Chapitre 1
Un génocide qu’on a vu venir
p. 27-53
Texte intégral
1Certains historiens, juristes, sociologues et politologues ont beau écrire que le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) n’a pas démontré la planification du génocide commis contre les Tutsis, la question me semble tenir d’une rhétorique stérile. Le génocide commis contre les Tutsis par des extrémistes hutus n’a pas été spontané : il a fallu du temps pour convaincre des camarades de classe hutus, des collègues, des voisins, que leurs compatriotes tutsis étaient des citoyens de seconde zone ; il a fallu du temps pour habituer des paysans hutus à l’idée de massacrer leurs voisins tutsis, avec lesquels ils partageaient tant : les mêmes inquiétudes (la sécheresse, la pluie qui tarde à venir, les maladies endémiques comme la malaria), mais également les mêmes joies (le travail en équipe lors des récoltes, les fêtes de mariage, les enterrements, etc.). Ces paysans hutus ne se sont pas transformés spontanément en bandes de tueurs allant jusqu’à exterminer sans pitié femmes enceintes, bébés et vieillards. Il a fallu un long travail de manipulation, de sensibilisation à travers les médias, les discours de haine, les réseaux et le comportement de certains hommes politiques, l’utilisation d’un système d’accusation en miroir, etc.
2Quand le FPR déclenche son attaque le 1er octobre 1990, le régime du président Habyarimana, à bout de souffle, se dit que la solution est la prise en otage des Tutsis de l’intérieur. Alors que les combats se déroulent dans le nord du pays, des extrémistes au sein du parti unique, en fait des idéologues sans conscience1, vont consolider une stratégie de diabolisation de la minorité tutsie et convaincre les Hutus que cette guerre est causée par leurs compatriotes tutsis dans leur ensemble. Le président de la République (Habyarimana) va parler de guerre « lui imposée » par le FPR. La machine génocidaire va utiliser des médias acquis au dessein du génocide contre les Tutsis. Elle va mobiliser une partie de l’administration civile et de l’armée et créer des structures parallèles et une milice, les Interahamwe, fer de lance du génocide.
Une politique discriminatoire institutionnalisée
3Nous n’avons pas l’intention de remonter aux années d’indépendance pour expliquer l’idéologie raciste officielle au Rwanda2. Il existe une multitude de livres qui traitent du sujet. Toutefois, je ne partage pas la théorie de ceux qui avancent que la planification du génocide date de l’année 1959 quand la monarchie fut renversée au Rwanda. Je ne partage pas non plus la théorie de l’existence d’une monarchie sans violences politiques. La violence politique a caractérisé plusieurs règnes. La société traditionnelle rwandaise n’était pas égalitaire. L’histoire montre qu’à certaines périodes, elle connut des violences politiques. Mais cette société avait ses interdits qui empêchaient certains comportements, certains crimes. Au cours des guerres, les femmes et les enfants étaient protégés. Dans cette société inégalitaire, il existait un certain code. Sur les collines, les différentes communautés se respectaient. Les amis de mes grands-parents qui mangeaient le mouton ne pouvaient pas par exemple m’inviter à partager leur repas quand ils avaient préparé de la viande de mouton. Notre clan ne mangeait pas de mouton. Pour cette famille, me faire manger du mouton serait revenu à m’empoisonner. J’ai attendu longtemps pour dire à ma mère que je mangeais du mouton !
4Cette violence politique sous certains règnes comme celui du roi conquérant Rwabugiri et certainement d’autres ne peut pas justifier les fausses théories des tenants d’une haine ancestrale entre les Hutus et les Tutsis au Rwanda. Ce sont des intellectuels extrémistes hutus et certains africanistes occidentaux qui défendent ces théories. La société traditionnelle connaissait des inégalités sociales comme toutes les autres sociétés du XIXe siècle. Il n’y a jamais eu de haine ancestrale entre les différentes communautés peuplant le Rwanda. Qu’il y ait eu des antagonismes au sein des familles dirigeantes, cela semble évident. Alors que la révolution sociale de 1959 qui a renversé la monarchie tutsie prétendait donner la dignité aux masses paysannes hutues et tutsies, elle s’est opérée dans la violence. La nouvelle République proclamée le 1er juillet 1962 se construisit sur l’exclusion de la minorité tutsie, assimilée par les premiers dirigeants hutus à la monarchie qu’ils venaient de renverser. Le renversement de la monarchie s’accompagne de meurtres de Tutsis, même de simples éleveurs tutsis qui partageaient le quotidien des paysans hutus. Pour asseoir sa légitimité, cette nouvelle élite politique va avaliser les théories racistes des premiers anthropologues coloniaux et des prélats de l’Église catholique : les Rwandais ne constitueraient pas un seul peuple, les trois composantes ethniques seraient identitaires. Les Tutsis (estimés par le pouvoir colonial belge entre 15 % et 18 % de la population totale), sont considérés comme des étrangers venus de l’Éthiopie. Toutes les injustices et les inégalités sociales pendant la colonisation sont mises au débit de l’élite tutsie à qui les mandataires belges déléguaient – sous leur contrôle tatillon – l’administration locale.
5Quand la Première République apparut minée par des antagonismes régionaux et que les Hutus du Nord menacèrent le pouvoir monopolisé par les Hutus du centre et du sud du pays, le régime tenta une nouvelle diversion contre les « Tutsis de l’intérieur ». Ceux-ci étaient devenus des boucs émissaires chaque fois que le régime était confronté à des difficultés politiques. Le 5 juillet 1973, quand le général Juvénal Habyarimana et ses camarades du Nord firent leur coup d’État militaire, ils déclarèrent qu’ils avaient renversé le pouvoir du président Grégoire Kayibanda notamment pour défendre les droits des Tutsis. Ce qui ne les a pas empêchés d’introduire la politique de « l’équilibre ethnique » dans les années 1980. Une règle non écrite stipula que les Tutsis ne devaient pas représenter plus de 9 % de l’effectif d’une entreprise, d’un bureau administratif, etc. Le système de ségrégation se durcit à mesure que le leadership du général-président s’érodait. Le régime de Habyarimana allait construire sa sécurité sur le concept « d’ennemi intérieur ». Un ennemi à surveiller et à contrôler. Identifier cet ennemi intérieur fit partie de la formation des militaires. Un officier supérieur, étudiant dans un institut militaire belge, écrira dans son travail de fin d’études :
L’ennemi le plus à craindre est celui de l’intérieur, c’est-à-dire l’insurrection. L’armée doit donc se préparer à neutraliser les attaques psychologiques de l’ennemi sur la population et à mener des actions antiguérillas et des actions de contrôle de la population3.
6Lorsque le FPR attaqua le 1er octobre 1990, le régime du président Habyarimana appliqua cette théorie de l’ennemi intérieur. Le 3 octobre 1990, certains officiers de l’armée furent arrêtés et poursuivis pour trahison, du seul fait de leur ascendance tutsie ou supposée telle ou de leur supposée sympathie envers les Tutsis. Le même jour, le ministre de l’Intérieur réunit dans la capitale tous les préfets en présence du numéro 2 du ministère de la Défense nationale. Il leur était demandé de tout faire pour que la population collabore avec les autorités administratives et militaires pour « combattre l’ennemi et ne pas collaborer avec lui ». Dans la nuit du 4 au 5 octobre 1990, des tirs furent entendus dans la capitale et le lendemain la radio nationale parla d’une tentative de prise de la capitale par l’ennemi. Un prétexte à l’emprisonnement de milliers de Tutsis et de Hutus considérés comme opposants. En réalité, les arrestations des soi-disant infiltrés et complices du FPR avaient commencé le 2 octobre 1990. Un caporal du bataillon para-commando qui a participé à ces arrestations raconte :
Quand la guerre a éclaté en 1990, notre commandant d’unité, le major Rwandeye, a déployé des éléments de notre bataillon dans la ville de Kigali, qui ont procédé à l’arrestation de ceux qu’on a appelés à l’époque les complices. Certains ont été conduits dans notre camp, d’autres au stade de Nyamirambo et dans les brigades de gendarmerie à travers la ville. Du 4 au 8 octobre, le major Rwendeye restait jour et nuit dans son bureau où il recevait plusieurs coups de téléphone de correspondants dont j’ignore les identités. Ces personnes lui indiquaient les endroits où ils devaient envoyer les militaires pour procéder aux arrestations en ville. Cette opération d’arrestation de civils avait commencé depuis le 2 octobre et elle fut menée aussi par d’autres unités de notre camp comme le QG, la Compagnie Musique, la Compagnie Quartier Maître (QM), la Compagnie Maintenance et l’École supérieure militaire. Certaines personnes arrêtées avaient été gardées au camp Kigali, mais n’ont pas été tuées. Cependant, elles ont été torturées. Il s’agissait de femmes, d’hommes et d’étudiants essentiellement tutsis4.
7Un témoin privilégié de cette époque m’a dit qu’il était prévu d’exterminer les personnes arrêtées, appelées communément Ibyitso, donc « complices », pour intimider la population, mais que le chef de l’état-major de la gendarmerie et certains officiers supérieurs de l’armée se sont opposés à cette élimination physique. Il est évident que l’attaque contre la capitale au cours de cette nuit n’a pas eu lieu. Il s’agissait d’une mise en scène des extrémistes au sein des Forces armées rwandaises (FAR) avec certainement l’assentiment du président Habyarimana. Les personnes arrêtées arbitrairement furent libérées suite à la pression de la communauté internationale et à la nomination d’un nouveau ministre de la Justice, un homme intègre, Sylvestre Nsanzimana. Je me souviens de sa visite dans mon modeste bureau du procureur de la République en face du marché central de Kigali. C’était la première fois qu’un ministre de la Justice me rendait visite dans mon bureau. Je lui avais expliqué que les dossiers de toutes les personnes arrêtées pour complicité avec l’ennemi étaient vides. Il m’avait répondu qu’il allait ordonner leur libération et m’avait demandé d’attendre sa déclaration sur les antennes de la radio nationale, sinon j’allais avoir des difficultés avec les services de sécurité qui avaient injustement arrêté ces personnes.
8Le régime ne parvenait pas à gagner la guerre et fut obligé d’instaurer le multipartisme. En 1991, l’opposition démocratique commença à gagner du terrain. C’est alors que les extrémistes du Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (MRND), ex‑parti unique, mirent sur pied une machination qui, croyaient-ils, leur permettrait de conserver le pouvoir. Les leaders du MRND, parmi lesquels vont émerger les architectes du génocide, favorisèrent dès 1990 l’éclosion de médias extrémistes dont le plus emblématique fut le magazine Kangura, jusqu’au lancement de la Radio télévision libre des Mille Collines (RTLM) en juillet 1993. Ils s’appuyèrent sur les bourgmestres MRND pour faire comprendre aux paysans hutus que leurs voisins tutsis étaient des complices du FPR. Ils créèrent une milice, les Interahamwe, qui sera le fer de lance du génocide contre les Tutsis. Prenant conscience du fait que les FAR ne pouvaient gagner par des moyens conventionnels la guerre déclenchée par le FPR, les extrémistes du MRND jouèrent leur va‑tout.
9Dans un discours du 22 novembre 1992, à Kabaya, non loin du lieu de naissance du président Habyarimana, le linguiste et militant MRND Léon Mugesera, appela à l’extermination des Tutsis. S’adressant à ces derniers, Léon Mugesera répéta que leur pays était l’Éthiopie et que les Hutus les y renverraient via la rivière Nyabarongo. C’était une allusion transparente aux pogroms des années soixante, lorsque les cadavres de Tutsis étaient jetés dans cet affluent du Nil. Quand Léon Mugesera prononça son discours incendiaire à Kabaya, plusieurs dignitaires du régime Habyarimana originaires de Gisenyi étaient présents. Aucun d’eux ne dénonça cet appel au meurtre. En fait, seules des personnalités éminentes de l’opposition s’insurgèrent contre ce discours haineux parce que chacun comprenait que Léon Mugesera exprimait l’agenda politique plus ou moins occulte du comité central du MRND. Nous détaillons le discours de Léon Mugesera dans un chapitre ultérieur.
10Cet ordre du jour politique qui consistait à « identifier l’ennemi » fut diffusé dans la population par des médias extrémistes appuyés par le réseau pyramidal du MRND, les préfets et les bourgmestres auparavant exclusivement nommés par le président Habyarimana, évidemment favorables à l’idéologie du MRND.
Les médias de la haine
11Deux médias ont joué un grand rôle dans la manipulation d’une partie des élites et des paysans hutus. Il s’agit du périodique Kangura, officiellement dirigé par Hassan Ngeze, et de la RTLM, dont le directeur politique était l’universitaire Ferdinand Nahimana.
12Le journal Kangura paraît au mois de mai 1990. Son rédacteur en chef, Hassan Ngeze, est presque un inculte. C’est un ancien cordonnier, un ancien convoyeur de bus. Il habite un quartier populaire de la ville de Gisenyi. Son niveau d’instruction ne lui permet pas d’écrire un véritable article et pourtant, c’est lui le rédacteur en chef de ce journal qui va terroriser même des ministres du gouvernement Habyarimana. Derrière cet homme de paille se cachent des officiers du renseignement de l’armée rwandaise et d’autres hommes politiques, soutiens d’un régime qui bat de l’aile en 1990. Figurent parmi les soutiens importants de ce journal aux idées extrémistes, régionalistes et discriminatoires, le colonel Anatole Nsengiyumva et le puissant ministre Joseph Nzirorera.
13Hassan Ngeze assigne au journal qu’il dirige deux principaux objectifs : l’éveil et la défense de la majorité populaire au Rwanda. Pour Hassan Ngeze, la majorité populaire au Rwanda est constituée des Rwandais hutus et les Hutus doivent se reconnaître entre eux. Ils doivent se démarquer de leurs compatriotes tutsis ! Hassan Ngeze profite de la naissance des partis politiques avec la nouvelle constitution de 1991 (consacrant le multipartisme) pour semer la confusion dans les esprits des gens. Le premier parti à naître en 1991 est le Mouvement démocratique républicain (MDR). Ses fondateurs, dont un gendre du premier président de la République, déclarèrent qu’il ne s’agissait pas de la naissance du MDR-Parmehutu, le parti du président Grégoire Kayibanda, qui avait conduit la révolution sociale de 1959 et avait aboli la monarchie tutsie. Pourtant, Hassan Ngeze va saluer ce parti comme un parti des Hutus et inviter les Tutsis et les Twas à créer leurs propres partis politiques. Précisons que Hassan Ngeze n’était pas membre du MDR.
14Alors que le FPR considère sa lutte armée comme une guerre pour le retour des réfugiés dans leur patrie, Kangura voit cette guerre comme une guerre ethnique.
15Société privée, la RTLM a été enregistrée par acte notarié du 8 avril 1993, elle comptait cinquante actionnaires. La radio a commencé à émettre le 8 juillet 1993. Le projet de cette radio exprimant les vues des extrémistes hutus a été lancé par un petit groupe de notabilités du MRND, dont le professeur Ferdinand Nahimana, le diplomate Jean-Bosco Barayagwiza et le chef milicien Stanislas Simbizi. Les objectifs figurant dans les statuts n’attiraient pas l’attention. Dans le préambule il est dit :
Encouragés par l’évolution positive du pluralisme démocratique ; convaincus de la nécessité permanente de renforcer la démocratie pluraliste et les institutions républicaines ; décidés à faciliter la circulation des idées diversifiées qui seules permettent le développement harmonieux de la société ; déterminés à contribuer à l’éducation du peuple et à lui transmettre l’information juste, objective et variée, les soussignés ont décidé de créer une radio télévision libre.
16Dans son article 4, les statuts de la RTLM parlent de la collecte, du traitement et de la diffusion des informations ; de la formation, de l’éducation et de l’information de la population par la publicité, les informations et les débats ; de la contribution au renforcement de la démocratie pluraliste et des institutions républicaines dans le pays.
17Les statuts de la RTLM étaient à l’instar des constitutions des dictatures africaines à l’époque. Ces constitutions étaient rédigées avec l’expertise des meilleurs constitutionnalistes occidentaux, mais l’application était tout autre. Comme le président Habyarimana a qualifié les Accords de paix d’Arusha, ces constitutions restaient pour les dictateurs africains des « chiffons de papier » qui ne les empêchaient pas de diriger leurs États comme bon leur semblait. Comme objet social, la RTLM visait entre autres « la contribution au renforcement de la démocratie pluraliste et des institutions républicaines dans le pays », mais dans la tête des membres fondateurs et dans les faits, la république et la démocratie ne concernaient que les Hutus, le « Peuple majoritaire » comme le répétait Kangura en exergue de son titre.
18Les créateurs de la RTLM vont chercher les membres adhérents chez les civils, mais également au sein de l’armée. À la naissance de la RTLM, les gens avaient soif de médias indépendants. Ils en avaient assez des rares médias officiels qui diffusaient à longueur de journée les discours du président de la République et les programmes politiques de l’ancien parti unique. Les gens avaient besoin d’une information indépendante et variée. Bref, les intellectuels rwandais voyaient d’un bon œil la création d’une radio privée, indépendante. Cependant, la façon dont les initiateurs de cette radio vont recruter les adhérents va décourager ceux qui avaient soif d’un média indépendant. La RTLM va recruter dans les milieux extrémistes hutus. Elle va s’intéresser aux soutiens du régime Habyarimana. Des ministres au sein du gouvernement Habyarimana soutiennent cette radio alors que l’État dispose de Radio Rwanda. Je me souviens d’une conversation avec un ministre de Habyarimana dans une famille amie. Ce ministre me disait beaucoup de bien de cette radio en affirmant que les personnes à l’initiative de la RTLM étaient des gens qui se connaissaient et qui avaient les mêmes idées. Sur ce dernier point, il avait raison, car les fondateurs de la RTLM étaient en majorité des gens extrémistes. La RTLM va chercher surtout à trouver des membres adhérents au sein des FAR qui pourtant étaient censées être neutres et être au service uniquement de la nation rwandaise.
19Il est intéressant de noter, parmi les 50 membres fondateurs, des officiers supérieurs des FAR :
- Le major Pierre-Célestin Haguma, originaire de la préfecture du président Habyarimana, pilote d’hélicoptère dans l’escadrille d’aviation de l’armée rwandaise ; il est un officier bien formé en Belgique et en France ;
- Le major Victor Kalisa, originaire de la préfecture de Byumba (préfecture d’origine du ministre de la Défense et aussi du millionnaire Félicien Kabuga), pilote dans l’escadrille d’aviation de l’armée rwandaise. Il est le beau-frère de Jean-Baptiste Gatete, bourgmestre de la commune de Murambi, qui se rendra tristement célèbre par sa cruauté pendant le génocide commis contre les Tutsis ;
- Le major Aaron Ntizihabose, originaire de la préfecture de Ruhengeri, pilote d’hélicoptère dans l’escadrille d’aviation de l’armée rwandaise ;
- Le général-major Déogratias Nsabimana, originaire de la préfecture de Ruhengeri, chef d’état-major de l’armée rwandaise après la mise à la retraite de l’incontournable colonel Laurent Serubuga5. Avant sa mort dans l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana, le général-major Nsabimana était considéré comme le héros de la guerre d’octobre 1990. Il est connu pour son audace et sa brutalité. Une affaire de viol d’une assistante sociale dans la préfecture de Byumba sera étouffée, le parquet ayant eu peur de poursuivre cet officier apprécié des hommes de troupe. Diplômé de l’Institut royal supérieur de défense de Belgique et breveté d’état-major, le général Nsabimana jouissait d’une grande aura au sein des FAR.
20D’autres officiers originaires du nord du pays rejoindront la RTLM comme actionnaires :
- Le capitaine Mathias Nsabimana, originaire de la préfecture de Gisenyi et membre de la garde présidentielle ;
- Le capitaine gendarme Jean-Chrisostome Ntirugiribambe, originaire de la préfecture du général Habyarimana ; il a travaillé dans les services du renseignement de la gendarmerie et pendant le génocide il commande la compagnie territoriale de Nyarugenge. C’est à lui que revenaient la sécurité et la garde des centres de réfugiés de l’église de la Sainte‑Famille de Kigali et du Centre national de la pastorale de Saint‑Paul ;
- Le major Théophile Gakara, originaire de la préfecture de Byumba. Il était un officier bien formé, car diplômé de l’École des administrateurs militaires (Belgique). Chef du service administratif et de la gestion du personnel de l’état-major de la gendarmerie nationale, il a participé également aux négociations de paix à Arusha ;
- Le major Ladislas Munyampotore, originaire de la préfecture de Ruhengeri, commandant de la compagnie génie de l’armée rwandaise, il fait partie des extrémistes au sein de celle-ci ;
- Le lieutenant gendarme Anastase Bizumuremyi, de triste renom dans la capitale rwandaise avant le déclenchement du génocide. Cet officier originaire de la préfecture de Byumba était connu pour son soutien inconditionnel aux Interahamwe et son aversion à l’égard des partis politiques de l’opposition. Pendant le génocide, il était affecté au commandement du secteur opérationnel de Gisenyi, sous les ordres du lieutenant-colonel Anatole Nsengiyumva ;
- Le major Gérard Ntamagezo, originaire de la préfecture de Ruhengeri, cet officier des renseignements a été formé en Belgique ;
- Le major Aloys Mutabera, originaire de la préfecture du président Habyarimana, il commandait la batterie anti-char de l’armée rwandaise ;
- Le major Aloys Ntabakuze, originaire de la préfecture du général Habyarimana ; il commandait le bataillon de reconnaissance pendant le génocide. Il a été condamné pour génocide par le TPIR.
21La présence de ces militaires, officiers des Forces armées rwandaises, au sein des actionnaires de la RTLM, explique en partie le rôle que cette radio a joué pendant le génocide commis contre les Tutsis, en permettant aux journalistes de la RTLM d’avoir accès aux informations militaires. Mais, beaucoup plus, cette radio deviendra en quelque sorte le porte-voix des officiers extrémistes au sein de l’armée.
22Il est également troublant de noter que sur les 50 membres fondateurs de la RTLM, 40 proviennent des trois préfectures du Nord, bastion du MRND (Gisenyi, Ruhengeri et Byumba). En fait les 50 fondateurs de la RTLM sont des hommes clés du système MRND. Parmi les civils, on compte l’homme d’affaires Félicien Kabuga (deux de ses filles ont épousé les fils du président Habyarimana), Alphonse Ntilivamunda, le gendre du président Habyarimana, le professeur Ferdinand Nahimana, le banquier Pasteur Musabe, petit frère du colonel Théoneste Bagosora, le ministre des Travaux publics Joseph Nzirorera, Charles Nzabagerageza (ancien préfet de la préfecture de Ruhengeri) et les deux vice‑présidents de la milice Interahamwe, George Rutaganda et Phénéas Ruhumuliza. La RTLM est comme une toile d’araignée dont les fils conduisent à tous les extrémistes hutus qu’on retrouvera à l’avant-scène du génocide commis contre les Tutsis.
23Très vite, la RTLM dévoile l’agenda de ses fondateurs : une stratégie consistant à transformer la compétition politique rwandaise en conflit ethnique. Lors d’une émission du 1er avril 1994, six jours avant le commencement des massacres, le journaliste de la RTLM, Habimana Kantano, déclare sur les antennes que l’on ne peut pas se fier au Parti libéral, la branche de Landouard Ndasingwa, en disant que « Ndasingwa est tutsi et les Tutsis et le FPR, c’est la même chose »6. Le 23 mars 1994, Habimana Kantano s’était opposé à la fusion des deux armées tel que c’était prévu dans les Accords de paix d’Arusha, en déclarant à ses auditeurs que même si on fusionnait les deux armées, le projet unique du FPR était de reprendre le pouvoir que les Hutus avaient arraché aux Tutsis en 1959, de le récupérer et de le garder aussi longtemps qu’ils voudraient7.
24Cette radio va rapidement développer au sein de la population rwandaise un climat de psychose et de méfiance. Elle légitime la violence à l’égard des Tutsis en la présentant comme une action de légitime défense. Les attaques de la RTLM ne sont pas seulement dirigées contre les Tutsis comme groupe, mais également contre des individus. À titre d’exemple, le 14 mars 1994, le journaliste Gaspard Gahigi de la RTLM s’en prend à une famille de Biryogo, un quartier populaire de la ville de Kigali, qu’il qualifie d’Inkotanyi, nom des combattants du Front patriotique rwandais.
25Les fondateurs de la RTLM, notamment le professeur Ferdinand Nahimana, ancien directeur de l’Office rwandais d’information (Orinfor), connaissent des journalistes rwandais de talent comme l’ivrogne Noël Hitimana, le populaire Habimana Kantano, le professionnel Gahigi et la terrible Valérie Bemeriki. Noël Hitimana était un ancien journaliste de Radio Rwanda. Il était très populaire à cause de ses émissions matinales sur cette radio. Il avait été révoqué de la Radio nationale à cause de son état d’alcoolique. Habimana Kantano était un journaliste haut en couleur ; il était dans tous les stades de football chaque fois que l’équipe Rayons Sports, une des équipes les plus populaires, jouait. Il s’habillait tout le temps en tenue traditionnelle et son tambour l’accompagnait sur les terrains de football. Il était adoré des jeunes. Bemeriki était de ces femmes dont les Rwandais ont peur. Elle avait une mauvaise voix, cette voix qui sema la mort pendant le génocide commis contre les Tutsis. Ils recrutèrent également un Belgo-Italien du nom de George Ruggiu. Ainsi cette radio va se vanter d’avoir un journaliste blanc dont la langue maternelle est le français. Les journalistes Valérie Bemeriki et Noël Hitimana rivalisent à longueur de journée pour dénoncer des Tutsis qu’ils considèrent comme des complices8. Cette radio dispose de journalistes connus, mais diffuse également la musique des chanteurs les plus populaires comme Simon Bikindi. Ce dernier était un grand artiste, fonctionnaire au ministère de la Jeunesse. Il dirigeait le ballet national et avait sa propre troupe de danseurs Irindiro. Ses chansons très rythmées renforcèrent la haine contre les Tutsis9. Les chansons de Simon Bikindi les plus diffusées à la RTLM sont : Bene Sebahinzi (Les fils du père des cultivateurs), Twasezereye (Nous avons dit adieu à la monarchie), Nanga abahutu (Je déteste les Hutus). Ses chansons invitaient tous les Hutus à s’unir de nouveau. L’une d’entre elles parlait de la domination des monarques tutsis sur les monarques hutus au moment du peuplement du Rwanda. Bikindi avertissait les Hutus qu’ils risquaient l’extermination si le FPR prenait le pouvoir. Ces chansons qui entraient dans la ligne idéologique de la RTLM étaient commentées et interprétées par les journalistes de la RTLM. Ceux-ci étaient anti-Tutsis et pro-Hutus10.
26En parlant de démocratie, la RTLM se réfère aux Hutus, majoritaires, au sein de la population rwandaise. Elle s’oppose aux accords de paix11. À longueur de journée, ses journalistes, notamment Habimana Kantano, Noël Hitimana, Valérie Bemeriki, Gaspard Gahigi et Georges Ruggiu, vont convaincre l’opinion publique de l’inapplicabilité des Accords de paix d’Arusha12.
27Avant le mois d’avril 1994, la RTLM est l’instrument de propagande de cette clique politico-militaire qui prépare les auditeurs au génocide contre les Tutsis. Cette radio est la voix des radicaux du MRND et de l’état-major de l’armée. Ainsi, seule la RTLM diffusa le discours du ministre de la Défense Augustin Bizimana (MRND), prononcé lors de la réunion des commandants militaires de secteurs, des officiers d’état-major et des commandants d’unités, qui s’était tenue à Kigali entre février et avril 1994. La radio nationale en fut absente.
28Pendant le génocide, la RTLM deviendra une machine à tuer, désignant les victimes par leurs noms, leurs adresses, les plaques d’immatriculation de leurs voitures et les endroits où les Interahamwe pouvaient les trouver.
29Lors du procès de Ferdinand Nahimana, les juges ont déclaré ce qui suit :
[L]es émissions de la RTLM se sont mises à véhiculer des stéréotypes ethniques d’une façon qui a encouragé le mépris et la haine de la population tutsie. Elles ont appelé les auditeurs à débusquer l’ennemi et à s’armer contre lui. L’ennemi a été désigné comme étant le FPR, les Inkotanyi, les Inyenzi et leurs complices, les émissions les assimilant tous au groupe ethnique des Tutsis. Après le 6 avril 1994, les émissions de la RTLM qui propageaient la haine ethnique et appelaient à la violence se sont accrues en violence et en intensité. Elles ont explicitement appelé à l’extermination du groupe ethnique des Tutsis13.
30Les juges ont conclu dans ce procès que, « [d]e par sa nature et son audience, la radiodiffusion a fait de la RTLM un instrument nuisible redoutable »14. « Sans fusil, machette ni autre arme », la RTLM a occasionné la mort de milliers de victimes tutsies massacrées pour le simple fait d’être nées tutsies15.
31Il faut également mentionner que la relation entre la RTLM et le journal Kangura est étroite. Le rédacteur en chef de Kangura, Ngeze Hassan considère la RTLM comme une radio des Hutus appellée à aider Kangura « à mener à terme les objectifs des Hutus »16. Il souhaite que cette radio soit « une voix à sensibiliser et à protéger les intérêts du peuple majoritaire »17. La Chambre de première instance dans le procès dit des médias, a jugé que « Kangura et la RTLM ont agi en associés dans une coalition hutue, à laquelle était également partie la CDR »18. Les deux médias extrémistes ont présenté un front médiatique commun appelant à l’extermination des Tutsis.
Les bourgmestres, la courroie entre les architectes du génocide et les exécutants
32L’administration communale a joué un grand rôle dans la planification, l’organisation et l’exécution du génocide contre les Tutsis et les massacres de Hutus opposés au génocide. Depuis l’indépendance du Rwanda en 1962, le bourgmestre est un élément clé au sein de la fonction publique rwandaise, une administration très centralisée. Il a toujours été considéré comme le représentant personnel du président de la République au niveau de la commune, tandis que le préfet l’est au niveau de la préfecture.
33En 1994, le Rwanda compte 145 communes. Le bourgmestre est nommé par le président de la République sur proposition du ministre ayant l’Intérieur dans ses attributions. Il est à la fois le représentant du pouvoir central dans la commune et la personnification de l’autorité communale. En tant que représentant du pouvoir exécutif, le bourgmestre est soumis à l’autorité hiérarchique du préfet de préfecture. Il est chargé du développement économique, social et culturel de la commune. Il est chargé de l’exécution des lois et des règlements dans la commune qu’il dirige. Dans la plupart des communes du Rwanda, il y avait un tribunal de canton, un bureau du parquet de la République dirigé par un inspecteur de police judiciaire et souvent une paroisse. Dans des communes privilégiées, il y avait également un dispensaire médical. Sans être leur chef hiérarchique direct, le bourgmestre de la commune avait un droit de regard sur les différents chefs des services sis dans sa commune.
34Dans un pays où les discriminations ethniques étaient presque « légitimées », le bourgmestre avait un contrôle sur le service de l’état civil. Le service de l’état civil de la commune enregistrait les naissances, les mariages et les décès. Beaucoup plus important dans un pays où la question ethnique intervenait dans la vie du pays, c’était le bourgmestre qui octroyait les cartes d’identité. Chaque Rwandais devait porter une carte d’identité avec mention ethnique dès l’âge de 16 ans. La carte d’identité est régie par le décret-loi no 01/81 du 16 janvier 1981 relatif au recensement, à la carte d’identité, au domicile et à la résidence des Rwandais. Ce décret-loi ne donne pas les mentions qui doivent figurer sur la carte d’identité, mais il précise dans son article 7 qu’il revient au ministre de l’Intérieur de déterminer le modèle de la carte d’identité, tout en précisant que celle-ci est signée par le bourgmestre.
35Le modèle de la carte d’identité est établi par l’arrêté ministériel n° 01/03 du 19 janvier 1981. Les mentions suivantes y figurent : nom et prénom, sexe, nom du père, nom de la mère, ethnie (hutu, tutsi, twa, naturalisé), lieu de naissance, profession, lieu de domicile, nom du conjoint. Il est très important de relever que le Code civil (loi no 42/1988 du 27 octobre 1988), sous le titre « De l’identification des personnes physiques », énonce les éléments d’identification de la personne physique qui sont : le sexe, l’ethnie, le nom, le prénom, la résidence et le domicile.
36Considérant toutes les discriminations faites au Rwanda sur la base de l’ethnie, mention qui se trouvait dans tous les documents officiels, les Accords de paix d’Arusha décidèrent de la suppression de la mention ethnique dans les documents officiels. En effet, l’article 16 du Protocole sur les questions diverses et dispositions finales dit ce qui suit :
Le Gouvernement de Transition à base élargie supprimera dès la date de sa mise en place, la mention ethnique dans tous les documents officiels à émettre et remplacera notamment les documents en usage ou non encore utilisés par ceux sans mention ethnique.
37Il y a lieu de mentionner l’article 21 du décret-loi no 01/81 du 16 janvier 1981 qui réprime les infractions à ce décret-loi, parmi lesquelles figure la falsification. Plusieurs Rwandais furent poursuivis pour cette infraction. Il leur était reproché d’avoir changé l’ethnie. Alors que c’est la personne même qui déclarait son ethnie lors de la demande de la carte d’identité ou lors du recensement, dans certaines communes les autorités communales déterminèrent elles-mêmes l’ethnie des gens. Le contrôle de l’ethnie était très important pour l’accès aux fonctions publiques, surtout l’armée, la gendarmerie, la magistrature et les hauts postes de l’administration centrale. Avant toute nomination par arrêté présidentiel, tout agent de la première catégorie de l’administration, à savoir en général tout candidat à la fonction publique titulaire d’un diplôme universitaire, devait subir une enquête du Service central de renseignement (SCR), service attaché à la Présidence de la République. Et, en général, cette enquête visait l’aspect « ethnie » puisque le candidat fournissait des attestations de naissance, d’identité complète, de bonne conduite, vie et mœurs délivrées par les autorités communales. Mais le Service central de renseignement contrôlait lui-même ces données en faisant sa propre enquête, souvent au sein de la population.
38Ces contrôles devinrent assez importants au cours de la Deuxième République, surtout que le président de la République avait institué une politique de « ségrégation officielle », appelée « politique de l’équilibre », qui consistait en un système de quotas dans l’administration publique, dans les écoles, à l’université et même dans le secteur privé puisque l’employeur devait obtenir l’autorisation du ministre ayant l’emploi dans ses attributions pour engager même dans sa propre entreprise.
39Pour donner des chances à leurs enfants d’accéder à l’école secondaire, certains parents parvenaient avec l’aide du bourgmestre à obtenir des cartes d’identité avec la mention hutue pour leurs enfants. Les bourgmestres connaissaient donc la composition ethnique de la population de leurs communes.
40C’est l’administration communale qui va mettre en application la politique de diabolisation des Tutsis et mobiliser les paysans hutus pendant le génocide. Ceux qui refusent de bonne foi d’admettre le caractère planifié du génocide se réfèrent à la rapidité de l’engagement des paysans hutus dans les massacres de leurs voisins tutsis. Mais c’est justement là le produit du travail de l’administration communale. Ce sont les bourgmestres, les conseillers communaux et les chefs de cellules proches du MRND qui seront porteurs de cette stratégie des extrémistes au sein du MRND et qui relaieront les mots d’ordre sur le terrain. Si les bourgmestres et les conseillers communaux n’avaient pas participé au génocide, ce dernier n’aurait pas eu cette dimension apocalyptique. Dans les communes du pays où il n’y avait pas d’Interahamwe, ce sont les bourgmestres et les conseillers communaux qui vont déterminer les paysans hutus à massacrer leurs voisins tutsis. Malgré le multipartisme, au moment du génocide, le MRND (parti du président Habyarimana) contrôle 100 communes sur les 145 que compte le pays. Le MRND est majoritaire dans les préfectures de Kigali-Rural, Cyangugu, Gisenyi, Ruhengeri, Byumba, Kibungo et Kibuye. Le deuxième parti le plus puissant du pays, le MDR, domine dans la préfecture de Gitarama, préfecture d’origine du premier président de la République, Grégoire Kayibanda. Le PSD, considéré comme le parti des intellectuels, domine dans la préfecture de Butare19.
41Dans les rares communes où les bourgmestres s’opposèrent au génocide, il n’y eut pas de massacre jusqu’au moment où ils furent démis ou assassinés ou encore acceptèrent de participer au génocide. Dans la commune de Giti, le bourgmestre Sebushumba s’opposa au génocide. Il eut la vie sauve, car le FPR s’empara rapidement de cette commune. Le bourgmestre de la commune de Mugina, Callixte Ndagijimana, fut assassiné le 20 avril 1994 pour s’être opposé aux tueries. Plusieurs centaines de Tutsis originaires de la commune de Kanzenze avaient pu traverser la rivière Akanyaru et se mettre sous la protection du bourgmestre Ndagijimana. Dans la commune de Muhura (Byumba), Joachim Muramutsa fut assassiné à Kiziguro par des éléments des Forces armées rwandaises en avril 1994. Jean-Marie Vianney Gisagara, bourgmestre de la commune de Nyabisindu subit le même sort. Le bourgmestre Jean-Paul Akayesu, qui s’était opposé au génocide à ses débuts, adhéra au programme génocidaire le 18 avril 1994 et devint un exterminateur zélé.
42Ces exemples montrent le rôle des bourgmestres dans le génocide. Ils expliquent l’importance des différents procès de ces acteurs de la vie politique du pays, notamment celui de Jean-Paul Akayesu, que certains détracteurs du TPIR ont présenté comme « le petit bourgmestre de Taba ». Il n’y avait pas de petit bourgmestre au Rwanda. Dans les communes où le bourgmestre appartenait au parti présidentiel MRND, il avait d’office autorité sur les milices Interahamwe, le bras armé du génocide commis contre les Tutsis.
Les Interahamwe, le fer de lance du génocide
43Aujourd’hui, tout le monde connaît le rôle des Interahamwe dans le génocide commis contre les Tutsis. Ce qu’ignorent la plupart des gens, c’est la genèse du mouvement. Nous n’avons pas l’ambition d’entrer dans les détails de la création de cette triste milice de triste mémoire. Le sujet seul mérite un livre. Toutefois, le lecteur mis au fait de l’existence de cette jeunesse du parti MRND par ses crimes mérite un sommaire historique de ce mouvement du parti du président Habyarimana.
44La création du mouvement de jeunesse Interahamwe lié au parti présidentiel MRND remonte à la deuxième moitié de l’année 1991, avec le multipartisme. Les jeunes cadres technocrates du MRND qui créent les Interahamwe ne sont pas des extrémistes. Leur idée était de créer un cadre de réflexion pour donner du sang neuf au parti et pour rendre les meetings du parti plus vivants et mobiliser les jeunes dans le parti présidentiel. En 1990, la moitié de la population rwandaise est constituée des moins de 20 ans. Cette partie de la population représentait un grand enjeu électoral ; tous les partis politiques créés suite à l’avènement du multipartisme rêvaient d’avoir cette partie de la population au sein de leur électorat. Cependant, les plus anciens des leaders du MRND vont se rendre compte de l’intérêt d’avoir au sein du parti tous ces jeunes désœuvrés, produit d’une réforme scolaire menée par un ancien camarade du 5 juillet 1973, longtemps puissant ministre de l’Éducation nationale. Cette réforme scolaire avait augmenté le nombre de demi-scolarisés qui, après l’école primaire, suivaient une formation professionnelle de trois ans ne pouvant pas leur donner de l’emploi.
45Les instances du MRND dans la ville de Kigali sont à l’origine de la politisation des Interahamwe. Le président des Interahamwe, Robert Kajuga, était un homme d’affaires ambitieux qui bénéficiait d’un contact facile avec les jeunes et qui fréquentait les barons du MRND. Robert Kajuga dirigea les Interahamwe du parti présidentiel avec un comité national et un collège de conseillers. Le comité national comprenait Robert Kajuga comme président, Phénéas Ruhumuliza, premier vice-président, George Rutaganda, deuxième vice-président, Dieudonné Niyitegeka, trésorier, et Eugène Mbarushimana, secrétaire général. Le collège des conseillers était composé des présidents des différentes commissions : affaires sociales et juridiques (Bernard Maniragaba) ; recherche et développement (Joseph Serugendo) ; affaires politiques et propagande (Jean-Pierre Sebanetsi) ; économie et finances (Ephrem Nkezabera) ; suivi et évaluation (Jean‑Marie Vianney Mudahinyuka) ; relations extérieures et documentation (Alphonse Kanimba)20. Robert Kajuga va d’abord recruter parmi les enfants des radicaux du régime comme Léone Mbonabaryi (fils de Noël Mbonabaryi dont la rumeur publique disait qu’il était parrain du président de la République), Séraphin Twahirwa21 (fils de Protais Ntawukamenya, cousin du président Habyarimana), et d’autres. Ces jeunes sont pour la plupart arrogants, mal élevés. Ils vont ensuite recruter massivement parmi les enfants de la rue, chez les militaires retraités, sur les chantiers, chez les travailleurs saisonniers dans les usines à thé, au ministère des Travaux publics et chez les sans-emploi22.
46Certaines régions du pays telles que les préfectures de Gitarama, Butare, Gikongoro, Cyangugu et Kibuye étant acquises aux partis de l’opposition, les Interahamwe vont parcourir le pays pour recruter les jeunes dans leur mouvement. Ils les payent avec l’argent du parti et si cela ne marche pas, ils utilisent la violence. Leur comportement violent servit à intimider la population qui fut obligée d’adhérer par peur et non par conviction. Au cours des années 1992 et 1993, les Interahamwe prirent pour cible les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes des journaux qui n’étaient pas proches du MRND. L’abbé André Sibomana du journal catholique Kinyamateka, Édouard Mutsinzi du journal Le Messager et Jean-Pierre Mugabe du journal Le Tribun du Peuple furent souvent menacés par les Interahamwe. Les magistrats n’échappèrent pas aux intimidations de la part des Interahamwe. Le procureur général près la cour d’appel de Kigali, Alphonse-Marie Nkubito, fut victime d’un attentat à la grenade le 14 novembre 1993. Cet attentat fut attribué à un chef des Interahamwe de Remera, un quartier populaire de la capitale rwandaise, et à un ancien membre de la garde présidentielle.
47Les Interahamwe suivent des entraînements militaires dans le Mutara, dans la forêt de Gishwati, dans le secteur opérationnel de Ruhengeri, dans des camps militaires et ailleurs sur la base d’un accord ou d’une entente entre Ngirumpatse, d’autres dirigeants nationaux du MRND, les autorités de l’administration territoriale, le ministre de la Défense Bizimana, et son chef de cabinet ainsi que des éléments des Forces armées rwandaises23.
48Dans la ville de Kigali, les Interahamwe qui étaient fonctionnaires de l’État s’entraînaient, à la fermeture des bureaux, au camp de la garde présidentielle à Kimihurura. Le ministre de la Défense Augustin Bizimana se considérait lui-même comme un Interahamwe. Au cours de ces entraînements, les Interahamwe apprenaient à tirer avec les armes à feu, à les démonter et les réassembler. Ils apprenaient à lancer les grenades. Ils recevaient quelques leçons de tactique du combattant sans oublier une éducation physique. Cette formation avait une durée de trois semaines. Ceux qui participaient aux entraînements recevaient de l’argent, d’où l’existence des caisses noires appelées « Caisses de solidarité des Interahamwe »24. Des sociétés parastatales comme l’Électrogaz, OCIR-Thé et OCIR-Café alimentaient ces caisses noires.
49Quand, en ma qualité de procureur de la République, j’ai mené une étude sur les Interahamwe, je me suis heurté à beaucoup d’obstacles pour avoir des preuves des liens entre les Interahamwe et l’armée. J’avais des informations m’indiquant que des groupes d’Interahamwe recevaient des entraînements dans des camps militaires et recevaient les soldes de militaires tués au front. En août 1992, un groupe de 300 Interahamwe reçut un entraînement au camp militaire de Bigogwe. Ce n’était pas dans le ressort de mon parquet et, quand bien même ça aurait été dans mon ressort judiciaire, je n’aurais pas eu accès aux informations nécessaires. En 1993, il était de notoriété publique que, dans la capitale, les Interahamwe bénéficiaient des entraînements militaires. Le 22 septembre 1992, le Premier ministre Dismas Nsengiyaremye avait écrit une lettre dont la teneur était la suivante :
Les auteurs de l’insécurité grandissante et criante se promènent toujours et sèment partout la terreur et la désolation. L’interventionnisme de certaines autorités annihile toute initiative des services du parquet, de la gendarmerie et des autorités administratives. Comme le groupe Interahamwe est la seule organisation qui accepte dans ses rangs des militaires et que cette « jeunesse » est encadrée autant par des militaires que par des politiciens, elle devrait être rappelée à l’ordre et cesser de terroriser la population. Lors des manifestations du 28 juillet 1992 à Giticyinyoni, l’on a remarqué la présence active des éléments de la garde présidentielle. Les services de gendarmerie en ont formellement identifié deux qui participaient à cette manifestation.
50Les Interahamwe jouissent de la protection des autorités politiques du MRND et de certains responsables des services de sécurité. À titre d’exemple, entre le 9 et le 11 juillet 1992, les Interahamwe attaquent les maisons des sympathisants du parti MDR. Les éléments de la police urbaine de Kigali ne firent rien pour protéger les victimes. Dans mon rapport au procureur général et au ministre de la Justice, j’ai dénoncé l’attitude du commandant de la police urbaine de Kigali que la population qualifiait d’Interahamwe. À l’époque, je pris également le risque de faire comprendre à mes supérieurs hiérarchiques que le préfet de la préfecture de la ville de Kigali, le colonel Tharcisse Renzaho, n’inspirait pas confiance à une partie de la population de la capitale. L’histoire m’a donné raison, car le préfet Renzaho a été condamné pour génocide par le TPIR. Dans ce quartier de Gikondo, les Interahamwe commandés par un certain Séraphin Twahirwa, fils de Protais Ntawukamenya, un parent de la première dame ou du président de la République (selon la rumeur publique), règnent en maîtres. Le 15 mai 1993, Séraphin Twahirwa et ses Interahamwe assassinèrent le dénommé Fulgence Rudasingwa, mais la gendarmerie nationale refusa d’exécuter le mandat d’amener délivré par le parquet de la République à Kigali.
51Alors que les négociations de paix se déroulaient entre le FPR et le gouvernement rwandais dans la ville d’Arusha en Tanzanie, le MRND et son alliée, la Coalition pour la défense de la République (CDR), qui était en réalité son satellite regroupant les plus extrémistes du MRND, intensifièrent le recrutement des Interahamwe. Ils recrutèrent chez des anciens militaires et gendarmes, des anciens prisonniers à qui ils offrirent des entraînements militaires et un endoctrinement politique faisant du Tutsi un ennemi à abattre25. À l’intérieur du pays, les dirigeants du MRND s’adressèrent aux bourgmestres et aux encadreurs de la jeunesse. Ces derniers étaient des fonctionnaires du ministère de la Jeunesse (dirigé par Callixte Nzabonimana, une tête brûlée, membre du MRND). Une fois, avant le déclenchement du génocide, le président de la République m’a convoqué en conseil des ministres pour me demander si le code pénal ne le protégeait pas contre les journalistes qui le caricaturaient en gros poisson avalant la démocratie. Le président et son ministre des Travaux publics m’avaient demandé quelle était la différence entre ces journalistes et l’ennemi qui avait attaqué le pays (FPR). Le ministre Nzabonimana était intervenu pour dire que ce journaliste, en tant qu’Inyenzi, méritait trois balles dans la tête !
52Lors des manifestations politiques violentes qui ont précédé le génocide, ces Interahamwe recevaient des boissons payées par les responsables du MRND. Pendant le génocide, les Interahamwe vont utiliser les bus de l’État, les véhicules des victimes, mais également les véhicules des usines à thé dont la majorité des directeurs sont affiliés au MRND. Pendant le génocide, dans tous les coins du pays, les Interahamwe ont pourchassé des Tutsis et les ont tués. Dans certains endroits, ils étaient seuls, dans d’autres endroits ils mobilisaient les paysans hutus. Dans la capitale rwandaise où ont commencé les tueries, la plupart du temps les Interahamwe opéraient en collaboration étroite avec des militaires au cours des attaques perpétrées aux barrages routiers et fréquemment dirigées par un militaire ou un gendarme26. Durant cette période, les miliciens Interahamwe multiplièrent tueries, viols individuels et collectifs, et pillages. Un quart de siècle après le génocide commis contre les Tutsis, on ne mesure pas toujours la cruauté des Interahamwe. Une amie de famille, dont je tairai l’identité par respect pour sa mémoire, fut violée avant d’être tuée et son corps fut encore violé après sa mort27. Mes deux petites sœurs, Agnès et Angélique, le mari de cette dernière, ainsi que leurs deux enfants furent tués à coups de pierres au fond d’une fosse dans laquelle les Interahamwe les avaient jetés vivants. Ces bourreaux n’étaient pas des bandes sans chefs. Il y avait des hommes aux commandes du génocide.
Une armée au service d’un clan
53Lors des plus grands massacres dans les églises, les hôpitaux ou autres endroits où les Tutsis se sont réfugiés, les militaires des FAR participèrent aux tueries en compagnie des Interahamwe. Sans la participation d’un nombre important de militaires rwandais, le génocide commis contre les Tutsis n’aurait pas pris l’ampleur qu’il a eue. La justice pénale internationale n’a pas bien saisi cet aspect des massacres ou alors elle a fait face à un problème d’identification vu que, à cause de la guerre qui a accompagné le génocide commis contre les Tutsis, les militaires bougeaient beaucoup. Mais je reste toujours convaincu que ni les juges ni les procureurs n’ont saisi le rôle de l’armée rwandaise dans le génocide, spécialement la garde présidentielle et l’escadron de reconnaissance. Les Rwandais qui lisent les jugements du TPIR sont toujours étonnés de la légèreté des peines accordées aux condamnés militaires.
54Depuis l’indépendance du Rwanda jusqu’en 1994, l’armée rwandaise recrutait sur des bases ethniques et régionales. Sous la Première République, quoique représentés au sein de la classe des officiers, les officiers originaires du Sud restent minoritaires. Quand le général-major Habyarimana prend le pouvoir le 5 juillet 1973, un seul officier supérieur de Gitarama et un seul officier supérieur tutsi originaire de Kigali font partie de ceux qui se sont appelés les « Camarades du 5 juillet ». Le général Habyarimana structure l’armée et en fait la gardienne de son régime. Il occupe le poste de ministre de la Défense depuis 1965. En 1973, il cumule le poste de ministre de la Défense nationale, de chef d’état-major de l’armée et de la police, cette dernière étant rapidement transformée en gendarmerie. Les officiers originaires des préfectures du Sud, principalement de la préfecture de Gitarama, sont purgés de l’armée. Le major N. Munyandekwe, le seul camarade du 5 juillet originaire de Gitarama, sera rapidement écarté de l’armée pour tomber dans l’oubli.
55Avec la création du parti unique, le MRND, Habyarimana intègre les officiers de l’armée dans les instances de ce parti. Au sein des unités de l’armée, sont créées des cellules du parti unique. Le commandant de l’unité est le chef de la cellule du parti. Des officiers supérieurs font partie du comité central du parti. L’armée participe à la propagande politique. Elle participe aux concours d’animation politique. Des officiers de l’armée comme des civils du ministère de la Jeunesse reçoivent des formations politiques en Corée du Nord. Mais, plus grave encore, cette armée s’embourgeoise et la plupart des unités manquent de véritable formation militaire. Les officiers de l’armée en majorité originaires du Nord reçoivent des crédits de la part de la Caisse d’épargne du Rwanda dont les fonds proviennent des épargnes des enseignants et des fonctionnaires de l’État. Ces officiers reçoivent gratuitement des parcelles à bâtir dans la ville de Kigali et y construisent des maisons. Ils se lancent également dans le transport public de personnes en achetant à crédit des minibus. La plupart d’entre eux s’enrichissent en escroquant les sociétés d’assurance. Certains d’entre eux sont actionnaires dans des entreprises détenues par des civils originaires du sud du pays. On racontait dans certains milieux que certains officiers supérieurs étaient actionnaires dans des entreprises détenues par des hommes d’affaires tutsis sans avoir acheté aucune action. Dans un pays où les Tutsis étaient considérés comme des citoyens de seconde zone, certains hommes d’affaires tutsis avaient besoin d’une protection de la part de ceux qui détenaient le pouvoir politique. Sans cette protection achetée, ces hommes d’affaires étaient tout le temps harcelés par les services des douanes, des impôts et j’en passe. Pendant le génocide commis contre les Tutsis, ces hommes d’affaires tutsis seront les premiers visés par les tueurs.
56En 1980, la corruption est importante au sein de l’armée, ce qui crée des dissensions en son sein. Dans la préfecture d’origine du président Habyarimana, une rivalité oppose les officiers originaires du Bugoyi et ceux originaires du Bushiru. En 1980, le puissant chef du SCR, le major Théoneste Lizinde originaire de la région du Bugoyi, est accusé de tentative de coup d’État. Il est arrêté et emprisonné dans la terrible prison de Ruhengeri dont il sera libéré par les combattants du FPR lors de leur attaque de février 1993. La tentative de coup d’État menée par le major Lizinde permet au président Habyarimana de purger l’armée des officiers originaires du Bugoyi et de ceux du Sud qui avaient échappé aux purges de 1973. Il resserre autour de lui un noyau d’officiers originaires de sa préfecture qui lui sont aveuglément fidèles.
57Quand les combattants du FPR attaquent le 1er octobre 1990, l’armée rwandaise a du mal à se défendre. Elle a été dirigée pendant plus d’une décennie par des officiers supérieurs corrompus et incompétents. Le président Habyarimana s’adresse à son ami Mobutu qui lui envoie un contingent de militaires zaïrois. Ce contingent va se livrer au pillage et ne va pas rester longtemps au pays.
58Avec l’attaque du FPR, l’armée rwandaise va massivement recruter. Même les candidats originaires des préfectures du centre et du sud du pays vont être massivement reçus au sein de l’armée, chasse gardée des nordistes. La classe des officiers reste dominée par les préfectures de Gisenyi et Ruhengeri. L’état de guerre n’entame en rien la corruption. Il fallait nourrir cette armée. Suite aux différentes défaites sur le terrain face aux combattants du FPR plus motivés, les soldats rwandais acceptent de se battre si on leur fournit des bières. La fourniture de la bière, des denrées alimentaires et d’autres produits de base à l’armée devient un business lucratif réservé à un petit nombre de privilégiés.
59Alors que les négociations de paix se déroulent en Tanzanie, non seulement le MRND recrute les Interahamwe, mais également l’armée continue de recruter. Quand le protocole sur le partage du pouvoir est signé, les officiers du nord du pays sont réellement pris de panique. Ils ont du mal à accepter de servir dans une armée où 40 % des officiers seront issus des rangs du FPR. Cette perspective les traumatise. Le 7 avril 1994, début du massacre des opposants politiques et du génocide commis contre les Tutsis, ces officiers extrémistes vont diriger les tueries dans la capitale rwandaise. Ce sont des éléments de la garde présidentielle qui déciment les leaders de l’opposition dans le quartier de Kimihurura. Ce sont encore des éléments de la garde présidentielle et de l’escadron de reconnaissance qui tuent les personnalités tutsies connues dans le quartier de Kiyovu, telles que Charles Shamukiga, Augustin Maharangari, l’ancien magistrat et ancien ministre Antoine Ntashamaje, l’homme d’affaires Antoine Sebera et d’autres. Les militaires rwandais et les gendarmes participent aux massacres de civils tutsis à l’école technique de Kicukiro, à l’Institut africain et mauricien de statistiques et d’économie appliquée (IAMSEA). À l’intérieur du pays, les militaires participent aux côtés des Interahamwe aux plus grands massacres tels que ceux survenus à l’École des sciences infirmières de Kabyayi (ESI), au bureau communal de Musambira, à la paroisse de Kansi, sur les collines de Bisesero, de Gitwa, de Muyira, de Nyarutovu dans la préfecture de Kibuye28, au bureau préfectoral de Butare, au couvent des Benebikira à Butare29 et dans divers autres endroits.
Notes de bas de page
1L’expression est de la journaliste française Laure de Vulpian dans son livre Rwanda, un génocide oublié ?, Éditions Complexe, 2004, p. 149.
2Déjà en 1922, un Père blanc parlant de la société rwandaise écrivait : « Le Mututsi (au pluriel Batutsi) occupe la première place. C’est le “noble” de naissance, de droit comme de fait. Le teint clair, le profil distingué, la taille au-dessus de la moyenne (le roi actuel mesure 2 m 03), il est vraiment remarquable au physique. Intelligent, diplomate dans le sang, ambitieux et fier, efféminé et superstitieux à l’excès, c’est le type conquérant dominateur, mais qui s’impose surtout par la ruse et la diplomatie. Pasteur, enfin, il possède d’immenses troupeaux qui font sa fortune et maintiennent son influence. Son mépris pour les deux autres races est poussé jusqu’à l’extrême : à ses yeux la vache est supérieure au Muhutu et le Mutwa est moins qu’un singe de la forêt qu’il habite. Le Muhutu (au pluriel Bahutu) est « le paysan » proprement dit. Il est donc cultivateur, “l’homme de la terre”. Son teint est plus foncé et sa taille ne dépasse pas la moyenne. On lui reconnaît l’activité, un certain amour du travail et de l’ordre, la solidarité familiale poussée à l’excès, mais peu d’initiative personnelle : bien qu’il fût très supérieur en nombre et en bravoure au Mututsi. » Cette anthropologie coloniale qui contient déjà à l’époque la semence de la division de la société rwandaise va marquer l’éducation des élites rwandaises. Quelques mois avant le déclenchement du génocide, un de mes anciens ministres de la justice me dit au cours d’une conversation que les Tutsis sont plus intelligents que les Hutus. Quand je lui fis remarquer qu’il fut major de sa promotion et que des Tutsis figuraient dans sa promotion, il persista à me dire que les Tutsis avaient « une intelligence naturelle supérieure à celle des Hutus ». Vingt-six ans après le génocide, ces bêtises continuent de circuler chez certains opposants politiques au régime rwandais au sein de la diaspora rwandaise en Europe. Ils ont tellement intégré ces fausses recherches anthropologiques qu’ils ont du mal à s’en débarrasser.
3Gasarabwe, Institut royal supérieur de défense (IRSD), Bruxelles, 1986.
4Témoignage devant un enquêteur du TPIR.
5Ce dernier a été mis à la retraite pour limite d’âge par le gouvernement du Premier ministre Dismas Nsengiyaremye, appartenant au Mouvement démocratique républicain (MDR).
6Le Procureur c. Ferdinand Nahimana et consorts, audience du 11 avril 2001.
7Le Procureur c. Ferdinand Nahimana et consorts, par. 361.
8Le Procureur c. Ferdinand Nahimana et consorts, par. 358, 473-477.
9Le Procureur c. Simon Bikindi, Jugement, par. 41, 47, 55 et 254.
10Ibidem, par. 250, 252, 255, 262 et 264.
11Le Procureur c. Simon Bikindi, Jugement, par. 251.
12Gaspard Karemera, « De la contestation à la victoire des médias racistes », Traits d’Union Rwanda, Bruxelles, 1er janvier 1996, p. 12.
13Le Procureur c. Ferdinand Nahimana et consorts, Jugement, par. 486.
14Le Procureur c. Ferdinand Nahimana et consorts, Jugement, par. 1031.
15Parlant de Ferdinand Nahimana, la Chambre de première instance du Tribunal a jugé que « [S]ans fusil, machette ni autre arme, il a occasionné la mort de milliers de civils innocents » (jugement, par. 1099).
16Jugement Nahimana, par. 931.
17Ibidem.
18Jugement Nahimana, par. 943.
19Voir l’étude de l’analyste Massamba Ndiaye du Bureau du procureur du TPIR.
20Le Procureur c. Théoneste Bagosora et consorts, Jugement, note de bas de page 503.
21Séraphin Twahirwa s’est rendu tristement célèbre pour le massacre des Tutsis à l’église de Gikondo.
22Le Procureur c. Édouard Karemera et consorts, affaire no ICTR-98-44-T, Jugement (« Jugement Karemera »), par. 176.
23Jugement Karemera, par. 358.
24Entretien avec un ancien membre du service de renseignement de la gendarmerie nationale.
25Le Procureur c. Casimir Bizimungu, par. 188, 191 et 192 ; Le Procureur c. Édouard Karemera et Mathieu Ngirumpatse, par. 352, 354 et 358.
26Le Procureur c. Théoneste Bagosora et consorts, par. 2033.
27« Des milliers de femmes et de filles ont subi des viols individuels et collectifs, ont été violées avec des objets tels que des morceaux de bois acérés et des canons de fusils, tenues en esclavage sexuel, soit collectivement, soit par mariage forcé, et mutilées sexuellement » in Manuel des meilleures pratiques pour les enquêtes et les poursuites relatives aux crimes de violence sexuelle dans les régions post-conflit : Leçons tirées du Bureau du Procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda, citant Human Rights Watch dans son rapport du 24 septembre 1996, intitulé Shattered Lives, 2014.
28Le Procureur c. Ndindabahizi, Jugement, par. 460 ; Le Procureur c. Ntakirutimana, Jugement, par. 546.
29Le Procureur c. Hategekimana, Jugement, par. 606.
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