Adam Smith et les états de Languedoc

4L’intérêt manifesté par Smith pour les états de Languedoc invite à s’interroger : quelle connaissance en avait-il ? Il ne méconnaissait probablement pas leur composition, la régularité des assemblées annuelles, la répartition de l’impôt fondée sur des tarifs scrupuleusement observés, ainsi que leur renommée solidement établie en matière de travaux publics.

5Dans quelle mesure était-il au fait des développements de « l’affaire du Vingtième », un impôt de 5 % sur tous les revenus institués en 1749 par le contrôleur général Machault d’Arnouville ? Les états s’étaient vigoureusement élevés contre lui au motif qu’établi autoritairement en pleine paix il bafouait leur privilège du « consentement à l’impôt ». Les parlements s’étaient également émus : l’absence préalable d’enregistrement entachait à leurs yeux sa légalité. L’affrontement soulevait la question de la légitimité de l’impôt et, plus largement, celle de la capacité à réformer l’État. Quel meilleur observatoire que Toulouse pour étudier au plus près le fonctionnement des institutions et les relations entre l’État, les états et les parlements ? Encore en route, Smith ne put cependant pas suivre les derniers rebondissements du conflit qui venait de s’envenimer à Toulouse jusqu’au décret de corps à l’encontre du commandant en chef de la province, le duc de Fitz-James, pris par le parlement le neuf décembre 17634.

6Pour l’heure, une fois installé, Smith disposait d’un moyen rapide pour s’informer sur l’assemblée provinciale : lire les procès-verbaux rédigés à l’issue de ses sessions. Un exemplaire au moins de chacun d’eux était envoyé à titre d’information dans les diocèses. Une collection quasi exhaustive existait à Toulouse5. Ils constituaient la meilleure approche possible pour son regard acéré. Un point n’aurait pas manqué d’attirer son attention : l’importance prise par les travaux publics devenus l’objet principal des délibérations depuis le milieu du siècle. Lors de l’assemblée tenue avant qu’il n’arrive, huit rapports mobilisèrent chacun une journée entière des délibérations. Ils concernaient les travaux entrepris par les assiettes diocésaines, essentiellement l’amélioration des routes, la régularisation des fleuves et des rivières et la construction des ponts6. Contrairement à l’idée reçue, à laquelle a beaucoup contribué Arthur Young avec ses Voyages en France où il s’émerveille à la veille de la Révolution de la magnificence des routes en Languedoc qu’il attribue à l’État – ici les états – et au prélèvement fiscal7, ce ne sont pas le pouvoir royal ou l’assemblée provinciale qui en sont les uniques architectes omnipotents. L’initiative vient principalement des diocèses. Les états encadrent et contrôlent plus qu’ils n’inspirent.

7Quand Smith put-il éventuellement avoir accès au procès-verbal des délibérations de l’assemblée encore en cours ? Loménie de Brienne venait d’y assister pour la première fois. D’emblée il occupa une place éminente. C’est lui qui prit la parole après les demandes fiscales présentées par les commissaires du roi. Face à la nécessité où se trouvait l’État, il mit l’accent sur le poids disproportionné des vingtièmes dont les commissaires demandaient le renouvellement par rapport aux facultés réelles des redevables mais se garda d’élever la voix contre les exigences royales. Les états se prononcèrent à l’unanimité pour leur prolongation. Peu après, Brienne lut un long rapport sur un projet visant à rationaliser l’étape, le service dédié au déplacement, au logement et à l’entretien des troupes dans le royaume, lourd pour les communautés placées sur le « chemin de l’étape ». L’occasion pour lui d’insister fortement sur les principes qui l’inspiraient : « la convenance de ne s’écarter jamais, autant que possible, des véritables principes de l’administration des états, tels que : la solidarité de tous les membres du corps politique ; l’harmonie qui doit subsister entre eux pour se secourir mutuellement ; l’équilibre enfin que doit mettre entre toutes les parties la contribution en général à toute dépense… ».

8Ces interventions, effectuées en début de session, ont-elles été confiées au nouveau venu par son prédécesseur sur le siège de Toulouse, Monseigneur Dillon, porté sur le siège de Narbonne en 1762 qui lui conférait la présidence de l’assemblée provinciale, afin de l’imposer et de bien marquer qu’il serait un fidèle défenseur des états et de leurs principes d’administration ? Il y a tout lieu de le penser. Si Smith poussa plus avant sa lecture du procès-verbal il ne manqua pas de remarquer les jugements rendus sur les impositions des assiettes diocésaines, dont celle de Toulouse8, et percevoir le contrôle étroit exercé par l’assemblée sur l’ensemble des assiettes de la province.

9On le voit, il n’était pas difficile à Adam Smith, une fois installé à Toulouse, d’accéder à des informations de première main sur les états de Languedoc, de saisir finement l’architecture institutionnelle et territoriale de la province et la place tenue par les assiettes diocésaines. Smith disposait d’un exemple à observer sur place, d’un correspondant privilégié, moins Colbert de Castlehill, fraichement arrivé que le syndic Montcabrié, en place depuis plusieurs années. Eut-il le désir de s’intéresser d’aussi près à l’assemblée de l’assiette, tenue en principe dans le mois qui suivait celle des états à Montpellier ? Nul doute qu’il n’ait eu vent de son ouverture – elle eut lieu le 20 mai 17649. Une occasion pour lui de se familiariser avec un caractère des institutions du royaume : sous une uniformité de surface une diversité en raison de la survivance de particularismes locaux puisque diocèses religieux et diocèses civils ne coïncidaient pas forcément et un nombre inégal de communauté jouissait du « droit d’entrée », c’est-à-dire disposait d’une voix délibérative10. Le diocèse civil de Toulouse constituait un exemple singulier. Toulouse et son « gardiage » – sa proche banlieue formée de quinze paroisses – n’en faisaient pas partie. Cette situation, unique en Languedoc, provenait de privilèges fiscaux obtenus anciennement par la ville. Celle-ci contribuait moins que les autres communautés du diocèse. Aussi était-elle considérée sur le plan financier comme un district séparé relevant directement des états11. Onze villes « maîtresses » seulement sur deux-cent-quatorze communautés envoyaient des représentants à l’assiette. Celle-ci se réunissait initialement dans chacune d’entre elles, par tour. Depuis 1644 les assemblées se tenaient à Toulouse.

10Cette assiette, en raison du privilège toulousain, faisait pâle figure. Pour preuve, le cérémonial suivi lors de son ouverture, codifié par les états par un règlement du 30 janvier 1725 (art. V-VIII)12. En principe, la veille du jour retenu, les consuls de la ville où elle allait se tenir devaient rendre visite au commissaire principal représentant les états, à l’évêque ou à un de ses vicaires généraux si celui-ci ne pouvait être présent et au baron du diocèse. Le lendemain, ces consuls allaient chercher le commissaire principal et le conduisaient au palais épiscopal où les attendaient les députés jouissant du droit d’entrée. En procession, le cortège se rendait à l’église choisie pour célébrer la messe du Saint-Esprit, puis revenait à l’hôtel de ville avec, dans la salle où l’assemblée se tiendrait, une place et un type de siège assignés aux participants selon leur qualité. Ce cérémonial, inspiré de celui de l’ouverture des états13 et la déambulation des cortèges dans les rues des villes capitales constituaient une occasion privilégiée de rendre plus manifeste localement la puissance de l’assemblée provinciale.

11À Toulouse, le cérémonial était beaucoup plus simple. Les capitouls et les parlementaires n’y paraissaient pas. Il n’y avait ni visites au commissaire principal, à l’archevêque et au baron, ni déambulations en ville. Tout se déroulait dans l’enceinte du palais archiépiscopal. Ainsi l’exemple de l’année 1775 où Colbert de Castelhill la présida pour la première fois. Le 22 mai au matin, les participants, « avant de procéder à aucune affaire », se rendirent dans la chapelle du palais, les officiers du diocèse en tête, pour écouter la messe du Saint-Esprit célébrée par un aumônier de l’archevêque. Le vicaire général se plaça sur un prie-Dieu vis-à-vis de l’autel ; à sa droite, sur un autre prie-Dieu le commissaire principal, à sa gauche le baron de Saint-Félix. Les députés des villes maîtresses s’assirent sur des bancs. La prière pour le roi dite, l’assiette revint dans une salle du palais où se trouvait un bureau couvert d’un tapis bleu. Colbert prit place à sa tête sur un des trois fauteuils qui s’y trouvaient – les deux autres occupés par le commissaire principal et le baron – ; les députés des villes maîtresses s’assirent de part et d’autre du bureau sur des bancs à dossier, les officiers du diocèse se placèrent à l’extrémité du bureau en face du président14.

12Détails… ? On retrouve ce cérémonial, plus circonstancié encore, dans tous les procès-verbaux des assemblées d’assiette comme si leur validité dépendait du respect du règlement de 1725. Ces procès-verbaux, dans la seconde moitié du XVIII^e siècle, suivent un modèle : après les cérémonies d’ouverture, la lecture des règlements, l’examen des comptes du receveur diocésain, l’exposé par le syndic des affaires en cours et des projets à soumettre aux états, avec pour les travaux publics projetés les devis et les emprunts à réaliser. Cette conformité répondait au respect de directives émises par l’assemblée provinciale commandées par un souci d’efficacité, les procès-verbaux devant être examinés par la commission des états dédiée à cet effet.

13Longs partout de plusieurs dizaines de pages au cours de la seconde moitié du XVIII^e siècle, ils interrogent15. Les assemblées diocésaines duraient une journée seulement contre deux à trois encore dans le premier quart du siècle. En un seul jour, une fois écoulé le temps passé aux cérémonies et aux déambulations, était-il possible de procéder à l’ensemble des opérations mentionnées ?16. Elles étaient moins des instances délibératives que des sessions d’information. Cela ne déprécie pas forcément leur fonction ni leur importance.

Dans le sillage de Loménie de Brienne

14On vient de l’indiquer, l’abbé Colbert préside pour la première fois en 1775 l’assemblée de l’assiette diocésaine. Cette distinction marque une étape importante de sa carrière. Jusque-là celle-ci demeure malaisée à documenter. Il faut revenir à ses débuts à Toulouse, peut-être même à ceux de son protecteur. Brienne prit possession du siège archiépiscopal le 16 avril 1763. Le premier acte des vicaires généraux s’intitulant de Monseigneur de Brienne est du 1^er mai 176317. Le nouvel archevêque arriva à Toulouse le 19 août suivant18. Seignelay Colbert l’accompagnait. Les lettres de vicaire général que lui accorda le prélat, où il est qualifié de prêtre de Moray en Écosse, sont du 19 janvier 1764. Le lien avec le voyage de Smith à Toulouse est évident.

15On ne sait comment il fut reçu par les autres grands vicaires déjà en place. Les évêques en entretenaient de six à huit en moyenne, et jusqu’à dix comme Dillon à Narbonne19. Devenir grand vicaire constituait un passage quasi obligé pour les cadets de famille prétendant à l’épiscopat. Il fallait pour cela être remarqué ou recommandé, le choix revenant aux prélats, d’où l’importance des réseaux de relations, de la position des impétrants eux-mêmes et de l’influence de leurs protecteurs. Affaire de capital personnel, d’occasions, voire de chance. La première peut-être, pour Colbert, qu’il sut bonifier : la voie parisienne par le biais d’un de ses oncles, déjà émigré en France, auquel il fut confié à la mort de son père. Celui-ci le fit entrer au collège des Écossais où il resta quatre années, puis au collège d’Harcourt. Là il fit preuve d’excellentes dispositions intellectuelles, fut nommé deux années de suite au concours général organisé entre les collèges parisiens et remporta même le prix d’honneur en 1754. Ces succès gratifiants le firent remarquer par les anciens élèves du collège, dont Loménie de Brienne qui y avait été répétiteur. Brienne connaissait donc ses capacités de longue date 20.

16La carrière ecclésiastique s’imposa-t-elle à lui dès ce moment ? Il n’est ordonné prêtre qu’en 176221. Entre temps, même s’il fit son droit à Reims, Colbert fréquenta les salons parisiens où ses origines ne constituait pas la moindre des qualités pour se faire apprécier des cercles lettrés, alors très anglophiles. Il noua des relations très solides avec les salonnières les plus en vue comme madame de Rochefort ou madame du Deffand, parente éloignée de Brienne. Durant cette période on ne sait rien sur les moyens de subsistance du jeune écossais sans fortune.

17À près de vingt-sept ans il saute le pas, entre dans les ordres. Sa nomination comme vicaire général suit de près. Le projet d’Adam Smith fait figure pour lui d’une opportunité inespérée. Les circonstances s’y prêtaient. Dès l’arrivée de Hume à Paris à l’automne 1763 comme secrétaire de l’ambassade de Grande-Bretagne, Colbert s’était immédiatement rapproché de lui, à l’instar de l’archevêque de Toulouse. Avait-il eu déjà l’occasion de correspondre avec lui ou la qualité de compatriote – Colbert n’avait pas été encore naturalisé – opéra-t-elle comme un sésame ? On a noté la familiarité de ton de leurs échanges épistolaires où ils se qualifient de « cher cousin »22.

18Seignelay Colbert devenait l’homme de la situation pour servir de guide au professeur. Brienne savait probablement une autre particularité de l’abbé. Il conservait des relations avec les élites aristocratiques écossaises restées fidèles à leurs sympathies jacobites et avait pu connaître la franc-maçonnerie par son père ou par un de ses oncles23. Or celle-ci était bien implantée à Toulouse depuis la première loge fondée en 1741 par l’irlandais Richard de Barnewall. Ne comptait-on pas en ville en 1765 une dizaine de loges « bleues », une franc-maçonnerie « rouge » de chapitre « écossais », et nombre de « filles » et d’ateliers dans toute la région ?24.

19Brienne disposait déjà de plusieurs vicaires généraux. Parmi eux Barthélemy Chaumont de La Galaizière, le premier probablement qu’il se soit attaché. Il avait eu l’occasion de le rencontrer à Rome en 1759. C’était le fils du chancelier de Lorraine durant le règne de Stanislas Leszczynski – de 1737 à 1758 – et de la sœur du futur contrôleur général de finances Orry. Porté sur le siège de Condom l’année suivante, Loménie de Brienne lui offrit d’être un de ses grands vicaires puis, trois ans plus tard, le fit suivre à Toulouse. Plus jeune de deux ans que Seignelay Colbert, La Galaizière jouissait par rapport à lui d’une antériorité dans le vicariat général. Il pouvait se prévaloir d’une bonne expérience déjà. Ses relations auprès de la Cour et de l’administration étaient également d’une autre envergure, ce qui n’était pas sans intérêt pour Loménie de Brienne25.

20Celui-ci n’hésita pas à l’employer dans des circonstances délicates. Ainsi, quand le Parlement de Toulouse décréta le duc de Fitz-James de prise de corps. L’arrêt fut rendu le 15 décembre, un samedi. Loménie se rendit chez le duc le lendemain, accompagné de son grand vicaire. Le jeune abbé présenta une lettre au commandant en chef sans indiquer d’où elle provenait. Reconnaissant l’écriture du procureur général du Roi au Parlement – Jean-Gabriel Amable de  Bonrepos –, Fitz-James, pressentant son contenu, refusa de l’accepter et de l’ouvrir26. La mauvaise manière faite au duc quelques mois à peine après son arrivée à Toulouse dit beaucoup sur la scène toulousaine à la fin de l’année 1763, sur l’attitude ambiguë de l’archevêque, sur sa connivence avec Riquet de Bonrepos, et sur l’étroitesse de ses relations avec son vicaire général – son homme de confiance ou son âme damnée comme il se susurrait à Toulouse.

21Aussi n’est-il pas surprenant qu’il lui ait confié le soin des affaires diocésaines. Contrairement à ses prédécesseurs, Brienne ne vint jamais présider l’assemblée annuelle de l’assiette27. Non qu’il se désintéressât des affaires temporelles de son diocèse. Il présida en effet à plusieurs reprises des réunions des commissaires ordinaires de l’assiette – le syndic, des députés des communautés, le baron ou son envoyé – chargés entre les assemblées d’examiner l’avancement des travaux en cours, les demandes des communautés, ou d’autoriser le syndic à emprunter. Il multipliait les réunions lorsqu’il se trouvait à Toulouse, généralement au mois d’octobre28. Au début de son épiscopat il laissa les affaires du diocèse aux mains de vicaires généraux restés sur place. Il les confia à partir de 1765 à l’abbé de La Galaizière. Celui-ci présida l’assemblée annuelle de l’assiette sans discontinuer jusqu’en 1774. Il fut moins présent aux réunions des commissaires ordinaires, remplacé par d’autres vicaires généraux, ce qui ne l’empêcha pas d’être très actif, allant sur le terrain quand il en était besoin en compagnie de l’ingénieur des travaux publics attaché au diocèse et du syndic afin d’examiner les ouvrages en cours d’exécution sur les ponts ou les rivières29.

22Chaumont de La Galaizière quitte Toulouse en 1774. Au mois de février il venait d’être désigné par le roi Louis XV pour occuper l’évêché de Saint-Dié. Cette nomination éclaircissait l’horizon de Colbert. À l’évidence, il avait eu du mal depuis dix ans à se faire une place. La lettre écrite à son « cher cousin » Hume quand Adam Smith arrive à Toulouse montre qu’il pressentait sa future condition, loin des mondanités parisiennes :

« Me voilà ici, cher cousin, occupé moins agréablement que lorsque j’agis avec les belles dames de Paris, mais ce temps pourrait encore revenir il faudra passer celui-ci à présent. »30

23Pour l’instant, il n’eut guère comme emploi que d’accompagner Smith. Il est en sa compagnie à Bordeaux, à Montpellier durant la session des états, et sera à Paris au début 1766 lorsque le professeur, sur le chemin du retour, y fera étape. Occasion pour Colbert de retrouver les « belles dames » et les délices des salons, celui de madame de Rochefort notamment31. Pour lui, la mission auprès de Smith ne constitua pas une rupture radicale avec sa vie antérieure. Il demeura de longs mois hors de Toulouse, fréquenta des compatriotes et put durant plusieurs semaines se trouver en bonne compagnie, rencontrer et échanger avec Madame de Gacé, Walpole, les ducs de Saint Pierre et de Saint Simon, Mirabeau, etc.

24Jusque-là, Colbert n’avait guère eu l’occasion de se faire connaître à Toulouse. Il y restait largement étranger. Il n’était pas naturalisé et ses moyens d’existence restaient précaires. Sans statut bien défini, les vicaires généraux ne jouissaient pas d’une rétribution assurée. Celle-ci dépendait de leur protecteur, au mieux un bénéfice que celui-ci avait à sa disposition. L’insertion de Colbert fut lente. Il n’obtint ses lettres de naturalité qu’au mois d’avril 176732. Au mois de novembre de la même année, il devint abbé de l’abbaye cistercienne de Val Richer dans le Calvados. L’année suivante il maria Paul d’Avessans de Saint-Rome à Gabrielle de Riquet de Lagarde, fille de Riquet de Bonrepos33. Pour la première fois en 1769 – la seule avant 1775 – il signe le procès-verbal d’une réunion des commissaires ordinaires de l’assiette diocésaine34.

25Dans une lettre au ton désenchanté adressée au duc de Buccleuch en 1770, Colbert expose sans fard sa situation :

« Je suis toujours à Toulouse dans les mêmes occupations, dans le même habit, dans la même chambre où vous m’avez vu, aussi gros que j’étais, ayant le même visage que j’avais. Je travaille à gouverner un grand diocèse pour un autre afin qu’on me donne un petit à gouverner pour mon compte. Le roi en attendant m’a donné une petite abbaye de deux cents louis de rente pour m’empêcher de mourir de faim. Si l’on me fait évêque, Milord, je vous inviterai à mon sacre et je lèverai souvent mes mains épiscopales au ciel pour votre bonheur. »35

26Colbert s’efforçait de nouer des relations à Toulouse, mais, les années passant, entièrement tendu vers l’épiscopat, commençait-il à perdre espoir ? Il « travaillait à gouverner un grand diocèse » avance-t-il. De quelle manière ? On ne l’aperçoit pas. La Galaizière tenait le premier rôle et n’entendait pas céder sa place. À l’évidence, la position de dépendance où il se trouvait lui pesait. Quant à l’abbaye dont il était devenu abbé commendataire, elle lui apportait plus de désagréments que de revenus. Décadente, elle ne comptait plus que six moines. Les revenus de l’abbaye avaient fondu. Les moines ne reçurent pas le nouvel abbé avec plaisir. Les comptes étaient embrouillés. Les religieux se montrèrent « difficiles ». Il y eut procès. Répugnant aux voies judiciaires, Colbert refusa de prolonger le contentieux, marqua au directeur général des économats de Lisieux à la fin de l’année 1768 qu’il préférait sacrifier ses intérêts que d’entreprendre un autre procès36. Moins d’un mois plus tard il lui annonça : « je ne me mêlerai plus de donner aucun ordre pour les affaires de mon abbaye ». Désormais il laisserait sa gestion à son oncle Alexandre Colbert37. C’est à ce moment-là que l’ancien étudiant en droit composa Éléments du droit de la nature et de la morale naturelle publié à Bâle sans imprimatur sous le patronyme « Baron de C** ». Un exercice destiné à surmonter les insatisfactions du quotidien ?

27Sans espérance à Toulouse tant que La Galaizière y serait, Colbert n’eut guère d’autre alternative que d’être au service de Brienne. Dans un mouvement d’humeur il avait déclaré ne plus vouloir s’occuper des affaires de Val Richer. Il n’en fut rien. Il entretint une correspondance assidue avec le sieur Boudard, directeur des économats de Lisieux. Utile correspondance, moins pour les détails qu’elle comporte que pour les lieux d’où écrit Colbert, ce qui nous permet de suivre ses pérégrinations. Au début de l’année 1771, il est à Montpellier pour la session des états de Languedoc. Durant le mois de mars il séjourne à Narbonne en compagnie de Brienne. Le 6 avril, il écrit de l’abbaye du Parc aux Dames38, le 7 juin depuis Massy39. Au mois d’octobre il est à Paris, rue d’Anjou, chez l’archevêque. Il y reste jusqu’à fin novembre où il projette de visiter son abbaye, mais doit renoncer car il « ne peut faire de projet fixe »40. L’année suivante il réside presque en permanence à Paris, toujours encombré par les affaires de son abbaye. C’est là qu’il sera le plus souvent jusqu’en 1774, sauf durant quelques semaines l’été passées dans le château de la Chapelle appartenant à la famille du contrôleur général Orry, près de Nogent-sur-Seine, ou dans celui de Brienne. Apparemment, il n’accompagne pas l’archevêque quand celui-ci vient à Toulouse en 1772 et 1773.

28À la fin 1773, dans une lettre au directeur des économats de Lisieux, Colbert commence à évoquer son retour vers le Midi. Celui-ci tarde à se concrétiser. Il est différé au mois de février suivant41. Fin septembre seulement, depuis Sainte Assise, il se fait plus précis avec la présidente Du Bourg avec laquelle il n’avait cessé de correspondre42. Début novembre il n’était encore qu’à Montereau mais annonçait sa présence le mois suivant à Montpellier pour la session annuelle des états43. Retour lent à se dessiner, embarrassé de soucis d’argent. Il presse à plusieurs reprises le sieur Boudard de lui en envoyer.

29On l’aperçoit, l’incertitude transpire de la correspondance de Colbert. À Toulouse, cependant, La Galaizière, moins assidu depuis l’automne 1773, se faisait suppléer aux réunions des commissaires ordinaires de l’assiette par d’autres collègues, notamment Charles-Antoine-François de Beaumont d’Autichamp dont il était très proche44. Depuis l’été 1774 également une épizootie – la peste bovine – partie de la Turquie d’Europe en 1769, active en Flandre et dans les provinces du nord de la France les années suivantes, sévissait en Béarn, en Gascogne, dans la Guyenne méridionale, et se rapprochait dangereusement du Languedoc45.

De la dépendance aux responsabilités

30Dès la première quinzaine du mois de novembre l’intendant de Languedoc Saint-Priest, reprenant les dispositions de l’arrêt du Conseil du 31 janvier 1771 destiné aux provinces du nord touchées précédemment, avait rendu des ordonnances afin de préserver le Languedoc du fléau. Il préconisait de limiter la circulation du bétail, de signaler les cas suspects aux magistrats municipaux, d’abattre les animaux malades et de désinfecter les étables contaminées. Il demandait à ses subdélégués de se concerter avec les syndics diocésains. Le 15 novembre, le syndic général Montferrier les pria également de le renseigner sur les lieux où des troupes bientôt acheminées pourraient loger. Un plan s’esquissait. L’idée était d’établir un cordon sanitaire le long de la Garonne depuis Saint-Gaudens jusqu’au Tarn, ensuite à l’Aveyron. L’étendue du territoire à surveiller, le nombre de chemins et de voies d’eau à contrôler, la dispersion de l’habitat, le tracé sinueux des limites entre le Languedoc et la Guyenne ainsi que l’absence d’une frontière naturelle rendaient la tâche délicate.

31Les états ne s’étaient pas encore réunis. Leur session s’ouvrit le premier décembre. Il y fut question bien sûr de l’épidémie, du cordon sanitaire à mettre en place et de l’ordre du Contrôleur général de tuer toutes les bêtes qui paraîtraient attaquées. Sur quoi, comme l’intendant se proposait d’indemniser les propriétaires, l’assemblée décida de faire l’avance des fonds nécessaires « pour en compter ensuite avec le roi » 46. Avant la fin de la session, le 25 décembre, Loménie de Brienne adressa une longue lettre aux curés de son diocèse. « Qui mieux que vous pouvez les convaincre… » [il s’agit des propriétaires] leur disait-il, les engageant à les dissuader de recourir à des remèdes inefficaces et à le tenir informé des moyens d’existence des familles rurales mises en difficulté par le fléau. Il se réservait de « pourvoir sur sa cassette particulière aux besoins des malheureux » et annonçait sa venue prochaine à Toulouse.

32Le plan d’action échafaudé nécessitait une bonne coordination entre l’intendant, le commandant en chef de la province, le Parlement de Toulouse aussi, l’exécution des ordonnances étant suspendue à leur enregistrement. Quant aux états, après leur séparation le 9 janvier, ils ne pouvaient rien décider avant leur prochaine assemblée. Ils ne disposaient pas d’une « commission intermédiaire » habilitée à agir entre temps en leur nom. Cela condamnait l’assiette diocésaine à l’impuissance, toute décision, tout emprunt ou engagement de dépense, pour devenir exécutoire, devait en effet recevoir leur autorisation. Le diocèse de Toulouse était en première ligne, le plus exposé au fléau. Les correspondances qui nous sont parvenues ainsi que les procès-verbaux des assemblées de l’assiette de 1775 et 1776 ainsi que les réunions intermédiaires des commissaires ordinaires rendent assez bien compte de la manière dont l’épizootie fut vécue sur place47.

33Fin décembre, le syndic du diocèse Besaucèle s’impatientait. L’arrêt du parlement autorisant l’exécution des ordonnances tardait. Les troupes promises commençaient à arriver, mais en nombre insuffisant48. L’archevêque, attendu, resta quelques semaines. Le 8 février il assista à une réunion des commissaires ordinaires. Colbert présida la suivante, le 22 avril. L’assemblée de l’assiette tenue le 22 mai ne manifeste pas de fébrilité. Les premières mesures visant à surveiller et limiter les communications, plus réduites durant l’hiver, paraissaient contenir l’épidémie. Elle exprime en termes appuyés « son admiration et sa reconnaissance envers le prélat bienfaiteur de son peuple » ainsi que ses remerciements au baron de Cadignan chargé de commander les troupes du cordon sanitaire49. Le 7 juin Colbert, répondant à une lettre de madame du Deffand, lui écrit encore : « la maladie des bestiaux n’est pas encore éteinte dans nos cantons […] nos récoltes ont les meilleures apparences du monde »50. Le même jour cependant, depuis Auch où il se trouvait, le baron Cadignan, sonnait l’alarme : « tout est perdu », partout la maladie retrouve de la vigueur, les mesures les plus énergiques s’imposent avant qu’il ne soit trop tard. II faut en informer l’archevêque au plus vite51. Le 19 juillet, devant les commissaires ordinaires du diocèse, ses accents sont plus dramatiques encore : il n’y a plus de temps à perdre, il faut abattre tous les animaux des écuries infectées, malades ou encore apparemment saines, sans quoi, dans huit jours, il ne sera plus possible de sauver la plaine de Revel et la montagne Noire, de là les montagnes d’Auvergne et même tout le royaume où le fléau ne manquera pas de se répandre.

34Le pays ne disposait pas de frontières naturelles en effet derrière lesquelles on put s’abriter, sinon ses principaux cours d’eau. Sans le bon vouloir des propriétaires, surtout, rien ne serait possible. Or ceux-ci, sans l’assurance d’être immédiatement indemnisés, ne consentiraient jamais à sacrifier leurs animaux. On aperçoit le caractère inédit de cette intervention, l’assiette diocésaine ne disposant d’aucun pouvoir de décision. Impressionnés, les commissaires pensèrent qu’ils devaient « s’élever au-dessus des règles de prudence et de circonspection qui ont toujours caractérisé leur administration » et s’engager à payer sur le champ deux tiers du prix des bêtes saines à abattre, l’autre tiers ayant été précédemment promis à la dernière assemblée des états. Le receveur du diocèse acceptait d’avancer les fonds moyennant un intérêt de 5 %. L’abbé  Colbert était chargé d’envoyer immédiatement la délibération aux archevêques de Narbonne et de Toulouse et de les prier d’employer leur crédit auprès du roi pour obtenir le remboursement des avances consenties par le diocèse52.

35Depuis le printemps, Seignelay Colbert « gouvernait pour un autre » le diocèse, comme il l’espérait naguère, occasion pour lui, vu les circonstances, de faire apprécier ses capacités d’administrateur. Fut-il l’inspirateur de la proposition faite par le syndic ou, emporté par l’urgence de la situation, s’y rallia-t-il ? L’acceptation par le receveur d’avancer les fonds suggère qu’elle avait été concertée préalablement. Une interrogation cependant. Exorbitante, cette initiative avait-elle une chance d’être endossée par les états ? Elle était dans l’esprit de la lettre de Brienne aux curés du diocèse et Colbert pouvait se prévaloir de sa proximité avec lui. Mais le gouvernement, l’intendant et même le syndic général Montferrier, loin de Toulouse, ne mesuraient pas la gravité de la situation53.

36À Montpellier on pensait l’épidémie quasi finie, ou que l’on exagérait sa virulence. Une instruction donnée au comte de Périgord lui commandait, pour stopper la contamination, de faire passer tout le bétail infecté sur la rive gauche de la Garonne afin de constituer ainsi une zone de protection. Les commissaires diocésains s’émurent, parvinrent à le convaincre de l’ineptie du projet. Il ne ferait que répandre le mal. Le subdélégué de Toulouse, par ailleurs, fit savoir qu’il avait reçu l’ordre de l’intendant de ne pas payer le tiers promis des bêtes saines. La nouvelle pouvait détruire la confiance des propriétaires, hostiles désormais à laisser sacrifier leur bétail. Réunis le 18 août, les commissaires délibérèrent de prendre en charge la totalité du prix des animaux abattus. Mais le coût parut rapidement devenir impossible à supporter. Le receveur s’inquiétait. Le 26 septembre il fut décidé de suspendre les indemnisations. La dépense s’élevait déjà à 103 929 livres 6 sols.

37Colbert dut beaucoup s’employer durant toute la période, secondé efficacement par le syndic Besaucèle qui, en plus de sa charge syndicale, gérait les affaires temporelles de Brienne54. Aussi Colbert et Besaucèle restaient-ils constamment en contact, même lorsque le vicaire général s’éloignait quelques jours de Toulouse, passés au château de Bonrepos, comme à la fin du mois d’août 1775 où il montrait l’exemple en assistant à l’abattage du bétail et en visitant avec le marquis de Caraman les communautés voisines55. Devenu proche du baron de Cadignan dont il appréciait la vigilance et écoutait les avis, Colbert partageait avec lui ce sentiment, devenu certitude : la défense contre l’épidémie n’était pas seulement l’affaire du diocèse, de la province de Languedoc, mais celle de la France. De là l’impatience qu’il manifeste contre les atermoiements, ses lettres au ton alarmiste adressées aux comtes de Moncan et de Périgord56, et les initiatives prises à l’assiette en accord avec le syndic. Il restait en relation avec Loménie de Brienne qui ne désapprouvait pas leur action57. Celle-ci était à la hauteur de la réputation à laquelle l’archevêque tenait. Face au fléau il fallait secourir mais également honorer les engagements pris. Colbert, à la fin de l’année, se rendit à l’assemblée des États à la place de Brienne. Avant qu’elle ne se sépare, celle-ci s’engagea à acquitter les dépenses occasionnées par la pandémie jusqu’à la concurrence de 1 200 000 livres.

38Le procès-verbal de l’assiette de 1776, très élogieux à l’égard de Colbert58, met en avant sa détermination et le zèle dont il avait fait preuve tout au long de l’année précédente. Sa persuasion aux états et son crédit avaient produit le meilleur effet. Le vicaire général est présenté comme le sauveur du diocèse. Ne soyons pas dupes. S’il n’avait pas tenu la plume, Colbert connaissait les termes de la délibération, prête avant que l’assemblée n’ait lieu. Les circonstances lui avaient permis de jouer un rôle inédit et de s’imposer bien qu’il put être perçu comme un nouveau venu. Dans la même séance, la question de la rétribution du syndic fut évoquée. Les états envisageaient d’augmenter les défraiements des syndics diocésains, inchangés depuis longtemps malgré l’augmentation des tâches qu’ils devaient exécuter59. Colbert se lança dans un long exposé documenté, remontant jusqu’à l’année 1634. Un moyen pour lui de montrer sa parfaite maîtrise des affaires du diocèse.

39À partir de là, Colbert occupe la première place à l’assiette diocésaine, préside chaque année son assemblée annuelle et ne cède à personne le soin de réunir les commissaires ordinaires, exception faite lorsqu’il représentait aux états l’archevêque empêché de s’y rendre60. Brienne ne se montra pas à l’assiette comme il le faisait naguère. Les séquelles de l’épizootie s’estompaient. À la fin juin 1777 tous les propriétaires des animaux abattus avaient été indemnisés, sauf ceux de la communauté de Verfeil. Retour aux principes d’administration plus conformes aux règlements imposés par les états. Signalons seulement, car c’est une caractéristique de cette assiette, les difficiles relations entretenues avec la ville de Toulouse. Elles avaient été tendues durant l’épizootie à cause d’un approvisionnement rendu durablement incertain. L’accord sur les projets de travaux à effectuer et leur réalisation du gardiage au territoire diocésain restaient toujours problématiques également.

40Dans quelle mesure Colbert put-il influer sur les relations entre l’assiette diocésaine et les capitouls ? Ceux-ci veillaient jalousement à prévenir tout empiètement sur leur territoire et leur liberté d’action. On est surpris, cependant, lorsqu’on prend connaissance de l’identité des créanciers du diocèse de la faible participation de la société toulousaine au financement des travaux publics qu’elle projetait. Plus des deux tiers des fonds empruntés entre 1775 et 1780 proviennent des œuvres de charité, du « bouillon des pauvres » des paroisses, de l’hôpital général, et des maisons religieuses féminines de la ville. La proportion, si l’on ajoute les prêts consentis par des ecclésiastiques à titre personnel, s’élevait à plus de 80 %61. Les laïcs, par contre, participent peu : deux avocats en parlement, dont un domicilié à Lavaur, cinq femmes, le receveur du diocèse – 2 000 livres prêtées – … et un maître potier de terre, Georges Dupuy – 5 000 livres souscrites le 16 mai 1778. Pas de nom connu par contre parmi les prêteurs, aucun noble ni parlementaire. Dans les diocèses voisins la participation des œuvres de charité, des hôpitaux et des maisons religieuses féminines aux emprunts effectués par les diocèses pour les travaux publics est partout importante. Elle est supérieure à Toulouse. L’explication tient probablement au nombre de celles-ci en ville et à l’abondance de leurs fonds issus de donations dont elles disposaient.

41Sur les relations toulousaines de Colbert entre 1775 et 1780 nous disposons de peu d’information. Il continuait à recevoir chaque semestre 1 200 livres de l’abbaye de Val Richer dont il ne manquait pas de remercier le directeur des économats de Lisieux. Seules traces : ses efforts pour rapprocher John et Nicolas Barnewall, fils du comte Richard de Barnewall « père de la maçonnerie toulousaine » – par la fondation de la loge de Saint-Jean le 2 décembre 1741 – et des échanges maintenus avec la présidente Du Bourg. Richard de Barnewall, d’origine irlandaise, avec son frère cadet, émigré comme lui en France, avaient convenu de faire de l’aîné Nicolas leur unique héritier à la suite de son mariage avec Marthe Henriette Daguin fille et sœur de présidents à mortier. Le cadet réclamait la part de la succession de son père. L’abbé Colbert et le baron de Puymaurin s’entremirent. Une transaction fut conclue le 10 mai 177962. Quant à la présidente Du  Bourg, esprit ouvert et détestant l’intolérance, elle avait été séduite par le courant illuministe de la franc-maçonnerie et devint une des seules femmes initiées des Élus de Cohen63. On ne peut tirer des conclusions assurées de ces maigres indices, le président Du Bourg, par exemple, ne partageant pas dans ce domaine les inclinations de son épouse. Simplement, ils suggèrent des fréquentations assidues et confiantes au sein du milieu parlementaire toulousain ainsi que sa fidélité à ses racines britanniques.

42Le 14 juin 1779 Colbert préside pour la dernière fois l’assemblée de l’assiette diocésaine, le 6 avril 1780 une réunion de ses commissaires ordinaires. Le 24 il arrive à Paris, trois jours plus tard il visite Madame de la Vallière chez qui se trouvait madame du Deffand. Il soupe en bonne compagnie à plusieurs reprises chez cette dernière, au moins jusqu’au mois d’août64. Il sera consacré évêque de Rodez le 22 avril de l’année suivante.

Conclusion

43Seignelay Colbert atteignait son but. Curieux parcours que le sien, singulier et représentatif à la fois. Arrivé d’Écosse à l’adolescence, doté de bonnes capacités, il a le talent de se faire remarquer, ce qui lui ouvre la porte des salons parisiens et des milieux éclairés, et sait ne pas se faire oublier. Il n’aura de cesse, dès qu’il pourra, d’y reparaître. Sans fortune, sans appuis, excepté ceux qu’il sait attirer, il eut la chance d’être distingué par un prélat d’avenir et d’entrer à son service grâce au voyage de Smith en France.

44Il n’échappe cependant pas à la condition inconfortable de vicaire général, incertaine, entièrement dépendante de son protecteur. Celle-ci reste souvent obscure, mal documentée. On sait très peu de choses, ainsi, sur les autres vicaires généraux de Loménie de Brienne. L’exemple de Colbert, précieux à cet égard, l’éclaire au moins partiellement.

45L’assiette diocésaine, pour une part en raison des longues absences de Brienne à Toulouse, lui permet de se faire remarquer aux états de Languedoc, face aussi aux représentants du pouvoir royal, l’intendant et le commandant en chef de la province, et de faire la preuve de sa capacité à « gouverner un diocèse » dans des circonstances rares.

46Il est servi par les évènements.

47Le diocèse de Rodez accueillait un prélât expérimenté, bon connaisseur des institutions d’un pays d’état. Colbert était amené en effet à administrer plus qu’un « petit diocèse » puisqu’il devenait, porté sur ce siège, président de l’assemblée provinciale de la Haute-Guyenne.