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Imaginaires et représentations des entrées royales au xixe siècle : une sémiologie du pouvoir politique

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Corinne Saminadayar-Perrin
, 
Éric Saminadayar-Perrin

Deuxième partie. Problématiser l’entrée royale : historiographie et représentations

Présentation et réécriture des entrées impériales antiques chez les historiens français et allemands à la fin du xixe siècle

(Duruy, Fustel de Coulanges, Mommsen, Droysen)

Éric Perrin-Saminadayar

Texte intégral

1En France et Allemagne, le XIXe siècle a vu naître plusieurs expériences impériales, et les débats politiques qui ont accompagné ces expériences ont eu d’importantes répercussions sur les travaux des historiens de l’Antiquité. Ceux-ci ont en effet cherché dans les tentatives impériales antiques des modèles ou des contre-modèles susceptibles de fournir à leurs contemporains des éléments de comparaison ou des références dont on ne pouvait remettre en question la valeur. Il est vrai qu’entre le rêve de l’empire universel d’Alexandre et les cinq siècles de l’Empire romain ils ne manquaient pas de matière, et l’on comprend que le siècle ait vu fleurir les histoires de l’Empire romain ou celles d’Alexandre ; ces ouvrages furent plusieurs fois remaniés en fonction des préoccupations politiques contemporaines, entraînant un travail de réécriture de l’Histoire antique dont la critique ne fut d’ailleurs jamais dupe.

  • 1 Sur l’apantèsis hellénistique, voir Louis Robert, « Documents pergaméniens. Le décret de Pergame », (...)

2Dans le cadre d’une étude plus vaste sur les voyages officiels et les entrées impériales antiques, il m’a semblé intéressant de voir comment les historiens du XIXe siècle, qui avaient eux-mêmes vécu l’expérience de l’empire, voire de plusieurs types d’empire, retranscrivaient dans leurs travaux un événement qui, dans les sociétés antiques, était consubstantiel à l’idée de pouvoir personnel ou impérial. Les Anciens avaient donné un nom à cet événement extrêmement codifié en en faisant une véritable institution, l’apantèsis des Grecs et l’aduentus des Romains, lesquels ont laissé de nombreuses traces dans notre documentation1.

  • 2 Entrée d’Attale III à Pergame : l’inscription, découverte en 1871 (1re édition : H. Gelzer, ADAW, 1 (...)
  • 3 J.-G. Honoré Greppo, Mémoire sur les voyages de l’empereur Hadrien et sur les médailles qui s’y rap (...)
  • 4 Sur ce contexte scientifique, voir Alain Schnapp, La conquête du passé. Aux origines de l’archéolog (...)

3Cette documentation se compose principalement des récits transmis par les biographes (Plutarque, Vie de Démétrios Poliorcète, Vie de Pyrrhus, Vie d’Alexandre, Suétone, Vies des douze Césars, et l’auteur de l’Histoire Auguste) ou les historiens anciens (Polybe et l’entrée d’Attale Ier à Athènes, Tite-Live et l’accueil reçu par Hannibal à Capoue, Quinte-Curce ou Arrien et la réception d’Alexandre dans les capitales achéménides, Dion Cassius et l’entrée de Néron à Rome, Flavius Josèphe et la « fausse » entrée d’Alexandre à Jérusalem...). Aussi, dans sa dimension littéraire, le cérémonial de l’entrée était-il déjà connu des historiens et du public cultivé bien avant le XIXe siècle. Mais il se trouve que la documentation dont ils disposaient s’est considérablement accrue dans la seconde moitié du XIXe siècle, avec, notamment, la publication d’inscriptions relatives à la préparation d’entrées de monarques2, la redécouverte des collections de monnaies – on parlait alors de médailles – qui, produites en série pendant les cinq siècles de l’Empire romain, commémoraient spécialement l’événement3, ou encore les résultats toujours plus nombreux des fouilles archéologiques4. Les historiens de la fin du siècle avaient donc sous la main une documentation riche, variée et renouvelée. On le voit, le contexte scientifique semblait rejoindre les préoccupations politiques du moment pour susciter l’émergence d’une réflexion sur les entrées impériales, comme partie intégrante d’une réflexion plus générale sur le pouvoir impérial.

  • 5 De manière significative, la postérité s’est davantage intéressée à l’œuvre du ministre qu’à celle (...)
  • 6 Voir infra.
  • 7 Mommsen siège avec le Deutsche Vortschritt Partei jusqu’en 1867 ; il rejoint en 1873 les rangs des (...)
  • 8 Après avoir été reçu en grande pompe par Napoléon III aux Tuileries, Mommsen fut exclu de toutes le (...)

4Le corpus retenu pour cette communication a été choisi dans cette double perspective, scientifique et politique, puisqu’il réunit deux historiens allemands, Theodor Mommsen (1817-1903) et Johan Gustav Droysen (1808-1884), et deux historiens français, Victor Duruy (1811-1894) et Numa-Denys Fustel de Coulanges (1830-1889), qui ont pour double point commun d’avoir vu leurs travaux bénéficier de la reconnaissance de leurs pairs et d’avoir pris part aux débats politiques contemporains : s’il est inutile de revenir sur la carrière bien connue de Duruy au service de Napoléon III5, on rappellera en revanche que Droysen a siégé comme député à la diète de Frankfort en 1848, qu’il a soutenu la politique bismarckienne, puis s’en est éloigné6 ; Mommsen, de son côté, a également été élu député au Landtag de Prusse de 1863 à 1867 et de 1873 à 1879, puis au Reichstag de 1881 à 18847, et la querelle qui l’opposa à Fustel de Coulanges au sujet de l’Alsace après 1871 fit de lui aux yeux des universitaires français un paria, véritable incarnation du pangermanisme, alors qu’il s’opposa longtemps à la politique bismarckienne8.

  • 9 La première édition de l’ Histoire d’Alexandre de Droysen paraît à Berlin chez Finke en 1833-1834 ( (...)

5En ce qui concerne les ouvrages analysés, on a retenu les dernières éditions d’ouvrages dont certains avaient paru pour la première fois bien avant que leurs auteurs ne fassent l’expérience de l’empire, car elles ont été corrigées par leurs auteurs ; par ailleurs, comme elles s’échelonnent toutes entre 1874 et 1889, on la chance de pouvoir disposer d’un corpus chronologiquement homogène et à même d’intégrer les expériences impériales du XIXe siècle dans les pistes d’interprétation qu’elles proposent de leurs modèles antiques9.

Une cérémonie boudée

6Malgré toutes ces précautions, la première lecture des œuvres de nos historiens fut très décevante : en effet, la place des voyages et des entrées impériales à l’occasion de ces voyages paraît extrêmement réduite dans l’ensemble du corpus.

  • 10 Th. Mommsen, Histoire Romaine, op. cit., VI, « Avant-propos », p. 503.
  • 11 Ibid., chap. 11, p. 881-882.
  • 12 Ibid., chap. 7, p. 672-673 : « Hadrien créa une nouvelle Hellas, comme il avait fondé une nouvelle (...)

7Chez Mommsen, l’Histoire Romaine s’est longtemps arrêtée à la bataille de Thapsus ; lorsqu’il consacre en 1885 un VIe livre à l’Empire, celui qui constitua le tome V de l’Histoire Romaine, Mommsen se refuse à présenter les événements et à étudier les grandes figures de son histoire ; il ne s’intéresse qu’à « l’histoire particulière de toutes les provinces romaines depuis César jusqu’à Dioclétien »10. Or, dans cette description de l’Empire, on ne rencontre que de fort maigres renvois aux voyages impériaux, et en particulier qu’une seule mention des visites qu’Hadrien fit aux villes de l’Empire, quand, d’aventure, Mommsen signale l’arrivée de l’empereur à Jérusalem en 130 : mais il précise aussitôt que celle-ci n’a suscité aucun accueil enthousiaste et qu’elle s’est terminée en « une révolte, dont les Romains ne s’occupèrent pas tout d’abord, mais qui n’eut pas son égale pour l’intensité et la durée dans l’histoire de l’empire »11. En revanche, à lire l’historien allemand, on n’a pas le sentiment que l’empereur antonin a effectué trois séjours à Athènes, qu’il y a été accueilli à chaque fois en grande pompe, alors que les vestiges archéologiques, les inscriptions et les monnaies, sources auxquelles Mommsen était si sensible, ne manquent pas ; Mommsen ne retient que les réformes imposées à la ville par l’Empereur, ainsi que les travaux édilitaires qu’il y commanda12, mais, à chaque fois, ces décisions semblent imposées de Rome, alors qu’elles furent prises sur place en contrepartie de l’accueil reçu.

  • 13 Ibid., p. 670.
  • 14 Ibid., p. 691. La phrase consacrée au percement de l’isthme constitue le seul passage où Mommsen, s (...)

8Le séjour de Néron en Achaïe et l’accueil enthousiaste que lui réservèrent les cités grecques n’ont pas fait l’objet d’un meilleur traitement. Mommsen laisse entièrement de côté le déroulement et les péripéties du voyage – qu’une longue tradition littéraire antique nous a pourtant rapportés – pour ne retenir qu’une mesure politique, la liberté rendue aux cités d’Achaïe13, et un geste symbolique, « le premier coup de pioche au canal » que Néron avait pour projet de faire percer à l’isthme de Corinthe14. Mais les manifestations de liesse populaire, les honneurs exubérants votés à l’occasion du grand tour néronien, le retour du Prince et son entrée triomphale dans Rome, tout cela est relégué aux oubliettes de l’Histoire.

9Et lorsque Mommsen rapporte un retour triomphal d’un Empereur faisant son entrée dans la Ville, il choisit symboliquement le moins glorieux à ses yeux, le triomphe de Vespasien après la prise de Jérusalem, qu’il rapporte en des termes extrêmement sévères :

  • 15 Ibid., VI, chap. 11, p. 876.

L’œuvre était achevée. L’empereur Vespasien, vaillant général, ne dédaigna pas de monter en triomphe au Capitole pour célébrer cette victoire qu’il lui était impossible de ne pas remporter sur un petit peuple depuis longtemps sujet de l’empire, et le chandelier à sept branches, qui fut enlevé du sanctuaire et transporté à Rome, fut représenté sur l’arc de triomphe que le sénat de l’empire fit élever en l’honneur de Titus sur la place publique de la ville victorieuse, où on peut le voir encore aujourd’hui. Il n’y a pas là de quoi nous donner une haute idée du sens militaire des Romains de ce temps. Sans doute la profonde aversion que les Occidentaux ressentaient pour le peuple juif ajouta, pour ainsi dire, ce qui manquait à la gloire militaire ; et si le nom des juifs était trop détesté pour que les empereurs s’en fissent un surnom honorifique comme ils le faisaient pour celui des Germains ou des Parthes, ils ne jugeaient pas indignes d’eux de fournir par leur triomphe au peuple de la capitale l’occasion de manifester la joie cruelle de la victoire15.

  • 16 À peine rencontre-t-on quelques lignes sur la cérémonie du triomphe, surtout évoquée pour montrer q (...)
  • 17 Fustel de Coulanges, Histoire des institutions politiques de l’ancienne France, Paris, Hachette, 18 (...)

10Les voyages royaux ou impériaux semblent avoir également laissé Fustel de Coulanges complètement indifférent : dans La Cité antique (1864), dont une septième édition est parue revue et augmentée en 1879, on n’y rencontre aucun renvoi16. Dans l’Histoire des institutions politiques de l’ancienne France, les premiers chapitres qui décrivent pourtant longuement les institutions de l’Empire romain tardif ne font qu’une brève allusion à ces voyages, lorsque l’historien dresse la liste des impôts à payer au fisc impérial : il mentionne alors, en huitième position, « l’obligation de défrayer l’empereur dans ses voyages ou toute autre personne voyageant sur son ordre »17, mais dans les pages qui précèdent, rien sur la signification politique, sociale et religieuse de ces tournées pourtant bien attestées.

11Droysen, en revanche, reprend certaines anecdotes mentionnées par les auteurs anciens à propos de son héros, Alexandre, qu’il suit à la trace ; mais, il s’agit le plus souvent d’une simple traduction, voire d’un résumé, de la source antique. Elle ne suscite chez lui aucun commentaire, l’historien se contentant d’un récit tronqué. Ainsi, à Sardes, capitale satrapique, Alexandre fut

  • 18 J.G. Droysen, Histoire de l’Hellénisme, op. cit., p. 113.

heureux de voir paraître à deux milles environ en avant de la ville Mithrinès, commandant de la citadelle, accompagné des principaux citoyens ; ils venaient remettre aux mains d’Alexandre l’un la forteresse et le Trésor, les autres la ville. Le roi envoya en avant Amyntas, fils d’Andromène, pour occuper la citadelle, et lui-même le suivit après avoir pris un peu de repos. [...] Il rendit aux Sardiens et à tous les Lydiens la liberté et la constitution de leurs pères, dont ils avaient été privés deux siècles durant sous l’oppression des satrapes perses. Pour honorer la ville, il résolut d’orner la citadelle d’un temple de Zeus Olympien18.

  • 19 Sur l’entrée d’Alexandre à Sardes, voir Pierre Briant, « Alexandre à Sardes », dans Jesper Carlsen (...)

12On le voit, la cérémonie de l’entrée est ici escamotée, car entre l’arrivée des autorités politiques et militaires au-devant du roi, et, à la fin de la séquence, consacrée aux bienfaits qu’Alexandre réserve à ses nouveaux sujets, l’essentiel a disparu. Mieux, le roi n’entre plus dans la ville qui s’offre à lui ; il « pr[end] un peu de repos »19.

  • 20 Ibid., p. 195. Voir infra, p. 131-132.
  • 21 Ibid., p. 198.
  • 22 Ibid., p. 203.

13En décrivant l’arrivée d’Alexandre dans les capitales achéménides, Droysen répète le même scénario, à Babylone notamment20. Mais à Suse et à Persépolis, l’entrée n’a même plus lieu, Alexandre se contentant de mettre la main sur les richesses de ces villes : « Vingt jours après avoir quitté Babylone, Alexandre arriva à Suse et prit possession de ses immenses trésors »21. Or Droysen a précisé, suivant scrupuleusement ses sources, que les autorités militaires et civiles de la ville avaient déjà annoncé leur soumission à Alexandre, ajoutant même qu’elles attendaient le roi pour lui ouvrir leurs portes, mais il fait le choix de ne pas évoquer l’entrée du roi dans une ville dont la conquête constituait pourtant un symbole important. De même expédie-t-il en une phrase l’entrée du roi dans une autre grande ville royale achéménide, Persépolis, sous un prétexte assez surprenant : « Son arrivée inattendue rendit impossible toute résistance et tout désordre : il prit possession de la ville, des palais et des trésors sans aucune difficulté »22.

  • 23 Ibid., p. 170 : « Lorsque le roi approcha de Jérusalem, disent les traditions juives, le grand prêt (...)

14Comme Mommsen, Droysen s’intéresse peu au cérémonial, et ne donne de signification à l’événement que militaire – la soumission à une autorité supérieure – et financière – la livraison des trésors royaux. Il est d’ailleurs ici aussi significatif que la seule entrée d’Alexandre décrite avec précision soit celle que le Conquérant fit à Jérusalem, pour laquelle Droysen recopie Flavius Josèphe tout en exprimant en note de sérieuses réserves en raison du « silence absolu des écrivains dignes de foi »23.

  • 24 V. Duruy, Histoire des Grecs, op. cit., III, p. 277 (reprend son Histoire de la Grèce ancienne, Par (...)
  • 25 V. Duruy, Histoire des Romains, op. cit., IV, chap. 48 (Néron), 53 (Trajan) et 54 (Hadrien).
  • 26 Ibid., V, p. 224.
  • 27 Ibid., IV, p. 376.

15Reste Duruy : si encore en 1889, il ne consacre que quelques lignes à l’entrée d’Alexandre dans Babylone dans son Histoire des Grecs24, son Histoire des Romains (1874) s’intéressait plus longuement aux voyages et aux entrées de Néron et d’Hadrien, personnages qu’il utilise, de manière symétrique, comme modèles du tyran et du bon empereur, et évoque plus brièvement ceux de Trajan25. Le monstre, Néron, n’a « heureusement » – le mot est de Duruy – quitté l’Italie qu’une seule fois, pour se rendre en Grèce, mais de son séjour, Duruy ne retient que le coût, les excentricités et le retour tapageur à Rome, alors qu’Hadrien, « l’infatigable voyageur »26, témoigne de sa « sollicitude »27 pour ses provinces lorsqu’il fait une entrée dans une ville. Autant dire d’emblée que Duruy offre une lecture manichéenne et moralisante d’un cérémonial, dont il ne souligne, à aucun moment de son œuvre, ni les enjeux ni la véritable nature, d’où un travail de réécriture des sources antiques, qui relègue au second plan le cérémonial, et multiplie les leçons politiques ou morales en direction du lecteur.

  • 28 François Lenormant, dans Charles Daremberg et Edmond Saglio (dir.), Dictionnaire des Antiquités gre (...)
  • 29 Richard Ganschinietz, dans Paulys Real-Encyclopâdie der Classischen Altertumwissenschaft, Supplemen (...)

16Ce maigre bilan explique que lorsque paraissent en France et en Allemagne les deux grands instruments de travail destinés à rassembler les acquis d’un siècle de travaux scientifiques, on ne peut qu’enregistrer les conséquences de ce manque d’intérêt : le Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines d’après les textes et les monuments de Charles Daremberg et Edmond Saglio (1877) consacre certes une demi-page à l’aduentus des empereurs romains, mais il ne s’agit que d’une étude du mot tel qu’il apparaît sur les monnaies28 ; il ignore complètement les entrées d’Alexandre. À la fin du siècle, la Real-Encyclopädie der Classischen Altertumwissenschaft, qui voit son premier volume paraître en 1893, ne comporte aucun renvoi aux entrées, sous leur forme grecque ou romaine ; il faut attendre le troisième Supplementband, en 1918, pour qu’une entrée « aduentus » voie le jour : ses dix lignes, sur une demi-colonne, renvoient à des monnaies, ainsi qu’à une inscription et se contentent d’une définition pour le moins étrange : « zweifelhefte römische Gottheit »29.

  • 30 Ainsi V. Duruy, Histoire des Romains, op. cit., IV, p. 373, n. 2, mentionne-t-il une monnaie de bro (...)
  • 31 Mommsen a publié dès 1860 une Histoire de la monnaie romaine (Römisches Munzwesen), qui fit autorit (...)
  • 32 Duruy fut également élu à l’Académie des Sciences morales et politiques en 1879, puis à l’Académie (...)

17Ce premier état des lieux s’avère décevant, notamment de la part d’auteurs bien informés des dernières découvertes – qu’ils citent pourtant parfois en note30 – et très insérés dans les réseaux savants : Mommsen était membre de l’Académie de Prusse, la Preussische Akademie der Wissenschaften zu Berlin, depuis 1858, dont il devint le secrétaire perpétuel à partir de 1874 ; il était également le directeur du Corpus inscriptionum latinarum à partir de 1863, et était reconnu, non seulement comme historien et épigraphiste, mais aussi comme numismate31 ; Droysen l’avait rejoint à l’Académie des sciences berlinoise en 1867, alors qu’en France, Duruy est membre de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres depuis 187332 ; Fustel a rejoint l’Académie des sciences morales et politiques en 1875 (au fauteuil de Guizot !). Ce n’est donc pas par manque d’informations sur les découvertes récentes que nos auteurs minimisent l’événement, et il faut chercher ailleurs les raisons de ce choix.

Silences politiques

  • 33 Voir les trois articles-lettres ouvertes connus sous le titre « Aux Italiens » et parus dans La Per (...)
  • 34 Sur les idées et l’action politiques de Mommsen, voir Alfred Heuss, Theodor Mommsen und das 19. Jah (...)
  • 35 Th. Mommsen, Histoire romaine, op. cit., « Avant-Propos », p. 503. Dans l’introduction qui suit, Mo (...)
  • 36 Mommsen renonce a son mandat au Reichstag en 1884. Voir aussi Cl. Nicolet, « Préface » de l’édition (...)

18Chez Mommsen, le régime impérial en lui-même suscite en fait beaucoup de méfiance ; l’historien suit de ce point de vue l’homme politique. Mommsen a commencé par dénoncer la stupidité des dirigeants des premier et second Empires français, qualifiés d’« aventuriers » désireux d’« assujettir le monde »33 ; il témoigna ensuite une grande hostilité à la politique bismarckienne, rejetant au final l’Empire allemand, jugé lui aussi réactionnaire et clérical34. Dans son œuvre historique, l’Empereur (le personnage de l’empereur) doit donc s’effacer devant les provinces, qui deviennent, en revanche, les unes après les autres, les véritables héroïnes de l’histoire impériale. Mommsen s’en justifie dans sa préface, en expliquant que tout cela « a si bien été raconté par les anciens » et que jusqu’à lui, « le sujet a été traité au moins plusieurs fois »35. Pour autant, il ne s’agit là que de prétextes qui cachent en fait un choix politique, celui de refuser d’évoquer un régime qui pouvait trop faire penser à l’Empire allemand contemporain avec lequel Mommsen avait pris ses distances36. C’est ce même choix qui explique que la rédaction du volume qui devait traiter de l’histoire de l’Empire romain fut longtemps différée, alors que se mettait en place l’Empire allemand et que Mommsen siégeait comme député au Landtag de Prusse puis au Reichstag. Il est d’ailleurs frappant de constater que les pages que Mommsen s’était longtemps refusé d’écrire sur l’Empire romain sont contemporaines du retrait de l’historien de la scène politique et que c’est au moment où l’historien abandonne tout mandat électif que le projet voit – partiellement – le jour.

  • 37 Th. Mommsen, Histoire romaine, op. cit., VI, chap. 7, p. 691. Les travaux reprirent effectivement e (...)
  • 38 Ibid., p. 673.

19Les voyages et les entrées impériaux ont été sacrifiés à cette position : ils ne seront jamais directement évoqués dans leur déroulement, de façon à ne pas trop mettre en avant la personne de l’Empereur, mais l’historien ne retiendra que quelques données objectives, les conséquences (heureuses) des grandes tournées impériales qu’on coupera de tout contexte événementiel. Encore celles-ci sont-elles soigneusement sélectionnées et se limitent-elles à des grands travaux, comme le percement de l’isthme de Corinthe – dont « de notre temps [l]es travaux ont été repris »37, la construction ou l’achèvement de bâtiments publics, ainsi qu’à des tentatives politiques, éphémères mais prophétiques, comme la proclamation de la Liberté des Grecs par Néron ou la création par Hadrien du Panhellénion, création que Mommsen commente d’une phrase toute personnelle : « L’unité nationale, souvent rêvée dans les temps meilleurs, et qu’on n’avait jamais pu réaliser, fut ainsi créée »38. L’historien ne conserve donc dans l’entrée impériale que ce qui, à ses yeux, est susceptible de servir sa conception du progrès scientifique ou politique, en relation avec les grands débats contemporains. Tout le reste, c’est-à-dire presque tout et, notamment, le cérémonial, a disparu.

  • 39 Ibid., VI, chap. 11, p. 876.
  • 40 Ainsi déjà le traducteur français de Mommsen, Charles Alexandre, dans sa préface du livre V (1871).

20De la même façon, Mommsen livre, on l’a vu, une image désincarnée et pervertie de la cérémonie du triomphe, lorsque Vespasien, de retour de Judée, monte au Capitole. N’apparaissent dans le récit de l’historien que la « joie cruelle de la foule » et l’attitude méprisable d’un général qui ne pouvait qu’être vainqueur et qui, faute d’avoir d’autres titres de gloire, s’empressait de célébrer sa victoire sur un « petit peuple »39. Les phrases, sévères mais justifiées, avec lesquelles Mommsen qualifie l’attitude de Vespasien, revêtent un écho particulier en 1885, moins de quinze ans après la victoire contre la France et la proclamation de l’Empire allemand, le 18 janvier 1871 : il s’agit à la fois d’une leçon de modestie à l’adresse de l’empereur, de son chancelier et de ceux qui, au Reichstag, pavoisent encore ; les savants français, de leur côté, y ont vu une des innombrables piques qui témoigneraient du mépris de Mommsen pour les Français, assimilés eux aussi à un « petit peuple »40.

  • 41 C’est la thèse de la fin de La cité antique.
  • 42 Fustel devait pourtant une grande partie de sa carrière au second Empire, à commencer par sa nomina (...)
  • 43 Sur ce glissement, F. Hartog, Le XIXe siècle et l’histoire, op. cit., p. 86-93.

21La polémique entretenue avec le grand maître allemand à propos de l’Alsace-Lorraine et la volonté de définir des pistes pour une refondation de la science historique après la déroute de la guerre franco-allemande, aboutissent, par un chemin différent, au même résultat chez Fustel de Coulanges. Selon lui, l’expérience impériale française s’était soldée par un double échec : d’une part, l’Empire napoléonien s’était comporté en fossoyeur des libertés des peuples comme l’Empire romain avait mis fin à la cité antique fustélienne41 ; d’autre part, le second Empire n’avait pas réussi à conserver à la France l’Alsace et la Lorraine et avait involontairement contribué à faire naître un autre empire, cause d’un drame national. Fustel, déjà peu enclin à consacrer ses travaux à l’histoire des grands événements, traduit par un silence complet le drame de 1870 et la déception que constitua le second Empire42 : il renonce à tous ses projets d’histoire de l’Empire romain et se consacre uniquement aux institutions de l’ancienne France, accentuant ainsi le glissement de ses centres d’intérêt de l’Antiquité vers le Moyen Âge43.

22Les positions politiques de ces historiens engagés expliquent donc leurs réticences à évoquer une cérémonie susceptible de mettre en valeur un régime que leurs lecteurs ne manqueraient pas d’identifier avec des pratiques contemporaines ou récentes, tant celles de Napoléon III, que celle de l’Allemagne wilhelmienne.

Laïcisation et réécritures contemporaines

23Les mêmes préoccupations et le même contexte qui aboutissent à un silence chez Mommsen et Fustel, entraînent une réécriture des entrées d’Alexandre par Droysen, ou des voyages impériaux chez Duruy. Cette réécriture commence par une laïcisation de la cérémonie : dans l’Histoire d’Alexandre, comme dans l’Histoire des Romains, toute la dimension religieuse de la cérémonie antique, qui est pourtant bien attestée dans les sources citées par nos auteurs en note, est en effet occultée.

  • 44 J. G. Droysen, Histoire de l’Hellénisme, op. cit., p. 113.
  • 45 Ibid., p. 195.
  • 46 Ibid., p. 198 et p. 203. Voir supra, p. xx.

24Dans la première, lorsqu’Alexandre arrive à Sardes et que son gouverneur vient à sa rencontre avec les principaux citoyens de la ville avant que le roi n’y pénètre, ou lorsque, deux ans plus tard, il atteint les capitales achéménides, les offrandes et les sacrifices qui accompagnent l’accueil officiel du souverain par les autorités locales ne font l’objet d’aucune mention. Ainsi à Sardes, Alexandre est « heureux de voir paraître à deux milles environ en avant de la ville Mithrinès, commandant de la citadelle, accompagné des principaux citoyens ; ils venaient remettre aux mains d’Alexandre l’un la forteresse et le Trésor, les autres la ville »44 ; de même à Babylone, « en s’approchant de la ville, Alexandre fit avancer son armée en ordre de bataille ; mais les portes s’ouvrirent ; les Babyloniens portant des couronnes de fleurs et de riches présents, les Chaldéens, les anciens de la ville, ayant à leur tête les fonctionnaires perses, vinrent à sa rencontre ; Mazaeos livra la ville, la citadelle, les trésors et le monarque de l’Occident fit son entrée dans la ville de Sémiramis »45. L’arrivée à Suse, puis à Persépolis, on l’a vu, est elle aussi expédiée en une phrase, qui ne s’intéresse qu’à la reddition de la ville et à la mainmise sur les trésors royaux46.

25Si l’on compare ces récits avec les sources antiques et en particulier avec les témoignages d’Arrien et de Quinte-Curce, on s’aperçoit que le texte a été complètement réduit et que Droysen ne mentionne pas les autorités religieuses, pourtant en tête du cortège : seule la dimension politique de la cérémonie, la soumission du satrape et des autorités locales à une puissance supérieure et unificatrice, est mentionnée. De cette soumission, on retiendra essentiellement qu’elle est signalée comme spontanée et enthousiaste, alors qu’elle se fit – le texte lui-même en témoigne – sous une contrainte et une pression militaires exceptionnelles.

  • 47 J. G. Droysen, Histoire d’Alexandre, op. cit., p. 71 (édition de 1836).
  • 48 L’événement a été immortalisé par deux œuvres d’Anton von Werner : la plus connue (1885) est le tab (...)
  • 49 « On ne fait pas un empereur. La vraie couronne de l’Empereur sera gagnée sur le champ de bataille  (...)

26Pour Droysen, qui, en 1833, rêve de l’unification allemande, Alexandre constitue le modèle du « plus grand héros qu’ait connu l’humanité »47 ; le périple du personnage et de ses armées constitue un exemplum pour un autre prince à venir qui accomplira une œuvre équivalente en Allemagne et auquel Droysen promet un bon accueil et une gloire éternelle. L’Histoire d’Alexandre ne mentionne évidemment pas nommément de candidat pour cette tâche d’Hercule. Député à l’Assemblée Nationale de Frankfort en 1848, Droysen mit toutes ses espérances, comme ses collègues, dans Frédéric-Guillaume IV de Prusse, mais ce dernier déclina la couronne impériale et il fallut attendre encore une trentaine d’années pour que la politique de Bismarck aboutisse à la réalisation du rêve de l’historien : après d’âpres négociations qui, à Versailles, durèrent pendant plusieurs semaines à l’automne 1870, et dans la foulée d’une victoire militaire rapide et totale, les États allemands les plus récalcitrants, comme le Wurtemberg et la Bavière, cèdent à Bismarck et l’Empire allemand est proclamé le 18 janvier 1871 dans la Galerie des Glaces à l’occasion d’une cérémonie mi-féodale mi-militaire, au cours de laquelle des personnalités choisies – les princes et les hauts cadres de l’armée, mais aucun parlementaire – acclament Guillaume Ier comme Deutsche Kaiser48, réalisant ainsi le rêve du Premier ministre de Prusse49, mais guère celui de l’historien.

  • 50 J. G. Droysen, Histoire de l’Hellénisme, op. cit., p. 59.

27On comprend dans ces conditions que Droysen ait senti ses aspirations trahies. Aussi, lorsqu’en 1877 celui-ci rédige la nouvelle édition de l’Histoire d’Alexandre, même si le grand oeuvre est réalisé, la désillusion est-elle grande : l’unification allemande a abouti à une centralisation excessive de l’État et à une société soumise, militarisée et conservatrice ; dès lors, Alexandre n’est plus « le plus grand héros qu’ait connu l’humanité » ; on ne l’admire que parce que « sa vie héroïque est pleine de faits »50. Il en va de même pour le premier empereur du IIe Reich, Guillaume Ier, dont la vieillesse contraste avec la jeunesse et la fougue d’Alexandre, et de son Chancelier, une brute qui ne souffre pas la comparaison avec les généraux du Conquérant.

  • 51 V. Duruy, Histoire grecque, op. cit., p. 547.
  • 52 V. Duruy, Histoire de la Grèce ancienne, op. cit., II, chap. 29, p. 331.
  • 53 Victor Duruy, Notes et souvenirs, Paris, Hachette, 1901, I, p. 62-105. Le chapitre est intitulé « S (...)
  • 54 V. Duruy, Histoire des Grecs, op. cit., III, p. 277.

28Duruy, de son côté, propose un autre type de réécriture des entrées impériales dans les deux ouvrages qu’il consacre à l’Antiquité. Cette réécriture a d’ailleurs sa propre histoire : dans l’Histoire grecque (1851), Duruy, alors professeur au Lycée Saint-Louis, ne leur laisse que peu de place, puisque seule l’entrée d’Alexandre à Babylone est mentionnée ; elle occupe quatre lignes : « Du champ de bataille, il marcha sur Babylone. Les prêtres, les magistrats, les habitants sortirent à sa rencontre, les mains chargées d’offrandes. Il s’entretint avec les mages, sacrifia à Bel et releva son temple, ainsi que tous ceux que Xerxès avait détruits »51. On notera qu’à cette date – on est avant le coup d’État du 2 décembre –, Duruy associe l’entrée d’Alexandre à l’idée d’une marche militaire sur la ville, sommée de capituler. Onze ans plus tard, en 1862, lorsque la seconde édition paraît, le début de la phrase est modifié pour insister sur la spontanéité de l’accueil : « Quand il approcha de Babylone, les prêtres, les magistrats, etc. »52 Duruy, qui ne cessait de se plaindre de que sa carrière universitaire végétait53, était alors monté en grade : « conseiller technique » écouté de Napoléon III qui s’est lancé depuis 1859, dans la rédaction d’un ouvrage sur Jules César, il avait été nommé, sur recommandation spéciale de l’empereur, Inspecteur de l’Académie de Paris et Maître de Conférences à l’École normale en 1861 ; l’année suivante, il devenait Inspecteur général et obtenait la première chaire d’Histoire de l’Ecole polytechnique. La version de 1862 fut reprise sans changement en 1889 dans l’Histoire des Grecs54.

  • 55 V. Duruy, Notes et souvenirs, op. cit., I, p. 185.

29On remarquera au passage qu’en 1851, comme en 1862, Duruy associe l’entrée royale à un sacrifice, ce que ne faisait pas Droysen pour le même événement. Mais celui qui est ici mentionné, le sacrifice à Bel, n’apparaît pas dans notre documentation à l’occasion de l’entrée, mais plus tard, lors du séjour de trente jours qu’Alexandre effectua avec son armée dans la ville. L’amalgame entre plusieurs épisodes de la vie d’Alexandre associe donc en quelque sorte « le sabre et le goupillon », sans qu’on puisse estimer précisément ce que Duruy entendait suggérer par ce raccourci, même s’il est tentant d’opérer un rapprochement avec la propre pratique de l’historien devenu ministre, dans ses tournées provinciales : « Afin de voir les choses universitaires avec d’autres yeux, je rendais visite, dans toutes les villes de mon itinéraires, au préfet, au président et au procureur général de la cour impériale, à l’évêque, au maire et au conseiller général de la localité »55.

30Plus aisée est en revanche l’analyse des voyages impériaux dans l’Histoire des Romains. Duruy est alors plus libre au moment où il écrit les volumes concernant l’Empire, qui paraissent après la chute du second Empire ; il n’est alors plus le ministre de Napoléon III (qui est mort l’année précédente en 1873), obligé de louvoyer entre les pressions des cléricaux de l’entourage impérial, des idées réformatrices et laïques souvent mal perçues... ainsi qu’une ambition personnelle mal déguisée. Le sujet est également moins brûlant qu’en 1851, lorsque les tournées triomphales du Prince Président dans l’est en juillet ou en Normandie en septembre 1850 avaient entraîné le refus de l’Assemblée législative de voter les crédits de représentation du président (février 1851).

  • 56 V. Duruy, Histoire des Romains, op. cit., V, p. 253.
  • 57 Ibid., p. 249.
  • 58 Duruy suit une de ses sources, l’abbé Greppo, op. cit., qui notait, p. 12 : « Avec une telle manièr (...)

31L’évocation du grand tour néronien en Grèce et des multiples voyages d’Hadrien apparaît comme une réécriture des voyages napoléoniens dans les provinces françaises et comme l’occasion de montrer leur caractère utile pour les populations. Trajan a donné l’exemple : lorsqu’il voyage sur le Danube en 97, c’est pour « se rendre compte de la force des peuples qui en bordaient l’autre rive, et commencer peut-être les grands travaux qui furent exécutés de ce côté-là sous son règne »56, et en Dacie, « les deux légions laissées par Trajan [...] ouvrirent des routes mesurées au cordeau comme celles du reste de l’empire et, dans l’intérieur des cités, s’élevèrent des autels, des temples, des amphithéâtres dont quelques-uns datèrent des premiers jours de la conquête... »57. Ce dernier passage témoigne d’ailleurs d’une intéressante inversion : les constructions mentionnées sont celles que l’on effectuait à l’initiative des cités pour recevoir les empereurs ; or, ici, c’est Trajan qui semble en prendre l’initiative, Duruy masquant ainsi le coût pour les provinces des voyages impériaux58.

32Mais c’est le règne d’Hadrien qui fournit à l’historien la matière la plus importante à sa réflexion : selon lui, celui-ci

  • 59 V. Duruy, Histoire des Romains, op. cit., V, p. 317.

n’est, à vrai dire, qu’un long voyage à travers les provinces, dont il voulut connaître les besoins en les étudiant sur place, et les fonctionnaires en les voyant au milieu de leurs fonctions, afin d’éviter les erreurs, les oublis, les injustices que causait le voile épais de la cour et du monde officiel s’interposant, à Rome, entre l’empereur et l’Empire. Avec cette manière de vivre, il déjouait les intrigues qui ne pouvaient le suivre partout et, en même temps, il s’assurait de la fidélité des légions, qu’il visita tour à tour ; de sorte qu’il trouvait doublement son compte à bien faire son métier d’empereur59.

  • 60 Ibid., p. 327-330.
  • 61 Ibid., p. 335.
  • 62 Ibid., p. 344.

33Duruy n’a de cesse d’en multiplier les exemples. Évoquant des voyages aux frontières, il énumère les bienfaits de la politique d’Hadrien60 : en Bretagne, « ce fut sous les yeux mêmes du prince que les travaux du Valium Hadriani commencèrent »61 ; en atteignant le Rhin, « lorsqu’il entra dans Cologne, il put se rappeler que, vingt-trois années auparavant, il avait le premier apporté dans cette ville, à Trajan, la nouvelle de son adoption ; il connaissait donc aussi ces quartiers ; mais nous ignorons ce qu’il y fit. Son biographe parle seulement d’un roi adonné à un peuple germain, de réformes accomplies dans les camps, de travaux exécutés sur la frontière »62. Et Duruy d’ajouter : « Nous n’en demandons pas davantage... ».

34Dans le passage qu’il consacre aux multiples séjours du Prince à Athènes, l’historien est plus explicite encore :

  • 63 Ibid., p. 353-354.

Il y avait en Grèce un lieu qu’il préférait à la Grèce entière, la cite de Minerve, dont il voulait faire la capitale de la Hellade et de tout l’Orient hellénique. Les Athéniens se crurent revenus aux meilleurs jours de leur histoire, lorsqu’ils virent le maître du monde prendre l’habit grec et se faire leur concitoyen ; remplir sérieusement ses fonctions d’archonte et d’agonothète ; présider à leurs jeux, à leurs fêtes, demander son initiation à leurs mystères d’Éleusis, et placer sur le tombeau de Miltiade la statue qu’ils avaient oublié d’y mettre. À en croire Eusèbe en sa Chronique, ils lui auraient demandé une constitution qui conserva l’assemblée les tribunaux populaires, mais précisa les attributions du sénat comme juge des affaires contentieuses63.

35Duruy donne donc une autre signification aux entrées de Trajan et Hadrien dans les villes provinciales de l’Empire ou à Rome lorsqu’ils y étaient de retour, en fonction de l’identification qu’il suggère entre ces modèles de bons princes et l’Empereur que lui-même a servi. Comme les voyages officiels de Napoléon III, ceux de Trajan ou Hadrien ont un double but : prendre le pouls d’une population dont le prince se sent personnellement responsable et à laquelle il veut montrer qu’il s’occupe d’elle, combler de bienfaits ceux qui l’accueillent, en annonçant le financement de bâtiments publics, des dons ou des subventions, voire des mesures de réorganisation de l’administration dans le sens de l’intérêt du plus grand nombre. Dans ce contexte, le voyage officiel traduit l’engagement de l’empereur auprès de ses sujets. Il y a bien là une réécriture d’une cérémonie qui, au lieu de concentrer autour du souverain tout l’intérêt, comme c’était la règle dans l’Antiquité, inverse les rapports de force, l’empereur venant non plus s’assurer de la fidélité de ses troupes, mais plutôt témoigner de son intérêt pour elles. Ce renversement est flagrant lorsque Duruy compare l’attitude d’Hadrien à Smyrne à la politique de ses contemporains :

  • 64 Ibid., IV, p. 359.

Le grand gymnase de Smyrne fut construit à l’aide d’une souscription publique [lors de la visite d’Hadrien] qu’Hadrien provoqua ou soutint en donnant lui-même une très grosse somme, et nous avons encore la liste des souscripteurs. C’était déjà notre système d’encouragement aux œuvres d’utilité publique par une subvention de l’État64.

36Duruy donne ainsi la clef : les nombreux passages qu’il consacre aux empereurs antonins à l’occasion de leurs voyages préfigurent ceux de Napoléon III, ce dernier ayant, aux yeux de Duruy, adopté le même type de comportement dans ses déplacements : comme Prince-Président, lorsqu’il inaugurait une voie chemin de fer à Strasbourg en juillet 1850 ou posait, à Marseille la première pierre de la cathédrale, ainsi que du palais de la chambre de commerce en septembre 1852 ; comme empereur ensuite, lorsque, après avoir visité Bretagne et Normandie, il inaugura le port de Cherbourg en août 1858, ou à l’occasion du voyage d’août 1860 où il traversa la Savoie, le Dauphiné, la Provence et la Corse avant de rallier Alger. Napoléon III avait lui-même tracé le programme dans son célèbre discours de Bordeaux où il avait proclamé que « L’Empire, c’est la paix » :

  • 65 Louis-Napoléon Bonaparte, « Discours de Bordeaux » (9 octobre 1852), cité par Louis Girard, Napoléo (...)

Nous avons d’immenses territoires incultes à défricher, des routes à ouvrir, des ports à creuser, des rivières à rendre navigables, des canaux à terminer, notre réseau de chemin de fer à compléter. Nous avons, en face de Marseille, un vaste royaume à assimiler à la France. [...] Nous avons enfin partout des ruines à relever, de faux dieux à abattre, des vérités à faire triompher65.

37Cette identification va loin : elle insiste sur la modestie des princes, une modestie qui se communique à toute la famille impériale. Ainsi à propos de Trajan :

  • 66 V. Duruy, Histoire des Romains, op. cit., IV, p. 249-250.

À Rome, pour son arrivée, point de pompe ni d’appareil, seulement l’immense concours du peuple, contemplant avec un étonnement joyeux cet empereur qui faisait à pied sa première entrée dans sa capitale, ce soldat vieilli dans les camps et affable envers les citoyens, ce vaillant capitaine, à la taille haute, à l’air martial, qui témoignait de son respect pour le mérite civil et pour l’âge. L’impératrice Plotine, femme de mœurs sévères, ne voulait pas plus de cérémonial autour d’elle ; en montant les marches du palais, elle se retourna vers la foule pour dire : « Telle j’entre ici, telle j’en veux sortir » ; et elle tint parole66.

  • 67 L’impératrice Eugénie accompagnait Napoléon III lors de ses tournées provinciales, comme en 1860 en (...)

38L’évocation de l’entrée de l’Empereur dans sa ville, déshabillée de toute sa pompe, devient l’occasion ici d’un éloge du couple impérial, Plotine et Trajan, dans lesquels on reconnaîtra Eugénie et Napoléon III67. Ceux-ci se comportent en « simples particuliers » au milieu de leurs sujets : ainsi à Athènes,

  • 68 V. Duruy, Histoire des Romains, op. cit., IV, p. 334.

Hadrien vivait en riche particulier accessible à tous, discutant avec les artistes des plans d’édifice, avec les philosophes des questions de doctrine ; parfois il coupait ces plaisirs tranquilles par des exercices violents, fût-ce une chasse à courre ; et le soir venu, il célébrait en des vers grecs que nous avons encore, sa victoire périlleuse sur une ourse des montagnes de Thespies68.

  • 69 Voir, par exemple, la description et l’analyse du voyage du Prince-Président à Marseille, le 26 sep (...)

39Les voyages d’Hadrien et de Trajan, placés au service de la réhabilitation posthume de Napoléon III, ne comporteront plus d’entrées pour faire oublier les réceptions en grande pompe, les salves d’artilleries, les volées de cloches, les arcs triomphaux et les décors éphémères, les discours soumis des notables, mais aussi la soigneuse mise à l’écart de tous ceux qui auraient pu déranger une cérémonie organisée avec le plus grand soin par des préfets ou des partisans aux ordres69.

  • 70 V. Duruy, Histoire des Romains, op. cit., V, p. 82. On comparera le regard que porte Duruy sur les (...)
  • 71 V. Duruy, Histoire des Romains, op. cit., V, p. 84.

40Réécriture plus intéressée que naïve ; car face au modèle des empereurs antonins, Duruy campe le portrait du monstre, Néron, qui, à l’occasion de son grand tour de Grèce, se comporte de manière scandaleuse : ses voyages ne sont qu’une source de dépense, car « il ne se mit jamais en route avec moins de mille voitures »70 ; son cortège détonne : « l’armée qui le suit ne porte ni le pilum ni le bouclier ; la lyre y remplace l’épée, et les casques sont des masques de théâtre. C’est une armée de baladins qui accompagne son chef »71. Mais le plus frappant reste que la seule description longue d’entrée, fidèle à la retranscription des auteurs anciens et en grande partie au cérémonial en vigueur, concerne précisément le monstre, à son retour de Grèce :

  • 72 Ibid., p. 85-86.

Il entra dans Naples, théâtre de ses débuts, sur un char traîné par des chevaux blancs, et, selon le privilège des anciens vainqueurs aux jeux sacrés, par une brèche faite dans la muraille. Il en fut de même à Antium, à Albanum, à Rome. Les Romains le virent arriver sur le char qui avait servi au triomphe d’Auguste, avec une robe de pourpre, une chlamyde parsemée d’étoiles d’or, la couronne olympique sur la tête, et dans la main droite, celle des jeux Pythiens. Les autres étaient pompeusement portées devant lui, avec des inscriptions qui disaient « où il les avait gagnées, contre qui, dans quelles pièces, dans quels rôles ». Derrière le char se pressaient les applaudissements à gages, criant, comme des ovations « qu’ils étaient les compagnons de sa gloire et les soldats de son triomphe ». On démolit ensuite une arcade du grand Cirque, et il se dirigea, par le Velabrum et le Forum, vers le mont Palatin et le temple d’Apollon. Partout sur son passage on immolait des victimes, on parsemait les rues de poudre de safran, on jetait des oiseaux, des rubans, des gâteaux. Il suspendit les couronnes sacrées dans ses chambres à coucher, autour des lits, remplit ses appartements de statues qui le représentaient en musicien, et fit frapper une médaille où il portait ce costume72.

  • 73 Suétone, Néron, 25.

41Ce passage, qui, le plus souvent, reprend Suétone presque mot pour mot73, reproduit, avec tous leurs excès, les entrées antiques. Toutes les autres entrées impériales sont réécrites, vidées de leur substance principale, au profit d’un idéal qui ne fut jamais réalité dans l’Antiquité, de façon à donner à la pratique napoléonienne une légitimité antique que Duruy puise auprès des modèles reconnus de l’époque, modèles dont la moindre aspérité est gommée, hier comme aujourd’hui.

42L’histoire au XIXe siècle est restée comme dans l’Antiquité un genre politique ; rien d’étonnant dans ce contexte que l’évocation d’un moment important et attendu de la vie des empires passés serve de prétexte à l’évocation de pratiques contemporaines qui en dérivaient et qui, sans conteste, en revendiquaient l’héritage. L’embarras dont témoignent les historiens français et allemands de la fin du XIXe siècle pour rendre compte des entrées impériales antiques, ainsi que les exercices de réécriture auxquels ils se sont livrés, sonnent quelque peu comme un aveu d’échec de la tentative impériale du XIXe siècle pour ressusciter une cérémonie qui, morte depuis longtemps, ne pouvait trouver refuge que dans la littérature.

43Lorsqu’à partir de 1890, après Napoléon III, Guillaume II, petit-fils du fondateur du nouveau Reich, joue à l’empereur romain, lorsqu’il instaure un culte à sa personne, célébré à la date de son anniversaire, se rend dans les divers États qui composent son empire pour prendre des bains de foule, son modèle est certes romain, mais Mommsen, historien de Rome, préfère se taire alors que ses contemporains attendent de nouveaux Brutus.

Notes

1 Sur l’apantèsis hellénistique, voir Louis Robert, « Documents pergaméniens. Le décret de Pergame », BCH, 108, 1984, p. 472-489 (= Documents d’Asie Mineure, Paris, 1987, n° 32.1, p. 460-477), et « Retour à Pergame. Le décret de Pergame pour Attale III », BCH, 109, 1985, p. 468-481 (= Documents d’Asie Mineure, Paris, 1987, n° 35.1, p. 522-535), sp. p. 469-471) ; pour l’aduentus romain, on se reportera à Andreas Alföldi, Die monarchische Repräsentation im römischen Kaiserreiche, Darmstadt, 1970, réunion en un volume de deux articles parus dans MDAI(R), 49, 1934 et 50, 1935, et pour l’Antiquité tardive, à Sabine G. MacCormack, Art and Ceremony in Late Antiquity, University of California Press, Berkeley-Los Angeles-Londres, 1981, p. 17-89. On trouvera une présentation d’ensemble des travaux anciens et contemporains sur les entrées royales et impériales antiques dans Agnès Bérenger-Badel et Eric Perrin-Saminadayar (dir.), Les entrées royales et impériales : histoire, représentations et diffusion d’une cérémonie publique de l’Orient ancien à Byzance (à paraître).

2 Entrée d’Attale III à Pergame : l’inscription, découverte en 1871 (1re édition : H. Gelzer, ADAW, 1872, p. 68, complétée en 1880 dans Μουσεῖον καὶ βιβλιοθηκὴ τῆς Εὐαγγελικῆς Σχόλης, III, 1880 p. 140-143, n° 186), a été reprise dans le grand recueil de Max Fraenkel, Die Inschriften von Pergamon, 1, 1890, p. 153, n° 46). Entrée d’Antonia Tryphaina et de ses fils à Cyzique : l’inscription, trouvée en 1872, est publiée par E. Curtius dans le Monatshericht de l’Académie de Berlin de 1874, p. 16, puis immédiatement reprise et commentée dans toute une série de publications savantes, notamment en France par Salomon Reinach dans le BCH, 6, 1882, p. 612-616 (Syll.3, 768).

3 J.-G. Honoré Greppo, Mémoire sur les voyages de l’empereur Hadrien et sur les médailles qui s’y rapportent, Paris, 1842.

4 Sur ce contexte scientifique, voir Alain Schnapp, La conquête du passé. Aux origines de l’archéologie, Paris, éditions Carré, 1993, (rééd. Poche, 1998) p. 275-276, et Ève Gran-Aymerich, Naissance de l’archéologie moderne, 1798-1945, Paris, éditions du CNRS, 1998.

5 De manière significative, la postérité s’est davantage intéressée à l’œuvre du ministre qu’à celle de l’historien. En témoignent, déjà au XIXe siècle, le livre d’Ernest Lavisse, Un ministre. Victor Duruy, Armand Colin, Paris, 1895, ainsi que celui, plus récent, de Jean Rohr, Victor Duruy, ministre de Napoléon III. Essai sur la politique de l’instruction publique au temps de l’Empire libéral, Paris, Pichon et Durand-Auzias, 1967.

6 Voir infra.

7 Mommsen siège avec le Deutsche Vortschritt Partei jusqu’en 1867 ; il rejoint en 1873 les rangs des nationaux-libéraux, qu’il abandonne pour les Linksliheralen en 1881. C’est l’opposition à Bismarck et à sa politique qui précipite cette évolution.

8 Après avoir été reçu en grande pompe par Napoléon III aux Tuileries, Mommsen fut exclu de toutes les sociétés savantes françaises qui l’avaient pourtant auparavant accueilli : ainsi la Société Nationale des Antiquaires de France l’expulsa-t-elle de ses rangs en 1871, et Mommsen dut attendre 1895 pour rejoindre la compagnie des Académiciens de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Sur la querelle qui opposa Mommsen à Fustel de Coulanges, on se reportera avec profit aux belles pages de François Hartog, Le XIXe siècle et l’histoire. Le cas Fustel de Coulanges, 2e éd., Paris, Points Seuil, 2001 (1re éd., 1988), p. 54-102 et p. 397-415.

9 La première édition de l’ Histoire d’Alexandre de Droysen paraît à Berlin chez Finke en 1833-1834 (tr. Fr. de Jacques Benoist-Méchin, Paris, Grasset, 1935) ; elle est suivie des deux volumes de l’ Histoire de l’Hellénisme, parus à Gotha en 1836 et 1843. Une seconde édition, entièrement refondue et réunissant les trois volumes, voit le jour en 1877-1878, puis une troisième en 1880 [c’est cette édition qui est traduite en français à l’initiative de Bouché-Leclercq en 1881 ; elle a été reprise en 2003 dans la collection Bouquins chez Robert Laffont sous le titre Histoire de l’Hellénisme, que nous utilisons ici, sauf mention contraire]. La Römische Geschichte de Mommsen commence à paraître en 1854 (tr. fr. par C.A. Alexandre de 1863 à 1872), mais elle s’arrête à la bataille de Thapsus ; le tome V, consacré à l’Empire ne voit le jour qu’en 1885 après vingt-cinq années d’interruption (tr. fr. R. Cagnat et J. Toutain, 1887-1889) [Cette édition a également été reproduite, en deux tomes, dans la collection Bouquins en 1985, avec une excellente introduction de Claude Nicolet, présentant l’auteur, l’œuvre ainsi que sa réception ; c’est à cette édition que nous renvoyons ici.] Pour Fustel, nous avons utilisé la 7e édition, revue et corrigée par l’auteur, de La cité antique (1879 ; 1re éd., 1864), et pour Duruy, nous avons retenu, sauf indication contraire, l’Histoire des Grecs, parue chez Hachette entre 1887 et 1889, ainsi que la dernière version de l’Histoire des Romains, depuis les temps les plus reculés jusqu’à la fin du règne des Antonins, Paris, Hachette, dont les volumes 4 (1874) et 5 (1876) traitent des deux siècles du Haut-Empire (la première version date de 1847).

10 Th. Mommsen, Histoire Romaine, op. cit., VI, « Avant-propos », p. 503.

11 Ibid., chap. 11, p. 881-882.

12 Ibid., chap. 7, p. 672-673 : « Hadrien créa une nouvelle Hellas, comme il avait fondé une nouvelle Athènes. Sous son règne, les députés de toutes les villes autonomes ou non autonomes de la province d’Achaïe purent s’assembler à Athènes, comme représentants de la Grèce réunie, comme Panhellènes. L’unité nationale, souvent rêvée dans les temps meilleurs, et qu’on n’avait jamais pu réaliser, fut ainsi créée ». Voir aussi ibid., p. 680-681 : « Les bienfaits de l’institution alimentaire, dont l’Italie jouissait depuis Trajan, furent introduits à Athènes par Hadrien, qui donna certainement aux Athéniens, sur sa propre cassette, le capital nécessaire. Un aqueduc, dédié par le même empereur à sa chère Athènes, fut achevé après sa mort par Antonin. [...] L’empereur Hadrien [...] bâtit sur l’Ilissus une ville complètement neuve (novae Athenae) ; après avoir fait élever un grand nombre de palais, parmi lesquels nous avons déjà cité le Panhellenion, il termina magnifiquement le temple colossal de l’Olympeion, cette merveille du monde, commencé sept siècles avant par Pisistrate [...] ».

13 Ibid., p. 670.

14 Ibid., p. 691. La phrase consacrée au percement de l’isthme constitue le seul passage où Mommsen, subrepticement, précise la présence de Néron en Grèce : « Néron donna même, pendant son séjour, le premier coup de pioche au canal [...] » (je souligne). Pouvait-il en être autrement ?

15 Ibid., VI, chap. 11, p. 876.

16 À peine rencontre-t-on quelques lignes sur la cérémonie du triomphe, surtout évoquée pour montrer que « la religion intervenait dans tous les actes » (III, 7, 4).

17 Fustel de Coulanges, Histoire des institutions politiques de l’ancienne France, Paris, Hachette, 18913 (édition posthume réunie et complétée par Camille Jullian ; 1re édition, 1874), p. 46.

18 J.G. Droysen, Histoire de l’Hellénisme, op. cit., p. 113.

19 Sur l’entrée d’Alexandre à Sardes, voir Pierre Briant, « Alexandre à Sardes », dans Jesper Carlsen et al, (dir.), Alexander the Great. Reality and Myth, Rome, L’Erma di Bretschneider, 1993, p. 13-27.

20 Ibid., p. 195. Voir infra, p. 131-132.

21 Ibid., p. 198.

22 Ibid., p. 203.

23 Ibid., p. 170 : « Lorsque le roi approcha de Jérusalem, disent les traditions juives, le grand prêtre, avec les prêtres et une grande foule de peuple en habits de fête, vint à sa rencontre et le salua comme celui que leurs livres sacrés annonçaient et qui devait détruire la puissance des Perses. Le roi se montra plein de bienveillance pour eux, leur laissa leur loi et leur garantit l’exemption d’impôt une année sur sept ; puis, sur l’invitation du grand prêtre, il apporta aussi dans le temple de Jéhovah une offrande solennelle. On raconte encore plusieurs autres choses contradictoires ». Le passage est une traduction libre de Flavius Josèphe, Antiquités juives, 11, 8, 2-7 (« les traditions juives »).

24 V. Duruy, Histoire des Grecs, op. cit., III, p. 277 (reprend son Histoire de la Grèce ancienne, Paris, Hachette, 1862, II, p. 331, légère variante de l’Histoire grecque, Paris, Hachette, 1851, p. 547. Sur toutes ces variantes, voir infra, p. xx).

25 V. Duruy, Histoire des Romains, op. cit., IV, chap. 48 (Néron), 53 (Trajan) et 54 (Hadrien).

26 Ibid., V, p. 224.

27 Ibid., IV, p. 376.

28 François Lenormant, dans Charles Daremberg et Edmond Saglio (dir.), Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines d’après les textes et les monuments, Paris, Hachette, 1877, I, 1, p. 88.

29 Richard Ganschinietz, dans Paulys Real-Encyclopâdie der Classischen Altertumwissenschaft, Supplementband III, 1918, col. 22.

30 Ainsi V. Duruy, Histoire des Romains, op. cit., IV, p. 373, n. 2, mentionne-t-il une monnaie de bronze frappée à Alexandrie « commémorative du voyage d’Hadrien », « représen[ant] la ville d’Alexandrie allant au devant de l’empereur monté sur un quadrige ». L’historien prouve ainsi qu’il connaissait bien les travaux de l’abbé Greppo, op. cit.

31 Mommsen a publié dès 1860 une Histoire de la monnaie romaine (Römisches Munzwesen), qui fit autorité.

32 Duruy fut également élu à l’Académie des Sciences morales et politiques en 1879, puis à l’Académie française en 1884.

33 Voir les trois articles-lettres ouvertes connus sous le titre « Aux Italiens » et parus dans La Perseveranza et II Secolo en août 1870.

34 Sur les idées et l’action politiques de Mommsen, voir Alfred Heuss, Theodor Mommsen und das 19. Jahrhundert, Kiel, 1956.

35 Th. Mommsen, Histoire romaine, op. cit., « Avant-Propos », p. 503. Dans l’introduction qui suit, Mommsen revendique d’avoir « négligé ces peintures d’empereur aux couleurs tantôt criardes, tantôt pâles, et trop souvent altérées » (Ibid., p. 507).

36 Mommsen renonce a son mandat au Reichstag en 1884. Voir aussi Cl. Nicolet, « Préface » de l’édition Bouquins, op. cit., p. 40.

37 Th. Mommsen, Histoire romaine, op. cit., VI, chap. 7, p. 691. Les travaux reprirent effectivement en 1883.

38 Ibid., p. 673.

39 Ibid., VI, chap. 11, p. 876.

40 Ainsi déjà le traducteur français de Mommsen, Charles Alexandre, dans sa préface du livre V (1871).

41 C’est la thèse de la fin de La cité antique.

42 Fustel devait pourtant une grande partie de sa carrière au second Empire, à commencer par sa nomination à la faculté des Lettres de Strasbourg en octobre 1860 ; même après sa révocation du Ministère de l’Instruction publique, Duruy continua à œuvrer pour le transfert de Fustel de Coulanges à Paris comme suppléant de Geffroy à l’Ecole normale (février 1870) ; il lui ouvrit même les portes de l’Impératrice, à laquelle il donna, à partir de juin 1870, des leçons d’histoire, interrompues par la guerre.

43 Sur ce glissement, F. Hartog, Le XIXe siècle et l’histoire, op. cit., p. 86-93.

44 J. G. Droysen, Histoire de l’Hellénisme, op. cit., p. 113.

45 Ibid., p. 195.

46 Ibid., p. 198 et p. 203. Voir supra, p. xx.

47 J. G. Droysen, Histoire d’Alexandre, op. cit., p. 71 (édition de 1836).

48 L’événement a été immortalisé par deux œuvres d’Anton von Werner : la plus connue (1885) est le tableau du Musée Bismarck de Friedrichsruh, tableau qui met davantage en scène le Chancelier, en blanc au centre de la toile, que le souverain. Mais Werner avait déjà travaillé sur le même sujet, puisqu’il avait offert un lavis à l’empereur à l’occasion de son 80e anniversaire en 1877 : Bismarck est alors presque anonyme au milieu des autres personnages, qui sont tous sur un plan d’égalité face à l’empereur.

49 « On ne fait pas un empereur. La vraie couronne de l’Empereur sera gagnée sur le champ de bataille » (cité par François Roth, L’Allemagne de 1815 à 1918, Paris, Armand Colin, p. 62).

50 J. G. Droysen, Histoire de l’Hellénisme, op. cit., p. 59.

51 V. Duruy, Histoire grecque, op. cit., p. 547.

52 V. Duruy, Histoire de la Grèce ancienne, op. cit., II, chap. 29, p. 331.

53 Victor Duruy, Notes et souvenirs, Paris, Hachette, 1901, I, p. 62-105. Le chapitre est intitulé « Sévérités ministérielles ». Sous Louis-Philippe, le Conseil de l’Université lui avait refusé le rectorat d’Alger, et en 1849, Falloux avait encore rejeté sa candidature à une Maîtrise de Conférences à l’École normale. Duruy attribue ces échecs à son incapacité à flatter !

54 V. Duruy, Histoire des Grecs, op. cit., III, p. 277.

55 V. Duruy, Notes et souvenirs, op. cit., I, p. 185.

56 V. Duruy, Histoire des Romains, op. cit., V, p. 253.

57 Ibid., p. 249.

58 Duruy suit une de ses sources, l’abbé Greppo, op. cit., qui notait, p. 12 : « Avec une telle manière de faire, Hadrien pouvait répéter et prolonger ses visites par tout l’empire, sans avoir à craindre d’être à charge aux provinces, ou aux finances publiques ».

59 V. Duruy, Histoire des Romains, op. cit., V, p. 317.

60 Ibid., p. 327-330.

61 Ibid., p. 335.

62 Ibid., p. 344.

63 Ibid., p. 353-354.

64 Ibid., IV, p. 359.

65 Louis-Napoléon Bonaparte, « Discours de Bordeaux » (9 octobre 1852), cité par Louis Girard, Napoléon III, Paris, Fayard, 1986, p. 182. À la suite de ce discours, à son retour à Paris, le 16 octobre, le Prince-Président bénéficia d’un accueil digne d’un empereur romain : « Les grands corps de l’État l’attendaient au débarcadère du chemin de fer d’Orléans. Le prince embrassa Napoléon-Jérôme et Morny. deux réconciliations. puis gagna les Tuileries par les boulevards. L’accueil de Paris avait été minutieusement préparé. Comme en province, des arcs de triomphe célébraient Napoléon III, qui n’avaient pas été préparés sans conseil. Tous les ouvriers de la ville étaient mobilisés, portant bannières et drapeaux. Les dames des Halles et marchés avaient été pareillement réquisitionnées. Après cette entrée triomphale, les cris de Vive l’Empereur ! au Français ou à l’Opéra lorsque le prince entrait dans sa loge apparaissaient comme des épisodes mineurs » (ibid., p. 182-183).

66 V. Duruy, Histoire des Romains, op. cit., IV, p. 249-250.

67 L’impératrice Eugénie accompagnait Napoléon III lors de ses tournées provinciales, comme en 1860 en Savoie et en Provence.

68 V. Duruy, Histoire des Romains, op. cit., IV, p. 334.

69 Voir, par exemple, la description et l’analyse du voyage du Prince-Président à Marseille, le 26 septembre 1852 dans Maurice Agulhon, 1848 ou l’apprentissage de la République, Paris, Seuil, 1973, p. 220- 221.

70 V. Duruy, Histoire des Romains, op. cit., V, p. 82. On comparera le regard que porte Duruy sur les dépenses engagées par Néron avec les remarques de l’abbé Greppo, qui, soulignant la modestie de l’équipage d’Hadrien, essayait d’en faire un modèle pour ses contemporains : « Son train dans ses voyages devait être fort modeste, et bien différent de celui des rois qui ne parcourent leurs provinces que pour se faire voir, et recueillir les hommages d’une trompeuse adulation. [...] Et l’on doit reconnaître que, si les princes modernes savaient compenser les frais nécessaires de semblables visites par quelque réduction du luxe qui les entoure dans leurs capitales, ils pourraient faire plus mal, pour leurs intérêts bien entendus et pour ceux de leurs peuples, que d’imiter un tel exemple [celui d’Hadrien] » (abbé Greppo, op. cit., p. 11-19).

71 V. Duruy, Histoire des Romains, op. cit., V, p. 84.

72 Ibid., p. 85-86.

73 Suétone, Néron, 25.

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