CHAPITRE 11
Moine et laïc
p. 283-291
Texte intégral
1Bulteau note, à propos de l’histoire du portail occidental de Chartres : « Ne peut-on pas conjecturer que saint Bernard d’Abbeville ou de Tiron contribua aussi à l’érection de ce porche ? Il avait, dans son monastère de Tiron, plus de cinq cents religieux de tout art et de tout métier ; les sculpteurs et les imagiers surtout y abondaient1 […]. Il leur aura [!] fait sculpter les statues et les chapiteaux historiés qui ornent les trois baies. Le travail est si délicat, si fini que l’ardente piété [!] de moines-artistes a pu seule l’exécuter. C’est, sans doute [!], pour faciliter ce travail de sculpture que les moines de Tiron établirent, en 1117, une succursale à Chartres, dans une maison située près du Marché. »
2Si saint Bernard de Ponthieu avait pris une part aussi importante à la décoration de la cathédrale de Chartres, le nécrologe chartrain ne mentionnerait pas simplement : « Obiit Bernardus, abbas de Tyro, qui ejusdem loci ecclesiam a fundamento construxit, et multos ibidem monachos sub sanctitatis et religionis norma congregavit2. » Il indiquerait, ne fût-ce qu’en une ligne, que le saint comptait au nombre des bienfaiteurs de Notre-Dame. Nous savons d’ailleurs que c’est en grande part des mains des chanoines de Chartres que Bernard reçut le terrain où il fit construire son couvent3, et la vita du saint fait même remarquer : « Praedicti […] canonici […] illi […] ecclesiastica ornamenta contulerunt4. » Ce sont eux qui lui fournirent aussi les objets liturgiques dont il avait besoin ! En l’occurrence, le rapport était donc inverse, les moines de Tiron n’ont pas donné, mais reçu !
3Bulteau tente de faire valoir à l’appui de sa thèse l’extraordinaire finesse du travail5. Or, ce qui se laisse immédiatement déduire de la critique artistique de ces sculptures, ce n’est pas leur origine monastique, mais l’assujettissement inconditionnel des artistes à l’architecture. Si les maîtres d’œuvre qui ont dirigé ici l’un après l’autre les travaux de sculpture pour le portail, si le maître principal chartrain et le « Maître des deux Vierges » ne peuvent être simplement identifiés aux architectes qui travaillaient au même moment à la construction de la cathédrale, ils étaient en tout cas sous leur gouverne directe6. Comme nous l’avons vu, nous ne disposons d’aucun fondement permettant d’établir que les sculpteurs se distinguaient, en tant que caste fermée, de la masse des autres ouvriers. Mais selon toute apparence, la direction technique des chantiers était ici dans les mains d’architectes laïcs, car nous trouvons déjà dans la plus ancienne rédaction du nécrologe chartrain plusieurs artistes de la cathédrale mentionnés par leur nom7 : « Obiit Vitalis, artifex hujus sancte ecclesie, qui reliquit canonicis ejusdem ecclesie tres quadrantes vince, post decessum Ebrardi filii sui », « Obiit Berengarius, hujus matris ecclesie artifex bonus. » Y sont en outre inscrits plusieurs « carpentarii » et un orfèvre. Les tailleurs de pierre qui ont travaillé au clocher-vieux étaient des laïcs et non des moines8, les marques lapidaires suffisent à l’assurer9.
4À qui aurait-il pu échapper que ce sont les cathédrales, et non les couvents, qui sont les centres majeurs de cette grande école de sculpture !
5L’étude des origines et des racines de cet art indiquait en première ligne l’atelier de Saint-Trophime à Arles, c’est-à-dire la première église épiscopale du Midi de la France. Aux cathédrales de Chartres, du Mans, d’Angers, de Paris et de Bourges nous sont conservées d’importantes œuvres de cette école, toute une série d’autres ont manifestement été réalisées sous l’inspiration directe de Chartres ou en ont subi l’influence, et dans le Languedoc un courant artistique analogue se rattache à la cathédrale de Toulouse, et non à Saint-Sernin. Je ne veux pas prétendre ainsi qu’il existait une opposition entre cathédrale et église conventuelle10. Les maîtres de l’école vont et viennent entre les deux, ils travaillent aussi pour Saint-Denis, pour Saint-Germain-des-Prés à Paris, pour Saint-Bénigne à Dijon11, etc., mais personne ne nous fera croire que ce mouvement artistique est parti des couvents, car c’est Chartres elle-même, pour autant que nous puissions le voir, qui en fut le premier et le plus illustre centre.
6Sur les œuvres appartenant au sens strict à l’école chartraine, on ne peut identifier, à l’exception de celle de Rogerus, aucune signature. Ce phénomène est, en soi, plurivoque. Bulteau voudra l’expliquer par l’humilité monastique des artistes, tandis que nous n’y voyons qu’une preuve de l’épanouissement des sculpteurs sur les chantiers des cathédrales. Mais une des œuvres qui peuvent être attribuées au cercle élargi de l’école, le portail des apôtres du musée de Toulouse, est comme nous le savons signée par un des deux artistes. Et cette signature me paraît sans équivoque ! Gilabert, l’artiste qui apporte semble-t-il le style chartrain sur les bords de la Garonne et qui est certainement un représentant des mêmes idées artistiques et de la même orientation technique, se qualifie simplement de « vir non incertus », c’est-à-dire qu’il souligne seulement qu’il était un artiste célèbre12. Eût-il été moine ou même simple frère lai, il ne se serait certainement pas désigné de cette façon. Oui, n’eussions-nous rien que le « Gilbertus me fecit » de la statue de saint Thomas, nous n’hésiterions guère à qualifier Gilabert de laïc, car d’autres inscriptions nous apprennent que les moines avaient coutume d’ajouter un « frater » ou un « monachus » à leur nom. Le moine Martin, qui a réalisé la châsse en marbre pour les reliques de saint Lazare dans la cathédrale d’Autun13, n’a pas signé son œuvre avec moins de fierté que Gilabert, mais il mentionne son état de religieux : « Martinus monachus lapidum mirabili arte / Hoc opus exsculptit Stephano sub praesule magno », et les émailleurs limousins de cette époque ne se sont jamais fait faute de l’indiquer aussi14.
7Suger, qui parle souvent des artistes chevronnés qu’il avait fait venir de l’extérieur, ne nous a pas laissé un seul nom de moine versé dans les arts. Il ne parle absolument pas de la décoration sculptée des ébrasements des portes et des tympans. Ce qui l’intéresse bien plus, c’est l’art du peintre verrier ou de l’orfèvre, ce sont les œuvres que nous rangeons plutôt aujourd’hui dans la catégorie des arts appliqués. Comment pourrait-on admettre qu’au sein du couvent la sculpture sur pierre soit pratiquée et tenue en haute estime en tant qu’art autonome, alors qu’il apparaît ici plus clairement que jamais que ces créateurs sont mis sur un pied d’égalité avec les tailleurs de pierre, qu’ils se perdent dans leur masse : « Cementariorum, lathomorum, sculptorum et aliorum operariorum solers succedebat frequentia. »
8On a conjecturé que Suger a lui-même présidé, à titre de directeur technique, à la construction de l’église abbatiale, Anthyme Saint-Paul en particulier s’est exprimé dans ce sens15. En lisant les écrits de l’abbé, je n’ai pas eu l’impression que son activité soit allée beaucoup plus loin que ce qui était au Moyen Âge l’affaire des « directores » ou des « magistri fabricae16 », sa tâche essentielle étant de veiller à l’approvisionnement en matériaux et aux ressources financières, de faire venir les artistes, d’assurer le maintien d’un nombre suffisant d’ouvriers.
9Suger possédait certainement aussi une intelligence des choses techniques, et il aura dit son mot sur ces questions, mais il ne ressort pas de ses écrits qu’il était le maître d’œuvre, le « magister lapidum ». « En construisant la façade et les tours, de 1137-1140, Suger intervient dans les détails d’architecture et impose son goût personnel », note Anthyme Saint-Paul. Il est ensuite question de la mosaïque qu’il fait poser au-dessus de l’un des portails. Or, j’ai déjà fait remarquer qu’on ne peut pas vraiment dire que cette « intervention » soit heureuse.
10Je n’irai pas nier qu’une intelligence artistique développée resplendisse au reste en bien des endroits de sa chronique du chantier, oui, ce point ne me paraît pas encore avoir été suffisamment souligné, Suger possédait par exemple un sens prononcé de la poésie de l’espace, de la beauté des vastes et lumineux intérieurs. Combien n’est-il pas ravi de la chapelle Saint-Romain : « Qui locus quam secretalis, quam devotus, quam habilis divina celebrantibus, qui ibidem Deo deserviunt, ac si jam in parte dum sacrificant, eorum in coelis sit habitatio, cognorunt17. » Il parle de la « beauté de la longueur et de la largeur18 », il fait démolir un encastrement malvenu à l’intérieur de l’église19, « ne speciositas ecclesiae magnitudinis talibus fuscaretur regulis ». Et l’inscription de dédicace du chœur indique : « claret […] quod perfundit lux nova20 ». Quand il énonce en revanche de véritables jugements de valeur, il en appelle souvent à l’autorité des artistes : « peritissimi artifices testantur21 », lit-on par exemple à tel endroit, ou ailleurs ceci : « quod omnium aurificum judicio preciossimum aestimatur22 ». On pourrait dire qu’il se sent laïc en matière d’art. Il s’agit certes ici, dans les deux cas, d’ouvrages d’orfèvrerie, et cela ne dit encore rien de son rapport à l’architecture, mais on peut en tout cas affirmer que la cellule monastique était bien plus familière de l’art de saint Éloi que de la sculpture sur pierre dont Suger, comme je l’ai déjà dit, ne relève effectivement rien.
11Des moines de Saint-Denis, voici ce qu’il est dit dans le passage où il est question de la mise en route des travaux : « Ad augmentandum et amplificandum nobile manuque divina consecratum monasterium, virorum sapientium consilio, religiosorum multorum precibus ne Deo sanctisque Martyribus displiceret, adjutus, hoc ipsum incipere aggrediebar23. » On le voit, il n’y eut pas de participation directe au « procès du chœur ».
12Il ne fait cependant aucun doute que de nombreux artistes ont trouvé une place fixe au couvent en qualité de frères lais24, car nous rencontrons encore fréquemment des « fratres conversi » parmi les artistes de Saint-Denis aux xiiie et xive siècles25.
13Si nous considérons que, ainsi que je l’ai déjà exposé supra, cette puissante école de sculpture avait son centre le plus important attaché à une église cathédrale, que les artistes passaient d’une église à une autre, qu’ils exerçaient leur art comme un métier et selon des principes établis, que, là où apparaît un nom, il s’agit manifestement d’un artiste laïc, que non seulement le style de ces œuvres, mais aussi les sources historiques (Suger) nous prouvent que cet art a grandi sur le sol de l’artisanat des tailleurs de pierre et non dans la cellule monastique, nous pouvons sans doute conclure que l’élément laïc était absolument prépondérant. D’un style rigoureux, ces créations de l’art plastique médiéval sont l’œuvre d’un art laïc juvénile, qui a empoigné sa tâche avec toute la conséquence de la jeunesse. Elles marquent de fait un commencement et non une fin.
14Il me semble important de souligner encore une fois dans ce contexte que ce qui a été accompli en l’occurrence était en propre l’œuvre des artistes. « C’est à eux et à eux seuls que revient l’honneur d’avoir conduit l’art dans une voie nouvelle26. »
15On a mis à raison l’accent sur l’influence des religieux, sur l’importance des couvents pour l’art médiéval, mais on a tort de concéder au commanditaire la place qui est due à l’artiste.
16« Au Moyen Âge, aussi bien déjà à l’époque gothique qu’à l’époque romane », note Momméja27, « les maçons construisaient suivant des programmes, qui leur étaient imposés et dont ils ne s’écartaient pas28. Or, ce sont ces programmes avant tout qui ont déterminé les progrès de l’art monumental [!]. » Dans un autre passage, cette idée est énoncée de manière encore plus tranchée, on lit à propos des moines : « Eussent-ils élevé de leurs mains toutes les églises romanes de la France, que cette gloire pâlirait […] devant celle d’avoir conçu les programmes féconds qui révolutionnèrent l’architecture, et d’en avoir poursuivi opiniâtrement […] la réalisation au milieu des difficultés sans nombre. […] On peut […] affirmer que cet esprit national, cette verve, cette logique, cette sagesse, et ce haut goût auxquels nous devons l’art roman, l’art ogival et celui de la renaissance, dans ce qu’il a de vraiment français, ce sont avant tout les autres moines qui l’ont éveillé, alimenté, développé et lancé dans sa voie providentielle […]. On a tort de considérer les architectes comme les auteurs des styles : ils ne les ont pas plus créés que les grammairiens n’ont formé les langues [!]. »
17Avancer tout cela et, en même temps, constater que ce sont seulement les laïcs qui ont pu faire de l’architecture un métier, un gagne-pain, cela veut dire ne pas considérer ce que cela signifie, en art, que d’être en possession de la pratique artistique. Cela veut dire sous-estimer l’importance qu’a au Moyen Âge la formation de la technique artistique. Cela veut dire méconnaître les conditions et l’essence du progrès artistique, qui a consisté de tout temps en ce que l’artiste avance et innove de façon autonome, je veux dire qu’il s’approprie complètement les stimulations et les influences affluant vers lui pour les faire en retour rayonner au dehors.
18Le progrès que la sculpture de Chartres dessine par rapport aux œuvres du Sud de la France consiste-t-il vraiment en son programme, en ses motifs iconographiques ? Est-ce que ce n’est pas le même programme de décoration plastique qui se déploie à Saint-Gilles comme à Chartres, et est-ce que cela signifie quelque chose pour l’évolution de la sculpture en France que la succession des ancêtres du Christ ait pris ici la place du cycle des apôtres ?
19La chose originale, est-ce que ce n’était pas bien plutôt l’intégration de la sculpture dans un nouvel organisme architectonique, la refonte du style qui lui est concomitante, le rapport autonome de ces œuvres à la nature, leur supériorité technique ?
20Mais tout cela appartient aux artistes ! Et les éléments iconographiques aussi, c’est à partir de certains points de vue artistiques qu’ils les ont maîtrisés, je rappelle la composition des tympans latéraux de Chartres. S’apprêtant à créer le cycle de la généalogie du Christ qu’on leur avait commandé, ils ne prennent pas conseil auprès des religieux pour l’élaboration formelle de leurs figures, c’est de la main de la tradition artistique qu’ils reçoivent leurs motifs. Les rois chartrains viennent des apôtres d’Arles.
21Il va de soi que ces portails sont en même temps un éloquent témoignage du sens artistique actif des maîtres d’ouvrage et des fondateurs. Quand les beaux-arts auraient-ils pu se passer des mécènes, de leur sollicitude29 ? Mais est-ce que ce ne sont pas les artistes eux-mêmes, est-ce que ce n’est pas la prouesse artistique qui exerce aussi une influence décisive sur la régulation de la production artistique ? N’est-ce pas autant l’offre que la demande qui détermine, si je puis dire, les ventes artistiques ?
22Une œuvre créatrice ou ne serait-ce même que réussie acquiert, une fois installée devant tous les regards, une efficacité vivante, une puissance démonstrative. L’art éveille le sens de l’art. Au Moyen Âge, les « programmes » furent assez souvent des œuvres artistiques réalisées qui mettaient au défi d’en prendre la suite ou qu’il pouvait sembler séduisant de surpasser30. Chartres en est elle-même un exemple. Elle s’accompagne d’une couronne de satellites. Une composition comme celle du Mans et plusieurs autres n’auraient jamais vu le jour sans l’événement antérieur de Chartres. Et elle agit à l’horizon : se dressant comme un arc de triomphe au seuil de l’évolution et réalisant pour ainsi dire dans son premier élan enthousiaste les idéaux les plus lointains de celle-ci, cette resplendissante création détermine encore la conception des grandes compositions du xiiie siècle. J’ai exposé supra combien c’est le cas.
Notes de bas de page
1 La source non mentionnée par Bulteau est l’Orderici Vitalis Historia ecclesiastica, lib. VIII, chap. 27, voir l’édition de Le Prevost, vol. 3, Paris, 1845, p. 448 : « Illuc multitudo fidelium utriusque ordinis abunde confluxit, et praedictus pater omnes ad conversionem properantes, charitativo amplexu susceptit, et singulis artes, quas noverant, legitimas in monasterio exercere praecepti. Unde libenter convenerunt ad eum fabri, tam lignarii, quam ferrarii, sculptores et aurifabri, pictores et caementarii, vinitores et agricolae, multorumque officiorum artifices peritissimi. Sollicite, quod eis jussio senioris injungebat, operabantur, et communem conferebant ad utilitatem, quae lucrabantur. Sic ergo, ubi paulo ante in horribili saltu latrunculi solebant latitare, et incautos viatores incursu trucidare, adjuvante Deo, in brevi consurrexit monasterium nobile. » De la remarque finale, il résulte, à ce qu’il me semble, que ces artistes ne se sont pas réunis en premier lieu pour construire le monastère, car le « consurrexit » est sans doute à entendre littéralement. Il s’agit de maîtres qui apportaient leur art (« quas noverant ») et qui furent certainement admis comme frères lais, ce qu’indique le « quae lucrabantur ». Que de ce lieu, « ubi paulo ante in horribili saltu latrunculi solebant latitare », un si puissant élan artistique soit parti, c’est une hypothèse fantaisiste, et que sculpteurs et imagiers y aient été particulièrement nombreux, voilà une chose que je suis incapable de déduire du texte, où sont simplement énumérées les unes à la suite des autres les différentes catégories d’artistes et d’artisans.
2 Entrée du 25 avril.
3 Voir Merlet Lucien, Bibliothèque de l’école des chartes, 1854, p. 518-519.
4 Act. SS. Aprilis, vol. 2, p. 241.
5 Didron est aussi d’avis que les sculptures de Chartres ont été exécutées par des moines artistes (voir Annales archéologiques, vol. 11, p. 326, note 3).
6 « C’étaient des constructeurs qui maniaient le ciseau et qui n’ont pu s’arracher ici non plus à la règle de l’équerre », indiquait Schnaase à propos des maîtres chartrains, voir Geschichte der bildenden Künste, vol. 5 (seconde édition), p. 567, voir aussi p. 22, p. 24 et vol. 4, p. 261. – Il n’est pas douteux que souvent les architectes étaient en même temps sculpteurs. Voir, sur Eudes de Montreuil, Éméric-David, Histoire de la sculpture française, p. 107 ; sur Jehan Ravy, ibid., p. 53. Le Carnet de Villard de Honnecourt en porte aussi témoignage.
7 Entrées des 15 et 20 octobre.
8 Bulteau lui-même le souligne, op. cit., vol. 1, p. 85.
9 « Les laïques seuls ont pu faire de l’architecture un métier et un gagne-pain. » Voir Momméja Jules, Du rôle des moines dans l’architecture du moyen-âge. Analyse de la conférence faite par M. Anthyme Saint-Paul, Montauban, 1892.
10 Voir à ce propos les opportuns développements de Saint-Paul Anthyme, Viollet-le-Duc, ses travaux d’art et son système archéologique, Paris, 1881 (seconde édition), p. 240 et suiv., p. 272 et suiv., p. 286 et suiv. ; Momméja, op. cit., p. 15 et suiv. ; ainsi que La Prairie, « Observations sur le dictionnaire de l’architecture de M. Viollet-le-Duc », extrait du Bulletin de la société archéologique de Soissons, 1869.
11 On rappellera tout de même que c’est justement à Saint-Denis que nous avons pu observer les influences venues de Moissac.
12 Les signatures des sculpteurs français du Moyen Âge n’ont pas encore été recueillies. Les meilleures listes se trouvent dans les « Notes et observations » de J. du Seigneur qui sont annexées à l’édition établie par Lacroix de l’Histoire de la sculpture française d’Éméric-David, voir p. 290, p. 297-298. Mais ces remarques ne sont pas du tout complètes. J’y ajoute ce que j’ai sous la main : sur un autel en marbre orné de reliefs de Saint-Sernin à Toulouse, datant à peu près du début du xiie siècle, on lit l’inscription suivante : « In nomine [Domini] nostri Jesu hoc altare fecerunt constitui confratres beati martyris Saturnini in quo divinum celebretur officium ad salutem animarum suarum et omnium dei fidelium. Amen », etc. Et à la fin : « Bernardus Gelduinus me fecit. » Les « confratres » apparaissent ici, comme nous voyons, à titre de fondateurs, non en tant qu’artistes ! Bernardus Gelduinus est, aux côtés de Gilabert, le second maître connu jusqu’ici de l’école de Toulouse. Voir à ce sujet Caussé dans les Mémoires de la société archéologique du Midi de la France, vol. 10, p. 287 et suiv. – Sur le relief de saint Jude-Thadée à la façade de Saint-Gilles figure l’inscription : « Brunus me fecit » ; à côté à droite, sur celui de saint Barthélemy, on peut encore lire « […]e fecit ». Il ne fait aucun doute que cette statue est elle aussi de la main de Brunus. Mais Revoil se trompe quand il attribue également à ce même Brunus les quatre figures suivantes, j’y reviendrai. – Sur un relief de l’église de Saint-Pons (Hérault), on lit « Sol. Gillo me fecit », le « Sol » est un commentaire qui se rattache à une représentation du soleil, voir Renouvier dans le Bulletin du comité historique des arts et des monuments, vol. 1.2, Paris, 1840-1841, p. 193. – À Chauvigny (Vienne), on lit sur l’un de chapiteaux historiés du chœur : « Gofredus me fecit », voir Mérimée, Voyage dans l’ouest de la France, Paris, 1836, p. 426. – Sur un des chapiteaux de la nef de l’église abbatiale de Bernay, « me fecit Izembardus », voir De Caumont, Bulletin monumental, vol. 4, p. 150. – Au linteau d’un tympan conservé aujourd’hui au Musée archéologique de Nevers, provenant du portail sud de l’église Saint-Sauveur, est gravée l’inscription : « Porta poli pateat huc euntibus intus et extra. mavo », voir le Répertoire archéologique du département de la Nièvre par M. le comte de Soultrait, Paris, 1875, col. 169. – Sur le bord inférieur du tympan de l’église d’Autry-Issards près de Souvigny (département de l’Allier) figure l’inscription : « Cuncta deus feci homo factus cuncta refeci. Natalis me fe […] », voir le Bulletin du comité historique des arts et monuments, vol. 1, Paris, 1849, p. 93 et pl. 1. – Sur l’archivolte du portail principal de l’église Saint-Savin de Lavedan (Hautes-Pyrénées) : « Renold [Renoldus ?] me fecit », voir Lance, Dictionnaire des architectes français, vol. 2, p. 242. – Sur une colonne de l’église Saint-André-le-Bas de Vienne, dans le Dauphiné : « Willelmus Martini me fecit anno millesimo centesimo quinquagesimo secundo ab incarnatione Domini », voir Didron, Annales archéologiques, vol. 19, p. 292 et suiv. – À la façade de l’église Saint-Hilaire de Foussaye (Vendée) se trouve, au-dessous d’un relief de la descente de la Croix ornant le tympan latéral de gauche, l’inscription : « […]raudus [Giraudus ?] Audebertus de sancto Johanne Angeriaco me fecit », Audebert de Saint-Jean d’Angély, voir M. de Longuemar, « Notice descriptive sur le portail de Saint-Hilaire de Foussaye », Mémoires de la société des antiquaires de l’ouest, 1853, p. 63 et suiv. – Il résulte de ces inscriptions que les sculpteurs de l’époque romane étaient très souvent des laïcs. Cela ne fait aucun doute pour Constantinus de Jarnac, mentionné par du Seigneur – un moine aurait donné son nom au couvent ! –, pour Guillaume, fils de Martin, pour Bernardus Gelduinus, qui est opposé en sa qualité d’artiste aux « confratres », pour Audebert de Saint-Jean d’Angély, pour Gilabert. Je ne suis pas le seul à être de cet avis, je renvoie par exemple à Saint-Paul Anthyme, Viollet-le-Duc, ses travaux d’art et son système archéoloqique, Paris, 1881 (seconde édition), p. 247, note 1. – Une inscription anonyme se trouve sur un chapiteau de l’église de Châtillon-sur-Indre : « Petrus janitor, capitellum istud fecit primum », voir Palustre dans le Bulletin de la société nationale des antiquaires de France, 1885, p. 121. – Sur l’inscription au tympan du portail nord de l’église de Saint-Martin-d’Ardentes (Indre), je ne puis que rapporter ce qu’en dit Doinet : « Quatre hexamètres latins invitent chacun de ceux qui entrent dans le temple à donner de justes éloges à cette œuvre d’Ernaud, l’auteur inconnu de la sculpture […]. »
13 De nombreux restes de cette œuvre extrêmement intéressante réalisée en marbre polychrome se trouvent au Musée archéologique d’Autun. L’inscription est une copie, l’original n’est que partiellement conservé, voir « Épigraphie autunoise, par Harold de Fontenay », Mémoires de la société éduenne, nouvelle série, vol. 7, p. 207, no 3.
14 « Frater Willelmus me fecit », « Frater Guinamundus me fecit », « Frater Reginaldus me fecit », « Frater P. de Montval me fecit », voir Archives de l’art français, vol. 2, Paris, 1853-1855, p. 376.
15 Op. cit., p. 251 et suiv. Au reste, il dit lui-même que son opinion n’est qu’une hypothèse très probable, voir aussi p. 299 ; ainsi que Momméja, op. cit., p. 15 et suiv., je n’ai malheureusement pas pu me procurer l’ouvrage de Saint-Paul Anthyme, Suger, l’église Saint-Denis et Saint-Bernard, Paris, 1890, auquel Momméja fait ici référence.
16 Julius von Schlosser explique qu’on peut admettre que ces charges existaient déjà au début du Moyen Âge, qu’une distinction se laisse établir dès cette époque entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre. Il renvoie par exemple à la description de la construction de l’église du couvent de Remiremont, dans les Vosges, au ixe siècle. « Apparaît à titre de chef du chantier (operum praefectus…) le “procureur du couvent” Théodoric, à titre de véritable maître d’œuvre un certain Geimmo. » Voir Beiträge zur Kunstgeschichte aus den Schriftquellen, etc., Vienne, Sitzungsberichte der kaiserlichen Akademie der Wissenschaften, Phil. hist. Kl., 1891, p. 25 et suiv.
17 Voir Liber, chap. 26. Voir à ce sujet le Libellus, chap. 4 : « Pulcherrimum et angelica mansione dignum superius oratorium. »
18 Libellus, chap. 4 : « Longitudinis et latitudinis pulchritudine. »
19 « Impedimentum quoddam, quo medium ecclesiae muro tenebroso secabatur », Liber, chap. 3.
20 Ibid., chap. 28.
21 Ibid., chap. 33.
22 Ibid., chap. 34.
23 Voir à ce propos le passage du Liber, chap. 28 : « Deo cooperante et nos et nostra prosperante, cum fratribus et conversis nostris tam sanctum, tam gloriosum […] opus ad bonum perduci finem misericorditer obtinere meruimus. »
24 Voir aussi De Verneilh, dans les Annales archéologiques de Didron, vol. 23, p. 115.
25 « Extrait des livres de dépense de l’abbaye de Saint-Denis », Ayzac Félicie d’, Histoire de l’abbaye de Saint-Denis en France, vol. 2, p. 520 et suiv. Voir p. 211 et suiv.
26 Comme le dit De Verneilh à propos des artistes du xiiie siècle, Bulletin monumental, vol. 35, p. 597.
27 Op. cit. Je regroupe les passages qui nous intéressent de telle sorte qu’ils s’enchaînent à peu près.
28 Dans le Carnet de Villard de Honnecourt (publié par Lassus, Paris, 1858, pl. 28) figure cette explication d’un plan : « Istud presbiterium invenerunt Ulardus de Hunecort et Petrus de Corbeia inter se disputando. » Je ne comprends pas comment Momméja peut citer comme garant de ses vues Viollet-le-Duc qui était d’un avis tout à fait contraire, qu’il suffise de citer D. A., vol. 8, p. 232-233, où l’on lit notamment : « Cet état social des artistes laïques à la fin du xiie siècle, connu, nous démontre comment ces corporations devaient nécessairement agir dans une sphère absolument libre ; car, à moins de supprimer la corporation, comment lui imposer un goût, des méthodes ? Force était d’accepter ce qu’elle voulait faire, de suivre le style, les procédés qu’il lui plaisait d’adopter […]. »
29 Momméja, ibid., p. 13, fait remarquer : « Les abbés de la période romane arrivèrent à une manière de dilettantisme : ils s’éprirent de l’architecture en tant qu’architecture. » « Les abbés allèrent si loin dans cette voie, que tout en ne négligeant rien de ce qui avait trait aux besoins de la liturgie, ils devinrent les esclaves de l’art auquel ils s’étaient voués, sacrifiant à la symétrie ou à l’harmonie les commodités matérielles, lorsque l’accord des unes et des autres était impossible […]. » Une pertinente illustration de ces remarques nous est fournie par la chronique des travaux entrepris par l’abbé Simon de Saint-Bertin (seconde moitié du xiie siècle), où il est dit à propos de son « cenaculum » : « estimatis […] expensis, plus continens pulchritudinis quam utilitatis. »
30 Voir par exemple à ce sujet Neuwirth, Geschichte der bildenden Kunst in Böhmen, vol. 1, p. 231. Dans la célèbre chronique sur la construction de la nouvelle cathédrale d’Auxerre, on lit : « Videns itaque episcopus ecclesiam suam Antissiodorensem structurae antiquae minusque compositae, squalore ac senio laborare, aliis circumquaque capita sua extollentibus mira specie venustatis, eam disposuit nova structura et studioso peritorum in arte cementaria artificio decorare, ne caeteris specie studiove penitus impar esset […]. » Voir Saint-Paul Anthyme, op. cit., p. 323.

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