25 Murphey 1961 : 20-54. Son livre, The Development of Peirce’s Philosophy, reste l’un des plus importants des études peirciennes, même si quelques-unes de ses thèses interprétatives ont été sérieusement mises en question par divers spécialistes, notamment celle qui distingue dans l’évolution des idées de Peirce quatre phases majeures liées chacune à une découverte logique significative ayant provoqué une rupture décisive et donc une reformulation souvent radicale de ces mêmes idées (cf. Lohkamp 1971 : 7-13, 64-65, 202-203), une reformulation parfois difficile à percevoir cependant parce que Peirce ne se donnait pas la peine de transformer la terminologie en usage dans ses phases précédentes. Beaucoup de spécialistes aujourd’hui s’accordent au contraire à voir dans les cinquante années de travail philosophique de Peirce une continuité tout à fait remarquable — due non pas bien sûr au fait que Peirce se serait contenté de toujours répéter la même chose en termes différents, mais au fait que le développement de ses idées, quoique réel, ne se réalisa pourtant pas à coups de ruptures.

26 Feibleman note pertinemment que Peirce « n’était aucunement un kantien, mais bien plutôt un étudiant de Kant », et que quoique « toutes les conclusions de Peirce aient été stimulées par une étude du maître, nulle part pourtant Peirce n’atteint les mêmes conclusions que Kant » (1945 : 375 & 365).

27 Voir Roberts 1970 : 72 ; Lohkamp 1971 : 202-203 ; Buzzelli 1974 : 205-206 ; Esposito 1976 : 346.

28 Voir Murphey 1961 : 35-38 ; le rapprochement que Murphey défend entre JE, TU, IL et l’objet des trois sciences transcendantales de Kant (psychologie : esprit ou TU, cosmologie : matière ou IL, théologie : Dieu ou JE), un rapprochement repris vigoureusement par Lohkamp (1971 : 46-51), ne me semble pas solidement fondé.

29 Parmi les commentateurs qui ont étudié le rapport entre Kant et Peirce, outre Murphey déjà cité et qui est une référence majeure sous ce rapport, on peut consulter également Buchler 1939 : 254-60, Feibleman 1945, Van Marter 1964, Lohkamp 1971, Mc Cabe 1973 (mais il se borne en fait à résumer Murphey en ajoutant peu d’éléments critiques), E. Michael 1978, Christopherson 1978 (mais elle ne prête pas attention aux juvenilia : son étude porte principalement sur l’essai de 1867 « On a New List of Categories » dans son rapport à la déduction transcendantale kantienne, et l’ignorance des premiers écrits amène l’auteur à formuler des conclusions douteuses quant à la nature transcendantale de la dérivation peircienne des catégories), et Christensen 1994.

30 Kant 1787 : B110.

31 L’interprétation courante qui voit dans la Critique un exposé du phénoménalisme a été sérieusement mise en question. Voir notamment Walker 1978 : 106-121.

32 J’emploierai le terme « protocatégorie » ici et là uniquement pour rappeler ce fait essentiel : les trois catégories peirciennes sont plus fondamentales que les catégories kantiennes (ou aristotéliciennes) et les précèdent logiquement. Je conserverai autrement le mot catégorie pour parler des protocatégories quand ce rappel n’est pas nécessaire, afin de ne pas alourdir le texte inutilement avec un néologisme non indispensable.

33 Murphey 1961 : 20.

34 Les éditeurs de la nouvelle édition ont regroupé et divisé tous les manuscrits reliés au « Traité » en cinq ensembles chronologiquement distincts : 1) WMS 52 : 21 mai—25 octobre 1859 ; 2) WMS 57 : 30 juin—16 décembre 1860 ; 3) WMS 67 : printemps-automne 1861 ; 4) WMS 70 : 21 août 1861—30 mars 1862 ; 5) WMS 74 : hiver-printemps 1862. Seul WMS 70 est publié dans W1, les autres étant considérés comme des « drafts » (brouillons) ; on trouve cependant dans ces derniers bien des éléments intéressants absents de WMS 70, notamment des analyses de la table kantienne des catégories. Je renverrai donc souvent à ces manuscrits non publiés.

35 Cf. WMS 57 : MS 921 : 33, juin 1860, et W1 : 62, 1861.

36 Voir aussi WMS 57 : MS 921 : 26, juillet 1860, et W1 : 63, 1861.

37 Kant 1800 : 18.

38 Kant 1781/87 : A54, B78 ; 1800 : 107.

39 Kant 1800 : 131.

40 Cette adhésion est amplement confirmée dans le manuscrit intitulé « The Rules of Logic : Logically Deduced » (WMS 56 : MS 743 : 6, juin 1860).

41 Les lettres SPQR signifient traditionnellement « Senatus Populusque Romanus » : le sénat et le peuple romain. On trouve dans W1 un texte intitulé « SPQR » (WMS 72, W1 : 91-94) que les éditeurs datent « hiver 1861-62 » ; c’est dire qu’il serait postérieur à la version finale du « Traité ». Un examen du contenu permet d’affirmer avec quasi-certitude qu’il est antérieur. Tout d’abord le titre lui-même ne peut renvoyer qu’au texte ci-dessus daté « mai 1859 ». Il y a ensuite le fait que tout le texte repose exclusivement sur une analyse combinatoire des douze catégories kantiennes ; or le texte « The Modus of the IT » (W1 : 47-49, examiné dans le dernier chapitre de cette partie) présente lui aussi une analyse combinatoire qui dépasse plus que largement « SPQR » en audace et ambition, et il est daté « printemps 1861 » par les éditeurs, ce qui est une date fort plausible. Enfin, on trouve dans W1 : 44 un texte très court intitulé « Proof of the Infinite Nature of the Creator » (daté « été 1860 ») dans lequel Peirce relie diverses notions comme celle de causalité, de temps et de création, et emploie l’expression « Spiritual Manifestation ». La même chose se trouve dans « SPQR », dont je citerai la phrase révélatrice suivante : « The further we go back in time the more and more is the cause the origin of the effect, the greater and greater is the dependency through there being more and more Spiritual Exhibition, till we arrive at the first cause » (W1 : 92). Il paraît clair que les deux textes « SPQR » et « Proof of the Infinite Nature of the Creator » sont très proches chronologiquement l’un de l’autre, et qu’ils ne peuvent pas avoir été écrits trop longtemps après mai 1859. Je suggère donc que « SPQR » soit daté « été 1860 » à l’instar de « Proof... ».

42 Murphey reproduit le schéma inclus dans la citation ci-dessus avec deux erreurs (1961 : 35) : d’une part il intervertit les deux dépendances de communauté et d’effet, et d’autre part il intervertit actualité et nécessité, cette erreur-ci étant due à un mauvais déchiffrement du manuscrit (rendu difficilement lisible par des ratures). Le commentaire qu’il fait sur cette interversion est donc caduc, encore qu’il est vrai que dans d’autres passages Peirce paraissait hésiter sur la place à donner à actualité (à savoir dans WMS 52 : MS 921 : 44-49, 22 mai 1859, où actualité correspond au stade parfait après concevabilité (nul) et compatibilité (positif), la catégorie de nécessité étant éliminée). Pour mémoire, voici reproduite la table kantienne des catégories :

43 Stage est un mot équivoque, qu’on pourrait aussi traduire par moment, degré, ou niveau, avec des nuances légèrement différentes ; « stade » me paraît le mieux convenir, sa proximité graphique étant du reste un avantage.

44 Par exemple WMS 52 : MS 921 : 20-21, mai 1859, et W1 : 38, août 1859. Peirce parle aussi du stade de la catégorie « nue » (bare) (MS 921 : 44, 48).

45 Dans WMS 52 : MS 921 : 65 (juillet 1859), Peirce écrit : « J’appelle une qualité réalisée lorsqu’elle est réellement amenée à appartenir à une substance, même en pensée. » Il ajoute qu’une qualité réalisée A est positive et finie et contient à la fois A et , un objet quelconque pouvant par exemple être tantôt grand, tantôt petit, sa taille étant relative. La négation de A est alors définie comme l’infini de l’inverse de A, et l’infini de A comme l’inverse de la négation de A, c’est-à-dire comme l’inverse de l’infini de l’inverse de A.

46 Kant 1781/87 : A72, B97 ; cf. CP 2.376, 379, 381 (1902).

47 Dans WMS 53, un manuscrit composé de trois textes ou variantes portant sur la conception d’infinité, on trouve, dans la deuxième variante, le passage suivant : « La dépendance influxuelle [substantia & accidens] comporte trois degrés. 1° Elle peut être négative comme quand on dit l’homme n’est pas bon. 2° Elle peut être réelle comme quand on dit l’homme est plus ou moins bon ou assez bon ou très bon, bref quand il a de la bonté par degré. Et 3° elle est infinie quand on dit il est parfaitement bon. Alors il a de la bonté au-delà du degré.... L’infinité est cette dépendance influxuelle de qualité qui est plus éloignée de la négation que ne l’est la réalité » (W1 : 41, août 1859). La troisième variante comporte le passage parallèle : « La dépendance influxuelle est de trois sortes :—1° Négative comme quand on dit l’homme n'est pas bon, 2° Limitée comme quand on dit il est bon, 3° infinie quand on donne la conception bon dans toute son étendue à l'homme.... L’infinité est cette dépendance influxuelle des qualités qui est plus éloignée de la négation que ne l’est la limitation » (W1 : 43, 25 octobre 1859). On voit donc que la catégorie de limitation vient finalement remplacer celle de réalité ou d’affirmation.

48 Kant 1787 : B110-111.

49 Kant 1781/87 : A143, B182-183.

50 Murphey 1961 : 37-38 ; Lohkamp 1971 : 50-52. Il faut se rappeler que Murphey et Lohkamp sont deux commentateurs qui négligent complètement l’influence de Schiller. Lohkamp, à propos de l’origine purement kantienne des catégories, non seulement accepte l’argumentation de Murphey en bloc, mais la renforce en se livrant à une analyse du texte kantien (certains passages de la Dialectique transcendantale) encore plus fouillée que celle de Murphey. Outre quelques idées intéressantes que je crois justes, il en émerge aussi, comme chez Murphey, un gauchissement exagéré des intentions épistémologiques et métaphysiques de Peirce.

51 Kant 1781/87 : A334, B391.

52 Murphey 1961 : 36. Que le lecteur comprenne bien que ce que je reproche à Murphey et à Lohkamp se limite au grossissement sans nuance qu’ils font de cette équivalence. Je ne mets pas en doute que Peirce ait tenu compte des trois classes d’idées transcendantales dans sa propre recherche épistémologique (ou « métaphysique ») ; j’y reviendrai plus loin (chapitre 3).

53 Kant 1781/87 : A344, B402 ; A404.

54 Kant 1781/87 : A415, B443.

55 Murphey 1961 : 37. Buzzelli qualifie l’argument de Murphey de « très fantaisiste » (1974 : 17n9).

56 S’il est exact que Kant écrit que « les idées transcendantales sont ainsi en premier lieu simplement des catégories étendues à l’inconditionné, et peuvent être réduites à une table ordonnée suivant les titres de ces dernières », il ajoute néanmoins aussitôt que « toutes les catégories ne conviennent pas pour un tel usage, mais seulement celles où la synthèse constitue une série de conditions subordonnées, non coordonnées, entre elles, et génératrices d’un conditionné donné » (A409, B436). Cette remarque ne peut qu’augmenter notre méfiance.

57 Lohkamp 1971 : 50-51.

58 WMS 64 : « /Tables of Categories/ » (décembre 1860-juin 1862) ; WMS 65 : « I, IT, and THOU : A Book giving Instruction in some Elements of Thought » (printemps 1861) ; WMS 66 : « The Modus of the IT » (printemps 1861) ; WMS 71 : « Analysis of Creation » (hiver 1862-63). Ces manuscrits n’ont été publiés que très partiellement dans W1.