Introduction
p. 7-10
Texte intégral
1Les 4 et 5 avril 2024, l’université Toulouse Capitole, en collaboration avec l’agence française des chemins de Compostelle a organisé un colloque scientifique international, intitulé : « Les chemins de Compostelle, itinéraire culturel européen et patrimoine mondial : Histoire, enjeux et perspectives »1. Pour la première fois, l’objet « chemins de Compostelle » était interrogé à la fois dans sa dimension culturelle, patrimoniale et historique. La manifestation a rassemblé 42 communications, 50 chercheurs, provenant de 11 pays issus de l’Europe, l’Asie, l’Afrique, l’Amérique du nord et l’Amérique du sud. L’approche était interdisciplinaire puisque le spectre des disciplines académiques couvrait l’histoire, la géographie, l’anthropologie, la sociologie, la philosophie, la théologie, les sciences de gestion, la science politique et les sciences de l’information et de la communication. Cette manifestation internationale s’est faite sous le haut patronage de l’UNESCO, du Conseil de l’Europe, du ministère de la Culture et de Régions de France. Le présent manuscrit rassemble une sélection de vingt articles ordonnés autours des trois axes du colloque.
2Le premier axe s’intitule « Histoire d’un pèlerinage : territoire et mémoire ». Il rassemble cinq communications.
3Vincent Challet a cherché les traces laissées par les pèlerins de Saint-Jacques à Montpellier et dans ses environs, entre le XIe et le XVe siècle. Les pèlerins du Moyen Âge, originaires de la région ou l’ayant traversée, restent généralement anonymes, mais l’étude approfondie de sources diverses (historiques, hagiographiques, judiciaires, notariales) révèle la présence de ces pèlerins, qui, outre des visites sans doute plus fréquentes à des sanctuaires locaux (Gellone, Saint-Guillem-le-Désert, Saint-Thibéry), n’hésitaient pas à faire, au moins une fois dans leur vie, le pèlerinage à Compostelle.
4Donatien Mazany s’intéresse aux relations entre Saint-Martin de Tours, but d’un pèlerinage qui commença dès la mort du saint en 397, et Saint-Jacques de Compostelle. La voie Turonensis, citée dans le Codex Calixtinus comme point de départ du pèlerinage compostellan, aurait été à l’origine celle qui menait les pèlerins vers Tours et la tombe de saint Martin. Elle aurait ainsi été « inversée » au milieu du XIIe siècle, avant d’être finalement, à partir du XIVe siècle, « mutualisée » entre les deux sanctuaires, même si, progressivement, Sainte-Catherine de Fierbois supplanta Tours et la tombe martinienne.
5Pierre-Gilles Girault montre qu’avant d’être présenté, dans le Ve livre du Codex Calixtinus, comme un point de départ vers Compostelle, Saint-Gilles était lui-même un grand centre de pèlerinage aux XIe et XIIe siècles. La redécouverte du tombeau du saint en 1865, puis le vif intérêt que lui porta Marcel Girault dans la seconde moitié du XXe siècle sont à l’origine du renouveau des pèlerinages sur les chemins qui mènent au sanctuaire, grâce au travail de deux associations qui poursuivent l’œuvre de Marcel Girault.
6Carlos Sánchez Márquez s’est penché sur un autre centre de pèlerinage, Sainte-Marie de Montserrat en Catalogne, qui entretint des liens avec le sanctuaire galicien. Il étudie d’abord l’origine, puis l’évolution du pèlerinage à Montserrat, dans un sanctuaire qui acquiert à la fin du Moyen Âge une dimension internationale et accueille en particulier des pèlerins allant ou revenant de Compostelle.
7Constatant l’importance du « retour aux sources » pour le pèlerinage à Saint-Jacques, Julie Briot-Mandeville et Camile Macinenti s’arrêtent sur le mot Ultreia, issu du chant Dum Pater familias du Codex Calixtinus. Le chant a donné lieu à de nombreuses hypothèses quant à son origine et à la langue vernaculaire utilisée, hypothèses émises au cours des siècles et qui posent la question de sa définition comme « chant de pèlerin ». La discographie en révèle les diverses interprétations contemporaines.
8Le deuxième axe, intitulé « la patrimonialisation des chemins », rassemble sept contributions.
9Vincent Juhel s’intéresse au Mont-Saint-Michel et aux chemins qui y conduisent, objets d’une véritable création par une association fondée en 1998. S’appuyant sur des études confiées à un comité scientifique, l’association propose une « restitution » du pélerinage médiéval dans le but d’offrir à ceux qui parcourent cet itinéraire une expérience à la fois touristique et culturelle. En accord avec les municipalités et le diocèse, l’association met en œuvre les moyens nécessaires pour obtenir sa patrimonialisation et une reconnaissance nationale et internationale.
10Ionel Fedida et Jean-Marie Furt réalisent une analyse comparative des outils et des acteurs de la gestion du bien Chemins de Compostelle en France et les sentiers du patrimoine corse. Même si les échelles de grandeur sont différentes, les auteurs soulignent l’intérêt de l’étude par l’approche patrimoniale associée à ces biens culturels. Ils démontrent la nécessité de mettre en œuvre un acteur-tiers sur les sentiers du patrimoine pour dynamiser l’ensemble des parties prenantes et créer une véritable dynamique collective.
11Montserrat Crivillers Simon montre dans son article que les processus de labellisation, qui ont pour objectif initial la protection et la transmission du patrimoine, « ont incorporé le tourisme grâce à l’émergence du mot durabilité pour devenir des labels touristiques ». Les itinéraires culturels européens intègrent également des enjeux de patrimoine et d’identité. Ils sont à présent des acteurs et des leviers du danger probable du tourisme de masse sur certains itinéraires culturels.
12Maria-Laura Gasparini, Juan Gabriel Tirado Ballesteros, Lucrezia López et Rubén Camilo Lois González présentent une analyse comparative entre le chemin de Compostelle et la via Francigena pour interroger les modèles de gouvernance des itinéraires culturels européens. Après une présentation des principales caractéristiques des modèles de gouvernance des organisations qui dirigent ces deux itinéraires culturels, ainsi que les fragmentations observées, les auteurs soulignent l’accord de collaboration récent entre les deux premiers itinéraires culturels du conseil de l’Europe qui pourrait permettre des échanges d’expériences et de connaissances.
13Gabriela Sanchez interroge la mémoire du web à travers une étude sur les écosystèmes digitaux de deux associations pèlerines canadiennes compostellanes. L’auteur souligne que les interactions en ligne observées convergent vers « une image unique du pèlerin singulier ». Cela conditionne alors une manière idéale de concevoir et vivre sa pérégrination. Cette mémoire digitale contribue selon l’auteur « à une nouvelle forme de patrimoine virtualisé ou médiatisé qui dépasse amplement le champ institutionnel ».
14Francisco Javier Noya Méndez et Ruben Lois González engagent une réflexion à partir d’une étude de terrain en Galice sur la gouvernance de l’aménagement du territoire et de la planification urbaine. Ils montrent que ces enjeux sont un levier de protection du bien Camino francès en Galice, inscrit au patrimoine mondial par l’UNESCO. Cependant, leur étude met en lumière les difficultés à coordonner des acteurs publics et parapublics avec un même objectif de pérennisation de l’intérêt général à cause d’une vraie difficulté de coordination inter-administration.
15Marianne Cailloux, Coumba Sylla et Julien De Vos proposent une étude relative à des dispositifs numériques déployés le long des chemins de Compostelle en Belgique et dans le nord de la France pour dynamiser la fréquentation modeste de cette portion du chemin. Les dispositifs centrés sur l’accès à un patrimoine religieux et rural ont obtenu des résultats encourageants. Les auteurs montrent que cela s’est fait grâce à la mobilisation d’une pluralité d’acteurs ainsi qu’à l’imaginaire riche et à l’histoire millénaire des chemins de Compostelle.
16Le dernier axe s’intitule médiatisation, médiation et public. Il est constitué de huit communications.
17Manuel Seco Lamas propose une étude comparative de la couverture médiatique dans la presse écrite espagnole et française du trentième anniversaire en 2017 de la déclaration des chemins de Compostelle comme premier itinéraire culturel européen par le Conseil de l’Europe (1987). Les résultats présentés sont à mettre en perspective avec l’évolution récente du pèlerinage à Compostelle, à savoir « l’internationalisation, la désaisonnalisation, la sacralisation de la marche ou la sécularisation des motivations des pèlerins ».
18Anne-Sophe de Franceschi interroge un corpus de récits de voyages contemporains à Compostelle pour saisir la position du narrateur et ses motivations. Se qualifier de « vrai pèlerin » pour ces auteurs, cela passe-t-il par le fait d’écrire au retour de sa pérégrination ? L’auteur montre que la marche au long cours conduit au dépouillement du pèlerin-écrivain, et conduit vers « une décantation de l’imaginaire » qui pousse celui-ci à nouveau vers l’écriture.
19Renata Cristina de Sousa Nascimento étudie le culte de saint Jacques et la formation d’itinéraires appelés « chemins de Saint-Jacques de Compostelle » au Brésil, thème d’un projet de recherche qui embrasse autant la production littéraire et historique qu’artistique et pratique. Le « chemin brésilien de Saint-Jacques », créé en 2017 et reconnu comme tel par la cathédrale compostellane, est partie intégrante du tourisme religieux national. L’association Santa Catarina des Amis du Chemin de Saint-Jacques de Compostelle y organise des marches ouvertes à tous.
20Manoël Pénicaud se penche sur le cas de l’association « Compostelle-Cordoue », créée en Suisse en 2009 à la suite de l’incompréhension par une pèlerine de l’image de saint Jacques en « matamore », afin de promouvoir, par la marche, la rencontre et la « réconciliation » dans une attitude militante et non scientifique. Les membres de cette association ont progressivement organisé des « marches collectives », interculturelles, et inter-spirituelles dans diverses régions européennes, au Maroc et en Palestine, mêlant prières et rencontres inter-religieuses.
21Karine Boisvin propose une étude originale sur la santé physique du pèlerin à pied. Celui-ci produit un effort quotidien dont « la quantité de pas est deux à quatre fois les habitudes journalières de l’adulte en santé ». La santé physique du marcheur est indispensable à l’accomplissement complet du pèlerinage alors même que ce champ de recherche est peu investi à ce jour. L’auteur propose alors un programme détaillé de recherche sur une cohorte de pèlerins afin d’enrichir ce domaine de recherche en friche.
22Catherine Leleux a mené une étude sociologique sur une section des chemins de Compostelle en Espagne, et plus particulièrement sur le Camino del Norte. Cette étude exploratoire avait pour objectif ambitieux de saisir au plus près des renseignants « le processus de la quête de soi » chez les pèlerins étudiés. L’auteur illustre le travail réflexif des pèlerins sur eux-mêmes, en soulignant que le chemin est le moyen d’aboutir à un cheminement intérieur.
23France Gerbal-Médalle souligne la convergence entre les chemins de Compostelle et la reconnaissance des vignobles du Sud-Ouest. Son approche ampélographique, géographique et historique montre véritablement un lien entre la culture du vin dans le Sud-Ouest et les chemins de Compostelle. Elle considère cette convergence comme « une réelle opportunité pour aller vers un statut culturel du vin et une préservation des paysages viticoles ». Elle précise que l’itinéraire culturel européen Iter Vitis qui passe par les vignobles du Sud-Ouest est un marqueur important de cette convergence.
24Enfin, Mehdi Elouati produit une communication tout à fait singulière. Il présente une étude anthropologique menée sur le phénomène de la Féniguia, rituel d’un olivier de culte sur l’île de Djerba en Tunisie. Ce rituel de guérison n’est pas un pèlerinage, mais il perdure depuis des siècles dans un environnement musulman très conservateur. Il incarne un patrimoine immatériel actif grâce à une tradition particulièrement vivante.
Notes de bas de page
Auteurs
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Christophe Alcantara
Professeur en sciences de l'information et de la communication, Univiersité Toulouse Capitole
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Adeline Rucquoi
Docteur d'État ès lettres (Histoire) de l'Université de Paris IV, Sorbonne, Directeur de Recherches émérite au CNRS
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