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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Le point de départ (Ruffin, 2013) Contexte et méthodologie Résultats Synthèse réflexive Une conclusion comme une résolution (Harouni & Laliberté, 2021) Bibliographie Auteur

    « Les chemins de Compostelle, itinéraire culturel européen et patrimoine mondial : histoire, enjeux et perspectives »

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Les attentes, les objectifs, le but des pèlerins de Compostelle

    Catherine Leleux

    p. 271-282

    Texte intégral Le point de départ (Ruffin, 2013) Contexte et méthodologie Méthodologie Résultats Résultats individuels Résultats collectifs Résultats collectifs professionnels Synthèse réflexive Une conclusion comme une résolution (Harouni & Laliberté, 2021) Bibliographie Auteur

    Texte intégral

    Le point de départ (Ruffin, 2013)

    1Cette communication a pour cadre les pèlerins francophones de Saint-Jacques-de-Compostelle, âgés de 30 à 71 ans, qui « font » le pèlerinage de Compostelle seuls en portant leur sac au dos. Cette enquête s’est déroulée sur une section particulière, côtière, des chemins de Compostelle : le Camino del norte. « D’où es-tu parti ? », de Bayonne, en France. Notre chemin se dirige vers Santiago de Compostelle pour se clôturer à « ce bout de la Terre », promontoire rocheux nommé Fisterra, et répond à « où vas-tu » ? Cette enquête écologique est le fruit d’un mémoire de fin de cursus en sciences psychologiques (Leleux, 2023). Cette communication est la résultante de cette enquête de terrain et d’une recherche effectuée sur la reconversion professionnelle des pèlerins y ayant participés (Leleux & Dubois, 2024).

    2Cette marche de longue distance (1 013 km) permet la réalisation d’un pèlerinage en tant qu’expérience spirituelle, humaine, transformatrice, unique. La marche est le moyen qui relie le pèlerin aux chemins. Elle « nous fait entrer dans une totale disponibilité » (Chabrillac, 2017, p. 49) vers une vie plus simple et authentique. Cette dernière permettrait de « retrouver le juste sens de notre existence » (Chabrillac, 2017, p. 52).

    3L’objet de notre étude qu’est le pèlerinage de Compostelle se définit par sa cathédrale : sanctuaire se situant dans la ville de Santiago, en Corogne, dans la région de Galice, en Espagne. Cette destination est l’objectif final de tous les pèlerins de Compostelle, grâce à une pérégrination longue de 872 km durant un temps spécifique (37 jours de récoltes de données), liés à l’expérience et aux itinéraires par étapes : la pérégrination. Nous évoquerons leurs objectifs, leurs attentes et leurs buts afin de comprendre un peu mieux leur vécu durant et après cette expérience transformatrice.

    « Chaque pèlerin a ses motivations et ses recherches propres souvent gardées dans son jardin secret, certains y vont pour demander de recevoir et d’autres pour avoir reçu, d’autres partent pour partir et espérer découvrir, d’autres encore plus chanceux, se découvrent et découvrent les autres. » (J. Fastrez, 1990).

    4Notre écrit aborde le contexte et la méthodologie de cette recherche, la présentation des résultats, individuels, collectifs, collectifs professionnels. Ce développement est suivi d’une synthèse réflexive et pour finir d’une conclusion comme une résolution (Harouni & Laliberté, 2021).

    Contexte et méthodologie

    5Ce pèlerinage de Compostelle est lié à un triple contexte : historique, spatial et expérientiel, générés par la définition, la spécificité et la compréhension de ces chemins de pérégrination. L’histoire de ce pèlerinage revêt un contexte historique riche, marqué par l’invasion musulmane et la domination chrétienne. Des milliers de pèlerins venant du monde entier, marchent chaque année sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle vers la cathédrale compostellane. Selon Rucquoi, le pèlerinage de Saint-Jacques n’engendrerait plus de croyances, de guérisons physiques mais il serait plutôt source des « guérisons de l’âme » (Rucquoi, 2020, p. 55). Les pèlerins marchent une longue distance depuis chez eux, ou d’un autre point de départ qu’ils auront choisi, tout en parcourant le chemin intérieur de leur vie. Ruffin déclare « on n’est plus rien ni personne » sur le chemin (p. 45), mais celui-ci fera pourtant son œuvre. Le randonneur, seul, pérégrine en journée, moment propice à l’introspection. Il est de passage car c’est bien de cela dont il s’agit. Le soir, avec les autres pèlerins, ils se rassemblent, discutent et partagent leurs expériences en communauté définissant ainsi ce que Saint-Pierre (2016) nomme « la communitas » à travers « des pratiques et des usages pèlerins » (Alcantara, 2018, p. 2). Harouni et Laliberté (2021) affirment que cette expérience itinérante correspond à la spiritualité pèlerine, mais elle est sans lien avec de quelconques caractéristiques sociodémographiques de ces personnes en cheminement.

    6Le contexte spatial englobe les différentes voies nommées : « caminos » ainsi que les itinéraires liés à la motivation. Ces derniers sont différents selon que la motivation soit religieuse, sportive, « intérieure », sociale, culturelle, historique. La motivation dite « intérieure », celle qui conduit à être présent à soi-même, se vit par la marche. Comme pratique pédestre, elle est le moyen nécessaire pour « faire » le pèlerinage et arriver à la cathédrale de Santiago. Que le pèlerin soit un marcheur escargot ou marathonien, cela lui permet l’oubli de soi, l’analyse de ses pensées, le raisonnement, de répondre à des questions qui lui sont existentielles, la concentration autocentrée (Le Breton, 2000). Il édifie « sa propre identité, sa conscience de soi, en interaction avec le contexte extérieur » (Taylor et al. cités par Berdoulay et Entrekin, 1998, p. 112). Cette recherche du signifié de sa propre vie, connecté au lieu (Miaux, 2012) par la perception sensorielle environnante physique et sociale, décrit un sujet en mouvement qui évolue. Cette dimension allie le temps (durée de la marche), l’espace (le chemin à parcourir) et l’expérimentation (l’expérience vécue). Ce type de motivation serait favorable au développement personnel, à la paix intérieure, et à la quête de soi. Le chemin est « une alchimie du temps sur l’âme » (Ruffin, 2013, p. 15).

    7Le contexte expérientiel est décrit par Harouni et Laliberté (2021), par trois facteurs qui sont : « le pèlerin », « le chemin », « le sanctuaire ». Ce dernier symbolise l’idéal d’un aboutissement du but personnel à atteindre. Il est la direction qu’emprunte le pèlerin lors de son cheminement. Cet ensemble est lié au concept de mouvement dans le mouvement et permet d’expérimenter des apprentissages transformateurs. Le mouvement physique généré par la marche et le mouvement intérieur engendré, ainsi que l’intégration des deux définissent « le méta-mouvement » dont parlent Coleman et Eade (cités par Laliberté, 2020). La posture pèlerine définit un être de passage, lié à son sac à dos et à sa crédenciale. Il existe un lien entre les objets emportés et leurs symboliques, ils définissent un corrélat identitaire renseignant sur leur propriétaire, leur trajectoire et la formulation du « soi » sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Alcantara (2018) affirme que c’est à ce stade que commence la transformation de la personne qui passe d’un statut nommé « touriste » à « pèlerin » et enfin à « pérégrin ». Le pèlerin vit divers « états » psychologiques durant sa pérégrination qui exposent une dissonance importante entre le début et la fin de ce cheminement intérieur, à la suite de la remise en question de sa vie.

    Méthodologie

    8De nombreuses publications sur le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle existent et les narrations pèlerines sont importantes, mais elles sont principalement centrées sur la période de crise, le repli sur soi, ainsi que sur les items géographiques et historiques. Elles sont donc moins centrées sur le but, sur la période après le pèlerinage et sur une analyse de terrain écologique. Selon Tomasin (2018), les recherches actuelles se centrent sur les lieux de pèlerinages et sur les motivations inhérentes à leur réalisation, leurs résultats sont donc limités et redondants. Miaux (2012) met en exergue l’unique et ancienne enquête de Smith (1992) sur l’étude de la typologie pèlerine en fonction des attentes liées au pèlerinage, mais dont la méthodologie avait fortement limité sa réalisation à l’époque. C’est pourquoi, au vu du manque d’études en psychologie concernant cette recherche de soi durant le pèlerinage de Compostelle, notre enquête a tenté de cerner les objectifs, les attentes et le but des femmes et des hommes qui pérégrinent seuls, à pied, sac au dos, vers Compostelle.

    9Notre étude exploratoire se fonde sur les bénéfices que peut apporter la réalisation de ce pèlerinage. L’objectif principal de celle-ci est de comprendre le processus d’élaboration de la quête de soi chez ces personnes, d’explorer leur vécu de marcheur solitaire sur le Camino del norte et de comprendre leurs attentes, d’explorer leur but de vie. Il s’agit d’évaluer comment le pèlerin a engendré cette transformation. La pertinence de cette approche réside dans l’analyse des conséquences du pèlerinage souvent peu considérées tels que le post-partum pèlerin, la réintégration du foyer, les réactions des proches, l’attitude du pèlerin face aux réactions de ses proches, l’application des décisions prises pendant le cheminement et les conséquences à plus long terme.

    10Afin de récolter des données probantes, le protocole de recherche de notre méthodologie s’est construit sur l’interrogation des trois périodes du pèlerinage : l’avant, le pendant, l’après, et ce, afin de questionner l’objet de notre étude que sont les attentes et les objectifs des pèlerins adultes, qui font le pèlerinage de Compostelle seuls (Leleux, 2023). Les participants à notre enquête ont été interrogés sur l’élément déclencheur de cette pérégrination, sur leurs attentes, leurs objectifs. Leur niveau de bien-être ressenti sur le Camino et une caractérisation de leur profil de marcheur pèlerin ont été établis. Les méthodes de centration à soi que le pèlerin utilise, l’identification du but, le sens de ce cheminement et sa réalisation ont été interrogés, observés. Enfin, il est relaté les bénéfices et les applications qui en ont découlé.

    11Dans notre étude, deux postures épistémologiques ont été combinées : les paradigmes descriptifs et compréhensifs. Notre objectif est ici de fournir une image claire et précise des pèlerins, de leur vécu dans le contexte particulier du pèlerinage (Travis & Wade, 2014). Nous décrivons à la fois une réalité objective et une interprétation subjective des pèlerins et du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle dans une vision globale de notre sujet d’étude. Cette recherche écologique s’est appuyée sur un recueil de données et d’analyses mixtes. Notre recueil des données est d’une part qualitatif avec des entretiens semi-structurés et une observation participante de 45 jours sur 1 013 km, adjoints à un questionnaire anamnestique. Cet ensemble cible la description, l’exploration, l’évaluation, l’explication du mode de vie selon les perceptions et les construits sociaux (Schultz cité par Trudel et al. 2007). Il vise aussi à comprendre les phénomènes sociaux en contexte naturel (Borges Da Silva, 2001), en expliquant les expériences et les récits des participants. Et d’autre part, le recueil est quantitatif, il utilise le test psychométrique standardisé de Ryff (1995) comme outil de comparaison du pèlerin sur lui-même, avec une caractérisation et une description de ses comportements. Cela permet de limiter les biais de perception propres à la chercheuse. Notre méthode d’analyse des données se veut elle aussi mixte par la réalisation d’une analyse transversale mêlant les résultats qualitatifs et quantitatifs récoltés.

    12Notre enquête s’est déroulée en deux temps. Tout d’abord, durant le pèlerinage sur le Camino del norte, le temps (T1), où les objectifs et les attentes ont été questionnés, les données sociodémographiques récoltées et le niveau de bien-être évalué. Et ensuite 21 jours après le retour au domicile, lors de la phase de résolution, au temps deux (T2), une deuxième interview a été réalisée, durant laquelle les participants livraient le récit de leur pèlerinage via une plateforme internet.

    13Les pèlerins sont de plus en plus nombreux sur les chemins, le nombre de femmes est en augmentation depuis 2018 (Oficina Del Peregrino, 2024). Nos participants francophones étaient quinze pèlerins adultes accostés par l’observatrice sur le Camino del norte, selon leurs compatibilités avec les critères d’inclusion. C’est-à-dire que le pèlerinage devait être leur première réalisation afin d’éviter ce que Markus, 1977 (cité par Lecigne & Tolve, 2010) décrit comme des stratégies d’adaptation. En effet, des expériences personnelles analogues cumulées par une personne durant sa vie conduisent à une acclimatation. Les pèlerins devaient marcher seuls et vers la cathédrale de Compostelle. Le Breton (2000) explique que c’est la condition nécessaire afin de favoriser les mécanismes introspectifs. À l’opposé, les groupes et les discussions sont délétères à ce bénéfice. Enfin, porter seul son sac au dos est prioritaire afin de constituer avec la crédenciale « le soi pèlerin », le recours au porteur de sac n’est pas souhaitable.

    Résultats

    Résultats individuels

    14Les résultats individuels ont permis de réaliser « les profils pèlerins » de chacun de nos 15 participants, un portrait psychologique réalisé grâce à :

    • une anamnèse,

    • un recensement de toutes les informations liées au pèlerinage,

    • un recensement de toutes les informations liées au marcheur,

    • une classification des informations liées à l’état pèlerin (pendant l’expérience personnelle de terrain)

    • une classification des données liées à l’état peregrinos (après l’expérience personnelle de terrain),

    • le test psychométrique échelle du bien-être psychologique de Carol Ryff (1995) analysé de façon individuelle.

    15Les objectifs étaient en premier l’atteinte pour les 15 pèlerins de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle. Les suivants étaient individuels et variés autour d’une direction personnelle à atteindre, d’une direction professionnelle, voire des deux. Les objectifs personnels englobaient des thématiques liées à la réalisation et à l’accomplissement de soi, à l’amour de soi, à l’affirmation de soi, à l’estime de soi, au physique. Les objectifs professionnels étaient liés à des projets professionnels, à des reconversions de carrière, des changements de statuts, des changements de tâches, d’activités, une amélioration des conditions de travail. Les objectifs et les attentes ont été atteints totalement par 12/15.

    16Tout commence au moment de « la crise » déclencheuse du mouvement pèlerin. C’est-à-dire l’origine de la prise de décision qui consiste à quitter sa vie actuelle pour un mieux. Le Larousse (2024), décrit le verbe « quitter » comme l’acte de sortir d’un lieu, de clore une activité, de se séparer de quelqu’un ou de quelque chose. Dans le champ lexical de ce mot, les verbes « laisser » et « sortir » exposent bien le fait de se diriger « vers, hors de » et de prendre une direction vers autre chose. Harouni et Laliberté (2021) déclarent que l’origine de cette mise en mouvement est de « quitter » afin de trouver ce qui manque.

    17Les attentes étaient le plus souvent liées à la satisfaction ou la non-satisfaction de besoins physiques, psychiques, de modes de vies à atteindre, de souhaits centrés sur eux-mêmes ou pour un proche. Selon Le Larousse (2024), les attentes se définissent par des déterminants intérieurs aux comportements : aux mécanismes psychologiques et aux expériences subjectives, et « l’objectif » comme le but vers lequel l’action de l’individu conduit.

    18Le Larousse (2024) définit le but comme le passage à l’action de l’individu. Fartassi (2015) le caractérise comme une représentation intérieure des désirs de l’être humain le motivant dans sa vie, un idéal à atteindre. Notre étude s’est penchée à la fois sur l’identification du but recherché par la réalisation du pèlerinage ainsi que sur l’atteinte ou la non-atteinte de ce dernier, à la suite de la quête personnelle adjacente qui en découle. Dans cette étude, sept pèlerins estiment que leur but est atteint à la suite de cette réalisation et huit considèrent ne pas savoir atteint de but.

    Résultats collectifs

    19Une observation participante sur base d’une grille d’observation de facteurs liés à la marche et d’un carnet de bord a permis la caractérisation de l’échantillon des profils de marcheurs. Elle décrit six pèlerins avec un profil marathonien et neuf pèlerins avec un profil escargot. Des observations complémentaires sur la posture, le regard, le poids du sac, le matériel de navigation et les applications pèlerines ont été réalisées.

    20Les entretiens semi-directifs, pendant et après le pèlerinage, ont permis une catégorisation des thèmes les plus fréquemment mis en avant par les quinze pèlerins. Le codage itératif expose l’introspection, le cheminement, l’apprentissage, le compagnonnage, la satisfaction, la pause et l’autonomie. Les motivations étaient centrées vers le sujet lui-même pour 14/15. Treize d’entre eux ont pu lâcher prise dans une marche de contemplation et de longue distance. Quatorze sont satisfaits de leur réalisation, douze d’entre eux estiment qu’effectuer une marche de longue distance est bénéfique. Le post-partum pèlerin est présent pour quatorze pèlerins au retour au domicile.

    21L’échelle du bien-être psychologique (BEP) a permis, de façon collective, de réaliser une synthèse des scores issus des tests standardisés. La dimension « développement personnel » recueille la note la plus haute chez tous les répondants. Tous les pèlerins ont ressenti un bien-être psychologique élevé sur le Camino, douze sujets l’ont encore perçu à leur retour chez eux.

    Résultats collectifs professionnels

    22Cette étude a mis en évidence que sept pèlerins présents sur le Camino del norte terminaient un cycle professionnel de façon volontaire ou de façon subie. Ils avaient tous un nouveau projet professionnel lors de leur pérégrination ; cinq ont abouti à une reconversion professionnelle (aide-soignante, dessinateur pour enfants…). Six vivaient cette période de réflexion professionnelle comme une période de transition. Ils défendaient l’autonomie personnelle et professionnelle à la suite de ce dépassement de soi.

    Synthèse réflexive

    23Des résultats, il ressort que l’objectif des pèlerins est d’abord commun dans un contexte de communauté et qu’ensuite les objectifs sont personnels. Cet objectif commun était de parvenir à la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle, ce dont Alcantara (2018) souligne l’importance. Laure (2022) révèle que la pose d’un objectif est un engagement avec la contrainte d’une obligation de résultats. Nous pouvons prétendre que ce groupe « communitas » exerce une valeur attractive sur l’ensemble des pèlerins, créant des forces d’attractions qui vont motiver et cristalliser ses membres autour de leur cible (Combalbert & Linardos, 2018). Les forces de ce groupe sont la direction commune, la fierté d’appartenance, le soutien, l’entraide, le compagnonnage, les encouragements, la motivation et la dynamique intra-groupe positive. L’ensemble de ces facteurs vient conforter les résultats de notre étude sur cette destination commune. Réussir à atteindre un objectif peut être subjectif et varie en fonction des attentes et de la mesure de chacun. Les mesurer de façon quantitative pourrait être difficile en soi car certains pourraient estimer avoir atteint leurs objectifs par le fait de la réalisation du pèlerinage, et ce quelle que soit l’expérience vécue. En ce qui concerne les objectifs personnels, la réussite personnelle a été renseignée par le pèlerin lui-même. Le facteur de réussite est subjectif puisque certains pèlerins choisiront de se centrer sur leur état émotionnel, leur satisfaction, sur d’éventuels changements positifs ou l’absence de ces changements après le pèlerinage. En soi, la réussite d’un objectif va dépendre de sa nature, des efforts déployés pour l’atteindre, des circonstances rencontrées et de sa définition par le sujet. Quatorze pèlerins ont déclaré ressentir la présence d’une motivation : celle-ci était de nature intrinsèque et peut être considérée comme un agent facilitateur de succès. Pour Louche et al. (2006), ce type de motivation intrinsèque à l’accomplissement intervient lorsqu’une activité apporte satisfaction et plaisir, ce qu’exposent nos résultats. Il n’existe actuellement pas de données spécifiques sur le pourcentage de personnes qui réussissent à atteindre leurs objectifs personnels en répondant à leurs attentes à la suite de cette réalisation. Étudier cette question serait efficiente afin de créer une taxonomie des objectifs pèlerins, de les évaluer qualitativement et quantitativement, diminuant de cette façon le facteur de la subjectivité. Aucun pèlerin n’a mentionné d’objectifs liés à la sécurité tels que d’éviter de se perdre, de s’égarer, de problématiques liées à la recherche des signes qui balisent le chemin (flèches jaunes…), besoins liés à la sécurité, pourtant important chez les êtres humains.

    24Afin de satisfaire à leurs attentes, la totalité des pèlerins estime avoir eu recours à une méthode d’introspection, à un cheminement et à l’apprentissage d’expériences humaines. La majorité des pèlerins associe ce temps de pèlerinage à un travail intérieur, un temps de pause propice à la réflexion dans un état de bien-être, de lâcher-prise. Ils estiment avoir atteint la contemplation. Saint-Pierre (2016) compare le Camino à une route favorable à l’introspection et à l’approfondissement de soi. Ce contexte de cheminement intérieur peut être porteur de transformations, et permet de se remettre en question, d’analyser ses contradictions. Larousse (2024) définit l’introspection comme l’acte d’observer de façon méthodique son état de conscience, son intériorité, soi-même. Miaux (2012) expose cet itinéraire comme générateur de paix intérieure, facilitateur de quête de soi et de développement personnel. Harouni et Laliberté plébiscitent ce pèlerinage comme source d’apprentissages transformateurs permettant un travail du passé dans le présent, en direction d’un futur à atteindre. Miaux (2012) souligne la nécessité de la présence à soi, de la solitude, états favorables à ces processus. Ils sont obtenus par l’intermédiaire du lâcher-prise et de la contemplation. Cette dernière amène à un état de conscience modifiée de type méditation. Le lâcher-prise réside dans la décision de lâcher ce qui nous empêche d’aller bien, favorisant ainsi le contact à nous-même et aux choix à faire.

    25En ce qui concerne un idéal à atteindre, sept pèlerins avaient un but et les huit autres ont exprimé ne pas en avoir. Car ce pèlerinage ne serait que le début de leur quête personnelle et de leur travail de développement personnel. Ils estiment que travailler sur soi-même doit être quotidien. N’est-ce pas un but en soi ? Il s’avère en fait être un but interne centré sur l’individu lui-même, il est un idéal à atteindre par la conduite d’actions individuelles. Fartassi (2015) le présente comme une représentation intérieure des désirs de l’être humain et de ce qui le motive dans sa vie. Les résultats étant mitigés, une recherche approfondissant la nature du but et son évaluation à court, moyen, et long terme permettrait un éclaircissement de ces résultats.

    26Les scores de l’échelle du bien-être psychologique (BEP) de Ryff indiquent que quatorze répondants ont obtenu des scores supérieurs à la moyenne de l’échelle de Likert. Dans une étude, Tapia-V et al. (2012) présentent une relation entre le bien-être personnel et ce qui se rapporte à la spiritualité. Les êtres humains ont besoin de donner du sens à leur vie. Le bien-être exposé par les pèlerins ne serait que le reflet du sens de celui qu’ils ont trouvé ou vont trouver. Harouni et Laliberté (2021) exposent que cheminer conduit le pèlerin vers un espace de bien-être source de spiritualité pèlerine.

    27Au terme de notre étude, quatorze pèlerins sont remplis de satisfaction et ont apporté des modifications à leur vie. Treize estiment en avoir retiré des bénéfices. Pour Harouni et Laliberté (2021), la réintégration du cadre de vie permet la prise de conscience du défi réalisé. La plupart des changements sont soit d’ordre personnel, par un mode de vie minimaliste et simple, une priorisation d’eux-mêmes. Ces changements peuvent être aussi professionnels, avec le démarrage d’une reconversion professionnelle, afin d’améliorer leurs conditions de travail, changer le contenu de celui-ci et lui donner du sens : un plus juste équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Selon Kourilski (2022), tous les individus sont à même de s’autodévelopper : les bases fondatrices de ce changement sont justement d’activer cette capacité. Ce phénomène se produit dans un lieu de questionnement enrichi par une pratique spirituelle. Csikszentmihalyi (2023) pense que cela survient à la suite d’un effort physique et psychologique intense, lorsque le pèlerin est présent à sa conscience. Il relate que cette expérience intérieure peut aider l’être humain à gérer sa qualité de vie et être heureux. Dans ce contexte, l’objectivation de ce changement apporterait plus de précision et diminuerait la subjectivité.

    Une conclusion comme une résolution (Harouni & Laliberté, 2021)

    28Cette pérégrination de 1 013 km, dans le cadre du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, durant un temps spécifique de 45 jours, liée aux expériences et aux itinéraires par étapes, définit un paradigme lié à la quête de soi grâce à la relecture de sa propre vie et l’attention portée à celle-ci. Être un pèlerin c’est adopter une posture et des habitudes pèlerines, quitter son soi quotidien pour revêtir un soi pèlerin.

    29Notre étude a démontré qu’un cheminement par le moyen qu’est la marche de longue distance, dans un contexte de solitude, de contemplation, et de lâcher-prise, engendre un travail de l’intériorité et que des apprentissages transformateurs s’ensuivent. Dans ce contexte de réalisation individuelle, la satisfaction des attentes et la réalisation des objectifs personnels, professionnels peuvent être influencées par la motivation intrinsèque à l’accomplissement. Lors de ce cheminement et durant cette longue période d’introspection les pèlerins ont identifié un but : le travail récurrent sur soi. Le but, n’est pas le chemin mais le cheminement (Schmitt, 2009). Tous les pèlerins ont retiré un bénéfice à la réalisation de leur pèlerinage et mis en place des changements personnels et/ou professionnels selon les objectifs et les attentes qu’ils s’étaient fixés.

    30Les limites liées à cette recherche sont les habitudes pèlerines et l’organisation des journées qui ne rendent pas tous les moments idéaux. Cet agencement n’est pas facile pour la complétion des outils psychométriques et des interviews qui en moyenne duraient une heure trente. L’observatrice pouvait être elle-même source de subjectivité. Afin de réduire ce biais, plusieurs outils de récolte de données ont été proposés et une rigueur méthodique a permis l’assurabilité des observations : clé de la qualité de cette recherche longitudinale. Saint-Pierre (2016) relate que la longueur de l’expérience favorise l’apparition de réseaux de relations pendant la marche. Les limites de la marche de longue distance sont également corporelles pour les sujets et l’observatrice. Il n’y a eu aucun abandon durant l’étude, malgré les blessures.

    31Concernant les perspectives, les données du Bureau des pèlerins à Compostelle mentionnent que le nombre de femmes est en constante augmentation sur le Camino de Santiago et ce, depuis 2018. Au vu de l’histoire et du peu d’études sur les femmes et le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, il serait intéressant de pouvoir investiguer la place de celles-ci, de leurs emplois et de leurs conditions de travail. Les pélerines, qui cheminent, sont-elles là : dans un cadre personnel, professionnel, voire les deux ? Quels types de modifications apporteront-elles à leur vie après avoir effectué une marche de longue distance sur les chemins de Santiago ? Seule avec leur sac au dos ? Cette expérience vers un nouveau « soi » durera-t-elle ? (Ruffin, 2013).

    Bibliographie

    Alcantara, C. (2018). Représentation des chemins de Saint-Jacques par les marcheurs- pèlerins : L’expression d’une mythologie ? Communication & langages, 195(1), 27-42. https://doi.org/10.3917/comla1.195.0027.

    Berdoulay, V., & Entrekin, J.N. (1998). Lieu et sujet : Perspectives théoriques. Espace géographique, 27(2), 111-121. https://doi.org/10.3406/spgeo.1998.1139.

    Chabrillac, O. (2017). Marcher pour se retrouver. Désencombrer son existence, méditer, contempler, s’apaiser, se relier aux autres et partager. Leduc éditions. Paris.

    Combalbert, L., Linardos, D. (2018). Guide de survie du management. Réussir dans la jungle de l’entreprise. Dunod.

    Csikszentmihalyi, M. (2023). Vivre- La psychologie du Bonheur. Groupe Robert Laffont.

    Fartassi, A. (2015). Les 6 Grandes Raisons D’Avoir un But dans la Vie. Penser Changer. https://www.penserchanger.com/6-raisons-de-vous-fixer-un-but/.

    Harouni, B. et Laliberté, E. (2021). Marcher, Parler, Écouter. L’exercice pèlerin. (Novalis).

    Kourilsky, F. (2022). Du désir au plaisir de changer – 5-éd : Coaching et management du changement. Dunod.

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    Auteur

    • Catherine Leleux

      Université de Mons (UMONS), Belgique ‒ Psychologue ‒ Psychologue du Travail, des Organisations, des Diversités ‒ Assistante de recherche

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    Leleux, C. (2024). Les attentes, les objectifs, le but des pèlerins de Compostelle. In C. Alcantara & A. Rucquoi (éds.), « Les chemins de Compostelle, itinéraire culturel européen et patrimoine mondial : histoire, enjeux et perspectives » (1‑). Presses de l’Université Toulouse Capitole. https://doi.org/10.4000/13p3c
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    Leleux, Catherine. « Les attentes, les objectifs, le but des pèlerins de Compostelle ». « Les chemins de Compostelle, itinéraire culturel européen et patrimoine mondial : histoire, enjeux et perspectives », édité par Christophe Alcantara et Adeline Rucquoi, Presses de l’Université Toulouse Capitole, 2024, https://doi.org/10.4000/13p3c.

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    Alcantara, Christophe, et Adeline Rucquoi, éditeurs. « Les chemins de Compostelle, itinéraire culturel européen et patrimoine mondial : histoire, enjeux et perspectives ». Presses de l’Université Toulouse Capitole, 2024, https://doi.org/10.4000/13p3h.
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