16 L’attentat contre Charlie Hebdo est une attaque terroriste perpétrée contre le journal satirique le 7 janvier 2015 (le jour de la sortie d’un numéro où apparaît une caricature de Mahomet en couverture) – par des individus se réclamant d’Al Qaïda (AQPA). Une grande partie des victimes de la tuerie sont des journalistes membres de la rédaction du journal (huit personnes sur douze). Cette attaque est suivie de l’assassinat de quatre personnes lors d’une prise d’otages dans une superette Casher (le 8 janvier) par un complice des premiers assaillants. La répercussion de ces attaques est considérable en France mais aussi à l’étranger : manifestations de soutien dans de nombreuses villes françaises et dans le monde entier, « marche républicaine » à Paris (le 11 janvier) rassemblant une quarantaine de chefs d’Etat, des millions de personnes défilant sur le territoire sur plusieurs journées. Le numéro du journal surnommé « numéro des survivants » est tiré à plusieurs millions d’exemplaires.
17 Avec le focus sur la dimension expérientielle, ces auteurs mettent en avant le caractère actif de la minoration, de sorte à ce qu’on puisse sortir d’un postulat de passivité concernant les relations de domination.
18 Ce disant, Rania illustre l’analyse majeure qu’a offerte Abdelmalek Sayad autour des tourments de l’immigré insoluble dans la catégorie du national même une fois naturalisé. e, l’accès symbolique restant conditionné et conditionnel. Ce phénomène est, suivant l’auteur, symptomatique du lien intrinsèque entre immigration et pensée d’Etat (Sayad 1999).
19 Racisation du voile mais aussi racisation de la “jupe longue” : Sarah commentera lors de l’entretien cet épisode de refoulement d’une trentaine d’élèves d’un établissement bruxellois le 29/05/15. En cause, pour rappel : la longueur de la jupe des étudiantes incriminées, sur base du ROI. Suite à l’interpellation de conseillères au Conseil communal, les intéressées ont pu reprendre les cours normalement. Cet épisode, au yeux de Sarah, est un exemple paroxystique de ce rejet de l’habit musulman au féminin « C’est fou parce qu’on va de plus en plus loin. La jupe, la jupe qui doit avoir une certaine caractéristique pour être acceptée. Mais on va où ? Cela n’a pas de sens ! » Voir : Libre Belgique, 29/05/2015 : « Institut De Mot-Couvreur : interdites d'école car elles portent une robe » ; Libre Belgique 08/06/2015 : « Le port des jupes longues n'est plus problématique à l'école bruxelloise De Mot-Couvreur ».
20 Ces constats rejoignent ceux de travaux belges antérieurs menés sur les questions conjointes de la stigmatisation dont fait l’expérience la « femme musulmane », de celle de l’intériorisation des assignations identitaires et des réponses y étant apportées (Brion 2000, 2004 ; Fadil & Bracke 2011 ; Fadil 2011, 2014). La convergence des constats d’hier et d’aujourd’hui permet de conclure à la persistance voire à l’intensification de ces processus d’infériorisation symbolique.
21 Delphine Naudier et Eric Soriano décrivent l’apport de Guillaumin aux sciences sociales par ces termes : « Née en 1934 à Thiers, elle s’intéresse à la sociologie à un moment où cette discipline ne constitue qu’une partie d’un certificat de philosophie. Elle soutient une thèse en 1969 ‘Un aspect de l’altérité sociale. L’idéologie raciste’. Ce travail est publié quelques années plus tard aux éditions Mouton (1972). Il est réédité en 2000 chez Gallimard. Par sa faible réception initiale, son principal ouvrage marque l’histoire d’un tournant qui ne s’opérera pas : celui de l’étude des rapports sociaux de race en France. Il faudra trente ans pour que ré-émerge ce livre au bénéfice d’une légitimitéì forte acquise dans le champ des recherches féministes. » (Naudier & Soriano 2010, p. 193).
22 Selon Colette Guillaumin, il est en effet quasi-impossible de faire une description de la ‘majorité’ sauf à travers un modèle, un idéal-type, ou encore à travers une description en creux, par la négative. Suivant ce dernier principe, « être majoritaire (appartenir à la majorité) consiste d’abord à n’être pas minoritaire (noir, femme, juif, homosexuel, colonisé, étranger, etc.) » (Guillaumin 1985, p. 107). La majorité présente donc des traits abstraits non réductibles à un groupe particulier, ce, contrairement au groupe minoritaire, l’absence de spécificité culturelle de la majorité étant précisément un des traits de la domination.
23 La jeune femme fait référence à un avis rendu le 16/11/2015 par le Tribunal de travail de Bruxelles qui jugeait illégal un règlement de l’office régional bruxellois de l’emploi (ACTIRIS) interdisant le port de tout signe convictionnel – concluant à son caractère discriminatoire. Le tribunal avait été saisi par trois travailleuses d’Actiris. Suite à la décision, il est ordonné le retrait immédiat de cette disposition adoptée en avril 2013.
24 Les études belges rappellent que la Belgique se caractérise, contrairement à la France, par un régime de séparation souple entre l’Etat et les cultes (Dumont & Delgrange 2008) joignant d’une part, le principe de neutralité publique et d’autre part, la reconnaissance des cultes par leur financement (notamment, salaires des ministres de cultes reconnus et des professeurs de religion (Constitution de 1830 art. 19, 20, 21, 24 et 181). Le paysage belge des institutions est marqué par ce qu’on appelle communément la pilarisation, à savoir : le fait que les piliers historiques du christianisme – et du libéralisme et du socialisme – imprègnent encore l’ensemble de l’organisation sociale (partis politiques, mutualités, syndicats, écoles, mouvements de jeunesse, etc.) Il en découle notamment que l’on distingue (Art. 2. de la loi de 1959 dite loi du “Pacte Scolaire”), parmi les établissements scolaires publics, le réseau directement organisé par l’Etat (Communauté, provinces, communes) et le réseau « libre » regroupant en très grande majorité des établissements confessionnels (environ la moitié de la population scolaire fréquente l’enseignement libre en Belgique francophone).
25 En Communauté française, il faut se référer au décret du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté et au décret décret du 17 décembre 2003 organisant la neutralité inhérente à l'enseignement officiel subventionné.
26 Pour une discussion approfondie autour de la lecture critique de Beauvoir par Butler, voir Heinämaa 1997.
27 Les attentats du 13 novembre 2015 sont revendiqués par l’organisation terroriste Etat islamique ; ils renvoient à une série d’attaques-suicides et de fusillades perpétrés à Paris et dans la périphérie par trois groupes d’assaillants distincts. Les attentats du 22 mars 2016 commis dans la Région de Bruxelles-Capitale se rapportent à une série de trois attentats-suicide à la bombe revendiqués par l’organisation Etat islamique dont deux à l’aéroport de Bruxelles à Zaventem et un troisième dans la rame de métro à proximité de la station Maelbeek, faisant état de trente-deux morts et de plusieurs centaines de blessés.
28 Ce texte donne lieu à une discussion multi-polarisée entre Talal Asad, Judith Butler, Saba Mahmood et Wendy Brown dans l’ouvrage « La critique est-elle laïque ? Blasphème, offense et liberté d’expression » (Asad 2015a). Les termes du débat s’articulent autour des contradictions internes à la pensée libérale occidentale mais, également, autour d’une analyse comparée (anthropologico-philosophique) de l’ontologie des sujets libéral versus islamique. Talal Asad définit la pensée libérale en tant qu’espace discursif – sous-tendu par des idées-clés (autonomie et liberté individuelles, libre-échange économique, centralité du droit, laïcité, autodétermination nationale), par des « points aveugles » (essentialisation contestable d’une « civilisation européenne », déni de la violence historique européenne en Afrique, en Asie, dans les Amériques) – un espace au cœur duquel est logée une idée de l’« humain » : le sujet libéral est ainsi le produit de la pensée libérale. L’instauration dudit sujet, suivant Asad, dépend de ce qui le caractérise fondamentalement à savoir le principe de la substituabilité de l’individu (un individu/une voix électorale, un individu/un propriétaire-consommateur). Les règles relatives à la protection de la propriété individuelle, depuis les biens de toutes sortes jusqu’au bien ultime qu’est le corps à soi, sont à l’origine de la définition de cet individu libre. S’exprimer dans l’espace public est un acte subsumable, d’après Asad, à la capacité d’être libre et on peut y voir une valorisation de la « séduction » propre à la société libérale, où individus-électeurs et individus-consommateurs sont exposés à des tentations et offres multiples. Inversement, l’idée de « liberté » (soit totalement présente soit totalement absente) ne serait pas véritablement pertinente dans la tradition islamique. Ce qui compte du point de vue de la communauté musulmane, ce ne sont pas les pensées intérieures – dont le libre cours est théologiquement « encouragé » – mais leur expression publique. Cette dernière peut être répréhensible et le mode de régulation public islamique induit la restriction de comportements par la répression. Et ainsi : le « droit de penser ce qu’on veut n’inclut pas pour autant le droit d’exprimer publiquement ses croyances religieuses ou morales avec l’intention de convertir les gens à une fausse doctrine » (Asad 2015a, p. 57) ; sous cet angle, la distinction est nette entre liberté de pensée et (non-) liberté de séduire dans une tradition islamique davantage axée sur l’éthique de la responsabilité que de l’intention et où l’ordre social ne doit pas être détruit par des actions individuelles non-maitrisées.
29 Il y aurait lieu de procéder à des enquêtes ultérieures dédiées aux médiations entre migrants subsahariens bruxellois et le pays d’origine permises par les TIC (technologies d’information et de communication) dans ces liens (téléphonie mobile et vecteurs virtuels de communication – FB, skype, imo, etc., accès aux mass médias produits et diffusés depuis le pays d’origine : programmes de télévision par satellite, consultation de sites, etc.)