« Compétence sport », une gestion partagée à multiples facettes
p. 41-45
Texte intégral
1Longtemps les politiques sportives ont été considérées comme secondaires aux yeux de l’ensemble des pouvoirs publics. Si elles sont désormais appréciées différemment, notamment dans leur dimension transversale, la succession des lois décentralisatrices a complexifié leur mise en œuvre en raison de la multiplicité des acteurs qui peuvent désormais intervenir. La désignation de la France comme pays hôte des Jeux Olympiques d’été de 2024, qui seront en grande partie organisés dans la région parisienne, a mis un coup d’accélérateur à la nécessaire réorganisation souhaitée par l’État. Quels rôles les différentes collectivités territoriales ont désormais à jouer dans une gouvernance du sport, compétence partagée ? Le schéma directionnel actuellement à l’œuvre est-il satisfaisant ? Nous tenterons d’apporter des réponses à ces interrogations en décrivant le dispositif institutionnel et juridique en place, de voir sa mise en œuvre pratique pour ensuite essayer d’y apporter des pistes d’améliorations.
I. Une réforme juridique et institutionnelle de la gouvernance du sport
2Si la politique en direction du sport reste une mission de service public, donc de la compétence générale de l’État, les lois MAPTAM (Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles) de 2014 et NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la république) de 2015, ainsi que la création de l’ANS (Agence nationale du sport) en 2019, ont permis de reconnaître le fait que le sport faisait partie, sur le plan juridique, des compétences partagées par l’État et les collectivités territoriales. Outre le transfert des Centres de ressources, d’expertise et de performance sportive (CREPS) aux régions, la loi NOTRe a prévu le transfert automatique, de plein droit, des compétences des départements aux métropoles dans différents domaines, dont ceux ayant trait à la jeunesse et aux équipements sportifs. Son article 90 prévoit même que « par convention passée avec le département, la métropole exerce à l’intérieur de son périmètre, par transfert, en lieu et place du département, ou par délégation, au nom et pour le compte du département, tout ou partie des groupes de compétences (…) ». Dans le 7ème point de son chapitre II (titre III), la loi de 2015 précise que les métropoles peuvent gérer « … la construction, l’exploitation et l’entretien des équipements et infrastructures destinés à la pratique du sport, ou une partie de ces compétences. » De son côté, la création de l’Agence nationale du sport (ANS), en avril 2019, en remplacement du Centre national pour le développement du sport (CNDS), peut être vue comme une tentative pour réformer la gouvernance du sport entre l’État, le mouvement sportif et les collectivités territoriales. La nouveauté réside dans le fait que l’Agence, dont la forme juridique reste le groupement d’intérêt public (GIP), « peut collecter tous types de ressources auprès de personnes morales de droit privé », comme bénéficier de dons de mécènes ou de passer des accords avec des partenaires contre financement. Dans la foulée de la création de l’ANS, les Conférences Régionales du Sport (CRdS) et les Conférences des Financeurs (CdFS) ont été créées suite à une loi du 1er août 2019. Elles regroupent l’ensemble des acteurs qui interviennent dans le domaine, leur ambition principale étant de coordonner leur action dans des territoires qui correspondent au nouveau maillage régional. Si cette structuration a été mise en place à cette échelle, c’est que l’État reconnaît la part essentielle des collectivités locales, les CrdS et CdFS formant des outils au service de l’organisation et de la répartition des moyens par l’intermédiaire de contrats pluriannuels d’objectifs et de financement.
3En définitive, cette nouvelle gouvernance régionale, sous la forme d’une instance déconcentrée, a pour but d’assurer la coordination des acteurs, entre l’État, le mouvement sportif, les collectivités territoriales et le monde économique, mais aussi entre les différents niveaux de collectivités territoriales, au plus près du terrain.
II. L’échec constaté d’une compétence partagée mais non obligatoire
4Si la pandémie de la Covid 19 a retardé la mise en place des conférences régionales du sport et des conférences des financeurs, la Cour des comptes, dans un rapport en date de juillet 2022, constate leurs difficultés réelles de passage à l’action opérationnelle. Le processus, qui varie selon les régions, est même presque « au point mort ». Les différentes collectivités, les métropoles en tête, conservent leurs particularités au gré des volontés politiques alors que l’État tente toujours, de son côté, d’impulser sa politique par l’intermédiaire de ses représentants (Préfets, Recteurs, Directeur de l’Agence régional de santé notamment). Cependant, le financement des politiques sportives reste aujourd’hui majoritairement le fait des municipalités mais cette clause de compétence partagée se traduit tout de même par la participation de l’ensemble des collectivités territoriales, en plus de celle de l’État via l’Agence nationale du sport, mais sans réelle coordination. Même si les régions forment désormais les pilotes de la politique publique en la matière, les intercommunalités ont la possibilité de se saisir de la compétence (transfert de personnels, mutualisations, fusions de services et soutien direct aux acteurs du sport professionnel et (ou) de haut-niveau). Toutefois, cette possibilité demeure un choix éminemment politique. C’est ainsi qu’en pratique, les communes, membres des métropoles, en particulier les « villes-centres », gardent largement la main sur la gestion de leur politique sportive pour notamment conserver un lien de proximité directe avec leurs administrés. Au regard de la dimension transversale d’une politique sportive, les maires continuent donc directement d’actionner le levier d’attractivité et de cohésion sociale (animation, santé et bien-être) qu’elle constitue pour leurs territoires, les enjeux de transition écologique et de développement durable étant de plus en plus intégrés dans l’organisation des manifestations sportives. Ils le font d’autant plus aisément que le financement du sport est de moins en moins perçu comme une charge mais plus comme un investissement. De leur côté, les métropoles ont la particularité de moins subventionner les politiques sportives que les communautés d’agglomération ou les communautés urbaines. Certaines métropoles ne se sont pas dotées de « la compétence sport ». Lorsqu’elle la possède, les budgets sont fluctuants avec un rapport de un à quatre. Certaines collectivités non dotées de la compétence engagent davantage de moyens que d’autres qui la possèdent statutairement, sur des budgets dédiés aux équipements et à l’événementiel. L’organisation des Jeux Olympiques en France en 2024 accentue la concurrence que se livrent les collectivités pour attirer sur leur territoire, au soutien de leurs associations sportives, les athlètes qui potentiellement prendront part à l’événement. En effet, le nombre d’athlètes tricolores sera plus important que pour une olympiade organisée à l’étranger, le pays hôte bénéficiant de qualifications directes sans processus de sélection internationale dans l’ensemble des disciplines.
5Le constat est donc sans appel mais logique. Il paraît difficile de mettre en œuvre une compétence partagée et non obligatoire, surtout si les objectifs ne sont pas, ou mal, précisés et définis.
III. Une nécessaire clarification des différents scenarii possibles
6Pour éviter l’écueil décrit plus haut, trois scenarii peuvent être envisagés.
7Le premier consisterait à rester sur les bases actuelles, celui des conférences régionales avec l’ensemble des acteurs qui y figurent, mais avec une stimulation accrue de la part de l’État par un pilotage renforcé des travaux et de leur suivi. Cette solution serait, d’une certaine manière, en contradiction avec l’esprit décentralisateur voulu par les réformes initiées depuis 1982, accentué en 2014 et 2015. Les représentants des collectivités territoriales, l’Association des maires de France (AMF) en tête, n’y sont pas favorables
8Le second schéma organisationnel verrait les départements et les intercommunalités quitter les conférences régionales pour alléger le dispositif qui comprend déjà un bon nombre d’acteurs (représentants de l’État, ANS, régions, mouvement sportif et monde économique). Cette option offrirait l’avantage d’être le continuum de la loi NOTRe qui vise à intégrer les compétences départementales au sein des métropoles.
9Le troisième scénario pourrait permettre aux conférences régionales de fonctionner sans les intercommunalités, certaines d’entre elles n’y siégeant d’ailleurs pas actuellement. Dans ce cas de figure, les départements formeraient l’échelon le plus proche des enjeux de territoires. Le dispositif gagnerait en agilité et serait en parfaite adéquation avec le retour évoqué des conseillers territoriaux.
10Dans les deux derniers scenarii, les conférences régionales pourraient donc s’affranchir des contextes locaux pour se concentrer sur l’organisation de la gouvernance du sport au maillage de son territoire dans un dialogue avec l’État, les acteurs du mouvement sportif et du monde économique sur des objectifs nationaux déclinés au niveau régional. De son côté, le législateur, dans une réforme globale du bloc intercommunal (avec notamment l’élection des élus intercommunaux au suffrage universel direct), pourrait confier, de droit, la « compétence sport » aux intercommunalités en précisant ce qu’elle recouvrirait exactement (le soutien au sport professionnel et ou de haut niveau par exemple) en complément de la gestion des équipements et de l’organisation d’événements ayant le rayonnement du territoire comme ambition. Cela permettrait aux intercommunalités de gagner en proximité avec leurs administrés tout en ayant la possibilité de mettre en œuvre une partie de la politique sportive dans son périmètre de façon plus intégrée.
11Quel que soit le scenario envisagé, le pilotage institutionnel des politiques sportives doit être complété, clarifié et affiné, de façon à gagner en cohérence et en efficacité. L’État continue à jouer un rôle essentiel dans l’impulsion des politiques publiques, tout en gardant la décentralisation à l’esprit. Au regard de leur caractère transversal, les politiques sportives ont besoin d’être soutenues avec des moyens accrus afin de répondre aux enjeux sociétaux, présents et futurs.
Bibliographie
B. Dirx et P. Doussot, Préconisations pour mettre en œuvre l’organisation territoriale du sport, Assemblée nationale, mission parlementaire du 30 janvier au 30 juin 2020.
France Urbaine, Le sport dans les grandes villes, agglomérations et métropoles, juin 2020.
M. Larive et B. Storre, mission « flash » sur La déclinaison territoriale de l’Agence nationale du sport, commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, 14 avril 2021.
Cour des comptes, L’agence nationale du sport et la nouvelle gouvernance du sport, des défis à relever. Communication à la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, juillet 2022.
Auteurs
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Florence Lerique
Professeur de droit public,
Université Bordeaux Montaigne, Institut Léon Duguit -
Patrice Pecqueur
Professeur documentaliste,
Ex joueur international de water-polo
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