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    Plan détaillé Texte intégral La conflictualité territoriale au prisme du paysage Un nouvel activisme paysager ? Notes de bas de page

    L'action paysagère

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre 3 - Conflictualité paysagère : dépasser la logique Nimby

    p. 57-70

    Texte intégral La conflictualité territoriale au prisme du paysage Une conflictualité paysagère ? Un détour par les Hautes-Alpes, autour d’un paysage sous tension Un nouvel activisme paysager ? « Contre le projet et son monde » « ZAD partout » « Nous sommes la nature qui se défend » Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Préoccupée par les questions de rapports de force, d’injustices et d’inégalités sociales telles qu’elles se manifestent dans et par l’espace, la géographie sociale offre une lecture particulièrement adaptée à l’analyse des conflits d’aménagement et à leur déclinaison paysagère. Ils sont toujours une source d’informations très riche pour le chercheur. Ils renseignent sur les relations que les populations tissent avec leurs territoires, les rapports de force qu’elles entretiennent entre elles à travers l’espace, leurs compétences et capacités de mobilisation, les valeurs qu’elles mobilisent dans les processus de montée en généralités dans les argumentations, les représentations, usages et modèles d'aménagement que les conflits révèlent en exprimant de multiples tensions : entre enjeux et acteurs locaux et globaux, entre exigences économiques et préoccupations environnementales, entre préservation des intérêts particuliers et référence à l’intérêt général, entre les temporalités politiques et celles des processus d’aménagement, entre les règles courantes de la démocratie représentative et celles émergentes de la participation institutionnelle ou non, entre les principes de légalité et de légitimité… Toutes ces résistances travaillent les problématiques d’aménagement auxquelles s’ajoute, sur les questions environnementales, celle plus spécifique de l’évolution des représentations de la nature et des paysages, dont la radicalisation joue sur la conflictualité en aménagement.

    2Comme les politiques publiques et les pratiques professionnelles des paysagistes, les mobilisations sociales autour du paysage sont une « forge » de l’action paysagère. En lien avec les deux premières (dont elles peuvent être consécutives ou génératrices), ce sont des situations où s’élabore l’action paysagère, ou qui réagissent avec elle. Comme dans les deux chapitres précédents, celui-ci est construit sur la même logique : cerner le seuil au-delà duquel l’action paysagère peut s’appréhender. Explorons alors l’hypothèse selon laquelle les expérimentations sociales observables dans les conflits actuels sont susceptibles de générer – voire de régénérer – l’action paysagère. Et demandons-nous si on peut y détecter un nouvel « activisme paysager ».

    La conflictualité territoriale au prisme du paysage

    3Les conflictualités font de l’aménagement une question géopolitique (Subra, 2007) et du lieu où elles s’exercent « à la fois le support, le mobile et le principal enjeu » (Dechézelle, Olive, 2016). La conflictualité paysagère est un aspect de ces luttes de territoire : comme toutes les autres, elle exprime – au-delà du jeu d’acteurs local qui est toujours particulier – des ressorts plus profonds liés à la perte de légitimité et de puissance de l’État, le transfert de compétences vers les collectivités décentralisées, la reconnaissance progressive de la démocratie participative, des savoirs experts discutés par une population de plus en plus éduquée et exigeante envers les qualités de son cadre de vie. Cette conflictualité – qu’elle porte d’ailleurs ou non sur l’enjeu du paysage – n’est pas nécessairement négative pour les territoires car elle participe aussi de leur construction (Melé et al. [dir.], 2003).

    4Comme pour beaucoup d’autres sujets sur leur domaine propre, la conflictualité a été à l’origine de la mise à l’agenda politique du paysage (Barraqué, 1985)56. Aujourd’hui, le contexte est différent dans la mesure où la conflictualité du paysage n’est plus un facteur de son institutionnalisation, puisque celle-ci désormais est effective, elle en résulte plutôt : la reconnaissance du paysage comme enjeu d’aménagement permet de le mobiliser comme argument pour monter en généralités les arguments dans les controverses et conflits d’aménagement. En imbriquant les questions de patrimoine et de territorialité, l’action paysagère est le support de processus d’appropriation très forts (Di Méo, 1994). Leurs effets sont moins à chercher dans les formes paysagères elles-mêmes que dans les stratégies d’appropriation des paysages mises en œuvre par les acteurs : les néoruraux (recomposition sociale, reconstruction identitaire des espaces périurbains), les gestionnaires (légitimation des structures d’agglomération, Parcs naturels régionaux), les propriétaires ou riverains (instrumentalisation des paysages dans l’argumentaire pour s’opposer aux projets d’aménagement). Ces logiques d’appropriation misent sur la dimension visuelle du paysage.

    Une conflictualité paysagère ?

    5Statuer sur la nature paysagère de la controverse ou du conflit revient à y questionner la place relative du paysage ainsi que son rôle dans l’action. Son instrumentalisation, aussi bien par les opposants que par les promoteurs des projets d'aménagement, témoigne de sa plasticité qui le discrédite parfois au regard d'autres enjeux et arguments plus robustes, et par conséquent davantage mobilisés (arguments économiques, écologiques). Plus ou moins présente mais rarement au centre des attentions, sa position ambiguë questionne l'idée même de controverse et/ou de conflictualité paysagère : d’ailleurs, quel terme choisir ? La controverse se prête davantage au débat d’idées et à l’échange d’arguments, à la joute intellectuelle – sur un plan scientifique ou non. Le conflit de paysage a souvent une controverse en arrière-plan car il est sous-tendu par des visions différentes, mais la controverse n’y est pas nécessairement clairement formulée. À l’inverse, la controverse peut ne pas dégénérer en conflit, lequel exprime évidemment plus qu’un simple désaccord mais une situation d’opposition entre plusieurs parties, un rapport de force : c’est un passage à l’acte qui n’implique pas forcément une confrontation physique mais qui engage les corps dans les lieux, souvent occupés et transformés (Vigne, 2019). Au regard de l’usage qui est fait du paysage dans les mobilisations sociales, il est donc préférable de parler de conflictualité plutôt que de controverse. Malgré sa polysémie et sa dimension subjective évidentes, le paysage est effectivement rarement controversé dans sa définition ou son approche (bien que le mot soit l’objet d’incompréhensions ou de diverses interprétations), et lorsque c’est le cas, cela ne débouche pas nécessairement sur une situation de conflit à dimension spatiale. Dans les situations conflictuelles qui reposent sur une assise et sur une argumentation spatiale, le paysage est plus ou moins mobilisé dans les discours, mais il est aussi transformé dans et par l’action : en cela, la conflictualité paysagère relève bien de l’action paysagère. L’une et l’autre modifient le jeu d’acteurs et leur permettent de se remettre en cause : c’est la dimension active du conflit, et la dimension réflexive du paysage (Fortin, 2007).

    6Parce qu’elle est un véritable facteur de transformation de la société, la manifestation conflictuelle de l’action paysagère n’est donc pas seulement un objet heuristique utile pour produire des connaissances sur la société et ses espaces : c’est un moteur du changement social, qui – plus encore que dans les deux chapitres précédents consacrés à l’action publique paysagère et aux pratiques professionnelles – engage le chercheur. C’est la raison pour laquelle c’est une question efficace pour politiser57 le paysage dans les formations (Davodeau, 2015) selon des modalités adaptées, par exemple le jeu de rôles (Davodeau, Toublanc, 2019) : ayant servi de support à cet exercice pédagogique, voici trois cas d’étude qui permettent de réfléchir à la conflictualité paysagère.

    7Dans les vallées angevines, l’analyse du conflit sur le développement de la culture des peupliers (Le Floch, 1993) conduit à relativiser le poids de l’argumentaire strictement paysager face aux autres registres, en particulier économique ou écologique. Si l’argument esthétique est mobilisé pour dénoncer l’aspect géométrique des peupleraies, le mitage des paysages traditionnellement ouverts, l’obstruction de certaines vues, l’atteinte à l’identité des lieux, etc., il souffre cependant d’être relatif à un point de vue et facilement renversé (des œuvres de photographes amateurs ou d’écrivains comme Gracq ou Balzac sont utilisées pour justifier des représentations positives de ces paysages). La controverse paysagère tend donc à s’effacer derrière la question environnementale, dont les arguments sont plus objectivables quoique toujours très discutables. Au-delà de la controverse argumentative, le conflit exprime la logique d’appropriation citadine des vallées autour d’Angers (Montembault, 2002) : tout autant qu’inondables ou agricoles, ces terres sont désormais périurbaines – et même urbaine pour l’île Saint-Aubin, véritable parc agricole situé dans les limites communales d’Angers –, cette appropriation les soumettant alors aux nouveaux usages récréatifs et aux nouvelles représentations paysagères qui s’expriment dans et par le conflit.

    8Dans le cas du sentier littoral à Fouesnant, l’enjeu est l’accessibilité physique et visuelle à ce littoral. Ici, le paysage est revendiqué comme un droit confisqué aux usagers par les riches propriétaires. L’analyse du jeu d’acteurs local permet de prendre la mesure des contingences locales de l’application du droit sous l’effet du lobbying de propriétaires très influents, au capital économique et politique important. Le droit au paysage revendiqué en application de la loi consiste donc à limiter le droit de propriété, selon une opposition entre l’intérêt général et ce dernier qui est au fondement de l’institutionnalisation du paysage dans les politiques publiques (Barraqué, 1985).

    9La mobilisation contre les constructions sur les terrains de sport du quartier de Belle-Beille à Angers ne s’appuie pas sur un argumentaire à propos du paysage, mais sur la diversité des pratiques informelles non prises en compte dans le projet : apprentissage du vélo par les enfants, barbecue entre voisins, cohabitation entre habitants et étudiants, etc. Les logements projetés ne sont pas dénoncés par un discours d’anticipation du paysage à venir, mais au regard des usages actuels perturbés ou remis en cause. Le paysage n’est ici ni le sujet dont on s’empare pour lutter contre un projet, ni le projet auquel on s’oppose, mais le cadre spatial dans lequel prennent place les usages quotidiens. Si la contestation d’abord assurée par les riverains immédiats aurait pu les conduire à préserver, pour leur tranquillité, les terrains tels qu’ils sont, l’élargissement du mécontentement aux habitants du quartier les conduit à revendiquer leurs usages indépendamment de la préservation des lieux en l’état, dans une logique de défense du commun paysager (Sgard et al., 2018).

    10Le dépassement de la logique Nimby par celle du nina (ni ici ni ailleurs) est effectivement une condition essentielle pour échapper à l’accusation de défendre ses propres intérêts (Trom, 1999)58. Le paysage est une ressource possible pour cette montée en généralités malgré sa fragilité constitutive. Sa valeur patrimoniale peut peser dans la balance ou être l’objet même de la controverse et/ou du conflit si elle est contestée, ou si la légitimité de l’acteur qui la lui attribue est mise en doute. C’est la raison pour laquelle utiliser le paysage dans une controverse nécessite un ensemble de « techniques d’objectivation visant à l’affermir, à l’arrimer dans le monde des choses identifiables » (Trom, 2001, p. 250). Ce procédé de naturalisation est moins difficile pour les paysages remarquables contrôlés par l’État que pour le cadre de vie ordinaire dont la valeur patrimoniale est plus controversée et plus facilement instrumentalisable à diverses fins.

    11La nature paysagère du conflit d’aménagement est évidente quand c’est la règle paysagère qui est contestée pour elle-même (par exemple un règlement de lotissement) ou lorsque le paysage est explicitement mobilisé contre ou pour le projet d’aménagement, comme c’est le cas pour le sentier du littoral ou les peupleraies dans les vallées ligériennes (cas précédents). Elle est en revanche beaucoup plus difficile à caractériser lorsque le paysage n’est pas explicitement mobilisé ; ainsi dans le quartier angevin, où l’argument n’est pas formulé contre le projet de construction : mais – bien que le mot ne soit pas utilisé – la chose ne l’est-elle pas ? Pour les opposants, la constructibilité des terrains porte atteinte à la diversité des usages du lieu (sportifs, mais pas seulement !), aux possibilités de rencontres qu’il offre (la mixité sociale au nom de laquelle la municipalité voulait pourtant bâtir) et au caractère ouvert de l’espace apprécié dans le quartier (l’intervisibilité permet de surveiller les enfants du haut des immeubles). Ces éléments relèvent d’une réalité spatiale paysagère. Au moment des affrontements comme dans d’autres manifestations de l’action paysagère, le paysage n’avance pas toujours « à découvert » et sa place dans la hiérarchie des enjeux est variable, comme son statut dans le conflit et plus largement dans les politiques publiques : objet, outil, alibi, image, projet (Luginbühl, 2004).

    12Dans cette typologie, le dernier terme (projet) désigne le statut le plus discutable du paysage dans le conflit. Il est effectivement rare qu’une controverse repose sur l’opposition entre deux projets au sujet desquels les acteurs seraient en désaccord. En règle générale, un projet est critiqué pour ses formes paysagères et leurs effets sur les usages : que ce soit avant, par anticipation, ou après, par constatation, le paysage est posé dans le conflit comme la résultante virtuelle ou concrète de l’aménagement. Si la conflictualité est paysagère, c’est donc a minima car le paysage, même central dans l’argumentation, est toujours la conséquence de l’action. Que serait donc une situation où le paysage serait réellement partie prenante du conflit, comme il l’est dans l’action paysagère ? Peut-être un conflit où se joue à travers la question du paysage celle – fondamentale – du lien au territoire : le mot paysage n’y serait pas nécessairement plus affirmé (car son héritage sémantique contribue plutôt à le vider de sa charge politique), et d’autres mots pourraient être utilisés pour exprimer l’enjeu de la qualité de la relation sensible à l’environnement.

    13En distinguant deux sous-classes de conflit en fonction de leur assise spatiale, D. Trom (1999) qualifie les conflits autour du paysage comme étant ceux se rapportant à « la nature spatialisée » : contrairement à d’autres qui concernent « une nature dépourvue ou à peu près dépourvue d’assise spatiale en ce sens qu’ils portent sur un ensemble de nuisances définies comme des atteintes à l’intégrité corporelle des personnes59 », ces conflits « portent sur l’espace lui-même en tant qu’il est doté de qualités propres » (p. 33). Cela conduit le sociologue à distinguer deux catégories d’individu en fonction de sa façon d’y être exposé. Celui qui est affecté par un conflit de nature spatialisée est un riverain au sens littéral, c’est-à-dire un individu situé à côté du problème posé. À l’inverse, celui qui est concerné par un conflit de nature non spatialisée est distant, ce qui ne l’empêche pas d’être affecté mais le plus souvent par l’intermédiation d’instruments (contrairement au riverain qui l’est physiquement). Cette différence modifie les registres de perception du problème qui, lorsqu’il est perçu à distance, « engage les représentations du sain et du malsain (l’hygiène, la santé) », alors que les personnes au contact engagent « les représentations du beau et du laid, du convenant et de l’inconvenant » (id.). Cette distinction fait écho à la tension constitutive du regard sur le paysage, soumis aux perceptions sensibles et aux représentations intellectuelles (« Saisir les représentations dans l’action »). Cette lecture permet de souligner à quel point la conflictualité paysagère exacerbe la figure de l’habitant en tant qu’individu « pris dans des attaches, des relations contraignantes qui le constituent comme sujet et caractérisent son milieu de vie, ses territoires existentiels » (Lolive, 2010).

    14Par ailleurs, dans ces situations où le paysage est débattu, ce sont les savoirs locaux basés sur l’expérience d’un lieu qui construisent le paysage dans la controverse (Trom, 2001). Ils valorisent cette nature située en soulignant « la référence à la dimension humaine et relationnelle de l’environnement [...] le rapport tout à la fois sensoriel, sensible (il intègre les affects), imaginatif (il transfigure le vécu) et signifiant (il fait sens pour l’habitant) » (id.). Pour autant, l’argument esthétique y est posé de façon très ambiguë car la complexité de la relation sensorielle et affective de l’habitant laisse le plus souvent place à l’expression d’une esthétique convenue, susceptible d’être partagée et de mobiliser le plus grand nombre : « lorsque nous nous indignons d’une menace qui pèse sur lui, lorsque donc nous devons passer l’épreuve du public, cet attachement et cette indignation empruntent invariablement la syntaxe d’une esthétique classique » (Trom, 1999, p. 257). Cela explique peut-être pourquoi le paysage n’est pas toujours présent dans l’argumentation, ou, lorsqu’il y est, il est dit avec des mots qui reflètent très superficiellement – et donc très imparfaitement – la profondeur de la relation que les individus entretiennent avec leur cadre de vie quotidien.

    Un détour par les Hautes-Alpes, autour d’un paysage sous tension

    15Sur les hauteurs du lac de Serre-Ponçon, en limite sud du Parc national des Écrins, une ligne à très haute tension (THT) traverse à flanc de montagne le versant forestier du Mont Guillaume (voir la figure 7, p. 63)60. Dans les communes concernées par le projet, le slogan est encore visible sur les banderoles : De l’électricité oui, des pylônes non. À l’été 2019, je m’entretenais avec le secrétaire de l’association Avenir Haute Durance, qui s’est battu en vain contre ce projet destiné à accroître l’offre d’électricité des Hauts-Alpins. Il me faisait le bilan de ces années de mobilisation qui venaient de se solder par l’installation des pylônes dans le paysage, et donc par l’échec du projet alternatif qu’ils n’ont pas réussi à faire accepter au gestionnaire du réseau de transport d’électricité (RTE) : l’enfouissement des lignes. Son récit sonne comme une fatalité : l’échec d’une mobilisation environnementale, impuissante face aux arguments économiques. Lors de cet entretien apparaissait un paradoxe quant à la dimension paysagère du conflit : d’un côté, il était évident que c’était pour la qualité des paysages que les opposants s’étaient mobilisés, mais de l’autre, il était tout aussi clair que l’argument du paysage avait été peu investi. Alors même que la lutte en faveur de la qualité du paysage est la raison d’être de l’association, mon interlocuteur reconnaît que « c’est un argument qu’on a eu du mal à maîtriser. On l’a utilisé dans l’étude d’impact mais maladroitement. Quand on parle de paysage, on a tendance à digresser sur plein de choses, et puis surtout on n’a pas les compétences. En plus, les gens du Parc étaient mal dans leurs pompes : les moniteurs étaient contre mais le Parc a donné ses bases de données environnementales à ICOMED, bureau qui a bossé pour RTE. Et les élus du Parc ont eu des pressions importantes pour que le Parc la ferme. Nous avions bien dans l’association une adhérente capable de parler de paysage car elle a travaillé au CAUE : elle nous a briefés, alertés, mais nous avons eu beaucoup de mal à nous approprier les arguments. Elle a fait une contribution qui nous a aidés pour formaliser la plainte à l’Europe ». De son point de vue, « il n’y a pas de loi majeure sur laquelle s’appuyer, si ce n’est peut-être la convention alpine. Il n’y a rien de contraignant. Le paysage, c’est du cosmétique et ça ne casse pas un PLU ». Selon lui, les arguments les plus légitimes à opposer au projet sont la destruction de l’environnement, l’hydrogéologie (risque pour les sources), les choix techniques ensuite (« la technique aérienne est dépassée, l’enfouissement moins coûteux et moins risqué sur le long terme »), et enfin l’argument de situation des communes (en zone d’adhésion du Parc national des Écrins). Dans l’étude d’impact, le tableau synthétique des résultats conforte cette hiérarchie, en n’accordant pas plus de place au paysage61. Mais pour approfondir l’analyse de la place du paysage dans ce conflit, il faudrait aussi faire la critique des vidéos assez édifiantes réalisées par RTE car elles parviennent à faire du paysage un outil de propagande en faveur du projet.

    Figure 7. Action (paysagère) contre les lignes à très haute tension dans les Hautes-Alpes (source : association Avenir Haute-Durance, 2016)

    Image

    16Cette image est une capture d’écran d’une vidéo accessible en ligne postée par les adhérents de l’association. Le 27 novembre 2016, des funambules ont cherché à sensibiliser l’opinion publique à leur combat à travers une slackline NO THT. Au-delà de la contestation (le combat était perdu), le geste avait une portée poétique délibérée qui a largement contribué à l’écho médiatique des images dans la presse locale et nationale.

    17Ici, le conflit politise le paysage et le paysage poétise le conflit.

    Un nouvel activisme paysager ?

    18La mobilisation contre les lignes THT dans les Hautes-Alpes est un cas parmi d’autres des conflits environnementaux actuels contre ce que les opposants qualifient de « grands projets inutiles ». Popularisées par le conflit contre les projets de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou contre le projet de décharge nucléaire à Bure, les zones à défendre (ZAD) sont des espaces de résistance et d’expérimentations diverses : sont-elles des lieux où se renouvelle l’action paysagère ? Parce qu’elles ne défendent pas la nature sauvage mais la qualité d’une présence et d’une relation aux lieux, qu’elles ne se contentent pas de bloquer un projet local mais ont l’ambition de repenser en profondeur les objectifs et les logiques de l’aménagement du territoire, ces nouvelles conflictualités environnementales questionnent fondamentalement nos spatialités contemporaines et nos façons de conduire les projets. Comment le paysage est-il mobilisé dans ces nouvelles scènes ? S’expérimentent dans ces lieux des façons de penser et d’agir qui ne cherchent pas seulement à se soustraire au système dominant, mais ont l’ambition de préfigurer un « monde d’après ». Une recherche sur l’action paysagère se doit donc d’observer ces espaces-laboratoires qui prolongent, sur un mode environnemental propre aux enjeux contemporains, la longue histoire des utopies sociales et de ses expressions paysagères : « les luttes sociales ne disparaissent pas ; elles se déplacent et prennent d’autres visages. Elles concernent en priorité l’accès à l’environnement et au paysage » (Claval, 2015, p. 260). L’enjeu du paysage est-il posé dans ces luttes de territoire, et comment ? Les ZAD ne constituent-elles pas une expression de l’actualité politique du paysage ? Les modestes réponses que nous formulons ici ne sont que des pistes de réflexion issues de deux lectures récentes (d’Allens, Fuori, 2017 ; Vidalou, 2018) qu’il faudrait confronter à une véritable enquête sur le terrain62. D’ici là, arrêtons-nous sur trois slogans significatifs de ces luttes environnementales.

    « Contre le projet et son monde »

    19En exprimant le dépassement d’une mobilisation contre un projet particulier pour mettre en cause « son monde », le slogan cible les conditions (économiques, politiques, culturelles, etc.) qui produisent le projet et le légitiment. C’est d’ailleurs bien cette critique radicale qui permet d’appeler à l’agrégation des conflits en une convergence des luttes capable de solidariser ces mobilisations, accentuant ainsi leur puissance politique à travers un faisceau complexe de valeurs et d’idées (écologismes, anarchismes, libertarismes) mises au service d’une critique de la marchandisation du monde et d’un certain autoritarisme. Comment ce discours critique global rencontre-t-il le paysage ? Si l’on accepte la proposition de D. Trom de définir la conflictualité paysagère en termes de « nature spatialisée », comment alors la question du paysage, par nature ancrée, s’articule-t-elle avec le discours global « antisystème » ? Dans ces luttes, les paysages permettent-ils de distinguer l’horizon d’un contre-projet ? Le recours au paysage permet-il non pas de monter en généralités, comme ce que permettrait la mise en avant de la valeur patrimoniale, mais de « descendre en particularités » ? Dans ces mobilisations qui veulent faire entendre l’idée qu’un territoire n’est pas un réceptacle sans qualité sur lequel il est possible d’imposer des projets par le haut, le paysage ne permet-il pas de « faire atterrir » les projets ?

    20Mais le paysage n’est pas seulement l’existant que l’on oppose au projet, il est aussi le paysage du projet lui-même : non pas tant, d’ailleurs, le paysage du projet dont on peut faire la critique de ce qu’il donne à voir – avec le risque d’offrir la possibilité aux promoteurs du projet de proposer des alternatives qui pourraient aboutir à d’autres paysages mais sans que cela ne remette en cause l’opportunité du projet –, que les paysages générés par le projet autour de lui : infrastructures routières, lignes électriques, parkings, échangeurs, affichage publicitaire, etc. L’enjeu du paysage donne la mesure spatiale de ce cortège d’objets, et il élargit l’échelle du problème. Dans cette perspective, la critique antisystème contenue dans « et son monde » véhicule bien l’analyse globale d’une situation à un niveau supérieur, mais elle ne déterritorialise pas son objet : elle oppose à ce monde trop grand un ré-ancrage.

    « ZAD partout »

    21Le slogan souligne la logique de dépassement de la stratégie Nimby évoquée précédemment. La formule exprime une contestation de la zone comme espace d’exception, en la revendiquant par l’absurde puisqu’il s’agit de dépasser le zonage en l’étendant partout… ce qui annihile son principe même (cette ironie contribue au succès du slogan). Il s’agit en effet pour les activistes de ne pas se laisser enfermer dans leurs périmètres, de ne pas se satisfaire d’un statut de « bons sauvages » inoffensifs isolés dans leurs parcs/réserves, ce qui réduirait alors considérablement la portée politique de leurs luttes. Ainsi formulé, le message consiste à refuser le principe d’une zone circonscrite pour laquelle on chercherait à obtenir un régime particulier que les pouvoirs publics pourraient être tentés d’accorder afin de préserver la paix sociale sur le reste du territoire. « ZAD partout » porte donc en creux la critique d’une pensée patrimoniale dont la logique est de délimiter des espaces à protéger, cette focalisation autorisant ailleurs une moindre attention et une certaine impunité. Contrairement à une interprétation possible, le slogan ne véhicule donc pas l’idée d’étendre la catégorie patrimoniale, mais au contraire de s’en extraire : pour envisager celle des communs (Dardot, Laval, 2014)63 ?

    22Ces nouvelles conflictualités paysagères permettent-elles d’observer l’action paysagère au prisme de ce nouveau paradigme ? Ces mobilisations s’affranchissent-elles vraiment de la catégorie patrimoniale ? Dans l’action paysagère mise en œuvre dans ces espaces expérimentaux, comment cohabitent les régimes de l’ordinaire et du remarquable ? Dans la mesure où l’action paysagère prend nécessairement appui sur un état des lieux et donc une reconnaissance et une qualification des paysages, elle ne peut pas échapper à un travail de hiérarchisation des espaces au regard de leurs qualités paysagères.

    « Nous sommes la nature qui se défend »

    23Omniprésent dans les ZAD, ce slogan exprime le principe d’agentivité accordée à la nature et dont nous allons, dans les pages qui suivent, discuter les ambiguïtés et les risques de l’appliquer au paysage. Alors que ces lieux se veulent intensifs sur un plan politique, la formule n’est-elle pas fondamentalement apolitique par le nous indistinct qu’elle emploie, voire qu’elle dissimule derrière la nature ou le vivant64 ? Non seulement elle fait abstraction du social (chasseurs, agriculteurs, touristes, habitants, riverains), mais elle impose une autorité (d’autant plus forte qu’elle est abstraite) : qui oserait remettre en cause les choix de ce nous indéfini et indiscutable ? Pour identifier celle qui s’impose comme une présence immatérielle dans les mobilisations environnementales, ne peut-on pas la dévisager grâce aux paysages par lesquels elle se présente, et ainsi mieux la cerner ? Est-elle sauvage, paysanne, jardinière, ou d’une autre nature ?

    24Le nouvel activisme environnemental qui s’observe dans les ZAD véhicule un rapport ambivalent à la nature, oscillant entre une défense radicalisée du monde sauvage et la nostalgie d’une campagne paysanne à réinventer. Alors qu’il serait tentant de prêter aux activistes un penchant pour une conception radicale de la nature, des recherches situent au contraire cette radicalité plutôt du côté des institutions, comme le démontrent les travaux sur les démantèlements d’ouvrages des rivières dans le cadre d’une politique de « réensauvagement » sous influence du lobbying écologiste au sein des instances européennes (Barraud et al., 2019). Mais sur le terrain, les activistes donnent à entendre un tout autre point de vue : « La Nature est un concept qui a fait faillite […] ; ce qu’on défend, ce sont des territoires existentiels, des vies, des gestes, des techniques. […] Notre-Dame-des-Landes n’est pas qu’une forêt, c’est surtout un bocage, avec sa propre histoire de l’aménagement, et ce n’est pas une zone purement naturelle – comme l’expliquent bien les copains de la ZAD, le bocage a été aménagé65 » (Vidalou, 2018). Ces propos expriment un certain rapport au paysage, mais aussi à l’action : « La forêt est aussi ce qu’on y fait, ce qu’on y bricole, dans le sens d’une composition commune de gestes. C’est d’abord cette composition commune et située qu’on défend : l’idée d’ancrage » (id.). Dans les ZAD, il s’agit moins de préserver le territoire que de le fabriquer. À la revendication d’une nature sauvage, les activistes préfèrent l’alternative d’une nature entretenue, jardinée, soignée. Ils se mobilisent à travers une esthétique de la relation qui les conduit à occuper le terrain physiquement, à « avoir prise », à être vraiment là, défiant la crise de la présence au monde qu’ils dénoncent. Ils habitent (Besse, 2013) au sens plein du terme : « comment est-ce qu’on habite des lieux, comment est-ce qu’on habite ce monde ? Il y avait un camarade à Bure qui disait : On n’occupe pas ces lieux, on les habite. Ce sont ceux d’en face qui les occupent : Cigeo, l’Andra, les policiers… Si les luttes à venir ont quelque chose à apporter, c’est sur ce plan-là » (id.).

    25Comme environnement, qui décrit une réalité extérieure, ou le concept abstrait de biodiversité, paysage évoque trop le décor mis à distance pour être véritablement mobilisé dans ces luttes : ces mots appartiennent plutôt au langage de l’ennemi... Si paysage fait défaut, sa signification est pourtant bien présente, comme par exemple dans les discours sur la forêt, placée aujourd’hui au centre des attentions en dépit de l’extension quantitative des boisements. Affirmer que même si les surfaces boisées augmentent, la forêt recule, signifie contester le statut forestier de ces étendues gérées de façon intensive66 : or, n’est-ce pas une façon de ne pas leur reconnaître aussi le statut de paysage ? N’est-ce pas une façon de dénoncer la perte de qualité de la relation sensible à ces espaces soumis à la rentabilité ? La relation paysagère dont il est question ici n’est pas seulement contemplative. Elle repose sur des usages collectifs qu’il s’agit de préserver (cueillette, bois, chasse, etc.). Cette revendication convoque un imaginaire politique construit sur le récit historique de la forêt-refuge et de la forêt-territoire incontrôlable (Vidalou, 2018). De ce point de vue, la forêt en tant que paysage s’élabore – pour ces militants, du moins – autant sur cette mythologie de la résistance que sur des modèles esthétiques qui permettraient de la distinguer vis-à-vis des étendues dédiées à la production intensive. Mais cette politisation du paysage gomme-t-elle pour autant toute image idéale de ce qu’est, et de ce que doit être une belle forêt ? Pour s’engager dans ce combat, comme dans n’importe quel autre, les militants sont nécessairement portés par un sentiment esthétique nourri de l’éthique de leur engagement.

    26Ces luttes véhiculent la contestation d’une certaine politique de l’aménagement du territoire : nationale, autoritaire, « développementaliste », et incarnée par les figures adverses de l’ingénieur, de l’économiste, du manager… Cette opposition contre les aménageurs vise une certaine ingénierie écologiste, technologiste et déshumanisée : « Lorsque les gestionnaires parlent d’éco-système, de biosphère, de machine thermodynamique, de système Terre, quelle langue parlent-ils ? Toujours seulement celle qui nous saisit comme extérieurs au monde. L’environnement reste précisément aux environs, à l’extérieur, incapable de constituer un monde sensible. Là réside toute la différence éthique entre avoir un environnement et habiter un monde. […] La différence entre des plans d’aménagement et des sentiers parcourus de cabanes ou de barricades. Entre des cartes d’ingénieurs et des paysages vécus » (Vidalou, 2018, p. 162-163). La critique cible en définitive tous ceux qui se compromettent dans cette approche de l’action environnementale, qu’ils soient paysagistes, scientifiques ou artistes.

    27À Bure par exemple, alors que les activistes s’accrochent comme ils le peuvent aux cabanes installées dans les futaies jardinées du bois Lejuc, une réflexion s’amorce pour fleurir ce « tombeau nucléaire pour l’éternité67 » dont on envisage déjà un paysagement de surface. Des artistes imaginent comment le paysage pourrait permettre de véhiculer un message d’alerte aux générations futures (l’échelle chronologique est telle qu’il n’est pas possible d’utiliser un message écrit ou oral). Ainsi, des « land’artistes » réfléchissent aux façons d’exprimer le danger par des sculptures géantes et angoissantes (le Cri d’E. Munch est une inspiration) susceptibles de faire comprendre que là, sous le sol, des hommes du xxie siècle ont déposé une bombe nucléaire à retardement68. Les artistes comme les chercheurs questionnent donc le rôle que peuvent jouer les paysages – ou plutôt quel(s) rôle(s) ils peuvent leur faire jouer – face aux changements en cours et en réponse aux angoisses contemporaines. Ils ont un rôle à jouer pour contester la fonction pacificatrice du paysage et ainsi s’opposer à une action paysagère cyniquement mise à profit pour dissimuler ou apaiser les menaces. Les paysages sont une caisse de résonance qui répercute les incertitudes du moment69. Face à ces incertitudes, la matérialité et la relative pérennité des paysages en font certainement des stabilisateurs rassurants. Si le paysage offre un socle relativement stable, celui-ci permet aussi de prendre appui pour imaginer les futurs que ces nouvelles conflictualités préfigurent. C’est aussi une raison pour laquelle la recherche doit éclairer ces expérimentations en questionnant ce qui s’y fait et comment, et peut-être même y insérer la question du paysage selon une modalité de l’action paysagère adaptée. Dans une publication récente (L’atelier politique de la nature, 2017), I. Babou s’interroge sur les implications méthodologiques du dépassement des « grands partages ». Il met en doute l’opérationnalité de l’idée du « parlement des choses » de B. Latour dont l’innovation conceptuelle dissimule mal de son point de vue le statu quo de l’action : « peu de nouveauté sous le ciel de la philosophie politique : les décideurs décident, et les savants savent » (Babou, 2017). Constatant que dans cette proposition, les scientifiques sont les porte-parole des choses et que les politiques décident sous leurs lumières, I. Babou entrevoit la possibilité d’« un parlement de l’expérience sensible des relations » qui accorderait moins de place aux experts. Comment ne pas y voir un « parlement du paysage » ? Comment la question du paysage pourrait-elle être mise en débat dans l’objectif d’apprendre des autres, « de leurs savoirs et de leurs relations sensibles au monde » (id.) ?

    ***

    28La conflictualité politise le paysage et brise l’idée d’harmonie qui lui est souvent associée. Mettre le paysage et la nature en débat consiste à « ajouter des conflits d’interprétation » (Latour, 2017, p. 112) et à remplir de politique ces mots – nature, paysage – qui sonnent souvent creux. Toujours plus ou moins engagé (si l’on accepte le postulat que sa neutralité est une fiction), le chercheur peut embrasser le combat des militants au risque d’être comme eux « définitivement immunis[é] contre le doute » (p. 258), ou s’efforcer de conserver la distance nécessaire à la démarche scientifique au risque d’être un témoin trop éloigné des situations qu’il observe. Mais peut-on s’autoriser aujourd’hui à douter de la crise environnementale dont l’une des causes majeures est justement le doute ? L’ampleur du désastre en cours est tellement inconcevable que celui-ci fait l’objet d’un déni qui participe lui-même de la catastrophe, nous alerte B. Latour !

    29Peut-on s’accommoder de la politique des petits pas dictée par la mauvaise conscience, du principe frileux de précaution, du concept mou de développement durable ? Dans les écoquartiers, les noues que l’on dit « paysagères » ne sont-elles pas l’expression même de cet engagement mesuré, caractéristique d’une action (paysagère, donc) qui, malgré ses bonnes intentions, légitime en réalité le processus d’urbanisation (on urbanise, c’est vrai, mais pas n’importe comment) ? Si, comme le dit B. Latour, « nous sommes en guerre », alors la bataille n’est visiblement pas engagée, ou alors marginalement, sur la ligne de front des ZAD, ces théâtres d’opérations très circonscrits. Si la géographie sert encore « à faire la guerre », ces luttes contemporaines s’arment-elles du paysage ?

    30La question s’impose dans un contexte non pas de la transition strictement écologique mais des transitions – sociales et démocratiques également – pour lesquelles le paysage peut effectivement être un levier d’action afin de, par exemple, s’opposer à la transition socio-démographique qu’est la gentrification des quartiers populaires sous l’effet pervers de la rénovation urbaine ou de la patrimonialisation… Encore trop confisqué par ceux qui conduisent les projets, le paysage doit être mis au service de ceux qui les subissent et vivent leurs effets. La responsabilité du chercheur est d’aider à faire comprendre comment un paysage leur est imposé, d’aider à décrypter les discours des projets qui masquent certains de leurs effets, extraire le propos du paysage de l’expertise aménagiste ou de la décision politique, pour en faire un levier qui augmente leur capacité à agir. Plutôt donc que de s’en débarrasser, comme B. Latour entend le faire avec la nature, il nous semble préférable de diffuser le paysage hors des cercles professionnels, d’appeler au développement d’une éducation populaire au paysage, et d’explorer comment les diverses expérimentations de médiation paysagère peuvent inspirer les ateliers politiques de la nature qu’appelle de ses vœux I. Babou.

    Notes de bas de page

    56 « L’histoire des lois françaises sur les sites et les paysages est d’abord l’histoire de la remise en cause progressive des droits sacrés de la propriété » (Barraqué, 1985, p. 219).

    57 « Présenter une situation ou un énoncé en insistant sur son lien ou son positionnement contre une valeur ou une institution » (Bouleau, 2019, p. 108).

    58 « Le travail des militants consiste précisément en la mise en forme d’un bien commun universalisable, susceptible de concurrencer l’intérêt général défini par les autorités traditionnellement habilitées à le déterminer » (Trom, 1999, p. 40).

    59 « La pollution environnementale, qu’elle affecte ou menace d’affecter directement [...] n’a pas de limites spatiales assignables a priori puisqu’elle dépend de l’extension spécifique de sa dissémination » (id., p. 33).

    60 https://reporterre.net/Dans-les-Hautes-Alpes-le-chantier-de-la-ligne-a-tres-haute-tension-saccage-l

    61 Excepté pour le site Unesco de Mont-Dauphin dont l’« environnement visuel » justifie l’enfouissement, les paysages plus ordinaires se satisferont des « mesures compensatoires ». Ainsi, les riverains peuvent saisir la Commission d’évaluation amiable du préjudice visuel et espérer un dédommagement financier, à la condition cependant de résider dans une bande de 200 m de part et d’autre de la ligne…

    62 L’exercice d’habilitation à diriger des recherches a aussi cet objectif d’annoncer des projets de recherche à venir.

    63 Sur la relation entre la théorie des communs et l’action paysagère, voir Sgard, 2010 ; Sgard et al., 2018.

    64 « Nous sommes le vivant qui se défend – y compris contre sa conversion en Nature » (Morizot, 2020, p. 265).

    65 Entretien dans la revue en ligne ballast.fr, 13 février 2018 : « la nature est un concept qui a fait faillite » (J.-B. Vidalou).

    66 Voir à ce sujet le film Le temps des forêts de F.-X. Drouet (2018).

    67 Article du Figaro, 22 février 2017 : « Bure, un tombeau pour l’éternité ».

    68 Il est ainsi possible de visualiser sur Internet les projets de M. Brill et S. Abidi, ou celui de P. Galison et R. Moss, qui misent sur la force symbolique et agressive d’un champ d’épines aux dimensions colossales pour signifier par le langage du paysage l’infréquentabilité des lieux.

    69 « La montée en puissance de l’incertitude dans les logiques d’action, la transition écologique et la nature en ville, les crises économiques et sociales, l’austérité des finances publiques, les interrogations sur l’urbanisme des villes moyennes et sur l’urbanisme sans croissance questionnent en profondeur la façon de pratiquer l’activité de projet » (Arab, 2018, p. 237).

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    56 « L’histoire des lois françaises sur les sites et les paysages est d’abord l’histoire de la remise en cause progressive des droits sacrés de la propriété » (Barraqué, 1985, p. 219).

    57 « Présenter une situation ou un énoncé en insistant sur son lien ou son positionnement contre une valeur ou une institution » (Bouleau, 2019, p. 108).

    58 « Le travail des militants consiste précisément en la mise en forme d’un bien commun universalisable, susceptible de concurrencer l’intérêt général défini par les autorités traditionnellement habilitées à le déterminer » (Trom, 1999, p. 40).

    59 « La pollution environnementale, qu’elle affecte ou menace d’affecter directement [...] n’a pas de limites spatiales assignables a priori puisqu’elle dépend de l’extension spécifique de sa dissémination » (id., p. 33).

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    61 Excepté pour le site Unesco de Mont-Dauphin dont l’« environnement visuel » justifie l’enfouissement, les paysages plus ordinaires se satisferont des « mesures compensatoires ». Ainsi, les riverains peuvent saisir la Commission d’évaluation amiable du préjudice visuel et espérer un dédommagement financier, à la condition cependant de résider dans une bande de 200 m de part et d’autre de la ligne…

    62 L’exercice d’habilitation à diriger des recherches a aussi cet objectif d’annoncer des projets de recherche à venir.

    63 Sur la relation entre la théorie des communs et l’action paysagère, voir Sgard, 2010 ; Sgard et al., 2018.

    64 « Nous sommes le vivant qui se défend – y compris contre sa conversion en Nature » (Morizot, 2020, p. 265).

    65 Entretien dans la revue en ligne ballast.fr, 13 février 2018 : « la nature est un concept qui a fait faillite » (J.-B. Vidalou).

    66 Voir à ce sujet le film Le temps des forêts de F.-X. Drouet (2018).

    67 Article du Figaro, 22 février 2017 : « Bure, un tombeau pour l’éternité ».

    68 Il est ainsi possible de visualiser sur Internet les projets de M. Brill et S. Abidi, ou celui de P. Galison et R. Moss, qui misent sur la force symbolique et agressive d’un champ d’épines aux dimensions colossales pour signifier par le langage du paysage l’infréquentabilité des lieux.

    69 « La montée en puissance de l’incertitude dans les logiques d’action, la transition écologique et la nature en ville, les crises économiques et sociales, l’austérité des finances publiques, les interrogations sur l’urbanisme des villes moyennes et sur l’urbanisme sans croissance questionnent en profondeur la façon de pratiquer l’activité de projet » (Arab, 2018, p. 237).

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    Davodeau, Hervé. « Chapitre 3 - Conflictualité paysagère : dépasser la logique Nimby ». In L’action paysagère. Versailles: Éditions Quæ, 2021. https://books.openedition.org/quae/39985.
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