A. L’intégration du logement dans la mesure de l’état de surendettement

7Désigné à l’article L711-1 du Code de la consommation comme « l’impossibilité manifeste de faire face à son passif professionnel et non professionnel exigible et à échoir », le surendettement renvoie à une appréhension mathématique de l’état des finances du demandeur. La commission départementale en charge de l’instruction du dossier doit procéder, dans les grandes lignes, à une comparaison entre l’actif mobilisable et le passif exigible ou à terme. L’endettement excessif est en principe avéré lorsque l’actif réalisable est insuffisant à apurer les dettes du débiteur9. Cette logique comptable suppose que le demandeur établisse un inventaire de tous les éléments constituant son patrimoine. Concernant le passif, il convient aujourd’hui de faire figurer l’ensemble des dettes, personnelles comme professionnelles10, exigibles ou affectées d’un terme. L’actif obéit à cette même dynamique puisqu’il comprend les ressources présentes et futures, à condition qu’elles soient certaines. Il s’entend aussi bien, de ce fait, des revenus périodiques que du capital, immédiatement convertibles en argent ou pas et il vise encore les créances insaisissables ou indisponibles11.

8Les biens immobiliers sont naturellement admis à figurer dans cet inventaire, quelle que soit leur affectation. Affirmer que la propriété du logement n’est pas, de fait, exclusive de l’état de surendettement nécessite, à l’évidence, que la résidence principale soit comptabilisée à l’actif du demandeur. Bien avant le législateur, la Cour de cassation a fait sienne cette affirmation. Dès les années 199012, les Hauts magistrats ont ordonné la prise en compte des immeubles appartenant au débiteur sans réserver un sort spécifique à son logement13. Ces arrêts ont produit des conséquences notables : un particulier propriétaire de sa résidence ne sera pas ipso facto évincé du bénéfice des procédures. Il ne le sera que si la valeur vénale de son bien, cumulée à ses autres ressources, suffit à apurer son passif tout en lui laissant un minimum de liquidités pour satisfaire à ses besoins essentiels. Une fois formulé, ce postulat est demeuré constant14. À titre d’exemple, une décision du 1^er décembre 1998 vient sanctionner une Cour d’appel en ce qu’elle s’est bornée « à prendre en considération les revenus de Mme Y, sans rechercher si compte tenu de la valeur vénale de son bien immobilier, fût-il son logement, l’intéressée, après avoir aliéné le bien, serait toujours surendettée15».

9La solution peut trouver du soutien dans les termes de la loi. L’ancien article L330-1 du Code de la consommation n’opère aucune distinction entre les biens du débiteur16 ; l’interprète n’est pas tenu de distinguer là où le législateur ne le fait pas. Une telle issue est, en outre, conforme à la ratio legis. Il s’agit ici d’établir un audit patrimonial pour parvenir à une analyse objective de la situation. Rien ne justifie, dès lors, l’éviction du logement d’autant que, dans de nombreuses espèces, son acquisition est réalisée par un emprunt non encore remboursé au jour de la demande (et, en tant que tel, intégré au passif).

10Pour autant, ce positionnement n’était pas toujours suivi par les commissions – voire par les juridictions du fond saisies de recours – qui avaient tendance à écarter de façon purement automatique les demandes émanant de propriétaires. Ce rejet avait des effets particulièrement néfastes dans les hypothèses où les débiteurs étaient tenus d’un crédit immobilier important. Conscient de la nécessité de mettre fin à ces divergences, le législateur est intervenu pour donner une assise textuelle à l’interprétation prétorienne. Cela étant, et bien avant 2010, les Hauts magistrats avaient suggéré la mise en œuvre d’un autre critère, complémentaire : la prise en compte, dans la détermination de l’état d’endettement, des frais de relogement consécutifs à la cession du domicile.

B. La prise en compte des frais de relogement en cas de vente de la résidence principale

11Poursuivant la construction initiée, la Cour de cassation n’a pas tardé à affiner son argumentation au regard d’un constat déterminant : le logement n’est en aucun cas un bien comme les autres au sein du patrimoine du débiteur. Il s’agit de l’immeuble qui lui garantit un toit et une certaine stabilité. La Haute juridiction est donc venue préciser que les commissions ne peuvent se contenter de vérifier que la vente de la résidence suffirait à apurer le passif pour conclure à l’absence de surendettement. Elles doivent, en outre, inclure dans leur évaluation les frais de relogement que causerait la cession17. Sont ici visés, notamment, toutes les dépenses générées par le déménagement éventuel, l’achat d’un bien plus petit ou les dettes de loyer à venir ainsi que tous les frais annexes (dépôt de garantie etc.).

12Au plan technique, ce critère est simple à mettre en œuvre. Il consiste à ajouter ces frais aux éléments de passif, corrélativement à l’intégration, à l’actif, de la valeur patrimoniale de l’immeuble. En présence d’un propriétaire, la demande de traitement sera jugée irrecevable si la cession permet d’honorer l’ensemble des dettes, frais de relogement compris.

13Ce choix est tout à fait pragmatique si l’on se concentre sur la situation du débiteur confronté à la cession de sa résidence. On ne saurait nier que les frais de relogement peuvent être conséquents. Les ignorer est totalement contreproductif au regard des motivations du droit du surendettement : une telle indifférence revient à rejeter la demande dans le cas où la vente du logement suffit à payer les dettes sans considération de la période postérieure à la cession. Pourtant, que se passera-t-il si le cédant n’est pas, ensuite, en capacité de payer un loyer ? On risque fort de retarder inutilement le moment où le dossier sera accueilli... Une telle situation s’avère problématique pour au moins deux raisons. D’abord, l’expérience enseigne que le succès des procédures dépend largement du moment où le surendettement est traité ; un traitement précoce multiplie les chances de parvenir à une issue favorable. Ensuite, dans notre exemple, les conséquences d’une décision d’irrecevabilité pourraient être bien plus graves. Qu’adviendra-t-il du débiteur qui, faute de moyens, ne parviendra pas à se reloger dans un délai correct ?

14Au final, l’exclusion des frais de relogement trahit quelque peu l’esprit de la matière : elle peut conduire à la perte de la résidence sans garantir à la personne une possibilité de se reloger. Au contraire, l’intégration de ces dépenses permet un examen équilibré de la situation. En présence d’un dossier irrecevable, il aura été vérifié que le demandeur disposera, postérieurement à la vente, de ressources suffisantes pour retrouver un lieu de vie.

15Bien établie, cette jurisprudence marque déjà un tournant quant à la philosophie du surendettement. Il ne s’agit plus seulement de donner les moyens à un individu d’honorer ses engagements par des mesures aménageant le rapport d’obligation mais bien davantage de le faire échapper à une certaine précarité susceptible de le conduire, à terme, à une véritable exclusion sociale. Ces objectifs placent plus que jamais le logement au cœur de la réflexion. Ils ont conduit le législateur à adopter un regard nouveau sur ce bien spécifique : c’est ainsi qu’à compter de 2013, les mesures de désendettement deviennent de véritables remparts contre la perte par le débiteur de sa résidence.

A. Le statut particulier du logement dans le cadre de l’examen de la situation du débiteur

17La loi nouvelle modifie sensiblement la situation du propriétaire. À compter du 1^er janvier 2014, en présence d’un immeuble dont la valeur vénale permet d’apurer l’ensemble du passif tout en assurant un relogement convenable, la demande ne sera plus jugée irrecevable. Ainsi, la détention d’un logement dont la valeur excède l’ensemble des dettes n’est pas exclusive du traitement de l’endettement ; dans de telles hypothèses, il appartiendra aux commissions d’orienter le dossier vers des mesures adaptées, dans le but affiché de permettre la conservation de l’immeuble. On observe ici un profond changement de raisonnement : les procédures de désendettement sont maintenant perçues comme un moyen d’éviter la perte de la résidence principale car elles sont habiles, le cas échéant, à résorber les dettes sans précipiter la vente du bien.

18Cette appréhension suppose de se départir de la dimension purement arithmétique qui prédominait jusqu’alors. Certes, le logement principal du débiteur doit figurer, comme auparavant, à l’actif de son patrimoine. Cela étant, le fait que sa valeur soit suffisante à régler le passif sera désormais indifférent à la reconnaissance de l’état de surendettement. Le législateur invite ici la commission à une approche inductive, consistant à s’interroger sur l’aptitude des mesures à mettre fin à l’endettement sans, idéalement, toucher au logement. Si la projection conduit à une réponse affirmative, la recevabilité du dossier doit être retenue car le débiteur est surendetté au sens du texte. Ici encore, la résidence principale est au centre du raisonnement mais, en sa présence, l’analyse de la situation échappe à la logique comptable classiquement mise en œuvre. A partir de cette réforme, le logement devient véritablement un bien « a-typique19», « l’ancrage du débiteur en difficulté (…)20 ». La Cour de cassation s’est rapidement alignée sur le législateur ; par deux importantes décisions du 19 février 201521, les Hauts magistrats ont sanctionné les juges du fond pour avoir refusé l’accès aux mesures dans des cas où l’immeuble avait une valeur supérieure à leurs dettes. La jurisprudence est depuis, demeurée inchangée22.

19Si cette évolution est favorable aux propriétaires, ses effets doivent être bien compris. Le texte est clair ; il faut tenter d’éviter la cession de la résidence lorsque des mesures plus douces (rééchelonnement du passif, par exemple) sont aptes à mettre fin à l’endettement. Quand la perte du bien s’avèrera inéluctable, le droit du surendettement veillera à protéger le débiteur en lui permettant de vendre dans des conditions plus sereines qu’une cession précipitée. C’est dire que le demandeur jugé éligible aux procédures de désendettement n’est aucunement à l’abri d’une cession. Il faut ici opérer une distinction entre la recevabilité du dossier et ses conséquences. Dans le prolongement des conditions d’accès à ce droit, les dispositifs envisageables œuvrent en faveur de la conservation du logement. Ainsi, par exemple, le plan et les mesures imposées peuvent, à titre exceptionnel, excéder sept années quand ils visent le crédit immobilier relatif à la résidence principale23. Il en est de même lorsqu’un délai plus long permettra d’apurer l’intégralité des dettes en évitant la cession de ce même bien24. Malgré cela, le débiteur n’est jamais garanti de conserver l’immeuble : cette conservation n’aura lieu que dans la mesure du possible. Les termes de la circulaire interprétative du 12 mars 2014 ne souffrent, sur ce point, d’aucune ambiguïté : « il appartiendra à la commission d’apprécier, une fois la recevabilité déclarée, si la solution la plus adaptée est un rééchelonnement du passif ou la vente du bien25».

20Quoi qu’il en soit, les conditions d’accès aux procédures réservent désormais une place spécifique à la résidence du demandeur. Ce changement d’état d’esprit du législateur consumériste se révèle, selon nous, en adéquation avec l’esprit du droit du surendettement.

B. Une évolution respectueuse de l’esprit du droit du surendettement

21Le nouveau texte n’a pas reçu les faveurs d’une partie de la doctrine26. Certains auteurs déplorent, pour l’essentiel, qu’une personne propriétaire de sa résidence puisse aujourd’hui prétendre au bénéfice des articles L711-1 et suivants du Code de la consommation alors même qu’elle ne répond pas aux conditions matérielles d’accès à ce droit.

22S’il est vrai que le dispositif marque une rupture avec le raisonnement antérieur, la critique doit, nous semble-t-il, être nuancée. La position peut d’abord trouver du soutien auprès des objectifs du surendettement et des liens qu’il entretient avec les droits fondamentaux. On se souvient que les législations n’ont pas, ici, pour seul but de permettre à une personne de respecter ses engagements. Il s’agit, au-delà et plus largement, de lutter contre la pauvreté, ce qui participe de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine27. Appréhendée à la lumière de ces principes supérieurs, la volonté législative d’œuvrer à la conservation de la résidence principale paraît suffisamment opportune pour justifier une distance avec la logique arithmétique qui prédominait jusqu’alors.

23Le droit du surendettement est un domaine en constante tension car il tente de concilier des intérêts antagonistes : ceux du débiteur surendetté et de ses principaux ayants-droits. Si les textes sont motivés par l’intérêt général, encore faut-il que l’atteinte consommée aux droits des créanciers soit proportionnée au but à atteindre… Personne ne niera sérieusement que les mesures de désendettement (qu’elles soient les plus douces ou les plus énergiques28) atteignent à des degrés divers les prérogatives de ceux qui ont régulièrement contracté avec le débiteur. Elles heurtent les principes fondateurs de notre droit des obligations : respect de la parole donnée, force obligatoire. Cette atteinte n’en est pas moins, selon nous, proportionnée. Il faut se rappeler que l’accès aux procédures ne garantit en rien la conservation du logement. La loi précise à plusieurs reprises – et c’est là le corollaire de l’exigence de bonne foi qui constitue le cœur de la matière29 – que des efforts seront demandés au demandeur pour faciliter le succès de la procédure30. Parmi ces derniers, figure la cession de la résidence principale à la condition toutefois que la vente soit de nature à résoudre, de manière effective, la situation de surendettement31.

24La Haute juridiction a récemment eu l’occasion d’énoncer que la vente du logement pouvait être requise dans le cadre des mesures imposées sans que cela ne constitue une atteinte au droit au respect des biens protégé par le Premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales32. Dans cette espèce, l’auteur du pourvoi contestait la décision de la commission qui avait ordonné la cession du logement. Il revendiquait le bénéfice du rétablissement personnel qui lui aurait permis de conserver le bien au prix de… l’effacement partiel de ses dettes. Les juges n’adhèrent à aucun des arguments avancés. Ils considèrent que le demandeur ne pouvait prétendre au rétablissement personnel car il n’était pas dans une situation irrémédiablement compromise. Au contraire, la vente de l’immeuble constituait ici une issue équilibrée rendant possible le traitement de l’entier passif en lui ménageant une issue de relogement convenable. L’atteinte au droit de propriété est donc opportunément écartée et le pourvoi rejeté.

25Un autre argument, plus pragmatique, peut être émis en faveur du choix opéré par le législateur en 2013. La définition du surendettement consacrée en présence d’un débiteur propriétaire permet un traitement précoce des difficultés. Or, il est acquis que le succès des procédures dépend en grande partie du moment auquel l’endettement est pris en charge. Au-delà, la décision de recevabilité ne doit pas toujours être perçue avec méfiance par les créanciers. Certes, des concessions leur seront demandées, mais les mesures constituent pour eux une chance d’obtenir un paiement. Un traitement plus tardif – subséquent à une première demande jugée irrecevable – signifie que la situation se sera nécessairement aggravée et pourrait mener à un effacement de dettes dans le cadre d’un rétablissement personnel… L’issue se révèle, dans cette dernière configuration, bien moins attractive pour eux.

26Reste que le nouveau système peut être perçu comme fondant une inégalité de traitement puisque la situation ne sera pas appréciée de la même manière selon que le débiteur est ou non propriétaire de son logement33. La méthode adoptée pour le demandeur propriétaire est plus souple car elle s’éloigne d’une analyse mathématique, ce dont ne peuvent a priori pas bénéficier les autres demandeurs (locataires par exemple). Sans aller jusqu’à consommer une rupture d’égalité34, la crainte est que le législateur consacre un droit à deux vitesses, privilégiant les propriétaires par rapport aux autres débiteurs. Cette difficulté peut cependant être dépassée par une interprétation constructive de l’article L711-1 du Code de la consommation. Ce texte, on l’a dit, invite déjà à une appréhension dynamique et prospective de la situation. La notion de surendettement n’est pas figée par nature et permet de laisser une certaine latitude aux commissions pour envisager avec souplesse le cas des débiteurs non propriétaires. Ces dernières ont donc les moyens de gommer ce risque de disparité de traitement, dans le respect du but poursuivi par le législateur.

27Il est désormais temps de conclure. Le statut réservé à la résidence principale du particulier surendetté au sein de la législation consumériste doit, à notre sens, être salué. Il exprime, en substance, le nécessaire respect de la dignité de la personne sans imposer un sacrifice disproportionné aux créanciers. À cet égard, les mots d’un éminent spécialiste viennent parfaitement résumer le propos : « Le droit du surendettement des particuliers poursuit ainsi comme but de sauvegarder les particuliers de la misère et de l’exclusion sociale et de leur garantir l’espoir d’une situation meilleure. Il vérifie l’observation d’un adoucissement continu de la condition juridique de l’endetté dans l’histoire.35».