Six Éléphants
p. 57-82
Texte intégral
Personnages
1Éléphant noir
Femelle Éléphant blanche
Éléphant rouge
Femelle Éléphant verte
Éléphant bleu
Femelle Éléphant jaune
1er Policier
2d Policier
Serveur
Client
Première partie
2Nous nous trouvons au cœur du GRAND PARC des ENFANTS. Un grand panneau loufoque avec cette inscription pend au ciel. Paysage tropical, exubérant, peuplé de sons énigmatiques et inconnus : caquètements, croassements, roucoulements, grognements, hurlements, gémissements, mugissements, hennissements, roucoulades, bêlements, roulades, aboiements, braiments, braillements… Pendant quelques instants, la scène demeure déserte. On n’entend que les cris du parc qui forment un vacarme babylonien. Au bout d’un moment, nous entendons monter au loin un petit air de fanfare harmonieusement exécuté : c’est le défilé des éléphants, principale attraction du parc. De temps à autre, on les entend barrir. Soudain, un fracas de débandade se produit, des barrissements agonisants, des collisions de trompes et, conséquemment, des hurlements de la foule qui assiste interdite au défilé. Puis, des sirènes de police. Un haut-parleur se fait entendre, machinal.
3HAUT-parleur. — Votre attention s’il vous plaît !… Respectable public… Nous vous prions de garder votre sang-froid… Il n’y a pas de raisons de s’alarmer… La situation est totalement sous contrôle… Restez à vos places… Surtout ne cédez pas à la panique… Les forces de sécurité sont en train de rétablir l’ordre… Nous répétons : six éléphants se sont enfuis pendant le défilé : Sauve qui peut ! La situation est sous contrôle… Gardez votre calme… Ne bougez pas de vos sièges… Votre attention… Distingué public… Sauve-toi, les voilà !… Ne cédez pas à la panique… L’ordre est en train d’être rétabli… Maman !…
4La communication est brusquement interrompue. Après une courte pause, l’ÉLÉPHANT NOIR, la FEMELLE ÉLÉPHANT BLANCHE, l’ÉLÉPHANT ROUGE, la FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE, l’ÉLÉPHANT BLEU et la FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE font leur apparition en courant côté jardin. Ils s’arrêtent et regardent autour d’eux. Ils barrissent. L’ÉLÉPHANT NOIR part en courant côté cour, et tous le suivent.
5Ensuite, le 1er POLICIER et le 2 d POLICIER font leur entrée côté jardin. Ils s’arrêtent et regardent tout autour. On entend des barrissements lointains, et ils sortent côté cour. Pause. L’ÉLÉPHANT NOIR et la FEMELLE ÉLÉPHANT BLANCHE réapparaissent en courant côté jardin.
6FEMELLE ÉLÉPHANT BLANCHE. — Astolphe ! Astolphe !
7ÉLÉPHANT NOIR. — Qu’est-ce que tu veux ?
8FEMELLE ÉLÉPHANT BLANCHE. — Astolphe, tu dois me le promettre.
9ÉLÉPHANT NOIR. — Pas maintenant…
10FEMELLE ÉLÉPHANT BLANCHE. — Astolphe, ce n’est pas juste… Tu as dit que tu me le promettrais.
11ÉLÉPHANT NOIR. — Tu as le don d’être inopportune, Béatrice. On en parlera après si tu veux bien.
12FEMELLE ÉLÉPHANT BLANCHE. — Non, pas après. Il faut le faire maintenant, par vent frais.
13ÉLÉPHANT NOIR. — Ne sois pas casse-pieds…
14FEMELLE ÉLÉPHANT BLANCHE. — Astolphe…
15ÉLÉPHANT NOIR. — C’est non…
16FEMELLE ÉLÉPHANT BLANCHE. — Astolphe chéri…
17ÉLÉPHANT NOIR. — Quand je dis non, c’est non.
18FEMELLE ÉLÉPHANT BLANCHE. — Allez…
19ÉLÉPHANT NOIR. — C’est bon… Je te le promets.
20FEMELLE ÉLÉPHANT BLANCHE. — (Radieuse.) C’est vrai ? Tu ne me mènes pas en bateau ?
21ÉLÉPHANT NOIR. — Non, je ne te mène pas en bateau.
22FEMELLE ÉLÉPHANT BLANCHE. — C’est vraiment vrai ?
23ÉLÉPHANT NOIR. — Oui, c’est vraiment vrai.
24FEMELLE ÉLÉPHANT BLANCHE. — Attention, tu viens de le promettre. Parce qu’après tu reviens toujours sur ta parole.
25ÉLÉPHANT NOIR. — Si je t’ai dit que je te le promets, c’est que je te le promets. Alors n’insiste pas, casse-pieds…
26FEMELLE ÉLÉPHANT BLANCHE. — Je ne sais pas. Tu me dis toujours la même chose pour que je me taise. Je ne sais pas comment tu te débrouilles mais…
27ÉLÉPHANT NOIR. — Tais-toi ! On vient…
28FEMELLE ÉLÉPHANT BLANCHE. — Astolphe, tu m’as dit que tu m’aimais. (Les deux sortent en barrissant côté jardin.)
291er POLICIER et 2 d POLICIER entrent en courant côté jardin.
301er POLICIER. — Voilà, c’est tout ce qui s’est passé.
312d POLICIER. — C’est tout ?
321er POLICIER. — Tu as bien entendu, sifflotin.
332d POLICIER. — Je ne te crois pas.
341er POLICIER. — Eh bien, ça te regarde.
352d POLICIER. — L’Amiral commandant la sixième division cuirassée du Pacifique sud ?
361er POLICIER. — Celui-là même que tu as vu et qui porte des pantoufles.
372d POLICIER. — Non mais c’est un comble…
381er POLICIER. — C’est exactement ce que j’ai dit.
392d POLICIER. — Et que pense monsieur ton grand-père de tout ça ?
401er POLICIER. — Il se tord de rire, cet esprit à la violette.
412d POLICIER. — Il faut voir…
421er POLICIER. — Il faut le voir pour le croire…
432d POLICIER. — On était aveugle…
441er POLICIER. — On nous roule vraiment dans la farine…
45On entend des barrissements lointains.
462d POLICIER. — Tu as entendu ?
471er POLICIER. — Ils viennent de ce côté.
482d POLICIER. — Allons-y !
491er POLICIER. — Allons-y ! (Ils sortent côté jardin.)
50L’ÉLÉPHANT ROUGE et la FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE entrent en courant côté jardin.
51ÉLÉPHANT ROUGE. — Sisebut !
52FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Comment dis-tu ?
53ÉLÉPHANT ROUGE. — Je dis que si j’avais su je ne serais pas venu.
54FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Tu ne manques pas d’air !
55ÉLÉPHANT ROUGE. — Pourquoi ? Je parie que toi non plus tu n’es pas capable de les réciter tout courant, et ce n’est pas pour autant que je dis quoi que ce soit.
56FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — C’est que c’est très difficile de les apprendre par cœur…
57ÉLÉPHANT ROUGE. — Ce n’est pas une excuse. Si tu y mettais plus du tien…
58FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Tout est toujours tellement simple pour toi ! C’est ce que je dis : un et un deux, deux et deux font quatre, quatre et quatre seize… Comme c’est facile !
59ÉLÉPHANT ROUGE. — Hélas, Amélie, Amélie !
60FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Qu’est-ce qu’elle a celle-là ?
61ÉLÉPHANT ROUGE. — Mais rien, comme tu t’en souviens certainement, elle s’est mariée avec l’oncle de ma défunte grand-mère et ils ont eu des jumeaux.
62FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Ha, ha, ha… ! Comme c’est amusant ! Des jumeaux ! Ha, ha, ha… ! Rien que ça !
63ÉLÉPHANT ROUGE. — (Sérieux.) Eh bien moi je ne vois pas ce qu’il y a de drôle.
64FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Ha, ha, ha… ! Il ne faut pas confondre être drôle et être un drôle. Ha, ha, ha… !
65ÉLÉPHANT ROUGE. — Je crois qu’on vient.
66FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Ha, ha, ha… ! Oui, il est préférable qu’on s’en aille. Ha, ha, ha… ! Que c’est amusant ! (Ils sortent côté jardin en barrissant.)
671er POLICIER et 2 d POLICIER entrent en courant côté cour. 1er POLICIER tient son chapeau-melon à deux mains tout le temps.
681er POLICIER. — (Haletant.) Je dois te dire quelque chose de très important.
692d POLICIER. — Tu le feras plus tard.
701er POLICIER. — C’est que plus tard, si ça se trouve j’aurai oublié.
712d POLICIER. — Alors tu n’as qu’à le noter sur la feuille de service.
721er POLICIER. — C’est que ce n’est pas la même chose.
732d POLICIER. — Je t’écoute, saint Thomas.
741er POLICIER. — Comment ?
752d POLICIER. — Je dis que j’écoute ce que tu as à me dire. Mais fais vite, c’est pour aujourd’hui, pas pour demain.
761er POLICIER. — Tu ne vas pas le croire.
772d POLICIER. — Quoi donc ?
781er POLICIER. — J’ai oublié.
792d POLICIER. — Déjà ? Je t’ai dit de le noter, abruti.
801er POLICIER. — Je sais bien que tu me l’as dit, mais j’ai oublié avant de le noter. Le temps de prendre le crayon, d’ouvrir le carnet et… Vlan !…, voilà que je ne me souviens plus de rien.
812d POLICIER. — Avec toi c’est toujours la même chose. Il serait temps que tu changes…
821er POLICIER. — Oui, je reconnais. Je ne sais pas ce qu’il m’arrive…
832d POLICIER. — Il t’arrive que si tu ne lisais pas sans cesse ces illustrés que t’envoie Lupita par la poste, ça ne t’arriverait pas.
841er POLICIER. — Je suis une vraie calamité. Pardonne-moi. Je ne recommencerai pas…
852d POLICIER. — Promis ?
861er POLICIER. — Promis.
87Barrissements lointains.
881er POLICIER. — On vient dans cette direction ! On y va ?
892d POLICIER. — On y va ! (Ils sortent côté jardin.)
90L’ÉLÉPHANT BLEU et la Femelle Éléphant jaune entrent côté cour.
91ÉLÉPHANT BLEU. — Et bien moi je veux être trapéziste.
92FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — Et moi malabariste.
93ÉLÉPHANT BLEU. — Et moi équilibriste.
94FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — Ha, ha, ha… Ça tu l’as déjà dit, Liberato.
95ÉLÉPHANT BLEU. — Et moi trapéziste.
96FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — Et moi gymnosophiste.
97ÉLÉPHANT BLEU. — Ha, ha, ha… Tu te répètes aussi, Perline.
98FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — Et moi malabariste.
99ÉLÉPHANT BLEU. — Et moi saxophoniste.
100FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — Et moi violoncelliste.
101ÉLÉPHANT BLEU. — Et moi contrebassiste.
102FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — Ha, ha, ha… Tu t’es de nouveau répété.
103ÉLÉPHANT BLEU. — Et moi violoncelliste.
104FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — Et moi trompettiste.
105ÉLÉPHANT BLEU. — Ha, ha, ha… (On entend des barrissements lointains.)
106FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — Tu as entendu ?
107ÉLÉPHANT BLEU. — Je n’ai rien entendu. Continue.
108FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — On s’en va ?
109ÉLÉPHANT BLEU. — Allons-nous en ! (Sortie de scène côté jardin.)
1101er POLICIER et 2 d POLICIER font leur entrée.
1111er POLICIER. — (I. Lento-cantabile.) Tu es l’étoile qui illumine mon visage.
1122d POLICIER. — Tu es la petite fourmi qui s’emmêle dans mes cheveux.
1131er POLICIER. — Tu es le sapin qui s’agite dans le vent.
1142d POLICIER. — Tu es le parfum qui fait saliver nos nuits.
1151er POLICIER. — (II. Tranquillo.) Tu es le coquelicot qui berce mes vagues.
1162d POLICIER. — Tu es le cheval qui galope entre mes dents.
1171er POLICIER. — Tu es la barcarolle qui telle une berceuse monte parmi les roseaux.
1182d POLICIER. —Tu es le coupe-papier qui dessine nos vers.
1191er POLICIER. — (III. Moderato.) Tu es le vanneau qui module les soupirs.
1202d POLICIER. — Tu es le ramponneau qui surveille nos baisers.
1211er POLICIER. — Tu es l’escopette qui tapote le clavier de mes lamentations.
1222d POLICIER. — Tu es l’abécédaire qui épelle mes pensées.
1231er POLICIER. — (IV. Angelico.) Tu es mon archange, mon dieu matutinal.
1242d POLICIER. — Tu es le mouton qui pacage mes faux.
1251er POLICIER. — Tu es le brouillard, l’écume et le ciel.
1262d POLICIER. — Tu es la neige, le vent et la madrague.
1271er POLICIER. — (V. Luminoso.) Tu es le nuage, la foudre et le tonnerre.
1282d POLICIER. — Tu es la marine qui point dans le ciel.
1291er POLICIER. — Tu es la sève qui irrigue le cèdre.
1302d POLICIER. — Tu es le peuplier qui s’agite à l’aube.
1311er POLICIER. — (VI. Molto lento.) Tu es la branche qui repousse enamourée.
1322d POLICIER. — Tu es une lamentation dans l’océan de mes soupirs.
1331er POLICIER. — Tu es l’alizé qui dissipe les craintes.
1342d POLICIER. — Tu es l’oiseau qui niche dans mes veines.
1351er POLICIER. — (VII. Afflitto e penoso.) Tu es l’ossuaire où s’échouent mes affronts.
1362d POLICIER. — Tu es la sente, le voile et l’éveil.
1371er POLICIER. — Tu es le sable, le signe et le temps.
1382d POLICIER. — Tu es l’attente, l’agonie et le ciseau.
139On entend des barrissements lointains. 1er POLICIER et 2 d POLICIER sortent côté jardin.
140Sirènes de police. Raffut indompté et festif ; à bon chat bon rat. Soudain, le silence se fait avec perte et fracas.
141HAUT-PARLEUR. — (Machinal.) Votre attention s’il vous plaît…! Respectable public… Nous vous annonçons que la rébellion est matée et bien matée. Le danger est écarté… Vous pouvez regagner tranquillement vos places… Les éléphants ont été capturés… Nous répétons : les éléphants ont été capturés… Le spectacle continue.
Seconde partie
142Intérieur de restaurant. Au fond, baie vitrée décorée de rideaux de dentelle. Au premier plan, assis à table prêts à bâfrer, l’ÉLÉPHANT ROUGE, la Femelle Éléphant verte et la Femelle Éléphant jaune. Sur un côté, le CLIENT déjeune d’une soupe claire et d’une omelette aux pommes de terre et au fromage. Chaque fois que les éléphants barrissent, le client se soulève de sa chaise comme mû par un ressort et sa moumoute bouge comme un chat que l’on plonge dans l’eau.
143FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Marcelin, soit gentil et passe-moi le sel. (Elle barrit.)
144ÉLÉPHANT ROUGE. — Olé pour la salière !
145FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip !
146FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Hum !… C’est délicieux…
147ÉLÉPHANT ROUGE. — (Curieux.) Qu’est-ce que c’est ? Des boulettes de morue et de ratatouille ? Des vessies farcies ? Un ragoût d’araignées de mer ?
148FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Ce ne sont pas tes oignons !
149FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip !
150ÉLÉPHANT ROUGE. — (Se pourléchant.) Tu m’en donnes un peu, Inès ? (Barrissement.)
151FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Des nèfles, Marcelin !
152FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip !
153ÉLÉPHANT ROUGE. — Ce que doivent manger les vers que les Chrétiens s’en régalent !
154FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Garçon ! (Coup de gong.)
155Le serveur fait son apparition. Il est chauve, déguenillé et sentimental. Il fait son entrée en se séchant les mains sur son tablier.
156SERVEUR. — Que désirez-vous, mademoiselle ?
157FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — (Lisant le menu.) Un cocktail bathypélagique.
158ÉLÉPHANT ROUGE. — Rien que ça…
159FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Toi, la ferme, Marcelin ! Ce n’est pas encore ton tour. (Elle barrit.)
160FEMELLE ÉLÉPHANT jaune. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip !
161SERVEUR. — Autre chose ? Non ? Ça marche ! (Il sort en fredonnant une rondalla aragonaise.)
162Au fond, dans le castelet, apparaissent 1er POLICIER et 2 d POLICIER, à présent deux marionnettes de guignol qui se déplacent d’un côté à l’autre, en actionnant mécaniquement leurs bras. 1er POLICIER brandit une matraque géante.
163FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Marcelin, je comprends parfaitement que la jalousie te ronge, mais tu devrais te comporter comme un monsieur et non comme un vulgaire proboscidien.
164FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip !
165ÉLÉPHANT ROUGE. — Ne me dis pas ça, Inès, mon âme s’en trouve griffonnée… Inès, je t’en prie… (Il barrit.)
166FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Trop tard, Marcelin.
167FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip !
1682d POLICIER. — Envoyez les doublons, envoyez les doublons !
1691er POLICIER. — Dégommez le macaque !
170ÉLÉPHANT ROUGE. — Si au moins tu me disais ce que j’ai fait de mal, en quoi je me suis trompé.
171FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Tu le sais parfaitement. Ce ne sont pas les explications qui manquent.
172FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip !
173Le serveur entre avec une assiette. Coup de gong.
174SERVEUR. — Votre cocktail bathypélagique, mademoiselle. Il arrive tout droit des profondeurs marines.
175FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Merci beaucoup. (Elle barrit.)
176Le serveur sort en sifflant : « La donna è mobile qual piuma al vento… ».
177ÉLÉPHANT ROUGE. — Inès, ma petite Inès… On joue à « greli-grelot, combien de sous dans mon sabot » ?
178FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip !
1791er POLICIER. — Dégommez le macaque !
1802d POLICIER. — Envoyez les doublons, envoyez les doublons !
181FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Marcelin… Ça t’ennuierait de m’expliquer ce que tu faisais hier à dix heures trente-sept ?
182ÉLÉPHANT ROUGE. — Du matin ou du soir ?
183FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Ne fais pas le malin avec moi. Tu sais parfaitement ce que je veux dire.
184FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip !
185ÉLÉPHANT ROUGE. — Voyons voir… J’y suis ! Je piquais une tête coquette dans la piscine de ma mamie. (Il barrit.)
186FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Tu en es sûr ?
187ÉLÉPHANT ROUGE. — Sûr et certain…
188FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — L’assurance mène en prison, Marcelin !
189FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip !
1901er POLICIER. — Dégommez le macaque !
191Il flanque un coup en pleine gueule à son collègue qui disparaît aussitôt.
192ÉLÉPHANT ROUGE. — Et bien j’étais probablement en train de me faire les ongles…
193FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Tu mens !
194ÉLÉPHANT ROUGE. — Et bien…
195FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Laisse tomber, Marcelin…
196FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip !
1972 d POLICIER fait son apparition à la porte du restaurant. Ensuite, 1er POLICIER disparaît du castelet et surgit à côté de 2 d POLICIER. Tous deux ont recouvré leur apparence de chair et de moelle. Ils regardent fixement les éléphants. 1er POLICIER agite sa matraque dans la paume de sa main.
198ÉLÉPHANT ROUGE. — Hélas, Amélie, Amélie !
199FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — On recommence avec cette cantilène ? (Elle barrit.)
200FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
201ÉLÉPHANT ROUGE. — Qu’y puis-je ? C’est plus fort que moi…
202FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Polichinelle ! Canaille !
203ÉLÉPHANT ROUGE. — Ah, pas de ça, hein ? Je ne te permets pas, Inès. Il ne manquerait plus que ça… On a encore un soupçon d’amour-propre et dix millions à la banque. (Il barrit.)
204FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — C’était parfaitement clair, les cartes l’avaient prédit. Belote et rebelote ! Bouffon ! Gringalet ! (Elle barrit.)
205FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
206ÉLÉPHANT ROUGE. — Belote et dix de der.
207FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — C’est cela, belote et dix de der.
208FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
2091er POLICIER et 2 d POLICIER sourient de manière sinistre. 1er POLICIER cesse de taper sa matraque dans sa main. Soudain, les deux disparaissent.
210ÉLÉPHANT ROUGE. — Et maintenant qu’allons-nous faire, Inès ? J’ai une sainte frousse !
211FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — De la dentelle aux fuseaux. (Elle barrit.)
212ÉLÉPHANT ROUGE. — C’est comme tu veux. C’est comme tu veux, ma petite bâfreuse. Mais ne te fâche pas…
213FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
214FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Je ne suis pas fâchée. Je suis offusquée, perturbée, hébétée et comme mise à l’encan… Garçon !
215Coup de gong. Le serveur entre.
216SERVEUR. — Que désirez-vous d’autre, Divine Bergère ?
217FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Une portion de pourpiers à la plancha.
218SERVEUR. — Je ne sais pas s’il m’en reste, mademoiselle. Je vais voir en cuisine, car c’est là où prennent naissance tous les désirs, et je reviens immédiatement rapide et vélocipède. (Il se carapate. Barrissements.)
219FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
2201er POLICIER et 2 d POLICIER font leur apparition dans le castelet, comme précédemment ; ce sont à présent des figurines de jeu de massacre. 1er POLICIER se tient massue en arrêt, et s’acharne sur 2 d POLICIER.
2211er POLICIER. — Dégommez le macaque !
2222d POLICIER. — Envoyez les doublons, envoyez les doublons ! Aggghhh !
223ÉLÉPHANT ROUGE. — (Exultant.) Tu vas devoir m’apprendre, Inès ! Comme tu peux le comprendre, j’ignore les principes sacrés d’un art aussi noble.
224FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Ne t’inquiète pas. Tu vas apprendre. Et comment que tu vas apprendre ! À cloche-patte, mais tu vas apprendre ! (Elle barrit.)
225FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
226FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Aussi vrai que je m’appelle Inès, Inesinette, Inès !
227ÉLÉPHANT ROUGE. — Et on paîtra parmi les fleurs ? (Il barrit.)
228FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Oui, mon petit, c’est comme tu voudras.
229FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
230ÉLÉPHANT ROUGE. — Comme nous serons heureux, Inès !
231FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — (Sarcastique.) Et nous vivrons heureux…
232ÉLÉPHANT ROUGE. — On s’aimera… comme des vaches !
233FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
2341er POLICIER et 2 d POLICIER disparaissent du castelet et réapparaissent aussitôt dans l’embrasure de la porte du restaurant. Ils regardent fixement les éléphants. Ils rient sinistrement. 1er POLICIER se frappe la paume de la main avec sa matraque. 2 d POLICIER brandit alors à son tour un gourdin.
235FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Mais tout ça se fera quand tu auras appris la dentelle aux fuseaux.
236ÉLÉPHANT ROUGE. — Comme tu voudras, ma petite bourrasque, mon tourment de printemps… (Il barrit.)
237FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
238ÉLÉPHANT ROUGE. — Alors… tu me pardonnes, Inès ? Je te promets de ne plus recommencer.
239FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Tu parles sérieusement ? (Elle barrit.)
240ÉLÉPHANT ROUGE. — Très sérieusement, ma petite sosotte. Je ne t’enlèverai plus de chez tes parents, à moins que tu me le demandes à corps et à cris.
241FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
242FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Je ne te crois pas, Marcelin. Tu utilises de nouveau un trompe-l’œil pour me prendre dans les filets de ton amour immense. (Elle barrit.)
243ÉLÉPHANT ROUGE. — Inès, détrompe-toi… Mes intentions sont nobles et embellissantes. Morale et culot avant tout !
244FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — (Rêveuse.) Tu m’as si souvent embobinée que je ne sais pas si je dois te croire à nouveau…
245ÉLÉPHANT ROUGE. — Nous formerons une unité de destin dans l’universel, comme les clowns de la télé. (Il barrit.)
246FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
247Le SERVEUR fait son apparition avec le plat demandé. Coup de gong.
248SERVEUR. — Bon appétit, mademoiselle, et que Dieu vous tienne en sa bonne garde durant de nombreuses années, sans tricherie ni artifices.
249FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Merci beaucoup, mon Gigolo ; tu es un chou. Une vraie crème, mais avec le sucre en moins.
250SERVEUR. — Et que Dieu vous donne la santé pour que nous nous voyions encore de nombreuses années par ici à nous la couler douce.
251FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Cajoleur !
252SERVEUR. — Et que Dieu vous bénisse et vous donne d’aussi nombreux enfants que de cheveux sur la calebasse toute lisse d’un serveur.
253ÉLÉPHANT ROUGE. — Ça suffit, vous ne trouvez pas ? Quel casse-pieds ! (Il barrit.)
254FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
255Le SERVEUR sort à reculons en mimant le geste de bercer le veau.
256ÉLÉPHANT ROUGE. — (Subitement.) Inès, j’ai pris une décision : Pourquoi on ne se bougerait pas le cul d’ici à tire d’aile ?
257FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — (En lui ébouriffant les cheveux.) Mon petit poulain ! Tu as de ces idées parfois !
258FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
259ÉLÉPHANT ROUGE. — Pourquoi dis-tu ça ? Tu n’attends que ça…
260FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Et que fait-on de maman, mon étincelante étoile du matin ? (Elle barrit.)
261ÉLÉPHANT ROUGE. — Ta mère reste au zoo, car c’est là qu’est sa place. Et trêve de discussions, bon sang.
262FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — (Faisant l’intéressante.) Je ne sais pas, je ne sais pas. On verra.
263ÉLÉPHANT ROUGE. — Tu as oublié la dernière fois ? Elle a failli nous bousiller les vacances… Parce que l’histoire du séminariste ukrainien a eu des suites…
264FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
2651er POLICIER fait un pas en avant en direction de l’intérieur du restaurant. 2 d POLICIER le retient. Ils regardent d’un œil torve.
266FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Maman, c’est Inès à l’appareil…
267FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
268FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Comment ça quelle Inès ? Ton Inès… Inesinette, Inès.
269FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
270ÉLÉPHANT ROUGE. — J’ai toujours trouvé les sujets de conversation de ta mère fort intéressants (et si mondains, par ailleurs), mais tu ne crois pas qu’elle pousse un peu, mon neveu ?
271FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Maman, atterris, je suis ta fille ! (Elle barrit.)
272FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
273ÉLÉPHANT ROUGE. — Cette affaire prend une tournure qui ne me plaît pas du tout. Mon intention n’est pas de t’alarmer, mais… ta mère dépasse les bornes en ce moment ! (Il barrit.)
274FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Assez plaisanté, maman. Marcelin et moi avons quelque chose de très important à te dire. Alors écoute très attentivement…
275ÉLÉPHANT ROUGE. — Balance-le-lui d’un coup, Inès !
276FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Laisse-moi faire. Ces questions doivent être traitées avec la plus grande délicatesse. Maman, écoute-moi bien parce que je ne pense pas le dire deux fois. Marcelin et moi allons unir nos âmes par les liens sacrés du mariage. Je veux dire que nous allons nous marier. Tu ne trouves pas ça révolutionnaire ?
277FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
278FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — C’est tout ce que tu trouves à dire ? Tu n’as pas l’intention de nous donner ta bénédiction à double tour ?
279FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
2801er POLICIER fait un pas en avant en direction de l’intérieur du restaurant en se tapant la paume de la main avec son gourdin. 2 d POLICIER le retient. Ils rient de manière sinistre.
281FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Je crois que je vais devenir folle, Marcelin.
282ÉLÉPHANT ROUGE. — Mais tu l’es déjà, bêtasse.
283FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Tu as raison. Que je suis sotte ! Ha, ha, ha… (Elle barrit.)
284FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
285ÉLÉPHANT ROUGE. — Un baiser ?
286FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Là tout de suite ? On nous regarde…
287ÉLÉPHANT ROUGE. — Qui ? (Il barrit.)
288FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Tu n’avais pas remarqué ? Hi, hi, hi. Ceux-là, là-bas…
289ÉLÉPHANT ROUGE. — Eh bien moi je ne ferais pas attention à eux. Qu’ils aillent au diable, nom de dieu !
290FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Alors tu n’as pas honte qu’on nous voie nous embrasser ? (Elle barrit.)
291ÉLÉPHANT ROUGE. — C’est que comme ça, c’est plus romantique.
292FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Ah, Marcelin, tu es trop chou ! Bon, d’accord, mais un tout petit.
293ELÉPHANT ROUGE. — Un petit bisou.
294FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Un petit bisou.
295ÉLÉPHANT ROUGE. — Comme je les aime.
296FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Comme je les aime.
297FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
298Ils s’embrassent avec une grande candeur. Barrissements énamourés. 1er POLICIER et 2 d POLICIER s’avancent en se tapant la paume de la main avec la matraque. Ils lancent des regards torves. Ils s’arrêtent. Ils avancent à nouveau. Ils s’arrêtent. Ils reculent. Rires sinistres. Finalement ils disparaissent. On entend des barrissements.
299ÉLÉPHANT ROUGE. — Comment tu as trouvé ça ?
300FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Tu as été fantastique, Marcelin.
301ÉLÉPHANT ROUGE. — Tu parles sérieusement ? Ça t’a vraiment plu ?
302FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Énormément. Tu es un artiste de première importance sur l’échelle de Richter.
303FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
304ÉLÉPHANT ROUGE. — (Rougissant.) Bon, je n’irais pas jusque-là. J’ai encore beaucoup à apprendre. Après tout, je dois perfectionner ma technique. D’après mes calculs, dans trois ou quatre ans, avec une pincée de ceci et un soupçon de cela, je frôlerai la perfection… (Il barrit.)
305FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Mais c’était parfait, Marcelin. Moi je ne pourrais jamais t’égaler. (Elle barrit.)
306CLIENT. — (Se levant, furieux.) Ça suffit, bon sang, ça suffit ! Ça dépasse les bornes ! Garçon !
307FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
308FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — C’était merveilleux, Marcelin ! Tu as un de ces instincts ! Tu avais bien caché ton jeu, mon poussin… Je suis sûre que tu t’es entraîné en cachette dans le parc pendant tout ce temps sans rien me dire…
309Coup de gong. Le SERVEUR entre.
310SERVEUR. — (Au client.) Vous m’avez appelé, monsieur ?
311CLIENT. — Garçon, il y a un éleuthérocoque dans la soupe !
312SERVEUR. — Non !
313CLIENT. — Si !
314SERVEUR. — Je tiens à dire que vous ne devez pas vous inquiéter. Les bestioles sont ma spécialité. (Il se retrousse les manches, se saisit de l’assiette, et en avale le contenu.) Affaire réglée. Monsieur désire autre chose ?
315Le client lui fait un geste pour lui indiquer de se baisser. Il lui parle à l’oreille en montrant la table des éléphants. Le serveur sourit. Le client lui fait des reproches avec le doigt, très sérieux. Le serveur lui lance un clin d’œil complice. Il sort.
316FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
317FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Ma mère, Marcelin !
318ÉLÉPHANT ROUGE. — (Sursautant.) Que lui arrive-t-il ?
319FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Elle t’a vu faire le triple saut de la mort en caleçon ! (Elle barrit.)
320ÉLÉPHANT ROUGE. — Et alors ?
321FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Marcelin, parfois je suis étonnée par ta loquacité. Eh bien maintenant elle va aller en courant tout raconter à papa, et ce ne sera plus le secret le mieux gardé du monde comme tu le souhaitais.
322ÉLÉPHANT ROUGE. — Mais ce serait fatal pour mes aspirations ! Je t’avais bien dit que ça ne me disait rien de bon que tu fasses venir ta mère. Inès, il faut mettre un terme à cette situation. Elle devient intolérable, insupportable…
323FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Comme tu avais raison, mon guide salvifique ! Que peut-on faire ?
324ÉLÉPHANT ROUGE. — Laisse-moi réfléchir. (Il barrit.)
325FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des paupières.) Hip ! Hip ! Hip !
326ÉLÉPHANT ROUGE. — J’ai trouvé, mon petit lapin en sucre !
327FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Bravo, bravissimo !
328ÉLÉPHANT ROUGE. — Alors, ça te semble une bonne idée ?
329FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Oui-da, Marcelin ! Après ça, le moins qu’ils puissent faire sera de te nommer gardien du cimetière des éléphants à titre honorifique.
330ÉLÉPHANT ROUGE. — Tu le dis parce que tu peux me pistonner.
331FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Mais non, je t’assure. Tu es la personne la plus indiquée pour occuper ce poste. Il est fait sur mesure pour toi, Marcelin. Il t’irait comme un gant. Il te va pile-poil.
332ÉLÉPHANT ROUGE. — (Orgueilleux.) Tu as raison. À vrai dire je ne vois pas meilleur moyen de servir l’Humanité humanisante.
333FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE. — Eh bien n’en parlons plus. Au travail, mon petit Marcelin ! (Elle barrit.)
334ÉLÉPHANT ROUGE. — Au travail, Inès, Inesinette, Inès. (Il barrit.)
335La FEMELLE ÉLÉPHANT VERTE se dirige avec empressement vers la table du CLIENT et lui flanque une baffe. Le CLIENT se lève comme mû par un ressort et répond avec une révérence des plus cérémonieuses. Aussitôt, 1er POLICIER et 2 d POLICIER apparaissent dans l’entrée, les bras croisés. Ils rient sinistrement. 1er POLICIER sort une matraque. 2 d POLICIER acquiesce. Ils s’avancent sûrs d’eux. Le SERVEUR passe la tête derrière les rideaux transparents en recouvrant ses yeux avec les mains.
336FEMELLE ÉLÉPHANT JAUNE. — (Clignant des yeux.) Hip ! Hip ! Hip ! Hip !
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