La gouvernance des itinéraires culturels transnationaux et le rôle des organisations de gestion : une analyse comparative entre le Chemin de Saint-Jacques et la Via Francigena
p. 105-121
Texte intégral
Introduction
1Le programme des Itinéraires Culturels (IC) a été créé en 1987 par le Conseil de l’Europe (CdE) avec l’idée fondamentale que, grâce à un voyage dans l’espace et le temps, les citoyens européens pourraient prendre conscience de leur patrimoine culturel partagé et de leurs valeurs communes, contribuant ainsi à l’échange interculturel et à la compréhension mutuelle. En particulier, le Chemin de Saint-Jacques a été choisi comme premier itinéraire culturel européen, qui servirait d’exemple emblématique pour les futurs projets de coopération, mettant en avant les valeurs de tolérance, de respect, de solidarité et de liberté de mouvement pour transcender les frontières nationales et favoriser la cohésion entre les États européens (Conseil de l’Europe, 1987).
2Le nombre d’IC n’a cessé d’augmenter depuis lors, pour atteindre 47 parcours en 20231. Selon les résolutions établissant le programme, les activités de ces parcours doivent répondre à cinq domaines d’action prioritaires : 1) la coopération en matière de recherche et de développement ; 2) la valorisation de la mémoire, de l’histoire et du patrimoine européens ; 3) les échanges culturels et éducatifs pour les jeunes Européens ; 4) les pratiques culturelles et artistiques contemporaines ; 5) le tourisme culturel et le développement culturel durable (Conseil de l’Europe, 2023).
3Les IC sont des instruments stratégiques pour traduire en actions locales concrètes les objectifs du CdE et de l’Union européenne (UE), liés à la conservation du patrimoine culturel, à la cohésion sociale et au développement économique (Camatti et al., 2022), constituant de véritables outils transnationaux de promotion culturelle (Battilani et al., 2018). Cependant, le bon fonctionnement de ces itinéraires nécessite une coordination entre une multiplicité d’acteurs à différentes échelles, ce qui constitue l’un de leurs principaux défis, nécessitant de surmonter la fragmentation existant entre les différents territoires impliqués. En ce sens, les organisations de gestion de l’IC peuvent jouer un rôle fondamental, en coordonnant les différents intérêts autour d’une vision commune du développement. Ces organisations, appelées « Réseaux porteurs » par le CdE, animent les réseaux transnationaux qui doivent être mis en place pour la certification de l’IC et sont le point de contact de l’Institut européen des itinéraires culturels.
4À travers le prisme des études territoriales, avec un accent particulier sur la perspective touristique, cette étude répond aux questions de recherche suivantes : 1) Quels sont certains des modèles de gouvernance adoptés par les réseaux d’IC ? 2) Comment ces modèles de gouvernance influencent-ils leur capacité à influencer les politiques publiques à différentes échelles ? 3) Comment pouvons-nous donner aux organisations de gestion de l’IC les moyens de jouer le rôle crucial de coordonner les actions et de surmonter la fragmentation actuelle dans les régions et les pays concernés ?
5À cette fin, nous proposons un bref examen du concept de gouvernance territoriale. Il est utile pour évaluer les processus de collaboration à plusieurs échelles (Moodie et al., 2021) des réseaux constitués par deux itinéraires emblématiques : la Fédération Européenne des Chemins de Saint-Jacques, créée en 2011 pour coordonner les efforts des différents pays qui ont des chemins menant à Saint-Jacques-de-Compostelle, et l’Association Européenne des Chemins de la Via Francigena (créée en 2001) et deuxième itinéraire de pèlerinage certifié par le CdE après Saint-Jacques-de-Compostelle. Ces deux itinéraires de pèlerinage médiévaux menant aux tombeaux de saint Jacques (Saint-Jacques-de-Compostelle) et de saint Pierre (Rome) traversent plusieurs pays et régions d’Europe. Ils attirent différents niveaux d’attention de la part des décideurs politiques et des parties prenantes dans leur dimension socio-économique, comme les infrastructures touristiques lentes et les paysages patrimoniaux.
6Dans un premier temps, nous ferons une brève revue de la littérature sur la gouvernance territoriale appliquée au cas des IC. Nous présenterons ensuite la méthodologie adoptée, les deux cas de recherche choisis et les résultats de l’analyse comparative. Enfin, nous discuterons des deux modèles et de leur potentiel d’influence sur les politiques publiques, afin d’obtenir un poids politique plus important pour les IC.
Gouvernance territoriale et des itinéraires culturels : proposition d’une grille d’analyse
7La nature multi-échelles des IC du CdE signifie qu’ils peuvent être considérés comme des systèmes territoriaux complexes (Berti, 2013). Ils sont constitués d’une myriade de relations entre un large éventail de parties prenantes, dont le succès réside dans la réalisation d’une collaboration aux niveaux local, régional, national et supranational (Timothy et Olsen, 2018). Par conséquent, la bonne gouvernance et la gestion des IC se heurtent à la nécessité de coordonner les acteurs, les objectifs, les stratégies et les produits au niveau local. Dans le même temps, ces systèmes locaux doivent chercher à tirer parti des possibilités offertes par les marchés mondialisés pour doter les réseaux d’acteurs d’une dimension multi-échelle et translocale (Ray, 1997). En ce sens, le concept de gouvernance territoriale (GT) peut être utilisé comme un outil de développement approprié pour faire dialoguer les multiples acteurs et échelles impliqués dans l’IC.
8Dans sa définition, le GT prend en compte le réseau complexe d’acteurs sur le territoire, la grande variété de ressources endogènes et la génération de compétitivité basée sur le capital territorial (Bosworth et al., 2020 ; Camagni et Capello, 2013). Entreprendre des actions dans le cadre du paradigme des GT nécessite de développer des processus de coopération à la fois verticaux et horizontaux (Leloup et al., 2005). Cette coopération implique la coordination de différentes politiques sectorielles à différentes échelles (Esparcia et Abbasi, 2020), ce qui met à l’épreuve la capacité des modèles de gouvernance à interagir avec d’autres institutions, à intégrer des initiatives et à mettre en commun des sources de financement (Moodie et al., 2021). Ce cadre de référence positionne les politiques dans une approche holistique, plaçant le territoire comme l’élément intégrateur de toutes les initiatives, dépassant ainsi la vision strictement sectorielle (Méndez, 2002 ; Parlament européen, 2015). La promotion des processus collaboratifs favorise la création de réseaux, ce qui permet également de renforcer la capacité des acteurs locaux à bénéficier des avantages comparatifs de la proximité géographique et relationnelle dans la conception de nouveaux produits et services (Camagni et Capello, 2013 ; Yubero et Chevalier, 2018).
9Pour développer ces préceptes théoriques, il faut une entité néolibérale mixte qui aille au-delà des approches institutionnelles typiques de l’intervention publique et qui mette en œuvre l’évolution du concept de GT lui-même. Cette entité, sous ses différentes formes juridiques, doit être capable de mobiliser les acteurs publics et privés, de négocier les chevauchements de compétences (Davoudi et al., 2008) et le manque de coordination entre les pays (Noferini et al., 2019). L’application correcte du concept de GT exige transparence, subsidiarité et décentralisation, dans le cadre d’une stratégie territoriale supra-municipale qui maintient une certaine cohérence spatiale dans la thématisation des ressources (Davoudi et al., 2008). En ce sens, les organismes de gestion de l’IC peuvent remplir ce rôle, en agissant comme des orchestrateurs des différents acteurs impliqués à différentes échelles.
10Bien qu’elles aient adopté des modèles organisationnels différents, tous les IC sont articulés en réseaux d’acteurs, avec leur propre personnalité juridique, qui peut être constituée en association ou en fédération d’associations dans l’un des États membres du CdE, avec une orientation non lucrative et un faible niveau de financement. Ces caractéristiques limitent leur capacité à avoir un impact sur le développement des territoires traversés (Conseil de l’Europe, 2011). Le principal défi auquel ces organisations sont confrontées (en particulier dans le cas des itinéraires physiques tels que les chemins de pèlerinage) est que la gestion du territoire relève de la responsabilité des administrations publiques (locales, régionales, nationales), ce qui entraîne d’une part une fragmentation entre les différents territoires traversés, et d’autre part ajoute un niveau de complexité supplémentaire à la coordination des différents organismes ayant des compétences différentes (Mariotti, 2023). Cependant, ces organisations peuvent offrir une opportunité précieuse de coordination, stimulant le développement local et la coopération transnationale autour d’une vision commune du projet avec la dimension de l’itinéraire (Moscarelli, 2023).
La méthodologie
11Afin de comprendre l’influence des Réseaux Porteurs (RP) d’IC sur les processus de développement territorial, nous avons réalisé une analyse comparative des modèles de gouvernance de deux de ces organisations : la Fédération Européenne des Chemins de Saint-Jacques (ci-après EFSJW) et l’Association Européenne des Chemins de la Via Francigena (EAVF), en examinant des aspects tels que la typologie des membres de ces réseaux, le degré de centralisation, l’organisation interne et la coopération avec des acteurs externes (publics, privés, société civile).
12Pour ce faire, nous avons utilisé des méthodes qualitatives, notamment cinq entretiens semi-structurés avec des représentants des organisations qui gèrent les deux réseaux européens (tableau 1). Les entretiens ont été menés par le premier auteur ; ils ont été enregistrés, en obtenant le consensus préalable des participants, transcrits et analysés thématiquement par tous les auteurs, conformément aux objectifs de la recherche et à la littérature sur la gouvernance territoriale appliquée aux IC.
13Ces sources d’information primaires ont été complétées par l’analyse de sources secondaires, telles que les statuts, les règlements internes et les plans d’action des organisations, le site web officiel et la documentation relative à la certification en tant qu’IC européen.
Tableau 1 : Liste des acteurs interrogés
Code personne interrogée | Position/fonction | Modalité | Date |
E1 | Secrétariat technique de l’EFSJW | Appel vidéo | 16/02/2024 |
E2 | Direction EAVF | Appel vidéo | 28/02/2024 |
E3 | Présidence du EFSJW | En personne | 6/03/2024 |
E4 | Association suisse Via Francigena (EAVF) | Appel vidéo | 11/03/2024 |
E5 | Présidence du EFSJW | En personne | 12/03/2024 |
Terrains d’enquêtes
14Comme nous l’avons déjà indiqué, nous nous concentrons sur deux IC européens : le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, qui peut être considéré comme une véritable référence sur la scène internationale (Lopez et Lois González, 2023) et la Via Francigena, qui suit ses traces (Figure 35). À l’âge d’or des pèlerinages médiévaux, ces chemins faisaient partie d’un système plus large, les « Peregrinationes maiores » (Pèlerinages majeurs), qui reliaient les principales destinations chrétiennes de Rome, Saint-Jacques-de-Compostelle et Jérusalem et contribuaient à former un sentiment d’appartenance à une même civilisation (Caucci von Saucken, 2014 ; Lois González, 2013).
Figure 35- Réseau des chemins de Saint-Jacques et de la Via Francigena.
Source : élaboration propre à partir de données de l’Institut géographique national (IGN) et de l’EAVF.

15Le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle est le chemin de pèlerinage médiéval le plus important au monde ces dernières années. Ses origines remontent au IXe siècle, après la découverte des restes du corps de l’apôtre Saint- Jacques (Gusman et al., 2017). Il a été nommé premier itinéraire culturel européen par le CdE en 1987 pour sa valeur symbolique dans le processus de réunification de l’Europe (Conseil de l’Europe, 1987). À la suite de cette première reconnaissance internationale, le centre urbain historique de Saint- Jacques-de-Compostelle et certains des autres itinéraires ont été inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, notamment le Chemin français en 1993 et les Chemins du Nord en 2015. Le tournant a été l’année du jubilée de 1993, lorsque la conjonction de diverses circonstances et le lien commun d’investissements publics importants (Lois González et Somoza Medina, 2003) ont fait du Chemin et de Saint-Jacques-de-Compostelle un projet couronné de succès et un phénomène touristique original (Tilson, 200).
16La Via Francigena a été la deuxième route de pèlerinage certifiée par le CdE en 1994. Elle s’étend sur 1 800 km de Canterbury (Royaume-Uni) à Rome, en suivant l’itinéraire emprunté par l’archevêque Sigerico en 990 après J.-C. pour rencontrer le pape Jean XV et recevoir l’investiture du pallium. En 2019, son extension jusqu’à Santa Maria di Leuca (finis terrae de la Terre Sainte) a été approuvée et le chemin de pèlerinage s’étend désormais sur plus de 3 200 km2. En 2015, les pays impliqués dans l’itinéraire ont lancé le processus de nomination pour rejoindre la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, avec 540 sites éligibles situés le long des 2 000 km entre Canterbury et Rome.
17Les deux IC possèdent des ressources naturelles et culturelles précieuses qui peuvent être utilisées pour des activités récréatives (ressources touristiques). Compte tenu de ces aspects, la pluripotentialité touristique qui a été une force pour le Camino peut être renforcée sur la Via Francigena (Gusman et al., 2017), un produit culturel et touristique prometteur et diversifié, qui connaît un moment de grand dynamisme et de reconnaissance internationale (Trono, 2023).
Résultats et discussion
18Dans ce qui suit, nous présentons les résultats des entretiens et l’analyse des sources secondaires provenant des deux organisations. Afin de systématiser les informations issues de ce travail de terrain et de répondre à nos questions de recherche, nous analysons et discutons les contributions des personnes interrogées en établissant deux catégories principales d’interprétation : 1) les modèles de gouvernance et 2) les modèles d’organisation. Pour ce deuxième point, nous considérons qu’il est pertinent de souligner les questions liées aux types d’adhésion, à la décentralisation par pays et à la durabilité économique.
Modèles de gouvernance
19Comme le montre le tableau 2, en ce qui concerne la première question de recherche sur les modèles de gouvernance, les deux pays présentent des similitudes. Répondant aux exigences du programme IC du CdE, ils ont formé des réseaux de coopération transnationaux, organisés comme des entités à but non lucratif, avec une structure interne similaire, composée d’un président et d’un vice-président, d’une assemblée générale, d’un comité scientifique et d’un secrétariat technique.
20Quant à leurs membres, les deux associations sont nées en tant que réseaux d’acteurs publics (locaux, régionaux, nationaux), qui ont le pouvoir d’influencer le développement, la valorisation et la promotion de ces chemins. Cet objectif est clairement énoncé dans le préambule des statuts des deux associations :
« [...] il est nécessaire que les communautés traversées par le sentier et leurs élus créent une structure formelle de collaboration pour favoriser des échanges permanents entre elles et se coordonner autour d’un support politique et institutionnel commun » (EFSJW, 2023, p. 1).
« Les collectivités territoriales doivent être en mesure de fournir une base commune aux différents niveaux de gouvernement local, offrant ainsi la possibilité de collaborer, par l’échange d’idées et d’expériences, entre les représentants locaux et régionaux » (EAVF, 2022, p. 1).
21Bien que le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle ait été le premier itinéraire certifié par le CdE et qu’il constitue une référence pour d’autres IC, son modèle de gestion réussie se réfère principalement à la région de Galice, pionnier dans la revitalisation des routes (Lois González et Somoza Medina, 2003). L’EFSJW a été créé en 2011 pour être l’interlocuteur responsable devant le CdE pour le réseau des chemins européens.
22Quant à l’EAVF, il a été créé en 2001 et peut se targuer d’une coopération transnationale depuis 2005, date à laquelle les premiers partenaires non italiens (Canterbury) ont rejoint le projet.
23La constitution plus ancienne de l’EAVF est visible dans son modèle plus structuré, avec un nombre élevé de membres, un personnel permanent exclusivement dédié à l’association, et un certain nombre de procédures permanentes que l’EFSJW n’envisage que depuis peu de mettre en œuvre, comme le plan stratégique triennal avec des priorités et des stratégies d’action. L’EAVF dispose également d’une plus grande diversification de ses ressources financières, ajoutant aux cotisations des membres et aux projets européens, les activités de conseil et de formation qu’elle gère à travers son bras opérationnel, Francigena Service S.r.l.
24Les initiatives de coopération entre les membres des associations se sont multipliées au fil des ans. 2021 est une année clé pour l’EAVF avec l’événement « Road to Rome » qui a impliqué tous ses membres pour la première fois et a permis de rendre visible la dimension transnationale de l’itinéraire (Timothy et Olsen, 2018). Dans le cas de l’EFSJW, on s’attend à ce que les nouveaux membres contribuent à la croissance et à la dynamisation du réseau pour devenir de véritables gestionnaires de projets européens. En effet, l’EFSJW et l’EAVF ont signé en 2023 un accord de collaboration, formalisant ainsi l’engagement d’accroître la coopération entre les deux principaux itinéraires de pèlerinage du programme CI.
Tableau 2 : Principales caractéristiques des modèles de gouvernance des associations.
Élaboration propre sur la base d’entretiens et de sources d’information secondaires.
Fédération Européenne des Chemins de Saint-Jacques - EFSJW | Association Européenne des Chemins de la Via Francigena – EAVF | |
Type d’organisation (pays d’enregistrement) | Association à but non lucratif fondée le 1er avril 2011. Siège au Puy-en-Velay (France) | Association à but non lucratif fondée le 7 avril 2001. Siège à Fidenza (Italie) 2 sites opérationnels : Piacenza (Italie) et Champlitte (France) |
Origines | Établissement issu du projet européen Interreg Sudoe Loci Iacobi 1 en 2011. Membres fondateurs : Communauté d’agglomération du Puy-en-Velay (France), Conselleria de Cultura e Turismo de la Xunta de Galicia (Espagne), Comissão de Coordenação e Desenvolvimento Regional do Norte (Portugal) | Constitution de l’Association des municipalités italiennes le long de la Francigena, initiée par le maire de Fidenza (Massimo Tedeschi) et 33 autres administrateurs locaux en 2001. En 2005, elle est devenue une association européenne avec l’entrée de Canterbury comme membre. |
Type, nombre de membres et pays concernés |
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Organes |
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Principales caractéristiques du modèle de gouvernance |
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Ressources financières du réseau |
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Degré de coopération entre les membres du réseau (interne) |
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Relations avec les acteurs externes (secteur public, secteur privé, société civile), y compris les autres IC certifiées |
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Influencer les politiques publiques et les possibilités d’amélioration
25Dans cette section, nous abordons les deux questions de recherche suivantes, liées à l’influence de ces modèles de gouvernance sur les politiques publiques et à la possibilité de donner plus de poids politique aux RP d’IC. Certaines questions clés qui ressortent de l’analyse concernent le type de membres, le degré de centralisation et la viabilité économique de ces réseaux transnationaux.
Type de membres
26Les représentants interrogés de l’EFSJW et de l’EAVF conviennent que, étant donné qu’ils sont structurés comme des associations à but non lucratif, leur capacité effective à influencer les politiques publiques est limitée, car les décideurs sont les administrations publiques. Bien qu’il s’agisse d’une limitation, tous deux conviennent que leur rôle principal est de relier, par le biais d’un réseau transnational, les institutions impliquées dans la gestion des routes. Elles peuvent ainsi fixer des priorités communes au niveau européen et conseiller les acteurs publics afin qu’ils travaillent dans la même direction, assurant ainsi une certaine homogénéité.
27Il ressort de ce qui précède qu’il est important que ces réseaux transnationaux qui forment les IC comptent des acteurs publics parmi leurs membres. En ce sens, l’EFSJW et l’EAVF ont été structurés dès le départ comme des réseaux d’institutions, bien qu’ils admettent la participation d’acteurs privés, tels que des entités mixtes et des associations. Ce choix des membres est particulièrement important pour favoriser leur influence sur les politiques publiques (Mariotti, 2023), car ce sont les membres eux-mêmes qui mettent en œuvre les priorités fixées par l’organisation de gestion.
Décentralisation par pays
28Avec l’augmentation du nombre de membres des deux réseaux, leurs modèles évoluent nécessairement. L’un des aspects consiste à équilibrer le degré de centralisation dans la prise de décision et l’autonomie qu’ils accordent à leurs membres. Cette autonomie est nécessaire car chaque pays a sa propre législation basée sur des divisions administratives, ce qui rend difficile leur coordination au niveau central, d’où la nécessité de décentraliser certaines activités de coordination et de développement vers les membres de chaque pays.
29Dans le cas de la EFSJW, elle a récemment modifié ses statuts afin d’admettre de nouveaux membres et d’ajouter des membres dans les pays traversés par la route qui ne font pas encore partie de la Fédération, par exemple l’Allemagne ou les pays scandinaves. Toutefois, une limite de six membres par pays a été fixée, de préférence des membres plus importants rejoignant des membres plus petits, afin de faciliter le dialogue et la coordination, et de veiller à ce qu’aucun pays ne soit surreprésenté et ne puisse monopoliser la prise de décision lors des assemblées.
30Dans le cas de l’EAVF, il n’y a pas de limite au nombre de membres par pays et tous les types d’autorités publiques sont acceptés en tant que membres. À l’heure actuelle, le réseau compte 241 membres (essentiellement des municipalités), mais ce nombre pourrait augmenter si l’on tient compte des plus de 700 municipalités situées le long de l’ensemble de l’itinéraire. Le grand nombre de membres peut rendre complexe la gestion d’un réseau aussi étendu, puisque l’Italie compte déjà 182 membres. C’est pourquoi son modèle évolue vers une plus grande décentralisation par pays, avec l’Association suisse de la Via Francigena qui coordonnera ses propres membres à partir de 2022 et un organisme similaire en France (Comité des itinéraires) actuellement en cours de formation.
31La stratégie de l’EFSJW, qui consiste à avoir des partenaires moins nombreux mais plus importants, et celle de l’EAVF, qui consiste à avoir des organismes intermédiaires par pays, vont dans le sens d’une réduction de la complexité de la gestion et d’une coordination entre les différents membres, dans le cadre d’une stratégie territoriale commune supra-locale (Davoudi et al., 2008).
32L’initiative de la présidence tournante tous les quatre ans de l’EFSJW vise à influencer positivement l’engagement des membres de l’association, en dynamisant le réseau et en favorisant sa croissance.
33L’objectif de ce modèle de gouvernance en construction est de devenir des gestionnaires de projets européens, un domaine dans lequel EAVF travaille depuis 2012.
34Le "statut des organisations et associations transfrontalières européennes sans but lucratif", actuellement débattu au Parlement européen3, offre la possibilité d’évoluer vers une gouvernance transnationale. Si elle est approuvée, cette loi facilitera la coordination entre les pays de l’UE, mais pas entre tous les pays membres du CdE. En tout état de cause, l’EFSJW l’a déjà intégré dans la récente modification de ses statuts, soulignant que ceux-ci seraient modifiés si cette nouvelle figure des organisations européennes devait être approuvée.
Viabilité économique
35La viabilité financière est souvent l’un des points faibles RP d’IC (Conseil de l’Europe, 2011). Ils reposent souvent sur la coopération volontaire de leurs membres. Si le rôle des bénévoles est fondamental, il est nécessaire de disposer de ressources humaines dédiées à la coordination et à l’animation du réseau. L’EAVF dispose actuellement d’une plus grande variété de sources de financement que l’EFSJW. Elle dispose d’un personnel exclusivement dédié à la gestion du réseau et, depuis 2017, a créé Francigena Service S.r.l. en tant que bras opérationnel pour gérer les activités de conseil et de formation, ce qui lui permet de générer des sources de revenus et de compléter les cotisations des membres.
36D’autre part, les IC européens s’inscrivent bien dans les priorités fixées par un grand nombre de programmes de l’UE, puisque leurs cinq domaines d’action prioritaires contribuent à la recherche et à l’innovation (Horizon Europe), à la formation et aux échanges de jeunes (Erasmus), aux industries culturelles et créatives (Europe Créative), au développement rural (LEADER) et à la coopération transfrontalière (Interreg), entre autres. Ces programmes peuvent donc favoriser la croissance et le développement des réseaux transnationaux qui forment les IC.
37Contrairement aux programmes de l’UE, le CdE ne fournit pas de financement aux institutions culturelles, ce qui est souvent considéré comme une faiblesse. Cependant, comme l’ont reconnu les personnes interrogées des deux associations, le CdE joue un rôle important en rassemblant 46 États membres (au-delà des frontières de l’UE) et en définissant les politiques culturelles européennes, en encourageant la coopération entre les pays membres sur la base de valeurs communes et d’un patrimoine culturel partagé (Camatti et al., 2022). Par conséquent, si les deux organisations (CdE et UE) travaillent de manière coordonnée, le programme d’IC a plus de chances de réussir et d’être économiquement durable.
Conclusion
38A travers cette brève analyse comparative, et répondant à nos questions de recherche, nous avons mis en évidence 1) les principales caractéristiques des modèles de gouvernance des organisations qui dirigent le Chemin de Saint-Jacques et la Via Francigena, ainsi que 2) leur influence sur les politiques publiques à différentes échelles et 3) les possibilités d’accroître cette influence, en surmontant la fragmentation actuelle. C’est pourquoi le modèle de l’EAVF est plus consolidé et dispose de mécanismes plus sophistiqués pour encourager la coopération entre ses membres. Cependant, la EFSJW est en train de restructurer son modèle et la présidence de la Xunta de Galicia à partir de 2023 peut permettre à son modèle de faire un pas en avant, sous la direction de la région qui a le plus d’expérience dans la gestion des parcours (Gusman et al., 2017). L’accord de collaboration récemment signé entre les deux associations pourrait favoriser l’échange d’expériences et de connaissances entre les deux premiers IC du CdE.
39Le principal défi auquel sont confrontées les organisations qui gèrent l’IC, en particulier les itinéraires linéaires, est la fragmentation politique entre les territoires traversés et la complexité de la coordination des divers organismes dotés de compétences différentes (Mariotti, 2023). Mais sa grande opportunité réside dans la convergence des priorités des différentes politiques sectorielles (Moodie et al., 2021) vers une vision commune qui adopte l’ensemble de l’itinéraire comme dimension (Moscarelli, 2023). L’ambition des deux associations d’être gestionnaires de projets européens favorisant le développement local et la coopération territoriale va dans ce sens. Le choix du type de membres et le degré d’autonomie qui leur est accordé ont un impact sur l’influence que ces réseaux d’acteurs peuvent avoir sur les politiques publiques. Par ailleurs, il est essentiel de garantir la durabilité économique des RP d’IC, en diversifiant leurs sources de financement, afin d’assurer la viabilité à long terme de leurs actions (Conseil de l’Europe, 2011). Ces considérations sont valables pour d’autres IC européens, et pas seulement pour les chemins de pèlerinage.
40Dans cette recherche, nous nous concentrons sur l’analyse de la figure des deux associations qui agissent en tant que « réseau porteur » devant le CdE pour le programme CI, mais il est clair que lorsqu’on analyse la gouvernance à plusieurs niveaux de ces itinéraires, en particulier dans le cas du Camino de Santiago, on ne peut pas oublier le travail d’une série d’acteurs qui, depuis plusieurs décennies, mènent des actions visant à structurer et à promouvoir les itinéraires. En ce sens, l’autonomisation de l’EFSJW et de l’EAVF peut contribuer à accroître la coordination et la coopération entre les multiples acteurs impliqués.
41Les IC du CdE sont des outils transnationaux de promotion culturelle (Battilani et al., 2018 ; Berti, 2013) et, en tant que tels, contribuent à la réalisation d’une multiplicité d’objectifs, liés à la conservation du patrimoine, à la cohésion territoriale et au développement du tourisme durable (Trono, 2023). Si la reconnaissance de l’UNESCO est mieux connue au niveau mondial, la certification des IC du CdE est considérée comme tout aussi importante, voire plus, pour les deux associations interrogées, précisément parce qu’elle implique un engagement actif en faveur de la coopération entre divers acteurs à différentes échelles, sous un parapluie politique international tel que celui du CdE.
42La présente analyse comparative est nécessairement limitée et n’inclut que les perspectives des deux organisations qui gèrent les infrastructures critiques avant le CdE. Les recherches futures pourraient porter sur la dimension locale, en choisissant des études de cas qui nous permettent d’apprécier l’interaction locale-globale de ces réseaux multiscalaires. Il serait également intéressant d’étudier plus avant l’agenda du CdE en matière d’infrastructures critiques, afin de comprendre comment il pourrait recevoir davantage de soutien (politique et financier) de la part des pays membres de l’Accord Partiel Élargi4, ce qui donnerait plus de pouvoir aux organisations européennes de gestion des infrastructures critiques.
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Notes de bas de page
Auteurs
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Maria Laura Gasparini
Université de Bologne (Campus de Rimini), Département d’études sur la qualité de vie, Centre d’études avancées sur le tourisme (CAST)
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Juan Gabriel Tirado Ballesteros
Université de Saint-Jacques-de- Compostelle, Département de géographie, Groupe de recherche sur l’analyse territoriale (ANTE)
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Lucrezia Lopez
Université de Saint-Jacques-de- Compostelle, Département de géographie, Groupe de recherche sur l’analyse territoriale (ANTE)
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Camilo Lois González
Université de Saint-Jacques-de- Compostelle, Département de géographie, Groupe de recherche sur l’analyse territoriale (ANTE)
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