Avant-Propos
p. 7-11
Texte intégral
1Fêter un anniversaire exige de connaître la date de naissance. La LOLF a-t-elle eu vraiment vingt ans en cette année 2021 ? En effet, on peut se demander, en préalable, si l’année de la promulgation de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001 est bien la bonne année de naissance. Ainsi, la Revue Gestion et finances publiques commémorait le 10ème anniversaire de la LOLF en… 2016 ! Ce qui fait qu’en 2021 nous ne marquerions que ses quinze ans. En réalité, de nombreux observateurs se rappellent l’entrée en application progressive de la LOLF qui fut étalée de sa promulgation à l’année 2006 (première loi de finances en « mode LOLF » intégral). L’enseignement des finances publiques était alors d’une grande complexité impliquant la navigation entre l’ordonnance de 1959 et la LOLF de 2001 et nombre d’étudiants s’en rappellent et s’y perdirent peut-être !
2Les 22 et 23 octobre 2021 s’est tenu à Toulouse un colloque qui a permis de réunir des spécialistes reconnus des finances publiques dans le but de faire état du bilan de l’application de la LOLF du 1er août 2001. L’adoption de cette dernière, issue d’une proposition parlementaire, avait été, on le sait, finalement une espèce de miracle institutionnel. Dans une période politique qui paraît désormais très loin, la troisième « cohabitation », entre deux majorités opposées, semblait devoir empêcher de modifier ou de réformer la vénérable ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances1. Cette dernière avait d’ailleurs également fait l’objet d’une journée d’études à Toulouse2 en 2000.
3Depuis vingt ans la LOLF a fait l’objet de très nombreuses études, articles, rapports et colloques divers et variés3. Tout semble avoir été dit sur cette loi tant sur ses forces que ses faiblesses. Si un mot caractérisait bien la LOLF c’était le mot espoir. La LOLF était d’abord la promesse d’une gestion publique rénovée en passant notamment d’une logique de moyens à une logique de résultats basée sur la performance. La LOLF était ainsi la conséquence majeure tirée des enseignements du rapport sur l’efficacité de la dépense publique de Laurent Fabius et Didier Migaud paru en 19994. Ce considérable rapport contenait finalement les deux lignes directrices majeures de la LOLF. En effet, en plus du changement de logique budgétaire, il s’agissait aussi de rénover les pouvoirs du Parlement devenu plus spectateur qu’acteur d’une procédure budgétaire établie au début de la Vème République en pleine rationalisation du parlementarisme.
4De manière générale, comme l’affirment Jean-Pierre Camby et Gérald Sutter, « La réforme budgétaire renvoie à une problématique fondamentale : celle du sens de l’action de l’État5 ». La LOLF est donc née finalement chez ses deux principaux porteurs, Alain Lambert et Didier Migaud, comme le double espoir d’une gestion publique renouvelée et d’une rénovation des pouvoirs budgétaires du Parlement.
5La LOLF portait donc en elle-même tous les espoirs d’une gestion publique renouvelée dans un contexte permanent et perdurant de crise des finances publiques. Passer d’une logique de moyens à une logique de résultat n’était pas un simple changement de technique financière mais une véritable proposition de réforme de culture administrative6. On a d’ailleurs vu, dans les administrations comme dans les nouveaux opérateurs, l’institution de structures diverses chargées de mettre en œuvre cette nouvelle loi organique. La LOLF suscita une série d’inquiétudes tenant à la mise en œuvre de la démarche de performance alors souvent confondue avec l’idée de rentabilité des politiques comme des service publics. Dans la conception initiale de la LOLF, il était donc question d’améliorer l’efficacité de la gestion publique mais aussi de mesurer cette efficacité à l’aide d’indicateurs de performance permettant de contrôler la qualité de l’exécution des lois de finances.
6Dans cette perspective est apparue une nouvelle nomenclature budgétaire fondée autour de la gestion par politique publique. On a ainsi mis fin à l’existence des 850 chapitres budgétaires organisés en titres et ministères. Grâce à la LOLF, le budget est désormais organisé en missions programmes et actions. Certaines missions (trop peu nombreuses sans doute) ayant vocation à une gestion interministérielle. Il s’agissait d’évaluer non plus l’exécution stricto sensu mais le sens de la gestion financière des politiques publiques. Efficacité, efficience mais aussi économie auraient pu ou dû devenir les maîtres mots de la gestion financière publique. Tout ceci reposait sur une idée forte véritable nouveau paradigme de l’action publique : la responsabilité accrue des gestionnaires publics. Malheureusement cette dernière ne produisît pas les effets escomptés en raison notamment d’une crise des finances publiques permanente et de plus en plus accrue. Didier Migaud rappelait récemment que « la situation des comptes publics n’est plus celle de 2001. Cette année-là, la dette publique atteignait 57,3 % du produit intérieur brut et le déficit 1,4 % »7. On connaît les chiffres abyssaux de ces deux indicateurs aujourd’hui. La politique de l’État s’est singularisée par des périodes de coupes budgétaires systématiques et non forcément fondées sur les résultats de la performance de sa gestion financière.
7La LOLF portait l’espoir d’une rénovation des pouvoirs budgétaires du Parlement notamment en matière de contrôle des finances publiques. Cette ambition s’était déjà manifestée au milieu des années 90 par une réforme dont on n’a pas vraiment commémoré la mise en place à savoir celle intervenue en 1996 dans le domaine des finances sociales avec la création notamment des lois de financement de la sécurité sociale. Cette importante réforme a pourtant permis dans certaines limites de développer les prérogatives financières du Parlement. La réforme des finances publiques, contenue dans la LOLF, a ensuite permis de renforcer potentiellement les prérogatives budgétaires du Parlement.
8Le renforcement des prérogatives budgétaires de la représentation nationale constitue le second grand aspect de la réforme. Il s’agissait d’un aspect purement institutionnel mais fondamental dans la nouvelle conception de la gestion financière publique. La LOLF a été conçue comme une sorte de « boîte à outils » des parlementaires en matière de procédure budgétaire. Ces parlementaires se plaignaient de la faiblesse de leurs prérogatives institutionnelles financières et tout particulièrement en matière de contrôle. De nouvelles dispositions ont été mise en place tant au stade de l’élaboration, que de l’exécution ou du contrôle de la loi de finances. Parmi les mesures principales, on trouve la rénovation du droit d’amendement ou la limitation de la régulation budgétaire. Mais d’autres dispositions importantes les accompagnent également.
9L’un des aspects majeurs de la LOLF tient dans l’amélioration de l’information de l’Assemblée nationale comme du Sénat. La sincérité a été inscrite dans la LOLF. Elle devait être mise en œuvre de manière plus évidente par l’amélioration de la lisibilité, et l’intelligibilité des nombreux documents budgétaires rénovés. La mise en place de nouvelles procédures d’assistance de la Cour des comptes auprès du Parlement permis de renforcer le contrôle a posteriori de l’exécution de la loi de finances. La loi de règlement aurait dû être le véritable point d’orgue de la nouvelle gestion publique. Elle ne le devint pas. D’ailleurs, la loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques du 28 décembre 2021 en a fait ‒ de nouveau ! ‒ un objectif majeur de réforme en remplaçant cette loi de règlement par une « loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année8 »…
10Pourtant, les progrès relatifs au contrôle de la gestion financière furent perceptibles notamment au travers du « chainage vertueux » contenu dans la LOLF. La mise en œuvre d’un nouveau calendrier permettait désormais une approche plus logique des processus financiers publics : la loi de finances initiale ne peut être mise en discussion que si la loi de règlement de la pénultième année budgétaire n’a pas été adoptée en première lecture.
11Les parlementaires ont désormais la possibilité d’exploiter les rapports annuels de performance. Le font-ils vraiment ? Le temps budgétaire apparaît certes bien court. Pourtant cela ne suffit pas à expliquer le relatif désintérêt des parlementaires pour leurs missions de contrôle de l’exécution des lois de finances même si le Sénat et l’Assemblée nationale ont appréhendé la question du contrôle de manière différente.
12La LOLF a connu depuis 2001 des moments de réforme directs ou indirects. La première grande suite indirecte de la LOLF fut d’abord la révision constitutionnelle de 2008 qui allait, elle aussi, dans le sens d’une rénovation des pouvoirs du Parlement et du renforcement du rôle de la Cour des comptes. Au rang des échecs de la LOLF, on peut naturellement évoquer la question de la pluriannualité. La loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques du 17 décembre 2012 a certes permis d’ajouter aux normes contenues dans la LOLF de nouvelles dispositions relatives à la programmation et la gouvernance des finances publiques s’imposant aux lois de finances. Pourtant là encore, les résultats ne furent pas très probants au point qu’il fut peu à peu dit et pensé qu’il était temps de réformer ou de rénover la LOLF. La loi précitée du 28 décembre 2021 porte maintenant cette ambition. De révolution : il n’y en a pas9. De rénovation : il faudra en voir les effets dans la future loi de finances pour 2023.
13En attendant, la LOLF de 2001 reste bien la norme centrale de la gestion financière publique en France ce qui méritait bien de marquer son anniversaire. L’espoir n’est pas mort, il faut cependant que ses acteurs en soient pleinement conscients !
Notes de bas de page
1 Voir D. Migaud, La LOLF du 1er août 2001 : des avancées considérables, une application qui s’est éloignée peu à peu des objectifs initiaux, des évolutions souhaitables, RFFP, n° 158, mai 2022, p. 17.
2 V. Dussart et P. Esplugas, L’ordonnance du 2 janvier 1959 : 40 ans après. Études de l’IREDE (CNRS UMR 5081) n° 2. Presses de l’Université des sciences sociales de Toulouse. 2000, 300 pages.
3 Voir notamment certains numéros spéciaux des deux grandes revues de finances publiques, Le budget 2006 en régime LOLF, RFFP, n° 91, Sept. 2005, La LOLF et les institutions politiques, RFFP, n° 94, mai 2006 ; Numéro spécial LOLF, GFP, n° 7 juillet 2006, La LOLF, un numéro spécial dix ans après…, GFP, n° 6, Nov.-déc. 2016 ; Les 20 ans de la LOLF, RFFP, n° 158, mai 2022.
4 L. Fabius et D. Migaud, Rapport fait au nom du groupe de travail sur l’efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire, Assemblée nationale, 27 janvier 1999.
5 J.-P. Camby et G. Sutter, Le budget de l’État : la LOLF, 4ème édition 2019, p. 13.
6 Voir notamment, A. Barilari, La mise en œuvre de la LOLF, une occasion pour repenser en profondeur l’action administrative, GFP, n° 5 mai 2004, p. 259-266.
7 D. Migaud, La LOLF du 1er août 2001 : des avancées considérables, une application qui s’est éloignée peu à peu des objectifs initiaux, des évolutions souhaitables, RFFP, n° 158, mai 2022, p. 17.
8 Loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, JO 29 décembre 2021.
9 Sur cette réforme contenue dans la loi du 28 décembre 2021, voir notamment G. Desmoulin, Une révision de la LOLF ambitieuse mais limitée, AJDA, 2022, p. 1221 et s.
Auteur
Professeur à l’Université Toulouse CapitoleDirecteur de l’Institut Fédératif de Recherche – Mutations des normes juridiques
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