le développement agricole est transféré aux organismes professionnels. Dans les années 1970, la chaire d’agronomie de l’INA assure la formation professionnelle de ces conseillers, qu’elle poursuit plus tard en 1983 par la Relance agronomique (chapitre 7). À travers des sessions, les enseignants-chercheurs transmettent des connaissances agronomiques aux conseillers agricoles dans le but de les adapter à leur métier, eux-mêmes ayant des contacts directs et réguliers avec les agriculteurs. Jusqu’à cette époque, les agronomes ne recourent pas aux sciences sociales, considérant le développement comme étant avant tout du transfert.

    109À partir des années 1980, les agronomes prennent conscience que les agriculteurs construisent également une partie de leurs propres connaissances et intègrent des connaissances venues de l’anthropologie, de la sociologie, de l’ergonomie et des sciences de gestion, puis plus tard de la didactique professionnelle. C’est d’ailleurs en partie pour cela que Sebillotte distinguait déjà le diagnostic de l’agriculteur de celui de l’agronome. Plus récemment, Kockmann et al. (2019) ont exposé comment, de ce double point de vue, la démarche clinique a été au centre de la relation entre conseillers et agriculteurs. Dans les pays du Sud, la reconnaissance des savoirs empiriques des agriculteurs et de leurs capacités innovantes est également reconnue dans les institutions de recherche81, mais, comme le font remarquer Triomphe et al. (2017), ces savoirs sont malheureusement ignorés, voire même rejetés par les institutions de développement.

    110C’est donc à partir d’une sociologie du changement technique, qui se développe dans les années 1980, qu’évoluera la conception du développement. En France, le Groupe d’expérimentation et de recherche : développement et actions localisées (Gerdal ; Darré, 1994) y a fortement contribué. Ses travaux établissent comment les praticiens élaborent collectivement une connaissance qui leur est propre et analysent les spécificités du métier de conseiller technique en agriculture (Lémery, 1994). Par une collaboration approfondie avec les agronomes et les zootechniciens du département SAD de l’Inra, ils permettent de faire ressortir la différence entre la conception des agriculteurs et les modèles des agronomes fondés sur leur connaissance des processus (Darré et al., 2004). De cette différence, les agronomes ne savent que faire jusqu’à ce que l’ergonomie (Cerf, 2016) et les sciences de gestion (Girard, 2016) permettent de comprendre tout l’intérêt de la distinction à faire entre les connaissances pour comprendre et les connaissances pour agir. Bien sûr les connaissances pour comprendre, quand elles existent, confortent le praticien. Mais l’agronome doit comprendre comment s’élaborent les connaissances pour agir chaque fois que les connaissances sur les processus sont insuffisantes pour s’appliquer à la diversité des conditions de culture. C’est encore plus vrai pour des espèces à la biologie peu connue (Girard et Navarrete, 2005).

    111Selon le type de conseil demandé par l’agriculteur, le rapport entre les deux modes de connaissance est différent. S’il s’agit de préciser le meilleur moment d’intervention, la meilleure dose à mettre, etc., des outils d’aide à la décision sont mis au point, mélanges souvent de fondements théoriques et d’ajustements empiriques. Ils présentent un réel intérêt tant que l’agriculteur en garde la maîtrise. Mais les changements plus profonds de systèmes de culture, voire de systèmes de production, et les réaménagements paysagers pour mettre en œuvre des principes d’agroécologie donnant plus de place aux régulations naturelles (Barbier et Goulet, 2013) demandent un rapprochement des deux modes de connaissance.

    112Pour prendre un exemple, la nécessité de changement profond s’est manifestée, dès les années 1990, par l’incitation faite aux exploitations de s’inscrire dans une démarche d’assurance-qualité complétée par une certification. Pour construire de la confiance sur la production agricole, l’idée est vite apparue qu’il pouvait être utile de promouvoir une telle démarche. Des études conjointes entre économistes de la qualité, ergonomes et agronomes ont permis de voir à quelles conditions, pour dépasser un niveau donné de qualification, une démarche de boucle de progrès inspirée des normes ISO 9000/14000 pouvait être appliquée aux exploitations agricoles (Mazé et al., 2004 ; chapitre 8). Il en est résulté que de telles démarches, qui dans des entreprises nécessitent souvent un ingénieur qualité, sont difficiles à mettre en œuvre dans les très petites entreprises que sont les exploitations agricoles sans un conseil extérieur qui pousse à une réflexivité accrue des agriculteurs sur leurs propres pratiques.

    113Pour les agriculteurs, il n’est plus possible de s’appuyer sur les mêmes principes de gestion que ceux utilisés pendant la période antérieure. L’agriculteur doit passer d’une logique de minimisation du risque dans une planification des actions en fonction d’objectifs à un pilotage des différents niveaux d’agroécosystèmes qui créent des incertitudes plus ou moins fortes. Pour l’agronome, il n’est plus possible de s’appuyer sur les seules connaissances scientifiques incorporées dans des modèles génériques, car ils ne permettent pas de rendre compte de la diversité locale et perdent toute capacité prédictive en raison du nombre élevé de variables à y introduire. Le poids de l’incertitude, la forte dépendance du contexte caractérisent la recherche des systèmes agroécologiques (Meynard, 2016). S’appuyant sur l’ergonomie de conception et les disciplines de gestion des connaissances, Prost et al. (2012), après avoir analysé de nombreux outils d’aide à la décision, montrent qu’ils ne sont pas conçus pour les utilisateurs potentiels. Aussi, concluent-ils, il faut proposer une méthode de conception faisant participer les utilisateurs finaux. C’est ce que font Cerf et al. (2012b) en proposant une dynamique de mobilisation croisée de connaissances au cours du changement de pratiques (chapitre 5). Dans le même sens, Toffolini (2016), en mobilisant des concepts et démarches venant de la didactique professionnelle, cherche comment définir des connaissances agronomiques adaptées à l’action en situation. Un résultat important de cette étude est que dans la recherche d’une solution agroécologique, l’agriculteur, plutôt que de chercher à savoir comment trouver la meilleure solution technique, cherche avant tout à comprendre le fonctionnement du système. Voilà un point commun entre savoirs, théorique et pratique. Dans un processus de reconception, ce n’est plus le « modèle d’action », où les adaptations prévues sont tactiques, qui peut en rendre compte, mais plutôt des concepts qui laissent une plus grande part à l’adaptation de stratégies organisatrices de l’action. L’agriculteur qui reconçoit son système construit une connaissance sur le monde d’une façon inextricablement liée à la manière dont il le transforme. Les agronomes ont alors à proposer des connaissances qui permettent une construction progressive des systèmes de culture et des aménagements paysagers.

    114Le développement de formes d’agricultures nouvelles ne peut se résoudre par les seules relations entre agronomes conseillers et agriculteurs. La conception de systèmes alimentaires préservant les ressources naturelles à l’échelle des territoires implique un grand nombre d’acteurs. Plus encore que dans le cas précédent, la mise en commun de différents modes de connaissances devient nécessaire. Cependant, fait remarquer Meynard (2016), les différents acteurs ne sont pas en attente de règles d’action prédéfinies mais de connaissances fonctionnelles, de scénarios, d’outils permettant de nourrir leurs réflexions. La modélisation d’accompagnement consiste à construire de tels scénarios par le biais de jeux de rôle entre acteurs ayant des intérêts et des conceptions du monde parfois antagonistes (Barreteau et al., 2003). Les scénarios sont ensuite évalués ensemble dans une démarche d’apprentissage collectif qui s’avère pertinente au Nord comme au Sud. Elle constitue un mode d’intervention privilégié pour des équipes disciplinaires de l’IRAT. L’étude faite par Della Rossa (2020) autour de bassins-versants de Martinique et de Guadeloupe pollués antérieurement par la chlordécone et actuellement par d’autres herbicides est un bon exemple de cette démarche de conception collective.

    Conclusion

    115Ce chapitre sur les relations de l’agronomie avec d’autres disciplines au cours d’une longue période permet d’identifier quelques points saillants. Il faut les rappeler pour comprendre comment les agronomes pourront continuer à relever les nouveaux défis posés demain par la production agricole, la préservation de l’environnement, l’alimentation et la santé.

    116Nous avons vu que, dans les décennies 1960 et 1970, en associant la conception de systèmes techniques à une démarche de diagnostic, l’agronomie s’est identifiée comme discipline scientifique et technique. Une discipline qui porte à la fois sur les processus participant à la production végétale et sur les logiques qui les actionnent. Cette double ambition a libéré l’agronomie de la domination de disciplines dont elle n’avait été, jusqu’alors, que l’application. Ses relations à d’autres disciplines s’en sont trouvées changées. Elles n’en ont pas été aisées pour autant, se heurtant à des obstacles épistémologiques, liés à cette ambition. L’intention des agronomes de s’impliquer dans l’action (à chercher à comprendre l’action des agriculteurs et à l’accompagner) a limité leur curiosité pour de nouvelles connaissances sur les processus. Est-il besoin de connaissances non directement liées à l’action si celles dont on dispose suffisent ? On comprend pourquoi l’écophysiologie fonctionnelle, née dans des disciplines étudiant le fonctionnement d’écosystèmes naturels sans interventions humaines, a mis du temps à pénétrer le corpus théorique des agronomes. Elle y est d’ailleurs entrée par la prairie, le couvert végétal cultivé le plus naturel. On a compris également pourquoi les agronomes ont entériné sans difficulté toute solution qui simplifie l’action de produire. C’est ainsi qu’ils ont longtemps accepté l’emploi de pesticides, dès que ces derniers sont apparus sur le marché, comme une technique de culture au même titre que les autres. À cette époque, les spécialistes de la protection des cultures commençaient à remettre en cause leur généralisation. Enfin, dans un autre ordre d’idée, mais toujours liée au plus près des agriculteurs, les agronomes ont tardé à remonter aux causes premières de leurs actions. Il a fallu qu’ils collaborent avec des sociologues de l’innovation pour comprendre les verrouillages sociotechniques, et avec des macroéconomistes pour comprendre l’effet des politiques publiques sur les actions des agriculteurs. Et, s’ils ont vite reconnu aux agriculteurs une rationalité qui leur était propre, il leur a fallu l’apport des sciences cognitives pour les considérer comme producteurs de connaissances.

    117Mais, la complexification des enjeux aidant, ces obstacles épistémologiques ont été surmontés peu à peu. Plus encore, par leur capacité à connecter entre eux des concepts issus des sciences naturelles et des sciences humaines, les agronomes ont une compréhension systémique des problèmes sans crainte de la complexité. Or c’est bien une complexité toujours plus grande qu’il faut affronter pour répondre aux nouvelles questions sociétales sur l’agriculture. Faut-il d’ailleurs la craindre, nous qui avons vu que, montant en complexité en associant objectifs environnementaux et sanitaires, il était possible de trouver des synergies entre ces objectifs ? Par leur capacité à interagir avec d’autres disciplines, les agronomes peuvent construire de nouvelles connaissances « actionnables », concevoir de nouveaux systèmes techniques et aider à leur mise en œuvre. On l’a vu lorsque les agronomes ont intégré dans leur champ la protection des cultures. On le voit maintenant qu’ils donnent des orientations à la sélection végétale. On devrait s’en apercevoir alors qu’ils abordent, dans leur globalité, les orientations à donner aux formes de culture et d’élevage dans les territoires, à différentes échelles, pour réguler les équilibres biogéochimiques, cultiver la biodiversité, équilibrer les régimes alimentaires, etc., et que, grâce à l’apport des sciences cognitives et sociales, associant connaissances pour comprendre et connaissances pour agir, avec les différents acteurs du changement des systèmes agricoles, ils s’inscrivent dans des démarches d’innovation.

    Bibliographie

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    BOIFFIN, Jean, et al. “Élaboration Du Rendement Et Fertilisation azotée Du Blé d’hiver En Champagne Crayeuse I. - Protocole Et méthode d’étude d’un problème Technique régional”. Agronomie, vol. 1, nos. 7, EDP Sciences, 1981, pp. 549-58. Crossref, https://doi.org/10.1051/agro:19810705.
    GILLET, Michel, et al. “Essai d’élaboration d’un schéma Global De La Croissance Des graminées fourragères”. Agronomie, vols. 4, no. 1, EDP Sciences, 1984, pp. 75-82. Crossref, https://doi.org/10.1051/agro:19840108.
    GOSSE, Ghislain, et al. “Production Maximale De matière sèche Et Rayonnement Solaire Intercepté Par Un Couvert végétal”. Agronomie, vols. 6, no. 1, EDP Sciences, 1986, pp. 47-56. Crossref, https://doi.org/10.1051/agro:19860103.
    Cerf, Marianne, and Michel Sébillotte. “Approche cognitive des décisions de production dans l’exploitation agricole”. Économie rurale, vols. 239, no. 1, PERSEE Program, 1997, pp. 11-18. Crossref, https://doi.org/10.3406/ecoru.1997.4862.
    Baudry, Jacques, et al. “A Holistic Landscape Ecological Study of the Interactions Between Farming Activities and Ecological Patterns in Brittany, France”. Landscape and Urban Planning, vols. 50, no. 1-3, Elsevier BV, Aug. 2000, pp. 119-28. Crossref, https://doi.org/10.1016/s0169-2046(00)00084-0.
    Meynard, Jean-Marc, et al. “Agronomic Approach: Cropping Systems and Plant Diseases”. Comptes Rendus Biologies, vols. 326, no. 1, Elsevier BV, Jan. 2003, pp. 37-46. Crossref, https://doi.org/10.1016/s1631-0691(03)00006-4.
    Duru, Michel, et al. “A Simplified Method for Characterising Agronomic Services Provided by Species-Rich Grasslands”. Crop and Pasture Science, vols. 61, nos. 5, CSIRO Publishing, 2010, p. 420. Crossref, https://doi.org/10.1071/cp09296.
    Médiène, Safia, et al. “Agroecosystem Management and Biotic Interactions: A Review”. Agronomy for Sustainable Development, vols. 31, nos. 3, Springer Science and Business Media LLC, 11 Mar. 2011, pp. 491-14. Crossref, https://doi.org/10.1007/s13593-011-0009-1.
    Malézieux, Eric. “Designing Cropping Systems from Nature”. Agronomy for Sustainable Development, vols. 32, no. 1, Springer Science and Business Media LLC, 1 June 2011, pp. 15-29. Crossref, https://doi.org/10.1007/s13593-011-0027-z.
    Duru, Michel, et al. “Une Approche Holistique De l’élevage, Au cœur Des Enjeux De Santé Animale, Humaine Et Environnementale”. Cahiers Agricultures, vols. 30, EDP Sciences, 2021, p. 26. Crossref, https://doi.org/10.1051/cagri/2021013.

    Cette bibliographie a été enrichie de toutes les références bibliographiques automatiquement générées par Bilbo en utilisant Crossref.

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    Notes de bas de page

    68 La Dynamique du sol, p. 474 de la 5e édition.

    69 Alors que, pragmatique, il condamne une mécanisation brutale sur des sols fragiles dans les pays colonisés (Pessis, 2019).

    70 Avec les zootechniciens, ils compléteront plus tard ces concepts par ceux de système de pâturage et de système fourrager.

    71 Notons que c’est une conception qui s’applique aux cultures annuelles où il est possible de ne pas intervenir sur la plante cultivée, ce qui n’est pas vrai des cultures pérennes, herbacées ou arbustives.

    72 Pour reprendre le titre du rapport que Jacques Poly a écrit en 1978 (publication Inra, 65 p.).

    73 Ce système est resté à l’état de niche du fait de puissants verrous sociotechniques.

    74 https://muse.edu.umontpellier.fr/key-initiatives-muse/foodhealth/

    75 « Les liens institutionnels avec les programmes de développement et de vulgarisation sont cruciaux dès le départ et, en théorie, le processus de développement lui-même devient un sujet de recherche. »

    76 « L’existence des concepts de système agraire et de milieu réel traduisent un rapport au développement à des échelles suffisamment grandes pour porter sur les impacts de la production régionale et même nationale. »

    77 C’est ainsi, dans cette démarche du Farming System Research, qu’Altieri, dès 1983, travaillant avec des agriculteurs aux ressources productives limitées, jette les bases de l’agroécologie (Altieri, 1985).

    78 Dans l’ouvrage Fertilité et systèmes de production (Sebillotte, 1989), ce modèle est encore qualifié de « modèle général ».

    79 Le volume 8 numéro 1 de la revue de l’Association française d’agronomie, Agronomie, environnement & sociétés, dont le thème est « Agronomie et agriculture numérique, ce qui change pour les agronomes », a ouvert ce débat que reprend le chapitre 5.

    80 21e Conférence des parties (COP) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 1992.

    81 Voir le numéro thématique des Cahiers Agricultures de 2017, « Des projets de plates-formes d’innovation pour soutenir les petits producteurs – Quelques expériences en Afrique subsaharienne », coordination Janice Jiggins et Jean-Yves Jamin.

    Auteurs

    • François Papy

      Académie d’agriculture de France, 18, rue de Bellechasse, 75007 Paris.

    • Gilles Lemaire

      Académie d’agriculture de France, 18, rue de Bellechasse, 75007 Paris.

    • Éric Malézieux

      Cirad, unité de recherche HortSys, université Montpellier, TA B-103/C, campus international de Baillarguet, 34398 Montpellier Cedex 5.

    • Michel Duru

      INRAE, UMR AGIR, 1248, chemin de Borderouge, 31326 Auzeville.

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    Table des matières

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    Voir plus de livres
    Apprendre à innover dans un monde incertain

    Apprendre à innover dans un monde incertain

    Concevoir les futurs de l’agriculture et de l’alimentation

    Émilie Coudel, Hubert Devautour, Christophe-Toussaint Soulard et al. (dir.)

    2012

    Transformations agricoles et agroalimentaires

    Transformations agricoles et agroalimentaires

    Entre écologie et capitalisme

    Gilles Allaire et Benoit Daviron (dir.)

    2017

    Innovation et développement dans les systèmes agricoles et alimentaires

    Innovation et développement dans les systèmes agricoles et alimentaires

    Guy Faure, Yuna Chiffoleau, Frédéric Goulet et al. (dir.)

    2018

    Biomasse

    Biomasse

    Une histoire de richesse et de puissance

    Benoit Daviron

    2020

    One health, une seule santé

    One health, une seule santé

    Théorie et pratique des approches intégrées de la santé

    Jakob Zinsstag, Esther Schelling, David Waltner-Toews et al. (dir.) Josette Derangère et Isabelle Thibaudière (trad.)

    2020

    Agriculture et qualité de l'air

    Agriculture et qualité de l'air

    Comprendre, évaluer, agir

    Carole Bedos, Sophie Génermont, Jean-François Castell et al. (dir.)

    2019

    L'eau en milieu agricole

    L'eau en milieu agricole

    Outils et méthodes pour une gestion intégrée et territoriale

    Delphine Leenhardt, Marc Voltz et Olivier Barreteau (dir.)

    2020

    L'action paysagère

    L'action paysagère

    Construire la controverse

    Hervé Davodeau

    2021

    Alerter la population face aux crues rapides

    Alerter la population face aux crues rapides

    Compréhension et évaluation d’un processus en mutation

    Johnny Douvinet

    2020

    Consommation et digestion des végétaux

    Consommation et digestion des végétaux

    Rôles des microbiotes et fonctions essentielles à la biodiversité

    Gérard Fonty, Annick Bernalier-Donadille, Évelyne Forano et al.

    2019

    La fabrique de l’agronomie

    La fabrique de l’agronomie

    De 1945 à nos jours

    Jean Boiffin, Thierry Doré, François Kockmann et al. (dir.)

    2022

    L’antibiorésistance

    L’antibiorésistance

    Un fait social total

    Claire Harpet (dir.)

    2022

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    Transformations agricoles et agroalimentaires

    Transformations agricoles et agroalimentaires

    Entre écologie et capitalisme

    Gilles Allaire et Benoit Daviron (dir.)

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    Innovation et développement dans les systèmes agricoles et alimentaires

    Innovation et développement dans les systèmes agricoles et alimentaires

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    Biomasse

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    Benoit Daviron

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    Théorie et pratique des approches intégrées de la santé

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    Agriculture et qualité de l'air

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    Chapitre 3 - De la parcelle à la planète : problèmes d’échelle et de couplage entre fonctions de l’agriculture

    François Papy

    Chapitre 6 - La recherche en agronomie, l’agronomie dans la recherche

    Jean Boiffin, Pierre Cornu et Éric Malézieux

    Remerciements

    Jean Boiffin, Thierry Doré, François Kockmann et al.

    Introduction générale - La construction d’une discipline scientifique et technique : récits d’agronomes

    Jean Boiffin, Thierry Doré, François Kockmann et al.

    Conclusion générale - L’agronomie, une construction à poursuivre

    Jean Boiffin, Thierry Doré, François Kockmann et al.

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    68 La Dynamique du sol, p. 474 de la 5e édition.

    69 Alors que, pragmatique, il condamne une mécanisation brutale sur des sols fragiles dans les pays colonisés (Pessis, 2019).

    70 Avec les zootechniciens, ils compléteront plus tard ces concepts par ceux de système de pâturage et de système fourrager.

    71 Notons que c’est une conception qui s’applique aux cultures annuelles où il est possible de ne pas intervenir sur la plante cultivée, ce qui n’est pas vrai des cultures pérennes, herbacées ou arbustives.

    72 Pour reprendre le titre du rapport que Jacques Poly a écrit en 1978 (publication Inra, 65 p.).

    73 Ce système est resté à l’état de niche du fait de puissants verrous sociotechniques.

    74 https://muse.edu.umontpellier.fr/key-initiatives-muse/foodhealth/

    75 « Les liens institutionnels avec les programmes de développement et de vulgarisation sont cruciaux dès le départ et, en théorie, le processus de développement lui-même devient un sujet de recherche. »

    76 « L’existence des concepts de système agraire et de milieu réel traduisent un rapport au développement à des échelles suffisamment grandes pour porter sur les impacts de la production régionale et même nationale. »

    77 C’est ainsi, dans cette démarche du Farming System Research, qu’Altieri, dès 1983, travaillant avec des agriculteurs aux ressources productives limitées, jette les bases de l’agroécologie (Altieri, 1985).

    78 Dans l’ouvrage Fertilité et systèmes de production (Sebillotte, 1989), ce modèle est encore qualifié de « modèle général ».

    79 Le volume 8 numéro 1 de la revue de l’Association française d’agronomie, Agronomie, environnement & sociétés, dont le thème est « Agronomie et agriculture numérique, ce qui change pour les agronomes », a ouvert ce débat que reprend le chapitre 5.

    80 21e Conférence des parties (COP) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 1992.

    81 Voir le numéro thématique des Cahiers Agricultures de 2017, « Des projets de plates-formes d’innovation pour soutenir les petits producteurs – Quelques expériences en Afrique subsaharienne », coordination Janice Jiggins et Jean-Yves Jamin.

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    Papy, F., Lemaire, G., Malézieux, Éric, & Duru, M. (2022). Chapitre 4 - L’agronomie en interaction avec les autres disciplines. In J. Boiffin, T. Doré, F. Kockmann, F. Papy, & P. Prévost (éds.), La fabrique de l’agronomie. Versailles: Éditions Quæ. Consulté à l’adresse https://books.openedition.org/quae/40930
    Papy, François, Gilles Lemaire, Éric Malézieux, et Michel Duru. « Chapitre 4 - L’agronomie en interaction avec les autres disciplines ». In La fabrique de l’agronomie, édité par Jean Boiffin, Thierry Doré, François Kockmann, François Papy, et Philippe Prévost. Versailles: Éditions Quæ, 2022. https://books.openedition.org/quae/40930.
    Papy, François, et al. « Chapitre 4 - L’agronomie en interaction avec les autres disciplines ». La fabrique de l’agronomie, édité par Jean Boiffin et al., Éditions Quæ, 2022, https://books.openedition.org/quae/40930.

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    Boiffin, J., Doré, T., Kockmann, F., Papy, F., & Prévost, P. (éds.). (2022). La fabrique de l’agronomie. Versailles: Éditions Quæ. Consulté à l’adresse https://books.openedition.org/quae/40845
    Boiffin, Jean, Thierry Doré, François Kockmann, François Papy, et Philippe Prévost, éd. La fabrique de l’agronomie. Versailles: Éditions Quæ, 2022. https://books.openedition.org/quae/40845.
    Boiffin, Jean, et al., éditeurs. La fabrique de l’agronomie. Éditions Quæ, 2022, https://books.openedition.org/quae/40845.
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