Que retenir de la troisième partie ?

p. 220-222


Texte intégral

1Les réflexions engagées dans cette partie permettent d’espérer d’autres solutions, en vue d’une refonte ou de l’amélioration du système français actuel. Certains résultats sont encore au stade expérimental, mais deux tendances se dessinent :

  • les caractéristiques des territoires et des aléas considérés doivent impérativement être couplés avec l’offre technique, car une solution matérielle demeure inopérante si elle ne tient pas compte des attentes des publics visés ;

  • l’alerte doit être pensée autrement, au risque sinon de rester dans un certain conformisme et de maintenir des schémas de pensée classiques, aujourd’hui déconnectés des demandes sociales, en particulier face aux crues rapides.

Des solutions techniques en constante amélioration

2Les outils d’alerte se sont considérablement améliorés au fil des années, notamment en s’ajustant à la métrique territoriale des aléas et à leur magnitude. Les aléas causant le plus de dégâts sont ceux qui font l’objet d’une plus grande attention. Les progrès en la matière sont considérables, à l’image des alertes qui sont désormais envoyées sur les smartphones en cas de séisme, avant même que les premières secousses ne soient ressenties par les populations dans les zones affectées par les ondes. Ces progrès sont souvent opérés après la survenue de catastrophes naturelles : le tsunami de 2004, qui a « ravagé » la région de Banda Aceh au nord-ouest de l’île de Sumatra, a fait prendre conscience de cet aléa à l’échelle internationale et a aboutit à la création du Cenalt en France.

3Les choix politiques jouent également un rôle déterminant dans ces évolutions : les décisions des autorités ont conduit à révolutionner l’offre préexistante, à l’image de la Belgique ou des Pays-Bas (qui ont abandonné les sirènes), des États-Unis (qui ont mutualisé les dispositifs existants dans un système unique, Ipaws, en 2006) ou de l’Indonésie (où les RSN ont été appropriés par une partie de la population, à tel point que les autorités en tiennent compte dans leurs stratégies).

4Ces progrès amènent à l’identification de grands principes techniques : pour gagner en efficacité, un « système » d’alerte, entendu comme la combinaison de différents outils, doit être interopérable, multicanal, multi-aléas, multiservices, et être piloté par un seul gestionnaire. En réponse à cette philosophie, des protocoles internationaux ont émergé ces dernières années (comme le CAP ou l’EWSM) et la France est en train de suivre la tendance, modernisant le système d’alerte et d’information à la population. La variabilité des délais d’alerte des aléas ou la spatialisation de la prévisibilité sont, en revanche, des éléments qui posent encore un certain nombre de problèmes.

Une offre qui devrait d’abord, et avant tout, partir des territoires…

5Si les progrès techniques sont indéniables, il reste toutefois à inscrire l’alerte dans les territoires pour éviter de proposer des solutions uniquement technicistes. Cela nous a amenés à identifier d’autres principes complémentaires, plus à même de considérer les biais en termes de compréhension sociale et de réceptabilité de l’offre. Les individus connaissant les outils doivent d’abord les comprendre, pour ensuite se les approprier. Par conséquent, un système d’alerte doit être adaptable aux besoins des publics visés, qui sont présents à un instant t et dans un territoire donné, et être inscrit au quotidien. Il faut également dépasser une vision isotropique de l’offre, qui s’appliquerait de façon uniforme dans les espaces couverts, alors qu’une telle approche prévaut chez la plupart des prestataires, qui ne pensent qu’à promouvoir leurs dispositifs et qui concourent à rendre les outils d’alerte bien peu lisibles.

6Les individus sont des êtres labiles, lax et bien difficiles à cerner, que l’on ne peut cloisonner dans une seule entité sociale, tant ils agissent selon différents facteurs en cas de crise. La territorialisation de l’alerte doit prendre en compte cette diversité, liée à des facteurs, sociaux, politiques, économiques, etc., et s’y ajuster. En l’état, force est de constater que ce défi n’est pas relevé tant les écarts se creusent entre les individus et les autorités en France, qui ne se comprennent pas. Il faut donc changer les postures de tous, en dépassant tout jugement ou le moindre a priori.

7En exploitant tout le potentiel offert par l’innovation sociale, les démarches projet ou les initiatives citoyennes, déployées avec réussite dans le bassin de Brévenne-Turdine ou dans le cadre des réserves communales de sécurité civile (RCSC), sont les plus opérationnelles. En effet, les habitants se sentent concernés : ils s’impliquent au nom de l’engagement collectif. Leur existence est révélatrice d’un « vide » dans la politique institutionnelle. Ces initiatives sont fragiles, car elles nécessitent un accompagnement dans la durée et un portage. Néanmoins, elles doivent être déployées en plus grand nombre, car elles répondent à la demande sociale. Des réseaux du type sentinelles devraient notamment être plus largement déployés : les habitants, agissant pour eux et en collaboration avec les autorités, sont capables de détecter les signaux « faibles » et de transmettre des informations utiles à la gestion de crise en suivant une logique « bassin versant », qui devient l’échelle la plus opérante face aux crues rapides.

8Au final, comme le rappelle à juste titre Cardon (2015), plutôt que de « dramatiser le conflit entre les humains et les machines », il est bien plus judicieux de les considérer comme « un couple qui ne cesse de rétroagir et de s’influencer mutuellement ».

Différentes pistes d’amélioration possibles

9Plusieurs améliorations ont été expérimentées. De façon prioritaire, il semble urgent d’élargir le nombre des autorités compétentes : en ouvrant cette responsabilité aux services hydrologiques ou météorologiques, on peut raccourcir le délai de validation institutionnelle et permettre une plus grande réactivité des services impliqués (déjà compétents en la matière). À condition toutefois de clarifier les différences entre vigilance et alerte, et de laisser les acteurs autonomes dans la communication et la gestion de l’événement. Les délais d’alerte aux crues rapides et la spatialisation de la prévisibilité sont des informations qu’il faut affiner, pour gagner en efficacité.

10Il faut aussi réfléchir à travers les échelles et à différentes temporalités. À une échelle nationale, on aimerait disposer d’une plateforme unique, multi-aléas et multicanale, à condition de définir une stratégie coordonnée. Aux échelles locales, on pourrait compléter cette plateforme selon les aléas (glissement de terrain, crue rapide) et leur métrique territoriale (échelle du versant ou du bassin versant par exemple). Mais le tout doit être harmonisé dans un seul service. Pour autant, même s’il faut mettre fin à l’éparpillement des connaissances et des compétences, et fédérer la logique multiservice, il convient de ne pas revenir à une trop grande hiérarchisation des tâches et des processus. Des services déconcentrés, dans les Emiz ou les SDIS, pourraient ainsi avoir le droit d’alerter et d’informer, et c’est d’ailleurs (pour rappel) sur ce point que la formalisation du projet SAIP a, positivement, évolué.

11À un autre niveau d’observation, l’offre doit inclure le territoire ultramarin. Dans les départements d’outre-mer, les problématiques et les enjeux ne sont pas les mêmes. Le rapport publié le 24 juillet 2018 (Arnell et al., 2018) et rédigé au nom de la Délégation sénatoriale à l’outre-mer, indique que si le réseau INPT peut être utilisé aux Antilles, il faudrait passer par le réseau GSM en Guyane et à la Réunion, ou s’appuyer sur le réseau de mosquées à Mayotte. Pour déployer une plateforme unique en France, il faut associer tous les espaces, qui restent exclus pour le moment du projet SAIP, alors même que la survenue du cyclone Irma a remis sur le devant de la scène leur forte exposition aux risques, sans oublier qu’il faut y mesurer l’appropriation par les populations aux échelles locales.


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