1Nous sommes réunis ce jour pour fêter ‒ avec un peu de retard ‒ les dix ans de la décision du Conseil d’État Section ‒ 21 juin 2013 ‒ Communauté d’agglomération du pays de Martigues (n° 352427) relative à la transmission du sens des conclusions du rapporteur public et au sens du « sens » de ces conclusions. Cette journée se veut essentiellement un temps d’échanges et s’articulera en deux temps.

2La matinée sera consacrée à une présentation de l’institution du rapporteur public et de ses conclusions, de son origine à nos jours, afin de comprendre les changements intervenus suite à la décision du Conseil d’État. Différents points de vue seront exprimés : celui des universitaires d’une part et celui d’un magistrat occupant les fonctions de rapporteur public d’autre part.

3L’après-midi sera dédiée à une réflexion plus générale sur les modifications apportées par la décision du Conseil d’État à l’aune d’autres transformations relatives à l’institution du rapporteur public, et même plus encore d’autres réformes touchant le déroulement du procès administratif. Ainsi, il s’agira de s’interroger sur l’opportunité de proposer d’autres changements au statut des conclusions du rapporteur public afin d’assurer une cohérence dans les évolutions récentes affectant le contentieux administratif. Ce sera aussi l’occasion d’effectuer un lien entre les évolutions introduites par la décision du 21 juin 2013 et l’extension des hypothèses de dispense des conclusions opérée par la loi 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit. Là encore, un double regard praticien-universitaire sera porté sur ces questions.

4La décision Communauté d’agglomération du pays de Martigues a fait l’objet de nombreux commentaires et discussions doctrinales. Elle s’inscrit, on le sait, dans la lignée d’un mouvement initié par la Cour européenne des droits de l’Homme concernant la situation particulière qu’occupe le rapporteur public ‒ ancien commissaire du gouvernement ‒ au sein des juridictions administratives et le rôle qu’il joue dans le procès administratif 1. Cette journée est donc aussi évidemment un prétexte pour discuter de ces sujets.

5Aussi, plusieurs interrogations semblent devoir être soulevées sans toutefois qu’il soit possible d’en dresser a priori une liste exhaustive.

6En premier lieu, selon nous, la communication du sens des conclusions et sa teneur renvoient à la question de l’application des grands principes dits « directeurs » du procès. Il s’agira alors de savoir lesquels sont en fait mobilisés (contradictoire, loyauté des débats, transparence, information des parties, impartialité etc…) sachant que pour l’heure, la transmission des conclusions elles-mêmes du rapporteur public ne paraît pas envisageable.

7Évoquer la communication du sens des conclusions du rapporteur public conduira naturellement à débattre du caractère écrit de la procédure administrative contentieuse et du développement de l’oralité.

8En outre, c’est aussi une logique d’efficacité qui est en cause surtout si l’on effectue un lien entre cette évolution et la réforme introduite en 2011 accroissant les possibilités de dispense de ces conclusions devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel2.

9Il s’agit donc de savoir si l’équilibre a été trouvé – ou comment il pourrait l’être – entre des finalités pouvant apparaître comme antagonistes puisqu’il convient de garantir d’un côté la protection du justiciable et de l’autre, la performance de la justice administrative.

10En second lieu corrélativement, c’est la qualité de la décision de justice et l’égalité des justiciables devant le juge administratif qu’il sera nécessaire d’évoquer.

11En effet, d’une part, le Conseil d’État en précisant dans la décision Communauté d’agglomération du pays de Martigues ce qu’il fallait entendre par la communication du sens des conclusions, fait œuvre de pédagogie. Cette communication vise à permettre au justiciable une meilleure compréhension de la décision de justice et offre aux parties la possibilité de se préparer à l’audience…

12D’autre part, la manière dont les rapporteurs publics suivent les obligations et préconisations relatives à la transmission peut varier selon les circonstances, et c’est alors l’égalité des justiciables qui est en cause. Ainsi, il conviendra de s’interroger sur ce que les acteurs transmettent puisque seulement certains éléments doivent l’être à peine d’irrégularité. Toutes les juridictions ont-elles la même attitude ? Existe-t-il une variation en fonction des contentieux et/ou en fonction du degré de juridiction ? Existe-t-il une césure entre les pratiques des juges du fond et celles des magistrats du Conseil d’État ?

13Toutes ces interrogations conduisent à réfléchir à la défense des parties et au rôle de ces dernières dans la mesure où elles peuvent intervenir après le rapporteur public (par le biais d’une note en délibéré ou d’observations orales)3.

14En dernier lieu, c’est la pertinence des évolutions étudiées qui mérite d’être interrogée. Il s’agira de savoir quelles sont les carences que le juge doit pallier ou les précisions qu’il doit encore apporter concernant la transmission du sens des conclusions.

15Ainsi par exemple, quel sort réserve-t-il aux conclusions accessoires ou plus exactement quelles sont les conclusions qu’il qualifie d’accessoires dans la mesure où elles ne sont pas concernées par le « mode d’emploi » dressé dans la décision du 21 juin 2013 ? Si une réponse a été rapidement apportée pour les conclusions aux fins d’injonction4, tel n’est pas le cas pour d’autres…

16De même il est possible d’envisager d’autres modifications à apporter éventuellement au statut des conclusions du rapporteur public notamment dans la période postérieure au jugement…

17De manière plus concrète par ailleurs, il est important de savoir si la dématérialisation des procédures facilite ou au contraire rend plus complexe la transmission.

18Autrement dit, il faudra dresser un bilan des évolutions étudiées tant d’un point de vue purement matériel (quant à la charge de travail imposée) que d’un point de vue plus substantiel (quant à la manière dont la justice administrative est rendue).

19Finalement, ces évolutions en cours depuis une dizaine d’années ont-elles « recentré le rapporteur public sur son cœur de métier » comme le défendait Jean-Marc Sauvé à propos de la réforme relative aux dispenses des conclusions5 ? Ces évolutions ne sont-elles pas empreintes de paradoxes comme le souligne notamment Benoît Plessix, dans la mesure où par la transmission du sens de ses conclusions le rôle du rapporteur public est mis en avant, mais par les dispenses de conclusions il peut s’effacer de certains contentieux…6 ?

20Si l’institution du rapporteur public est aujourd’hui sauve, peut-être n’est-elle pas à l’abri de nouvelles menaces à venir…