Cuthbert of Castlehill vu d’Inverness

1L’écrivaine Jennifer Morag Henderson replace la famille de Colbert dans son environnement géographique, Inverness, la capitale des Highlands. Colbert de Castlehill y est peu connu, mais il existe diverses sources disponibles en Écosse qui peuvent aider à faire la lumière sur sa vie et sa famille. En utilisant ses connaissances et son expertise locale dans les archives Écossaises et surtout celles des Highlands, elle présente ce que ces archives peuvent révéler sur l’environnement dans lequel Seignelai a grandi. La connaissance de la famille Colbert / Cuthbert, de leur statut en Écosse, et de leurs antécédents religieux, permet de comprendre les décisions ultérieures de Colbert de Castlehill. Faire correspondre la recherche sur Colbert en France avec la recherche contemporaine Écossaise et la recherche dans les Highlands sur la même période historique donne des nouvelles perspectives. Placer la vie de Colbert dans le contexte de la rébellion jacobite de 1745 et ses suites donnera une vue différente, tandis que voir ses choix dans la Révolution française à côte des pensées de son frère favorable sur l’esclavage ouvrira aussi des nouveaux champs pour la discussion.

2Jennifer Morag Henderson est une écrivaine, qui habite dans le nord de l’Écosse. Elle a écrit les livres Daughters of the North : Jean Gordon and Mary, Queen of Scots [« Les Filles du Nord : Jean Gordon et Mary, Queen of Scots] (Sandstone Press, 2022) et Josephine Tey: A Life [“Josephine Tey : La Vie”] (Sandstone Press, 2015, republished 2021). Ce dernier livre a été classé comme ‘Livre de l’Année’ dans les journaux Observer, Independent et Telegraph, et salué par les critiques du Wall Street Journal, TLS et Literary Review, parmi d’autres. Dans ses publications, elle traite de l’histoire au travers de la biographie, avec un intérêt particulier pour le nord de l’Écosse. Son travail – à la fois fiction et non-fiction, poésie et pièces de théâtre – a été largement publié et interprété, et elle est une conférencière expérimentée, ayant donné des conférences dans des lieux comme la British Library, et des divers festivals de livres. Jennifer est diplômée d’un premier cycle de Langue Anglaise et de Sociologie dès l’Université de Glasgow, et titulaire d’un diplôme d’études supérieures en Sociologie de Dalhousie University (au Canada). Elle a étudié le français à l’Institut Français de l’Écosse, et à l’Université de Caen. www.jennifermoraghenderson.com

Comment cultiver des vertus sociables pendant le Grand Tour : le plan éducatif d’Adam Smith pour le Duc de Buccleuch et les relations franco-écossaises

3Hiroki Ueno propose une analyse de la sociabilité vue par les Lumières écossaises et des liens franco-écossais dans ces mêmes Lumières qui donne des clefs pour comprendre les relations entre Hume, Smith, Colbert et le duc de Buccleuch.

4L’héritage durable de la tradition francophile pour les intellectuels écossais du XVIII^e siècle mérite qu’on s’y attarde. Ils sont loin d’être immunisés contre la crise d’identité et qu’ils n’hésitent pas à s’identifier à une partie des Britanniques, les « North Britons ». En fait, même après que l’« opulence universelle » apportée par l’Union de 1707 a commencé à être reconnue, un certain nombre d’Écossais intellectuels ont encore tendance à se sentir quelque peu mal à l’aise face à l’insularité vulgaire de leur allié, souvent accompagnée d’une francophobie encore virulente, aggravée par la deuxième guerre de Cent ans. Pour les Whigs sceptiques écossais, contrairement aux Whigs anglais vulgaires, la France en Europe continentale peut être située comme un autre modèle de société civilisée. Il va sans dire que la conception de David Hume des « monarchies européennes civilisées » est une expression représentative de leur point de vue impartial. Ce sont donc les liens franco-écossais qui leur donnent un autre exemple pour améliorer et raffiner l’Écosse.

5Un penchant plus ou moins similaire se retrouve également chez Adam Smith. Si les relations entre Smith et les physiocrates ont longtemps attiré l’attention des chercheurs, il s’est avéré que parmi les personnes qui ont exercé une influence sur Smith figurent des moralistes français qui se sont consacrés à l’anatomie délicate et sensible de l’esprit humain. En même temps, cependant, Smith s’éloigne consciemment de la position de son ami David Hume, qui a montré sa francophilie (presque) enthousiaste dans leur correspondance privée. Cette divergence légère mais significative entre les deux Écossais est d’un grand intérêt. La distinction entre les vertus aimables et respectables joue un rôle crucial dans la philosophie morale de Hume et de Smith. Par rapport à Hume, Smith a généralement tendance à souligner l’importance des vertus respectables telles que la maîtrise de soi. Ce qu’il faut noter ici, c’est que cette dichotomie des vertus est considérablement associée à la représentation contrastée (et en quelque sorte stéréotypée) des caractères nationaux français et anglais. Il met l’accent sur le rôle accru de la respectabilité et de la maîtrise de soi, en particulier lorsqu’on vit dans « une assemblée d’étrangers ».

6Hiroki Ueno étudie l’idée de Smith sur les formes de sociabilité requises de ceux qui vivent parmi des étrangers. À cet égard, son plan d’éducation pour ses étudiants, en particulier pour le futur duc de Buccleuch, est susceptible d’être très utile. Avant son séjour en France en 1764-66, Smith avait déjà souligné que le pouvoir disciplinaire de la maîtrise de soi était d’une importance capitale pour l’éducation ou le tutorat des jeunes gentlemen. Parce que ce type de respectabilité est parfois considéré comme difficile à cultiver dans la culture française dont la conversation permet de trop faciles abords (et prétendument corrompue) par certains auteurs francophobes en Angleterre, il est d’autant plus fascinant de voir quel type de vie sociale Smith pensait être approprié pour que le duc apprenne efficacement les vertus nécessaires aux nobles gentlemen. L’article se concentre sur le point de vue de Smith sur la façon dont ses compatriotes écossais vivant dans la société française ‒ y compris Hume et Colbert de Castlehill, se comportaient, au moins en partie, comme des étrangers.

7Hiroki Ueno est enseignant et chercheur principal en histoire intellectuelle à l’université Keio de Tokyo. Il a obtenu son doctorat à l’université de Kyoto, où il a également bénéficié d’une bourse de recherche pour jeunes scientifiques de la Société japonaise pour la promotion de la science (JSPS), avant de devenir chercheur postdoctoral de la JSPS. Jusqu’à présent, il a enseigné dans plusieurs autres universités en tant que conférencier invité, notamment à l’université Hitotsubashi et à l’université Aoyama-Gakuin. Il était membre du comité d’organisation de la conférence de Tokyo de l’IASS (International Adam Smith Society). Parmi ses publications récentes, on trouve « The French and English Models of Sociability in the Scottish Enlightenment: The Politics of “Refined” Culture in David Hume » dans Annick Cossic & Emrys Jones (eds), La Représentation et la réinvention des espaces de sociabilité au cours du long XVIII^e siècle, (Éditions Le Manuscrit, 2021), pp. 365-94 ; « Adam Smith between the Scottish and French Enlightenments », Dialogue and Universalism 32 (1) : pp. 127-146 (2022).

Colbert de Castlehill et l’assiette diocésaine de Toulouse (1764-1781)

8Gilbert Larguier se penche sur l’intrigante question du choix du sud-ouest du royaume de France aux lendemains de la guerre de Sept Ans pour le grand Tour d’un jeune duc d’ascendance écossaise promis aux plus hautes fonctions dans son pays, et Toulouse plus particulièrement. Des indices laissent à penser que David Hume, ami du mentor du duc de Buccleuch, Adam Smith, ne fut pas étranger à ce choix. Aurait comptée aussi la présence sur les bords de la Garonne de l’abbé Colbert de Castlehill, lui aussi d’ascendance écossaise.

9Hume arrive à Paris comme secrétaire de l’ambassade de Grande-Bretagne à l’automne 1763 ; les lettres de vicaire général accordées à Colbert de Castlehill par Loménie de Brienne promu archevêque de Toulouse l’année précédente sont du 19 janvier 1764 ; Smith et son élève arrivent à Toulouse le 3 mars 1764. La proximité des dates n’est pas le fruit du hasard. De même, ne sont pas fortuits la présence de Loménie de Brienne à la session des États de Languedoc quand Smith arrive à Toulouse, le voyage entrepris par le professeur pour assister à la réunion suivante de l’Assemblée provinciale tenue à Montpellier du 13 novembre 1764 au 7 janvier 1765 et la fonction assignée par le prélat à son vicaire général : le suppléer à l’assiette diocésaine de Toulouse, un des rouages essentiels de l’administration provinciale.

10Suivre, voire diriger les travaux de l’assiette diocésaine sera durant près de vingt ans la tâche principale de Colbert, épaulé par le syndic du diocèse, le sieur Montcabrié, expérimenté et bien introduit aux États puisqu’il participait à leurs sessions annuelles comme membre de la commission des travaux publics. C’est donc cette fonction, exemple de celle tenue par les vicaires généraux des prélats languedociens, souvent restée dans l’ombre, qu’il convient de documenter pour suivre la longue préparation du futur évêque de Rodez appelé à présider l’Assemblée provinciale de Haute-Guyenne.

11Professeur honoraire à l’université de Perpignan Via Domitia, Gilbert Larguier s’est intéressé à l’histoire méridionale de la fin de la période médiévale au début du XIX^e siècle en multipliant les approches – économie, société, institutions… – avec sa thèse, Le drap et le grain en Languedoc, Narbonne et Narbonnais (1300-1789), l’étude de l’origine et de l’évolution de la fiscalité languedocienne dans ses implications au niveau des communautés, des États de Languedoc et du royaume et, dans une perspective comparative, l’analyse des spécificités du Languedoc, du Roussillon et des pays catalans, proches, mais si différents à de nombreux égards.

Aperçu d’un homme du dix-huitième siècle : analyse d’un traité de morale de Seignelay Colbert De Castlehill

12Peut-être sous l’influence de la longue fréquentation d’Adam Smith dont l’enseignement à Glasgow comportait des Leçons sur la jurisprudence, en 1770, Seignelay Colbert de Castlehill publiait un traité, Les Éléments du Droit de la nature et de la Morale Naturelle. Adressé « aux nations civilisées et policées de l’Europe, qu’étudie Timothy R. Day. Pour lui, le traité de Colbert représente de manière très caractéristique un courant de pensée typique des Lumières, qui sera tout à fait daté quelques décennies seulement après le début du XIX^e siècle. Le fait qu’un tel traité ait également été produit par un membre du clergé catholique montre que l’influence des philosophes, auxquels Colbert fait référence dans son œuvre, atteint son apogée au cours de la seconde moitié du XVIII^e siècle. Cette influence se manifeste dans les écrits de Colbert, qui appartient à la sphère des philosophes [on peut parler de Lumières catholiques]. Le traité de Colbert se concentre sur le rôle de l’homme dans l’ordre naturel des choses, présentant les objets de son étude à ceux qui, selon lui, ont le droit naturel de maintenir la paix et la concorde entre les nations. Parfois abstrait, le traité de Colbert tente néanmoins de donner une base technique à ses idées sur la nature humaine. Il en résulte une vision de l’homme moral qui contribue au bon fonctionnement de la société, et une société inscrite dans un ordre international qui se conduit rationnellement pour atteindre des fins moralement souhaitées. Le traité de Colbert est précieux en tant que document historique car son contenu apporte une certaine clarté et une certaine émotion à un discours de plus en plus complexe sur les Lumières.

13Timothy R. Day est titulaire d’un doctorat en histoire transnationale et comparative (Central Michigan University), avec des spécialisations en France et Grande-Bretagne – époque moderne. Il a étudié à l’Université d’Angers et à Erasmus University Rotterdam dans le cadre de son master en histoire européenne. Il a obtenu sa licence de Purdue University aux États-Unis, où il a enseigné l’histoire et la composition académique en tant que professeur visiteur en 2020-2021. Il est actuellement professeur d’anglais au Centre du Formation Linguistique Internationale à Chişinău, Moldavie.

Monseigneur Colbert de Castlehill dans les Nouvelles Ecclésiastiques

14Julien Béchard a recherché les articles consacrés par Les Nouvelles Ecclésiastiques, l’hebdomadaire janséniste clandestin qui parut de 1728 à 18031. Les griefs que les jansénistes portent l’épiscopat français au XVIII^e siècle sont nombreux. Les qualificatifs sont pour le moins sévères. Le premier ordre est accusé d’exercer un pouvoir despotique sur le clergé du second ordre et sur l’ensemble des fidèles laïcs. Les évêques négligent leur fonction de défenseur de la foi, laissant l’incrédulité croitre partout dans le royaume. Pire, ils pactisent avec les ennemis de l’Église, les Philosophes, et se préoccupent plus de mondanité que de doctrine et de pastorale. Bien que gallican, l’épiscopat ne rencontre la faveur ni des jansénistes ni des parlementaires. Il est en continuel conflit avec eux afin de défendre les intérêts de l’Église, notamment l’indépendance de sa juridiction.

15Les Nouvelles Ecclésiastiques relaient dans un large public cette vision péjorative de l’épiscopat. Premier journal d’opposition, il a pour but de montrer les méfaits de la bulle Unigenitus pour l’Église en exposant les persécutions que les jansénistes subissent de la part de l’autorité ecclésiastique.

16Mgr Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse de 1763 à 1788, fait partie des évêques les plus écorchés par le nouvelliste. Il est accusé de despotisme et de complaisance envers la doctrine des Philosophes. L’évêque de Rodez le considère, selon ce que rapporte le nouvelliste, comme son maitre et son modèle. Ainsi, il n’est pas étonnant de constater que Colbert de Castlehill n’échappe pas à l’analyse sévère des jansénistes. Le journal traite explicitement de l’évêque de Rodez dans deux feuilles, datant des années 1784 et 1789. Aussi, on trouve des allusions à Colbert de Castlehill, lors de son grand vicariat dans le diocèse de Toulouse sous l’épiscopat de Loménie de Brienne, sans qu’il soit nommé. Le propos de cette communication se concentre sur l’analyse que les Nouvelles Ecclésiastiques font de la personne et de l’épiscopat de Colbert de Castlehill. À vrai dire pour les Nouvelles, l’épiscopat de l’évêque de Rodez n’est que le prolongement de celui de Loménie de Brienne. Julien Béchard étudie quelques aspects du gouvernement de Colbert de Castlehill relevés par le journal janséniste.

17Titulaire de deux masters en histoire et en droit canonique. Il a travaillé sur le curé janséniste dans les Nouvelles Ecclésiastiques et sur l’office curial dans la pensée janséniste. Actuellement, doctorant en histoire à l’Université Toulouse 2 Jean Jaurès. Il travaille sur les Assemblées du clergé au XVIII^e siècle, mises en parallèle avec les Parlements.

Le ralliement du clergé au Tiers État en juin 1789 et ses conséquences

18Guy Astoul examine l’attitude du clergé en mai juin 1789. Depuis la première réunion des États généraux, le 5 mai 1789, le premier ordre, celui du clergé, est profondément divisé sur la question du vote par ordre tandis que les tenants de la tradition encouragent la fermeté du roi sur cette question cruciale. Lorsque 19 ecclésiastiques, dont quelques évêques, ont les premiers rejoint le tiers état, le 16 juin, ils ont contribué à accélérer les événements. Dès le lendemain, tous ces députés réunis en bravant les ordres royaux décident de constituer une Assemblée nationale chargée de donner une constitution au royaume. Ce basculement a été décisif lors du serment prêté dans la salle du Jeu de paume, le 20 juin. En raison de la fermeture de cette salle, la séance du 21 juin a lieu dans l’église Saint-Louis. D’après Marmontel, on vit « s’avancer au milieu d’elle les archevêques de Bordeaux et de Vienne, l’évêque de Chartres et celui de Rodez à la tête de cent quarante-cinq députés du clergé.2 » Le mémorialiste évoque la joie et les applaudissements qui ont accompagné l’entrée des ecclésiastiques et notamment des quatre prélats cités : Jérôme-Marie Champion de Cicé, Jean-George Lefranc de Pompignan, Jean-Baptiste de Lubersac et Seignelay Colbert de Castlehill. Si ce dernier est rarement évoqué à l’occasion de cet événement, il est considéré comme un partisan des réformes et il figure aux côtés des deux archevêques qui ont joué un rôle décisif lors de la fusion des trois ordres au sein des États généraux. Ces évêques ou archevêques habitués aux contestations du bas clergé dans leurs diocèses acceptent de se rapprocher des prêtres élus du Tiers État, tels les abbés Sieyès ou Grégoire et reconnaissent la nécessité de réformes. S’éloignant du cardinal de La Rochefoucauld, furieux du ralliement massif de ses confrères, tous ces prélats contribuent à renforcer la nouvelle assemblée où viennent les rejoindre des nobles libéraux. Proche de Bailly, l’archevêque de Vienne, Jean-George Lefranc de Pompignan joue un rôle décisif, d’abord au sein du clergé, puis à l’Assemblée nationale dont il est élu président, le 3 juillet, avec 700 voix sur 793 votants.

19Si le rôle du clergé est souvent minimisé dans l’histoire de la Révolution française, il n’est pas douteux cependant qu’il s’est grandement impliqué, au printemps 1789, lorsque les États généraux se sont transformés en une Assemblée nationale appelée à devenir constituante. Il s’agit dans cette communication d’analyser à quel point ce ralliement a été déterminant dans l’évolution des événements lorsque les députés du premier ordre se sont profondément divisés, les uns entendant préserver leurs privilèges, les autres, devenus majoritaires, rejoignant le camp de la réforme et, par-là, celui de la Révolution. Pour comprendre cette rupture, Guy Astoul examine l’attitude du clergé lors des assemblées réunies, en mars 1789, pour rédiger les cahiers de doléances et élire leurs délégués aux États généraux. Les deux cahiers de doléances rédigés par les ecclésiastiques du diocèse de Rodez témoignent des tensions entre le haut et le bas clergé. Ces tensions sont liées au profond sentiment d’inégalités, au malaise des desservants de paroisses vivant modestement de la congrue alors que le haut clergé vit dans l’opulence ; elles conduisent à un divorce et se traduisent par une aspiration à de profonds changements.

20Guy Astoul a été professeur agrégé à l’IUFM de Midi-Pyrénées et chargé de cours à l’Université de Toulouse Le Mirail jusqu’en 2009. Auteur de nombreux articles sur l’enseignement et la vie rurale dans le Midi, il a publié sa thèse, Les Chemins du savoir en Quercy et Rouergue à l’époque moderne, en 1999, aux Presses Universitaires du Mirail. Pendant une quinzaine d’années, il a étudié les contestations des dîmes et des droits seigneuriaux ecclésiastiques entre Limousin et Pyrénées, à la veille de la Révolution. Ses articles et ses communications insistent sur la montée d’un anticléricalisme véhément partout où les paysans jugeaient excessives les redevances exigées.

21En participant au colloque Chrétiens contre philosophes : autour de Loménie de Brienne, en mai 2016, il a proposé une communication intitulée : « Jean-George Lefranc de Pompignan un partisan engagé des réformes politiques dans les années 1788-1789 ». Les actes de ce colloque doivent paraître prochainement.

22Administrateur de la Fédération historique de la région Occitanie et de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne, membre de l’Académie de Montauban, il préside la SMERP, la Société montalbanaise d’étude et de recherche sur le protestantisme.

La pensée sociale de Colbert de Castlehill d’après ses travaux au Comité de mendicité

23Jean-Baptiste Masméjan rappelle que Seignelay Colbert de Castlehill a constamment marqué sa préoccupation vis-à-vis du traitement de l’indigence. D’abord vicaire général à Toulouse, il a exercé cette fonction auprès de l’archevêque Loménie de Brienne. Ce dernier a présidé une commission sur la mendicité à la demande du contrôleur général des finances Turgot, qui, bien qu’éphémère, portait un projet libéral ambitieux. Devenu évêque de Rodez et président de l’assemblée provinciale de Haute-Guyenne, Colbert de Castlehill s’est attaché à fournir des secours sur le plan local par l’établissement d’ateliers de charité et en soutenant des fondations charitables. Élu député du clergé aux États généraux, c’est tout naturellement qu’il se retrouve à être membre du Comité de mendicité, qui prend forme à la fin du mois de janvier 1790, qu’il rejoint en qualité de vice-président. Cependant, il semble que ce prélat éclairé soit partagé entre les idées nouvelles en matière d’assistance et la défense des intérêts de l’Église. Si le Comité de mendicité souhaite mutualiser les secours, amorçant d’une certaine manière la solidarité nationale, l’évêque de Rodez demeure attaché à la protection des biens de l’Église et au rôle du clergé en matière d’assistance. Cette divergence doctrinale l’efface probablement au profit de l’omniprésent président du Comité, La Rochefoucauld-Liancourt. Il n’en demeure pas moins que son action au sein du Comité a été conséquente. Celle-ci s’est portée pour majeure partie sur la question hospitalière et le traitement des incurables. Ses rapports témoignent en effet d’une volonté de réformer le fonctionnement du parc hospitalier ainsi que le traitement des malades en faisant notamment prévaloir les secours à domicile.

24Jean-Baptiste Masméjan est maître de conférences en histoire du droit à Nantes Université. Spécialiste en histoire du droit social, il s’intéresse aux comités révolutionnaires, et plus spécifiquement au Comité de mendicité. Il a soutenu sa thèse en 2021 (L’assistance par le travail à l’aune du traitement de l’indigence au XVIII^e siècle : idées et institutions ‒ l’exemple lyonnais.)

Colbert et Debertier… à l’épreuve de la Révolution

25Bernard Fixes présente les réactions de deux prêtres du Rouergue au tournant de l’année 1792. Colbert était parti plein d’espoir participer aux États-Généraux après avoir été élu comme représentant du clergé du Rouergue. Son attitude devait changer lors de la mise en œuvre de la Constitution Civile du Clergé et de l’obligation du serment même si on ne connait pas exactement son évolution de la fin de l’année 1789 au printemps 1792. Colbert devait vite adopter une ligne dure telle qu’en témoignent ses mandements et lettres aux prêtres de son diocèse. Bernard Fixes précise le contexte rouergat et établit la position des prêtres placés par la Constituante devant un choix déchirant. Il est très vraisemblable que la position de leur évêque a pesé sur leurs décisions. Lourd de conséquences, le refus massif des prêtres illustre à partir de ce moment le divorce entre l’Église et la Révolution.

26Bernard Fixes est prêtre du diocèse de Rodez, titulaire d’une maîtrise d’histoire et d’une maîtrise de théologie.

« Our Countryman, the Bishop of Rodez »: Seignelay Colbert de Castlehill et la Mission d’Écosse

27Clotilde Prunier a étudié les rapports entre Colbert et la Mission d’Écosse. Après ses études au Collège des Écossais de Paris où il est arrivé en 1747, Seignelay Colbert de Castlehill ne rentre pas dans son pays natal pour y devenir prêtre : il rejoint plutôt l’Église de France, au sein de laquelle il est consacré évêque de Rodez en 1781. Contrairement à son oncle, l’Abbé Alexander Colbert, qui a noué des liens forts avec des membres influents de la communauté catholique écossaise, Seignelay Colbert ne semble pas entretenir de relations particulières avec la Mission d’Écosse avant les années 1790. Cependant, le principal du collège des Écossais de Douai, John Farquharson, est amené à faire la connaissance de l’évêque de Rodez lorsque ce dernier y envoie son jeune cousin comme pensionnaire en 1785. Au lendemain de la Révolution française, John Farquharson fait de son mieux pour mettre à l’abri le Collège dont il est responsable face aux décisions de l’Assemblée nationale, mais aussi du directoire du département du Nord. Pour parvenir à ses fins, il fait appel en 1790 à l’évêque de Rodez, alors député, mais aussi à un autre membre de l’Assemblée, Merlin de Douai, qui lui apportent tous deux leur soutien. Deux ans plus tard, l’évêque de Rodez, désormais réfractaire et destitué, est à nouveau sollicité par la Mission d’Écosse pour tenter de trouver une issue au conflit qui fait rage entre les évêques écossais et le principal du collège des Écossais à Paris, Alexander Gordon. Cette sollicitation montre l’incrédulité des interlocuteurs écossais comme celle de Colbert sans doute vis-à-vis du tournant anticatholique de la Révolution française.

28Clotilde Prunier est professeur d’histoire de la Grande-Bretagne à l’université Paris Nanterre. Elle est l’auteur d’Anti-Catholic Strategies in Eighteenth-Century Scotland (Peter Lang, 2004) et a dirigé Debating the Faith : Religion and Letter Writing in Great Britain, 1550-1800 (Springer, 2013, avec Anne Dunan-Page). Elle a publié des articles sur divers aspects de l’Écosse du XVIII^e siècle, notamment sur la perception des Highlands, sur les rôles de l’éducation dans la société écossaise et sur la controverse autour de l’abrogation des lois pénales et prépare une édition critique de sources ayant trait à la réception de la révolution française par les catholiques écossais. Ses recherches actuelles portent sur l’ensemble des réseaux européens – réseaux de correspondance, mais aussi réseaux humains – qui permirent à la Mission d’Écosse de faire face à la clandestinité tout au long du XVIII^e siècle.

La filière d’émigration Outre-Manche de l’Évêque de Rodez Colbert de Castlehill : un réseau tissé en Occitanie et en Sorbonne

29Patrick Ferté a tenté de reconstituer le réseau de relations par lequel on peut expliquer l’exil de Seignelay Colbert de Castlehill outre-Manche, que ce soit en Écosse ou à Londres. Ce réseau s’est tissé bien avant la Révolution dans quatre foyers convergents d’amitiés nouées 1) auprès de ses premiers mentors, l’évêque de Chartres, Lubersac, son témoin de moralité, et son patron et grand protecteur à Toulouse, Loménie de Brienne, et surtout dans son diocèse de Rodez depuis 1781 ; 2) auprès du cercle libéral des La Rochefoucauld, particulièrement chez la duchesse d’Enville et son neveu le duc de Liancourt, férus d’économie, adeptes de Turgot et d’Adam Smith ; 3) en Sorbonne, que ce soit par certains condisciples mais surtout par les professeurs, dont certains étaient rouergats et qu’il retrouva ensuite à Londres ; 4) ses relations britanniques ont également joué un grand rôle, du fait de son origine écossaise : mais qui l’eût cru, ces dernières qui paraissent évidentes ne semblent pas avoir été les plus prégnantes en la circonstance ; l’Irlande s’avère en effet tout aussi déterminante.

30En outre, ces quatre foyers, segmentés pour clarifier l’exposé, sont le plus souvent entremêlés : ainsi de certains réfugiés irlandais qu’il connut ou ordonna à Toulouse ou à Rodez sont devenus professeurs en Sorbonne avant de fuir en Angleterre ou à Dublin (au Collège catholique de Maynooth) ; ou de certains de ses diocésains rouergats qui ont eux-mêmes obtenu une chaire en Sorbonne et/ou une place d’aumônier ou de confesseur dans la famille royale (places envahies de longue date par la diaspora rouergate) avant de refuser le serment à la Constitution civile du clergé et de retrouver, voire précéder, leur évêque outre-Manche. Toujours est-il que ces quatre foyers qui constituent un solide réseau communient dans une même idéologie et convergent vers l’exil, londonien le plus souvent, qu’incarne par excellence Colbert en tant que prélat doublement réfractaire, anti-CCC et anti-Concordat.

31Patrick Ferté, maître de conférences émérite de l’université de Toulouse-Jean Jaurès, est membre du laboratoire Framespa-CNRS. Spécialiste de l’histoire des anciennes universités, il a consacré un premier livre à L’université de Cahors (1974), puis une thèse pionnière aux populations étudiantes de celle de Toulouse (1679-1793). Depuis, il est l’auteur d’une centaine de livres et articles de fond sur ce thème, notamment un Répertoire prosopographique des Étudiants du Midi de la France en 7 volumes (2002-2015). Co-directeur et co-auteur de l’Histoire de l’université de Toulouse en 3 tomes (2020) et d’un recueil international d’études sur Les Étudiants de l’exil, il est aussi membre du comité scientifique du groupe Héloïse qui vise à fédérer les bases de données universitaires mises en lignes par les divers laboratoires européens.

L’exil londonien : Mgr Colbert de Castlehill et les évêques français à Londres, 1791-1814

32Dominic Aidan Bellenger brosse un tableau de la situation des évêques français à Londres, de 1791 à 1814. Le groupe le plus nombreux d’évêques exilés par suite du refus de la Constitution civile du clergé résidait en Grande-Bretagne et vivait principalement à Londres. La Grande-Bretagne compte bon nombre de clercs parmi ses émigrants. Tous recevaient des pensions de l’État malgré leur catholicisme et le fait qu’ils étaient des étrangers ennemis en temps de guerre. Les évêques formaient un groupe diffus et représentaient des diocèses de toute la France, tandis que le bas clergé était principalement originaire de Normandie et de Bretagne. Ils différaient également dans leurs opinions politiques et théologiques. Leur chef de facto était La Marche, l’évêque de Saint-Pol-de-Léon, un Breton connu pour sa piété et son sens des affaires. L’aîné en grade était Arthur Dillon, archevêque de Narbonne et primat du Languedoc, qui n’était pas connu pour sa piété. Dillon, avec ses origines anglo-irlandaises, avait un statut singulier en raison de ses fortes relations britanniques, qu’il ne partageait qu’avec Colbert de Castlehill. Bellenger s’attache à montrer leurs réactions face à leur destitution de la fonction épiscopale et à la croissance d’une ecclésiologie ultramontaine revigorée. Leur Mémoire commun représente une réponse gallicane à un nouvel ordre ecclésial.

33Mais si Dillon avait la prééminence vis-à-vis de Colbert par les origines aristocratique et le rang parmi les princes de l’église, Colbert avait certainement un réseau plus serré et plus récent de contacts Outre-Manche. Ainsi sitôt arrivé en Angleterre, il n’a rien de plus pressé que de reprendre contact avec le Duc de Buccleuch auquel il est lié par une amitié de trois décennies mais aussi avec Horace Walpole qu’il a rencontré à Paris dans le salon de Mme du Deffand. C’est d’ailleurs cette connaissance de la vie parisienne du 18^e siècle qui sera mise à profit par Miss Berry dans les trois années qu’elle mit pour éditer la correspondance de Mme Du Deffand et Walpole3.

34Dominic Bellenger est Membre associé de la faculté d’histoire, Université de Cambridge. Son doctorat (1978) portait sur le clergé français exilé en Grande-Bretagne et il a publié de nombreux ouvrages sur l’émigration, dont deux livres : The French Exiled Clergy in the British Isles after 1789 (1986) et Fearless Resting Place (2015). Ses publications les plus récentes dans ce domaine sont des contributions French Emigrants, publiées en 2019, dans J. Reboul & L. Philip, ed. Revolutionised Europe et à Exiles , et "Emigres and Expatriates in Romantic-Era Paris and London" . Le premier de ces ouvrages porte sur le clergé français en Grande-Bretagne et le Concordat. Il a été moine bénédictin pendant de nombreuses années. Il est membre de la Royal Historical Society et de la Society of Antiquaries of London.

La correspondance pastorale de Mgr. Seignelay Colbert ‒ 1789-1810

35Marie-Paule Biron se penche sur la correspondance de Colbert avec ses prêtres du Rouergue. Il s’agit de la source qui permet de connaître ses réactions et ses positions face à la Révolution. Mgr. Colbert imprégné de la philosophie des Lumières était un prélat libéral. Prélat politique, il se fit élire député du clergé aux États généraux et quitta définitivement Rodez en mars 1789. Il resta cependant toujours présent à son diocèse par une correspondance avec ses vicaires généraux dans les moments critiques de leur engagement. Il manifestait son euphorie lors des premières réformes auxquelles il participa. Elle s’est rapidement transformée en doute lorsque la Constituante s’est attaquée aux réformes religieuses qui, en balayant les fondements de la société, éliminait par là même, l’équilibre qui existait entre elle et l’Église. Mgr Colbert qui, en tant que gallican, avait si bien joué de l’équilibre des pouvoirs entre la royauté et le pape, avouait être complètement désorienté avant de comprendre qu’il fallait désormais admettre une séparation des pouvoirs pour lutter contre la Constitution civile du clergé et les nombreux serments qui lui furent par la suite associés, afin de permettre à l’Église de retrouver l’exercice de sa liberté et de ses droits. Avec le Concordat Mgr. Colbert se trouvait face à deux protagonistes qui mettaient à mal son principe de séparation des pouvoirs. S’il cherchait à combattre ouvertement Bonaparte qui voulait domestiquer l’Église par le Concordat, il souhaitait par le dialogue, et avec le soutien de ses confrères gallicans exilés à Londres, faire reconnaître au pape que, sous la pression de la puissance temporelle, il avait exercé un pouvoir que ne lui donnait pas l’Église de destituer les évêques. Devant son échec politique face à Bonaparte et le refus de se faire entendre du pape, Mgr. Seignelay se replia sur la « Petite Église » dont il ne partageait pas forcément les idées.

36Marie Paule Biron a soutenu une thèse d’histoire, Les messes clandestines en France pendant la Révolution en 1987 sous la direction de Jean Tulard. Elle est membre de la Société des Lettres Sciences et Arts de l’Aveyron. Elle a notamment publié « Les messes clandestines en Rouergue pendant la Révolution » – « Aux origines du schisme de la Petite Église en Rouergue. ‒ L’épiscopat de Mgr. De Ramond Lalande sous le signe de la Restauration. » Colloque de Chantilly 1984 « La résistance des laïcs à travers les messes « blanches » et le « culte laïcal » Rencontre d’Histoire Religieuse et d’Histoire des Idées Fontevraud 1989, « Les moralistes chrétiens de la fin du XVIII^e siècle et la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 ». Colloque de l’UNESCO 1996 (pour le 8^e centenaire de Ste Claire) « Les clarisses à l’époque révolutionnaire ».

Colbert de Castlehill, Raynal et l’Assemblée provinciale de Haute-Guyenne. L’évêque et l’abbé, des idées de réformes au choc des idées

37Gilles Bancarel s’intéresse à la gouvernance de l’Assemblée provinciale de Haute Guyenne et à l’initiative de l’abbé Raynal en faveur de cette institution naissante. Mgr Colbert prend part de manière active à la mise en valeur de son diocèse en présidant les travaux de l’Assemblée Provinciale initiée par son prédécesseur Champion de Cicé. Cette institution novatrice de l’Ancien régime, à l’initiative de Louis XVI et de ses ministres, qui mettait en pratique les idées de décentralisation à la veille de 1789, disparaitra avec ses instigateurs lors de l’arrivée du nouveau régime. L’abbé Raynal est en relation avec Mgr Colbert, à l’occasion du prix qu’il fonde pour encourager l’action de l’Assemblée provinciale. Il sera ainsi le premier bienfaiteur de cette institution éphémère qui paradoxalement, disparaitra avec l’avènement d’une Révolution qu’il avait appelé de ses vœux. G. Bancarel peut ainsi étudier sous ce regard croisé l’évolution et le devenir de cette institution, à la lumière des initiatives menées en sa faveur par Mgr Colbert et par l’abbé Raynal.

38Gilles Bancarel est docteur ès-lettres, auteur de nombreux travaux consacrés à l’Histoire des deux Indes et à l’abbé Raynal (1713-1796) historien philosophe précurseur de la lutte contre l’esclavage. https://www.crlv.org/users/bancarel . Il est membre de la Société des Lettres Sciences et Arts de l’Aveyron, de la Société Archéologique, Scientifique et Littéraire de Béziers, membre correspondant de l’Académie de Montpellier, Membre correspondant de l’Académie de Marseille. Il est président de la Société d’Étude Guillaume-Thomas Raynal www.abbe-raynal.org à l’origine de la mise en œuvre des manifestations consacrées à Raynal lors de son bicentenaire en 1996 et de son tricentenaire en 2013, placées sous le patronage de l’UNESO. Il prépare une édition de la correspondance de l’abbé Raynal et une histoire de l’Académie royale des sciences et belles lettres de Béziers.

Comparaison entre l’évêque de Rodez, S. Colbert de Castlehill, figure ignorée des historiens et l’abbé Sieyès, icône de la Révolution

39Deux ecclésiastiques, membres du Haut Clergé ou initiés à son administration, s’engagent dans la Révolution en 1789 : Seignelay Colbert de Castlehill, ancien grand vicaire de l’archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne, puis évêque de Rodez ; l’abbé Sieyès (1748-1836), grand vicaire de Lubersac, l’évêque de Chartres, auteur en 1788-1789 du célèbre Qu’est-ce que le Tiers État ? Ils participent aux États provinciaux, de leur région, respectivement la Haute Guyenne et l’Orléanais. Ils se sont rencontrés à Versailles le 22 juin 1789 peu avant la transformation des États Généraux en Assemblée nationale. Ce même jour, l’évêque Colbert de Castlehill se rallie au Tiers. Sieyès bien qu’appartenant au Clergé, est élu in extremis député du Tiers de Paris, cas rare pour un religieux. Devenus l’un et l’autre députés à la Constituante, tous les deux, bien que leurs arguments diffèrent, défendent la dîme, cet impôt honni payé au Clergé, et avec quels arguments. Ils ont en commun une conception abstraite et géométrique sur le découpage administratif du royaume : Ils veulent rationaliser l’administration du pays au titre d’une meilleur communication entre administrateurs et administrés, sans tenir compte de la singularité des terrains et des paysages. Cette conception liée aux Lumières n’était pas partagée par tous les Constituants, loin s’en faut. Ils développèrent et adhérèrent chacun à une philosophie du droit naturel qui parfois s’entrecroise, avec, à la clé, l’idée du bonheur des sociétés civiles et politiques.

40Les treize années qui séparent Colbert de Sieyès son cadet, le fait que Colbert n’ait pas prolongé son séjour en France et sa participation à la révolution, expliquent leur différence dans la mise en œuvre du droit naturel. Colbert a choisi la religion et Sieyès l’art de gouverner auquel il a été enjoint par les événements.

41Colbert était un homme des Lumières, comme Sieyès dont l’action constitue un trait d’union entre les idées d’émancipation et leur application révolutionnaire.

42Christine Fauré est sociologue et historienne des idées politiques. Elle est l’éditrice de : Les Déclarations des droits de l’homme de 1789, Payot/poche en 1988-1992 ; Les Manuscrits de l’abbé Sieyès, Champion, 1999 et 2007 ; la Nouvelle Encyclopédie politique et historique des femmes, Belles-Lettres 2010 (en anglais chez Routledge et en espagnol chez Akal), Elle est l’auteur de La démocratie sans les femmes, PUF, 1985 (en anglais chez Indiana University Press) ; Ce que déclarer des droits veut dire : histoires, PUF et Belles Lettres, 1997-2011, prix de l’Académie des Sciences morales et politiques ; Mai 68 jour et nuit, Découvertes / Gallimard, 1998-2008-2018 ; Les néo-conservateurs à la française, Milan, Mimesis, 2015. Derniers articles parus : Les Temps Modernes (2018) : « Hannah Arendt, la démocratie directe et mai 68 » ; « Qu’est-ce qui fait constitution pour Hannah Arendt », in Hannah Arendt, la révolution et les droits de l’homme, Kimé, 2019. Dernier ouvrage publié : Ces idées qui ont fait le Mouvement de Libération des Femmes, XVIII^e XXI^e siècles, Paris : Chryseis Éditions, 2022.

Loménie de Brienne, Barère et Colbert de Castlehill, ou comment le patriotisme est une affaire toulousaine

43Maïté Bouyssy s’intéresse à Bertrand Barère. Né à Tarbes en 1755, il est devenu avocat au Parlement en 1775. Sa contribution s’en tient aux indices que Bertrand Barère laisse transparaître dans les éloges académiques de sa période toulousaine. C’est là que s’est forgée sa notion de Patrie, notion clé pour sa future pratique de rapporteur du Comité de salut public de l’an II quand il produisait ses célèbres Carmagnoles. Sous l’égide des deux grands prélats, Loménie de Brienne et Castlehill, Barère tenta de se situer dans des cercles qui le sortiraient de l’anonymat de la basoche.

44Et l’on découvre à quel point non seulement le comité Philanthropie de la loge l’Encyclopédique réunit toutes les forces vives et jeunes de la ville de Toulouse pour mettre sur pied une administration locale ou du moins sa pensée et comment La Conférence de charité mit concrètement sur pied un système de défense des innocents incapables de payer les frais de justice. Barère en quête d’une position ne s’en situa que mieux, en sus de ses audaces propres (contre la vénalité des charges) et de son sens de l’autorité de l’État garant de la tolérance religieuse. La conjoncture courte lui faisait choisir différentes images du souverain débonnaire et du conseiller du prince averti, mais il puisa nombre de points dans le travail très remarquable de l’assemblée provinciale de Haute-Guyenne qui se tenait à Villefranche-de-Rouergue sous l’autorité de Castlehill. La recherche d’un despotisme éclairé soucieux de prendre en compte des urgences sociales s’y affirma en particulier devant la misère qui engendre le vagabondage et la désertification des campagnes. On en formula des principes qui excédaient de beaucoup le souci de former des sages-femmes ou de recueillir les vieux prêtres nécessiteux.

45Le jeu des références et des dédicataires des éloges académiques de Barère, les lieux d’où il parle montrent discrètement ce qu’il leur doit. Entre 1782 et 1789 au fil d’éloge de « grands hommes » notion alors émergente de modèles et la pensée de la loi forgèrent concrètement une des dimensions de la notion de "national" et de « patrie ». Des courants de pensée turgotins et des lumières catholiques se retrouvèrent pris en charge par la Constituante particulièrement devant l’urgence qui fit immédiatement créer le comité de subsistance puis les secours promis aux plus démunis sous l’égide de La Rochefoucauld-Liancourt dont un des premiers rédacteurs fut Bertrand Barère.

46Marie Thérèse Bouyssy a soutenu en 1992 une thèse Trente ans après, Bertrand Barère ou le rhétorique du Ténare, et produit une trentaine d’articles sur Bertrand Barère, l’habituel rapporteur du Comité de salut public en l’an II. Spécialiste de l’histoire culturelle du politique au XIX^e siècle, elle a dirigé aux Publications de la Sorbonne un Vincenzo Cuoco, Des origines politiques du XIX^e siècle et publié en 2012 L’urgence, l’horreur, la démocratie, essai sur le moment frénétique français, 1824-1834, et en 2016 Une histoire culturelle de la Révolution, le Salon imaginaire de Bertand Barère.

Épilogue : Farewell to Colbert

47Avec la publication de ce livre, Andrew Moore voit se réaliser un souhait qui lui tient à cœur depuis près de 40 ans. Un opus entièrement dédié à Mgr Colbert. Dans ce qui sonne comme une lettre d’adieu, il célèbre l’extraordinaire carrière de l’homme, et souligne en particulier les dualités qui, selon lui, sont au cœur de toute sa vie et en ont déterminé le cours : Écossais et Français, protestant et catholique, Cuthbert et Colbert, roturier et noble. Ces dualités lui ont permis des libertés et une flexibilité dont ne disposait pas le reste de l’épiscopat français. Sans vocation, mais bien informé des courants de son temps, il progresse dans l’église française grâce à son intelligence, son talent, son charme et sa capacité de travail. Il a également pu revenir en Grande-Bretagne sans encombre et devenir une épine dans le pied de son credo d’adoption. Il reste beaucoup à dire et à découvrir sur cet homme remarquable, et il mérite amplement une biographie complète.

48Andrew Moore, Britannique né en 1950 à Neuilly-sur-Seine, fait toute sa scolarité en France, jusqu’au bac (1968). Après avoir travaillé comme œnologue, entrepreneur, consultant et autres en France et en Angleterre, il étudie l’histoire (1985-1989) à l’université de Bristol, et en particulier la Révolution Française, sous l’égide du Professeur William Doyle, auteur de nombreux livres sur la période. C’est là qu’il rédige une « dissertation » ; « Seignelay Colbert de Castlehill pendant les années pré-révolutionnaires » sous-titrée « un évêque de l’ancien régime ». Alain Alcouffe a pu obtenir une copie de ce document, et a invité Andrew Moore à s’associer à la préparation de la conférence sur l’évêque et en particulier à créer et gérer le site web « colbertdecastlehill.com » ainsi que la timeline qu’il contient. Moore a conservé pendant 35 ans les documents qu’il avait découvert pendant ses recherches, et ceux-ci sont en passe d’être versés aux "Highland Archives" à Inverness. Professeur de Français retraité, il partage son temps entre le Somerset et le Cotentin.