1. Introduction

1Si la notion de désinstitutionnalisation est depuis longtemps associée à une évaluation très critique des services résidentiels pour personnes « handicapées », la situation est assez différente en ce qui concerne l’école et les enfants et adolescents concernés. Dans un premier temps, nous envisagerons l’évolution des démarches d’enseignement qui ont abouti en 1970 à une forme d’institutionnalisation de l’enseignement spécial dans une structure séparée de l’enseignement ordinaire. Elle a été suivie par des tentatives d’intégration d’élèves dans l’enseignement ordinaire, puis par un mouvement davantage inclusif qui concerne tout l’enseignement obligatoire (2). Ensuite, nous détaillerons les trois décisions prises par la Fédération Wallonie-Bruxelles afin d’assurer le développement d’une école inclusive ainsi que les limites importantes de ces initiatives (3), avant de conclure sur l’investissement considérable requis par tous les partenaires d’une école pour tous, acteurs aux divers niveaux et scientifiques, en conformité avec la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU (4).

2. Contexte d’ensemble

2Après une longue période initiée au XIXème siècle par des pionniers français de l’éducation des enfants handicapés, quelques établissements belges ont vu le jour accueillant principalement des élèves avec une déficience sensorielle. Au début du XXème siècle, ces établissements ont commencé à recevoir des enfants dits « irréguliers » suivis par Decroly. C’est en 1970 qu’est mis en place un enseignement spécial, mettant ainsi fin aux « classes spéciales annexées » aux établissements ordinaires. Huit types d’enseignement sont organisés dans des écoles spéciales « autonomes » (à part de la structure de l’enseignement ordinaire) et respectivement adaptés aux élèves ayant une déficience intellectuelle (légère, modérée ou sévère), des troubles du comportement, un handicap physique, une maladie, un handicap sensoriel et des troubles instrumentaux. Cette reconnaissance d’écoles spéciales a également requis la mise en place d’un transport scolaire nécessaire pour fréquenter une école souvent loin du domicile de l’élève. Cependant, ce développement de l’enseignement spécial n’a pas empêché l’intégration d’élèves dans l’enseignement ordinaire, grâce au dynamisme de parents et d’enseignants. Par ailleurs, depuis la loi de 1970, plusieurs arrêtés ont favorisé l’intégration d’élèves avec un handicap physique ou sensoriel dans l’enseignement ordinaire.

3Il a néanmoins fallu attendre le décret de 2004 pour que l’intégration scolaire soit explicitement envisagée via une collaboration entre l’enseignement ordinaire et l’enseignement spécialisé. Il s’agit essentiellement d’une intégration individuelle, qui peut être « totale » ou « partielle » et selon des modalités « permanentes » ou « temporaires ». Au niveau de l’enseignement fondamental, cette collaboration se traduit par le travail en classe d’un membre de l’équipe de l’école spécialisée dans l’école ordinaire durant quatre heures – davantage encore au niveau du 3^ème degré de l’enseignement secondaire. Cette procédure est accessible à tous les élèves, quel que soit le type d’enseignement (fondamental ou secondaire), mais avec des contraintes importantes, telles que le respect strict du calendrier1, ou la nécessité d’obtenir l’accord de tous les partenaires, ce qui est souvent difficile. Parallèlement aux intégrations individuelles d’élèves, on assiste, depuis 2002, à des expériences d’intégration de classes spécialisées dans une école ordinaire, qui reviennent en fait à proposer une intégration partielle des élèves dans certains cours ou activités.

4Malheureusement, aucune étude à ce jour ne répond aux questions essentielles que posent ces modalités d’intégration : Que sait-on concrètement de cette collaboration entre les professionnels de l’école spécialisée et de l’école ordinaire ? Comment est organisé l’horaire des professionnels spécialisés en fonction de contraintes pratiques et/ou des besoins des élèves ? Quelles stratégies d’enseignement/éducation sont employées ? Que sait-on concrètement des élèves intégrés, qui doivent s’adapter à deux milieux différents ? Quels bénéfices expérimentent-ils ? Comment se déroulent les relations entre les élèves « spéciaux » et les élèves ordinaires ? Enfin, cette proximité entre les équipes spécialisées et ordinaires a-t-elle (eu) une influence sur le travail des équipes de l’école ordinaire ? Nous reviendrons sur cet aspect plus loin, lorsque nous envisagerons l’action des classes à visée inclusive.

5Entre 2015 et 2017, un mouvement a réuni tous les partenaires de l’éducation (l’administration de l’éducation, les syndicats, les pouvoirs organisateurs des réseaux d’enseignement et les associations de parents). Ce mouvement s’est conclu par un Pacte pour un Enseignement d’Excellence qui concerne tout l’enseignement obligatoire, en ce compris l’enseignement spécialisé. Il propose dans son axe 4 « afin d’améliorer le rôle de l’enseignement comme source d’émancipation sociale tout en misant sur l’excellence pour tous, (de) favoriser la mixité et l’école inclusive dans l’ensemble du système éducatif tout en développant des stratégies de lutte contre l’échec scolaire, le décrochage et le redoublement ». Le développement de l’école inclusive doit donc être pensé en relation avec les autres problématiques qui caractérisent l’enseignement « ordinaire ».

6Aussi, la Ministre de l’Education a proposé trois initiatives sur lesquelles nous allons nous arrêter.

3. Focus sur trois initiatives particulières

7Voici, présentées dans l’ordre, les trois initiatives évoquées : un décret sur les Aménagements raisonnables (2017) (3.1), un arrêté sur les Classes/implantations à visée inclusive (2019) (3.2) et enfin un décret sur les Pôles territoriaux (2021) (3.3). Nous les présenterons chacune de façon critique, en rappelant les éléments essentiels de chaque initiative avant d’aborder les questions majeures qu’elles posent en référence à la démarche inclusive.

3.1. Décret sur les aménagements raisonnables (2017)

8Le décret porte d’abord sur la définition des aménagements raisonnables (AR) en fonction des besoins spécifiques des élèves. Les besoins spécifiques (BS) sont définis comme « résultant d’une particularité, d’un trouble, d’une situation permanents ou semi-permanents d’ordre psychologique, mental, physique, psycho-affectif faisant obstacle au projet d’apprentissage et requérant, au sein de l’école, un soutien supplémentaire pour permettre à l’élève de poursuivre de manière régulière et harmonieuse son parcours scolaire dans l’enseignement ordinaire fondamental ou secondaire » (art 1, décret 2017). On notera que ne sont pas formellement évoquées les problématiques sensorielles. Ces BS sont attestés par un diagnostic posé par les médecins, par certains spécialistes dans le respect de leurs compétences (comme les kinésithérapeutes, ergothérapeutes, logopèdes, orthopédagogues cliniciens, orthoptiste-optométriste, psychologues), ainsi que par les centres psycho-médico-sociaux qui assurent le suivi des élèves de l’enseignement, dans l’objectif d’une concertation entre tous les acteurs (sauf les élèves « mineurs » dont les intérêts sont représentés par les parents). Ces aménagements raisonnables peuvent être matériels, organisationnels ou pédagogiques. Si une liste d’aménagements raisonnables a été proposée par catégories de handicaps2, il est essentiel de dépasser l’étiquette du diagnostic (« il a un trouble du spectre de l’autisme, une déficience intellectuelle, etc. ») pour se focaliser sur les besoins des élèves liés aux attitudes et comportements des personnes ainsi qu’aux environnements qui risquent de constituer des obstacles à la participation de l’élève à la vie de l’école (ONU, 2006). Un travail est actuellement en cours pour mieux définir les besoins éducatifs via une évaluation davantage fonctionnelle que diagnostique3.

9De plus, se pose la question des Aménagements Raisonnables vis-à-vis des Aménagements Universels, c’est-à-dire à la disposition de tous et pas uniquement des élèves à besoins spécifiques. En ce sens une réflexion devrait être davantage menée sur la façon dont l’école, la classe et les pratiques des professionnels sont considérées comme « raisonnables » ou « universelles » et à la disposition de tous les élèves dans de respect de la diversité.

10Dans cette perspective, l’aménagement universel consisterait en une adaptation explicite du contexte/environnement de l’école, de la classe et des comportements de l’intervenant qui, en fonction des besoins spécifiques de chaque élève, « dit » à l’élève ce qu’il devrait « apprendre » pour qu’ensuite, l’élève le perçoive et le « comprenne » et enfin fasse ce qu’il devrait faire (ses exercices, répondre aux questions, etc.) et qu’enfin tout le monde soit « content », tant l’élève que son environnement (l’école, la famille). Cette dernière dimension, souvent oubliée, est essentielle pour les apprentissages et pour favoriser les comportements sociaux adaptés.

11A titre d’illustration, l’aménagement d’une école inclusive nécessite que l’élève a) circule « sans souci » dans l’école (via un ascenseur, des couloirs avec les indications nécessaires pour que la circulation de tous y soit aisée,...), b) soit bien accueilli le matin (comment saluer l’enseignant et les autres élèves, avec gestes, des mots bien choisis ; disposer d’un endroit où ranger ses affaires dans les meilleures conditions, etc.), et salue adéquatement en fin de journée, c) tire profit du temps et du lieu de récréation (espace de la cour de récréation avec des espaces différents pour différents types d’activités, jeux calmes, actifs, etc.) ; d) dispose d’un temps et d’un lieu « agréables » durant les repas de midi (bruit supportable, permettant des échanges, être attentif au degré de proximité, notamment pour les élèves ayant des difficultés de relations sociales, etc.). La désignation d’une personne de référence formée aux problématiques liées aux besoins spécifiques et une personne-ressource pour les liens famille/école, enseignant/élève, élève/pairs, et partenaires extérieurs serait bien utile4.

12Ensuite, aménager une classe inclusive requiert de faire un état des lieux à la fois pédagogique et relationnel de sa classe pour ensuite préciser les besoins spécifiques de chaque élève sur base de leurs difficultés d’apprentissage et/ou de comportement. Il importe de proposer les aménagements rencontrant au mieux ces besoins pour ensuite les mettre en place dans une classe inclusive.

13On peut imaginer un modèle d’organisation de la classe à trois niveaux, en référence au modèle « Réponse à l’Intervention » (RAI). Ce modèle met l’accent sur l’évaluation des réponses aux interventions des enseignants, et donc aussi sur les modifications à introduire en classe. Pour tous les élèves, il importe notamment d’enseigner les attentes de l’école et des comportements sociaux avec un renforcement positif pour tous (niveau 1). En d’autres mots, le niveau 1 concerne tous les élèves et s’efforce de veiller à mettre en place des aménagements universels et à répondre en particulier aux besoins spécifiques des élèves. Le niveau 2 concerne des interventions en sous-groupes, tandis que le niveau 3 propose des interventions individuelles spécialisées (des séquences d’apprentissage individualisées, une évaluation fonctionnelle et l’enseignement de comportements alternatifs positifs dans le cas de troubles importants du comportement) (voir par ex Magerotte, Paquot et Coenen, 2022).

14Dans cette perspective de gestion de la classe, une attention particulière doit être accordée à la gestion de l’espace de la classe, a) avec des endroits où les élèves peuvent s’asseoir – ou rester debout – et travailler, bouger ; b) des moyens de gérer le temps et le déroulement des activités des élèves afin d’en augmenter la prévisibilité (horloge murale, timers, listes de tâches ou d’exercices, visuelles pour certains élèves) ; c)un souci particulier aux moyens de susciter et de gérer une attention soutenue de la part des élèves aux consignes verbales ou écrites, ou même non verbales en veillant particulièrement à diversifier les modalités de support des consignes et ce, en vue de favoriser l’engagement des élèves ; d) une répartition des activités d’enseignement entre plusieurs partenaires via le co-enseignement de deux enseignants et la co-intervention associant un enseignant et un professionnel extérieur (logopède, kinésithérapeute, infirmier), ou encore l’établissement des programmes de tutorat entre pairs. En somme, la gestion de la classe nécessite une attention et des actions particulières (Gaudreau et al., 2016). Cela amène à considérer les aménagements des comportements ou gestes professionnels.

15Ces aménagements professionnels concernent les gestes professionnels des intervenants. En partant des Zones proximales de développement (ZPD) proposées par Vygotsky (1997) et conçues comme « la distance entre ce que chaque enfant est capable de faire seul et ce qu’il est capable de faire lorsqu’il est aidé par des pairs ou des adultes », l’enseignant et tout intervenant adoptent une démarche clinique, ou un étayage clinique5. Notamment, il suscite l’intérêt de l’élève et son adhésion envers la tâche. Au besoin, il simplifie la tâche ; il signale les caractéristiques de la tâche qui sont pertinentes à son exécution. Il maintient la motivation de l’enfant tout au long du travail en lui manifestant de l’entrain et de la sympathie ; il s’assure que la résolution du problème devient moins éprouvante avec lui et dose ses interventions.

3.2. Classes/Implantations à visée inclusive (2019)

16L’arrêté de 2019 porte sur les classes/implantations à visée inclusive dans l’enseignement ordinaire. Mais avant d’aborder cette initiative, on peut s’interroger sur les raisons de cet arrêté sur les classes à visée inclusive, sans pouvoir y apporter une réponse certaine. Est-ce pour satisfaire une partie de la population ayant une déficience intellectuelle – en rapport avec une demande des parents dans le cadre de la réclamation collective n°141/2017, introduite en 2017 devant le Comité européen des droits sociaux par la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) et Inclusion Europe contre la Belgique ? Ou pour donner suite à quelques initiatives de classes spécialisées « intégrées » dans des écoles ordinaires ? Ou encore pour donner suite au développement dès les années 1988 d’un développement de classes pour élèves avec autisme basées sur la pédagogie proposée par le programme TEACCH de Schopler ?

17Ces classes/implantations – sans doute inspirées de l’exemple français des Classes pour l’Intégration Scolaire (CLIS) devenues des Unités Localisées pour l’Inclusion Scolaire (ULIS) – sont des classes spécialisées issues de l’enseignement spécialisé et qui doivent adopter une « visée inclusive ». Elles sont réservées aux élèves avec une déficience intellectuelle modérée/sévère, porteurs ou non d’autisme, et aux élèves ayant des troubles du comportement, ou encore des élèves avec autisme. Le but de ces classes est de viser l’« inclusion sociale et relationnelle en vue d’acquérir divers apprentissages dans un milieu scolaire de vie ordinaire » et «mettre en place une pédagogie adaptée » (basée essentiellement sur la pédagogie TEACCH), dans la perspective de « favoriser la mise sur pied de collaborations et de partenariats entre les écoles de l’enseignement ordinaire et celles de l’enseignement spécialisé, et de développer des moments de ‘temps partagé’ entre les élèves qui fréquentent ces deux types d’enseignement, et ce dès l’enseignement maternel »6.

18La problématique de l’utilité de ces classes à visée inclusive a été abordée dans trois études françaises (Magerotte, Paquot et Coenen, 2022), portant sur des Classes pour l’inclusion scolaire (CLIS) et des Unités d’Enseignement Elémentaire. De ces premières études portant sur des échantillons limités de classes, il y a lieu de s’interroger, comme le fait Dupont (in Ebersold, 2021), sur le bénéfice inclusif que représentent ces classes : est-ce qu’elles facilitent l’accessibilisation de l’école ? Constituent-elles un « virage inclusif » ? S’il y a des changements quant à l’individualisation de l’accompagnement, le contenu et le rythme des apprentissages proposés, Dupont confirme aussi que les dispositions prises et les pratiques « manquent l’objectif de faire advenir une école réellement plus inclusive, capable de garantir le droit à l’éducation pour tous sans condition (...) ».

19Quant à la situation des classes à visée inclusive organisées au sein d’une école ordinaire en Fédération Wallonie-Bruxelles, on peut tout au plus formuler des questions auxquelles la recherche scientifique devra répondre, en particulier sur la visée « intégrative » ou « inclusive » de ces classes7. Quelles stratégies d’enseignement sont utilisées pour encourager la visée inclusive de l’école ordinaire d’accueil et rendre celle-ci inclusive ? Comment organiser les interactions élèves ordinaires et élèves « intégrés » (dans une/plusieurs classes durant combien d’heures/semaines, pour quelles matières ?) ? Qu’en est-il aussi du « vécu » des élèves à besoins spécifiques au travers de quelques préoccupations (« Quelle est ma place dans l’école ? Qui est mon copain/ma copine : un(e) de la classe ordinaire ou de la classe à visée inclusive ? ») ? Et quel est aussi le vécu des élèves « ordinaires » qui apprennent avec ces élèves à besoins spécifiques ? Enfin, ces écoles ordinaires – qui font aussi partie d’un Pôle Territorial8 soutenu par une école spécialisée – s’inscrivent-elles dans un engagement « vers une école inclusive » et avec quel délai ?

20Enfin, une dernière question se pose pour les élèves avec une déficience intellectuelle légère qui représentent une part importante de cette population scolaire fréquentant un enseignement de type 1 : sont-elles visées dans le cadre des Pôles Territoriaux, évoqués ci-dessous ? Et où en est cette perspective systémique de concerner toutes les écoles ordinaires d’un bassin déterminé ?`

3.3. Le décret organisant les pôles territoriaux (2021)

21Le Pôle Territorial consiste en une structure rattachant une école ordinaire (« école coopérante ») à une école de l’enseignement spécialisé devenue « école-siège » dans le cadre d’une convention. Cette collaboration peut être complétée aussi par une école spécialisée « partenaire » ou une « antenne » d’un seul PT (en inter-niveaux et en inter-réseaux éventuellement). Cependant, les écoles d’enseignement spécialisé ne sont pas obligées d’être concernées par la dynamique des pôles territoriaux9.

22Les missions de l’équipe spécialisée, issue de l’enseignement spécialisé, sont de soutenir les écoles coopérantes de son ressort, en collaboration avec le Centre Psycho-Médico-Social, d’abord d’une façon générale (les informant sur les aménagements raisonnables et l’intégration permanente totale, facilitant l’échange d’informations entre les partenaires, soutenant les équipes dans l’organisation et dans l’élaboration des AR en cas de prise en charge individuelle d’un élève, la mise en place et l’évaluation des AR) et ensuite en assurant le suivi individuel des élèves ayant des besoins spécifiques, tant dans le cadre des aménagements raisonnables que dans le cas d’une intégration permanente totale.

23Il importe ensuite de s’interroger sur les raisons qui ont amené le Pacte à proposer une organisation différente de l’enseignement ordinaire et spécialisé via la mise en place de tels Pôles. Il est d’abord fait mention d’une augmentation ces dernières années de la population de l’enseignement spécialisé malgré la mise en œuvre du dispositif d’intégration. Ensuite, la proportion d’élèves « intégrés » varie fortement en fonction des provinces. De plus, les élèves « intégrés » proviennent de milieux familiaux avec un indice socio-économique significativement supérieur à celui des élèves fréquentant l’enseignement spécialisé. Le Pacte en a conclu que l’enseignement spécialisé est « ségrégatif » et « inégalitaire » (car les moyens liés à l’intégration se concentrent sur certaines zones) et « inéquitable » (il renforce les inégalités sociales). Il propose dès lors une organisation différente de l’enseignement ordinaire et spécialisé via les Pôles Territoriaux.

24Parallèlement aux observations que l’on vient de formuler, le Pacte a la volonté de réduire le nombre d’élèves dans l’enseignement spécialisé. Une modification en 2009 du décret de 2004 a supprimé la fréquentation obligatoire de l’enseignement spécialisé et a encouragé les écoles ordinaires à investir en intégration en vue d’obtenir le soutien de l’enseignement spécialisé. Cette disposition a débouché sur une augmentation d’élèves officiellement inscrits dans l’enseignement spécialisé (+ 21%) en 2014-2015. L’objectif du Pacte est de revenir en 2030 à 3,5 % de la population dans l’enseignement spécialisé, comme en 2005. Donc, tout en proclamant la nécessité de « décloisonner et recentrer l’enseignement spécialisé » et de réduire le nombre d’élèves dans l’enseignement spécialisé, il est prévu de revoir la répartition géographique de l’offre d’enseignement spécialisé en faveur d’une organisation différente, principalement via les Pôles Territoriaux et les Aménagements raisonnables.

25Actuellement, quarante-huit PT, accueillant au moins 13.250 élèves, sont animés par une équipe pluridisciplinaire issue de l’enseignement spécialisé (17 professionnels prévus mais actuellement en cours de recrutement). Chaque PT reçoit une enveloppe budgétaire (basée sur le nombre d’élèves inscrits dans l’EO) pour assurer ces missions ; elle peut être augmentée pour la prise en compte des besoins spécifiques sensoriels/moteurs et de l’accompagnement des élèves dans l’enseignement ordinaire.

26Par contre, les élèves ayant un handicap intellectuel autre que ceux accueillis dans une classe à visée inclusive (qui ont une déficience intellectuelle modérée ou sévère) ne sont pas visés explicitement. D’ailleurs, la FWB a été condamnée par le Comité européen des droits sociaux (2/10/2020) pour un accueil insuffisant des élèves ayant une déficience intellectuelle. De plus, une contestation des PT devant la Cour Constitutionnelle des PT a été introduite le 4 février 2022 par Inclusion asbl concernant l’accueil des élèves avec un handicap intellectuel. Le recours a abouti le 1^er juin 2023 à l’annulation par la Cour constitutionnelle belge des dispositions du décret litigieux qui créent une différence de traitement au détriment des élèves en situation de handicap intellectuel10. La Cour se réfère expressément dans ces motifs à la décision précitée du Comité européen des droits sociaux, qui a manifestement joué un rôle déterminant dans son raisonnement11.

27Remarquons enfin qu’à côté des Pôles Territoriaux, plusieurs dispositions ont été prises qui ne s’inscrivent pas dans la perspective « systémique » prônée par le Pacte pour un enseignement d’excellence. Tout d’abord, déjà en 2017, la scolarisation à temps partiel était prévue dans une structure subventionnée/agréée dépendant des ministères des Affaires sociales et de la Santé, alors qu’une collaboration de ces structures au sein de l’école aurait renforcé l’équipe professionnelle dans ce lieu « ordinaire » que constitue l’école pour tous. Ensuite, le Pacte maintient la structure de l’enseignement spécialisé – à part donc des PT ! – avec la perspective de n’accueillir en 2030 que 3,5 % de la population scolaire. De plus, il a décidé d’élargir les possibilités d’accueil dans l’enseignement spécialisé secondaire des élèves ayant des troubles de l’apprentissage au niveau secondaire. Enfin, malgré les problèmes encore actuels liés aux difficultés de « ramassage » des élèves et aux dommages causés par une durée trop importante du transport scolaire, aucune initiative n’est en cours, en lien avec le développement des PT et une école inclusive plus proche du domicile familial.

4. Conclusion

28Sommes-nous en route vers une école inclusive ? Si la structuration de l’offre d’enseignement en Pôles Territoriaux dans un bassin proche de la population scolaire s’inscrit dans cette perspective, il n’en demeure pas moins que la dimension « intégrative » reste majoritaire et caractérise beaucoup d’initiatives prises, évoquées dans cet article. Si nous nous référons à la position de l’ONU explicitée en 2016, l’inclusion implique « des changements dans les contenus pédagogiques, les méthodes d’enseignement ainsi que les approches, les structures et les stratégies éducatives, conçus pour supprimer les obstacles existants, dans l’optique de dispenser à tous les élèves de la classe d’âge concernée un enseignement axé sur l’équité et la participation, dans un environnement répondant au mieux à leurs besoins et à leurs préférences » (Observation générale n° 4 (2016) du Comité des droits des personnes handicapées sur le droit à l’éducation inclusive, précisant notamment les concepts d’exclusion, ségrégation, intégration et l’inclusion). Un travail important reste à faire, en particulier dans les référentiels de compétences pour le Tronc commun (jusqu’à la 3ème année de l’enseignement secondaire) qui n’abordent nullement la problématique des réponses à apporter aux élèves ayant des besoins spécifiques, la formation professionnelle des enseignants et des autres professionnels dans la perspective systémique de l’inclusion, les évaluations certificatives, notamment en fin de cycle.

29C’est dire aussi que l’inclusion n’est pas au bout du chemin : l’école totalement inclusive sera toujours devant nous. Elle incarne en revanche le chemin que doivent prendre les « audacieux », dans les prochaines années, qu’ils soient responsables politiques et administratifs, responsables des réseaux d’enseignement, directions des écoles, intervenants de première ligne que sont les enseignants, éducateurs, maîtres spéciaux, psychologues, le personnel actuellement engagé dans les structures de l’enseignement spécialisé (qui pourrait devenir des « professionnels de ressources spécialisées en Inclusion »), les Hautes Ecoles en charge de la formation des futurs enseignants et professionnels, et les universités assurant des recherches de qualité sur l’enseignement inclusif. D’où l’intitulé de cet article, « en route vers une école inclusive ».