1 FAUCHER, Du système de M. Louis Blanc p. 65.

2 GARNIER. Op. cit., p. XIX.

3 M. DUVERGIER DE HAURANNE, M. GASLONDE, L. FAUCHER, Ibid., pp. 128, 159-165, 355.

4 M. GASLONDE, M. DUFAURE, Ibid., p. 159, 270.

5 E. LABOULAYE, Ibid., p. 377. Il est vrai qu'en rejetant l’aumône, les socialistes vont parfois jusqu’à formuler la même idée : "(L’ouvrier) réclame son droit, son dû, et s’il veut bien encore attendre pour l’acquit de votre dette (...) c’est par pitié pour vous. C’est lui qui vous fait la charité, ce n’est pas vous qui la lui faites (...) ce n'est point une cotisation ou une souscription qu’il vous faut ouvrir en faveur, comme vous dites si joliment, du peuple, c’est un impôt forcé sur vos fortunes, impôt proportionnel à la somme de ses richesses que vous tenez injustement entre vos mains, et qu’il veut bien encore vous laisser en dépôt" (La République, organe des intérêts du peuple, No.3, in 1848 : la révolution démocratique et sociale, Tome VII).

6 A. THIERS, L. WOLOWSKI, E. LABOULAYE in GARNIER, Op. cit., p. 212, 214, 366, 377. J.-B. MARTIN, La fin des mauvais pauvres, Seyssel, Editions du Champ Vallon, 1983, pp. 50, 148-149. Cela pose toutefois quelques problèmes en ce qui concerne la chante publique. La charité, au sens chrétien, fuit le monde, ne veut pas se faire voir, elle n’est pas spectaculaire et ne peut consister en dons ostentatoires ; sous peine de s’annuler elle-même, elle doit fuir l’apparence, demeurer sans témoin, sauf le témoin imaginaire qu'est Dieu. La charité, dès qu'elle devient publique, n'est plus vraiment de la charité ; elle cesse d’être accomplie uniquement en vue du bien, même si, prenant la forme d’une bienfaisance raisonnée et organisée, elle peut répondre à un objectif d’utilité sociale : dans une perspective chrétienne, les bonnes oeuvres, n’étant pas vraiment de ce monde, vont et viennent sans laisser de trace (ARENDT, Op. cit., pp. 86-88). La charité organisée, utilitaire, est donc déjà en elle-même un signe de sécularisation, elle va dans le même sens que la reconnaissance de droits sociaux : par rapport à la vertu au sens chrétien, elle se trouve du même côté de la barrière que les droits sociaux. Ceci renvoie à un autre trait du discours des libéraux et des socialistes de 1848, sur lequel nous reviendrons à la fin de ce chapitre : leur manipulation utilitaire de la référence religieuse.

7 LAMARTINE in GARNIER, Op. cit., pp. 295-296.

8 "Ce vaste désordre, si propre à éveiller dans l'âme de chacun la jalousie, la défiance, la haine, éteignant peu à peu les aspirations généreuses et tarissant toutes les sources de la foi, du dévouement, de la poésie" (BLANC, Organisation du travail, p. 83)

9 Ibid., pp. 23-24, 32.

10 P. DUMOUCHEL & J.-P. DUPUY, L’enfer des choses, Paris, Editions du Seuil, 1979, p. 219 ss.

11 L. DUMONT, Homo aequalis, genèse et développement de l'idéologie économique, Paris, Gallimard, 1977, p. 83 ss.

12 "Ne demandez pas si l’enfant qui vient de naître a reçu de la nature le goût des arts, la passion de la science, la flamme du génie : est-ce que l'esprit et l’âme du pauvre ne sont pas d'avance condamnés à un étouffement prématuré ? Ne demandez pas sa vocation : est-ce que le fils du pauvre n’est pas aux ordres de la misère, tyran stupide, aveugle et sourd, qui, dans la distribution du travail imposé à ses victimes ne s’inquiète jamais de leurs aptitudes ou même de leurs forces ?. Quant à la reproduction d’une telle inégalité structurelle, le système de la concurrence déclenche même un effet multiplicateur On y peut devenir d’autant plus riche qu’on l’est davantage, on y obtient d’autant plus de facilités pour réussir qu'on a déjà eu plus de succès ; et d'un autre côté, plus on y a besoin de crédit, plus on a de peine à en trouver, et plus on y est misérable, moins on est en mesure de secouer le joug de la misère" (BLANC in HUMILIERE, Op. cit., p. 22, 32).

13 BLANC, Le socialisme. Droit au travail, p. 9.

14 Pierre LEROUX, in Le Moniteur Universel, 31-8-1848. On rencontre un point de vue comparable chez le libéral TOCQUEVILLE. Dans la société aristocratique, il y a une certaine familiarité dans le rapport entre maître et serviteur, en dépit d’obstacles nombreux à la mobilité sociale. Dans ce qu’il appelle la société démocratique, par contre, maître et serviteur considèrent leur rapport à travers l’égalité du contrat et celle-ci, même s'il s’agit d’une égalité imaginaire, a cependant pour effet de rendre le maître et le serviteur étrangers l’un à l’autre. Il n’y a plus de rapport durable entre les deux et la nouvelle aristocratie manufacturière est extrêmement dure envers les pauvres qui dépendent d’elle. Parce qu’aucun lien ne la rattache plus à eux, elle est complètement insensible à leur misère : "Le manufacturier ne demande à l’ouvrier que son travail, et l'ouvrier n’attend de lui que le salaire. L’un ne s'engage point à protéger, ni l’autre à défendre et ils ne sont liés d’une manière permanente, ni par l’habitude, ni par le devoir (...) L’aristocratie territoriale des siècles passés était obligée par la loi, ou se croyait obligée par les moeurs, de venir au secours de ses serviteurs et de soulager leurs misères. Mais l’aristocratie manufacturière de nos jours, après avoir appauvri et abruti les hommes dont elle se sert, les livre en temps de crise à la charité publique pour les nourrir" (De la démocratie en Amérique. Paris, Garnier-Flammarion, 1981, Tome II, p. 202 ; également : P. ΜAΝΕΝΤ, Tocqueville et la nature de la démocratie, Paris, Julliard, 1982, p. 51 ss.).
Le point de vue du patronat est totalement différent. Dans l'optique paternaliste, l'entrepreneur exerce une fonction sociale : il assure la satisfaction des besoins de l’ouvrier, dans le but précisément d’établir, par une véritable inféodation de l’ouvrier à l'entreprise, un nouveau rapport de dépendance. La fiction juridique du contrat ne tenant pas debout, il s'agit de substituer, moyennant la garantie de la sécurité des ouvriers, une économie du service et du dévouement à une économie du travail libre. En même temps, entreprendre devient une activité d'intérêt public : le grand patronat se considère comme un corps intermédiaire entre le gouvernement et les individus, corps auquel est confiée une fonction d'encadrement social (EWALD, Op. cit., p. 109 ss.). C'est en vertu de cet état d’esprit qu’en 1848 ce patronat présente ses propres usines comme des ateliers nationaux : "(...) pour contribuer à maintenir l’ordre, chaque industriel, dans la mesure de ses moyens, se ferait un devoir d’alimenter le salaire. C'est ainsi que chaque atelier deviendra un atelier national ; à ce titre, il aura droit à le protection de tous". Alors que les socialistes veulent transformer les ateliers nationaux du gouvernement en ateliers sociaux, le patronat détourne ce vocabulaire en fonction de ses propres objectifs : les ateliers nationaux, ce sont tout simplement ses propres usines, des ateliers privés d’intérêt public ; et c'est la raison pour laquelle il a droit à la protection de l’Etat (L. BERGERON, Les capitalistes en France, Paris, Gallimard, 1978, p. 169).

15 Le socialisme. Droit au travail, p. 58.

16 V. CONSIDERANT, Théorie du droit de propriété et du droit au travail, Paris, Librairie phalanstérienne, 1848, p. 3.

17 BLANC in HUMILIERE, Op. cil., p. 16. Organisation du travail, p. 2.

18 Tous les hommes ont aidé (la démocratie) de leurs efforts : ceux qui avaient en vue de concourir à ses succès et ceux qui ne songeaient pas à la servir ; ceux qui ont combattu pour elle, et ceux-mêmes qui se sont déclares ses ennemis ; tous ont été poussés pêle-mêle dans la même voie, et tous ont travaillé en commun, les uns malgré eux, les autres à leur insu, aveugles instruments dans les mains de Dieu. Le développement graduel de l’égalité des conditions est donc un fait providentiel, il en a les principaux caractères : il est universel, il est durable, il échappe chaque jour à la puissance humaine ; tous les événements, comme tous les hommes, servent à son développement." (TOCQUEVILLE, Op. cit., Tome I, p. 60).

19 En 1789, les secours publics étaient considérés comme un droit constitutionnel : "L'assistance doit faire partie de la Constitution (...) On a toujours pensé à faire la charité aux pauvres, et jamais à faire valoir les droits de l’homme pauvre sur la société (...) Voilà le grand devoir qu’il appartenait à la Constitution française de remplir (...) Chaque homme ayant droit à sa subsistance, la société doit pourvoir à la subsistance de ceux qui pourraient en manquer, et cette secourable assistance ne doit pas être regardée comme un bienfait ; c’est un devoir qui ne doit pas être avili, ni par le nom, ni par le caractère de l’aumône ; enfin, elle est pour la société une dette inviolable et sacrée" (BLOCH & TUETEY, Op. cit., pp. 328-329).

20 "Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme : ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression" (Déclaration de 1789, art. 2) ; "La résistance à l’oppression est la conséquence des autres droits de l’homme. Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé. (...)Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs" (Déclaration de 1793, art. 33, 34, 38). Dans son projet de déclaration, ROBESPIERRE allait plus loin encore : "Quand le gouvernement opprime le peuple, l'insurrection du peuple entier et de chaque portion du peuple est le plus saint des devoirs. Quand la garantie sociale manque à un citoyen, il entre dans le droit naturel de se défendre lui-même. Dans l’un et l’autre cas, assujettir à des formes légales la résistance à l’oppression est le dernier raffinement de la tyrannie" (Textes choisis, Paris, Editions Sociales, 1973, Tome II, p. 140). Quant aux droits de l’homme en tant que loi du législateur, voici ce qu’en disait Champion de Cicé en 1789 : "(...) vous avez voulu qu’à chaque instant la nation que nous avons l’honneur de représenter pût y (= à la Déclaration) rapporter, en rapprocher chaque article de la Constitution, dont elle s’est reposée sur nous, s’assurer de notre fidélité à s’y conformer, et reconnaître l’obligation et le devoir qui naissent pour elle de se soumettre à des lois qui maintiennent inflexiblement tous ses droits. Vous avez senti que ce serait pour nous une garantie continuelle contre la crainte de nos propres méprises, et vous avez prévu que si, dans la suite des âges, une puissance quelconque tenterait d’imposer des lois qui ne seraient pas une émanation de ces principes, ce type originel et toujours subsistant dénoncerait à l’instant à tous les concitoyens ou le crime ou l’erreur, "(...) cette Déclaration sera à jamais le cri de ralliement contre les oppresseurs et la loi des législateurs eux-mêmes" (in E. BLUM, La déclaration des droits de l'homme et du citoyen, Paris, Alcan, 1902, pp. 29-32).
Il est vrai que les révolutionnaires mettaient avant tout la résistance à l'oppression en rapport avec une éventuelle résurrection de l’ancien régime, mais cela n’empêche que ce droit jouit, dès le moment de sa proclamation, d’une autonomie propre et que, de toute façon, des formules comme "restauration du despotisme" ou de la "tyrannie" sont élastiques à souhait. Par le biais de la résistance à l’oppression, les droits de l’homme fournissent des armes au peuple : on peut en déduire un droit de critique "active* du gouvernement et de mise en question de la légitimité du pouvoir. Ainsi BABEUF, après la chute de Robespierre, défendra, en se référant à la Déclaration de 1793, le droit (et le devoir) de résistance collective contre le pouvoir du moment parce que, d’après lui, ce pouvoir s’est mis hors la loi par le fait de méconnaître le droit à l’existence (Textes choisis, Paris, Editions Sociales, 1976, p. 202-204).

21 V. SCHAUB, Dos Recht auf Arbeit im deutschen und italiänischen Recht, Bruxelles, Bruylant, 1981, p. 133.

22 "Lorsque l’inégalité des fortunes est poussée jusqu’à un certain degré, lorsque le ver rongeur de la mendicité a fait de certains progrès dans un pays, le riche, pour assurer ses jouissances, n’a d’autre parti à prendre que de secourir le pauvre. Ce n'est pas seulement un devoir, c’est encore un véritable calcul d’intérêt" (CABANIS, Op. cit., Tome II, p. 4).

23 ”Il est de l’intérêt public de prévenir les désordres et les malheurs où seraient conduits un grand nombre d’hommes sans ressources, qui, maudissant les lois dont ils n’auraient jamais senti les bienfaits, pourraient, par l'excès de leur misère, être entraînés d’un moment à l’autre à servir les entreprises des ennemis de l’intérêt public" ; "Les sentiments d’humanité ne sont jamais étrangers à l’homme (...) mais à ces grands motifs se joint pour un gouvernement l’intérêt politique d’attacher à la constitution du pays tous les habitants de l’Empire pour le bien-être qu’ils y trouvent, et de prévenir les désordres et les crimes forcés de la misère" (BLOCH & TUETEY, Op. cit., p. 3, 335).

24 Ibid., p. 777.

25 "Il faut que la richesse cesse de regarder comme une générosité ce qui est un devoir ; il faut que le riche sache que ce devoir est une des conditions essentielles sur lesquelles est fondée la protection que la société accorde à ses propriétés" (OUDOT, in Archives parlementaires 1787-1860, le série, 63, Paris, Dupont, 1903, p. 110).

26 "Nous savons tous que si la propriété est la base des associations politiques, si le devoir sacré des lois est d’en faire religieusement observer le culte et d’en assurer le maintien, le culte de l’humanité est plus sacré encore ; et que là où il existe une violation des droits de l’humanité, là l’équilibre social est rompu" (BLOCH & TUETEY, Op. cit., p. 384).

27 M. GASLONDE, M. DUFAURE in GARNIER, Op. cit., p. 159, 270.

28 Rapport général au nom de la Commission de l’Assistance et de la Prévoyance publiques, Paris, Bibliothèque Nationale, p. 11.

29 FAUCHER in GARNIER, Op. cit., p. 345.

30 A. THIERS Ibid., p. 217.

31 L’expression est de PROUDHON (Discours prononcé à l’Assemblée Nationale, 31-7-1848, in Oeuvres Complètes, VII, p. 263 ss.). Il va même plus loin, en ajoutant que cela demeure vrai même si on ne reconnaît pas de façon explicite le droit au travail : "En vain vous effaceriez le droit au travail de la future charte : vous n’auriez fait qu’y laisser un blanc dans lequel serait sous-entendu, à côté du droit au travail, le droit à l'insurrection". Nous verrons dans le chapitre suivant les raisons qui incitent Proudhon à avancer une conclusion pareille.

32 In GARNIER, Op. cit., p. 59.

33 "Le besoin qui naît du manque de travail dans celui qui n’a pas pensé à s’en procurer, pénible sans doute pour un coeur humain et compatissant, est, dans un Etat où il y a une grande masse de travail toujours en activité, une punition utile et d’un exemple salutaire" (BLOCH & TUETEY, Op. cit., p. 430).

34 Ibid., p. 427, 431.

35 "La liberté qui donne à chaque citoyen l’orgueil de son importance, qui assure à chacun le fruit de son travail, est sans doute le principe et le premier des encouragements au travail’’ ; " La liberté qui assure à chacun les fruits de sa propriété et de ses peines, brisant tous les obstacles qui pourraient gêner le développement des talents et la faculté la plus illimitée de travailler, est le premier, le seul vrai principe de l’industrie ; c’est sous sa sauvegarde tutélaire que l’agriculture multiplie ses produits, alimente les manufactures, centuple les consommations, enrichit les consommateurs, et donne aux capitaux une activité continuelle et salutaire ; c’est par son heureuse influence que les ateliers de toute espèce, ouverts de toutes parts, offrent du travail à tous les bras" (Ibid., p. 432, 714).

36 Il ne faut pas vouloir découvrir à tout prix dans les plaidoyers des révolutionnaires en faveur de la dérégulation une preuve du cynisme foncier d’une conception bourgeoise du monde : ces plaidoyers sont d’autant plus passionnés qu’ils expriment la croyance optimiste dans la capacité illimitée d’un marché dérégulé d’assurer le travail et l’existence des individus. Il ne faut pas perdre de vue que la révolution est vécue par ses acteurs comme une cassure du temps, une rupture radicale avec le passé : ils se meuvent pour ainsi dire dans un univers expérimental et ont l’impression de vivre un recommencement absolu, point zéro qui engage l’histoire dans une direction complètement différente d’avant et qui promet un avenir autre et heureux. L’instauration d’un libre marché du travail fait partie de cette "conjoncture expérimentale", elle exprime la volonté de rompre de façon irréversible avec une société fossilisée : on croit vraiment qu’il suffit de renvoyer au cabinet des raretés certaines formes de régulation qui la caractérisaient (et que le Comité de Mendicité qualifie de "préjugés gothiques qui s’opposaient à l’industrie et au travail") pour assurer l'emploi. En 1848, cet enthousiasme a disparu ou, en tout cas, la défense du libre marché du travail dégage une certaine odeur de mauvaise foi. C’est qu’on est confronté à une expérience différente : celle d’une nouvelle espèce de crises, qui présentent un lien avec la révolution industrielle même ; le chômage qui en résulte ne se laisse par réduire par des tactiques libérales. Pour être plus précis, ce n’est pas encore la crise industrielle sous sa forme pure qui prévaut en 1848, mais ce n’est déjà plus la traditionnelle crise de subsistance : c'est une variante transitoire qui combine les deux formes. Bien sûr, on continue à chanter les louanges de la société de marché, mais dans une optique beaucoup plus pragmatique et gradualiste : on est désormais obligé d'admettre que la distance entre marché réel et marché parfait ne s’abolit pas à coups de baguette magique, que l’objectif ne sera atteint qu’au bout d’un temps progressif mais lent ; on s'en remet moins à l'omnipotence de la dérégulation, etc.

37 BLOCH & TUETEY, Op. cit., p. 427. "Les travaux de secours ne s’ouvriront que dans les temps où nulle autre ressource n’existe pour le pauvre valide, et dans les saisons absolument mortes à toutes les occupations de la campagne" ; "L’Etat n’offrira du travail qu'à des époques seulement où l’impossibilité de se le procurer est au moins présumée (...) ce serait faire une application très vicieuse des principes que nous avons établis que de prétendre que la société doive, en tous temps et en tous lieux, fournir du travail à toute personne qui se présente pour en obtenir" (/où/., p. 434 ; d’AIRY, Rapport cité, p. 12, 49).

38 C’est cette lecture restrictive du droit au travail qui sera consacrée par le décret du 19-3-1793 (F. DREYFUS, L'assistance sous la Législative et la Convention, Paris, Société nouvelle de librairie et d’édition, 1905, p. 63).

39 Aussi les salaires payés par l’Etat aux ouvriers engagés dans les travaux publics doivent-ils exercer un effet en quelque sorte décourageant : "Le pauvre ne doit pas, par les secours qu’il reçoit du gouvernement, être tout à fait aussi bien que s’il n’avait pas besoin de ces secours, il faut éviter que des calculs de paresse ou d’avidité déterminent un petit propriétaire à vendre son champ pour devenir à la charge du gouvernement" (BLOCH & TUETE Y, Op. cit., p. 3).

40 Ibid., p. 428.

41 Ibid., p. 427.

42 "Ces tentatives n’auront pour l’Etat que l’effet funeste d’entretenir la classe indigente dans la dangereuse idée que le gouvernement doit la débarasser de l’activité nécessaire pour assurer sa subsistance" (Ibid., p. 428) ; "Une sécurité stupide endort sur l’avenir" (CABANIS, Op. cit., p. 8).

43 BLOCH & TUETEY, Op. cit., p. 731.

44 Par exemple," le travail des chemins, le plus utile de tous dans un pays riche, bien cultivé et commerçant, puisque par la facilite des communications, il rend les prix des marchés plus réguliers, ce qui éloigne les besoins et favorise les productions qui ne peuvent augmenter sans augmenter de nouveau, dans la même proportion, la somme de travail" (Ibid., p. 434)

45 Lamartine résumait ce point de vue comme suit : "Il ne s'agissait pas de conférer à tout citoyen un titre impératif contre le gouvernement pour en obtenir la nature de salaire et de travail qui paraîtrait convenable à sa profession individuelle (...) nous entendions par droit au travail (...) le droit de ne pas mourir de faim ; non pas le droit à tout travail, mais le droit à l’existence" (GARNIER, Op. cit., p. 286).

46 B. GEREMEK, Truands et misérables dans l’Europe moderne (1350-1600), Paris, Gallimard/Julliard, 1980, pp. 162 ss., 172, 176-177.

47 BLOCH, L’assistance et l’Etat en France à la veille de la Révolution, p. 184 ss. Le chômeur qui ignore délibérément cette offre d’emploi demeure toutefois un objet potentiel de mesures répressives, en tout cas s’il a recours à la mendicité. Si Turgot voulait en finir avec les dépôts de mendicité c’est que, bien que conçues, au cours des années 60, comme solution de rechange pour l'Hôpital Général, ils en avaient bientôt reproduit tous les défauts (absence quasi complète de travail, promiscuité et surpeuplement, hygiène lamentable et prolifération de maladies contagieuses, etc.). En plus, leur financement direct par le pouvoir central allait de pair avec une volonté d’éliminer dans leur gestion toute dimension charitable : ils devaient servir exclusivement à réprimer les chômeurs, mendiants et vagabonds ; à court terme, cette politique avait déclenché une vague massive d’arrestations arbitraires, surtout d’ouvriers migrants (P. GOUBERT, Le monde des errants, mendiants et vagabonds à Paris au 18ième siècle, in Clio parmi les hommes, Paris/La Haye, Mouton, 1976, p. 268 ss.).

48 Sur la migration en tant que nécessité pour les pauvres et l'"economy of make-shifts" qu’elle implique : O. HUFTON, The poor of eighteenth-century France, Oxford University Press, 1974.

49 La combinaison organisation de travaux publics en tant que mesure d’assistance + imposition d’une discipline laborieuse suppose qu’on s’efforce de faire du travail un principe général de socialisation. Cela vaut également pour la conception du travail forcé qui prévaut à l’époque de la Révolution. D’abord, il n’est plus pensé que comme un résidu, il n’a que ta fonction strictement circonscrite d’un détour vers une société ouverte où les pauvres circulent librement sur le marché du travail. L’exclusion est un éloignement provisoire et calculé de l’espace ouvert de la société de marché, et elle l’est avant tout parce que le travail forcé qui s’accomplit dans l'espace clos est un moyen pour resocialiser te mauvais pauvre : c’est en le transformant en force de travail libre, donc en lui fournissant des armes pour une confrontation prometteuse avec le marché, qu’on extirpera définitivement la mendicité. Reprogrammer le pauvre de sorte que le travail devienne un comportement naturel est en effet la seule voie pour en faire un sujet prévisible, pour éviter un sursis indéfini de son identité sociale et lui fournir les aptitudes subjectives qui lui permettront de trouver son chemin dans la société au lendemain de sa libération. De ce point de vue, la contrainte et le droit coïncident ; ceci dit sans ironie : le travail forcé est une implication du droit au travail.

50 THIERS, Rapport cité, p. 36.

51 L. FAUCHER, L. WOLOWSKI in GARNIER, Op. cit., p. 350, 360.

52 A. FRESNEAU, THIERS, FAUCHER, Ibid., p. 22, 215, 348, 351.

53 "Quand un ouvrier qui avait manié la navette ou le burin, qui avait les bras faibles, qui avait besoin même de conserver la souplesse, la délicatesse de sa main pour pouvoir gagner plus tard le pain de ses enfants, quand on lui mettait une pioche ou une pelle dans les mains, il avait bientôt les mains en sang, ou il ne pouvait rester courbé vers la terre ; et alors les conducteurs de ces travaux, par une humanité que pour ma part j'approuve, lui disaient : Ne faites rien, et on vous donnera les 40 sous" ; "Si, à un orfèvre, vous alliez offrir une pioche, vous seriez barbares au lieu d’être secourables" ; "Ce système ne consacre-t-il pas la plus effrayante inégalité dans l'aumône ? (...) N’est-il pas à peu près stérile pour les ouvriers des professions sédentaires, tels que les tailleurs, les cordonniers et les bijoutiers ; et ne devient-il pas un supplice pour les ouvriers de l’intelligence, pour ceux que nous avons vus inscrits en grand nombre sur les contrôles des ateliers nationaux ?" (THIERS, FAUCHER, Ibid., p. 214, 217, 349).

54 M. BARTHE, FAUCHER, WOLOWSKI, Ibid., pp. 149-150, 350-351, 360.

55 THIERS, Rapport cité, p. 36 ; THIERS in GARNIER, Op. cit., p. 216.

56 Le catéchisme des socialistes, p. 36, in 1848 : la révolution démocratique et sociale, Tome II.

57 GARNIER, Op. cit., p. XVII.

58 "Votez le droit à l’assistance pour l'homme valide au lieu du droit au travail, et je vous assure que l’histoire dira un jour que vous avez voté l’abaissement, la dégradation, la démoralisation de la première nation au monde" (MATHIEU DE LA DROME, Ibid., p. 73) ; "Nous considérons la charité et l’aumône comme une injustice faite à l’humanité. Le rapport de celui qui donne à celui qui reçoit établit en faveur du premier une suprématie odieuse, tandis que sous un régime qui tend à établir l'égalité parmi les citoyens, cette distinction ne peut exister" (GREPPO, Catéchisme social, p. 8, in 1848 : la révolution démocratique et sociale, Tome II).

59 LEDRU-ROLLIN in GARNIER, Op. cit., pp. 115-116. Si les partisans du droit au travail conçoivent l’égalité en quelque sorte comme une donnée ontologique, ce présupposé n’est pas indispensable pour aboutir à la conclusion d'un alignement inéluctable du niveau économique sur le politique. Pour le libéral Tocqueville, par exemple, même si l’égalité est de l'ordre de l’imaginaire, elle ne s'impose pas dans la sphère politique sans produire à terme l'égalité dans la société civile. Qu’on soit pour ou contre, l’égalité politique ne se conçoit pas sans égalité économique ; même s’ils sont tous les deux arbitraires, l’un ne va pas sans l'autre ; c’est aussi l’avis d’Emile Ollivier "L’égalité politique n’est pas plus légitime et plus rationnelle que l’égalité sociale. Si l’égalité est la loi politique, pourquoi ne deviendrait-elle pas la loi sociale ? Quelle raison de condamner à l’inégalité devant le coffre-fort ceux qu’on a rendus égaux devant l’urne ? Quoiqu’on fasse, ou l’inégalité sociale tuera l'égalité politique, ou l'égalité politique conduira à l’égalité sociale" (in R. SCHNERB, Ledru-Rollin, Paris, Presses Universitaires de France, 1948, p. 52).

60 M. BILLAULT in GARNIER, Op. cit., p. 257.

61 Ce qui vaut du reste également pour d’autres droits sociaux : "Vous allez décréter le droit à l’instruction : mais quel est donc le fou qui pense qu’en 24 heures vous allez le réaliser ? Vous allez inscrire le droit à l’assistance : mais quel est l'insensé qui s’imagine qu’en 24 heures vous aurez créé le personnel et les établissements ?" (LEDRU-ROLLIN, Ibid., p. 123).

62 BILLAULT, Ibid., pp. 258-264.

63 DUFAURE, Ibid., p. 280.

64 M. ROLLINAT, F. PYAT, Ibid., p. 233,416.

65 Ibid., pp. XV-XVI.

66 Proudhon : “Le débat est désormais entre le seigneur souverain, capital, et le citoyen, travail. Le capital est donc dans la même position que l’aristocratie en 1789. S'il veut tout garder, il perdra tout. Il faut qu’il ait sa nuit du 4 août, sa part de concessions, son tour de dévouement (...) nous vaincrons cette royauté comme l’autre" (Ibid., p. 451). Quant à la manière de réaliser l’organisation du travail, Blanc invoque à son tour 1789, comme si l’analogie s'imposait d’elle-même : "On n’a jamais refait une société avec des décrets". Etes-vous bien sûr de cela ? Et de quelle manière a donc été refaite, dans la célèbre nuit du 4 août, la société qui existait alors ?" (in HUMILIERE, Op. cit., p. 80).

67 F. ARNAUD, F. PYAT in GARNIER, Op. cit., p. 183, 416.

68 M. CREMIEUX, Ibid., pp. 138-139. Dans le premier projet de Constitution, rédigé quelques jours avant l’insurrection de juin, il était dit, dans une déclaration de droits et de devoirs en tête du texte constitutionnel : "La Constitution garantit à tous les citoyens : la liberté, l’égalité, la sûreté, l’instruction, le travail, la propriété, l’assistance" (art. 2) ; "Le droit au travail est celui qu’a tout homme de vivre en travaillant. La société doit, par les moyens productifs et généraux dont elle dispose, et qui seront organisés ultérieurement, fournir du travail aux hommes valides qui ne peuvent s’en procurer autrement" (art. 7). Cette formulation laissait entrevoir d'emblée toutes sortes de problèmes à cause de l’absence de limites précises du droit reconnu. De toute façon, quelques mois plus tard elle est suivie d’une autre qui reprend la déclaration de principe, tout en l'affaiblissant par l’accent mis sur un droit général à l’assistance ; il n’est plus question d’un droit inconditionnel au travail : "La république doit la subsistance aux citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, les moyens d’exister à ceux qui sont hors d'état de travailler". C’est le droit corrigé par les événements de la rue. Le commentaire de MARRAST, daté du 29 août, résume assez bien l’offensive contre le droit au travail qui l'avait précédée et explique les raisons du changement de ton : "La formule du droit au travail a paru équivoque et périlleux. On a craint qu'elle ne fût une prime à la fainéantise et à la débauche ; on a craint que des légions de travailleurs, donnant à ce droit une portée qu’il n’avait pas, ne s'en armassent comme d’une devise d'insurrection. A ces objections s'en ajoute une autre plus considérable : si l’Etat s’engage à fournir du travail à tous ceux qui en manquent par une cause ou par une autre, il devra donc donner à chacun le travail auquel il est propre. L’Etat deviendra donc fabricant, marchand, grand ou petit producteur. Chargé de tous les besoins, il faudra qu’il ait le monopole de toutes les industries (...) Nous n’avons jamais voulu que la Constitution pût encourager l’ouvrier paresseux ou immoral à déserter l’atelier pour demander à l’Etat un travail plus facile ; nous n’avons jamais voulu que l’Etat pût faire une concurrence meurtrière aux industries privées (...) Nous rendons cette pensée plus claire et plus nette, en remplaçant le droit de l’individu par le droit imposé à la société" (Ibid., pp. 5-6). Début novembre a lieu in extremis une discussion sur l’amendement suivant : "La république doit protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, son droit de propriété et son droit au travail". L’amendement sera finalement rejeté, mais il aura fallu des mois de chaudes discussions pour rayer la reconnaissance explicite du droit au travail du texte de la Constitution. Il est vrai aussi qu'elles avaient été déclenchées par ce qui constituait pour ainsi dire un coup de force ; c’est le 25 février, lendemain de la chute de la monarchie, que Louis Blanc, membre du gouvernement provisoire, avait rédigé le décret qui ouvrait la voie au droit au travail dans les termes suivants : "Le gouvernement provisoire de la République française s’engage à garantir du travail à tous les citoyens ; il reconnaît que les ouvriers doivent s’associer entre eux pour y jouir du bénéfice légitime de leur travail".

69 Cfr. L. FERRY & A. RENAUT, Philosophie politique III : Des droits de l’homme à l’idée républicaine, Paris, Presses Universitaires de France, 1985, p. 19 ss. Comme nous verrons dans notre dernier chapitre, rien n’est plus révélateur de ce point de vue que l'argumentation économiste contre le droit : dans ce genre de raisonnement on ne s’occupe guère du droit en tant que tel ; la question de droit s’y trouve éludée par le recours à une évaluation des implications économiques du droit qui s’inscrit elle-même dans une conception historiciste de la croissance-progrès. Il est clair qu’en fin de compte cette échappatoire représente elle aussi un choix politique, l’économique faisant fonction dans l’utopie libérale de réalisation du politique.

70 DE LUPPE in GARNIER, Op. cit., p. 170.

71 DUFAURE, Ibid., p. 273.

72 BILLAULT, Ibid., p. 264.

73 A. FRESNEAU, H. LEVET, Ibid., pp. 11-13, 31-32.

74 Ibid., p. 12.

75 Sur tout ceci : C. LEFORT, Droits de l'homme et politique, in L’invention démocratique, Paris, Fayard, 1981, et Les droits de l'homme en question, in Ecrits sur la politique, Paris, Editions du Seuil, 1986.

76 Chez Kant lui-même, l’idée de l’homme n’est pas une essence conceptuelle mais invoque plutôt un horizon symbolique d’universalité : sa fonction est exclusivement celle d'une idée régulatrice.

77 GAUCHET, Op. cit., p. 248 ss.

78 Ceci pour contredire l’interprétation qu’en donne MARX dans La question juive : si Marx discerne bien le rapport de fait existant entre les déclarations de l’homme prises in globo et la société de marché, les faits lui inspirent en même temps une lecture réductrice car, dans leur action symbolique - ce qui n’est pas la même chose que leur interprétation de fait dans des conjonctures historiques données - les droits de l’homme ne se réduisent pas à une expression de la logique marchande.

79 FAUCHER in GARNIER, Op. cit., p. 329.

80 MANENT, Histoire intellectuelle du libéralisme, pp. 177-179. Parlant de cette reviviscence de la religion chez nombre d’hommes et d'auteurs politiques du 19ième siècle, Manent la qualifie de "trop religieuse pour ce qu’elle a de politique, trop politique pour ce qu’elle a de religieux''. Sur l'utilité sociale de la religion d’après Tocqueville, voir MANENT, Tocqueville et la nature de la démocratie, p. 123 ss.

81 Cité par M. AGULHON, 1848 ou l'apprentissage de la République, Paris, Editions du Seuil, 1973, p. 146.

82 Le Christ défenseur du droit au travail : "Le droit du pauvre à l’existence n’est point périmé, c’est ce droit auquel le fils de Marie donnait la sanction de sa puissante parole, lorsqu’il s’écriait :'Les riches ne sont que les économes du bien des pauvres’. Depuis longtemps, il est vrai, les enseignements de l’illustre prolétaire sont tombés en désuétude. Le Christ, en nous ordonnant la charité, qui n’est pas autre chose que l’amour du prochain, n’entendait pas seulement que les riches donnent une misérable aumône comme l'on jette à un chien quelques bribes d'un festin"(A. BARBES, Quelques mots à ceux qui possèdent en faveur des prolétaires sans travail, Paris, Bibliothèque Nationale). Sur la coexistence dans le socialisme de ce temps d'ingrédients messianiques et mystico-religieux avec la défense du machinisme et du progrès technique : J. VALETTE e.a., 1848 : les utopismes sociaux, Paris, SEDES, 1981, p. 27 ss., 41 ss.