Partie 1
Les dynamiques mouvementées de la formation
p. 17-52
Texte intégral
1. Diachronie et géographie de la formation islamique privée en France
1.1. Temporalité des tendances en métropole française
1Les structures de formation à l’islam apparaissent de façon visible et significative entre 1986 et 1993. La plupart d’entre elles émergent afin de répondre aux attentes de plus en plus explicitement formulées sur la scène publique d’une formation des imams en France. C’est le cas de l’IESH de Château-Chinon (1992), de l’Université Islamique de Paris (1993) — aujourd’hui nommé Oussoul Eddine — ainsi que l’Institut al-Ghazali (1993) au sein de la Grande Mosquée de Paris. À côté de ces pionniers de la formation islamique pour adultes, en marge de ces débats, le converti Ayyoub Lesueur a créé la Madrassah en 1986 à Porte de la Chapelle en région parisienne. Il expérimente sa propre méthode bâtie sur son expérience personnelle en tant qu’apprenant en milieu déobandi1. Contrairement aux structures se présentant comme un enseignement supérieur, la Madrassah propose un cursus allant d’une instruction primaire pour les enfants (ou débutants) à un enseignement plus sophistiqué pour les adultes. Malgré le caractère précoce de la Madrassah, le développement de ses antennes ainsi que sa notoriété au regard des foules d’apprenants qui y étudieront, le récit académique de cette formation des « cadres » musulmans n’aura longtemps retenu que les trois premières structures (Frégosi, 1998 ; Jouanneau, 2013). Ce premier constat réflexif nous oriente, d’ores et déjà, sur les logiques de frontières qui caractérisent l’offre en fonction des positionnements stratégiques, autrement dit de la prétention des acteurs vis-à-vis de cet ensemble d’attentes forgé par la construction de la formation à l’islam comme objet de politique publique (De Galembert, 20072).
2Un second temps de la formation à l’islam est celui du développement des « antennes » au début des années 2000. Après plusieurs années d’existence, l’IESH de Château-Chinon a, à travers ses lauréats, suscité des vocations. En 2001, une antenne de l’IESH de Paris est créée à Saint-Denis, en 2004 al-Andalous est créé à Strasbourg par un couple de lauréats de l’IESH, et la même année Zakariyya Seddiqi prend ses distances avec l’IESH et crée le premier institut en e-learning : l’IMED, tandis que l’Institut Shatibi de Lyon ouvrira en 2006 en présentiel. Cette phase correspond à une logique de développement d’antennes sur une part plus large du territoire découlant de la dynamique initiale de l’IESH. Ce processus n’a eu de cesse de perdurer jusqu’à nos jours avec l’ouverture d’autres antennes comme l’Institut des Sciences humaines Nawawi à Saint-Étienne en 2013 et bien d’autres. Cet épisode pose d’emblée la question de la nature des liens entre ces instituts-antennes et l’IESH, ce qui sera développé plus loin à travers une typologie des relations entre instituts. On remarquera le statut pionnier de l’IMED en matière d’enseignement à distance, une modalité qui était avant tout exploitée dans le cadre d’enseignements individualisés comme les cours de langue arabe avec des Égyptiens devenus courants à cette époque. Progressivement, côté francophone, la création de forums en ligne se développait, tout au mieux la mise en accès d’audios pré-enregistrés faisait office de proto-e-learning.
Infographie des tendances historiques des formations islamiques en France métropolitaine, 2020

© Manuella Pinelli
3L’offre de formation à l’islam en e-learning n’a connu un réel développement qu’à partir de 2014. L’Institut Asharite est celui qui a emboîté le pas en 2014, suivi de près par l’Institut Abu Hanifa en 2015, l’Institut Maziri en 2016, l’Institut Shafi’i en 2017, et enfin la Mahdara al-‘ālamiyya en 2018. Outre leur rapprochement dans le temps, ces nouveaux acteurs partagent un même socle didactique fondé sur un islam traditionnel au sens « madhhabique » (tel qu’employé par T. Pierret, 2011) c’est-à-dire inscrit dans une des quatre écoles juridiques sunnites, affilié au courant dogmatique acharite et empreint de soufisme. Cette phase du développement de l’offre de formation à l’islam n’a fait l’objet d’aucune analyse à ce jour pourtant cette irruption sur le marché suscite nombre de questionnements auxquels la présente recherche tente de répondre : est-ce une démarche coordonnée ? Quels sont leurs réseaux d’influence respectifs ? Dans quelle mesure ce socle idéologico-didactique implique-t-il des formes et pratiques de transmission similaires ? Et enfin, par quelles stratégies ces structures exclusivement en ligne parviennent-elles à se développer et à maintenir des liens durables avec leurs publics d’apprenants ?
4Au cours de la période qui recouvre l’enquête, deux évènements sont venus mettre en exergue le rôle d’un enseignement dématérialisé permettant d’assurer une continuité pédagogique malgré les restrictions survenues. Le premier évènement est la fermeture administrative de l’IESH de Paris faisant suite à la volonté du gouvernement d’endiguer une part des institutions musulmanes jugées problématiques sur le territoire. Le e-learning viendra, en ce sens, assurer le maintien des enseignements et permettre aux structures d’échapper à ce que d’aucuns pourraient interpréter comme des manœuvres préfectorales arbitraires. Le second événement fait suite au contexte d’expansion de la pandémie COVID-19. Les restrictions inhérentes aux arrêtés instaurant un régime de confinement draconien ont clairement mis en péril une part des activités pédagogiques. Afin, encore une fois, d’assurer la continuité pédagogique de cette fin d’année 2019/2020, la plupart des instituts ont eu recours à diverses plateformes : Skype, Zoom, ou autres. Ces pratiques compensatoires seront peut-être à l’origine d’un recours encore plus systématique au e-learning à l’image de tous ces enseignants de l’enseignement public contraints malgré eux de passer au 2.0 en vertu de la nécessité du contexte. Ainsi, sur ces cinq dernières années, l’investissement numérique au sein de la formation à l’islam est désormais devenu massif.
5Cette perspective historique met en lumière une longévité des structures et des parcours inscrits dans des logiques de continuité voire de capitalisation de l’expérience. Autrement dit, nombre de formations marchent et perdurent sur le long terme, ce qui traduit une stabilité du phénomène de la formation. En ce sens, il est possible d’identifier des tendances générationnelles à partir des profils des enseignants sur l’ensemble de la formation privée à l’islam. On peut distinguer trois classes d’âge :
- Les séniors : ce sont ceux qui enseignent depuis près de 30 ans au moins et qui se trouvent généralement âgés de 60 ans ou plus. Il s’agit des convertis tels que Ayyoub Lesueur de la Madrassah, Abdallah Penot de l’Institut Asharite ou encore Ahmed Jaballah, directeur de l’IESH de Paris. Leur ancienneté en fait des pionniers de premier choix. Ce capital « de terrain » se cumule à une notoriété de large portée et leur confère, dans leurs milieux respectifs, une profonde déférence.
- Les aguerris : ce sont les profils âgés de 40 ans et plus qui ont une ancienneté de 10 ans d’enseignement au moins. On y compte Abdallah al-Thaparro de l’école al-Foulk, Mohamed Hendaz de l’IMED, Noureddine Belhout de la FSIP, Cheikh Ahmed Ndieguene de Marseille, Tarik Bengaraï de l’IESIP, ou encore Abderrahman Belmadi de l’Institut al-Ghazali. Pour la plupart, leur notoriété semble se limiter surtout à la région parisienne, même s’ils sont de plus en plus amenés à réaliser des formations spontanées ou à élaborer de nouvelles antennes dans d’autres régions (Hendaz, Bengaraï, Ndieguene et Belmadi par exemple).
- Les émergents : ce sont les acteurs de la formation âgés de 30 ans ou plus et qui n’ont qu’une expérience pédagogique de quelques années (3 ou 5 ans). C’est le cas de Marwan de l’Institut Maziri, d’Ismaïl de l’Association Iqraa, de Baptiste de l’Institut Asharite, d’Ismahène de l’IESH de Paris ou encore d’Abdelhakim Murat de l’Institut Abu Hanifa. Du fait de leur génération, malgré leur faible capital d’expérience, certains d’entre eux (comme Ismaïl et Ismahène) jouissent déjà d’une importante notoriété conquise grâce à une présence proactive sur les réseaux sociaux (Facebook notamment). Les autres évoluent bien plus discrètement (comme Baptiste et Abdelhakim Murat) à la marge de ces espaces de visibilisation numérique. Ces derniers, plus proches de l’univers confrérique, se rendent souvent discrets en évoluant plus discrètement dans le sillon d’un sénior tel que Abdallah Penot par exemple.
Liste des instituts de formation supérieur à l’islam en France métropolitaine, 2020 © Manuella Pinelli

1.2. Spatialité religieuse de la formation privée à l’islam en France
6L’analyse géographique de l’implantation des instituts de formation dans le temps, nous a permis de relever plusieurs caractéristiques intéressantes posant problème. Au même titre que la géographie de l’éducation, il existe des inégalités socio-spatiales de cette offre, autrement dit, aux disparités quant à la répartition géographique des instituts.
Cartographie des instituts de formation supérieure à l’islam en France métropolitaine, 2020 © Manuella Pinelli

7Tout d’abord, une part significative des instituts recensés dans cette recherche échappe à une forme classique de territorialisation. En effet, plus d’une dizaine d’entre eux ont opté pour le e-learning comme modalité d’enseignement. La notion de « territoire numérique »3 nous invite pourtant à penser que l’offre numérique n’échappe pas à un ancrage géographique. En effet dans la plupart des cas, soit ces enseignements en ligne s’inscrivent en complément d’un enseignement en présentiel (IESH, Nadwi, Najah), soit l’initiative est exclusivement en ligne mais elle tentera progressivement de se rattacher à une localité parfois dotée d’un riche ancrage historique (Institut Asharite). Ainsi nous voyons que le numérique ne naît pas de nulle part et que bien souvent il correspond à une stratégie de développement d’un « déjà-là ». Cependant, on ne peut nier les spécificités — voire les avantages — du numérique vis-à-vis du présentiel, comme le fait que la portée de ces instituts échappe aux lois de la mobilité spatiale permettant ainsi de réunir dans une même expérience pédagogique des étudiants et même des enseignants de contrées bien éloignées les unes des autres. En d’autres termes, le développement du e-learning participe au processus de massification de l’enseignement sur l’ensemble du territoire français (et même au-delà).
8Un second trait caractéristique est, comme à l’accoutumée, l’important écart entre la capitale et la province en termes de concentration spatiale des instituts. La centralité de Paris est une constante dans l’analyse d’une large part des phénomènes sociaux, la formation à l’islam n’y déroge aucunement. Avec plus de quinze structures sur une zone de quarante kilomètres (de Stains à Vigneux-sur-Seine), Paris et sa périphérie concentrent autant d’instituts que l’ensemble des instituts de province. Puis viennent certains grands pôles urbains, à leur tête : Lille, Strasbourg, Lyon et Marseille. Ces concentrations s’expliquent avant tout pour des raisons démographiques mais aussi historiques à travers le poids et la diversité des migrations dans ces métropoles urbaines. Cette hégémonie de l’urbain se fait nécessairement au détriment de la ruralité. Bien que celle-ci offre généralement de moindres coûts de gestion (achat ou location de locaux) et des superficies plus grandes et moins contraintes par le voisinage. Le rural a en réalité très tôt été privilégié pour des initiatives avec possibilité d’internat comme l’IESH de Château-Chinon dans la Nièvre dès 1993, mais également la zāwiya du cheikh Abdallah Penot (fondateur de l’Institut Asharite) située dans le Parc régional du Pilat (Rhône) créée en 1991, ou encore plus récemment l’Institut Buhara créé en 2006 dans les Vosges.
9Un troisième point concerne les différences sur le plan des infrastructures. Une part non-majoritaire des instituts sont attenants à des mosquées. C’est le cas, en premier lieu, de l’Institut al-Ghazali qui a pris place dès 1993 et ce jusqu’à ce jour dans les locaux de la Grande Mosquée de Paris. Mais également les activités dispensées à la mosquée Annour d’Ivry, l’ISIO à la mosquée d’Orly, l’Association Iqraa au sein des mosquées de Roubaix et ses alentours, ou encore l’une des deux antennes de l’IESIP située au sein de la mosquée Othman à Sevran. Le reste des structures — c’est-à-dire la majorité — a pu acquérir un bien immobilier comme l’IESH de Paris en voie d’inaugurer son propre campus étudiant, ou tirer profit de locaux par le biais de la location de façon durable (comme l’Institut Nadwi) ou de façon ponctuelle (comme l’antenne parisienne de l’IESIP). L’achat d’un bien immobilier à vocation pédagogique n’est donc pas la norme puisque cela engage une importante capacité financière notamment sur la capitale.
2. La typologie des structures en mouvement
10Cette cartographie nationale de la formation privée à l’islam en France a permis de dresser les grandes lignes caractéristiques de cette offre. L’analyse macrosociologique imbriquée aux apports des diverses sciences sociales a révélé des frontières multiples au sein de ce marché. Elle a mis en exergue la profondeur historique de ces dynamiques tout comme le caractère encore récent d’une part d’entre elles. Il importe désormais d’aborder cette offre sous l’angle des logiques de concurrences et d’interactions dans lesquelles elles sont enchevêtrées. Le foisonnement de données recueillies durant toute une année sur l’ensemble du territoire hexagonal peut faire l’objet d’une typologie en fonction de deux critères. Premièrement, celui des modalités de transmission mobilisées dans leurs enseignements, et deuxièmement l’attitude adoptée vis-à-vis du problème public de la formation des cadres musulmans en France. Il en ressort six catégories de structures :
- Les traditionnelles indifférentes
- Les confrériques à tendance traditionnelle
- L’académisme
- Les traditionnelles « universitarisées »
- Les spécialisées dans le Coran
- Le coaching religieux
2.1. Paysage des formations traditionnelles
11Un premier ensemble de structures correspond à une offre de type « madhhabique » qui se définit par un ancrage juridique à l’une des quatre écoles de droit sunnite et par des modalités de transmission qualifiées de « traditionnelles ». Ces offres de formation répondent toutefois à des temporalités différenciées. La Madrassah du converti nommé Cheikh Ayyoub qui est située à Paris est la plus ancienne d’entre elles puisqu’elle date de 1980, et c’est également celle par laquelle sont passées nombre de figures actuelles de l’islam traditionnel en France. C’est le cas notamment d’un autre converti, Abdallah al-Thaparro, qui a créé en 2010 en région parisienne l’institut al-Foulk. Ensuite, la plupart des autres structures qui se sont formées dans cet ensemble s’inscrivent dans la vague d’émergence d’une offre de formation essentiellement en e-learning à partir de 2014. Tout d’abord l’Institut Asharite d’un autre converti, Abdallah Penot, suivi de près par l’institut Abu Hanifa d’Abdelhakim Murat, d’un jeune franco-turc installé en Turquie, l’institut Maziri créé par un jeune franco-tunisien étudiant à Riyâd, l’institut Shâfi’i du Libanais Abu Zakariyya, ou encore la Mahdara al-’ ālamiyya des maîtres mauritaniens de Nubbaghiyya, un village situé au sud-est de Nouakchott. Enfin, on peut ajouter plus récemment l’institut Nadwi installé à Villejuif initié par deux réunionnais d’influence déobandi qui — à partir des enregistrements des cours — ont créé une plateforme numérique.
12Tous témoignent d’une attitude d’indifférence vis-à-vis de l’enjeu de la formation des cadres religieux et des imams en particulier. L’enjeu consiste plutôt à réhabiliter un enseignement classique qui était invisibilisé depuis plusieurs décennies par l’offre de formation et de discours frériste et salafi. Leur vision de la formation renvoie à une acception de la transmission qui s’inscrit dans un continuum didactique progressif entre le néophyte et le savant jurisconsulte. La plupart du temps, la notion de « formation des imams » n’a aucun sens, puisque ce type de vocation renvoie à tout un ensemble d’évidence inhérent au modèle traditionnel. Plus largement, on retrouve cela même dans les communautés mourides, tidjanes ou comoriennes. Pour Abdallah al-Thaparro, comme pour les autres entrepreneurs pédagogiques de cette catégorie, si être imam c’est être dévolu au culte des cinq prières quotidiennes, alors étudier une année dans leur structure suffirait car les textes traditionnels enseignés appelés « mutûn » contiennent tout le nécessaire pour s’assurer de la validité de la prière ainsi que de la qualité de la récitation coranique. Mais si par « imam » on entend un enseignant prêt à répondre aux questions religieuses des fidèles, dans ce cas il s’agit d’être « savant ». Selon cette vision traditionnelle, il n’y a donc pas de formation propre aux cadres religieux comme le seraient les séminaires catholiques, mais plutôt une logique d’approfondissement à partir d’un même tronc commun.
13Des sous-ensembles se dessinent dès lors que l’on tient compte des liens de coopération ou de mutualisation entre ces structures. Le premier sous-ensemble est d’orientation néo-deobandi réunissant la Madrassah et l’institut Nadwi. Ils partagent, selon leurs propres mots, un même univers hanafite-indo-pakistanais. Cela se traduit par le recours à des manuels communs pour la langue arabe notamment ceux édités par Cheikh Ayyoub sous l’édition La Madrassah. Mais également via la forte interconnaissance des membres du corps professoral notamment lorsqu’il s’agit de recourir à des enseignants pour dispenser des enseignements de droit mālikite comme Sofiane et Nader Abou Anas qui sont tous deux des élèves de Cheikh Ayyoub et qui interviennent dans les deux instituts. Un second sous-ensemble est celui qui réunit l’Institut Asharite avec l’Institut Abu Hanifa puisqu’avec le « Projet Kufa » ils proposent un cursus commun en matière de droit hanafite afin de ne pas faire de doublon. Tous deux mālikites, Abdallah al-Thaparro de l’institut al-Foulk fut l’un des premiers enseignants de Baptiste l’actuel enseignant du fiqh mālikite au sein de l’institut Asharite. Dans une autre mesure, Abu Zakariyya de l’institut Shafi’i — qui par son ancrage shafi’ite connaît une certaine marginalité — est également en lien étroit avec le corps professoral de l’institut Asharite et leurs activités événementielles. Enfin, la Mahdara qui se distingue par un enseignement exclusivement arabophone depuis la Mauritanie compte parmi ses enseignants certains maîtres du jeune Baptiste. Tous ces instituts se caractérisent par une affirmation des écoles juridiques (mālikite, hanafite, shafi’ite), de leur ash’arisme ainsi que de leur ancrage soufi sans pour autant que ce dernier soit mis en avant au sein de leur cursus par un enseignement spécifique (ce qui les distingue d’une autre catégorie dont les activités d’enseignement sont davantage ancrées dans le confrérisme). Le parent pauvre de cette catégorisation est l’institut Maziri qui, sur le plan du programme d’enseignement, est assez similaire à ce que propose l’institut Asharite, le droit mālikite et hanbalite y sont enseignés, l’ancrage initial au sein du monde universitaire saoudien de son fondateur explique l’absence de relations avec les autres structures. Dans une certaine mesure, il est plus proche de l’univers déobandi à travers une forme discrète de distanciation vis-à-vis de l’ach’arisme.
14L’Institut Asharite est probablement la structure la plus emblématique de l’essor actuel du « madhhabisme ». Il offre une formation en e-learning et ce depuis la rentrée 2014. Son fondateur est Dominique Abdallah Penot, représentant de la confrérie Shadhiliyya, qui y enseigne aux côtés de sept autres enseignants qui sont par ailleurs ses disciples. À ce jour, le cursus proposé s’étend sur quatre années et couvre près d’une dizaine de matières. Sa notoriété soudaine est principalement liée au statut de son fondateur. En 1982, après que son cheikh damascène lui demanda de rentrer en France et de représenter la confrérie à son tour, Abdallah Penot parvint à s’entourer de disciples et développa de nombreuses activités (traductions, enseignements) dans la région lyonnaise. En 1991, il fit construire près de Givors une zāwiya permettant d’y développer ses enseignements. La zāwiya connaît alors un engouement au regard de l’affluence de ses membres, les enseignants Abdallah Serge al-Thaparro ou encore Abderrahman Belmadi y ont tous deux déjà séjourné dans les années 1990. Des enseignements y sont dispensés toute l’année et les majālis (assemblées) confrériques s’y tiennent de façon hebdomadaire. Toutefois, à partir des années 2000, cet enthousiasme se fragilise réduisant le flux d’activité. En 2014, avec l’aide de ses disciples les plus proches, il décide de redonner un second souffle à la zāwiya en la dématérialisant au travers d’un institut d’enseignement en e-learning. C’est la naissance de l’Institut Asharite. Son élaboration est inspirée d’offres existantes outre-Atlantique comme la plateforme en ligne Sunnipath créée en 2003 aux États-Unis par Nûh Ha Mim Keller, un américain converti à l’islam en 1977, devenu érudit shāfi‘te et shādhilite après s’être formé en Syrie et en Jordanie où il vit actuellement. L’objectif est d’élargir la zāwiya par le numérique tout en maintenant son fonctionnement et ses modalités d’enseignement telles que la lecture en arabe de chaque texte (matn) étudié en cours accompagné de son commentaire avant que le professeur ne le traduise et l’explique aux étudiants. Le programme initialement étalé sur trois années est en grande partie tiré des ouvrages dispensés dans la zāwiya pour le fiqh ḥanafite, la terminologie du ḥadīth, le tawḥīd ou encore la langue arabe.
15À partir de 2019, l’Institut Asharite autour de la figure d’Abdallah Penot instaure deux évènements annuels. Il s’agit de l’organisation du Mawlid4 à l’Institut du Monde arabe à Paris ainsi que d’un stage d’étude estival à la zāwiya en région lyonnaise. Ces deux événements permettent de remplir deux fonctions. La première est celle de réinscrire la dynamique initiée par le e-learning dans le sillon historique de la zāwiya et des relations interpersonnelles qu’elle implique entre le Cheikh et les disciples et ce depuis la tradition prophétique, laquelle relation est fondamentale dans le soufisme. Aussi ce stage pourrait-il être considéré comme une retraite spirituelle (khalwa) actualisée et modernisée. Quant à la seconde, il s’agit d’identifier des étudiants-ressources pouvant constituer une potentielle relève par la suite au sein de l’Institut Asharite.
16À l’occasion du stage d’été 2019, le Cheikh Abdallah Penot lance l’idée d’une plateforme de fatwā mālikite dans laquelle Baptiste, un des enseignants, serait la pièce maîtresse. Les discussions ont été amorcées avec différents érudits du monde musulman afin d’obtenir l’accréditation unanime d’une telle initiative. Parmi eux, le Cheikh tunisien al-Mistawī et al-Muraykhī du Bahreïn, tous deux invités lors de la célébration du Mawlid, les guides mourides de Touba ainsi que les shuyūkh tijānis de Nubāghiyya. Autrement dit, des autorités traditionnelles de différents coins du monde. Une telle plateforme, au regard des capacités organisationnelles de l’équipe qui entourent Abdallah Penot, constituerait une sérieuse concurrence vis-à-vis des autres conseils de théologiens ou de fatwā en présence dans l’espace européen. Elle informe également sur la capacité de l’islam traditionnel émergent et de l’Institut Asharite en particulier à générer des cadres religieux de haut niveau.
2.2. Confrérisme à tendance traditionnelle
17Cette catégorie renvoie aux mouvements confrériques au sein desquels l’activité liturgique et l’enseignement sont étroitement liés. Il s’agit en premier lieu d’enseignements au sein des mouvements confrériques tijane et mouride originaires d’Afrique de l’Ouest présents en France dès les années 1960. Ces hommes et ces femmes ont apporté leur religion dans leurs bagages et c’est négociant avec leurs hiérarchies religieuses concernées dans les pays d’origine qu’ils ont construit un islam entre plusieurs territoires, devenant les entrepreneurs de leur religion dans la mobilité. Ce modèle continue à fonctionner et s’adapte car les générations nées en France et les étudiants installés moins durablement n’ont pas toujours la même vision que les anciens. Par ailleurs, d’autres mouvements confrériques plus récents sur la scène internationale francophone proposent des enseignements de plus en plus visibles comme la Bā’lawiyya qui bénéficie de plusieurs figures désormais notoires comme le francophone belge Anass Tigra et son association Isnad ou encore le collectif Floraison.
18Aujourd’hui la question de la formation religieuse des cadres se pose aussi au sein de ces mouvements religieux. Cela s’accompagne de logiques d’ouverture dans des espaces où l’entre-soi confrérique et culturel est longtemps resté la norme, faisant de l’affiliation commune au cheikh une condition préalable au suivi des enseignements.
19Au sein de la dynamique mouride et notamment des maisons Serigne Touba, les cours s’organisent de deux manières. La première consiste à la perpétuation du système traditionnel des majālis. Les apprenants viennent avec leurs livres, assis par terre, le maître-enseignant fait des commentaires et explications en wolof. La deuxième option, privilégiée à Marseille, consiste à procéder par choix thématiques et non par livres. Une fois le thème défini, le maître-enseignant s’occupe de recenser ce qu’en ont dit les clercs de l’islam mālikite pour faire un exposé synthétique afin que l’essentiel soit retenu. Les apprenants posent ensuite leurs questions au maître-enseignant qui se charge ensuite de leur répondre.
20Le centre islamique de Taverny situé en région parisienne s’inscrit ouvertement dans cet effort mené vers le processus de rationalisation du programme mouride de formation « Acadamia » et donne à voir toute la singularité des trajectoires de nouvelles générations mourides ayant grandi en France. En juillet 2019, c’est à Marseille que divers intellectuels et acteurs mourides de toute la France, du Sénégal ou encore de la Belgique se sont réunis au sein de la nouvelle Maison Sérigne Touba. Parmi les conclusions abordées à l’issue de cet évènement figure la nécessité de mettre en place une standardisation des programmes d’enseignement dans les Maisons Serigne Touba, engageant ainsi le mouridisme français dans la voie de l’institutionnalisation. Aussi pourrait-on se demander si, avec le mouridisme, nous assistons à la fin d’un isolement de « l’islam africain » ? À ce titre, l’organisation d’une conférence en ligne à l’occasion de la publication d’une nouvelle traduction d’une œuvre notoire d’Ahmadou Bamba par Abdallah Penot, et par conséquent les potentiels rapprochements vis-à-vis de l’Institut Asharite, viennent accréditer cette hypothèse.
21Chez les adeptes subsahariens de la Tijāniyya, une confrérie dont la présence en France est attestée au moins depuis l’inauguration de la Grande mosquée de Paris, c’est le système traditionnel des majālis qui domine encore. Réunis tous les soirs, à l’exception des jeudis et vendredis, à Lyon, tous les vendredis à Strasbourg et souvent les weekends pour les Parisiens, les apprenants viennent s’asseoir autour du « maître-enseignant », livres à la main pour recevoir les commentaires et explications en wolof. Le parcours commence souvent avec le droit mālikite et peut aller jusqu’aux livres les plus poussés en matière de philologie, d’hagiographie, de rhétorique ou encore de sciences rationnelles. Les plus dynamiques parmi les groupes étant les membres de Mutahabbina Fillahi de Lyon dont Moustapha M. est le responsable moral. Ce dernier, en plus des cours qu’il donne aux enfants et aux adultes, est fortement engagé dans le partage du « savoir » sur internet. C’est ainsi qu’il enregistre régulièrement des cours en format vidéo qu’il publie sur YouTube ou en format audio et qu’il met à la disposition du grand public grâce au portail archives.org. En plus de cela, c’est un écrivain-polémiste engagé dans les débats intra-islamiques surtout contre le wahhabisme.
22Comme chez les mourides, les adeptes de la Tijāniyya ne sont pas encore dans une dynamique de formation de cadres religieux. L’enjeu principal reste la transmission des cultures, des savoirs et des pratiques ancestrales pour faire de la nouvelle génération des hommes et des femmes fondamentalement sénégalais et tijānes mais aussi foncièrement français. C’est cela qui leur a donné l’idée de construire une Daara5 islamique pour le financement de laquelle ils organisent souvent des soirées de dégustation de plats sénégalais. Les bénéfices vont à la caisse destinée au projet.
23Dans le contexte des attentats qui ont marqué ces dernières années, le Cheikh Ahmed Ndièguène, muqaddam de la Tijāniyya, imam de la mosquée Bilal de Marseille mais aussi issu d’une grande famille religieuse du Sénégal, a eu l’idée de mettre en place une application permettant aux parents qui le souhaitent d’apprendre et de faire apprendre à leurs enfants le Coran et les bases de la religion. Les premières cibles furent les jeunes issus de l’immigration sénégalaise, fortement touchés à l’époque par le phénomène des départs. Le site fut créé en 2015 et son nom est Alhanafiya. Autour de lui, se sont réunis des femmes et hommes formés au Sénégal en sciences religieuses. Aujourd’hui, ce ne sont pas que les enfants qui en bénéficient car les adultes aussi se connectent sur la plateforme d’enseignement en ligne de par le monde entier. Actuellement, Alhanafiya compte quarante-quatre étudiants, majoritairement du Sénégal et de la France. Toutefois, fortement identifié à la Tijāniyya sénégalaise, il peine à attirer les membres des autres confréries mais aussi des musulmans non confrériques issus d’autres migrations notamment maghrébines et qui ne se revendiquent pas forcément du soufisme et plus particulièrement de la Tijāniyya.
2.3. À propos dudit « académisme »
24L’académisme correspond à une catégorie de structures qui ont fait le choix d’épouser pleinement les normes de l’enseignement universitaire et s’inscrivent en cela dans une logique de reconnaissance des diplômes d’ordre strictement rationnelle-légale soit par la quête d’un statut juridique spécifique, soit par le biais de partenariats contractés avec d’autres universités dans et hors France. Ces structures, telles que les différentes antennes de l’IESH ou encore la FSIP, se distinguent également par leur posture d’influence réformiste qui se traduit par une double rupture. La première est une rupture avec le patrimoine didactique traditionnel (mutūn) au profit de supports contemporains ou même la préparation de fascicules par les enseignants. La seconde rupture concerne la non-restriction aux autorités traditionnelles des écoles juridiques et dogmatiques au profit d’un éclectisme théologique favorisant systématiquement un enseignement comparé. Enfin, le poids des sciences humaines et sociales est plus significatif que dans toute autre structure appartenant aux autres catégories. Ainsi, ce type d’enseignement correspond davantage aux normes majoritaires de la formation pour adulte. La volonté de se calquer au modèle universitaire représente un coût élevé et potentiellement un désavantage face à une concurrence accrue au sein d’un marché parisien proposant des offres de plus en plus flexibles (e-learning, cours à la carte, bas coût), etc. Ainsi est-on en droit de s’interroger sur le fait que ce type de formation puisse être en perte de vitesse ou non et comment en viennent-elles à gérer cette concurrence encore récente mais bien vivace.
25L’IESH de Château-Chinon compte parmi les premiers instituts de formation à l’islam en France. Créé en 1992, il jouit encore aujourd’hui d’une importante notoriété par son internat situé en pleine campagne de la Nièvre ainsi que ses trois départements de Sharī‘a, de langue arabe et de Coran. Des figures de proue, comme Larbi Bechri, enseignant en droit et fondements du droit musulman aux côtés d’autres universitaires algériens, ou Sa’îd Bouhdhifi pour l’enseignement du Coran, confèrent à cette structure une autorité bâtie tout autant sur son caractère pionnier et que sur ses figures jugées légitimes dans le monde musulman francophone et au-delà. Elle offre une vie estudiantine en immersion dans un cadre propice à cela et attire des étudiants de toute l’Europe. Nombreux sont les enseignants, prédicateurs et imams ayant suivi leur parcours dans cette institution qui a près de trente années d’expérience désormais. Le franco-tunisien originaire du Havre, Moncef Zenati qui est enseignant, conférencier et auteur-traducteur de nombreux livres sur l’islam en est d’ailleurs le fruit. Une grande part de ses publications sert désormais de support aux cours dispensés à l’IESH et dans les structures qui le prennent pour modèle de référence. Moncef Zenati enseigne depuis plusieurs années à Château-Chinon, en présentiel comme en e-learning.
26En 2001, l’IESH de Paris est créé à Saint-Denis. Depuis 2018, une antenne Alsace s’est créée, sur le modèle de l’IESH de Paris, et ils partagent d’ailleurs la même plateforme de e-learning. D’autres structures qui ne portent pas le nom d’IESH semblent en découler : il s’agit d’initiatives d’anciens étudiants de l’IESH, qui partagent les mêmes enseignants parfois, et les programmes sont généralement semblables. Il en découle un système de relation organique reliant l’IESH à des antennes locales tentant de négocier des partenariats et logiques de reconnaissance de diplômes ce qui conduit à accroître mutuellement leur notoriété. L’IESH de Paris est en voie d’ouvrir son propre campus à travers la création de logements étudiants. Il se distingue par certains traits liés à son programme tel que son orientation pour les sciences humaines et sociales, mais également par sa volonté d’établir des partenariats avec d’autres universités afin d’engager une dynamique de recherche. On peut évoquer dans cette perspective la création d’un laboratoire de recherche voué à accueillir des doctorants. Sur le plan de l’enseignement, un partenariat pour la mise en place d’un cursus en didactique de la langue arabe est en cours de réalisation avec l’Université Mohamed V de Rabat. Des doctorants de Tunisie ou d’Algérie réalisent des visites dans le cadre de ces échanges.
27Les figures d’érudition pour les cursus arabophones sont le doyen Ahmed Jaballah, ainsi que le directeur scientifique Ounis Gergah détenteur d’une thèse de doctorat au Maroc sur l’œuvre de l’andalou Ibn Juzay al-Qawānīn al-fiqhiyya dans le droit musulman. On peut également évoquer Ismahène Bouzidi, enseignante en présentiel et en e-learning, qui a suivi l’ensemble des cursus de l’IESH de Château-Chinon, qui est clairement un « fruit de l’IESH » comme elle le dit elle-même. Ajoutons à cela Hassan El Haouari, diplômé d’al-Qarawiyyīn au Maroc, ou le jeune islamologue Yannis Mahil en thèse de doctorat en islamologie à l’Université de Strasbourg. L’effectif se montre varié, avec un certain turn-over au profit d’un rajeunissement du corps enseignant.
28On constate que l’IESH de Paris témoigne d’une orientation en sciences humaines et sociales bien plus soutenue que l’IESH de Château-Chinon. C’est d’ailleurs clairement un trait distinctif sur l’ensemble de l’offre de la formation à l’islam francophone qui est apprécié par les étudiants.
29La faculté des sciences islamiques de Paris (FSIP) est située dans le 20e arrondissement de Paris et a été créée en 2003. Elle est dirigée par Noureddine Belhout, un professeur venant anciennement de l’IESH. Elle ne semble pas disposer du statut d’établissement d’enseignement supérieur privé, mais simplement du statut d’association loi de 1901. Toutefois, l’institut veut faire gage de son sérieux en mettant en lumière dans sa communication qu’il est déclaré auprès de toutes les organisations compétentes telles que la préfecture, l’URSSAF, la CPAM, etc. Il propose des cours notamment en sciences islamiques à l’année, ou au trimestre, en français et/ou en arabe, pour lesquels l’inscription est modulable, mais aussi des cours de langue arabe, d’apprentissage du Coran, ou encore de calligraphie. La quasi-totalité est disponible soit en présentiel, soit en e-learning. Les codes académiques sont très présents et revendiqués au sein de la structure, notamment au travers de la présentation des curriculums des professeurs qui sont en grande majorité qualifiés de l’enseignement supérieur soit en France soit à l’étranger, en sciences humaines et sociales ainsi qu’en sciences islamiques. Ils ont également circulé durant leurs parcours d’enseignant ou d’étudiant au sein de divers instituts musulmans en France tels que l’IESH, mais aussi l’institut Chatibi de Paris, ou encore l’ancien IIIT (Institut International de la Pensée Islamique - International Institute for islamic Thought).
2.4. Focus sur du traditionnel « universitarisé »
30Cette catégorie de structure a la particularité de concilier l’affirmation d’une fidélité au patrimoine traditionnel à la volonté de se conformer aux logiques de reconnaissance universitaire. Ainsi, les trois structures que sont l’IESIP, l’Institut al-Ghazali, l’IMED s’identifient toutes dans le référentiel mālikite tout en se distinguant par une relativisation des mécanismes d’autorité de l’école mālikite en matière d’avis juridiques. Ce qui permet de s’émanciper plus facilement du patrimoine afin d’adopter des positions jugées plus adaptées aux exigences de la contemporanéité. À côté de cela, les enseignants sont pour la plupart hautement diplômés au sein des universités françaises et sanctionnés du titre de docteur dans leur discipline respective.
31L’Institut d’Enseignement Supérieur Islamique de Paris (IESIP) est une association parisienne qui dispense une formation à l’islam depuis la rentrée 2017. Dirigée par un collectif de six universitaires, composé de quatre hommes et deux femmes, cette structure doit principalement son essor au marocain Tarik Bengaraï, directeur de l’IESIP. En 2019, Tarik Bengarai soutient une thèse de doctorat à l’EPHE, thèse dirigée par Pierre Lory, sur une figure du soufisme marocain nommée al-Harrāq (m.1845). Outre sa formation universitaire, il est le fruit d’une formation religieuse traditionnelle ancrée dans le paysage confrérique marocain.
32L’Institut al-Ghazali figure parmi les structures pionnières les plus anciennement identifiées par la recherche aux côtés de l’IESH et d’Oussoul Eddine. Créé en 1993, peu de travaux ont finalement porté sur cet institut et la mosquée à laquelle il se réfère hormis certaines publications notables (Telhine, 2010 ; Mammeri-Chaambi, 2016). Lors d’une journée porte ouverte, les responsables vantaient les mérites de l’institut qui aurait formé à ce jour plus de mille cadres religieux (imams, aumôniers ou autre). Il propose un cursus pour arabophones en sciences religieuses sur quatre années accessibles à tout bachelier résidant en France et maîtrisant la langue arabe (afin d’accéder aux contenus dispensés exclusivement en langue arabe) résidant en France. Les frais s’élèvent à 500 € l’année. Un diplôme d’aumônier est également proposé au terme de deux années. Un autre cursus pour francophones s’adresse à des personnes souhaitant apprendre leur religion et se déroule, lui, sur deux années uniquement. Pour l’enseignement francophone, c’est le franco-algérien Abderrahman Belmadi qui en a principalement la charge. Abderrahman Belmadi tire sa formation religieuse d’un cheikh qu’il n’hésite pas à évoquer durant son enseignement, le Cheikh algérien Belkbir. Il est également diplômé en économie de l’Université d’Alger. Il intervient régulièrement dans des rencontres organisées entre l’Institut al-Ghazali et le Collège des Bernardins ou l’Institut Protestant de Théologie souvent afin d’aborder un personnage ou un thème selon le regard des trois religions.
33L’Institut musulman d’Enseignement à Distance (IMED) est une composante de l’association la Maison des Savoirs créée en 2004. Le président est Cheikh Zakaria Seddiki, un franco-algérien diplômé d’al-Azhar après y avoir étudié de 1993 à 1997. Il a par ailleurs réalisé une thèse de doctorat à l’EPHE sur la notion de shahīd (martyr) en islam dirigée par Mohammed Hocine Benkheira et soutenue en 2011. Il est par ailleurs président de la structure d’Audit Conformité Éthique et Recherche en Finance Islamique (ACERFI) dans laquelle figurent également Mohammed Patel et Chakil Omarjee (tous deux fondateurs de l’Institut Nadwi à Villejuif) ainsi que Mohamed Hendaz.
34Mohamed Hendaz est le trésorier de la Maison des savoirs, franco-marocain également diplômé d’al-Azhar. Il a également soutenu une thèse de doctorat à l’EPHE sur les rituels funéraires en islam dirigée par le Pr. Benkheira soutenue en 2011. Il a d’ailleurs publié le fruit de son travail en 2019 aux éditions Elysa. En quatrième de couverture, il annonce la parution prochaine d’une traduction du livre al-Tashīl li ulūm al-tanzīl d’Ibn Juzay (m.1357) sur l’exégèse coranique. Il est consultant en finance islamique pour la banque marocaine Chaabi. Il est également l’imam de la mosquée d’Orly et déploie une part de ses activités d’enseignement au sein de l’Institut des Sciences de l’Islam d’Orly (ISIO).
35Créé en 2013, l’institut Nadwi a un statut d’association loi 1901. L’institut dispose de locaux modernes et d’une organisation très professionnelle : du salariat, en passant par la gestion administrative et financière, à la détermination du programme des cours. L’institut embauche quelques salariés : dont les professeurs en sciences islamiques (Fiqh ḥanafite, Sīra, Tafsīr), à savoir Chakil Omarjee et Mohamed Patel, et une gestionnaire administrative. Cette professionnalisation est le résultat d’un travail de terrain sérieux et d’une expérience reconnue des acteurs de l’institut. Bien que les shuyūkh soient déjà investis dans la formation religieuse à la Réunion, ils ont commencé leur parcours d’enseignant en métropole par des cours donnés dans les mosquées en région parisienne. Ils disposent de curriculum fournis, notamment pour Mohamed Patel qui est diplômé d’un master en finance islamique. Toute la conception pédagogique est à l’initiative de ce duo des shuyūkh Patel et Omarjee qui ont mis en place dans leurs locaux neufs la création de salles d’études avec un fonds documentaire très fourni, chaque salle étant consacrée à une discipline islamique spécifique. Ceci témoigne alors d’une volonté de développement sur le plan de l’infrastructure et de la mise à disposition de ressources pour les étudiants.
36On remarque ainsi que les enseignants de cette typologie de formation sont actifs dans le domaine de la finance islamique en faisant partie de comités de conformité à la Sharī‘a. On peut donc distinguer deux sous-ensembles : l’IESIP et l’Institut al-Ghazali d’une part, puisque leurs enseignants principaux (Bengaraï et Belmadi) sont membres du même comité de conformité ; et l’IMED d’autre part puisque là encore deux enseignants (Seddiqi et Hendaz) sont également membres d’un même comité. La ligne de rupture semble être d’ordre idéologique : pour l’IESIP et l’Institut al-Ghazali l’identité ach’arite et soufie est une composante centrale de leur positionnement, tandis que pour l’IMED et Nadwi leur posture est plus conciliante au profit d’une plus grande diversité de références incluant par cela certains courants réformistes contemporains.
37Leur positionnement fait d’eux des acteurs passerelles entre le monde strictement traditionnel et celui des universités publiques pouvant se traduire par une plus grande prise en compte des savoirs profanes (droit positif, sciences humaines et sociales, voire approches historico-critiques).
38Si l’IESIP peut être décrit comme une structure atypique dans l’offre des instituts de formation à l’islam en France, c’est en vertu de la diversité des enseignements et de la spécificité des profils d’enseignants. Tous ont réalisé de longues études dans le cadre universitaire, plusieurs sont docteurs et pleinement actifs dans la recherche universitaire. Le programme est, par conséquent, le reflet de ces parcours avec un double volet « traditionnel » et « universitaire ». Le programme complet est accessible sur le site de l’institut. Pour le volet dit « universitaire », on notera au programme un séminaire de coranologie dispensé par Karim Ifrak, chercheur au CNRS spécialisé sur les manuscrits du Coran. Le chercheur Mohyedine Hajjar, qui a réalisé un doctorat à la Sorbonne en droit de la finance et enseigne le droit musulman à Paris 8 ainsi qu’à l’ICP, propose des modules d’histoire du droit musulman. Mohamed Khenissi, diplômé de l’ICP, dispense également un cours inscrit dans une perspective qui comprend une initiation à l’histoire et aux dogmes des autres religions du Livre ainsi que des visites de lieux de culte associées à des rencontres interreligieuses. Ce dernier est par ailleurs le fondateur de l’association Hermeneo qui a pour objectif d’incarner un nouveau souffle de l’interreligieux en France étroitement lié aux acteurs du champ académique. Enfin, un cours de droit public et privé est proposé par un couple d’avocats parisien M. et Mme Cekici. Pour Tarik Bengaraï ce cours constitue « une formation civile pour donner une dimension contextuelle à notre enseignement ». De son côté, l’Institut al-Ghazali n’est pas en reste puisque l’universitaire historien Sadek Sellam figure parmi les enseignants réguliers à travers une matière intitulée « Civilisation islamique ».
2.5. Du Coran comme spécialisation
39Cette catégorie de structures se caractérise par la centralité du Coran qui est au cœur de la formation et du développement des compétences. Il est souvent imaginé en lien avec les publics d’enfants ou au contraire ceux des plus âgés, et étroitement lié à la mosquée. Historiquement, la formation par le Coran était la norme au sein du monde musulman, de surcroît au Maghreb où sa mémorisation constituait un apprentissage exclusif durant les premières années. Certaines structures ont choisi de développer un cursus proposant un continuum entre le jeune âge et l’âge adulte là où d’autres se concentrent exclusivement sur la formation pour adulte. Les fondateurs de l’Association Iqraa, spécialisée dans le Coran, ne manquent pas de faire remarquer que l’un des problèmes actuels de la formation à l’islam pour adulte est qu’elle doit systématiquement instruire ses apprenants souffrant de lacunes quant aux bases de l’éducation religieuse. L’enjeu consisterait alors à assurer cette instruction fondamentale afin de permettre à ceux qui le souhaitent de se spécialiser. L’Association Iqraa tout comme l’Institut Addani sont connus pour leur capacité à former des mémorisateurs du Coran mais également des spécialistes des lectures coraniques. La maîtrise des variantes ainsi que des multiples normes de psalmodie constituent leur vocation première. À côté de cela, un enseignement traditionnel d’orientation mālikite notamment est proposé afin de permettre au qārī (lecteur) d’acquérir une connaissance juridique.
40L’association Iqraa fut créée en 2013 et s’est établie au sein de la Mosquée Rahma de Roubaix. Elle est composée de 8 enseignants dont deux sont chargés de l’enseignement aux adultes. Hammou al-‘Asri, Ismaïl Mechelloukh, et Redouane avaient initié leurs enseignements dès 2010 dans la région après avoir fréquenté le même Cheikh à la mosquée Abu Bakr de Roubaix. Aujourd’hui, leurs activités sont implantées dans huit mosquées de l’agglomération lilloise, parmi elles les mosquées Rahma et Bilal de Roubaix, mais également celle située à Auby (plus excentrée). Le cœur de l’enseignement est consacré à la mémorisation et à la psalmodie coranique. Ces trois dernières années, huit jeunes ont achevé de mémoriser l’intégralité du Coran. Au cours de l’année 2019, l’association possède 120 étudiants rien qu’à la mosquée Rahma. L’association Iqraa s’inspire clairement du « modèle traditionnel », tout en innovant quant à l’adaptation au contexte francophone qui renvoie par ailleurs à une expérience didactique bien différente. Une telle ambition explique la volonté de dispenser les enseignements en semaine afin que l’enseignement religieux ne soit pas relégué au week-end. Chaque apprenant est dans l’obligation de venir à minima trois fois par semaine, et a la possibilité d’assister à cinq cours.
41L’institut Addani se présente comme un établissement spécialisé dans l’étude du Coran offrant un approfondissement dans la maîtrise de ses lectures (qirā’āt). À côté de cela, deux autres départements offrent un enseignement en langue arabe d’une part, et en sciences islamiques d’autre part. L’institut est né en 2017 de la volonté d’un groupe d’enseignants de l’Institut Shatibi de Vigneux sur Seine ancré dans une mosquée de s’émanciper afin de développer une expérience autonome. Il est situé à Villeneuve-Saint-Georges dans des locaux de formation pour adulte. Sa figure de référence n’est autre que le Cheikh Farid Ouyalize, un franco-marocain qui est l’élève du savant syrien Aymen Rushdi Swayd mais également du marocain Abdurrahman al-Nabulsī. Il fut l’un des premiers Français à acquérir une ijāza dans la maîtrise des dix lectures coraniques à l’IESH de Château-Chinon. À ce jour, il est détenteur des dix « petites » lectures selon la voie de Chatibiyyah et des dix « grandes » lectures selon la voie de Tayyiba. Il est également impliqué dans plusieurs départements de Coran de divers instituts en région parisienne, et auteur de plusieurs manuels de tajwīd : « tajwīd simplifié », et un « commentaire de la Jazariyya » qui est un poème didactique sur les règles de psalmodie. Ces ouvrages servent d’ailleurs de support au sein du département Coran de l’Institut Addani. Pour le département de langue arabe, les enseignants aussi bien que la méthode sont issus de La Madrassah du Cheikh Ayyoub précédemment évoquée. Pour le Coran, un partenariat est également mis en place avec l’institut Abî « Amr Addani de Marrakech présidé par le savant marocain des lectures le Cheikh Abdurrahîm al-Nabulsî. Le département comprend onze enseignants hommes et femmes réunis ayant reçu leurs ijāza du Cheikh Farid Ouyalize. Trois différents cursus sont proposés : « Lecture », « Apprentissage » et « Qirā’āt ».
2.6. Tendance du coaching religieux et spirituel
42Le coaching a émergé vers les années 1990 en France et connaît désormais un essor hyper-contemporain, notamment dans son articulation avec le religieux et le spirituel. Cette pratique tourne généralement autour d’une seule personnalité percolant avec le profil d’entrepreneur économique et engageant un recours aux méthodes managériales récentes, ce qui en résulte un certain syncrétisme intéressant à analyser en termes de comportements religieux contemporains. À ce sujet, il existe quelques cas emblématiques du coaching religieux et spirituel comme l’Institut Amine d’Ismaïl Mounir - dont le contenu est actuellement transféré sur la plateforme www.ismailmounir.com, les formations d’arabe coranique de Rawti Rezali, ou encore le mouvement Nomad Muslim de Léo AbdelMālik Sinet.
43Il est en effet constaté dans ce type d’offres une velléité d’innovation pédagogique impliquant un enseignement de registre islamique transmis par des outils et références inscrits dans la logique du développement personnel, conseillant aux apprenants de « se rationaliser, s’organiser, se contrôler et s’optimiser »6 tout en se référant à des ressources scripturaires islamiques.
44Plus précisément, il s’agit d’une pratique d’origine laïque qui entre en contact avec des ressources islamiques mobilisées essentiellement dans le but d’aider l’apprenant à s’auto-gérer dans sa vie personnelle. Il s’agit, en effet, d’apprenants qui se trouvent en quête de solutions partagées entre enjeux de performance socio-professionnelle et réalisation spirituelle. Ils se trouvent à la fois dans l’oscillation entre l’acte de consommation et celui de production qu’illustre bien le néologisme en anglais « prosumption » : l’individu devient le produit que lui-même créé par la consommation d’expériences, de pratiques et de symboles religieux (Andrew Dawson)7. Cette pratique de coaching étant — ici — manifestement de vocation religieuse et spirituelle, a pour visée explicitement annoncée dès le début de l’inscription de donner un certain accès à un rapport vertical avec l’entité divine.
45C’est dans cette même perspective que Rawti Rezali8 propose, dans ses formations d’Arabe Coranique (ArCOR) de réitérer ce qu’il caractérise de « réflexe coranique », à savoir le fait de revenir à la lecture du Coran pour « réaliser l’épopée », autrement dit trouver sa mission divine sur Terre. En effet, il serait important, selon le formateur, de puiser des outils cognitifs des textes coraniques par le biais de l’interprétation du Coran, tout en ayant pleine conscience de l’instant présent, en vue de mieux se gouverner et se réaliser.
46Dans cette même logique de puiser dans la source coranique pour trouver sérénité et apaisement psychologique, Ismaïl Mounir9 avance que le Coran représente une « lumière qui nous guide, un réconfort pour les angoissés, un rappel à l’ordre quand on oublie nos priorités, un bienfait immense qui — hélas — est délaissé »10. Pour que la lecture coranique11 ait cet effet sur l’apprenant, le coach Mounir propose un accompagnement spirituel, en précisant l’importance de l’amour de Dieu et l’éducation de l’âme au détriment du formalisme des règles d’apprentissage du Coran.
47Pour que le retour à la source coranique soit assuré, il est aussi préconisé dans le cadre de la formation de Rezali que la formation soit accompagnée d’un travail personnel : « le guerrier de la lumière doit accepter chaque défi comme une occasion de se transformer lui-même »12 comme autant de « pratiques de soi », de « pratiques de subjectivation » (Pezet, 2007) censées développer une pensée positive. C’est ainsi que le coach Rezali emploie « le mode opératoire identitaire et itératif », selon la méthode de Joël Guillon13 influencée par la Programmation Neuro-Linguistique (PNL), appréhendant le client comme ayant lui-même la capacité de découvrir en lui-même son potentiel. C’est ainsi que le formateur promet grâce à ses séminaires une meilleure gestion des épreuves de la vie.
48Cet entreprenariat du soi pour se réaliser spirituellement se cristallise dans une proposition de retraite spirituelle14, comme une promesse d’avoir un meilleur ancrage dans l’instant présent pour se rapprocher de Dieu. Cette retraite, réservée à vingt-deux personnes afin de « préserver son efficience et son énergie », propose aussi une pension complète « bio » articulée avec un programme de séminaires de psalmodie et d’interprétation coranique, de veillées et de prières nocturnes, de marches contemplatives en forêt. De manière plus poussée que la retraite spirituelle ponctuelle, Léo AbdelMālik Sinet15 encourage par l’intitulé de son mouvement « Nomad Muslim » les thématiques de l’itinérance et du voyage de manière continue pour mieux découvrir son « trésor caché » pour reprendre la référence de Paolo Coelho, « L’alchimiste », dont Sinet se réclame au-delà de ressources islamiques classiques. C’est dans ce sens qu’il partage des vidéos de ses pérégrinations, notamment de la nature.
49Par ailleurs, pour aller plus loin, il est intéressant de constater que la terminologie « coach » est interrogée, voire remise en cause par une vidéo de Léo AbdelMālik Sinet donnant la parole — se ralliant manifestement — à Rachid Amzil, blogueur qui critique le fait de s’autoproclamer « coach » à cause de nombreux imposteurs manquant de spécialisations et qui pourtant prétendent répondre aux questionnements de tous les apprenants.
3. Interactions et synergies sur le terrain de la formation
50Les instituts témoignent de nombreuses interactions issues de leur positionnement dans le champ de l’offre nationale. Celles-ci peuvent révéler des partenariats ou des désaccords, mais également la création de réelles dynamiques de coopération entre certains instituts allant de la simple circulation des acteurs à des programmes pédagogiques communs.
3.1. Relations entre les structures
51Il est important d’identifier le système de réseau auquel ces structures appartiennent. Ce réseau est entendu ici comme un ensemble de relations de nature variée impliquant des degrés divers d’interconnaissance. Après analyse, il apparaît que ces instituts se lient mutuellement les uns aux autres de trois façons, le lien le plus étroit étant le lien de nature organique tel que la relation d’une structure-mère avec ses satellites, ou bien entre différentes antennes d’une même enseigne. Un second lien correspond aux logiques de mutualisation des activités pédagogiques, voire de passerelles entre les structures. Enfin, un troisième et dernier type de lien est celui relevant de la simple interconnaissance prenant la forme de relais communicationnels sur les réseaux sociaux ou d’un dialogue qui est parfois la conséquence d’interactions personnelles entre les membres de chaque structure. En recensant toutes les interactions reliant les instituts entre eux on parvient à identifier six pôles interactionnels révélant ainsi la centralité de certaines structures autour desquelles s’agglomèrent d’autres. On constate alors de potentiels nœuds synergiques plus ou moins développés selon la nature des liens qui les relient.
Pôle 1 : L’institut Asharite
52L’Institut Asharite est, rappelons-le, le premier institut exclusivement en ligne apparu ces dernières années suivi par plusieurs autres s’inscrivant tout autant dans la tendance madhhabique. Outre son caractère pionnier, il se distingue par la mise en place de forts liens de mutualisation avec l’Institut Abu Hanifa. Cela se traduit par une passerelle pédagogique nommée Projet Kufa mise en place depuis 2017 concernant l’enseignement du droit hanafite. À notre connaissance, c’est le seul cas d’une telle coordination entre deux structures distinctes. L’Institut Asharite est également en voie de tisser un autre lien de mutualisation pédagogique avec les acteurs mourides de Marseille. Suite à la publication en 2020 d’une traduction par Abdallah Penot d’une œuvre phare d’Ahmadou Bamba, une étroite relation se met en place avec la communauté mouride francophone. Cela ouvre la voie à un ancrage pédagogique de l’Institut Asharite au sein de l’actuel projet de centre mouride de formation à Marseille. Ce qui serait une dynamique inédite au regard de l’histoire des relations mourides avec les autres acteurs de l’islam en France.
53Puis l’Institut Asharite entretient d’autres liens qui relèvent d’un dialogue régulier avec l’Institut Shâfi’i d’Abû Zakariyya en e-learning et l’IESIP de Tarik Bengaraï. Ces derniers n’hésitent pas à relayer les activités de l’Institut, tant pédagogiques que éditoriales en organisant par exemple une conférence à la suite de la parution d’un livre d’Abdallah Penot, ou en relayant les évènements organisés par l’Institut.
54On peut également mentionner les étroites relations interpersonnelles entre certains enseignants de l’Institut et les shuyūkh mauritaniens qui ont créé la Mahdhara al-’âlamiyya (une structure traditionnelle pour arabophone en e-learning). Ces derniers se portent garants pour le développement d’une plateforme de fatwā mālikite16 francophone initiée par l’Institut Asharite.
55Il apparaît donc que l’Institut Asharite est inséré dans un double réseau national et international au travers notamment d’une adhésion au soufisme confrérique ainsi qu’au socle didactique traditionnel. Cela traduit la forte légitimité dont jouit son fondateur Abdallah Penot. Il démontre par ailleurs sa capacité à établir un travail de coordination sur le plan pédagogique avec les autres acteurs.
Pôle 2 : L’institut Maziri
56Un second pôle est celui de l’Institut Maziri en e-learning autour duquel s’articulent des liens de mutualisation d’enseignants. C’est le cas avec Ismaïl Mechelloukh, membre fondateur et enseignant à l’Association Iqraa située à Roubaix, ainsi qu’avec le dénommé Alain Ali, fondateur quant à lui de l’Institut de la Paix créé en 2019 en région parisienne. À travers cela, l’Institut Maziri confirme son rôle de plateforme permettant la mise en lien d’enseignants pouvant déployer leurs activités de façons indépendantes tout en bénéficiant de la synergie collective.
Pôle 3 : L’institut al-Ghazali
57Le troisième pôle est celui de l’Institut al-Ghazali affilié à la Grande Mosquée de Paris. Il a noué deux liens étroits sur le plan de la mutualisation pédagogique. Le premier est avec l’IESIP puisque Tarik Bengaraï intervient au titre d’expert en finance islamique au sein du cursus pour francophone. Cela s’explique notamment par la relation de longue date entre ce dernier et Abderrahman Belmadi au sein d’un même comité de conformité en finance islamique. Le second lien est celui mis en place depuis 2015 avec la Sorbonne de Paris dans le cadre de la formation des aumôniers. L’Institut al-Ghazali est le seul à avoir contracté un tel lien avec une formation publique, ce qui nous indique sur les logiques de frontières entre l’offre universitaire et la formation privée à l’islam. On peut également mentionner les nombreuses interactions dans le domaine des conférences interreligieuses entre al-Ghazali et le Collège des Bernardins.
Pôle 4 : L’IESH
58Un quatrième pôle est celui dont l’IESH est le cœur et qui s’est construit de façon durable au fil des décennies. Contrairement aux pôles précédents, la longévité de celui-ci implique des liens de nature organique. Comme indiqué dans la chronologie des instituts en France, l’IESH de Château-Chinon compte parmi les premiers d’un ensemble plus vaste qu’est l’Union des IESH à l’échelle européenne. À l’échelle nationale, l’IESH est parvenu à constituer plusieurs antennes : une parisienne en 2011, et plus récemment en Alsace. D’autres structures ont, quant à elle, été créées par des lauréats de l’IESH comme l’Institut Nawawi de Saint-Étienne, al-Andalous de Strasbourg, l’Institut d’Études Coraniques en e-learning, ou encore par d’anciens cadres pédagogiques de l’IESH comme Zakariya Seddiqi qui a fondé l’IMED en e-learning, et Noureddine Belhout qui a fondé par la suite la FSIP. La logique de création d’antennes IESH peut se réaliser par la voie de la reconnaissance par l’IESH de Paris des cursus mis en place par des instituts indépendants. C’est par exemple ce qui est à l’œuvre à Rouen en Normandie par l’Institut Lumières dans lequel plusieurs enseignants se sont formés à l’IESH de Paris de façon intensive. Seule une structure avec une telle longévité peut réaliser ce type de développement sur l’ensemble du territoire. À contrario, on remarque que l’IESH n’entretient aucune relation avec les pôles mentionnés précédemment qui réunissent des structures émergées depuis 2014. On constate donc à ce jour une véritable fracture relationnelle entre ce type de structure d’orientation réformiste et l’offre traditionnelle. Pour finir, l’IESH a su développer, tout comme l’IESIP, un large panel de partenariats avec des universités publiques au sein du monde musulman dans le but d’accroître les échanges scientifiques et d’œuvrer à la reconnaissance de leurs diplômes
Pôle 5 : L’IMED
59Quant à l’IMED qui est le pionnier du e-learning depuis 2004, on peut également attester d’un large réseau sur l’ensemble du territoire français par l’impulsion de plusieurs de ses enseignants d’initiatives dans leurs localités respectives. Mohamed Hendaz a développé l’ISIO au sein de la mosquée d’Orly dans laquelle il officie en tant qu’imam depuis de longues années. Shakeel Siddiq a créé l’Institut Sira très actif en Bourgogne. Enfin, Zakaria Seddiqi intervient à Lyon au sein de l’Institut Shatibi.
Pôle 6 : La Madrassah
60Enfin, un dernier pôle significatif est celui dont le pivot est la Madrassah créée en 1986 par Ayyoub Lesueur à Paris. Tout comme l’IESH, sa longévité lui a permis d’impacter de façon significative l’offre de formation nationale. À défaut de liens organiques, il s’agit avant tout de la diffusion d’une méthode créée au sein de la structure et par la mise à disposition d’enseignants formés à cette méthode. Ainsi, le prédicateur et enseignant Nader Abou Anas qui y a étudié durant plus de sept années a repris le programme pour sa propre structure D’clic. À ce titre, l’Institut Nadwi tout comme l’Institut Addani vont sous-traiter l’enseignement de droit mālikite et de la sira (biographie du Prophète) à des enseignants de la Madrassah. En ce sens, cette dernière agit comme un prestataire de service en proposant une formation clé en main comprenant la méthode, les fascicules et les enseignants. Il est fort probable qu’un grand nombre de structures qu’il n’est pas possible de recenser aient recours à ce type de prestation ou du moins à cette méthode devenue notoire.
61En résumé, l’analyse des relations entre instituts de formation privée à l’islam en France permet de dégager trois aspects significatifs. Le premier est l’importance de la longévité de structures comme l’IESH et La Madrassah qui sont les seules à avoir pu développer un réseau à la fois dense et large que ce soit par les logiques d’antennes ou sous la forme de prestation. Le second est l’importance accordée aux relations extra-hexagonales à travers des logiques de reconnaissance aussi bien vis-à-vis des universités publiques que des références traditionnelles issues du monde musulman. La troisième est que, malgré tout, il y a une faible coordination entre les structures quant à la réalisation des programmes hormis quelques exceptions telles que la passerelle entre l’Institut Asharite et l’Institut Abu Hanifa. En témoigne la double fracture relationnelle : premièrement celle qui sépare les structures d’orientation réformiste aux structures de tendance traditionnelle, et deuxièmement celle qui sépare l’offre de formation publique au marché de la formation privée à l’islam. Il reste que la plupart des structures que l’on peut considérer comme « pivot » au sein des différents pôles identifiés sont encore récentes (Institut Asharite et Institut Maziri, ou encore l’IESIP). Enfin, cette analyse ne prend en compte que les interactions des cadres administratifs et pédagogiques de chacune des structures observées. Tout amène à penser que la circulation des publics d’apprenants conduit à réduire cette fracture relationnelle.
3.2. Essor, héritage, contraste et concurrence du « traditionnel »
62La formation privée à l’islam n’a eu de cesse de s’accroître avec une première phase d’expansion via une logique d’antennes à partir de 2000, suivie par une seconde phase via le développement du e-learning à partir 2014 et ce jusqu’à ce jour. Cette dématérialisation de la formation vient relativiser le poids des disparités spatiales d’un phénomène éminemment urbain. Ainsi il n’est-il pas étonnant de voir émerger, par le e-learning, des acteurs résidant à la périphérie : Nord, Bretagne, Rhône, Garonne, etc. Paris constitue un microcosme à forte densité puisque la région Île-de-France trouve plus de structures que dans l’ensemble de provinces françaises. Ainsi, quelle que soit sa qualité par ailleurs, le e-learning reste le choix par défaut des musulmans de province. Ce qui indique qu’il reste de nombreux espaces vacants que ne manqueront pas de combler les logiques d’antennes (IESH, Al-Ghazali, IESIP) qui se développent d’année en année.
63De façon générale, l’historicité des structures d’enseignement islamique dont les débuts remontent à la fin des années 1980 s’est traduite par une capitalisation des expériences avec des profils d’enseignants « séniors » et « aguerris », déjà cités, installés de façon durable et stable dans le marché de la formation à l’islam. À l’inverse, des profils émergents, aux trajectoires virtuoses notamment, gagnent rapidement du terrain et parviennent à se créer une solide notoriété dans le milieu. Une telle aisance à s’imposer en si peu de temps révèle un marché certes concurrentiel mais dans lequel il reste somme toute beaucoup de place.
64L’analyse des synergies entre les structures avait permis d’identifier des pôles d’acteurs précurseurs de potentialités et déjà détenteurs d’un large réseau d’interconnaissance pouvant être mobilisé en tant que ressources décisives sur un marché de la formation à l’islam plus concurrentiel que jamais. Parmi eux, dans l’ordre historique de leur apparition, la Madrassah, l’IESH, l’IMED de la Maison des savoirs ainsi que l’Institut Asharite. Hormis l’IMED, les trois autres structures se distinguent notamment par leur capacité à former leurs propres enseignants permettant d’accroître le corps professoral et ainsi développer davantage leurs activités.
65Après plusieurs décennies de prédominance de l’offre « académiste », le temps a laissé la place à de nouvelles figures d’orientation traditionnelle qui à partir de 2014 ont massivement investi l’enseignement en e-learning. Ce caractère tardif doit toutefois être relativisé, notamment pour l’Institut Asharite qui, en réalité, n’est que la conséquence d’une volonté de dématérialiser l’expérience instituée depuis les années 1990 au sein de la zāwiya du Cheikh Abdallah Penot. Finalement, ne serait-il pas plus correct de compter cet institut parmi les plus anciens que nous ayons pu recenser ? Il reste que son apparition sur la toile a initié une vague jusque-là inédite. Une vague traditionnelle dont les prémisses remontent à 2004 avec, par exemple, la publication par Tarik Bengaraï d’une traduction commentée du Matn d’Ibn Āshir, une œuvre emblématique de l’islam traditionnel mālikite qui a connu depuis un important succès auprès des apprenants musulmans, et ce dans un contexte de l’édition du livre islamique dominé par la production d’orientation réformiste. D’aucuns pourraient y voir la montée d’un choc des visions religieuses. On pourrait également être tenté de se représenter cette offre traditionnelle comme un bloc homogène et imperméable aux autres approches pédagogiques. Rien n’est moins sûr. L’analyse de l’offre des structures traditionnelles laisse apparaître au contraire une diversité sur de multiples axes qu’ils soient pédagogiques, didactiques, organisationnels ou même discursifs.
66Leur forme organisationnelle varie grandement d’un institut à l’autre. L’Institut Abu Hanifa tourne exclusivement autour d’une seule figure centrale qu’est le Cheikh Abdelhakim Murat tandis que l’Institut Asharite révèle plutôt un effacement progressif du Cheikh Abdallah Penot au profit des enseignants-disciples. Enfin l’Institut Maziri se présente sous la forme d’une plateforme de mutualisation d’initiatives individuelles d’enseignants sans qu’ils ne se connaissent préalablement. Cette diversité organisationnelle conduit à interroger une éventuelle dépendance vis-à-vis du modèle confrérique à laquelle sont souvent étroitement liés ces acteurs traditionnels. Ainsi, devrait-on considérer — à travers l’évolution récente de l’Institut Asharite — qu’il ne s’agirait que d’une dématérialisation de la zāwiya pour mieux revenir vers un ancrage confrérique qui se traduirait jusque dans les modalités d’engagement des apprenants comme des futurs enseignants ? Il apparaît que non. Il s’agit plutôt de maintenir un style pédagogique sans pourtant autant soumettre la dynamique de développement aux principes de fidélité, de soumission et d’appartenance confrérique. Ainsi, comme nous en a informés Hamid, responsable de l’Institut Asharite, le fait de compter parmi les disciples du Cheikh n’est pas un critère au recrutement de nouvelles ressources parmi les étudiants jugés aptes à enseigner. On observe donc un décloisonnement progressif du confrérique là où d’autres peinent davantage à le faire, comme chez les mourides ou les tijanes. Cela participe d’un mouvement global de réaffirmation du soufisme traditionnel sur la scène du discours islamique contemporain et ce à l’attention du plus grand nombre. Dans cette lignée, la création d’une plateforme publique de fatwa mālikite est tout à fait évocatrice. Et le rapprochement entre l’Institut Asharite et la Maison Serigne Touba de Marseille, qui a acquis il y a deux ans un centre de 800 m², laisse envisager la possibilité d’accroître encore davantage l’offre traditionnelle au travers d’initiatives combinées qui pourraient bénéficier de l’appui financier de Touba.
67L’offre traditionnelle se caractérise également par une diversité de positionnements vis-à-vis du débat public sur la formation des cadres musulmans. Certains sont délibérément indifférents à celui-ci, ce qui peut donner l’impression d’une offre « hors-temps ». Ce déphasage vis-à-vis des exigences du temps présent se traduit jusque dans les stratégies marketing. Les traditionnels ont tendance à rompre avec les comportements d’achats développés par les apprenants, ils n’hésitent pas à tirer les prix à la baisse, comme si malgré leur entrée sur le marché de la formation privée à l’islam, ils ne s’étaient pas détachés d’une vision traditionnelle de l’enseignement impliquant historiquement la gratuité pour les apprenants. D’autres structures, au contraire, ont choisi de se positionner soit en opérant des choix stratégiques de formation qui s’illustrent par un corps professoral hautement diplômé au sein de l’enseignement universitaire français, soit en affichant également une prétention à la formation des cadres. L’analyse de ces instituts dits « traditionnels universitarisés » révèle toute la porosité des frontières de l’offre traditionnelle globale. Ainsi, depuis plusieurs années l’enseignement des sciences humaines et sociales n’est plus le monopole des instituts « académistes ». À travers l’enseignement du droit positif par un couple d’avocats, de la coranologie par un chercheur du CNRS, de l’histoire contemporaine de l’islam par un universitaire ou encore le partenariat durable avec le DU Laïcité de la Sorbonne, l’IESIP et l’Institut al-Ghazali investissent le champ de l’étude profane du fait religieux musulman tout en affichant une posture traditionnelle inspirée du soufisme. L’IESIP, plus que tout autre institut « traditionnel », parvient à concilier une démarche imprégnée par la spiritualité du soufisme traditionnel à des approches universitaires dans l’étude des sources ainsi que du droit positif français, et ce grâce à un corps enseignant spécialisé. Ainsi, il se place en tête de file d’un positionnement affirmé en faveur de la résolution du problème de la formation des imams. Encore récent, il jouit d’une notoriété au sein d’une part significative de la communauté musulmane francophone et entretient d’étroits liens avec plusieurs autres acteurs traditionnels. Sa logique de développement d’antenne en fait une des offres les plus dynamiques du marché actuel.
68Mais est-ce pour autant que ces « indifférents » du débat public ne participent pas à la formation des cadres ? Il semble qu’en réalité il s’agisse d’une différence de terminologie. Les termes de « formation » comme de « cadres » apparaissent comme étrangers à la vision traditionnelle. Cette vision s’inscrit davantage dans un continuum au fil des âges plutôt que dans les jalons classiques d’une formation pour adulte professionnalisante. On constate, à ce titre, que les acteurs traditionnels, par une logique de tronc commun, sont plus à même à penser l’articulation et la continuité entre une instruction de base dispensée aux plus jeunes, et la formation pour adulte et donc celle des cadres. Plusieurs entrepreneurs pédagogiques traditionnels ont problématisé ce point comme un enjeu décisif de la formation supérieure à l’islam : comment former des cadres qui n’ont pas reçu une instruction de base ? La vision traditionnelle propose ainsi une logique d’approfondissement à partir d’un socle commun qui va de la formation du croyant à celle du savant, ce qui entre en rupture avec le schéma classique basé sur le modèle des séminaires catholiques. Ainsi, il ne faut pas se méprendre sur ce « traditionnel » que l’on tend parfois trop rapidement à réduire à une « formation pour croyant ». Hamid, responsable de l’Institut Asharite, révèle bien cet enjeu lorsqu’il nous explique qu’il fait face en réalité à un double public : un public débutant qui souhaite être initié aux savoirs religieux, et d’autres déjà bien initiés qui viennent dans une logique d’approfondissement voire de spécialisation.
69Ainsi, si l’analyse de l’offre de formation privée à l’islam dépasse la simple lecture des positionnements discursifs des acteurs vis-à-vis du débat public et les effets de vitrine communicationnelle accentués par une terminologie très disparate, il apparaît que l’enseignement dit « traditionnel indifférencié » offre un bagage de formation religieuse souvent significativement plus conséquent que ceux ayant la prétention clairement assumée de former des cadres. Cela se justifie par le fait que la pédagogie traditionnelle se caractérise par une étude réitérative des contenus didactiques par la pratique du commentaire, et ce, avec un volume horaire et une durée de cursus souvent plus conséquents offrant ainsi des perspectives de spécialisation. De plus, malgré la diversité de ses modalités organisationnelles et de ces choix pédagogiques, le modèle traditionnel se traduit par un socle didactique commun permettant d’assurer une continuité cohérente de la formation des apprenants malgré une circulation entre les divers instituts. Ainsi, on retrouve le même référentiel didactique d’Afrique de l’Ouest aux Émirats Arabes Unis en passant par l’Égypte ou le Maroc. C’est cette continuité méthodologique qui explique que certains apprenants aient pu passer de shuyūkh en shuyūkh ou de structures en structures traditionnelles sans qu’il n’y ait de rupture épistémologique. Cela constitue un avantage conséquent afin d’assurer des logiques de passerelle et une formation standardisée à large échelle.
70Face à une telle richesse d’expérience pédagogique, il apparaît que, la recherche d’une réponse viable à la question de la formation des cadres ne peut faire l’économie d’un dépassement des horizons d’attentes classiques et notamment institutionnels en matière de formation. Se limiter à une grille de lecture parfois réductrice ou trop exigeante vis-à-vis de l’offre conduite nécessairement à la mise en marge des processus d’institutionnalisation de l’islam d’une majorité des expériences existantes qui est, pourtant, bel et bien en prise avec les populations de plus en plus importantes d’apprenants au sein de la communauté musulmane francophone.
Notes de bas de page
1 Le déobandisme est un courant sunnite apparu à la fin du XIXe siècle dans les Indes Britanniques.
2 De Galembert C., « Une action publique en quête de normes : la gestion publique de l’islam » in Idéologies et action publique territoriale : La politique change-t-elle encore les politiques ?, (Dir.) Le Bart C., Pasquier R., Arnaud L., Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007. DOI : 10.4000/books.pur.12648.
3 Pagès D., « Les territoires numériques : au-delà de l’information localisée, l’hospitalité au fil des écrans ? », Quaderni, n° 72-2010, p. 101-111.
4 Célébration à l’occasion de la naissance du Prophète.
5 Daara est le terme sénégalais pour désigner une école traditionnelle.
6 Le Texier T., « Le management de soi », Le Débat, n° 183-2015, p. 75-86. DOI : 10.3917/deba.183.0075, en ligne, https://www.cairn.info/revue-le-debat-2015-1-page-75.htm.
7 Katerina S., « François Gauthier, Tuomas Martikainen (eds.), Religion in Consumer Society. Brands, Consumers and Markets », Archives de sciences sociales des religions, n° 168-2014, consulté le 16 février 2020, en ligne, http://journals.openedition.org/assr/26411.
8 Originaire de Normandie, Raouti Rezali, après des études en informatique, entreprend des études de Coran et de théologie musulmane à l’IESH Château-Chinon. Il en ressort diplômé en théologie et titulaire d’une ijāza en Coran en lecture Hafs. Il est cofondateur de l’Institut d’Étude Coranique en ligne. Actuellement, il poursuit ses recherches sur l’arabe coranique. Professeur ayant investi près de 50 000 euros dans des formations religieuse, scientifique et de développement personnel. Partenaire et superviseur du réseau de Guides Tisserands indépendants.
9 Imam imprégné de Cheikh Farid Al Ansari, enseignant en études islamiques, qui assure le sermon du vendredi dans plusieurs mosquées de France et de Belgique. Enseignant qui a fondé l’Institut Amine en 2015 dans le cadre duquel il dispense des cours en ligne et en présentiel tout au long de l’année. Prédicateur invité à intervenir auprès de musulmans de France et de Belgique dans le cadre de conférences et séminaires. Auteur du livre « Consumérisme et valeurs de l’Islam » aux éditions Al-Bouraq.
10 Site web de l’Institut Amine, aujourd’hui non disponible.
11 Exemple : Formation « Juzz’ Amma » dispensée durant le mois de Ramadan : « explication simplifiée des 37 dernières sourates du Coran » avec leurs enseignements et des exercices spirituels.
12 Site web de l’Institut d’Arabe Coranique.
13 Formateur et fondateur de la méthode « Trouver votre excellence d’action » ou « Mode Opératoire Identitaire Itératif » MO2I, en accord avec la Programmation Neuro-Linguistique (PNL).
14 Le gîte Le Colombier en pleine campagne d’Île-de-France.
15 Entrepreneur indépendant, converti à l’islam depuis 2000.
16 L’Institut Francophone d’Iftaa selon le rite malikite a vu le jour en 2023. URL : https://institut-francophone-iftaa.com/.

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