1 Il lui reste une fille de ce premier mariage. Sensiblement plus âgée que Louis, elle meurt en 1684 et fera de celui-ci, encore enfant, son légataire universel. Cette demi-sœur vivait séparée de son mari, le duc de Brissac, un assez sombre débauché, dont Saint-Simon parlera avec le dernier mépris : il avait le goût « trop italien » (/. p. 80). L’héritage de la duchesse suscita un procès inextricable entre Louis et son beau-frère, puis, après la mort de ce dernier, avec ses ayant-droits. Le jugement conclusif n’intervint qu’en 1705, après de longues années aux cours desquelles le jeune Louis, déjà expert à s’entourer de juristes retors, plongea sans avarice dans son sac à malices procédurières, à vrai dire inépuisable. Il obtint une victoire totale, célébrée par des feux de joie ; et, autre fête, « nous allâmes, Mme de Saint-Simon et moi, voir la mer à Dieppe » (II, p. 539). Le procès s’était jugé à Rouen. Nous citons l’édition de la Pléiade, texte établi et annoté par Gonzague TRUC, Paris, Gallimard, 1947.

2 On notera qu’une situation à peu près identique se reproduira pour Saint-Simon lui-même. Lui aussi fut veuf à soixante-huit ans. Mais s’il avait deux fils qui survécurent à leur mère (mais non au père), aucun de ceux-ci n’avait d’héritier mâle, et, à ce moment, l’âge de leurs épouses, voire leur propre état de santé, excluait qu’ils en puissent avoir. L’extinction du duché était donc certaine. Mais Saint-Simon lui ne se remaria pas. Est-ce l’effet de l’amour de tendresse qu’il portait à sa femme ? Est-ce, comme le conjecture, sans preuve naturellement, un de ses biographes, par la certitude d’une incapacité définitive ? Enonçons une troisième raison, celle-là incontestable. Saint-Simon, lui-même déjà peu favorisé par la nature, avait, avant vingt-cinq ans, engendré trois enfants (une fille et deux fils) tous porteurs de graves stigmates de dégénérescence. Que pouvait-il attendre, à soixante-dix ans, d’une nouvelle paternité, sinon le désastre ?

3 Il n’en doutait pas lui-même. Bien que le vieux duc fût affligé de la mort de sa femme, « la considération de n’avoir point de garçon l’engagea, quoique vieux, à se remarier. Il chercha une personne dont la beauté lui plût, dont la vertu le pût rassurer, et dont l’âge fût le moins disproportionné au sien qu’il fût possible » (I. p. 80).

4 III, p. 934. La phrase est curieuse à d’autres égards. A proprement parler, Louis ne tient rien des libéralités royales. Il tient la qualité ducale de son père, qui, lui, la tenait de la libéralité royale. L’expression équivaut à une oblitération, si j’ose dire, de ce père tant vénéré. Ce « court-circuit » est d’autant plus significatif qu’il est le fait d’un personnage on ne peut plus sourcilleux touchant l’exacte reconnaissance de ce qui est dû, pour les acquisitions nobiliaires, à chaque génération d’une famille.

5 Une première constatation s’impose ici. En dépit des usages du temps — et de l’attachement du mémorialiste à ceux-ci — le prénom de ce père tant respecté — Claude — ne se retrouve dans aucun de ceux que Louis choisira pour ses fils. L’ainé se nommait Jacques-Louis et le cadet Armand-Jean. Louis est sans aucun doute l’expression de l’hommage rituel et omniprésent à Louis XIII, le bienfaiteur. Quant à Armand, c’est le prénom de Rancé, l’abbé de la Trappe, qui sera l’une des principales figures paternelles substitutives des Mémoires. Mais il y a plus. Rancé tenait son prénom de Richelieu, qui fut son parrain. Or Saint-Simon, sans prétendre que Richelieu fut toujours hostile et ingrat vis-à-vis de son père — lequel aurait censément rendu d’appréciables services au Cardinal — n’en soutient pas moins, à tort ou à raison, que Richelieu fut le responsable de la totale (mais temporaire) disgrâce de son père. Quoi qu’il en soit, Claude est le prénom qu’on retrouve le plus fréquemment dans la généalogie familiale, où il figure pratiquement à toutes les générations de toutes les branches, sauf à celle issue de Louis. Cf. à ce sujet l’arbre généalogique dressé par BOISLISLE (Mémoires de Saint-Simon, Ed. Boislisle. Collection« Les grands écrivains de la France », Paris, Hachette, 1879-1928, 41 vol., tome I, p. 408-416). Il s’agit donc quasiment d’une exclusion.

6 Saint-Simon si curieux, si indiscret, si soucieux des familles, auxquelles il accorde parfois plus d’attention qu’aux individus qui les composent, a été d’une très grande réserve sur la sienne. Les raisons de ce relatif secret sont multiples.

7 VI, p. 1199.

8 VI, p. 1199.

9 Il avait une vingtaine d’années lorsqu’il fut créé duc. On remarquera que sous la Régence, Saint-Simon, sensiblement plus âgé, il est vrai, adoptera une attitude exactement contraire à celle de son père.

10 I, p. 63.

11 VI, p. 1209, souligné par nous.

12 Le titre était héréditaire mais non les « gouvernements ».

13 I, p. 54.

14 Punais qualifie un individu qui répand une odeur peu agréable. Curieusement (ou non), Louis et ses fils durent encaisser, dans plusieurs libelles satiriques, la même gracieuseté, en un temps où les narines souffraient moins que les nôtres.

15 BOISLISLE, I, p. 158, note, avec référence.

16 Par un dessin de Simon Vouet.

17 De là, peut-être, l’extrême importance que Louis accordera à la prestance et à la majesté du port. C’est une des très rares qualités qu’il admirera sans réserve dans la personne de Louis XIV.

18 G. POISSON, Monsieur de Saint-Simon, Paris, Berger-Levrault, 1973, p. 8.

19 VI, p. 1186.

20 Toutes ses raisons ne sont d’ailleurs pas mauvaises, nous le verrons.

21 Il se peut que ce fait soit à l’origine des difficultés financières considérables que Saint-Simon, en dépit d’un riche mariage, connut toute sa vie. L’affaire, après sa mort tourna même au désastre, au point qu’elle faillit nous priver à jamais des Mémoires.

22 VI, p. 1188.

23 Claude de Saint-Simon ne fut ni le premier ni le dernier à bénéficier d’une soudaine faveur royale, mais parfois, comme pour Cinq-Mars, cette faveur tourna finalement au plus mal.

24 VI, p. 1158.

25 Op. cit., p. 9.

26 Cité par POISSON, op. cit., p. 9.

27 C’est au point que Beauvillier à certains moments fait irrésistiblement penser à ce « Un-Père », dont Lacan nous explique la fonction dans son étude sur le cas Schreber. Cfr cette étude dans J. LACAN. Ecrits, Editions du Seuil, Paris, 1966, p. 531-583, surtout pp. 577-78. Ceci n’implique certes d’aucune manière — disons-le avec force — que nous cherchions à rapprocher Saint-Simon du Senatspräsident. Nous reviendrons plus loin sur cette grave question.