Introduction
p. 7-16
Texte intégral
1Depuis plus de deux décennies, le contexte français laïc et républicain se trouve rythmé par les soubresauts récurrents que suscite l’enracinement de l’islam dans le paysage socioculturel hexagonal. L’islam en France est souvent questionné par le biais de son « identité » et de son « intégration » dans un contexte sociétal qui s’interroge sur le Nous commun. La visibilité du religieux fait dès lors débat de façon tout aussi passionnée que passionnelle. Tandis que nombre d’acteurs politiques, dont la sphère des médias se fait la caisse de résonance — lorsqu’elle n’est pas elle-même le principal canal d’émission, mettent à l’agenda quotidien des Français des phénomènes liés à la présence musulmane en société. Les polémiques sont monnaie courante et leur cadence toujours plus rythmée et amalgamée : apparence vestimentaire (foulard, abaya, burkini), menus des cantines scolaires ou des établissements pénitentiaires (halal), prières de rue, radicalismes religieux et/ou migrations et réseaux terroristes, etc. Ceci illustre, outre des enjeux sécuritaires pour le dernier point, une négociation liée à la visibilité du phénomène religieux qui interpelle transversalement l’ensemble de la sphère décisionnelle, journalistique et sociétale. La rentrée scolaire, de septembre 2023, aura finalement permis de rajouter une énième pierre à l’édifice d’une longue controverse vestimentaire débutée en 1989 avec l’affaire du foulard à Creil. Bien que très souvent motivés par des intentions discutables, ces intérêts sur la visibilité religieuse renégocient des fondements quant à la rattache au socle commun de la société et de son évolution avec la donne musulmane. Par ailleurs, l’exceptionnalité de l’hyper violence des frappes terroristes a conduit — en dépit de l’amalgame — à crisper le débat sur une bonne concorde de la laïcité. Ce qui est désormais devenu un « problème musulman » poussera même à la relecture de principes relevant de l’égalité de droit, tant la volonté de créer de l’émotionnel prend le dessus et la nécessité de prendre en compte les savoirs l’emportera sur la raison. L’État a d’ailleurs ouvert un vaste chantier juridique autour de la loi de 1905. Il en découle ladite « loi séparatisme »1 (24 août 2021), laquelle redéfinit un ensemble de frontières entre le croire et l’ostentatoire, mais aussi entre le cultuel et le culturel. L’expulsion d’imams du territoire national, le gel de compte de mosquées et les invitations à la signature d’une charte de principe de l’islam de France, ne traduisent que quelques indicateurs d’un climat relationnel étriqué entre citoyens musulmans de France et l’État français.
2La question de la formation à l’islam fait bien partie des sujets qui intéressent les pouvoirs publics, non pas en tant que processus de transmission ordinaire du savoir religieux, mais avant tout sous l’angle spécifique de la formation locale des cadres religieux, imams ou aumôniers. Il y est alors question de voir émerger des cadres religieux français formés en France et qui remplaceront progressivement les leaders originairement formés à l’extérieur des frontières ou venus directement d’ailleurs : « À l’échelon national, l’attention particulière portée à la question de la formation des cadres religieux semble d’abord refléter le souci des pouvoirs publics, et au premier chef des services du Ministère de l’Intérieur à qui revient, historiquement, la question de la “gestion” des cultes. C’est du moins ce qui transparaît dans les déclarations émanant de tous les gouvernements qui se sont succédés depuis une vingtaine d’années et qui se sont attelés à poser les bases d’un organe national représentant le culte musulman. Depuis le Corif mis sur pied par Pierre Joxe en 1994, au Conseil Français du Culte Musulman en 2002, en passant par la Charte du Culte Musulman créée du temps de Charles Pasqua et le Conseil Représentatif des Musulmans de France en 1995. »2
3Les pouvoirs politiques s’intéressent donc à l’émergence de structures d’encadrement du culte musulman. À travers une construction parfois forcée d’une représentation du culte, ils promeuvent et appellent à la mise sur pied de formations des cadres religieux et à l’élaboration d’un réel statut pour les imams Français qui serait aussi bien outillé à la culture et à la langue française. Depuis le mandat de Monsieur Sarkozy, et aujourd’hui plus que jamais, on constate un engagement fort et durable de l’État dans la volonté de régler et contrôler les questions posées par l’islam et les musulmans ; se heurtant bon gré mal gré aux limites censées imposer la laïcité. Même s’il est traversé par les mêmes enjeux de gestion politique et médiatique, le contexte belge se différencie, d’un point de vue constitutionnel, par la reconnaissance des temporels du culte, dont l’islam fait partie depuis 1974, et de la reconnaissance des instances interlocutrices du culte et de leur organisation ainsi que leur financement. Tout en veillant à un statut de neutralité dans l’organisation du culte musulman, un Institut pour la « Promotion des Formations à l’islam » (IPFI)3 voit le jour en 2017. L’objectif de ce dernier étant que : « la Belgique accompagne des initiatives émergentes en matière de développement de la formation et de la transmission des savoirs sur l’islam au sein de l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles. »4. Cet institut finance notamment le « Certificat d’université en sciences religieuses et sociales : Islam dans le monde contemporain » à l’Université Saint-Louis à Bruxelles, le « Certificat interuniversitaire : Islam et musulmans d’Europe : perspectives historiques et défis contemporains » co-porté par l’Université Libre de Bruxelles et l’Université de Liège, le parcours de « Didactique du cours de religion islamique » de l’Université catholique de Louvain, permettant une désignation des enseignants de religion islamique et le programme de « Français, langue étrangère » de Saint-Louis à l’adresse d’imams. Cet éventail d’initiatives universitaires ne couvre pas toute la dynamique de formations islamiques privées qui existe dans le paysage belge, en français ou néerlandais, depuis 1997. Aussi, face à la différence des modèles et des contextes étatiques, les problématiques que traversent la Belgique et la France reposent sur un souci commun de l’intérêt pour la chose islamique et de sa rupture avec l’influence de facteurs exogènes aux contextes nationaux. La fabrique d’un islam local, fiable et en phase avec les contextes nationaux traverse les préoccupations et les intérêts des décideurs politiques. Le contexte français quant à lui, de par son cadre laïc, empêche toute prise en charge de l’enseignement religieux par le public, hors régime de concordataire d’Alsace-Moselle. L’initiative est donc exclusivement dévolue aux acteurs privés qui doivent en assurer aussi bien la mise sur pied et la pérennité que le financement.
4Face à l’asphyxie qu’engendre l’attente des pouvoirs publics conjuguée à la gestion médiatique, éminemment polémique, de la question de l’islam, les initiatives sont-elles condamnées aux slogans ? « L’islam de France est encore à bâtir. Le problème de la formation des imams reste entier ». Ainsi parlait Jean-Pierre Chevènement il y a vingt ans déjà et la teneur des discours semble être restée la même (Chevènement, 2004 : 396). L’ensemble de : « (…) ces questions qui taraudent, de façon variable, les politiques et un certain nombre d’observateurs ou d’institutionnels musulmans, autant que les acteurs directement concernés par le chantier de la formation, pèsent politiquement et sociologiquement sur les constructions d’islams européens »5 (El Asri, 2015). Pourtant, en dépit des échecs, le monde de la formation à l’islam en France n’a pas attendu d’éventuels dénouements à cette impasse politique et a de fait profondément évolué en l’espace de trois décennies.
5Après la consolidation des lieux de culte (salles ou mosquées) et des espaces d’initiation à la langue arabe, les générations musulmanes, nées en France, ont très vite senti le besoin de se former à l’islam. Par ailleurs, la critique d’une perte de contrôle du champ religieux et d’un déséquilibre structurel de l’islam contemporain globalisé, accélère la nécessité de fabriquer des espaces de formations et d’induire, à terme, l’émergence d’une génération de leaders qui fera autorité. Il en ressort le développement subreptice de programmes d’enseignement dont les objectifs oscillent de façon plus ou moins nette entre l’instruction d’une foi vécue in situ et la formation de cadres religieux, impliquant de nouvelles façons de développer des discours et des pratiques d’islam. Notons que le savoir religieux se transmet dans une complexité d’enjeux liés à l’histoire des colonisations puis des migrations et à leur gestion, aux politiques publiques françaises (éducatives, sécuritaires, législatives, etc.), aux stratégies institutionnelles et organisationnelles musulmanes au sein d’un islam mondialisé, aux aléas diplomatiques avec les pays d’origine et aux engagements théologiques des cadres religieux. Les récepteurs de la formation, plus que de simplement répondre à des prérogatives communautaires (par les formations aux professions religieuses : cadres institutionnels, enseignants de religion, aumôniers, imams…), sont amenés à devenir des interfaces crédibles entre la société en mouvement et les appartenances religieuses multiples.
6La présente publication s’appuie sur les résultats d’une étude qui a fait suite à l’appel à projets lancé par le ministère de l’Intérieur des crédits recherche « Islam, religion et société » intitulé Les instituts supérieurs privés d’enseignement islamique : réalités et enjeux de la formation des cadres religieux en France6. L’initiative a consisté à mener des recherches au plus près des formations privées pour adultes, de leurs acteurs et de leurs publics, tout en interrogeant les contenus au regard de l’islamologie et du contexte de production de ces savoirs. Ainsi, forts d’une analyse ethnographique nous avons pu bénéficier d’une prise en compte fine des spécificités du contexte socioculturel français sur l’aspect de la formation, mais aussi de l’analyse des cadres juridiques et institutionnels des structures de formation et de l’impact du statut de l’organisme et de la formation elle-même sur les objectifs de celle-ci.
7La présente publication dresse une typologie à plusieurs niveaux d’analyse (dans leur forme, leur orientation, leur fréquentation et leur impact dans le paysage des cadres musulmans) des instituts supérieurs privés d’enseignement islamique en France. À cela s’ajoutent, de façon centrale, le poids des courants doctrinaux et l’affiliation au sein de réseaux et organisations islamiques nationaux et transnationaux.
8Nos résultats réalisent un bilan et une analyse de ce sujet en plein développement en France et fournissent un état des lieux inédit de l’offre de formation à l’islam de manière diachronique et synchronique. Une offre qui a quadruplé depuis les années 1990 avec désormais plus d’une trentaine de lieux de formation (Instituts, e-learning, cercles d’études, etc.) français couverts de façon assez exhaustive, avec des zooms réalisés sur certaines structures qui ont fait l’objet d’observation participante. L’enquête illustre comment l’offre des instituts répond ou non aux besoins intellectuels et attentes religieuses des personnes formées tout en restituant les logiques socio-historiques sous-jacentes à l’émergence de ces structures et aux trajectoires de leurs acteurs.
9Une attention particulière est prêtée à la variété des offres et leur adaptabilité aux besoins des bénéficiaires en fonction de leurs diverses trajectoires de carrières. Il est à noter que les offres de formation aux métiers du religieux ne sont pas très précises dans les objectifs de formations privées, si ce n’est à travers une vague possibilité de débouchés. L’intérêt pour les motivations des apprenants et la nature des attentes d’un cursus est donc ici significatif des priorités individuelles, sociétales et communautaires d’un leadership émergent. Dans la pratique, ces offres sont généralement destinées aux musulmans et elles s’adressent aux titulaires d’un diplôme de niveau secondaire ou supérieur et, bien qu’elles s’adressent aussi bien aux hommes qu’aux femmes, le taux de participation des femmes est plus élevé dans de nombreux cas. Le suivi des formations est souvent irrégulier et le taux de réussite plutôt faible. Un accent est donc mis sur le suivi des lauréats identifiés par le biais de l’enquête, en s’intéressant aux cursus de leaders et acteurs de l’islam en exercice sur l’hexagone.
10À ce jour, le nombre croissant de structures d’enseignements n’a pas encore résolu la définition-construction (ou importation) d’une culture d’apprentissage définie comme un ensemble de repères et de codes répondant au « comment transmettre » l’islam (Van Praet, 2018 ; 2022) notamment en matière de formation des cadres. Aussi, en la matière, on observe une concurrence, une imitation et parfois une hybridité, entre divers modèles ou formes qui se sont imposés tour à tour historiquement. Ceci fait écho à l’apparition symptomatique du phénomène de coaching qui s’est structuré via des articles, des blogs, visant à orienter les apprenants. On observe donc une quête de repères et une augmentation de la demande en matière d’apprentissage qui donne naissance à une multitude d’activités parallèles ou conjointes engendrées par le monde de la formation (édition, coaching, coordinateur pédagogique, etc.).
11L’ambition des coordinateurs de l’ouvrage consiste à véhiculer un regard au plus proche des acteurs de terrain afin d’éclairer le débat public et les enjeux actuels encore mouvants de l’islam en France. En valorisant la voix de chacun, c’est le dialogue que nous entendons ici privilégier en permettant le partage des besoins et attentes en présence, en dehors des partis pris idéologiques qui peuvent brouiller le débat et la co-construction.
12Concernant le dispositif méthodologique et le corpus de données qui en découlent, l’enquête a été déployée durant plus d’une année sur le territoire hexagonal. La capitale parisienne a nécessairement mobilisé une part importante de nos efforts, ainsi que les métropoles de Lille, Strasbourg, Lyon et Marseille. Sur près de cinquante structures recensées, trente d’entre elles ont pu faire l’objet d’une investigation, notamment grâce à la soixantaine d’entretiens qui ont été menés. Les techniques de recueil de données adoptées étaient principalement les entretiens semi-directifs ou par récit de vie, et les observations participantes. Les entretiens réalisés, retranscrits et analysés s’élèvent à soixante-cinq. L’approche ethnographique s’est traduite par une présence durable du chercheur dans le milieu d’interconnaissance afin de saisir au mieux les interactions ordinaires des enquêtés.
13Une grille d’entretien comportant les items-clés des parcours biographiques a permis d’identifier les trajectoires d’apprenant-e-s. Parmi ceux-ci, les socialisations familiales, scolaires, professionnelles et parfois migratoires permettent de repérer les logiques de reproduction sociale ainsi que les processus ou non d’incorporation culturelle de normes religieuses ou d’identités (ethniques, linguistiques). Les mécanismes d’engagement dans l’apprentissage au sein de telle ou telle structure et les interactions vis-à-vis des enseignants ou des pairs informent sur les motivations initiales et les logiques de maintien au fil du temps dans la formation. Les enquêtés ont été également invités à décrire leur propre expérience pratique in concreto (plannings, budget, organisation) dans chacune des structures fréquentées mais aussi à s’exprimer sur leurs représentations du savoir religieux et de ce qu’il est censé être selon eux. Cela débouche sur une dynamique réflexive au fil de l’entretien par l’objectivation de leur propre parcours de façon chronologique et par le fait de susciter des questionnements sur l’enjeu de la formation à l’islam en contexte français. Enfin, une attention particulière est accordée aux modalités d’enseignement ainsi qu’aux contenus permettant de saisir les spécificités de chaque offre, ce qui est perçu par les apprenants comme un « point fort » ou, au contraire, un « point faible », etc.
14Il ressort des attitudes différenciées de la part des enquêtés vis-à-vis de cette démarche de recherche. Certains entrepreneurs pédagogiques ont non seulement joué le jeu mais y ont également vu l’occasion d’octroyer davantage de visibilité à leur structure. En ce sens, nous avions identifié le risque encouru si notre projet ne portait qu’un regard sélectif sur l’offre de formation à l’islam : contribuer à la promotion/visibilité de certains au détriment d’autres. C’est pourquoi nous avons ouvert notre panel des structures observées à divers courants et types organisationnels. À certaines occasions, quelques acteurs y ont également vu l’occasion de développer une expertise interne sur leur structure, ainsi cet exercice pouvait être assimilé à une sorte d’audit.
15D’autres acteurs se sont, au contraire, montrés prudents à différents degrés. Parfois une simple explication des grandes lignes du projet a pu suffire, tandis qu’à d’autres moments nos tentatives furent condamnées à l’échec. Les raisons de ces refus diffèrent : une méfiance déclarée envers les initiatives en lien avec le gouvernement, une vision péjorative du rôle de la recherche et du monde académique pour d’autres. Cela peut aussi être simplement lié à la volonté de maintenir le contrôle de leur image en tant que structure ou en tant que personnalité. Mais cela reste minoritaire au regard de la grande majorité des personnes rencontrées qui nous ont accordé de longs entretiens, permis d’assister de façon illimitée aux enseignements dispensés, de partager des dizaines d’heures de cours enregistrés en ligne, etc. Il reste que, la méfiance vis-à-vis de l’action publique pourrait être amenée à s’accroître davantage suite aux évènements impliquant l’IESH de Paris qui, selon un arrêté du 26 novembre 2019, s’est vu contraint à une fermeture administrative. Cela advint quelques jours après que l’ancien ministre de l’Intérieur Monsieur Castaner s’était adressé à l’ensemble des préfets tout en divulguant publiquement le procédé détourné par lequel il espérait parvenir à fermer des organismes musulmans (mosquées, instituts, centres islamiques, etc.) sur le territoire français : « Dès qu’il existe des doutes sur un lieu ou sur une association, je vous demande de ne pas hésiter à réaliser des inspections, des contrôles. Et si des manquements sont établis, je vous demande de décider des fermetures administratives sans hésiter. Je pense aux débits de boissons qui deviennent des lieux de rassemblement islamiste. Je pense à certains lieux de culte, à certaines écoles et certains centres culturels et sportifs qui se transforment en incubateur de haine. »7
16Le large spectre des nombreux instituts répartis sur l’ensemble du territoire français a représenté le plus grand défi puisque cela empêche inévitablement de maintenir équitablement une observation de longue durée auprès de chaque structure. C’est pourquoi certaines structures ont fait l’objet d’une investigation plus poussée que pour d’autres. Ces « zooms » qualitatifs concernent des instituts tels que l’IESH, l’Institut Asharite, l’IESIP, al-Hanafiyya, Nadwi, l’école al-Foulk, etc. La part significative et récente d’offre en e-learning a permis une observation plus systématique des enseignements, donnant une réelle réactualisation des analyses sur le sujet.
17Cet ouvrage tourne autour de trois grandes questions réparties en trois parties consacrées. La première pose les jalons des « dynamiques mouvementées » de l’offre de formation à l’islam en France. C’est l’occasion de revenir sur les temps forts de son évolution historique ainsi que l’ancrage géographique de son implantation des années 1980 à nos jours. Mais également d’exposer, à travers une typologie heuristique, la diversité des offres compte tenu de leurs objectifs, ancrages doctrinaux et formes organisationnelles. En outre, nous y restituons les relations entre les entrepreneurs pédagogiques et les synergies en œuvre. Il s’agit d’une mise à jour d’autant plus nécessaire qu’une nouvelle offre a profondément marqué le champ islamique français depuis 2014 : l’offre « traditionnelle » ou « madhhabique » encore peu décrite par la recherche francophone (Van Praet, 2018 ; 2021 ; 2023).
18Dans un second temps, il s’agit de s’intéresser à la façon dont se structure le « marché de la formation islamique en France » entre un système de contraintes multiples (juridique, politique, financier, etc.) et des attentes de plus en plus sophistiquées de la part des publics d’apprenants. Il est question de soulever l’enjeu d’un contexte marqué par l’action publique et la façon dont celle-ci détermine les formes juridiques et organisationnelles et/ou interagit avec les offres de formation. Il s’agit d’offrir une plus grande visibilité des différentes stratégies d’implantation géographique mais également marketing déployées par les acteurs afin d’atteindre les publics-cibles. Ces stratégies sont mises en miroir avec les carrières d’apprenants, notamment à travers la question des éventuels débouchés, du poids des logiques de genre, mettant en perspective la grande variété des profils et parcours d’apprenants. À l’aune des parcours d’hier où la mobilité vers des structures à l’étranger s’imposait comme incontournable pour qui s’inscrivait dans un parcours de légitimation par l’apprentissage d’un savoir religieux au sein d’une formation certifiante, le numérique a profondément bouleversé les règles du jeu. Finalement, que constitue une « bonne formation » aux yeux des apprenants rencontrés ?
19Enfin, dans un troisième temps, il s’agit de se demander s’il est possible de se former à l’islam en passant exclusivement par une offre francophone, et jusqu’où cette stratégie peut-elle mener les apprenants. L’offre francophone à laquelle est consacrée cette étude s’est révélée extrêmement riche, proposant des cursus de longue durée et offrant divers degrés de flexibilité. L’enjeu des diverses modalités de certification est ainsi abordé à l’aune des exigences traditionnelles en matière de transmission. De nombreux ouvrages et supports didactiques mobilisés pour l’enseignement sont recensés et — pour les plus récurrents — présentés et contextualisés au sein de leurs ancrages disciplinaires respectifs (droit musulman, dogme, référentiel coranique et prophétique, didactique de la langue arabe, et sciences humaines et sociales). L’analyse permet de mettre en lumière tout autant les grandes tendances en matière de contenus ou de formats que les aspects innovants sur le plan didactique, même au sein d’une offre qualifiée de « traditionnelle », mais aussi les usages différenciés dont peut faire l’objet un même ouvrage. L’étude mobilise donc tout autant une contextualisation islamologique des références mobilisées dans les formations qu’une sociologie des pratiques didactiques par lesquelles se fait la transmission du savoir religieux au sein de ces formations à l’islam.
20Ainsi si la formation à l’islam pèse sur le devenir de la construction du leadership musulman en France, notre étude cherche à montrer comment le dynamisme des pratiques et les horizons d’attentes des apprenants comme des enseignants, doivent concilier et sensibiliser à la conservation d’un héritage et d’une identité religieuse invitant à penser avec ces dynamiques plutôt que pour elles.
Notes de bas de page
1 Loi confortant le respect des principes de la République (loi CRPR).
2 Frégosi F., « La problématique de la formation des cadres religieux musulmans en France : au croisement des logiques politique, académique et communautaire » in Droit et religion en Europe, (Dir.) Deneken M., Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2014, en ligne, https://books.openedition.org/pus/9522?lang=fr.
3 « Fondé par décret, l’Institut de promotion des formations sur l’islam est créé en 2017 suite aux recommandations de la Commission présidée par Françoise Tulkens et Andréa Rea chargés en 2015 par le Ministre Jean-Claude Marcourt de faire des propositions au Gouvernement en vue de favoriser un islam de Belgique (…) ». Cf. https://www.ipfi.be/.
4 Ibid.
5 El Asri, F. « Les enjeux de la formation islamique en Europe francophone ». Histoire, monde et cultures religieuses, 2015/4 n° 36, 2015. p. 79-105.
6 Il a été accordé une subvention à cette recherche, sous la responsabilité scientifique de la socio-anthropologue Sophie Bava, chargée de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et de l’anthropologue Farid El Asri, directeur du Center for Global Studies (UIR). Ainsi que l’expertise associée de Younes Johan Van Praet, de Manuella Pinelli, de Seydi Diamil Niane et d’Amina Mesgguid. Les résultats de ce projet de recherche prennent donc appui sur une équipe pluridisciplinaire (sociologue, islamologue, anthropologue, juriste, politologue et théologien).
7 Déclaration accessible via le site officiel du gouvernement de l’Intérieur : https://www.interieur.gouv.fr/Le-ministre/Interventions-du-ministre/Discours-d-ouverture-de-M.-Christophe-Castaner-lors-du-seminaire-des-prefets-consacre-a-la-lutte-contre-l-islamisme-et-le-repli-communautaire.

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