Positionnement d’un mécanisme indépendant pour le suivi de l’article 19 de la CDPH
p. 159-165
Texte intégral
1La Belgique a ratifié la Convention onusienne relative aux droits des personnes handicapées (ci-après la CDPH) en 2009. Le dispositif de suivi pour sa mise en œuvre repose sur trois piliers : des points de contacts et un mécanisme de coordination au niveau des autorités (art.33.1), un ou plusieurs mécanismes indépendants (art.33.2) et la société civile (art.33.3) qui doit être associée à ce suivi.
2Unia, centre interfédéral pour l’égalité des chances, a été désigné comme mécanisme indépendant depuis 20111. Il a pour mission de promouvoir, protéger et suivre l’application de la Convention en Belgique et ce, « en pleine consultation/participation avec les personnes handicapées via les organisations qui les représentent ». A cette fin et dès le début de cette nouvelle mission, Unia a instauré une commission d’accompagnement composée d’organisations représentatives, d’académiques et des partenaires sociaux.
3Dans le cadre de ce monitoring de la CDPH, Unia est donc chargé de suivre en Belgique l’application de l’article 19 Autonomie de vie et inclusion dans la société, en tenant compte également de l’Observation générale n°52 rédigée par le Comité des experts ONU des droits des personnes handicapées, qui y développe l’interprétation à donner aux dispositions de cet article.
4On en retiendra que la Vie autonome est un droit humain. Il implique que les personnes en situation de handicap puissent, sur un pied d’égalité avec les autres, choisir et contrôler leur vie, prendre des décisions pour ce qui les concerne et ne pas se voir imposer un cadre et des conditions de vie déterminées, non souhaitées. L’Observation générale du Comité demande également de fermer les institutions et de ne plus les rénover. Pour les remplacer, il promeut essentiellement le modèle de l’assistance personnelle (donc non partagée, sauf indication contraire de la personne).
5Cette interprétation n’a pas été acceptée unanimement par les organisations des personnes handicapées en Belgique. Elles relaient un besoin existant de structures collectives, aussi pour les enfants, mais souhaitent une « transformation profonde des lieux de vie collectifs »3 qui garantissent davantage les droits des personnes. Les organisations représentatives insistent surtout sur la nécessité de réelles possibilités de choix.
6La large consultation des personnes en situation de handicap réalisée par Unia en 20204 montre que 56% des personnes interrogées estiment que leur handicap les empêche de vivre où elles veulent et avec qui elles veulent. Et ce, pour diverses raisons : financières surtout (relevant notamment le prix de l’inclusion dans un environnement inadapté), par manque de possibilités de soutien, de logements adaptés et accessibles, de l’insuffisance de transports publics accessibles et de manque d’alternatives à la vie en institution.
7Par ailleurs, des académiques nuancent la position du Comité onusien dans son Observation générale n° 5 à la lumière d’autres traités internationaux et émettent parfois des critiques acerbes sur la lecture interprétative radicale de l’article 19 de la CDPH par le Comité.
8Comment se positionne Unia qui, à la fois, doit faire en sorte que les dispositions de la Convention soient appliquées en Belgique et que les organisations représentatives des personnes en situation de handicap soient entendues ?
9Comme pour l’article 24 de la CDPH sur l’éducation inclusive, Unia soutient d’abord une réalisation progressive de la désinstitutionalisation (recommandée, dans une certaine mesure, par le Comité). La prise de risque est forte quand peu d’alternatives existent dans l’immédiat. Progressive, cette désinstitutionalisation doit cependant impérativement être planifiée, dès maintenant, avec une vision du quand, du comment et des moyens financiers et humains nécessaires.
10La mise en œuvre de l’article 19 doit à la fois viser la sortie progressive des lieux institutionalisant et agir immédiatement à l’élimination des obstacles environnementaux et comportementaux à une vie autonome, que ces lieux de vie soient privés, publics ou professionnels y compris au sein des familles et des services d’appui.
11De plus, les conditions nécessaires à la désinstitutionnalisation doivent être programmées de front : l’étude des besoins des personnes handicapées, l’apprentissage de la vie autonome dans le chef de celles-ci, la création ou le développement de services d’appui, la formation des personnels à une approche désinstitutionnalisante et respectueuse des droits humains, la réaffectation progressive des budgets aux lieux de vie et aux services d’appui désinstitutionnalisés. Enfin, un plan de transition doit être pensé et mis en place. A toutes les étapes, les personnes en situation de handicap, via leurs organisations représentatives, doivent être associées au processus.
12La réalisation progressive de l’article 19 ne peut faire l’économie d’agir au plus vite sur certains aspects de la situation actuelle. C’est pourquoi Unia demande aux autorités :
d’établir de nouvelles normes, conformes aux principes de la Convention, pour les structures existantes ;
de modifier les règlements et les législations afin d’ouvrir au maximum ces structures vers l’extérieur et permettre la sortie rapide des personnes vers une vie autonome ;
d’arrêter la construction de nouvelles structures (essentiellement pour les personnes en situation de handicap en provenance de la France ) ;
de renforcer le contrôle de toutes les structures pour faire respecter les droits des personnes en situation de handicap ;
d’allouer les moyens requis pour renforcer le contrôle des mesures d’administration des biens et de la personne afin de garantir le respect de leurs droits, de leur volonté et de leurs préférences ;
de planifier la transition vers une désinstitutionnalisation avec des objectifs chiffrés clairs, la fixation d’un calendrier concret, la surveillance et l’évaluation de la progression de cette transition.
Notes de bas de page
1 En mars 2023, les autorités flamandes ont quitté l’accord de coopération qui institue Unia comme organisme interfédéral pour créer leur propre institut des droits humains comprenant le mécanisme de suivi pour la CDPH.
2 CRPD/C/GC/5 (un.org)
3 Désinstitutionalisation des personnes en situation de handicap - Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (belgium.be)
4 Consultation des personnes handicapées sur le respect de leurs droits (2020) | Unia
Auteur
-
Véronique Ghesquière
Cheffe de service Politique & Monitoring et responsable de la Cellule CRPD (Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées) chez Unia (Interfederal Centre for Equal Opportunities) (Belgique)
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