Impulser, stabiliser, diffuser : la fonction du (droit) public dans l’établissement d’indicateurs de prospérité
p. 247-263
Note de l’auteur
Une version antérieure de ce texte a pu bénéficier des précieuses remarques de Nathan Genicot. L’auteur le remercie chaleureusement.
Texte intégral
1Sous l’impulsion d’une critique environnementale et sociale pressante d’un modèle de développement centré sur la croissance économique, une myriade d’indicateurs de prospérité élargie – qui dépassent le produit intérieur brut (PIB) en incluant davantage d’aspects sociaux et environnementaux – ont vu le jour au cours des dernières décennies1. Qu’il s’agisse d’indicateurs synthétiques ou de larges ensembles d’indicateurs, ces instruments sont élaborés sous différentes étiquettes par une variété d’acteurs académiques, publics ou privés. Parmi les tentatives de mesure alternative du progrès les plus notoires se trouvent l’indice de développement humain établi chaque année par le Programme des Nations unies pour le développement, le cadre d’indicateurs de développement durable qui visent à quantifier les dix-sept objectifs de développement durable adoptés par une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies en 20152, le Social Progress Index mis sur pied par l’ONG Social Progress Imperative, financée principalement par des entreprises multinationales, ou encore le bonheur national brut consacré dans la Constitution bhoutanaise3.
2Pour les besoins de cette contribution, ces indicateurs peuvent être définis comme des dispositifs qui, dans un objectif de simplification et d’évaluation, traitent et expriment, par des nombres ou des lettres, des données économiques, environnementales ou sociales relatives à l’état d’une collectivité politique4. Depuis une vingtaine d’années, l’appropriation de ces (ensembles d’) indicateurs de prospérité élargie par des institutions publiques s’intensifie, y compris en Belgique. Alors que la normativité extrajuridique qu’ils exercent est désormais étudiée avec attention en sciences sociales5, le rapport entre ces instruments métrologiques et le (droit) public est, en revanche, peu exploré à ce stade6.
3Pourtant, il nous semble que l’étude de cette interaction permet d’apporter un éclairage particulier sur la distinction entre public et privé, d’une part, et de s’interroger sur les spécificités de l’exercice de normativités par les institutions publiques contemporaines, d’autre part. En effet, les indicateurs de prospérité engendrent des effets propres qui ne nécessitent pas, en principe, un passage par le droit et ses règles qui « ordonnent, permettent ou interdisent », pour reprendre le triptyque classique de Portalis7. Partant, différentes combinaisons d’interventions d’acteurs publics et privés dans les phénomènes de quantification peuvent être distinguées et les brouillages entre les logiques qui les sous-tendent sont nombreux (1). Sur cette base, la contribution entend mettre en évidence la fonction spécifique d’une activité métrologique des institutions publiques, d’abord, du droit public, ensuite (2). Il s’agit, en quelque sorte, de réaliser une anatomie de la gouvernance par le (droit) public de la gouvernance par les nombres8 au travers de l’étude d’un type d’indicateurs déterminé : les indicateurs de prospérité.
1. Les indicateurs de prospérité : instruments d’une normativité propre appréhendée par le privé comme par le public
4Les indicateurs sont des instruments à cheval entre le descriptif et le normatif : ils orientent des comportements au travers de l’information qu’ils véhiculent (1.1). Cette capacité des nombres à agir par eux-mêmes est perçue et appréhendée, de longue date, tant par des acteurs privés que publics. Différents modèles d’établissement d’indicateurs en découlent (1.2).
1.1. La normativité des indicateurs : comparaison, rétroaction et effet de cadrage
5La littérature en sciences sociales sur les indicateurs – qui comprend, depuis une dizaine d’années, un nombre croissant d’écrits de juristes9 – foisonne. Elle relève que ces instruments constituent une technologie de gouvernance, soit des moyens utilisés pour influencer le comportement, la production de ressources ou leur distribution10. À cet égard, ces dispositifs sont fondamentalement comparatifs, en ce qu’ils visent à évaluer des entités. En effet, ils ont vocation à opérer des évaluations synchroniques (comparaison à un temps t entre différentes entités au moyen d’un classement) ou des évaluations diachroniques (évaluation d’une performance, passée ou projetée, d’une seule entité au regard d’objectifs)11.
6Au risque de résumer à outrance la littérature dans ce domaine, il peut être affirmé que ces rankings et évaluations de politiques publiques orientent les comportements au moyen de trois types de normativités12. La première, évidente, est une normativité informationnelle classique : l’indicateur agit auprès des destinataires primaires de l’information qu’ils véhiculent. Les agences de notation de crédit, par exemple, évaluent la solvabilité de collectivités politiques par des lettres, lesquelles vont guider les choix d’investisseurs13. Dans une même optique, en Belgique, les indicateurs issus du chiffrage obligatoire des programmes des partis politiques préalable aux élections fédérales ont pour fonction d’orienter le comportement des électeurs dans leur vote14.
7Deuxièmement, l’indicateur agit par « effet de rétroaction ». Ces termes, popularisés par le sociologue de la quantification français Alain Desrosières, renvoient au fait qu’observer une entité va entraîner un changement de comportement au sein de celle-ci15. Autrement dit, une collectivité évaluée va souhaiter améliorer sa performance, d’initiative, à des fins d’obtenir des effets réputationnels positifs qui découlent de l’effet informationnel décrit dans le paragraphe précédent16. À titre d’illustration, prenons le cas de l’indicateur de la Banque mondiale Ease of Doing Business, qui a vocation à refléter la facilité pour une entreprise de « faire des affaires » dans un État sur la base d’une série de critères17. Parmi ceux-ci se trouvent notamment l’aisance avec laquelle il est possible de démarrer une entreprise et l’accès au crédit, mais également le taux de taxation ou la facilité de déposer des permis de bâtir. Par un effet de mise en concurrence, certains États ont, dès lors, été amenés à modifier leur ordre juridique sur ces critères pour plaire aux entreprises, engendrant toutes les dérives liées à une race to the bottom hayékienne qui ont pu être décrites par d’autres18. Dans le cadre d’indicateurs de développement durable, par exemple, la logique est similaire : une compétition ou une évaluation des performances devrait inciter, en principe, les collectivités politiques (et les politiciennes ou politiciens derrière elles) à performer tant en matière sociale qu’environnementale.
8Troisièmement, une normativité plus indirecte opère au travers de la transmission du paradigme qui accompagne l’indicateur. En effet, les indicateurs sont régulièrement décrits comme des « chevaux de Troie »19 : derrière une apparence lisse, objective et scientifique, ils véhiculent des conventions de la quantification, soit une série de choix – dont la nature et la forme varient – relatifs à l’objet quantifié ou à la manière de le traduire en nombres20. Partant, diffuser un indicateur de prospérité revient non seulement à entrainer des effets de rétroaction à l’aune de dimensions choisies, mais aussi à promouvoir la définition de la prospérité qu’il renferme. Si l’on prend le cas du SDG index développé par un ensemble d’académiques21 qui classe les États en fonction d’un score représentant leur performance au regard des dix-sept objectifs de développement durable, sa promotion implique, par exemple, un cadrage du progrès au travers de la notion de développement durable, dans toute son ambigüité22 ou la propagation d’une pondération choisie entre données environnementales, sociales et économiques23.
9Relevons, enfin, que pour que ces trois types de normativité fonctionnent, il est communément admis que l’indicateur doit avoir la capacité de susciter une forme de confiance du public, que Quentin Dufour a appelé l’« objectivité comptable », soit la capacité du chiffre à paraître robuste, scientifique, appropriable ou apte à « servir de support pour l’action »24.
1.2. Gouvernance par le nombre et la distinction public/privé : une classification
10De la description sommaire des trois principales formes de normativité des indicateurs (effets informationnels directs, de rétroaction et paradigmatiques) et de leur condition de réussite (l’objectivité comptable), il ressort qu’une gouvernance par les indicateurs ne doit pas forcément être impulsée par une institution publique, ni par une source formelle du droit. Elle peut, dès lors, être initiée tant au service d’intérêts privés que d’intérêts publics. Alors que la gouvernance par les nombres est parfois perçue comme un envahissement de la sphère publique par des modèles de gestion privés, il nous semble qu’une analyse plus fine du rapport des indicateurs au public et au privé permet de nuancer l’affirmation. En effet, avec les professeurs Cassese et Casini, dont la pensée n’est que légèrement adaptée et précisée ci-dessous, trois modèles de relations d’indicateurs aux pouvoirs publics et privés peuvent être distingués25.
11Dans un premier modèle, le modèle privé, l’indicateur est purement et simplement produit par un acteur privé, sans que des règles de (droit) public ne régissent spécifiquement ce processus. En Belgique, l’entreprise de conseil Ideaconsult a, par exemple, créé un outil interactif en ligne, SDGMonitor, qui permet à chaque personne intéressée de regarder le score de sa commune sur un index relatif aux dix-sept objectifs de développement durable. Le consultant est ensuite à disposition pour « soutenir et conseiller » les collectivités locales dans leur éventuelle stratégie de développement durable26.
12Dans un deuxième modèle, le modèle mixte, l’indicateur est établi et diffusé par un acteur privé, mais sa production, son producteur, ou son diffuseur sont soumis à une règlementation. Ainsi, lorsque des académiques produisent un indicateur synthétique du bonheur ressenti subjectivement par les personnes résidant en Belgique sur base d’enquêtes, comme ont pu le faire récemment des économistes, certaines exigences du droit de la protection des données personnelles qui découlent du Règlement général sur la protection des données27 trouvent à s’appliquer au processus d’élaboration28. Pour prendre un autre exemple, dans l’Union européenne, les agences de notation de crédit privées, qui évaluent la solvabilité d’un État membre au moyen de lettre, sont soumises à la surveillance de l’Autorité européenne des marchés financiers et doivent respecter, notamment, des obligations en termes de conflit d’intérêts et de transparence29.
13Dans un troisième et dernier modèle, le modèle public, l’indicateur est directement établi et diffusé par une entité publique. L’illustration la plus emblématique, à cet égard, est sans doute celle du PIB. Cette mesure des flux d’activités économiques est définie, à titre principal, par le Système européen de comptabilité (SEC) contenu dans un Règlement européen30, lequel est compatible avec le système de comptabilité nationale (SEC) de l’ONU et est précisé par un inventaire méthodologique de la Banque nationale de Belgique (BNB)31. C’est d’après ces indications que les comptes nationaux et le PIB qui en découle sont régulièrement arrêtés par l’Institut des comptes nationaux (ICN)32.
14Ce modèle d’institutionnalisation publique n’a rien d’une innovation : l’importance de générer des indicateurs chiffrés est bien saisie, par exemple, au 17e siècle, lorsque William Petty éclaire, avec ce qu’il appelle une « arithmétique politique », les politiques publiques du Royaume-Uni via différentes estimations économiques33. Si cette arithmétique politique est, dans ce cas, conçue non pas en tant qu’instrument qui agira par effets incitatifs, mais plutôt comme un support cognitif à une action publique classique, l’établissement public de nombres pour leur normativité propre est néanmoins, elle aussi, à l’œuvre de longue date. Des phénomènes de mise en compétition d’entités publiques au moyen de benchmarks sont observables en matière de santé publique, notamment au Royaume-Uni, dès le 19e siècle : William Farr, alors directeur de l’office statistique anglais, crée à cette époque un indicateur de performance, le healthy district, qui visait à comparer les différents taux de mortalité des districts34.
15Alors que les professeurs Cassese et Casini n’explorent pas en détail ce troisième modèle, il nous semble qu’une taxonomie plus précise de l’institutionnalisation publique d’indicateurs peut être dressée, selon les interactions à l’œuvre entre collectivité instituante (qui définit l’indicateur), collectivité évaluée (à laquelle se rapporte l’indicateur) et collectivité génératrice (dont relève l’organisme qui, très concrètement, génère la mesure).
16(i) Dans l’hypothèse d’une auto-évaluation, d’abord, il y a confusion entre collectivités instituante, évaluée et génératrice : une entité réalise un autoportrait ou fixe elle-même des objectifs à l’aune d’indicateurs. Ainsi, des indicateurs dits « complémentaires au PIB » sont présentés chaque année par le Bureau fédéral du Plan à la Chambre des représentants en application d’une loi du 14 mars 201435. Les indicateurs de développement durable qui évaluent le progrès en la matière au regard de stratégies préalablement ancrées en Régions flamande et wallonne relèvent de ce même type d’institutionnalisation publique36.
17(ii) Dans l’hypothèse d’une évaluation ascendante, ensuite, une collectivité examine un rapportage – volontaire ou imposé – provenant de la collectivité évaluée, laquelle prend le rôle de collectivité génératrice37. Les ensembles d’indicateurs développés par la Belgique dans le cadre de ses rapportages auprès des comités institués pour surveiller l’implémentation des principaux traités de droits fondamentaux au niveau international constituent un exemple de ce type d’institutionnalisation publique. En effet, ces comités examinent des rapports étatiques envoyés, en principe, par les États signataires tous les quatre ou cinq ans et qui doivent contenir des données chiffrées38. Dans leurs observations, ces organes relèvent régulièrement, à cet égard, la nécessité d’élaborer plus de données, ou de mieux les ventiler39. Si, in concreto, le contenu des rapports et leur qualité varient selon le comité dont il est question, le dernier rapport soumis au Comité des droits de l’enfant en 2017 par l’État belge, par exemple, précise qu’en réponse aux observations finales du Comité, quarante indicateurs nationaux des droits de l’enfant ont été développés pour fournir une meilleure vision de la mesure dans laquelle les droits de l’enfant sont, ou non, mieux réalisés40.
18(iii) Enfin, dans l’hypothèse d’une évaluation descendante, une collectivité instituante en surplomb génère elle-même des données relatives à une collectivité évaluée. À titre d’exemple, mentionnons l’indicateur synthétique d’accès aux droits fondamentaux (ISADF), élaboré en Région wallonne, qui permet de classer les communes wallonnes au moyen d’un indicateur qui évalue la situation de l’accès de leurs citoyens à neuf droits fondamentaux41, en vue, notamment, de déterminer l’allocation de certains fonds42. Le cas, plus distant, de l’indicateur healthy district auquel il a été fait référence plus haut peut également être rangé parmi ces formes descendantes d’institutionnalisation publique d’indicateurs.
19Relevons encore que l’apparente simplicité de la taxonomie présentée dans cette section (modèles privés, mixtes et publics) ne doit pas dissimuler les cas limites, qui sont nombreux : comment classifier, par exemple, une étude menée par des académiques, mais commanditée par le Gouvernement bruxellois en vue de réaliser une cartographie sociale et environnementale de la Région de Bruxelles-Capitale au regard du concept de Doughnut Economics popularisé par l’économiste Kate Raworth dans son livre éponyme43 ? Comment traiter un indicateur créé par un consultant privé, mais relayé par une institution publique, comme le SDGMonitor d’Ideaconsult dont il a été fait mention ci-dessus44 ? Enfin, comment qualifier un indicateur désormais publiquement approprié par certains États, mais qui est généré de longue date dans des cénacles plutôt associatifs, comme l’empreinte écologique45 ? En tout état de cause, il convient de dresser le constat d’une impossibilité de teinter l’élaboration d’indicateurs, de manière générale, d’une couleur privée ou publique.
2. Le (droit) public dans l’établissement d’un indicateur
20L’impossibilité de rattacher la gouvernance par les indicateurs, par nature, à des acteurs privés ou publics amène la question de la spécificité propre à chacun de ces modèles d’établissement d’indicateurs. Ci-dessous, nous tentons d’exposer l’anatomie du modèle public (2.1), avant de mettre en évidence la fonction du droit public à l’égard de celui-ci (2.2).
2.1. Anatomie de l’institution publique d’un indicateur
21Un regard attentif sur les formes publiquement institutionnalisées d’indicateurs de prospérité en Belgique permet de déduire qu’institutionnaliser publiquement un indicateur revient à lui appliquer, avec une intensité variable, une série d’exigences de droit public. Deux idéaux types peuvent être distingués à cet égard. En effet, dans une version minimaliste, d’abord, l’indicateur est calculé d’initiative par une administration ou par un institut statistique, sans qu’un cadre légal spécifique ne s’y applique. Il en est ainsi quand l’administration flamande met sur pied et évalue une liste d’indicateurs qui se rapportent à une stratégie de développement durable établie par le Gouvernement46, ou lorsque l’IWEPS publie un indicateur synthétique de confiance des consommateurs en l’avenir47. Dans ce cas s’appliquent a minima (i) un droit des statistiques publiques contenant, notamment, des obligations de qualité statistique48, (ii) des exigences de publicité à tout le moins passive en vertu des règles de publicité de l’administration et (iii) un droit organique applicable à l’institut ou, si c’est l’administration qui quantifie, une série de principes relatifs à l’action administrative ainsi que des contrôles généraux à son égard.
22Dans une version maximaliste, ensuite, l’indicateur découle d’une source de droit qui donne une impulsion quantifiante en mandatant spécifiquement l’institution qui va générer l’instrument49. Cette norme d’impulsion, plus ou moins précise, s’accompagne non seulement d’un droit général décrit dans le paragraphe précédent, mais aussi d’une série de normes de contrôle et d’exigences de publicité actives. Ainsi, l’ensemble d’indicateurs « complémentaires au PIB » fédéraux trouve son origine dans une loi, laquelle détermine l’entité génératrice50, les dimensions qui doivent être quantifiées, des principes spécifiques guidant l’établissement des indicateurs et un mécanisme de publicité et de contrôle. Concernant ce dernier, le texte prévoit une obligation de rapportage annuel, étant entendu que ce rapport doit être débattu en séance publique de la Chambre quant aux résultats qu’il propose et quant à sa méthode d’élaboration51.
23Pour prendre un autre exemple, la définition de la comptabilité nationale – et, dès lors, des agrégats comme le PIB qui peuvent en découler – provient à titre principal d’une règlementation européenne qui impose aux États membres la transmission et la collecte annuelle de données selon un modèle et un calendrier qu’elle a adopté52. Concernant le PIB, la Commission contrôle ces données ainsi que les inventaires méthodologiques des États membres sur la base de cycles de vérifications de quatre ans, et elle établit, par voie d’actes d’exécution, des mesures spécifiques visant à rendre les données plus comparables, plus fiables et plus exhaustives. Cette activité de surveillance est réalisée en étroite collaboration avec un comité d’experts qui a pour mission de donner des avis sur la comparabilité, la fiabilité et l’exhaustivité des calculs ainsi que sur la pertinence des données communiquées par les États membres aux fins de la détermination des ressources propres de l’Union. En pratique, en cas de non-respect du calendrier et, plus généralement, si des manquements clairs et significatifs d’un État membre sont relevés, des « réserves » peuvent être émises par Eurostat53.
24Entre ces versions minimalistes et maximalistes, d’innombrables degrés de juridicisation des indicateurs sont possibles. Les indicateurs publics ne sont donc pas des outils qui opèrent dans un vide juridique : un droit de la quantification existe, il encadre avec une intensité variable leur établissement.
2.2. La fonction du droit de la quantification : légitimer la déclaration
25Au regard de ce qui précède, il nous semble que le rôle de ce droit de la quantification – sans préjuger de son succès – est triple : il s’agit, à un degré variable, d’impulser la création d’(ensembles d’)indicateurs, de les stabiliser (au moyen d’exigences de qualité et de la mise en place de contrôles) et, enfin, de les diffuser54. Prises conjointement, ces règles permettent de fournir une forme « d’objectivité comptable » aux chiffres – dont on a écrit ci-dessus qu’elle était indispensable à l’apparition d’une gouvernance par les nombres – d’une manière qui est propre à l’institutionnalisation publique. En ce sens, Théodore Porter, l’un des historiens de la quantification du monde académique anglo-saxon les plus reconnus, écrit que « [t]he enshrinement of measures by law […] confers validity by fiat, making them more than mere indicators »55. Les normes d’impulsion, de stabilisation et de diffusion ont donc vocation à susciter la confiance du public dans des indicateurs.
26Cette confiance découle, d’abord, d’un cachet de légitimité experte. Thiry, Sébastien et Bauler déduisent d’une enquête sociologique que c’est là la conviction de nombreux acteurs institutionnels : « l’un des “algorithmes” les plus courants rencontrés sur la question du concepteur d’indicateur est que, “si un indicateur est produit par un institut officiel de statistique, alors il sera plus robuste qu’un indicateur produit par une ONG”. En termes d’“images”, pour la majorité des acteurs, un indicateur issu d’un institut de statistique porte d’emblée une image de scientificité, qui laisse de côté la dimension normative de toute mesure. »56 Il nous semble que la confiance peut également découler d’un cachet de légitimité démocratique : un indicateur de prospérité établi par une norme d’impulsion est d’autant plus légitime que les conventions de la quantification qu’il abrite – ces choix préalables à la mise en chiffres – peuvent être rattachés à des organes démocratiquement institués. Les règles qui définissent l’indicateur emprunteront une légitimité démocratique, toute relative qu’elle soit, à la source formelle du droit qui les contient57. Ainsi, comme l’indique Alain Supiot, « le bon usage de la quantification suppose donc un sens de la mesure, que le droit peut contribuer à maintenir ou à restaurer, en imposant le respect du principe du contradictoire dans l’élaboration et l’interprétation des nombres affectés d’une force normative »58.
27Dans son ensemble, et pour autant que l’on écarte les cas où l’ordre juridique attache directement des droits et obligations à la génération d’un indicateur59, il nous semble que la fonction de ce droit est de faire fonctionner des instruments qui, par leur simple existence – ou, plus précisément, par leur simple publicité – génèreront des effets selon une normativité propre. Cette gouvernance dérivée agit selon une performativité propre, décrite plus haut : effets informationnels directs, effets de rétroaction et effets paradigmatiques.
28Au travers de ce droit de la gouvernance par les nombres, l’autorité publique postule et encourage les réappropriations d’indicateurs – privées ou publiques –, sans les imposer. En ce sens, le droit de la quantification est, quelque part, un droit « recommandatoire implicite », pour reprendre les termes d’Alexandre Flückiger60 : il s’agit de « descriptions incitatrices » ou de « communication de normes sociales » qui permettent le « naming and shaming » des entités évaluées, « laissant au public ou aux pairs […] le soin d’évaluer la mise en œuvre et d’exercer une pression pour y remédier »61. L’institutionnalisation croissante d’indicateurs de prospérité confirme, dès lors, l’existence d’un droit déclaratif, ou de « lois d’affichage » pour reprendre les termes de Bertrand Faure62 : un droit dont la fonction principale n’est, au fond, pas d’ordonner, permettre ou interdire, mais de tenter d’orienter les comportements – y compris celui de collectivités publiques – en déclarant.
Conclusion
29À l’ère d’une révolution empirique, les débats relatifs à la contestation d’un paradigme croissanciel qui postule comme possible et désirable une accumulation de bien-être matériel sans fin63, se traduisent par un débat sur la centralité des indicateurs qui le sous-tendent : à la guerre des idées correspond désormais une forme de bataille pour la quantification64. Face à l’incapacité de la myriade d’indicateurs de prospérité développés au cours des décennies passées à détrôner les indicateurs prônant une conception croissancielle du progrès65, certains en appellent dès lors à une meilleure compréhension des rapports de l’action publique aux indicateurs66.
30Répondant à cette invitation, nous avons tenté de démontrer que les indicateurs sont des instruments d’une normativité propre qui n’emprunte pas, par nature, la voie classique du droit. Ils ne relèvent pas, dès lors, d’une logique privée ou publique en soi : des modèles d’hybridation et d’appropriations réciproques existent. Nous avons toutefois relevé la spécificité de l’établissement d’un indicateur par une entité publique : institutionnaliser publiquement un indicateur revient à appliquer à son élaboration un droit de la quantification, lequel est composé – à un degré variable – de normes d’impulsion, de stabilisation et de diffusion. Celles-ci ont vocation à légitimer l’indicateur en lui fournissant une forme d’objectivité arithmétique experte et démocratique. La question de savoir si, dans les faits, cette vocation à légitimer le nombre influe effectivement sur son succès – sa capacité à orienter les comportements – nécessiterait, quant à elle, un travail d’une autre ampleur.
Notes de bas de page
1 Pour des travaux étudiant l’émergence de ces nouveaux indicateurs, voy. D. Demailly et al., « Les nouveaux indicateurs de richesse dans la gouvernance européenne », IDDRI Working Paper, 17 (décembre 2015), p. 1 à 14 ; ; J. Gadrey, F. Jany-Catrice, Les nouveaux indicateurs de richesse, Paris, La Découverte, 2016 ; R. Hoekstra, Replacing GDP by 2030. Towards a Common Language for the Well-Being and Sustainability Community, Cambridge, Cambridge University Press, 2019.
2 Résolution n° 70/1 adoptée par l’Assemblée générale le 21 octobre 2015 (A/RES/70/1). Voy. ég. la Résolution n° 71/313, « Travaux de la Commission de statistique sur le Programme de développement durable à l’horizon 2030 », adoptée par l’Assemblée générale le 6 juillet 2017 (A/RES/71/313), § 1er.
3 La Constitution bhoutanaise de 2008 prévoit, en son article 9 (2), que « l’État s’efforce de promouvoir les conditions qui permettront la poursuite du bonheur national brut ». Sur ce point, voy. K. Ura et al., An extensive analysis of GNH index, Thimphu, Centre for Bhutan Studies, 2012.
4 Nous n’abordons donc pas, dans cette contribution, les indicateurs relatifs aux activités d’une entreprise, par exemple. Cette définition s’inspire en grande partie de la définition du concept d’indicateur proposée par K. E. Davis, B. Kingsbury, S. E. Merry, « Introduction: Global Governance by Indicators », in Governance by Indicators. Global Power through Quantification and Rankings, sous la direction de K. E. Davis, A. Fisher, B. Kingsbury, S. E. Merry, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 6. Le terme indicateur renvoie également, par métonymie, au résultat de ces opérations.
5 S. E. Merry, K. E. Davis et B. Kingsbury, The Quiet Power of Indicators: Measuring Governance, Corruption, and Rule of Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2015 ; R. Rottenburg, S.E. Merry, S.-J. Park et J. Mugler, The world of Indicators : The making of Governmental Knowledge through Quantification, Cambridge, Cambridge University Press, 2015 ; J. G. Kelley et B. A. Simmons, The Power of Global Performance Indicators, Cambridge, Cambridge University Press, 2020.
6 A. de Sherbinin et al., Indicators in Practice : How Environmental Indicators are Being Used in Policy and Management Contexts, New Haven - New York, Universités de Yale et Columbia, 2013, p. 4. Le terme « public » renvoie dans cette contribution aux institutions publiques qui peuvent organiquement être rattachées aux pouvoirs institués par ou en vertu de la Constitution.
7 Ces termes font référence à l’idéal légistique de Portalis, cité par H. Dumont, « Conclusions : les paramètres juridiques de l’identité régionale bruxelloise », Le droit bruxellois. Un bilan après 25 ans d’application (1989-2014), sous la direction de de P.-O. de Broux, B. Lombaert, D. Yernault, Bruxelles, Bruylant, 2016, p. 1642.
8 A. Supiot, La gouvernance par les nombres, Paris, Fayard, 2015.
9 Pour quelques travaux de juristes, voy. D. Restrepo Amariles, « Supping with the Devil? Indicators and the rise of managerial rationality in law », International Journal of Law in Context, 3, 4 (2017), p. 465‑484 ; S. E. Merry, K. E. Davis, B. Kingsbury, The Quiet Power of Indicators, op. cit. ; B. Frydman, A. Van Waeyenberge, Gouverner par les standards et les indicateurs. De Hume aux rankings, Bruxelles, Bruylant, 2013.
10 K. E. Davis, B. Kingsbury et S. E. Merry, « Introduction: Global Governance by Indicators », in Governance by Indicators, op. cit., p. 11.
11 Ibid., p. 8 ; H. Òlöning et al., Performance Management and Control, Paris, Dunod, 2016, p. 153.
12 Avec Biermann, Kanie et Kim, relevons néanmoins que « [t]he approach of governance through goals is marked by a number of key characteristics, non of which is specific to this type of governance. Yet all these characteristics together […] amount to a unique and novel way of steering and distinct type of institutional arrangement in global governance » (F. Biermann, N. Kanie, R. E Kim, « Global governance by goal-setting: the novel approach of the UN Sustainable Development Goals », Current Opinion in Environmental Sustainability, 2017, vol. 26‑27, p. 26).
13 À cet égard, voy. G. Lewkowicz, « Gouverner les États par les indicateurs : le cas des agences de notation de crédit », in Gouverner par les standards et les indicateurs, op. cit., p. 145‑192.
14 Loi du 22 mai 2014 relative au chiffrage par le Bureau fédéral du Plan des programmes électoraux présentés par les partis politiques lors de l’élection pour la Chambre des représentants, M.B., 22 juillet 2014.
15 Voy., notamment, A. Desrosières, Prouver et gouverner. Une analyse politique des statistiques publiques, Paris, La Découverte, 2014, p. 36.
16 Les deux premiers effets sont parfois regroupés en un seul : S. Fukuda-Parr, A. E. Yamin, J. Greenstein, « The Power of Numbers : A Critical Review of Millennium Development Goal Targets for Human Development and Human Rights », Journal of Human Development and Capabilities, vol. 15, 2‑3 (juillet 2014), p. 106.
17 Sur cet indicateur, voy. R. Doshi, J. G. Kelley, B. A. Simmons, « The Power of Ranking : The Ease of Doing Business Indicator and Global Regulatory Behavior », in The Power of Global Performance Indicators, op. cit., p. 25‑60. Le 16 septembre 2021, le World Bank Group a annoncé l’arrêt de la publication de l’indicateur, suite à la publication à la démonstration de l’existence d’importantes irrégularités dans les données récoltées.
18 Cet effet porte également le nom d’effet Delaware, « du nom de cet État américain qui […] s’est fait une spécialité de maintenir son droit des sociétés constamment à jour en l’alignant (à la baisse) sur les réformes entreprises dans les autres États » (B. Frydman, « Le droit comme matière première et produit fini », in À qui profite le droit ? Le droit, marchandise et bien commun, sous la direction de A. Bailleux, M. Messiaen, Bruxelles, Anthemis, 2020, p. 35).
19 I. Cassiers, G. Thiry, « Du PIB aux nouveaux indicateurs de progrès : les enjeux d’un tournant historique », in Redéfinir la Prospérité. Jalons pour un débat public, sous la direction de I. Cassiers et al., La Tour d’Aigue, Éditions de l’Aube, 2011, p. 73.
20 A. Desrosières, La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte, 2010 1993. L’auteur écrit régulièrement que « quantifier, c’est convenir puis mesurer » (voy. p. ex. A. Desrosières, Prouver et gouverner. Une analyse politique des statistiques publiques, Paris, La Découverte, 2014, p. 38).
21 J. Sachs et al., The Sustainable Development Goals and COVID-19. Sustainable Development Report 2020, Cambridge, Cambridge University Press, 2020.
22 S. Connelly, « Mapping Sustainable Development as a Contested Concept », Local Environment, vol. 12, 3 (juin 2007), p. 259‑278. Le concept est, par exemple, contesté pour l’importance qu’il accorde à la croissance économique ou à la théorie du ruissellement dans la réduction de la pauvreté et la création d’emplois.
23 Sur l’importance de cette pondération pour la capacité d’un indicateur à véhiculer une vision transformatrice du progrès, voy. O. Malay, « Do Beyond GDP indicators initiated by powerful stakeholders have a transformative potential? », Ecological Economics, 162 (2019), p. 104.
24 Q. Dufour, L’objectivation comptable de l’économie nationale : enquête sur la fabrique du PIB et des comptes nationaux français, Paris, Université Paris-Dauphine, 2019, p. 18.
25 S. Cassese, L. Casini, « Public Regulation of Global Indicators », in Governance by Indicators: Global Power through Quantification and Rankings, op. cit., p. 471.
26 Idea, SDG-Monitor 2020, 27 octobre 2020, disponible sur www.sdgmonitor.be, consulté le 27 septembre 2021.
27 Règlement n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données), J.O., 4 mai 2016.
28 B. Crépeau et al., En faut-il peu pour être heureux ? Conditions de vie, bonheur et bien-être en Belgique, Limal, Anthemis, 2019.
29 Règlement n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 sur les agences de notation de crédit, J.O., 17 novembre 2009. Cet exemple vient du travail précité des professeurs Cassese et Casini. Concernant non pas la production ou le producteur de l’indicateur, mais sa diffusion, relevons que celle-ci est soumise à certaines limites comme l’interdiction de diffamer ou l’obligation de réparer le dommage qui surviendrait d’une faute attribuable au diffuseur.
30 Règlement n° 549/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux dans l’Union européenne, J.O., 26 juin 2013.
31 Institut des comptes nationaux, « Gross National Income – Methodological Inventory, ESA 2010 », 18 décembre 2017, disponible sur https://www.nbb.be/doc/dq/e_method/m_esr2010_en.pdf, consulté le 3 janvier 2021.
32 Leur élaboration concrète revient toutefois à la Banque nationale de Belgique : articles 108 et 109 de la loi du 21 décembre 1994 portant des dispositions sociales et diverses, M.B., 23 décembre 1994.
33 D. K. Mügge, « The Revenge of Political Arithmetick. Economic Statistics and Political Purpose », Fickle Formulas Working Paper 2-2019, (mai 2019), p. 27. James Scott relève, par ailleurs, combien les États n’ont, en fait, jamais arrêté de tenter de rendre les sociétés « lisibles » (legible) pour simplifier les fonctions régaliennes classiques (J. Scott, Seeing Like a State, New Haven, Yale University Press, 1999).
34 N. Genicot, « Epidemiological surveillance and performance assessment : the two roles of health indicators during the COVID-19 pandemic », International Journal of Law in Context, vol. 17, 2 (juin 2021), p. 186‑203. Le taux moyen des districts les plus sains était fixé comme objectif à atteindre.
35 Loi du 14 mars 2014 complétant la loi du 21 décembre 1994 portant des dispositions sociales et diverses par une série d’indicateurs complémentaires en vue de mesurer la qualité de vie, le développement humain, le progrès social et la durabilité de notre économie, M.B., 4 avril 2014. La production d’une série d’indicateurs « complémentaires au PIB », qui relève du même modèle, a également été prévue en Région wallonne, avec un succès nettement plus relatif. Voy., à cet égard, N. Vander Putten, « Anecdote ou antidote ? Les indicateurs complémentaires au PIB dans le droit fédéral belge », Revue belge de droit constitutionnel, vol. 2020/1 (2020), p. 3‑33.
36 S. Brunet et al., « Où en est la Wallonie par rapport aux objectifs de développement durable ? Bilan des progrès », mars 2020, disponible sur https://www.iweps.be, consulté le 29 avril 2021 ; Vlaamse Overheid, « Vizier 2030. Stand van zaken dashboardindicatoren », novembre 2020, disponible sur https://do.vlaanderen.be, consulté le 29 avril 2021. Des évaluations quantifiées en matière de développement durable sont également effectuées par le Bureau fédéral du plan (au regard d’objectifs adoptés ci et là dans l’ordre juridique belge) en application de la loi du 5 mai 1997 relative à la coordination de la politique fédérale de développement durable (M.B., 18 juin 1997) : voy. le site www.indicators.be.
37 Walker appréhende ce modèle d’évaluation ascendante sous le terme d’official data approach : S. Walker, « Challenges of Human Rights Measurement », in Research Methods in Human Rights, sous la direction de A. Andreassen, H.-O. Sano, S. McInerney-Lankford, Cheltenham - Northampton, Edward Elgar Publishing, 2017, p. 312.
38 Pour les nuances relatives au rapportage international en droits fondamentaux, nous renvoyons vers O. De Schutter, International Human Rights Law, 2e éd., Cambridge, Cambridge University Press, 2014 ; G. Alfredsson et al., International Human Rights Monitoring Mechanisms, La Haye, Kluwer, 2001 ; P. Alston, J. Crawford, The future of the UN Human Rights Treaty System, Cambridge, CUP, 2009.
39 Voy. par exemple, Comité des droits des personnes handicapées, « Observations finales concernant le rapport initial de la Belgique », 28 octobre 2014, CRPD/C/BEL/CO/1 ou Comité des droits de l’enfant, « Observations finales concernant le rapport de la Belgique valant cinquième et sixième rapports périodiques », 28 février 2019, CRC/C/BEL/CO/5-6.
40 Voir S. D’hondt, C. Péters, « Indicateurs nationaux des droits de l’enfant, Make them count », Commission nationale pour les droits de l’Enfant, 2015, disponible sur https://ncrk-cnde.be/fr/projets/indicateurs-nationaux-droits-de-l-enfant, consulté le 4 octobre 2021.
41 Les neuf ensembles de droits que l’ISADF appréhende, eux-mêmes quantifiés au travers de sous-indicateurs, sont principalement de type social et économique : voy. IWEPS, « L’indicateur synthétique d’accès aux droits fondamentaux (ISADF) 2018. Note méthodologique », 2018, disponible sur https://isadf.iweps.be/methodologie.php, consulté le 6 août 2021.
42 Décret wallon du 22 novembre 2018 relatif au plan de cohésion sociale, M.B., 18 décembre 2018.
43 Voy. à cet égard. le site https://donut.brussels et les rapports qu’il contient.
44 Le site de la Vereniging van Vlaamse Steden en Gemeenten renvoie directement ses visiteurs vers l’outil du consultant privé : https://www.vvsg.be/kennisitem/vvsg/monitoring-en-rapportering.
45 L’index d’empreinte écologique trouve son origine dans un travail académique (M. Wackernagel, W. Rees, Our Ecological Footprint, Philadelphie, New Society Publishers, 1996), mais a été précisé, généralisé et propagé principalement par une organisation non gouvernementale, le Global Footprint Network. Dans le même sens, les notes des agences de notation de crédit sont émises par des entreprises privées, mais sont prises en compte ou employées par des institutions publiques (G. Lewkowicz, « Gouverner les États par les indicateurs : le cas des agences de notation de crédit », op. cit.).
46 Vlaamse Overheid, « Vizier 2030. Stand van zaken dashboardindicatoren », op. cit.
47 Cet indicateur provient d’une enquête mensuelle de la BNB menée auprès des consommateurs. Il synthétise quatre prévisions des ménages pour l’année à venir : celles relatives à la situation économique en Belgique, au chômage en Belgique, à la situation financière du ménage, et à l’épargne du ménage » : Banque nationale de Belgique, « Note méthodologique concernant l’enquête auprès des consommateurs », s.d., disponible sur https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2017/02/methodologie-bnb-web2.pdf, consulté le 28 septembre 2021.
48 Voy., notamment, la loi du 4 juillet 1962 relative à la statistique publique (M.B., 20 juillet 1962) et le Règlement n° 223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 relatif aux statistiques européennes (J.O., 31 mars 2009) ou, du côté de la soft law, la Résolution 68/261 de l’Assemblée générale des Nations unies sur les principes fondamentaux de la statistique officielle adoptée le 29 janvier 2014 (A/RES/68/261) ou la Recommandation du Conseil de l’OCDE concernant les bonnes pratiques statistiques adoptée le 23 novembre 2015.
49 Dans la version minimaliste, un mandat existe également, mais il est soit informel, soit indirectement lié à l’autorité publique en ce qu’il découle des missions générales attribuées à l’institut et de décisions internes à celui-ci.
50 L’ICN publie les indicateurs, mais l’élaboration de ceux-ci revient au Bureau fédéral du plan : art. 107 et 108 de la loi du 21 décembre 1994 portant des dispositions sociales et diverses, M.B., 23 décembre 1994.
51 En termes de publicité active, la législation prévoit la publication des résultats dans le rapport annuel de la BNB sur les développements économiques et financiers.
52 J.-F. Boudet, Le système européen de comptabilité. Un enjeu de société, Issy-les-Moulineaux, L.G.D.J., 2019.
53 Règlement 2019/516 du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2019 relatif à l’harmonisation du revenu national brut aux prix du marché, J.O., 26 mars 2019. Relevons que le SEC fait référence revenu national brut et non au PIB. La distinction, d’importance, n’a toutefois que peu d’impact dans le cadre de cette contribution.
54 Si l’on emploie la terminologie de Thibierge, le degré de juridicisation des indicateurs mêle des éléments relatifs à la valeur normative du droit de la quantification concerné (via le critère du rang de la norme), d’un côté, et relatifs à la garantie normative (la garantie du respect de la norme par le système juridique), de l’autre (C. Thibierge « Conclusion. Le concept de “force normative” », in La force normative, naissance d’un concept, sous la direction de C. Thibierge, Paris, L.G.D.J., 2009, p. 819).
55 T. Porter, « The Flight of Indicators », in The World of Indicators, op. cit., p. 35.
56 G. Thiry, L. Sébastien, T. Bauler, « Ce que révèlent les discours des acteurs institutionnels sur un “au-delà du PIB” », Natures Sciences Societés, 1 (mai 2016), p. 3‑14.
57 Sur la plus-value d’une délibération parlementaire vis-à-vis d’une délibération gouvernementale voy. M. El Berhoumi, « Évolutions et enjeux contemporains d’une exigence formaliste », in La légalité, un principe de la démocratie belge en péril ?, sous la direction de M. El Berhoumi, L. Detroux, B. Lombaert, Bruxelles, Larcier, 2019, p. 17-18.
58 A. Supiot, op. cit., p. 411. Davis, Kingsbury et Merry voient également de nombreuses voies de développement possibles d’une régulation publique d’indicateurs, en instaurant des orientations matérielles quant à ce qui doit être quantifié (bon respect des droits humains ou de normes hiérarchiquement supérieures), procédurales (transparence, participation) ou structurelles (définition par le public pour éviter les dérives d’un modèle privé) : K. E. Davis, B. Kingsbury, S. E. Merry, « Indicators as a Technology of Global Governance », Law & Society Review, vol. 46, 1 (2012), p. 89.
59 Cette contribution ne met pas non plus en lumière les manières dont le nombre est, concrètement, employé par le législateur, au sens large, pour fonder l’action publique dans un processus légistique linéaire techno-rationnel : elle se concentre plutôt sur les effets incitatifs des indicateurs.
60 A. Flückiger, (Re)faire la loi. Traité de légistique à l’ère du droit souple, Berne, Stämpfli éditions, 2019, p. 286.
61 Ibid., p. 290.
62 B. Faure, « Le phénomène des objectifs en droit », in Les objectifs dans le droit, sous la direction de B. Faure, Paris, Dalloz, 2010, p. 3. Il relève à leur égard « qu’elles sont voulues pour assumer vis-à-vis de la société une fonction symbolique, politique ».
63 A. Bailleux, F. Ost, « Six hypothèses à l’épreuve du paradigme croissanciel », R.I.E.J., vol. 77, 2 (2016), p. 27‑53.
64 Sur cette idée de séries d’indicateurs qui seraient « rivaux » pour l’idée qu’ils véhiculent, voy. W. Davies, « Spirits of Neoliberalism : “Competitiveness” and Wellbeing Indicators as Rival Orders of Worth », in The World of Indicators, op. cit., p. 283‑306.
65 R. Hoekstra, Replacing GDP by 2030. Towards a Common Language for the Well-Being and Sustainability Community, op. cit.
66 E. Laurent, Measuring tomorrow. Accounting for Well-Being, Resilience, and Sustainability in the Twenty-First Century, Princeton, Princeton University Press, 2018.
Auteur
Université Saint-Louis – Bruxelles
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