1Le Centre toulousain d’histoire du droit et des idées politiques entretient avec l’Institut national universitaire Champollion (ancien Centre universitaire Jean-François Champollion) un lien continu et fructueux depuis près de 30 ans. Cette relation notamment scientifique tient pour une grande part à l’activité de nos collègues Béatrice Fourniel et le doyen Philippe Nélidoff, qu’ils en soient une nouvelle fois remerciés avec l’organisation d’un colloque les 22 et 23 octobre 2021 réunissant quatorze universitaires et chercheurs dans un contexte sanitaire toujours pesant. Leur collaboration s’est enrichie de la présence de Nikoletta Giantsi de l’Université Nationale et Capodistrienne d’Athènes pour tenir en terres albigeoises cette manifestation scientifique qui bénéficie toujours du soutien précieux de la Mairie d’Albi et du Groupe de Recherche et d’Études Juridiques d’Albi.

2Après avoir réuni des collègues français et européens spécialistes du Moyen Âge et des Temps modernes en 2006¹ et en 2013², les organisateurs de ce colloque international nous invitent à poursuivre la pérégrination dans le temps et l’espace avec une mise en question plurielle des pouvoirs urbains. Les maîtres d’œuvre ont conservé une approche comparatiste. Le lecteur pourra ainsi bénéficier du regard stimulant porté par de jeunes chercheurs à partir de différents terrains d’études ainsi que des réflexions d’éminents spécialistes sur Albi, Barcelone, Cahors, Mende, Pavie, Provins, Rome, Toulouse, Troyes ainsi que des villes grecques du iv^e au vii^e siècle (Athènes, Delphes, Thasos), des cités mérovingiennes comme Cahors, Dijon et Vienne, des villes du comté de Flandre (Gand, Bruges, Dinant, Liège, Lille et Ypres) ou encore des petites villes d’Île-de-France au xv^e siècle comme Mantes-la-Jolie et Pontoise. L’approche retenue est toujours féconde en permettant la variation d’échelle et en proposant de croiser les regards de l’archéologue, de l’historien, de l’historien de l’art et du juriste historien. Ils mettent en lumière tant des mutations et des dynamiques au sein des villes que des relations plus ou moins conflictuelles entre pouvoirs urbains et princiers, laïcs et ecclésiastiques. Comme pour les deux précédentes publications, et faisant nôtre les mots conclusifs de Jean‑Louis Biget en 2006, les différents articles soulignent tout autant des « réalité[s] diverse[s] et complexe[s] » que « l’ampleur et la richesse » du thème des pouvoirs urbains.

3S’intéresser aux pouvoirs de la ville et dans la ville n’est certes pas nouveau, loin s’en faut. Pour autant, les cités médiévales et modernes sont questionnées de plus en plus dans un cadre européen³. Si la diversité institutionnelle l’emporte dans ce large espace, un mouvement partagé s’affirme avec l’existence d’une culture politique commune urbaine. Délibération et négociation sont au cœur des pratiques médiévales. Circulation des hommes, des idées et des biens favorisent ce dialogue. Les institutions urbaines ont été influencées par la théorie politique. Elles ont également été un formidable laboratoire pour le développement de la citoyenneté. Qualifiées de « laboratoire médiéval de la démocratie » par Michel Hébert ou de « laboratoire [urbain] de la chose publique » par Hélène Noizet et Florian Mazel, elles sont un lieu d’expériences normatives et un espace de rencontres et de conflits entre divers pouvoirs. La ville a ainsi bénéficié des recherches plus générales menées dans le cadre du programme sur la Genèse médiévale de l’État moderne à partir du milieu des années 1980. Albert Rigaudière a dressé un bilan et a ouvert de nouvelles perspectives dans son recueil d’articles Gouverner la ville au Moyen Âge en 1993. Regrettant « l’absence presque complète des historiens du droit » sur ce terrain urbain depuis les années 1950, ses travaux ont interrogé à nouveaux frais les sources pour décrypter les voies et les moyens de l’émancipation urbaine, de l’accès de communautés au statut d’universitas, d’un pouvoir incarné pour réexaminer également l’étude des régimes municipaux, éclairer l’action des hommes de lois, mettre à jour l’expérimentation fiscale au sein de la ville médiévale. Il invitait tout autant à poursuivre l’étude des gouvernements municipaux dans leur dimension humaine, institutionnelle et technique qu’à saisir le droit urbain dans sa formation et son application. Force est de constater que l’appel lancé au début des années 1990 n’a pas été suffisamment entendu par les juristes historiens pour se ressaisir du phénomène urbain et de ses pouvoirs. Car c’est bien d’une histoire du pouvoir et du politique qui s’offre au chercheur attentif à la ville médiévale et moderne.

4Les actes de ce colloque sont une invitation à croiser les regards à partir des divers cas d’espèces retenus et des synthèses présentées. Les pouvoirs ainsi évoqués éclairent les acteurs, leurs actions et leurs relations au sein de la ville.

5Tout d’abord, dans les différentes cités, la personnification du pouvoir dans la ville est abordée à partir de l’évêque à l’époque mérovingienne, de l’évêque-comte à Cahors et Mende, du comte dans les villes de Champagne ainsi que des pouvoirs consulaire et communal selon les espaces, seigneurial et royal. Il s’agit alors d’identifier et d’affirmer l’autorité qui s’exerce sur les habitants de la cité. Le pouvoir municipal s’organise en particulier avec d’autres pour développer un réseau. Il contribue ainsi à la construction d’une culture politique commune urbaine. Il est un cadre privilégié du développement de la citoyenneté.

6Ensuite, l’expression du pouvoir se manifeste par le fonctionnement d’institutions, l’exercice de la justice, la mise en défense de la ville, les choix fiscaux, l’action économique et la création artistique. Nombreuses et variées sont les occasions d’affirmer ses compétences pour le détenteur du pouvoir qu’il soit laïc ou ecclésiastique, municipal, seigneurial ou royal. Qu’elles aient été conquises, disputées, sources de conflits ou bien encore de collaboration et de négociation, ces prérogatives éclairent ainsi de multiples relations entre ces divers acteurs.

7Enfin, un des autres intérêts de l’approche retenue par les organisateurs tient à l’identification du rôle des pouvoirs dans l’évolution du paysage urbain renvoyant à la question de la spatialisation du pouvoir. Les actions de l’Église chrétienne dans la transformation du paysage des villes grecques puis des évêques et des consulats pour fortifier leur cité révèlent leur trace immédiate et dans la longue durée avec l’existence de leur empreinte préservée dans nombre de villes encore aujourd’hui.

8Pour reprendre les mots de Paolo Grossi dans sa Prima lezione di diritto (2003), s’offre en définitive au lecteur la vitalité des pouvoirs urbains à « des moments et des espaces les plus différents, [ayant] des manifestations variées en fonction des divers besoins des ‘climats historiques’ dans lesquels [ils sont] immergé[s] ».

9La collection d’ouvrages des Études d’Histoire du Droit et des Idées Politiques s’enrichit ainsi d’un nouveau volume grâce à l’action de Béatrice Fourniel. Ces Actes de colloque dont elle a permis la rapide publication seront prochainement disponibles sur OpenEdition. Ils ne manqueront d’intéresser un large public, de nourrir de nouvelles réflexions et d’enrichir le débat scientifique.