Chapitre V. Les Lombards et le commerce de l’argent

1 Sur les Lombards dans les Pays-Bas, notamment en Hainaut, on verra, en général, G. BIGWOOD, Le régime juridique et économique du commerce de l'argent dans la Belgique du moyen âge, Bruxelles, 1921-1922, 2 vol., passim (en particulier le chapitre sur les tables de prêt : I, pp. 318-388), et R. DE ROOVER, Money, banking and credit in Mediaeval Bruges. Italian Merchant. Bankers Lombards and money-changers. A study, in the origins of banking, Cambridge (Mass.), 1948, pp. 96-167 (« Part II : The Lombards of Cahorsins »). La thèse de P. MOREL, Les Lombards dans la Flandre française et le Hainaut, Lille, 1908, est décevante. Le travail d’O. LE MAIRE, Financiers lombards en Belgique au moyen âge. Les Turchi de Castello établis en Hainaut, Turin, 1961, concerne essentiellement le XIV^e siècle et est centré sur une étude familiale, et non sur les activités des Lombards. Cf. aussi plusieurs articles cités infra (de F. Donnet, J. Laenen, F. Vercauteren, C. Tihon). L’étude de J. H. DARINGS, Over de Lombaerden en Bergen van Barmhartigheid in België, dans Belgisch Museum voor de Nederduitsche tael-en letterkunde..., 1842, pp. 333-372, quoique dépassée, garde le mérite d’avoir mis en œuvre une importante documentation imprimée. Nous ne mentionnerons enfin que pour mémoire S. KOCH, ltalienische Pfandleiher im nordlichen und östlichen Frankreich, Breslau, 1904 : il n’apporte rien de plus pour ce qui nous concerne.

2 F. VERCAUTEREN, Document pour servir à l’histoire des financiers lombards en Belgique (1309), dans Bulletin de l’Institut historique belge de Rome, XXVI, 1950-1951, p. 49. Régularisation de l’institution des tables de prêt dans le dernier quart du XIII^e siècle : BIGWOOD, Régime, I, p. 319. Le XV^e siècle n’est sans doute plus tout à fait l'« âge d’or » pour les Lombards, comme le croit J. LAENEN, Usuriers et Lombards dans le Brabant au XV^e siècle, dans Bulletin de l'Académie royale d’archéologie de Belgique, IV, 1904, p. 142 ; cf. aussi E. AERTS, De inhoud der rekeningen van de Brabantse algemeen-ontvangerij (1430-1440), dans Bijdragen tot de geschiedenis, LXI, 1978, pp. 40-41.

3 MOREL, Lombards, pp. 26-27. BIGWOOD, Régime, I, pp. 672-673.

4 MOREL, op. cit., p. 231. De même lors d’une précédente suppression des tables, en 1457 : « Tous les pays et bonnes villes furent longuement sans avoir nuls Lombars pour prester la ou le peuple toutevoies, selon la nature de luy ancienne, se peut mal passer de eux. Et par ainsi, le duc enfin estoit constraint de les y remettre par la necessité publique » (Œuvres de Georges Chastellain, éd. J. KERVYN de LETTENHOVE, t. III, Bruxelles, 1864, p. 316).

5 BIGWOOD, Régime, I, pp. 91-92. F. DONNET, Les Lombards à Termonde et dans quelques villes des Pays-Bas, dans Annales du Cercle archéologique de la ville et de l’ancien pays de Termonde, 2^e série, VIII, 1900, pp. 126-161. C. TIHON, Aperçus sur l’établissement des Lombards dans les Pays-Bas, dans RBPH, XXXIX, 1961, p. 359.

6 BIGWOOD, Régime, I, p. 328.

7 Ath et Lessines : AGR, TF, I, 2548 ; Forest : ADN, B 1190/15621 (l’un et l’autre sous forme de vidimus originaux délivrés respectivement par des hommes de fief de Hainaut, le 24 juillet 1445, et par l’abbé de Saint-Adrien de Grammont, le 20 septembre 1433).

8 Pour Ath-Lessines, Rémi de Bois (Boix) et Gabriel Bonini ; sur les péripéties et le destin tragique de Remi de Bois, de Carignano (Piémont), cf. infra. Pour Forest, Bon de Ville (ou Villa, d’une importante famille de financiers lombards : BIGWOOD, op. cit., I, p. 251), Antoine et Pierre du Mont (ou Monte), tous trois de Chieri (Piémont).

9 Personne subalterne chargé de la manutention des gages, des démarches au domicile des clients, de la tenue des écritures... : BIGWOOD, Régime, I, pp. 348-349. Désignés dans les ordonnances, à côté des « marchans », sous le nom de « facteurs » (par exemple : AEM, TCCH, rec. 90, f. 25 r.).

10 Liste de localités où l’on a relevé la présence de Lombards, entre autres au XV^e siècle : BIGWOOD, op. cit., II, pp. 44-101 (dix-neuf localités pour le Hainaut et le Cambrésis, en 1309 : VERCAUTEREN, Document pour servir à l’histoire des financiers Lombards..., pp. 63-64). Les seuls documents utilisés par nous dans ce chapitre font explicitement mention de prêteurs, pour le Hainaut, à Ath-Lessines, Mons, Valenciennes, Hal et Forest, entre 1428 et 1460 ; il ne devait plus y en avoir ailleurs dans le comté à l’époque bourguignonne, sinon à Binche (BIGWOOD, op. cit., II, p. 52). Pour Hal : M.-J. VAN DEN WEGHE, Hallensia-Notitiën... 3^e reeks. III. De Lombaarden te Halle, dans Mém. Cercle hist. et archéol. Hal, X, 1935, pp. 36-42 (surtout pp. 37-38).

11 En 1313, Lombards d’Asti (Piémont) : S. POULET, Histoire de Forest (arrondissement d’Avesnes), Cambrai, 1905, pp. 84-87 ; MOREL, Lombards, pp. 135-138. En 1413, membres des deux mêmes familles qu’en 1433 : DEVILLERS, Cartulaire des comtes de Hainaut..., III, pp. 552-559. POULET, op. cit., pp. 90-91, mentionne, sans le commenter en détail, l’acte de Philippe le Bon.

12 Le vidimus de l’octroi relatif à la table de Forest (ADN, B 1190/15621) porte au dos une note du temps (« Vidimus des lombars du Castel... »), mentionnant des « lettrez de renonchement » du 16 juin 1438 ; à cette date en effet, Antoine du Mont, au nom de ses confrères, déclare devant le receveur général de Hainaut, Jean Rasoir, en présence d’hommes de fief, renoncer à l’exploitation de la table de Forest, vu que « moult petit y poroient avoir ne trouver quelque pourfit, mais polroit esqueir grant damaige » : AEM, TCCH, rec. 90, f. 26 r. (mention succincte par BIGWOOD, Régime, I, p. 355). Ce document n’est pas connu de POULET, op. cit., p. 91, qui formule toutefois, sur le silence des sources à propos des Lombards de son village après 1433 (BIGWOOD, op. cit., II, p. 65, n’en a plus davantage trouvé trace) une hypothèse très valable : les financiers auraient quitté le plat pays, peu sûr et peu rentable, pour s’installer dans les villes ; peut-être, de fait, faut-il mettre la renonciation de juin 1438 en rapport avec le passage et les méfaits des pillards « écorcheurs » à Forest et dans les parages, au cours des mois précédents : J.-M. CAUCHIES, Les « écorcheurs » en Hainaut (1437-1445), dans Revue belge d’histoire militaire, XX, 1974, pp. 323-324.

13 « Marchans Lombars, Touscains, Juifz, Caoursins ne autres faisans semblables negotiations » (Ath-Lessines). Cf. BIGWOOD, op. cit., I, p. 342.

14 Des concessions aussi larges ne sont évidemment pas gratuites : les Lombards de Forest doivent au duc 50 livres tournois par an, ceux d’Ath-Lessines 70 livres, ainsi que la même somme à la douairière Marguerite de Bourgogne, dame des terres où ils se sont installés.

15 Cf. n. 25 infra.

16 Convocation de Remi de Bois, Lombard d’Ath, par le bailli de Hainaut, aux fins de contrôle de son privilège (du 11 avril 1428) : ADN, B 10393, f. 26 v. (20 janvier 1429).

17 Comme les privilèges des Lombards les y autorisent d’ordinaire : cf. supra.

18 AEM, TCCH, rec. 90, f. 25 r. (sans date). Sont mis en cause les Lombards de Mons, d’Ath et de Forest (ces derniers, dans très peu de temps, vont cesser leurs activités : n. 12 ci-dessus). Ordonnance analysée par BIGWOOD, Régime, I, p. 544, qui n’avait pu en déterminer la date : celle-ci (mai 1438) est donnée par les comptes des prévôts de Mons et de Maubeuge : AGR, CC 15130, f. 17 r. ; ADN, B 11558, f. 18 r.

19 Cf. des ordonnances comtales des 8 juillet 1386 (DEVILLERS, Cartulaire des comtes de Hainaut..., II, pp. 384-390), 5 août 1391 (ibid., pp. 490-491), 7 juillet 1410 (FAIDER, Coutumes du pays et comté de Hainaut, I, pp. 80-81 ; ordonnance reproduite par celle de 1440) : trois ans, quatre ans, trois ans.

20 BUEM, ms. 650, f. 58 v.-59 r. (« Premiers que le fait et marchandize des uzeriers prestans par obligation ou dit pays de Haynnau est moult damagables au peuple d’icelui... »).

21 FAIDER, op. cit., I, pp. 152-154 (le châtelain et l’échevinage d’Ath, ville où sont installés des Lombards, se procurent sans tarder des vidimus de l’édit : AVA, mass, 1447/48, f. 30 r.). Pour éviter toutes contestations ultérieures, les lettres trouvées « licites et raisonnables » seront enregistrées à l’office du bailliage. On saisira les limites du travail de P. MOREL, Les Lombards dans la Flandre française et le Hainaut, en soulignant qu’il ne fait même pas état de cet édit, pourtant imprimé dans un recueil essentiel !

22 AGR, AcL, 1579 (c.) : deux lettres du bailli de Hainaut au châtelain d’Ath (janvier 1447). AGR, CC 14872, f. 32 r., 33 r., 33 v. (« la malvaisetet qu’il sambloit au dit castellain estre ou fait des Lombars »), 34 r.-35 r. ; 14873, f. 26 v. (comptes de la châtellenie d’Ath ; août 1446-février 1447). ADN, B 10410, f. 36 v. (enquête dans le Sud du comté), 46 v.-47 r. ; B 10411, f. 51 r., 52 r., 52 v. (enquête dans tout le comté sur les méfaits de Rémi de Bois), 53 v., 54 v., 62 r., 63 r.-64 r. (comptes du bailliage de Hainaut ; décembre 1446-mai 1447). Cf. une accusation précise à l’égard de deux individus exécutés à Tournai (ADN, B 10411, f. 48 v.) : « pour avoir frauduleusement pourquis lettres sour gens trespasséz, avoecq les Lombars d’Ath, et icelles lettrez cachiés a maise cause pour les hoirs de pluiseurs gens trespasséz en ce pays » (illustration d’une préoccupation majeure des édits : cf. celui de 1440, cité supra).

23 ADN, B 10410, f. 45 r.-v.

24 Cf. cas concrets dans BIGWOOD, Régime, I, p. 671.

25 Sur la retentissante « affaire » Macet (ou Machet : famille originaire de Chieri, en Piémont, qui participa à l’exploitation de plusieurs tables dans nos provinces, notamment à Bruges et à Bruxelles), cf. Œuvres de Georges Chastellain, éd. J. KERVYN de LETTENHOVE, t. III (Chronique, 1454-1458), Bruxelles, 1864, pp. 314-316 (« Comment le duc mist sa main sur les bancs des usuriers ») ; BIGWOOD, op. cit., I, pp. 346-347, 380-385, et II, pp. 424-444 ; DE ROOVER, Money, banking and credit in Mediaeval Bruges..., pp. 135-136. Une lettre du seigneur de Croy et du bailli de Hainaut confirme la détention à Mons, en septembre 1457, d’Antoine Macet — arrêté à Valenciennes après avoir fui de Bruges (où, à la demande de ses créanciers, il allait être transféré en décembre : BIGWOOD, op. cit., I, p. 381) : ADN, B 10422, f. 53 r. À Bruges aussi, Philippe devait charger des conseillers de confisquer les biens des coupables. Le récit de Chastellain (op. cit., p. 316 : « Sy advint qu’a cause de ceste faute commise en Bruges, tous les bancs des usuriers des pays du duc rompirent et y mist le duc sa main sus comme forfais et les composer, car tous contribuaient ensemble avecques les dessusdits en la faute commise »), quoi qu’en pense BIGWOOD, op. cit., I, p. 385, ne contient donc rien d’anachronique.

26 ADN, B 2066/64824 : quittance de Charles à son receveur de l’épargne pour la somme de quinze cents francs (de 32 gros de Flandre), payée par les tenanciers des tables de Brabant, Flandre, Artois, Hainaut, Hollande, Zélande et Namur, à l’occasion de cette confirmation.

27 Décision rappelée dans l’acte de novembre 1473, qui suit. Cf. TIHON, Aperçus sur l’établissement des Lombards..., p. 364. La mesure prise en juin semble avoir été mise à exécution le 10 juillet : LAENEN, Usuriers et Lombards dans le Brabant..., p. 140 ; BIGWOOD, op. cit., I, p. 386.

28 Cf. supra. L’acte de novembre 1473 est édité par MOREL, Lombards, pp. 230-237 (14 et non 13 novembre, comme l’indique cet auteur ; cf. le document utilisé : ADN, B 578/16252). Il a été préparé, en septembre-octobre, par des enquêtes sur les tables de tous les Pays-Bas : AGR, CC 21435, f. 8 r.-9 v. LAENEN, op. cit., pp. 139-140 (même erreur dans l’indication du « dies »). Cf. aussi M. MOLLAT, Une enquête à poursuivre : La situation financière de Charles le Téméraire dans les derniers temps de son règne, dans Cinq-centième anniversaire de la bataille de Nancy..., Nancy, 1979, p. 183.

29 ADN, B 10440, f. 17 r.-v. AEM, ms. 89 (Cocqueau), II, p. 331. VAUGHAN, Charles the Bold, pp. 395-396.

30 DE ROOVER, Money, banking and credit..., pp. 100, 150-151. Après la mort de Charles le Hardi, seront à nouveau délivrées par les princes « plusieurs lettres de confirmation des privileiges des lombars des pays de par deca » : ADN, B 1699bis, (. 12 v. (16 août 1477) ; BIGWOOD, Régime, I, p. 387 (en août, et non en avril). Les tables de prêt connaîtront cependant encore des péripéties, notamment quand Maximilien régent, en 1511, révoquera temporairement tous les octrois en cours : LAENEN, Usuriers, p. 142 ; DE ROOVER, Money, p. 156, n. 5 (ordonnance inappliquée).

31 La législation de princes laïcs rejoint ici celle de l’Église, dans sa lutte contre l’usure ; les décrets du Concile de Vienne, promulgués en 1317, hostiles aux lettres obligatoires, produisirent à la longue des effets identiques : TIHON, Aperçus, p. 363.